Anomalies lipidiques au cours de l`insuffisance rénale
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Anomalies lipidiques au cours de l`insuffisance rénale
Anomalies lipidiques au cours de l'insuffisance rénale: conséquences sur la progression de l'insuffisance rénale et le risque cardiovasculaire B. Moulin Service de néphrologie, Hôpitaux universitaires de Strasbourg ■ Anomalies lipidiques de l'insuffisant rénal La cause de la néphropathie ne semble pas influencer le type d'anomalies lipidiques rencontrées au cours de l'IRC. Une hypertriglycéridémie associée à un taux élevé des triglycérides des VLDL et des IDL est l'anomalie la plus fréquemment observée. Le taux du cholestérol est le plus souvent normal ou élevé, mais la distribution du cholestérol au sein des lipoprotéines est modifiée au profit des IDL et les VLDL. Il s'ensuit une baisse du rapport HDL/LDL-cholestérol. Les concentrations de Lp(a) seraient également élevées au cours de l'IRC. Au-delà du profil lipidique observé au cours du syndrome d'urémie chronique, se surimpose fréquemment des anomalies liées à la persistance d'un état néphrotique ou d'une protéinurie abondante. Dans ce cas, l'augmentation prédominante et importante des taux de cholestérol total et de LDL-cholestérol est accompagnée d'une baisse relative des taux de HDL. L'augmentation du rapport cholestérol/HDL confère à ces malades un facteur de risque cardiovasculaire élevé. Enfin les taux de Lp(a) sont en géneral retrouvés élevés chez les malades néphrotiques. ■ Pourquoi traiter l'hyperlipidémie de l'insuffisant rénal? ● Progression de l'insuffisance rénale chronique Des études expérimentales menées chez l'animal ont largement suggéré le rôle potentiellement aggravant de l'hyperlipidémie sur la progression de l'insuffisance rénale. Cet effet délétère Néphrologie Vol. 21 n° 7 2000, pp. 339-341 des lipides est imputé au développement d'un équivalent d'athérome intra-glomérulaire.1 Chez l'homme, peu de données sont actuellement disponibles. Toutefois des travaux récents menés chez des patients diabétiques et non diabétiques ont révélé une association entre la sévérité de l'hyperlipidémie et la rapidité du déclin de la fonction rénale.2-5 Les résultats de ces études rétrospectives suggèrent ainsi un bénéfice potentiel des traitements hypolipémiants. Des études préliminaires non contrôlées conduites chez des patients diabétiques et non diabétiques, protéinuriques et hyperlipidémiques, ont montré que l'utilisation d'inhibiteurs de l'HMG CoA réductase permettait, outre la diminution des taux de cholestérol, une stabilisation voire une amélioration de la fonction rénale.6-9 Au-delà de leur effet hypolipémiant, les statines semblent également présenter un intérêt par leur action antiproliférative et sur la fonction endothéliale. D'autres approches que les hypolipémiants peuvent être également envisagées. Ainsi chez un nombre limité de patients néphrotiques traités par LDL aphérèses, la réduction importante des concentrations de LDL-cholestérol a été accompagnée d'une diminution significative de la protéinurie et d'une amélioration de la fonction rénale.10 ● Accélération de l'athérosclérose La démonstration d'une augmentation du risque coronarien lié à l'hyperlipidémie chez les patients protéinuriques n'est pas formellement établie.11,12 La diversité des étiologies, les traitements administrés, la durée variable de l'évolution du SN rendent particulièrement difficiles la mise en place d'études prospectives. La présence de facteurs de risque cardiovasculaire associés tels que l'hypertension, le diabète, ou un état d'hypercoagulabilité ne permet pas d'identifier précisément la part qui revient à l'hyperlipidémie. Néanmoins les importantes anomalies lipidiques observées chez les malades insuffisants rénaux et protéinuriques permettent sans conteste de classer ces patients dans le groupe des patients à haut risque cardiovasculaire. Une étude récente réalisée chez 142 patients néphrotiques non diabétiques comparés à une population témoin suggère ainsi que chez ces malades le risque relatif d'infarctus du myocarde est de 5,5 (IC 95% = 1,6 à 18,3) et le risque de décès de maladie coronarienne de 2,8 (IC 95% = 0,7 à 11,3).13 Dans un groupe de 439 patients diabétiques insulino-dépendants ayant une néphropathie diabétique, 339 session II La plupart des patients traités pour insuffisance rénale chronique terminale décèdent de complications cardiovasculaires liées à un infarctus du myocarde, une insuffisance cardiaque congestive, un accident cérébrovasculaire ou à une vasculopathie périphérique. L'existence d'une athérosclérose accélérée est la cause principale de ce taux élevé de mortalité et l'hyperlipidémie, dont la fréquence est particulièrement importante chez les insuffisants rénaux, est probablement l’un des facteurs de risque cardiovasculaires majeurs dans cette population. l'hypercholestérolémie apparaît être le paramètre prédictif principal de mortalité cardiovasculaire et de progression de l'insuffisance rénale.4 l'hypertriglycéridémie est prédominante. Leurs effets secondaires (rhabdomyolyse et lithiase biliaire) peuvent limiter leur emploi. ■ Classes thérapeutiques et indications ● Acides gras polyinsaturés (omega-3 polyinsaturés) Toutes les classes d'hypolipémiants ont été évaluées avec des résultats variables quant à l'efficacité et la tolérance à long terme. La plupart des études ont été menées sur de courtes périodes et avec un nombre limité de patients ne permettant pas de tirer des conclusions sur l'efficacité et la sécurité d'emploi à long terme de ces médicaments dans ce type d'indication. ● Régime hypolipémiant La sévérité de l'hyperlipidémie habituellement associée au syndrome néphrotique et à l'insuffisance rénale ne peut être approchée par la seule diététique. Toutefois celle-ci reste indispensable pour potentialiser l'effet du traitement et surtout contrôler l'hypertriglycéridémie. En pratique un régime pauvre en cholestérol (< 300 mg /j) et riche en fibres doit être prescrit. ● Chélateurs des acides biliaires (cholestyramine) Utilisés en monothérapie dans le SN, ils ont une action limitée sur la réduction du cholestérol et des LDL, et augmentent le taux de triglycérides.14 De plus leurs effets secondaires notamment digestifs (constipation) limitent leur emploi. L'utilisation de cette classe thérapeutique trouve surtout ses indications en association à d'autres hypolipidémiants, notamment les inhibiteurs de l'HMG CoA réductase dont l'effet est fortement potentialisé par les chélateurs des acides biliaires dans les hyperlipidémies primitives. En général bien tolérés, ces agents sont essentiellement utilisés pour le traitement des hypertriglycéridémies. Une élévation des taux de LDL-cholestérol a été rapportée lorsqu'ils sont utilisés à fortes doses (12g/j). Leur effet bénéfique dans la progression de l'insuffisance rénale a également été mentionné dans la néphropathie à dépôts d'IgA.18 En pratique, dans l'attente d'études prospectives, l'indication d'un traitement hypolipémiant chez le malade insuffisant rénal hyperlipidémique, repose essentiellement sur l'évaluation de la menace individuelle incluant le type d'hyperlipidémie et les autres facteurs de risque cardiovasculaire. La mise en route d'études prospectives visant à évaluer l'effet bénéfique des statines dans les populations à risque cardiovasculaire élevé que sont les malades néphrotiques, insuffisants rénaux ou transplantés est actuellement nécessaire mais se heurte souvent à des obstacles financiers et méthodologiques importants liés aux nombres de malades à inclure et aux facteurs confondants. L'appréciation d'un gain éventuel sur la progression de l'insuffisance rénale reste actuellement et pour les mêmes raisons tout à fait hypothétique Tableau I : Propositions thérapeutiques pour les hyperlipidémies des néphropathies protéinuriques. Profil lipoprotéique ↑ LDL Statine ↑ LDL + ↓ HDL Statine ↑ LDL + ↑ TG 340 session II (AGPI) ↑ TG + ↓ HDL Fibrate ↑ Lp(a) ? ± œstrogènes (Femme) AGPI = acides gras polyinsaturés. Adresse de correspondance : Dr B. Moulin Service d’endocrinologie Hôpital de l’Antiquaille 1, rue de l’Antiquaille F-69005 Lyon Références ● Fibrates (gemfibrozil, clofifrate, bezafibrate) Ils inhibent la synthèse hépatique des triglycérides et du cholestérol et surtout stimulent la lipoprotéine lipase. Leur effet sur l'hypercholestérolémie est modéré, mais plus intéressant lorsque Statine (et AGPI) ↑ TG ● Inhibiteurs de l'HMG CoA réductase (statines) Leur efficacité au cours de l'hyperlipidémie primitive est maintenant largement démontrée et a déjà suscité des essais dans le traitement de l'hyperlipidémie de patients protéinuriques.14-17 Leur mode d'action passe par une inhibition de l'HMG CoA réductase, enzyme-clé de la synthèse du cholestérol notamment hépatique. Dans les essais publiés la cholestérolémie diminue d'environ 35% avec un effet plus marqué sur les LDL. Le taux de triglycérides est en général abaissé significativement mais de façon plus modeste, bien que les dernières molécules de statine récemment proposées semblent apporter un effet intéressant dans ce domaine. Enfin le taux des HDL a tendance à augmenter améliorant ainsi le rapport LDL/HDL qui diminue. La toxicité musculaire et le risque de rhabdomyolyse lié à l'utilisation des statines semblent plus importants en cas d'insuffisance rénale et/ou de syndrome néphrotique justifiant une surveillance attentive et fréquente des CPK. Agent hypolipémiant 1. Keane WF. Lipids and the kidney. Kidney Int 1994 ; 46 : 910-20. 2. Mulec H, Johnson SA, Björck S. Relationship between serum cholesterol and diabetic nephropathy. Lancet 1990 ; 335 : 1537-8. Néphrologie Vol. 21 n° 7 2000 3. Samuelsson O, Aurell M, Knight-Gibson K, Alaupovic P, Attman PO. Apolipoprotein-β-containing lipoproteins and the progression of renal insufficiency. Nephron 1993 ; 63 : 279-85. 4. Krolewski AS, Warram JH, R. CA. 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