l`essor du high-tech

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l`essor du high-tech
ISRAËL
L’ESSOR DU HIGH-TECH
Gros employeur, le High-Tech israélien est aussi le secteur numéro 1
de l'économie du pays en termes d'exportation.
L’enquête de Dror Even-Sapir
I
d’une telle représentation, qui en outre
renforce le rôle déjà crucial joué par
l’économie américaine dans le développement du secteur des hautes technologies en Israël. Plusieurs sociétés spécialisées dans la haute technologie, et
non des moindres, y ont d’ailleurs établi
des succursales dédiées à la recherche
appliquée. À titre d’exemple, les premiers centres de recherches fondés par
Intel et Microsoft en dehors du territoire
américain l’ont été en Israël.
Les aspects internes de la réussite du
High-Tech israélien ne sont pas non
plus à négliger. Avec entre 200 000
et 260 000 high tekistim, les sociétés spécialisées dans la recherche en
haute technologie – la fabrication étant
en général sous-traitée par des entreprises étrangères – sont l’un des gros
employeurs du pays. Environ 15 % des
actifs sont concernés, sans compter
les employés des nombreuses sociétés dépendant plus ou moins directement du secteur. Rien
d’étonnant donc à ce
que les classements
internationaux accordent la seconde place
à Israël en terme de
nombre de start-ups,
derrière les États-Unis,
et la première proportionnellement à la taille
de la population.
Une subdivision entre
différentes spécialisations permet de constater que le développeDR
sraël, pays leader dans le secteur des hautes technologies :
la proposition sonne désormais comme une évidence,
presque un cliché. Ce qui ne
l’empêche pas de correspondre à la
réalité. Quelques données chiffrées
suffisent pour s’en convaincre. Ainsi,
pas moins de 3850 start-ups ont été
établies dans le pays : un chiffre en
constante expansion, et qui fait d’Israël le numéro deux mondial dans ce
domaine, juste derrière les États-Unis.
Rappelons, pour donner une idée plus
juste encore du phénomène, que l’État
hébreu ne compte qu’à peine sept millions d’habitants. Autre donnée, non
moins édifiante : le nombre de sociétés israéliennes cotées par le NASDAQ,
l’indice des valeurs technologiques du
marché boursier américain : une cinquantaine environ. Exception faite des
États-Unis et du Canada, aucun autre
pays au monde ne peut se targuer
L'école Vatel à Tel Aviv.
ment des logiciels emploie le plus grand
nombre de personnes, devant le secteur de l’internet. Viennent ensuite les
télécommunications, puis la recherche
biomédicale. Un classement qui pourrait bien se modifier, ce dernier secteur
étant en pleine expansion.
Locomotive de l’économie
Gros employeur, le High-Tech israélien est aussi, logiquement, le secteur
numéro un de l’économie du pays en
termes d’exportation. Il mérite donc
largement le qualificatif de « locomotive de l’économie israélienne », selon
l’expression d’Édouard Cukierman,
président de Catalyst Fund, un fonds
d’investissements basé en Israël, et coauteur, avec Daniel Rouach, d’un livre
consacré au phénomène, Israël Valley,
un modèle d’innovation, dont la parution est prévue pour janvier prochain.
Les facteurs ayant fait d’Israël une véritable superpuissance des technologies
de pointe sont tout à la fois conjoncturels et structurels. Dans une large
mesure, les réussites d’Israël dans ce
secteur sont une conséquence du considérable effort de survie que le jeune
pays avait eu à fournir au cours de ses
premières décennies. On savait déjà
que la rudesse des conditions climatologiques, l’aridité notamment, avait
été un puissant stimulant pour le développement des techniques d’irrigation,
faisant d’Israël le numéro un mondial
dans ce domaine, et dans celui des
méthodes d’exploitation agricole les
plus innovantes.
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ISRAËL
Les raisons d’ordre géopolitiques
ont été, et sont encore, essentielles :
confronté à la nécessité de maintenir
une très nette avance qualitative face
aux autres armées de la région, Tsahal, encouragée par
les autorités civiles,
mise depuis longtemps sur l’innovation et les technologies les plus avancées.
Avec un leitmotiv :
ne compter que sur
soi, ne pas dépendre
du savoir-faire et des
technologies étrangères, même si elles
proviennent de pays
amis, voire alliés. Le
rôle de l’armée continue d’être essentiel,
reconnaît Édouard
Cukierman, les entreprises civiles bénéficiant d’un transfert
constant de technologies et de compétences provenant de
la défense. L’image
d’Épinal des fondateurs de start-ups israéliennes correspond donc en grande partie à la réalité : des jeunes à peine trentenaires,
anciens camarades de régiment, qui ont
eu au cours de leur service militaire,
effectué le plus souvent dans les unités
sélectives des renseignements, l’occasion de se familiariser avec le monde
de la haute technologie. Mais le rôle,
en effet crucial, joué par la défense et
l’armée ne suffit pas à lui seul à expliquer l’ampleur de la réussite du HighTech israélien.
Le talon d’Achille
Sans véritables ressources naturelles,
presque dénué de matières premières,
l’État d’Israël a dû compenser en
investissant, plus que tout autre dans
la recherche et les activités scientifiques : une priorité constatée « dès
les premières années » de l’existence du
jeune État, rappelle Lionel Bobot, économiste franco-israélien, directeur de
Vatel Israël. Là encore, les chiffres sont
éloquents : Israël est second en termes
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de dépenses consacrées à la recherche
et au développement, proportionnellement au produit intérieur brut. Et le
pays occupe la quatrième place mondiale du classement des plus grands
producteurs de publications et d’articles
scientifiques. La proportion d’Israéliens
exerçant une activité professionnelle
dans le domaine de la recherche est,
elle aussi, l’une des plus élevées de la
planète. Une véritable manne humaine,
dont bénéficient non seulement l’informatique de pointe, mais aussi les
biotechnologies, l’industrie pharmaceutique, la recherche spatiale et c’est
moins connu, le développement des
énergies non ou peu polluantes. Car la
priorité donnée à la recherche scientifique et aux innovations, tant dans les
sphères civiles que militaires, ainsi que
le bon niveau des universités locales,
n’auraient sans doute pas suffi si Israël
n’avait pas bénéficié d’une population
dotée d’un haut niveau de connaissances et de compétences. Affirmation
formulée sans confondre les causes et
les effets, puisque cette exceptionnelle
« concentration de cerveaux », pour
reprendre l’expression de Lionel Bobot,
est due en grande partie à la vague
d’immigration des années 90, et à l’af-
flux de chercheurs de haut niveau qui
l’a accompagnée.
Pas ou peu de matières premières,
mais de la matière grise à foison : une
équation que l’État a su gérer efficacement. Son rôle est
doublement essentiel, constatent, tout
à la fois, Lionel Bobot
et Édouard Cukierman : en stimulant
la recherche à coup
de subventions mais
aussi de soutiens à
des fonds d’investissement privés, d’une
part, et de l’autre en
facilitant les créations de start-ups,
en encourageant les
bonnes volontés et
les ambitions. De
fait, les subventions
accordées par le gouvernement peuvent
couvrir, dans certains
cas, jusqu’à 80 % des
dépenses d’une nouvelle société se lançant dans les technologies de pointe, et ce sans imposer
aucune condition ou droit de regard
sur la gestion de la start-up concernée.
L’apport des fonds d’investissements
privés, américains le plus souvent, mais
aussi européens, est tout aussi crucial.
Et c’est peut-être là que se trouve le
talon d’Achille de la haute technologie
israélienne : comme le souligne Lionel
Bobot, le secteur dépend financièrement, tant en amont, de par le financement de ses activités, qu’en aval, au
niveau des exportations, de la bonne
santé des économies occidentales. Une
santé, faut-il le rappeler, des plus chancelantes ces dernières années. Le ralentissement des activités du High-Tech
israélien, perceptible depuis la fin de la
dernière décennie, pourrait s’accentuer
si la crise des économies américaines
et européennes s’inscrit dans la durée.
D’autant plus que, par définition, l’investissement dans les start-ups est plus
incertain, plus hasardeux que dans des
secteurs plus traditionnels. De fait, on
constate depuis environ quatre ans une
IFEELSMART, L’IPHONE GRAND ÉCRAN
La prochaine révolution technologique aura un accent franco-israélien.
DR
…qui contrôle le grand.
DR
E
n 2007, Apple lance l’iPhone. À l’époque, malgré des produits de plus en plus sophistiqués, les grands constructeurs peinent à proposer une expérience convaincante
sur ces Smartphones. Et c’est bien le téléphone de Steve
Jobs qui permet le décollage de l’Internet mobile en ringardisant les autres constructeurs et en définissantune interface
de référence. Cinq ans plus tard, alors que les rumeurs bruissent
sur la sortie d’une télévision Apple, c’est effectivement sur le
grand écran du salon que se joue l’une des dernières batailles
autour du contrôle des interfaces.
En effet, les constructeurs de téléviseurs sont à la recherche
d’un second souffle maintenant qu’un grand nombre de foyers
sont équipés de téléviseurs à écran plat. De leurs côtés, les
opérateurs se livrent à une nouvelle guerre des « Box » en
fournissant à leurs abonnés des décodeurs TV de plus en plus
évolués. Même Google s’y est essayé avec sa « GoogleTV » qui
jusqu’à présent a été un échec commercial.
Dans ce paysage, une Start-Up française, iFeelSmart, est en
train de faire beaucoup de bruit après avoir développé son produit avec une certaine discrétion pendant quatre ans au sein
d’Orange, avant d’essaimer dans une société indépendante.
Xavier Bringué et Shy Shriqui, les deux fondateurs, nous ont
présenté ce produit qui n’a pas encore été dévoilé au grand
public et que seuls quelques professionnels de l’industrie ont
pu découvrir. iFeelSmart a développé ce que l’on pourrait résumer comme l’iPhone de la télévision. Non pas que son produit
ressemble à un iPhone grand écran, mais bien parce que l’on y
retrouve la même capacité à offrir une richesse de services et
de contenus au sein d’une interface intuitive et simple d’accès.
Grâce à ce produit, on peut accéder simplement à l’ensemble
des programmes télévisuels, consulter le guide des programmes,
lancer un enregistrement ou commander une vidéo à la demande.
On accède également de la même manière aux offres de télévision de rattrapage, aux catalogues d’applications et de jeux,
Le petit écran…
ainsi qu’aux contenus personnels : photos, musiques ou vidéos.
Tout cela est très bien réalisé avec une interface léchée, rapide
et intuitive qui n’a rien à envier à celles d’Apple.
iFeelSmart nous a ensuite présenté ses fonctionnalités multiécrans via une application pour Smartphones et tablettes,
fonctionnant sur Android ou sur iPhone, qui transforme votre
téléphone en une télécommande intelligente et en un nouvel
écran télé. Le téléspectateur peut naviguer dans les différents
catalogues sans perturber le contenu joué sur la télévision.
Il peut ensuite, d’un simple geste, envoyer le contenu choisi
depuis le téléphone sur l’écran de télévision ou récupérer le
contenu joué sur le téléviseur pour le voir sur son téléphone.
Cerise sur le gâteau, le produit dispose d’un accessoire optionnel, une caméra 3D à détection de mouvement qui permet de
contrôler par de simples gestes l’ensemble de l’interface et
d’offrir des jeux du même type que ceux que l’on retrouve sur
le Kinect de Microsoft. Cette caméra a été conçue par Primesense, la société israélienne à l’origine du produit de Microsoft.
Shy Shriqui nous précise d’ailleurs qu’iFeelSmart est particulièrement bien intégré à l’écosystème d’innovation israélien
qui dispose d’une expertise particulière dans le domaine de la
télévision interactive. Outre Primesense, des sociétés comme
Jinni et son moteur de recommandation intelligent, ou comme
Appside, un portail d’application dans lequel Xavier Niel a
investi, font parti des partenaires d’iFeelSmart.
Après avoir signé plusieurs partenariats d’envergure avec des
industriels comme Intel ou Qualcomm, iFeelSmart est en discussion avec plusieurs opérateurs et constructeurs TV pour
intégrer leur solution dans ses équipements. À en juger par la
qualité et l’avance de son produit, il ne devrait pas leur être
trop difficile de trouver un premier client… À moins qu’un
grand acteur ne les rachète d’ici là. À titre de comparaison,
NDS, une société d’origine israélienne et qui est un de leurs
principaux concurrents, vient d’être rachetée cinq milliards de
dollars par Cisco. Un exemple à suivre ? !"S.K.
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très nette diminution du nombre d’acquisitions de start-ups israéliennes par
des grandes sociétés internationales.
Les dirigeants des fonds d’investissement, tel Édouard Cukierman, restent toutefois confiants, et ils rappellent qu’Israël est sorti relativement
épargné des phases les plus ardues
de la crise financière, alors que, précisément, le High-Tech est considéré
comme la locomotive de l’économie du
pays. Les motifs d’inquiétude n’ont pas
pour autant disparu. Beaucoup d’observateurs disent constater une baisse
du niveau général d’éducation, et par
conséquent une érosion de la qualité
des nouvelles générations de chercheurs
et de scientifiques : pour les plus pessimistes d’entre eux, la moisson de
prix Nobel scientifiques récoltés ces
dernières années par des chercheurs
israéliens est le résultat d’un système
éducatif certes excellent mais appartenant à un passé désormais révolu. Ils en
veulent pour preuves les positions, très
médiocres, occupées au cours de ces
dernières années par les élèves israéliens
dans les classements internationaux
de lycéens, en matières scientifiques
notamment. On voit mal, ajoutent-ils,
comment dans ces conditions Israël
pourrait maintenir sur le long terme
son statut de pays meneur en innovations technologiques. Un constat qui
pèche par excès de pessimisme, affirme
Édouard Cukierman, en rappelant les
investissements massifs du gouvernement dans l’éducation, lesquels, en
dépit de certaines apparences, continuent de porter leurs fruits.
Quelles que soient les perspectives d’avenir, le High-Tech israélien occupe une
place solide au centre de l’économie du
pays. Beaucoup s’en réjouissent, mais
de plus en plus de spécialistes avertis-
DR
ISRAËL
Conférence d'Edouard Cukierman.
sent des dangers que ne manquerait pas
de représenter la dépendance de toute
l’économie du pays vis-à-vis des technologies de pointes. Car dépendre de ce
secteur, c’est dépendre de la situation
économique des pays importateurs. Et si
le High-Tech tire depuis de nombreuses
années déjà l’économie israélienne vers
le haut, un retournement de situation
pourrait, tout aussi bien, entraîner les
autres secteurs vers le bas…
Les gisements gaziers
Sans aller jusqu’à de tels scénarios
catastrophe, plusieurs experts s’inquiètent d’une situation d’économie à
deux vitesses, qui serait d’ores et déjà
constatable : d’un côté le secteur du
High-Tech, performant, dynamique et
rémunérateur, de l’autre le reste des activités économiques privées et le secteur
public, considérés comme peu productif
et inadapté. Le High-Tech aurait été par
trop privilégié, au dépend des autres secteurs d’activités, comme le montrent les
« Les classements internationaux
accordent la seconde place à Israël
en terme de nombre de start-ups,
derrière les États-Unis, et la première
proportionnellement à la taille de la
population. »
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considérables écarts de rémunérations,
à qualifications plus ou moins égales,
entre les sociétés traitant de haute technologie et le reste. C’est oublier, affirment certains observateurs, les retombées directes et indirectes des succès
du High-Tech israélien sur l’ensemble
de l’économie, voire de la société israélienne. « Une situation de dépendance
pourrait constituer un véritable danger »,
reconnaît Lionel Bobot : mais un danger relatif, continue-t-il, tant il est vrai
que d’autres secteurs ont un véritable
potentiel. Le tourisme, en pleine expansion, et aussi l’exploitation, à plus long
terme, des gisements gaziers découverts
aux larges des côtes israéliennes. Ces
gisements sont présentés comme étant
si massifs qu’ils pourraient transformer
du tout au tout l’économie israélienne.
Sur le point de se retrouver dotée de ce
dont elle a toujours été privée, soit des
matières premières en forte quantité et
à fort potentiel commercial. Il convient,
toutefois, d’être prudent.
Si Israël était jusque-là dénué de matières
premières mais doté de matière grise
à profusion, il ne faudrait surtout pas
que la découverte de ces gisements ne
provoque une érosion des motivations
et des incitations qui ont si bien profité
au développement de la recherche et des
compétences technologiques. Il n’en va
pas seulement de l’épanouissement du
High-Tech israélien, mais de celui du
pays tout entier. !"