AUQUE-CROIRE EN DIEU N`EST PAS CROIRE EN LA RELIGION
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AUQUE-CROIRE EN DIEU N`EST PAS CROIRE EN LA RELIGION
CROIRE EN DIEU N’EST PAS CROIRE EN LA RELIGION Hubert Auque Article publié dans « Cèdres formation » Lausanne numéro 31, juin 2009 « Convictions : Histoires de foi, itinéraires spirituels et quête de sens » L’analyse ici proposée de " l’évolution du croire en Dieu" prend appui sur une attention psycho-anthropologique qui ne saurait, sur un tel sujet, prétendre à l’exclusion de la part de subjectivité dans l’observation de l’auteur. Chaque religion trouve son origine dans la mise en place de la conduite des mythes fondateurs qu’elle reconnaît, des interdits et des rites qu’elle développe. Peu à peu, la religion, comme toute institution, est devenue conservatrice même si elle s’emploie à le nier en donnant de temps à autres quelques impulsions progressistes qui, ne pouvant outrepasser les cadres établis, sont condamnées à s’étioler (ou a guerroyer avec la tendance dominante !) L’inclination contemporaine où les intégrismes, sous différentes expressions, se développent, est l’exacerbation de la structure constituante de toute institution. Deux pôles donnent à la religion un pouvoir de type absolutiste : -En pratiquant la collusion entre Dieu et religion, l’institution se pare de certaines qualités attribuées à Dieu. Elle serait alors éternelle, non soumise à la finitude. -En s’arrogeant le rôle de gestionnaire des aléas de l’amour entre les humains ; entre les humains et Dieu. Longtemps servie par son compagnonnage avec le Pouvoir, la religion désormais, dans les pays laïques, ne peut prétendre à contrôler l’évolution de l’Etat mais il serait naïf de penser qu’elle a renoncé à son influence. Pour sauvegarder du pouvoir sans être au Pouvoir, l’institution religieuse a renforcé son attention sur son propre fonctionnement délaissant les questions vives de ses adhérents alors même que son impact sur l’éducation entrait en dissolution et que l’aide sociale et l’aide psychologique trouvaient au sein des organisations laïques à remplir leurs missions, laissant à l’Eglise une portion congrue. Concernant le judéo-christianisme, à peine l’institution religieuse parvenaitelle à reprendre de l’ascendant qu’un coup fort à travers la shoah lui fut asséné mettant fin à la croyance dans le Dieu Tout-Puissant qu’elle avait trop souvent contribué à promouvoir. A ce deuxième impact, un autre, en Europe, allait faire suite discréditant alors les institutions les plus dominantes, dont la religion : Mai 68 mit à genoux l’institution religieuse entraînant une prise de distance des adhérents et un renouvellement des questions des croyants. Fin de règne de l’Eglise ? Associant la fréquentation cultuelle à une classe sociale, on pouvait lire sur le portail de certaines églises chrétiennes: « Bourgeois, Dieu n’est pas dans tes églises mais dans la rue ! » Très affaiblie certes mais toujours en place, la religion survit sans quitter son rôle totalitaire d’organisatrice paranoïaque et mégalomane du rapport entre les humains et Dieu. Ajoutons quelle a amplement échoué dans la gestion de la violence1. Croire avec ou hors religion… La foi est formée essentiellement d’un lien entre un être et Dieu. Essentiel : oui mais suffisant : non. Même si on admet que la foi reste relativement indéfinie, demeurer sur une ligne relationnelle humain-Dieu la rend encore plus insaisissable, incommunicable. Les grands prophètes et à leurs suites les religions ont démontré les limites, voire le handicap, de l’épanchement de l’Homme vers Dieu, alors que l’expression de foi échangée entre les humains et dirigée vers Dieu peut mieux manifester la quête de croyance. Pour en rendre compte, il faut un tiers ; c’est cette place qu’a voulu occuper la religion mais s’y étant figée, elle fige l’humain et Dieu aux autres places alors que la foi se vivifie dans la circulation, les relais. Dieu même ne saurait être assigné à une place immobile alors que l’Homme peut aller jusqu’à se percevoir, comme dans le Bouddhisme, parcelle de Lui. Dieu n’est certes pas partout, ce qui voudrait dire nulle part, mais il ne se trouve pas où on veut le cantonner ! Aux origines de chaque religion, il n’y avait sans doute que le souhait de réguler la foi des croyants afin de leur éviter de se "con-fondre" avec Dieu mais, outrepassant son rôle de séparateur, la religion en vint à forclore Dieu (au sens psychanalytique de forclusion du père). Croire implique la présence d’un doute. Croire est une démarche personnelle qui peut s’affilier aux questions, voire aux réponses, inscrites dans le fonctionnement des institutions religieuses, mais qui reste individuelle. Sans doute va-t-on se replier dans le sérail institutionnel quand le doute prend le dessus : l’encadrement rassure. Cette sécurité peut se trouver dans l’affirmation du dogme mais aussi dans l’hypertrophie intellectuelle qui contribue à construire des labyrinthes qui laissent Dieu hors les murs. S’approcher de Dieu, affiner son désir de Dieu, se situe sur l’arc tendu entre une spiritualité individuelle, isolante, non-communicative, et une soumission aux carcans institutionnels. Peut-être convient-il d’accepter que chacun-e de nous soit un point mouvant sur cet arc, et qu’au cours de sa vie il va se sentir attirer vers un pôle puis vers un autre selon son évolution dans son milieu socio-culturel, familial, affectif… Croire, en effet, ne saurait impliquer un credo sans nuance, sans cette plasticité, levain de renouveau permanent. Une chose est toutefois certaine, celui, celle qui alignera totalement son croire sur le diktat de 2 l’institution passera à côté de l’essentiel ; le confort qu’il souhaite n’est guère compatible avec la soif de Dieu, jamais étanchée comme ne saurait l’être tout désir. Comment dès lors l’humain peut-il mouvoir sa croyance ? Entre le rejet total des institutions religieuses attribué à leur incapacité à répondre -et d’abord à entendre !- à la quête individuelle, et une adhésion avec soumission et dépendance, aux chartes institutionnelles, « le croyant sociologique » demeure ni satisfait ni motivé pour éprouver son désir de Dieu. Il peut alors adopter une position passive ou au contraire oser l’avancée vers la déréliction. La traversée du désert 2 permet d’expérimenter le « vide béatifique » (Michaux), l’Hilflosigkeit (état d’abandon), nécessaire pour entrer dans ce que Romain Rolland a appelé « sentiment océanique » qui est pour lui au fondement de la croyance en Dieu, donc, ajouterai-je, de la spécificité de l’élan de l’Homme vers Dieu. Ce passage se vivra sans instance tutélaire et donc sans recours. Au sortir de cette déréliction, origine et finitude n’auront pas la prégnance de jadis ; Dieu est ailleurs dans l’intemporalité qui nous fait défaut. Seule l’acceptation de cette castration (au sens lacanien du terme) peut inciser une croyance personnelle et pourtant commune à celles et ceux qui acceptent cette traversée. Et revoilà le croyant sur cet arc tendu entre ses propres perceptions et le carcan religieux, condamné en quelque sorte à se mouvoir entre ce qu’il en est de sa relation à Dieu et la supervision que pourrait en faire son Eglise alors que le plus souvent elle ne sait qu’imposer son mode de conjugaison avec Dieu. Loin d’être une fatalité on peut voir dans ce balancement entre appréhension (dans les deux sens du terme) de chacun et contraintes de l’institution, le seul moyen actuel de réguler sa croyance, désir de Dieu à jamais comblé par Celui qui, comme l’écrivait Hölderlin, a créé le monde comme la mer créée le rivage, en se retirant. _____________ 1- Je partage partie des thèses de René Girard ; lire son article dans le Monde du 21 novembre 2008, suite au Forum « le Monde » - Le Mans sur l’origine, intitulé Violence et mythes fondateurs des sociétés humaines. La Bible opère une rupture par rapport à la mythologie, en ce qu’elle réhabilite la victime des crimes originels. Même si l’on est d’accord avec cette assertion de R. Girard, l’auteur évite encore de désigner l’échec de la religion chrétienne qui en voulant établir des rites de pacifications a ignoré la fonction cathartique et rate le maniement de la violence. 2- « J’appelle mon destin le désert et ne crains pas d’imposer ce mystère aride. Ce désert où j’ai accédé, je le désire accessible à d’autres, auquel (sic) il manque sans doute » (Bataille, cité par Catherine Millot dans Abîmes ordinaires, Gallimard, col. L’infini, Paris 2001.) 3