Exploiter une entreprise au Canada

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Exploiter une entreprise au Canada
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CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
Exploiter une entreprise au Canada
Constantine A. Kyres*
ABSTRACT
Non-residents of Canada carry on a considerable volume of business
activities in Canada directly, through branch operations. Paragraph
2(3)(b) of the Income Tax Act provides that where a person who was not
resident in Canada for a taxation year “carried on a business in Canada”
at any time in the year or a previous year, income tax under part I of the
Act shall be paid upon his taxable income earned in Canada for the year.
Furthermore, a determination of carrying on business in Canada is in
most cases necessary in order that one may ascertain whether a
permanent establishment exists for the purposes of applying Canada’s
income tax conventions. The Act provides no indication, apart from a
deeming rule in section 253, of what constitutes “carrying on business in
Canada.” Consequently, one must seek guidance from the substantial
jurisprudence on this concept, both in Canada and in the United
Kingdom. The determination of “carrying on business in Canada” is a
question of fact. Its meaning therefore changes from one industry and
activity to another.
This articles analyzes the concept of “carrying on business in Canada”
as it has been defined in the Act and in the UK and Canadian
jurisprudence. The principles derived from this analysis are then applied
to various business activities. A detailed examination of the basic
components of the concept—namely, the definitions of “Canada,”
“business,” and “carrying on business”—is beyond the scope of this article.
P RÉCIS
Un nombre important de non-résidents du Canada exercent leurs activités
au Canada directement, par l’entremise de succursales. L’alinéa 2(3)b) de
la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit qu’une personne qui n’a pas résidé
au Canada durant une année d’imposition mais qui «a exploité une
entreprise au Canada» à tout moment durant cette même année ou
durant une année antérieure verra son revenu imposable, gagné au
Canada au cours de cette année, assujetti à l’impôt sur le revenu en vertu
de la Partie I de la Loi. Dans la plupart des cas, il est nécessaire d’établir
si une entreprise est exploitée au Canada pour déterminer s’il existe un
établissement stable aux fins des conventions fiscales conclues par le
* De Byers Casgrain, à Montréal, et de McMillan Bull Casgrain, à l’échelle nationale
et internationale. L’auteur tient à remercier M e Jean M. Gagnon, membre de la même
étude, pour son aide lors de la rédaction de la version française de cet article.
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(1995), (1995),
Vol. 43,Vol.
No. 43,
5 / nNo.
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Canada. Exception faite de la présomption figurant à l’article 253, la Loi
est silencieuse sur ce qui constitue «l’exploitation d’une entreprise au
Canada». Il est donc nécessaire de s’appuyer sur la jurisprudence
abondante ayant trait à cette notion, tant au Canada qu’au Royaume-Uni.
Le concept d’«exploitation d’une entreprise au Canada» demeure une
question de fait et son sens varie en fonction du type de secteur et
d’activité.
Cet article analyse la notion «d’exploitation d’une entreprise au
Canada», telle qu’elle est définie dans la Loi et la jurisprudence du
Canada et du Royaume-Uni. Les principes tirés de cette analyse sont
ensuite appliqués à différentes activités commerciales. En raison des
contraintes de longueur, l’article n’examine pas distinctement chacune
des composantes fondamentales de cette notion, à savoir, les définitions
des termes «Canada», «entreprise» et «exploitation d’une entreprise».
INTRODUCTION
Bien que, règle générale, les non-résidents du Canada1 oeuvrent dans
notre pays par l’intermédiaire de sociétés canadiennes, bon nombre
d’entre eux exercent leurs activités au Canada directement, par
l’entremise de succursales devenues très importantes dans l’économie
canadienne. À la fin de 1994, les investissements directs étrangers au
Canada s’élevaient à 148 milliards de dollars dont 7 pour cent, soit plus
de 10 milliards, se trouvait dans des succursales canadiennes2. Compte
tenu du fait que les entreprises contrôlées par des intérêts étrangers ont
réalisé 27,6 pour cent de tous les produits d’exploitation canadiens en
19923, il est raisonnable d’estimer que 7 pour cent des produits revenant
1 Dans le présent ouvrage, «non-résident» désigne une personne, qu’il s’agisse d’une
personne physique ou morale, d’une fiducie ou d’une autre entité reconnue, qui ne
réside pas au Canada aux fins de l’impôt sur le revenu canadien.
2 Statistique Canada, Canada’s International Investment Position, 1994, catalogue n o
67-202. Dans cette publication, l’expression «investissements directs étrangers»
représenterait la valeur comptable, à un instant donné, des capitaux à long terme
possédés par les investisseurs directs étrangers de filiales, sociétés affiliées et
succursales au Canada, lesquelles sont désignées comme entreprises d’investissements
directs étrangers. L’importance et la nature de ces placements permettent à
l’investisseur, sur une période prolongée, d’influencer ou d’avoir une voix dans la
gestion de l’entreprise exploitée dans un pays autre que le sien. Ces investissements
sont normalement identifiés par la propriété d’au moins 10 pour cent de l’avoir des
entreprises d’investissements directs étrangers au Canada. Statistique Canada calcule
l’investissement direct étranger (ainsi que l’investissement direct étranger dans des
succursales canadiennes de sociétés étrangères) en ajoutant le montant net de
l’investissement direct étranger annuel au capital-actions émis et en circulation à la fin
de l’année précédente selon leur valeur comptable. La valeur au marché serait
considérablement plus élevée, étant donné que les investissements existent depuis
plusieurs années.
3 Statistique Canada, Foreign Control in the Canadian Economy, 1989-92, catalogue
n o 61-220.
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à des intérêts étrangers, soit environ 2 pour cent de tous les produits
d’exploitation canadiens, sont réalisés chaque année par des nonrésidents par l’entremise de succursales canadiennes.
L’alinéa 2(3)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu4 prévoit que toute
personne non résidante du Canada au cours d’une année d’imposition
qui «a exploité une entreprise au Canada» à tout moment au cours de
l’année en question ou d’une année antérieure verra son revenu
imposable gagné au Canada au cours de cette année assujetti à l’impôt
sur le revenu en vertu de la Partie I de la Loi5. Cette règle de base de
l’assujettissement à l’impôt sur le revenu canadien, qui s’est développée
au fil des interprétations judiciaires de la common law et des lois,
constitue un compromis, accepté dans le monde entier, entre deux
principes de fiscalité internationale reconnus : le droit d’un pays
d’imposer le revenu provenant des activités exercées à l’intérieur de ses
frontières et le droit d’un pays d’imposer le revenu total d’un
contribuable qui y réside, sans égard à la provenance du revenu.
Bien que les conventions fiscales conclues par le Canada stipulent
généralement que les profits d’une personne résidant dans un État sont
imposables dans un autre État seulement dans la mesure où ils sont
attribuables à un établissement stable situé dans cet autre État, la notion
d’«établissement stable» désigne habituellement à cette fin une
installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une société
exploite la totalité ou une partie de son entreprise6. En conséquence, la
question de savoir si une entreprise est exploitée au Canada ou non est
fondamentale pour déterminer s’il existe un établissement stable aux
fins des conventions fiscales.
La portée du présent ouvrage se limite à une analyse de la notion
d’«exploitation d’une entreprise au Canada», telle qu’elle est définie
dans la Loi et la jurisprudence du Canada et du Royaume-Uni.
Afin d’établir si un non-résident exploite une entreprise au Canada
de façon à ce qu’il soit assujetti à l’impôt sur le revenu canadien en
vertu de la Loi, il est nécessaire de déterminer si, d’une part, il
4 LRC (1985), c. 1 (5 e supp.), telle que subséquemment modifiée (ci-après la «Loi»
ou «LIR»). Sauf indication contraire, les renvois législatifs dans le présent ouvrage se
rapportent à la Loi.
5 À cette fin, le sous-alinéa 115(1)a)(ii) et l’alinéa 115(1)c) prévoient que le «revenu
imposable» est calculé comme si le non-résident n’avait gagné aucun revenu ni subi
aucune perte, respectivement, autres que ceux provenant «d’une entreprise exploitée au
Canada». En raison de l’utilisation des termes «ou d’une année antérieure» à
l’alinéa 2(3)b), un non-résident est assujetti à l’impôt à l’égard de son revenu
d’entreprise de source canadienne, même si ce revenu n’est pas comptabilisé avant une
année au cours de laquelle il n’exploite plus d’entreprise au Canada ou est reporté à une
telle année.
6 Voir, par exemple, Organisation de coopération et de développement économiques,
Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune (Paris : OCDE) (feuilles
mobiles), article 5(1), pour les dispositions relatives à l’évitement de la double
imposition. Le gouvernement canadien a négocié la plupart des conventions fiscales
conclues par le Canada en fonction de ce modèle.
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«exploite une entreprise» et, d’autre part, s’il l’exploite «au Canada».
En d’autres termes, il doit y avoir une «entreprise» (par opposition à un
emploi ou à une activité passive donnant lieu à un revenu de biens ou à
des gains en capital)7, et l’entreprise doit être «exploitée» (de façon
habituelle ou systématique)8 et exploitée «au Canada» (à l’intérieur des
frontières du Canada et conformément à la législation et aux règles
jurisprudentielles qui y sont applicables)9. Ces deux conditions
7 Selon la définition du paragraphe 248(1), le terme «entreprise» s’entend
généralement des professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque
genre que ce soit et, généralement, des projets comportant un risque ou des affaires de
caractère commercial, à l’exclusion toutefois d’une charge ou d’un emploi. La portée de
la définition du terme «entreprise» fait distinction entre le revenu qui en provient et les
revenus d’autres sources traditionnelles, à savoir le revenu d’emploi, les gains en capital
et le revenu de biens. Pour des renseignements supplémentaires, voir John Durnford, «The
Distinction Between Income from Business and Income from Property, and the Concept of
Carrying On Business» (1991), vol. 39, n o 5 Revue fiscale canadienne 1131-1205.
8 Avant de déterminer si un non-résident exploite une entreprise au Canada, il faut
d’abord établir s’il «exploite une entreprise». Bien que l’expression «exploiter une
entreprise» soit utilisée dans plusieurs des dispositions de la Loi, il est possible de
prétendre qu’elle constitue d’abord et avant tout un facteur de rattachement aux fins de
l’origine territoriale du revenu d’entreprise dans l’expression «exploiter une entreprise au
Canada». L’expression «revenu tiré d’une entreprise au Canada» est, au mieux, ambiguë
et la Loi parle plutôt d’une entreprise «exploitée» dans un endroit donné lorsqu’elle
cherche à préciser l’origine territoriale d’un revenu tiré d’une entreprise. Dans Tara
Exploration, infra, note 153, il a été décidé que les projets comportant un risque ou les
affaires à caractère commercial ne constituaient pas «l’exploitation d’une entreprise»,
parce qu’ils ne comportent pas de continuité temporelle ou d’activités. Cependant, cette
décision semble ne s’appliquer qu’à des opérations isolées qui ne font pas partie de
l’entreprise habituelle du contribuable. Dans les autres cas, il semble que les activités qui
constituent «une entreprise» soient considérées comme étant «exploitées» aux fins de la
Loi. Voir Durnford, supra, note 7, pour plus de renseignements.
9 Pour qu’un non-résident soit présumé «exploiter une entreprise au Canada», il est
essentiel, à titre de condition préliminaire, que l’entreprise soit exploitée à l’intérieur
des limites territoriales du «Canada» aux fins de l’impôt sur le revenu canadien. Étant
donné que le bloc continental du Canada est précisément défini et ne fait l’objet d’aucun
différend, les questions relatives à la détermination des limites territoriales du «Canada»
à cette fin touchent surtout les entreprises qui exercent leurs activités le long du littoral
canadien. Ces questions sont partiellement résolues par l’extension de sens donnée à la
définition du terme «Canada» qui figure à l’article 255 selon laquelle, aux fins de la
Loi, le terme «Canada» vise et a toujours visé le fond et le sous-sol de la mer dans les
régions sous-marines contiguës au littoral du Canada (essentiellement le plateau
continental), relativement auxquels le gouvernement du Canada ou d’une province
accorde un droit, une licence ou un privilège portant sur l’exploration, le forage ou
l’extraction de minéraux, de pétrole, de gaz naturel ou de tout hydrocarbure connexe,
ainsi que les mers et l’espace aérien au-dessus des régions sous-marines précitées à
l’égard de toute activité poursuivie en rapport avec l’exploration ou l’exploitation de
gisements de minéraux, de pétrole, de gaz naturel ou d’hydrocarbures. Il peut
généralement être conclu que l’expression «au Canada», aux fins de l’impôt sur le
revenu canadien, signifie le bloc continental du Canada et les océans qui le bordent, y
compris l’espace aérien et le fond marin, jusqu’à douze milles marins du littoral du
Canada et jusqu’aux extrémités du plateau continental, mais seulement à l’égard des
activités dont il est question à l’article 255. Voir à ce sujet H. Heward Stikeman, éd. «In
Canada», Canada Tax Letter, n o 308 (Scarborough, Ont. : Carswell, 20 novembre 1979)
(page suivante s.v.p.)
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fondamentales ont été énoncées de la façon suivante dans la décision
britannique Werle v. Colquhoun : «Il s’agit d’une question de fait
comportant deux volets. Y a-t-il exploitation d’un commerce et, le cas
échéant, celui-ci est-il exploité en Angleterre ?»10 [TRADUCTION].
Exception faite de la règle déterminative figurant à l’article 253
(dont il est question ci-après), la Loi est silencieuse sur ce qui constitue
«l’exploitation d’une entreprise au Canada». Il est donc nécessaire de se
reporter aux principes qui se sont dégagés depuis plus d’un siècle de la
jurisprudence abondante ayant trait à cette notion, tant au Canada qu’au
Royaume-Uni. 11
SENS DÉGAGÉ PAR LA COMMON LAW
Question de fait
L’emplacement territorial d’une entreprise est une question de fait qui
doit être résolue à l’étude de toutes les circonstances particulières à
chaque cas. Ce principe a été établi par la Cour d’appel de l’Angleterre
dans Erichsen v. Last :
[I]l serait d’une part pratiquement impossible et d’autre part tout à fait
imprudent d’essayer de formuler une définition exhaustive des critères
permettant d’établir qu’une entreprise est exploitée dans ce pays. La
seule chose que nous devons décider est la question de savoir si, compte
tenu des faits, il est possible de dire que cette société exploite une
entreprise qui réalise des profits dans ce pays 12. [ TRADUCTION]
Cette règle a été confirmée par la Chambre des Lords de l’Angleterre
dans Firestone Tyre & Rubber Co., Ltd. v. Lewellin (HM Inspector of
Taxes) :
(… suite)
et «In Canada—An Update», Canada Tax Letter, n o 314 (Scarborough, Ont. : Carswell,
10 mars 1989). Voir également la décision rendue dans Mersey Seafoods Limited c.
MRN, 85 DTC 731 (CCI).
10 (1888), 2 TC 402, à la p. 408 (CA), j. Esher. Les faits de la cause sont discutés
plus loin.
11 Il y a lieu de faire preuve de prudence dans l’utilisation de la jurisprudence du
Royaume-Uni sur cette notion. D’une part, l’article 253 LIR (expliqué ci-après), n’a pas
son pendant dans la législation du Royaume-Uni et s’éloigne sensiblement de la
jurisprudence dans ce domaine. D’autre part, les décisions anglaises rendues sur cette
question sont fondées sur des lois dont le libellé diffère quelque peu de celui utilisé dans
la Loi. Néanmoins, en raison de la similarité qui existe entre certains des termes utilisés
dans la Loi, à savoir, «entreprise» et «exploitation d’une entreprise au Canada», et ceux
de la U.K. Income Tax Act (ci-après la «Loi du R.-U.»), à savoir, «commerce» et
«exploiter un commerce au Royaume-Uni» respectivement, les décisions interprétant les
termes anglais peuvent aider à éclaircir la signification des termes canadiens
correspondants. Ainsi, dans Grainger and Son v. Gough (Surveyor of Taxes) (1896), 3 TC
462, à la p. 472 (CL), Lord Morris a déclaré que l’expression «exploiter un commerce»,
au sens de la Loi du R.-U., n’est ni plus ni moins qu’une autre façon d’exprimer
«exploiter une entreprise». Bien que cette analogie ne visait pas les dispositions fiscales
canadiennes, elle souligne la similarité des deux expressions et, partant, l’utilité, voire
l’autorité, des décisions britanniques dans le cadre de la présente analyse.
12 (1881), 4 TC 422, à la p. 425 (CA), j. Brett.
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La question de savoir si une entreprise est exploitée au Royaume-Uni est
une question de fait en ce sens que, bien que la loi prescrive qu’un
ensemble donné de faits équivaut à une telle exploitation, il revient aux
commissaires spéciaux de décider, selon les limites établies et dans le
cadre de l’affaire qui leur est soumise, si une entreprise est exploitée ou
non. Il ne reste ensuite qu’à déterminer s’ils ont commis une quelconque
erreur de droit dans la décision qu’ils ont rendue13. [ TRADUCTION]
Les tribunaux du Royaume-Uni et du Canada ont été appelés à
déterminer l’emplacement territorial d’une entreprise dans un grand
nombre de situations différentes, ce qui a permis de fixer les critères
qui, de leur avis, lient une entreprise à un lieu donné. Bien qu’il
s’agisse toujours d’une question de fait, il est possible de déterminer
l’emplacement d’une entreprise dans la plupart des circonstances en
appliquant ces critères aux faits en présence de façon à établir le ou les
endroits14 où une entreprise est exploitée.
Commercer «avec» plutôt que «au» Canada
Pour un non-résident, seul le revenu tiré de l’exploitation d’une
entreprise «au» Canada est imposable en vertu de la Loi. Il y a lieu
d’établir une distinction préliminaire entre l’exploitation d’une
entreprise «au» Canada et l’exploitation d’une entreprise «avec» le
Canada. Dans le premier cas, le non-résident est assujetti à l’impôt
canadien, dans le deuxième, il ne l’est pas. Cette distinction
fondamentale a été établie par le juge Herschell dans la décision
Grainger :
[I]l existe une profonde distinction entre commercer avec un pays et
exploiter un commerce dans un pays. Bien que bon nombre de
commerçants et de fabricants exportent leurs marchandises dans toutes
les parties du monde, personne n’oserait dire qu’ils exploitent un
commerce dans chacun des pays où leurs marchandises trouvent
acheteur… Il doit y avoir quelque chose de plus pour que l’on puisse
parler de l’exploitation d’un commerce dans ce pays15. [ TRADUCTION]
Dans cette décision, comme dans bien d’autres où l’emplacement
d’une entreprise était en litige, le «quelque chose de plus» a fait l’objet
d’études approfondies. Les pages qui suivent font l’examen des facteurs
que les tribunaux ont jugé pertinents aux fins de leurs décisions.
Facteurs tirés de la common law
Les tribunaux de common law ont établi plusieurs facteurs qui lient une
entreprise à un endroit donné. Puisqu’un grand nombre de décisions
doivent déterminer s’il y a exploitation d’une entreprise d’après certains
types d’activités commerciales, les facteurs présentés en tiennent compte.
13
(1957), 37 TC 111, à la p. 141 (CL), Lord Radcliffe.
Dans les cas ci-après, il a été décidé que la même entreprise pouvait être exploitée
dans plus d’un endroit : Erichsen, supra, note 12; Werle, supra, note 10 et International
Harvester, infra, note 105, à la p. 351 (CSC).
15 Supra, note 11, à la p. 467.
14
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Lieu de conclusion du contrat
En règle générale, les tribunaux insistent sur le fait qu’une entreprise
est exploitée dans le pays où elle conclut habituellement ses principaux
contrats ou ceux dont elle tire des profits, à savoir, les contrats de
vente. Ce facteur sert souvent à établir un lien entre une entreprise et
un endroit puisqu’il constitue une forte indication qu’une entreprise y
est exploitée.
Le lieu de conclusion du contrat a initialement été établi par la Cour
d’appel britannique comme facteur le plus important pour déterminer
l’emplacement territorial d’une entreprise. Dans l’affaire Erichsen16, la
Great Northern Telegraph Company de Copenhague concluait
habituellement en Angleterre des contrats portant sur la réception et la
transmission de télégrammes. Elle recevait généralement en Angleterre
le paiement des messages envoyés de l’étranger. Elle y avait un bureau,
un mandataire et des employés, et deux de ses lignes télégraphiques y
aboutissaient. Le président de la Cour d’appel et le juge Brett ont tous
deux statué que cette société non résidante exerçait un commerce au
Royaume-Uni. Toutefois, contrairement au président de la cour, le juge
Brett a conclu que le facteur déterminant à cet égard était l’endroit où
le contrat avait été conclu :
[L]orsque des contrats générateurs de profits sont habituellement conclus
en Angleterre par un étranger ou pour son compte, avec des personnes de
l’Angleterre, parce que ces personnes sont en Angleterre dans le but de
faire quelque chose pour ces personnes ou de leur fournir quelque chose,
cet étranger exploite un commerce générateur de profits en Angleterre,
même si tout ce qu’il fait ou fournit pour remplir sa part du contrat vient
de l’étranger17. [ TRADUCTION]
Quelques années plus tard, la Cour d’appel britannique a de nouveau
été saisie de ce problème. Dans la cause Werle v. Colquhoun 18,
surnommée «affaire du vin», des marchands de vin français avaient, en
Angleterre, des mandataires chargés de solliciter des commandes et
payés à commission dans ce pays. Les contrats étaient conclus en
Angleterre, et les commandes étaient livrées f.a.b. directement aux
clients anglais. De plus, les marchands français étaient inscrits dans
l’annuaire de Londres. Citant avec approbation la déclaration du
juge Brett dans Erichsen, le juge Esher conclut que les marchands de
vin français exerçaient un commerce au Royaume-Uni en s’appuyant
uniquement sur le fait qu’ils y concluaient des contrats de vente qui, à
son avis, constituaient le fondement du commerce viticole :
Dans ce cas, il ne fait aucun doute qu’un commerce était exploité en
Angleterre, étant donné que les contrats étaient conclus en Angleterre. La
conclusion d’un contrat dans ce secteur d’activité constitue le fondement
16
Supra, note 12.
Ibid., à la p. 425.
18 Supra, note 10.
17
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et l’essence d’un commerce et, par conséquent, les appelants exploitent
une entreprise en Angleterre19. [ TRADUCTION]
Les juges Fry et Lopes se sont tous deux ralliés à la conclusion du
juge Esher, bien qu’ils aient expressément évité de préciser quel facteur
était concluant. Selon le juge Fry : «Rassemblant maintenant tous ces
facteurs et, je le répète, sans chercher à déterminer lequel d’entre eux
est essentiel, s’il en est un…20.» [ TRADUCTION]
Cette question avait été soumise pour la première fois à l’examen de
la Chambre des Lords dans la plus célèbre des affaires du vin, Grainger
and Son v. Gough (Surveyor of Taxes) 21. Société anglaise, Grainger and
Son s’était vue confier le mandat de solliciter des commandes en
Angleterre pour le compte d’un marchand de vin français. Elle prenait
les commandes fermes de clients anglais et les communiquait au
marchand français qui décidait s’il les acceptait ou non. La société
anglaise n’était pas autorisée à accepter de commandes pour le compte
du marchand français. Tous les contrats de vente étaient conclus en
France. Lorsqu’une commande était acceptée, le vin était livré
directement au client anglais, qui le payait soit au représentant anglais,
soit directement au marchand français. Le nom et l’occupation du
marchand français étaient inscrits dans l’annuaire des postes de
Londres. Dans leur décision, quatre des cinq juges ont statué que le
marchand de vin n’exploitait pas un commerce au Royaume-Uni,
principalement en raison du fait que les contrats de vente étaient
conclus en France. Ils en sont arrivés à cette conclusion, même s’ils
reconnaissaient que les activités exercées en Angleterre étaient
essentielles au succès de l’entreprise.
Il semble que cette décision appuie de façon générale la proposition
qui veut que si le contrat est conclu, la livraison faite, et le paiement
touché à l’extérieur du Royaume-Uni, l’entreprise n’est pas exploitée au
Royaume-Uni. Toutefois, le juge Herschell a confirmé que l’endroit où
le contrat est conclu constitue le critère principal permettant d’établir
l’emplacement territorial d’une entreprise :
Dans toutes les causes antérieures, les contrats étaient généralement
conclus dans ce pays. En fait, cela semblait être considéré comme le
critère principal pour établir si un commerce était exploité dans ce pays
ou non22. [ TRADUCTION]
Dans une décision subséquente, Crookston Bros. v. Furtado,
également rendue en Angleterre, le juge Dundas a formulé la conclusion
suivante dans sa décision :
Je considère qu’il découle nécessairement des opinions exprimées par les
nobles et éminents juges dans l’importante affaire Grainger & Son v.
19
Ibid., à la p. 412.
Ibid., à la p. 414.
21 Supra, note 11.
22 Ibid., à la p. 466.
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Gough […] que, si les contrats sont conclus dans ce pays, ce simple fait
suffit à y établir l’exploitation d’un commerce 23.
Dans Wilcock v. Pinto & Co.24, une société égyptienne vendait du
coton au Royaume-Uni par l’entremise d’un particulier qui résidait en
Angleterre. Les contrats étaient conclus en Angleterre une fois que le
particulier avait communiqué l’acceptation de la société égyptienne. Le
particulier touchait le paiement de la commande en Angleterre, mais la
livraison était effectuée en Égypte. La Cour d’appel a décidé que
l’endroit où le contrat était conclu et l’endroit où le paiement était fait
constituaient des facteurs déterminants plus importants que l’endroit de
la livraison et, par conséquent, que la société égyptienne exploitait un
commerce au Royaume-Uni. Dans sa décision, le juge Scrutton a
déclaré ce qui suit :
… la conclusion de contrats dans ce pays aux fins de la vente de biens
par un non-résident agissant par l’entremise d’un mandataire constitue
l’exploitation d’un commerce dans ce pays25.
Dans l’affaire MacLaine & Co. v. Eccott 26, les contrats de vente
avaient été conclus, et les paiements faits, au Royaume-Uni. La
Chambre des Lords a jugé que ces deux facteurs suffisaient à eux seuls
pour établir l’existence d’un commerce dans ce pays. Lord Shaw a
même laissé entendre que le lieu de passation du contrat était le facteur
définitif :
Dans l’affaire soumise à la Chambre, compte tenu de toutes les
circonstances qui l’entourent où les contrats ont été passés à Londres par
des représentants attitrés en poste dans cette ville, il est maintenant trop
tard pour nier qu’un fait crucial et fondamental permet de soutenir la
proposition selon laquelle les ventes conclues d’après ce contrat
constituaient l’exercice d’un commerce au Royaume-Uni27.
[ TRADUCTION]
Dans la dernière des causes anglaises traitant de cette question,
Belfour v. Mace 28, le représentant anglais d’un marchand de soie italien
sollicitait des commandes en Angleterre, les transmettait en Italie et, sur
l’autorisation du marchand italien, communiquait son acceptation au
client anglais, qui concluait alors le contrat. Les livraisons et les
paiements étaient faits en Italie. Dans sa décision à l’effet que le
marchand italien exerçait un commerce au Royaume-Uni, le juge
Scrutton a déclaré ce qui suit :
Si vous constatez qu’un ensemble de contrats ont été conclus en
Angleterre, il est très difficile d’éviter la responsabilité découlant du
23
(1910),
(1924),
25 Ibid., à
26 (1926),
27 Ibid., à
28 (1928),
24
5 TC 602, à la p. 615 (C. de l’É., Écosse).
9 TC 111 (CA).
la p. 134.
10 TC 481 (CL).
la p. 581.
13 TC 539 (CA).
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commerce exercé dans ce pays. À mon avis, ce n’est pas impossible,
mais ce serait très difficile29. [ TRADUCTION]
Même s’il y a peu de cas canadiens portant sur ce sujet, l’importance
attribuée à ce facteur dans les causes jugées au Royaume-Uni a été
reconnue dans au moins un jugement canadien, soit l’affaire Geigy
(Can.) v. Commissioner, Social Services Tax30. Geigy (Canada) Ltd.
produisait des médicaments à Montréal où était situé son siège social.
Elle vendait une quantité considérable de médicaments en ColombieBritannique, où elle confiait à des représentants la promotion mais non
la vente directe de ses produits. Toutes les commandes provenant de la
Colombie-Britannique étaient acceptées au siège social de Montréal. En
l’espèce, il fallait déterminer si la société «exploitait une entreprise» en
Colombie-Britannique. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a
jugé que la société n’exploitait pas d’entreprise en ColombieBritannique en invoquant les faits suivants : premièrement, les contrats
étaient conclus à Montréal et, deuxièmement, il n’y avait aucun autre
élément de preuve indiquant de manière concluante que la société
exploitait une entreprise en Colombie-Britannique. Pour arriver à cette
décision, le juge en chef Wilson a conclu ce qui suit :
… la loi est claire puisque, en l’absence d’autres éléments de preuve
indiquant que le demandeur exploite une entreprise en ColombieBritannique, la preuve relative au lieu de passation des contrats a une
importance décisive 31. [ TRADUCTION]
Par conséquent, les tribunaux, particulièrement au Royaume-Uni, ont
établi que le lieu de passation des contrats est le facteur le plus
important dans la détermination de l’emplacement territorial d’une
entreprise. Cependant, ce critère n’a pas toujours une importance
décisive même s’il semble qu’il n’ait jamais été soutenu qu’aucune
entreprise n’est exploitée à un endroit parce que le contrat principal n’y
a pas été conclu. Quelles que soient les autres circonstances, il est donc
possible de déduire que si des contrats de vente sont conclus au
Canada, une entreprise est probablement exploitée au Canada.
Il faut noter que, pour déterminer le lieu d’une entreprise, les
tribunaux ne considèrent que les contrats à but lucratif (par exemple,
les contrats de vente). Par contre, les tribunaux ne tiennent pas compte
des contrats qui sont conclus en prévision d’activités commerciales ou
qui jouent un rôle préliminaire et accessoire par rapport aux contrats
définitifs qui se traduiront par un profit (par exemple, les baux, les
contrats d’achat de fournitures, les contrats de main-d’oeuvre). Les
contrats accessoires n’auront donc généralement aucune incidence sur
29
Ibid., à la p. 558.
[1969] CTC 79 (CS C.-B.).
31 Ibid., à la p. 84. Voir aussi Ross, infra, note 151, dans laquelle il a été jugé qu’un
courtier en valeurs mobilières non-résident exploitait une entreprise au Canada, parce
qu’il réalisait des opérations sur des valeurs mobilières au Canada par l’entremise de
deux négociateurs de valeurs mobilières canadiennes (ce sujet est traité plus loin).
30
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1682
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
l’emplacement de l’entreprise comme tel. Par exemple, dans Lovell &
Christmas, Limited. v. Commissioner of Taxes32, même si des mandats
avaient été conclus en Nouvelle-Zélande, il a été jugé que le commerce
n’était exercé qu’à Londres puisque les ventes y étaient réalisées.
L’affaire Cutlers Guild présente un autre exemple dans lequel la
Division de première instance de la Cour fédérale a jugé que
… l’achat de marchandises en Orient et leur financement aux États-Unis,
ainsi que la planification et la comptabilité générales à New York,
constituaient des phases préliminaires et accessoires de l’entreprise du
demandeur33. [ TRADUCTION]
Lieu des activités qui génèrent les profits
Même si les tribunaux ont reconnu que, pour relier une entreprise à un
lieu, le premier critère était l’endroit où étaient conclus les contrats à
but lucratif, l’importance d’autres facteurs ne doit pas être sous-estimée.
Des éléments autres que la conclusion de contrats de vente ont souvent
été considérés par les tribunaux puisqu’il est maintenu que le revenu
d’entreprise est attribuable à l’ensemble des activités commerciales. Il
est impossible de faire abstraction des étapes qui précèdent la passation
des contrats de vente (par exemple, les achats, la fabrication ou la
production de biens et la sollicitation de commandes), pas plus que des
étapes ultérieures aux ventes (par exemple, les livraisons et les
paiements). Par conséquent, dans plusieurs cas où les contrats de vente
ou d’autres contrats commerciaux n’ont été conclus à aucun endroit en
particulier, les tribunaux ont néanmoins jugé qu’une entreprise était
exploitée à un endroit donné parce que d’autres activités commerciales
ou actions importantes y étaient réalisées. Ces décisions s’appuyaient
sur le fait qu’une entreprise est exploitée ou qu’un commerce est exercé
au même endroit que les activités qui génèrent les profits.
Ce concept a été mis de l’avant pour la première fois dans F.L.
Smidth & Co. v. F. Greenwood 34, cause dans laquelle un fabricant
danois vendait des marchandises en Angleterre. Même si ce fabricant
comptait un bureau et un employé à temps plein en Angleterre, les
contrats de vente et de livraison des marchandises étaient conclus à
Copenhague. La Cour d’appel et la Chambre des Lords ont jugé que
l’entreprise danoise n’exploitait aucun commerce au Royaume-Uni. En
rendant cette décision, le juge Atkin de la Cour d’appel a cependant
clairement indiqué que le lieu de passation du contrat ne détermine pas
toujours l’emplacement territorial d’une entreprise :
Dans le cas cité [Grainger 35], ainsi que dans d’autres cas, des faits
indiquent qu’il faut simplement considérer le lieu de passation des
contrats de vente à but lucratif. Cet élément est évidemment très
32
[1908] AC 46 (CP).
Infra note 40, à la p. 5095, j. Dubé.
34 (1922), 8 TC 193 (CL).
35 Supra, note 11.
33
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1683
important dans l’enquête... Mais je ne suis pas prêt à affirmer que ce
critère est décisif. Je peux imaginer des transactions dans lesquelles le
contrat de revente est conclu à l’étranger alors que la fabrication des
marchandises, la négociation de certaines des modalités et la passation du
contrat ont lieu ici, dans des circonstances qui font que le commerce est,
en réalité, exploité ici. Je crois qu’il faut se poser la question
suivante : Où sont exercées les activités qui génèrent une part
substantielle des profits 36 ? [ TRADUCTION] (soulignement de l’auteur)
Dans l’affaire Firestone 37, la filiale d’une société américaine avait
conclu des contrats de vente, fait des livraisons et reçu des paiements,
tous au Royaume-Uni. La Chambre des Lords a jugé que la société
américaine exploitait un commerce au Royaume-Uni par l’entremise de
sa filiale. Pour arriver à cette décision, le juge Radcliffe a fait la
déclaration suivante qui rend compte de la position actuelle de la
jurisprudence anglaise et qui a renversé la tendance en faveur d’une
règle simpliste selon laquelle l’entreprise est exploitée là où les contrats
de vente sont conclus :
Mes très chers juges, personne ne peut douter que, pour déterminer les
obligations qui découlent de l’expression «commerce exploité au
Royaume-Uni», les tribunaux ont décidé que le lieu de passation des
contrats de vente prend beaucoup d’importance lorsqu’il s’agit d’une
entreprise de courtage en marchandises… [L]e lieu de passation du
contrat a été cité comme le critère «crucial» ou, encore, comme l’élément
«vital».
En ce qui me concerne, je ne considère pas très utile à cet égard
d’employer un adjectif descriptif tel que «crucial». Il ne peut signifier
que le lieu de passation du contrat est déterminant en soi, ce qui
reviendrait à réécrire le texte de la Loi fiscale et ne saurait être
justifiable que si le commerce ne comportait que l’acte de vente. Bien
entendu, il y a beaucoup d’autres éléments à considérer. Cependant, si le
terme «crucial» n’a pas un sens aussi large, il peut uniquement signifier
que la loi exige qu’une grande importance soit accordée au lieu de la
vente. Il s’ensuit donc que le lieu de la vente ne constitue pas le facteur
déterminant en présence d’autres circonstances plus importantes, à moins
qu’aucune autre circonstance ne prenne plus d’importance38.
[ TRADUCTION] (soulignement de l’auteur)
Au Canada, l’importance des facteurs autres que le lieu de passation
des contrats a peut-être été le mieux illustré dans In re Proctor and
Gamble Co.39. Dans cette cause, il a été jugé qu’une société de
fabrication dont le siège social était à Toronto exploitait une entreprise
en Saskatchewan même si les contrats de vente étaient conclus à
Toronto, puisque les commandes n’étaient pas exécutoires avant d’avoir
été acceptées par le siège social. La décision s’appuyait sur les faits
36
Supra, note 34, aux pp. 203-4.
Supra, note 13.
38 Ibid., à la p. 142.
39 [1935-37] CTC 334 (BR Sask.).
37
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1684
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
suivants : la société faisait la publicité de ses produits en Saskatchewan,
elle y employait deux vendeurs qui prenaient des commandes sans
devoir demander d’approbation et ses marchandises périssables étaient
dans des entrepôts publics situés en Saskatchewan.
Dans l’affaire Cutlers Guild Ltd. c. La Reine40, le demandeur était
une société constituée au Canada dont les activités consistaient à
acheter de l’argenterie en Orient et à la vendre à des détaillants
canadiens. Pour payer ses achats, la société remettait à ses fournisseurs
des lettres de créance provenant d’une banque américaine. Elle devait
payer une retenue d’impôt sur l’intérêt qu’elle versait à la banque
américaine pour ce financement. La Division de première instance de la
Cour fédérale devait déterminer si Cutlers exploitait une entreprise dans
un pays autre que le Canada, auquel cas elle ne serait pas assujettie à
une retenue d’impôt. La planification et la comptabilité de la société se
faisaient à New York, mais elle avait un bureau et un entrepôt au
Canada où travaillaient plusieurs employés affectés à la préparation des
marchandises à livrer aux clients. Pour juger que Cutlers n’exploitait
pas une entreprise dans un pays autre que le Canada mais qu’elle
exploitait plutôt une entreprise au Canada, le juge Dubé a résumé la
jurisprudence pertinente comme suit :
Les tribunaux ont décidé que le lieu d’exécution des ventes ou des
contrats de vente revêt une importance fondamentale. Cependant, le lieu
de la vente ne peut pas être le facteur déterminant si d’autres
circonstances prennent encore plus d’importance.
Un autre critère ressort de la jurisprudence : «Où sont exercées les
activités qui génèrent les profits ?». La sollicitation de commandes dans
un pays peut être accessoire à l’exploitation d’un commerce dans un
autre pays. Selon certaines autorités, les activités autres que la passation
des contrats de vente constituent l’exploitation d’une entreprise, surtout
lorsque ces activités respectives se traduisent par un revenu. Bien qu’un
revenu puisse être réalisé par des ventes, il se peut qu’il ne découle pas
entièrement de cette seule activité41. [ TRADUCTION]
La Division d’appel de la Cour fédérale a appliqué ce raisonnement
dans La Reine c. Gurd’s Products Company Limited42 («Products») qui
avait été constituée au Canada en 1932 et était demeurée inactive de
1946 à 1969. En 1969, la société mère américaine de Products,
Grantison Holdings Inc. («Crush USA »), qui avait été incapable de
percer le marché des boissons gazeuses en Irak en raison de relations
tendues entre l’Irak et les États-Unis, avait réactivé Products pour servir
d’«adresse d’accommodation» au Canada et y dissimuler sa
participation dans les négociations avec les Irakiens. À la suite de
négociations entreprises par les employés de Crush USA, Products avait
conclu avec une société irakienne un contrat de franchise aux termes
40
81 DTC 5093 (CF 1 re inst.).
Ibid., à la p. 5095.
42 85 DTC 5314 (CF Appel), renversant 81 DTC 5153 (CF 1 re inst.).
41
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1685
duquel Products achetait des concentrés de boissons gazeuses à un
fabricant canadien lié puis les revendait à la société irakienne. Un
employé du fabricant canadien lié faisait suivre le courrier entre
Products et les Irakiens et exécutait d’autres tâches secondaires qui
étaient néanmoins nécessaires pour laisser croire aux Irakiens qu’ils ne
traitaient qu’avec Products. Crush USA se chargeait de tous les
problèmes, des arrangements de crédit, des questions de marque de
commerce et de la comptabilité. Durant l’audition, il avait été convenu
que le centre de gestion et de contrôle de Products se trouvait aux
États-Unis. Il fallait déterminer si Products avait exploité une entreprise
au Canada après le 26 avril 1965, auquel cas elle serait réputée être une
résidente du Canada aux termes de l’alinéa 250(4)c) LIR. Elle serait
alors imposable sur son revenu de toutes provenances, et sa société
mère, Crush USA , serait tenue de payer une retenue d’impôt sur les
dividendes qu’elle aurait reçus de Products 43.
La Division d’appel de la Cour fédérale a jugé que Products avait
exploité une entreprise au Canada au cours de la période visée. Pour
arriver à cette conclusion, elle s’est fondée sur le principe
jurisprudentiel suivant, qui porte sur l’emplacement territorial des
entreprises :
Un examen de ces jugements nous permet, je crois, de considérer que
l’un des principes applicables dans les cas où il a été présumé que le
revenu provenant d’opérations auxquelles ont participé des non-résidents
est imposable, en général, est [que ce revenu est imposable] dans le
territoire où sont exercées les opérations dont découlent les profits44.
[ TRADUCTION]
Le juge Urie s’est appuyé sur différents facteurs pour rendre sa
décision. Premièrement, et c’est là l’aspect le plus important,
la nature même des activités envisagées pour favoriser le stratagème
[c’est-à-dire la façade créée pour tromper les Irakiens] nécessitait
l’exploitation d’une entreprise au Canada. Ces activités étaient sans
aucun doute indispensables à la réalisation des ventes destinées à
l’exportation. Sans elles, aucune affaire n’aurait pu être conclue avec les
Irakiens 45. [ TRADUCTION]
Un deuxième facteur était l’ouverture d’un compte bancaire par
Products au Canada, principalement pour l’encaissement des sommes
provenant de ventes à des clients étrangers, sans déduction d’une
commission au lieu de livraison. Troisièmement, des profits
considérables provenant de la vente de marchandises achetées au
Canada se trouvaient au Canada, du moins momentanément.
43 Voir aussi la cause connexe La Reine c. Grantison Holdings Inc., 85 DTC 5322,
(CF Appel), renversant 81 DTC 5153 (CF 1 re inst.), dans laquelle il fallait déterminer si
Crush USA devait payer l’impôt de la partie XIII sur les dividendes qu’elle avait reçus
de Products.
44 Supra, note 42, à la p. 5321 (CF Appel), j. Urie.
45 Ibid.
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1686
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
Quatrièmement, même si l’employé du fabricant canadien lié disposait
d’une autorité limitée,
il était le représentant officiel de Products au Canada... [et] ce stratagème
n’aurait pas réussi sans sa participation entière à toutes les facettes de
l’opération dans ce pays46. [ TRADUCTION]
Finalement, les sociétés du groupe ne traitaient pas à distance entre
elles. L’autorisation d’appeler de cette décision devant la Cour suprême
a été refusée.
Ce jugement, et d’autres jugements 47, ont ainsi établi une nouvelle
règle selon laquelle un non-résident exploite une entreprise ou un
commerce à l’endroit où sont exercées les activités qui génèrent les
profits. Bien qu’il soit déterminant, l’emplacement des contrats n’est
donc plus le seul facteur dont les tribunaux doivent tenir compte pour
établir l’emplacement territorial d’une entreprise, mais simplement l’un
des facteurs à évaluer en parallèle avec l’ensemble des activités
exercées par l’entreprise du non-résident. Par conséquent, lorsque
l’entreprise conclut des contrats à l’extérieur du pays considéré, le lien
existant entre l’entreprise et le pays peuvent néanmoins être suffisants
pour conclure que l’entreprise est exploitée dans le pays en question. À
l’opposé, si les contrats de l’entreprise sont conclus à un endroit en
particulier, l’existence d’autres facteurs permettant d’établir un lien
entre l’entreprise et d’autres endroits peut indiquer que l’entreprise est
exploitée ailleurs. Ainsi, les juges avaient le champ libre pour
considérer d’autres facteurs qui, même s’ils n’étaient pas déterminants
en soi, pouvaient constituer dans leur ensemble un lien suffisant entre
une entreprise et un lieu en particulier pour juger que l’entreprise y
était exploitée.
Par conséquent, en plus de l’endroit où le contrat est conclu, ce qui
est reconnu comme étant de loin le facteur le plus important, les
tribunaux ont notamment considéré les facteurs suivants pour
déterminer si un non-résident exploite un commerce au Royaume-Uni
ou exploite une entreprise au Canada :
• le lieu de livraison;
• le lieu de paiement;
• le lieu des achats;
• le lieu de fabrication ou de production;
• le lieu de sollicitation des transactions;
• le lieu d’entreposage des marchandises;
• le lieu d’un bureau;
• le lieu d’un compte bancaire;
46
47
Ibid., à la p. 5322.
Voir, par exemple, Capitol Life Insurance, infra, note 147.
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1687
• le lieu d’inscription du nom et de l’entreprise du non-résident dans
un annuaire, et
• le lieu où sont situés les représentants ou les employés du nonrésident.
Comme en fait foi la jurisprudence citée ci-après, l’importance
accordée à chacun de ces facteurs varie en fonction des circonstances
entourant chaque cas.
Lieu de livraison
Dans plusieurs cas jugés au Royaume-Uni et au Canada pour déterminer
si un particulier non résidant exploitait une entreprise dans ces pays, le
lieu où cette personne livrait les marchandises a été considéré comme le
facteur le plus important après le lieu de passation des contrats de
vente. Certains tribunaux sont même allés jusqu’à attribuer autant
d’importance à l’un et l’autre de ces facteurs. Par exemple, dans
Thomas Turner (Leicester) Limited. v. Rickman (Surveyor of Taxes) 48,
une société américaine vendait ses marchandises en Angleterre par
l’entremise de représentants anglais qui sollicitaient les offres d’achat
en Angleterre et les transmettaient à l’entreprise américaine, qui
décidait de les accepter ou de les refuser. Si les commandes étaient
acceptées, l’entreprise américaine autorisait ses représentants anglais à
en avertir le client anglais, concluant ainsi les contrats. Les
représentants transportaient alors les marchandises au Royaume-Uni, à
leurs propres frais, puis les livraient aux clients. En soutenant que
l’entreprise américaine exploitait un commerce au Royaume-Uni, le
juge Wills a souligné que le lieu de livraison des marchandises était un
facteur aussi important que le lieu de passation des contrats, laissant
ainsi sous-entendre que la livraison considérée seule, si elle était faite à
un endroit, était suffisante pour conclure à l’exploitation d’un
commerce à cet endroit 49.
Dans l’affaire Crookston50, le juge Dundas a indiqué, dans un
jugement dissident, que le lieu de livraison constituait le deuxième
facteur en importance pour la détermination de l’emplacement territorial
d’une entreprise :
Premièrement, si les contrats sont conclus pour un étranger ou en son
nom et que les marchandises sont livrées et les paiements faits, dans
chacun des cas au Royaume-Uni, il semble clair que cet étranger sera
réputé exploiter un commerce dans ce pays. Deuxièmement, je crois que
le résultat sera le même si les contrats sont conclus et que les
48
(1898), 4 TC 25 (BR).
Le lieu de livraison a notamment été considéré comme important pour
l’établissement de l’emplacement territorial d’une entreprise dans Werle, supra, note 10;
Grainger, supra, note 11; Smidth, supra, note 34; John Deere, infra, note 87; Proctor
and Gamble, supra, note 39; Firestone (1942), infra, note 88 et Ross, infra, note 151.
50 Supra, note 23.
49
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1688
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
marchandises sont livrées dans ce pays, même si les paiements sont reçus
à l’étranger 51. [TRADUCTION]
Cependant, les tribunaux ont généralement considéré que le lieu de
livraison n’avait pas autant d’importance que le lieu de passation des
contrats pour déterminer l’emplacement territorial d’une entreprise. En
outre, il semble bien établi que le lieu de livraison ne suffit pas en soi
pour déterminer de l’emplacement 52.
Lieu de paiement
Plusieurs décisions judiciaires ont cité le lieu de paiement comme un
facteur à considérer pour déterminer le lieu d’exploitation d’une
entreprise53. En fait, dans un certain nombre de cas, il a été jugé que,
lorsque la passation des contrats de vente de marchandises d’un nonrésident, la livraison des marchandises et la réception des paiements par
ou pour le non-résident s’effectuent tous au même endroit, il est clair
qu’une entreprise y est exploitée54. Dans l’affaire MacLaine55, la
Chambre des Lords a jugé qu’un commerce était exploité au RoyaumeUni, même si seuls les contrats de vente et les paiements y étaient faits.
Toutefois, lorsque les contrats de vente sont conclus et autrement
exécutés en entier à l’étranger, la simple réception au Canada, par un
non-résident ou pour son compte, de paiements provenant de personnes
situées au Canada ne constitue pas en soi l’exploitation d’une entreprise
au Canada 56.
Lieu des achats
Le simple achat au Canada, par un non-résident ou pour son compte, de
marchandises destinées à l’exportation et à la revente à l’étranger ne
constitue pas en soi l’exploitation d’une entreprise au Canada. Ce
principe a été établi pour la première fois dans Sulley v. Attorney
General 57 où l’associé d’une entreprise de marchands qui exerçait ses
activités aux États-Unis achetait des marchandises au Royaume-Uni et
les expédiait aux États-Unis en vue de les revendre à un prix majoré.
Soutenant qu’aucun commerce n’était exploité au Royaume-Uni, le juge
en chef Cockburn a déclaré ce qui suit :
51
Ibid.
Cette conclusion découle indirectement de plusieurs jugements, y compris celui de
la Cour d’appel d’Angleterre dans Wilcock, supra, note 24, et celui rendu par le juge
Dundas de la Chambre des Lords d’Angleterre, dans Crookston, supra, note 23.
53 Ces décisions comprennent notamment, Pommery and Greno v. Apthorpe (1886), 2
TC 182 (CR); John Deere, infra, note 87; Firestone (1942), infra, note 88 et Ross, infra,
note 151.
54 Voir, par exemple, Crookston, supra, note 23; Watson, infra, note 85; Turner,
supra, note 48; Weiss, infra, note 86 et Wilcock, supra, note 24.
55 Supra, note 26.
56 Ce fait a été établi dans Werle, supra, note 10 et Grainger, supra, note 11.
57 (1860), 2 TC 149 (C. de l’É.).
52
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1689
Dès qu’un marchand s’est établi, il doit étendre ses négociations à divers
endroits dans le cours de ses activités; il achète à un endroit et vend à un
autre. Mais il exerce tout de même ses activités à un endroit principal,
soit celui où il réalise ses profits. C’est à cet endroit qu’il exploite son
commerce. Ce serait très peu pratique s’il en était autrement. Si une
personne était assujettie à l’impôt sur le revenu dans tous les pays où ses
représentants sont établis, elle serait victime d’une grande injustice… Il
serait impolitique d’imposer une taxe aux personnes qui viennent ici à
titre de clients 58. [ TRADUCTION]
Cette position a été clairement adoptée par les tribunaux canadiens.
Par exemple, dans Cutlers Guild, la Division de première instance de la
Cour fédérale a jugé que le simple
… achat de marchandises dans un pays (c’est-à-dire, au Japon) en vue
d’en faire le commerce ailleurs (au Canada) ne constitue évidemment pas
l’exploitation d’un commerce dans le premier de ces deux pays 59.
[ TRADUCTION]
En outre, dans Gurd’s Products, la Division de première instance de
la Cour fédérale a jugé qu’une société n’exploitait pas une entreprise au
Canada du simple fait qu’elle achetait dans ce pays des marchandises
destinées à l’exportation :
En common law, le simple achat de marchandises destinées à
l’exportation, conjugué à la préparation des documents d’exportation
exigés, ne constitue pas l’«exploitation d’une entreprise» dans le pays où
les marchandises sont achetées (voir Sulley v. Attorney General ).
… Products a acheté le concentré de Crush Canada qui fabriquait les
marchandises, les vendait à Products et versait sans aucun doute des
impôts sur le revenu canadien sur le profit de 20 pour cent réalisé à la
vente. Products ne devrait évidemment pas payer de l’impôt simplement
parce qu’elle achetait le concentré au Canada afin de le revendre en
Irak 60. [ TRADUCTION]
Même si la Division d’appel de la Cour fédérale a renversé cette
décision, elle l’a fait en se basant sur d’autres facteurs dont n’avait pas
tenu compte le juge de première instance et non pour désapprouver les
autorités établies, y compris le principe précédent. En fait, le juge Urie
a fait mention de ce principe en des termes approbateurs et en a refusé
l’application en l’espèce en se fondant sur les faits particuliers qui
entraient alors en jeu 61.
Il faut noter que, comme l’a souligné le juge en chef Cockburn dans
la décision qu’il a rendue dans l’affaire Sulley 62, cette position se fonde
sur une réalité économique plutôt que sur un principe juridique. Il serait
58 Ibid., aux pp. 149-50. Cette décision a été citée avec approbation dans Lovell,
supra, note 32.
59 Supra, note 40, à la p. 5095, j. Dubé.
60 Supra, note 42, à la p. 5160 (CF 1 re inst.), j. Addy.
61 Supra, note 42, à la p. 5322 (CF Appel).
62 Supra, note 57.
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1690
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
d’abord très difficile, dans la plupart des cas, de déterminer quelle
serait la partie imposable au Canada d’un profit éventuel réalisé à la
revente de marchandises achetées au Canada et vendues à l’étranger.
Ensuite, si un non-résident était assujetti à l’impôt canadien simplement
parce qu’il a acheté des marchandises au Canada, les exportateurs
canadiens seraient pénalisés et la balance commerciale du Canada en
serait affectée.
Lieu de fabrication ou de production
La jurisprudence a établi que dans la mesure où des biens sont
fabriqués ou produits sur un territoire donné, une entreprise est
exploitée dans le territoire en question, même si ces biens sont ensuite
exportés. Ce fait a été clairement établi par la Chambre des Lords
d’Angleterre dans Commissioners of Taxation v. Kirk 63 où deux sociétés
non résidantes extrayaient du minerai en Nouvelle-Galles du Sud pour
le transformer en un produit de qualité marchande à des fins
d’exportation. La Chambre des Lords a statué que dans la mesure où le
revenu généré par la vente des produits était attribuable à l’extraction et
à la transformation du minerai, par opposition à la vente du minerai et
au produit en découlant, le revenu était imposable en Nouvelle-Galles
du Sud.
Lieu de sollicitation
Dans de nombreuses décisions de common law, le lieu de sollicitation
d’une entreprise commerciale est un facteur qui permet d’associer une
entreprise au lieu en question64. Par exemple, dans Proctor and
Gamble 65, le fait que la société avait fait beaucoup de publicité sur ses
produits en Saskatchewan a été un facteur déterminant qui a permis de
statuer que la société exploitait une entreprise dans cette province.
Cependant, dans l’affaire Grainger, le juge Herschell a conclu, après
avoir fait la distinction entre commercer avec un pays et exploiter un
commerce dans un pays (sujet dont il a déjà été question), que pour les
besoins de cette distinction, la simple sollicitation d’une affaire
commerciale dans un lieu donné ne constitue pas l’exploitation d’une
entreprise dans ce lieu. Et il a dit à ce sujet :
Si les activités d’un commerçant dans un pays donné se limitent à la
sollicitation de commandes, je ne crois pas que l’on puisse
raisonnablement dire qu’il exploite un commerce dans ce pays66.
[ TRADUCTION]
63
[1900] AC 588 (CP).
Voir, notamment, Tischler v. Apthorpe (1885), 2 TC 89 (CR); Pommery, supra,
note 53 et Werle, supra, note 10.
65 Supra, note 39. Voir ci-après pour d’autres commentaires sur les faits de cette
cause.
66 Supra, note 11, à la p. 467.
64
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1691
Lieu d’entreposage des marchandises
Dans plusieurs jugements, le lieu d’entreposage des marchandises a été
cité à titre d’indication du lieu d’exploitation d’une entreprise67. Par
exemple, dans l’affaire Watson, le juge Grantham a statué que les
causes antérieures qui portaient sur le commerce du vin et dans
lesquelles il a été essentiellement établi que le lieu d’exploitation d’une
entreprise correspondait au lieu où les contrats de vente étaient conclus,
n’étaient pas aussi concluantes que la cause dont il était alors saisi
(relativement au fait qu’un commerce était exploité au Royaume-Uni)
étant donné qu’un stock de marchandises se trouvait déjà en Angleterre
au moment où les transactions ont été entamées68. De plus, dans Proctor
and Gamble69, le fait qu’une société entreposait ses denrées périssables
dans des entrepôts publics de la Saskatchewan a été un facteur
déterminant qui a permis de statuer que la société y exploitait une
entreprise.
Lieu d’un compte bancaire
Dans quelques causes, le lieu d’un compte bancaire utilisé aux fins de
l’exploitation d’une entreprise a servi d’indication du lieu d’exploitation
de cette entreprise70. Par exemple, dans Gurd’s Products 71, le fait que
des bénéfices substantiels tirés de la vente de biens achetés au Canada
aient été, du moins momentanément, déposés dans un compte bancaire
canadien, a été l’un des divers facteurs déterminants qui ont permis à la
Division d’appel de la Cour fédérale de statuer que Products exploitait
une entreprise au Canada.
Lieu où les coordonnées d’une entreprise
figurent dans un annuaire
Finalement, le lieu où les coordonnées d’une entreprise figurent dans un
annuaire téléphonique ou autre a été considéré comme un facteur
permettant d’associer l’entreprise à ce lieu72. Par exemple, dans l’affaire
Grainger, le juge Morris a rendu le seul jugement dissident de la
Chambre des Lords en statuant qu’un non-résident exploitait un
commerce au Royaume-Uni essentiellement parce que son nom et son
entreprise figuraient dans l’annuaire postal de Londres :
D’après les faits, je suis clairement d’avis qu’il [le non-résident] exerce
ses activités en Angleterre. Le fait que son nom et la nature de son
entreprise figurent dans l’annuaire postal est extrêmement important […]
67
Voir, notamment, Pommery, supra, note 53 et Ross, infra, note 151.
Infra, note 85, aux pp. 614-15.
69 Supra, note 39.
70 Voir, notamment, Pommery, supra, note 53; Pullman, infra, note 158 et GLS
Leasco Inc. et al. c. MRN, 86 DTC 1484 (CCI).
71 Supra, note 42, à la p. 5322 (CF Appel), j. Urie.
72 Voir, par exemple, Pommery, supra, note 53; Smidth, supra, note 34 et Ross, infra,
note 151.
68
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1692
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
l’indication — «Roederer [le non-résident], Louis, Rheims, négociant en
champagnes […] 21 Mincing Lane, E. C .» — parmi les négociants en vins
de la rubrique «Commerces» permet d’affirmer […] que Roederer [le
non-résident] exploite une entreprise à titre de fournisseur en vins au 21,
Mincing Lane 73. [ TRADUCTION]
Emplacement d’un bureau de succursale
Dans certaines causes, l’emplacement d’un bureau de succursale a été
cité à titre d’indication du lieu d’exploitation d’une entreprise74.
Exploitation d’une entreprise par des intermédiaires
Principe général
Il n’est pas essentiel qu’un non-résident exploite lui-même une
entreprise au Canada ou qu’il l’exploite directement pour être assujetti
à l’impôt sur le revenu canadien. Il peut l’être s’il exploite son
entreprise par l’entremise ou sous le nom d’une autre personne, soit un
employé ou un mandataire75. Les tribunaux ont clairement établi qu’une
personne qui emploie un représentant aux fins de l’exploitation d’une
entreprise pour son propre compte dans un lieu donné exploite ellemême une entreprise dans ce lieu76. Ce principe découle de la relation
juridique qui unit le mandataire et le commettant. En vertu du principe
général du mandat, un contrat de vente est conclu au Canada si le
mandataire d’un commettant non résidant accepte une offre au Canada,
avec ou sans l’approbation du commettant77. Un contrat peut également
être conclu au Canada si un mandataire communique l’acceptation
d’une offre à un acheteur dans ce pays78.
Lorsqu’une entreprise est exploitée par le biais d’un intermédiaire au
Canada, la question est de déterminer si ce dernier est le mandataire
73
Supra, note 11, à la p. 473.
Voir, par exemple, Erichsen, supra, note 12 et Tara Exploration, infra, note 153.
75 Le concept de «mandat» a généralement été décrit comme «la relation existant
entre deux personnes, dont l’une, appelée le mandataire, est juridiquement considérée
représenter l’autre personne, appelée le commettant, de telle façon à pouvoir modifier la
position juridique du commettant à l’égard de personnes étrangères à la relation en
concluant des contrats ou en aliénant des biens.» [TRADUCTION] G.H.L. Fridman,
The Law of Agency, 4 e éd. (Londres : Butterworths, 1976), 8, cité dans William J. Bies,
«Agency in Canadian Income Tax Law», dans Report of Proceedings of the
Thirty-Fourth Tax Conference, 1982 Conference Report (Toronto : Association
canadienne d’études fiscales, 1983), 927-39, à la p. 927.
76 Voir, notamment, Pommery, supra, note 53; Erichsen, supra, note 12; Werle, supra,
note 10; Turner, supra, note 48; Smidth, supra, note 34; Proctor and Gamble, supra, note
39; Peery Estate, infra, note 136; United Geophysical, infra, note 92; Ross, infra, note
151; Masri, infra, note 125; Rutenberg, infra, note 133; Abed, infra, note 127; Pullman,
infra, note 158; Gurd’s Products, supra, note 42 et Twentieth Century Fox Film Corp. c.
La Reine, 85 DTC 5513 (CF 1 re inst.).
77 Voir, par exemple, Watson, infra, note 85; Weiss, infra, note 86 et Wilcock, supra,
note 24.
78 Voir, par exemple, Turner, supra, note 48 et Belfour, supra, note 28.
74
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1693
dépendant du non-résident ou un entrepreneur indépendant exploitant
une entreprise au Canada pour son propre compte. Par exemple, si
l’entreprise en question comporte la vente de biens, soit que
l’intermédiaire vende les biens pour le compte du non-résident, soit
qu’il les achète du non-résident et les revende pour son propre compte.
Dans le premier cas, le non-résident exploite une entreprise au Canada
et le mandataire agit simplement pour le compte du non-résident, alors
que dans le deuxième cas, l’intermédiaire exploite une entreprise au
Canada et le non-résident commerce avec le Canada.
Cette distinction a été clairement illustrée dans la cause anglaise
Crookston 79, dans laquelle les frères Crookston vendaient du phosphate
en Angleterre à titre de mandataires anglais pour le compte d’une
société française qui en faisait l’extraction en Algérie. Les mandataires
anglais étaient autorisés à vendre à des prix équivalents ou supérieurs
aux prix stipulés. Les contrats de vente étaient conclus en Angleterre et
les livraisons effectuées en Algérie ou en mer. Les paiements étaient
versés directement à la société française ou faits par chèques tirés à
l’ordre de la société française et endossés par les mandataires anglais
pour lui être expédiés. Relativement à sa décision à l’effet que la
société française n’exploitait pas d’entreprise au Royaume-Uni, Lord
Clerk a déclaré ce qui suit :
Il me semble qu’il convient d’appliquer dans le cas présent [celui des
non-résidents] la distinction que le juge Herschell [dans Grainger 80] a
faite entre commercer «avec un pays» et exploiter un commerce «dans un
pays» 81. [ TRADUCTION]
Quant au Lord Ardwall, il a affirmé ce qui suit :
Je suis d’avis […] que les appelants [c’est-à-dire les mandataires de la
société non résidante], et non la société [non résidante], ont exploité, à
titre de commissionnaires, un commerce au Royaume-Uni à l’égard des
marchandises… Dans la présente cause, si la société [non résidante] était
reconnue exploiter un commerce au Royaume-Uni, il me semble que,
pour des motifs similaires, tout fabricant étranger, propriétaire minier ou
négociant qui expédie des marchandises à un commissionnaire dans ce
pays pourrait être considéré y exploiter un commerce et, par conséquent,
être assujetti à l’impôt sur le revenu qui y est applicable82.
[ TRADUCTION]
Que le représentant local d’un non-résident soit le mandataire du
non-résident ou soit un entrepreneur indépendant est une question de
fait qui dépend habituellement de l’arrangement existant entre les
parties et du degré de contrôle exercé par le non-résident sur les
activités de son représentant. Par exemple, dans Crookston, Lord
Ardwall a apporté la distinction suivante :
79
Supra, note 23.
Supra, note 11.
81 Supra, note 23, à la p. 628.
82 Ibid., à la p. 612.
80
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1694
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
Je ne peux statuer que le terme «représentant» couvre la notion de
commissionnaire indépendant qui qualifie les appelants dans la présente
cause. Ce terme couvrirait la notion de gérant ou de préposé de la
société, mais non celle de commissionnaire indépendant agissant pour son
propre bénéfice sous surveillance limitée83. [ TRADUCTION]
Qualifier une personne de mandataire ou d’entrepreneur indépendant
n’est pas concluant en soi. Pour qu’une personne soit reconnue comme
mandataire indépendant dans ses transactions avec une autre personne,
il est de l’avis général que le mandataire indépendant doit, dans le
cours normal de ses affaires, agir pour le compte de cette autre
personne.
Dans la plupart des causes en common law entendues sur ce sujet, la
question consiste à déterminer si un présumé commettant vend ses biens
par l’entremise d’un mandataire dans un territoire donné en vue d’être
considéré y exploiter une entreprise. Il est donc nécessaire de
déterminer si l’entente entre les parties en est une de mandat ou d’achat
et vente.
Ce débat soulève une autre question intéressante, à savoir si une
société qui vend la totalité de ce qu’elle produit à une autre société
serait présumée agir à titre de mandataire de cette autre société. Cette
assertion semblerait non fondée si les deux sociétés n’étaient pas liées.
Par exemple, dans King v. BC Brick and Tile Co. Ltd.84, il a été statué
que le fait que deux sociétés entretenaient des relations d’affaires ne
suffisait pas pour que l’une soit le mandataire de l’autre.
Concessions
Les concessionnaires de marchandises canadiens agissent fréquemment
à titre de représentants de leurs fournisseurs non résidants. Par
conséquent, l’assujettissement du non-résident à l’impôt sur le revenu
canadien dépend si le concessionnaire est qualifié de mandataire ou
d’entrepreneur indépendant. Pour le déterminer, le principe du mandat
doit être appliqué aux faits particuliers à chaque cause. En général, la
conclusion dépend du degré de contrôle juridique et factuel que le nonrésident exerce sur les activités du concessionnaire. Voici certains des
facteurs que les tribunaux jugent pertinents pour déterminer si un
concessionnaire agit à titre d’entrepreneur indépendant ou de
mandataire d’un non-résident :
• le concessionnaire fait-il la vente des marchandises pour son
propre compte ou pour celui du non-résident ?
• conserve-t-il un stock de marchandises pour répondre aux
commandes de ses clients ou commande-t-il plutôt du non-résident
seulement après avoir reçu des demandes ?
83
84
Ibid., à la p. 613.
[1936] Ex. CR 71.
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1695
• accepte-t-il des commandes sans autorisation du non-résident ?
• peut-il fixer le prix de vente des marchandises ?
• reçoit-il une commission fixée en fonction du prix de vente ou en
fonction de la quantité de marchandises vendues ?
• devient-il propriétaire des marchandises et en assume-t-il le risque
de perte au moment où les marchandises lui sont livrées ou seulement
au moment où elles sont vendues à un client ?
• les marchandises sont-elles payées sur réception sans égard au fait
qu’il puisse les vendre ou non ou sont-elles payées seulement s’il les
vend ?
• dépose-t-il les sommes qui lui sont versées avec ses fonds
personnels ou dans un compte en fiducie distinct en attendant de les
remettre au non-résident ?
• ses clients s’adressent-ils à lui à titre d’entrepreneur indépendant
ou de mandataire ?
Par exemple, dans Watson v. Sandie and Hull 85, une société
américaine expédiait en consignation des aliments à une entreprise de
commissionnaires anglaise, qui les vendait à des prix qu’elle fixait ellemême. L’entreprise anglaise garantissait, recevait et remettait tous les
paiements à la société américaine, moins les frais et les commissions.
La société américaine assumait le risque de bénéfices ou de pertes sur
l’ensemble des opérations. La Division du Banc de la Reine a statué
que la société américaine exploitait un commerce au Royaume-Uni par
l’entremise de la société anglaise puisqu’elle agissait à titre de
mandataire dans les transactions.
Dans Weiss, Biheller and Brooks Ltd. v. Farmer 86, une société
hollandaise avait garanti à une société anglaise l’exclusivité de la vente
de ses produits en Grande-Bretagne. Conformément à l’entente conclue,
la société hollandaise touchait une commission de 10 pour cent plus le
coût des biens, la société anglaise conservait une commission de 5 pour
cent et le solde des bénéfices était partagé également entre les
deux sociétés. La société anglaise devait vendre aux meilleurs prix
possibles et bénéficiait d’une garantie de paiement sur toutes les ventes.
Elle devenait propriétaire des biens au moment où ils lui étaient livrés
et les vendait pour son propre compte. Il a été statué que la société
anglaise était un mandataire de la société hollandaise et que, par
conséquent, elle exploitait un commerce au Royaume-Uni, même si
aucune relation contractuelle n’unissait la société hollandaise aux
clients. Il est intéressant de noter que l’arrangement pris dans cette
cause présentait plusieurs des caractéristiques propres aux sociétés de
personnes.
85
86
(1897), 3 TC 611 (BR).
(1922), 8 TC 381 (CA).
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1696
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
Dans John Deere Plow Co. v. Agnew87, une société de fabrication
manitobaine avait accordé à un concessionnaire de la ColombieBritannique des droits exclusifs aux fins de l’achat et de la vente de ses
produits dans une région déterminée de cette province. Les
marchandises étaient expédiées f.a.b. à Calgary où le concessionnaire
en assumait les risques, bien que le fabricant en conservait la propriété
jusqu’à la réception du paiement. Le concessionnaire devait vendre les
marchandises aux prix déterminés par le fabricant. La Cour suprême du
Canada a statué que le concessionnaire n’était pas un mandataire du
fabricant et, qu’en conséquence, le fabricant n’exploitait pas une
entreprise en Colombie-Britannique. Une trentaine d’années plus tard,
la Cour suprême s’est retrouvée aux prises avec le même problème dans
l’affaire Firestone Tire and Rubber Co. Ltd. v. Commissioner of Income
Tax 88. Dans cette cause, un fabricant ontarien livrait ses produits à un
concessionnaire de la Colombie-Britannique aux termes d’un «contrat
d’entreposage de concessionnaire» qui donnait au concessionnaire un
droit de vente exclusif pour la Colombie-Britannique, à des prix établis
par le fabricant ontarien. Comme dans la cause précédente, le fabricant
conservait le droit de propriété des marchandises jusqu’à ce qu’elles
soient vendues. Conformément à sa décision précédente, la cour a
statué à la majorité que le fabricant et le concessionnaire étaient unis
par une relation d’achat et vente plutôt que de mandat. Par conséquent,
le fabricant ontarien n’a pas été considéré avoir gagné de revenu en
Colombie-Britannique.
Filiales agissant à titre de mandataire de leur société mère
La discussion qui précède soulève la possibilité qu’une société non
résidante du Canada puisse être considérée exploiter une entreprise dans
ce pays si des filiales canadiennes agissent pour son compte. Un
exemple extrême serait celui d’une société mère non résidante qui
exploiterait une entreprise par l’entremise d’une filiale canadienne de
façade. Le principe du mandat ou de la filiale de façade s’applique
lorsque l’entreprise d’une filiale est à ce point envahie par l’entreprise
de sa société mère ou d’une société de son groupe qu’elle en devient
dépendante. Par conséquent, une relation de mandat s’installe entre une
société mère non résidante et sa filiale canadienne lorsque la société
mère exerce une domination telle sur la filiale qu’elle finit par
s’approprier l’entreprise 89.
L’affaire anglaise Firestone 90 est un exemple de cause dans laquelle
il a été statué qu’une société non résidante exploitait une entreprise par
l’entremise de sa filiale qui lui servait de mandataire commercial. Dans
87
(1913), 48 CSC 208.
[1942] CSC 476.
89 Voir, par exemple, Dominion Bridge Co. Ltd. c. La Reine, 75 DTC 5150 (CF 1 re
inst.), confirmé par 77 DTC 5367 (CF Appel).
90 Supra, note 13.
88
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1697
cette cause, une société américaine de fabrication et de vente de pneus
avait conclu une convention de concession avec une société suédoise
aux termes de laquelle elle s’était engagée à lui fournir des pneus à des
prix et selon des modalités déterminés. Par la suite, la société
américaine avait conclu une seconde convention avec sa filiale de
fabrication du Royaume-Uni aux termes de laquelle, en contrepartie de
versements effectués par la société mère, la filiale du Royaume-Uni
remplirait les commandes reçues de la société américaine selon ses
directives concernant les prix et autres modalités. En réalité, la filiale
du Royaume-Uni recevait les commandes directement de la société
suédoise, et les contrats de vente étaient conclus en Angleterre au
moment où les commandes étaient acceptées. Les produits étaient livrés
au Royaume-Uni, les paiements y étaient reçus et crédités à la société
américaine après déduction des coûts de revient, plus 5 pour cent. La
Chambre des Lords n’a pas tenu compte des conventions conclues entre
les parties mais s’est plutôt intéressée à leur conduite. Ainsi, leurs
Seigneuries ont statué que la société américaine exploitait un commerce
au Royaume-Uni par l’entremise de sa filiale du Royaume-Uni qui
agissait à titre de mandataire. En raison du fait que ses bénéfices
étaient restreints à 5 pour cent de ses coûts de revient, ils ont conclu
que la filiale du Royaume-Uni agissait pour le compte de la société
américaine plutôt que pour son propre compte, et rendu leur jugement
comme suit :
Le fait que les biens vendus appartenaient à Brentford et non à Akron ne
démontre pas de façon concluante que Brentford vendait ces biens pour
son propre compte et non à titre de mandataire91. [ TRADUCTION]
Les tribunaux ont cependant démontré une certaine réticence à tenir
une filiale pour mandataire de la société mère, puisque le voile
corporatif serait levé. Ils ont donc habituellement statué que l’entreprise
d’une filiale ne devait être considérée comme l’entreprise de la société
mère que si la filiale exploitait l’entreprise à titre de mandataire de la
société mère. Dans United Geophysical Co. of Canada c. MRN 92, cette
réticence a été poussée à l’extrême. Dans cette cause, la filiale
canadienne d’une société non résidante louait du matériel de la société
mère et prétendait que la société mère devrait être imposée sur les
loyers aux termes des dispositions qui ont précédé la Partie I de la Loi
plutôt qu’aux termes de celles qui ont précédé la Partie XIII de la Loi,
au motif que la société mère exploitait une entreprise au Canada par
son entremise à titre de mandataire. La Cour de l’Échiquier a rejeté cet
argument pour statuer que la société mère non résidante n’exploitait pas
d’entreprise au Canada par l’entremise de sa filiale-mandataire. En
rendant sa décision, le juge Thurlow s’exprimait ainsi :
Bien qu’il soit clair qu’une société puisse exploiter une entreprise à titre
de mandataire d’un commettant dévoilé ou non, à moins qu’il ne s’agisse
91
92
Ibid., à la p. 141, Lord Morton.
61 DTC 1099 (C. de l’É.).
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1698
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
d’une société fictive, le seul fait qu’une personne soit propriétaire de la
totalité des actions de cette société n’en fait pas pour autant le
propriétaire de l’entreprise de la société, pas plus que le fait de dominer
chacun de ses faits et gestes ne suffit pour en faire son mandataire ou
pour le rendre propriétaire de l’entreprise. La société, légalement
constituée, possède une existence et une personnalité juridiques qui lui
sont propres et qui sont distinctes de celles du ou des propriétaires de ses
actions93. [ TRADUCTION]
Sociétés de personnes
En vertu des lois provinciales qui régissent les sociétés de personnes,
les associés jouent, les uns envers les autres, le rôle de mandataire
implicite. Par conséquent, une société de personnes est considérée
exploiter une entreprise dans chacun des territoires où l’un ou l’autre de
ses associés exploite une entreprise pour le compte de la société. À
l’inverse, chacun des membres d’une société de personnes est considéré
exploiter une entreprise dans chacun des territoires où la société
exploite une entreprise. En d’autres mots, chaque membre d’une société
de personnes est considéré exploiter une entreprise dans chacun des
territoires où l’un ou l’autre des associés exploite une entreprise pour le
compte de la société de personnes. Ainsi, un non-résident du Canada
qui est l’associé d’une société de personnes exploitant une entreprise au
Canada est considéré exploiter une entreprise au Canada, même s’il ne
participe pas directement à cette entreprise. Cette conclusion est
confirmée par la jurisprudence94.
L’expression «société de personnes» n’est pas définie dans la Loi.
Afin de déterminer si un arrangement particulier à une période donnée
constitue une société de personnes, Revenu Canada suggère de
consulter les lois provinciales pertinentes95. En général, aux termes des
lois provinciales canadiennes, une société de personnes est la relation
qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun,
dans un but lucratif. Cela ne signifie pas que toute activité conjointe
constitue une société de personnes. Pour qu’il y ait société de
personnes, il doit y avoir entreprise. Donc, la simple co-propriété d’un
ou de plusieurs biens non reliés à une entreprise (par exemple, la
propriété conjointe ou en commun de common law) ne crée pas une
société de personnes, même s’il existe des arrangements relatifs au
partage des bénéfices et des pertes. De plus, il ne peut y avoir société
de personnes que si les participants exploitent une entreprise en
commun et non individuellement.
Le terme «coentreprise» n’apparaît pas dans la Loi. En vertu des lois
provinciales, deux personnes ou plus ayant convenu de mettre des biens en
93
Ibid., à la p. 1102.
Voir, notamment, Sulley, supra, note 57; Tischler, supra, note 64; Hollinger c.
MRN, 73 DTC 5003 (CF 1 re inst.), confirmé par 74 DTC 6604 (CF Appel).
95 Bulletin d’interprétation IT-90, «Qu’est-ce qu’une société ?», le 9 février 1973,
numéro 2.
94
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1699
commun afin d’exécuter une tâche ou une opération donnée et de toucher
une part déterminée des bénéfices en découlant sont considérées avoir
conclu une convention de coentreprise. En ce qui a trait aux bénéfices96, la
coentreprise peut être considérée comme société de personnes.
Qu’une convention constitue une société de personnes ou une
coentreprise semble avoir peu de conséquences aux fins de
l’assujettissement d’un participant non-résident à l’impôt sur le revenu
canadien. Dans les deux cas, un non-résident est considéré exploiter une
entreprise dans chacun des endroits où ses associés ou coentrepreneurs
exploitent une entreprise en commun. Par exemple, dans Entreprises
Blaton-Aubert Société Anonyme c. MRN 97, l’appelant, une société de
construction belge, avait conclu une convention de coentreprise avec une
société de construction canadienne dans le seul but de rendre la société
canadienne admissible à la construction du pavillon belge d’Expo 67.
Quoique la société belge n’ait pas participé activement à la construction
du pavillon au Canada, elle a assumé plusieurs fonctions connexes
mineures en Belgique telles que l’obtention et l’expédition du granit et de
la brique destinés à la construction du plancher et des murs du pavillon,
respectivement. En outre, l’appelant a apporté son aide financière et offert
son savoir-faire et ses compétences en cas de difficultés. La convention de
coentreprise prévoyait le partage à part égale des bénéfices et des pertes.
Pendant la période d’exécution du contrat de construction, l’appelant
n’avait ni bureau, ni employés, ni matériel de construction au Canada.
L’avocat de l’appelant a plaidé que la coentreprise ne constituait pas une
société de personnes et que par conséquent, l’appelant ne pouvait être
considéré exploiter une entreprise au Canada. Sans avoir déterminé si la
coentreprise était une société de personnes ou non, le juge Noël a statué
que l’appelant exploitait une entreprise au Canada. Cette décision semblait
essentiellement fondée sur le fait que, conformément aux modalités de la
convention de coentreprise, l’appelant était tenu, en cas de difficultés, de
prendre la place de la société canadienne afin de terminer les travaux.
Ainsi, sa participation aurait pu devenir aussi active que celle de la
société canadienne. Fait important, le juge voyait dans l’arrangement de
coentreprise la façon habituelle pour une entreprise de construction
d’exercer ses activités commerciales.
96 Ibid., numéro 4. Par exemple, en vertu du droit civil du Québec, dans un jugement
rendu en Cour supérieure relativement à Cam Meyers and Cedric Marsh v. The Royal
Bank of Canada, CS Montréal, n o 500-05-013939-838, 29 octobre 1985, le juge
Steinberg a conclu que lorsque des associés forment une coentreprise à laquelle ils
contribuent en fournissant des biens, de l’argent, des connaissances ou des services dans
le but d’en tirer un bénéfice commun, l’expression «coentreprise» est simplement
synonyme de société de personnes, et la plupart des coentreprises constituent des
sociétés de personnes particulières au sens de l’article 1862 de l’ancien Code civil du
Bas Canada. Toutefois, il a également déclaré, à la p. 19 du jugement, que la relation
qui consiste simplement à partager des frais, à exercer des activités parallèles, à se
regrouper, en association ou autrement, dans le but de s’aider mutuellement ne devrait
pas être qualifiée de coentreprise mais bien de copropriété.
97 69 DTC 121 (CAI), confirmé par 73 DTC 5009 (CF 1 re inst.).
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1700
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
L’affaire Atlas-Gest Inc. et al. c. MRN 98 traite également de la
coentreprise. Dans cette cause, trois sociétés, dont deux étaient
résidantes des États-Unis, avaient formé une coentreprise aux fins de la
construction d’un égout intercepteur à Montréal. La Cour canadienne de
l’impôt a déclaré que les deux non-résidentes exploitaient une
entreprise au Canada, en partie en raison des loyers que leur versait la
coentreprise pour la location de matériel.
Dans Sandhu et al. c. La Reine 99, l’existence d’une société de
personnes a été le facteur déterminant qui a permis d’assujettir un nonrésident à l’impôt sur le revenu canadien. Dans cette cause, deux
résidents canadiens avaient formé une société de personnes pour
effectuer des opérations de change au Canada. Ils ont retenu les
services d’un non-résident devant les aider à établir des contacts aux
fins de la livraison de sommes d’argent en Inde. La Division de
première instance de la Cour fédérale a statué que le non-résident, qui
jouait un rôle actif dans l’entreprise et en exigeait le tiers des bénéfices
nets, était également un associé de la société de personnes et, par
conséquent, exploitait une entreprise au Canada.
Dans Randall c. La Reine 100, Randall, un non-résident du Canada,
était l’associé passif d’une société de personnes familiale qui, à
l’origine, exploitait des concessions situées sur des pistes de courses du
Canada, mais dont la moitié des intérêts avaient été cédés à un résident
canadien en échange de la moitié d’une entreprise active semblable
dont il était propriétaire. À la suite de la cession, Randall ne participait
plus activement à l’exploitation de l’entreprise, mais touchait la moitié
des bénéfices qu’elle produisait. La Division de première instance de la
Cour fédérale a déclaré que, bien que Randall ne participait pas
activement à l’exploitation des concessions, il devait être assujetti à
l’impôt sur le revenu à titre de non-résident exploitant une entreprise au
Canada. En effet, puisqu’il participait aux bénéfices, son intérêt dans
l’entreprise ne se limitait pas au simple investissement 101. Il est
intéressant de noter que, pour en arriver à cette conclusion, le juge
Walsh s’est demandé si un associé passif pouvait être considéré
exploiter l’entreprise d’une société de personnes au même titre qu’un
associé actif. Il a conclu que les deux cas ne présentaient aucune
différence et, à titre de justification, a déclaré ce qui suit :
Un associé non actif ou passif qui se contente de laisser un autre associé
exploiter l’entreprise se trouve dans la même position que celle de
l’associé actif 102. [ TRADUCTION]
98
85 DTC 430 (CCI).
80 DTC 6097 (CF 1 re inst.).
100 85 DTC 5208 (CF 1 re inst.).
101 Voir également la décision rendue dans le même sens dans Loeck, infra, note 134.
102 Affirmation du juge Heald dans Weiss c. MRN, 72 DTC 6231, aux pp. 6231-32
(CF 1 re inst.).
99
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1701
Les décisions citées illustrent que l’établissement de l’existence
d’une société de personnes ou d’une coentreprise dans une situation
donnée est une question de fait. Les facteurs, qui ne sont pas
nécessairement concluants en soi, servent plutôt de critères d’évaluation
objectifs. En conséquence, les tribunaux peuvent considérer un
arrangement comme société de personnes ou coentreprise, même si les
parties l’ont appelé autrement (par exemple, «entente de coopération»).
Élargissement de sens par le législateur
L’analyse précédente démontre que les tribunaux de common law n’ont
pas établi de critères qui soient simples, clairs et objectifs pour
déterminer facilement si une entreprise est exploitée dans un pays
donné. Afin d’éclaircir cette question et d’élargir la compétence du
Canada en matière d’imposition, le législateur canadien a promulgué
des règles selon lesquelles un non-résident est réputé exploiter une
entreprise au Canada dans certaines circonstances factuelles. Ces
dispositions, qui figurent désormais à l’article 253 LIR103, remplacent ou
annulent les principes de common law exposés ci-dessus lorsqu’elles en
diffèrent. Tel qu’il en sera question plus loin, certaines activités
exercées au Canada qui, de toute évidence, ne constitueraient pas des
cas d’«entreprises exploitées au Canada» au sens de la common law,
sont réputées l’être au sens de l’article 253.
L’article 253 ne prévoit toutefois pas toutes les circonstances dans
lesquelles un non-résident peut être considéré exploiter une entreprise
au Canada. Dans plusieurs cas, seul le droit jurisprudentiel peut aider à
déterminer si des non-résidents exploitent une entreprise au Canada. Par
exemple, dans Gurd’s Products 104, la Division de première instance de
la Cour fédérale et sa Division d’appel (qui a infirmé la décision de la
Division de première instance en raison d’autres facteurs) ont conclu
que l’article 253 LIR ne s’appliquait pas à Products étant donné qu’elle
ne produisait pas de biens ni ne sollicitait de commandes au Canada.
Par conséquent, les deux cours ont appliqué les critères de common law
relatifs à l’exploitation d’une entreprise et la Division d’appel de la
Cour fédérale a déclaré que Products avait effectivement exploité une
entreprise au Canada.
Par ailleurs, bon nombre d’activités ne sont toujours pas considérées
constituer l’exploitation d’une entreprise au Canada en vertu de la
common law, ni ne sont réputées comme tel aux termes des dispositions
de l’article 253. Le meilleur exemple de ce type d’activité est celui où
103 Ces dispositions figuraient initialement à l’article 3 de la Loi de l’Impôt de
Guerre sur le Revenu, SC 1917, c. 28; puis aux paragraphes 26(1) et 27(A) de la Loi de
l’impôt de guerre sur le revenu, SRC 1927, c. 97; au paragraphe 127(6) de la Loi de
l’impôt sur le revenu, SC 1948, c. 52; au paragraphe 139(12) de la Loi de l’impôt sur
le revenu, SRC 1952, c. 148, pour finalement se retrouver sous leur forme actuelle à
l’article 253 de la Loi.
104 Supra, note 42.
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1702
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
des biens sont achetés au Canada en vue d’exportation sans
transformation. En effet, ni l’alinéa 253 a), ni l’alinéa 253 b) LIR ne
sont applicables, le premier en raison du fait que le non-résident ne
produit ni ne fabrique les produits, le deuxième en raison du fait que le
non-résident ne sollicite pas de commandes ni ne met en vente quoi que
ce soit au Canada.
Il est à noter que dans le cas d’un non-résident assujetti à l’impôt sur
le revenu canadien uniquement en raison de ses activités de fabrication
ou uniquement en raison de la vente de ses produits au Canada, les
bénéfices réalisés doivent être répartis entre l’une et l’autre de ces
activités. Ce principe a été illustré dans Int. Harvester Co. v. A. G .
Sask. 105, cause jugée conformément à des dispositions des lois de la
Saskatchewan identiques à celles qui ont précédé l’article 253 LIR106.
Dans cette cause, International Harvester, un non-résident de la
Saskatchewan, fabriquait de la machinerie en Ontario et en vendait une
partie en Saskatchewan. Il était tenu pour acquis que la société
exploitait une entreprise en Saskatchewan. La question était donc de
savoir si les «bénéfices de fabrication», non attribuables à l’entreprise
qu’elle exploitait en Saskatchewan, pouvaient être exclus de son revenu
imposable en Saskatchewan. Le Conseil privé a statué qu’en effet, ces
bénéfices pouvaient en être exclus :
Les articles 23 et 24 démontrent l’intention du législateur d’imposer une
partie du revenu d’un non-résident qui a été touchée à l’extérieur de la
province de Saskatchewan, mais qui pourrait équitablement être
considérée avoir été partiellement gagnée dans cette province. De l’avis
de ses Seigneuries, il serait raisonnable de supposer que, dans la présente
affaire, le législateur aurait considéré qu’une partie des bénéfices touchés
par l’appelant en Saskatchewan «découlait» de son entreprise de
fabrication exploitée à l’extérieur de cette province et n’était donc pas
imposable aux termes de la Loi107. [ TRADUCTION]
Ainsi, la Chambre des Lords a approuvé le jugement dissident
prononcé par le juge Duff à la Cour suprême du Canada en ces termes :
Ce ne sont pas les bénéfices touchés en Saskatchewan qui sont
imposables, ce sont ceux qui découlent de l’entreprise en Saskatchewan,
non l’ensemble des bénéfices qui découlent de ses activités de fabrication
en Ontario et de l’entreprise exploitée en Saskatchewan, mais seulement
les bénéfices tirés de cette dernière108. [ TRADUCTION]
105 [1940-41] CTC 280 (CA Sask.), infirmé par [1940-41] CTC 294 (CSC) et infirmé
par [1948] CTC 307 (CP).
106 Plus particulièrement, cette cause a été jugée aux termes des articles 23 et 24 de
la Loi de l’impôt sur le revenu de la Saskatchewan, SS 1932, c. 9 et SS 1936, c. 15, qui
étaient identiques aux articles 26 et 27A, respectivement, de la Loi de l’Impôt de Guerre
sur le Revenu de 1917, supra, note 103, qui ont précédé les alinéas 253a) et b) de la
Loi, à l’exception que le terme «Saskatchewan» a été substitué au terme «Canada».
107 Supra, note 105, à la p. 320 (CP), Lord Morton of Henryton.
108 Supra, note 105, à la p. 300 (CSC).
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1703
Dans Prov. Treas., Man. v. Wrigley Co. Ltd.109 dont les faits et le
droit applicable sont similaires à ceux de la cause précédente (à
l’exception du fait qu’il s’agit des lois du Manitoba), le Conseil privé,
conformément à la décision qu’il avait rendue dans International
Harvester, a statué que les bénéfices attribuables aux ventes effectuées
dans la province d’imposition doivent être répartis entre les activités de
fabrication et de vente, afin d’exclure les bénéfices de fabrication.
Production au Canada
L’alinéa 253a) LIR prévoit qu’un non-résident est réputé exploiter une
entreprise au Canada au cours d’une année d’imposition s’il «produit,
cultive, extrait, crée, manufacture, fabrique, améliore, empaquette,
conserve, ou construit, en totalité ou en partie, quoi que ce soit au
Canada, qu’[il] l’ait ou non exporté sans le vendre avant l’exportation».
L’ensemble des activités énumérées dans cette disposition ont en
commun l’exécution d’un travail à l’égard d’un bien et, chaque fois que
ce travail est exécuté en totalité ou en partie au Canada, l’activité
commerciale est réputée être exercée au Canada.
Dans le cas où les activités d’un non-résident se déroulent entièrement
au Canada, l’alinéa 253a) LIR ne fait que reprendre les principes de
common law. Toutefois, dans le cas où ces activités sont exercées en
partie au Canada et en partie à l’étranger, cette disposition semble avoir
été promulguée dans le but d’assurer la primauté du principe de common
law du Royaume-Uni, plus précisément établi dans l’affaire Kirk 110, sur
la législation canadienne en matière d’impôt sur le revenu.
À toutes fins pratiques, la portée de la distinction entre commercer
avec le Canada et exploiter un commerce au Canada est considérablement
réduite par cette disposition. En effet, le simple achat de biens au Canada
par un non-résident ne constitue pas l’exploitation d’une entreprise au
Canada, sauf si, conformément à l’alinéa 253a) LIR, les biens en question
sont achetés et transformés en produits finis avant d’être exportés.
D’après cette disposition, un non-résident peut donc être considéré
exploiter une entreprise au Canada non seulement s’il vend des biens,
mais également s’il fabrique et transforme des biens par l’entremise
d’un mandataire.
Sollicitation de ventes ou d’offres de vente au Canada
L’alinéa 253b) LIR prévoit qu’un non-résident est réputé exploiter une
entreprise au Canada au cours d’une année d’imposition donnée s’il
«sollicite des commandes ou offre en vente quoi que ce soit au Canada
par l’entremise d’un mandataire ou préposé, que le contrat ou
l’opération ait dû être parachevé au Canada ou à l’étranger ou en partie
au Canada et en partie à l’étranger».
109
110
[1949] CTC 377 (CP).
Supra, note 63.
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1704
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
Tel qu’il a déjà été expliqué, la common law préconise que la simple
sollicitation de commandes ou la présentation d’offres de vente dans un
pays donné ne constitue pas l’exploitation d’une entreprise dans ce
pays, le principe ayant été établi par la Chambre des Lords dans
l’affaire Grainger 111. L’alinéa 253b) LIR déroge largement à ce principe
dans le cas où les commandes sont sollicitées ou les offres présentées
par l’entremise d’un mandataire ou d’un préposé dans le pays en
question. En conséquence, si des commandes sont sollicitées ou un bien
quelconque est offert en vente au Canada, une entreprise sera
considérée être exploitée au Canada, sans égard au lieu de passation du
contrat. Étant donné que le lieu de conclusion d’un contrat est un
élément qui se dissimule facilement, cette disposition s’apparente à une
règle anti-évitement. Ainsi, aux termes de l’alinéa 253b) LIR, la plupart
des activités de vente exercées au Canada par des non-résidents sont
réputées constituer l’exploitation d’une entreprise au Canada.
Tel qu’il a été souligné, l’alinéa 253b) LIR ne prévoit pas toutes les
circonstances dans lesquelles un non-résident peut être considéré
exploiter une entreprise au Canada. Par exemple, il ne s’applique pas à
l’intermédiaire non résidant agissant à titre d’entrepreneur indépendant
plutôt qu’à titre de mandataire d’un fournisseur non résidant, ni au nonrésident qui ne sollicite pas de commandes ni ne présente d’offres de
vente au Canada. Ces cas sont régis par la common law.
L’application de l’alinéa 253b) LIR a notamment fait l’objet d’un
litige dans Sudden Valley Inc. c. La Reine 112. Dans cette cause,
l’appelante, une société américaine, vendait des terrains aux États-Unis.
Sa seule activité au Canada consistait à faire visiter Sudden Valley à
des Canadiens dans l’espoir de leur vendre des terrains. Pour ce faire,
la société a loué des bureaux à Vancouver, embauché des téléphonistes,
contacté diverses personnes et organisé des rencontres dans le but de
les persuader de visiter Sudden Valley afin qu’elles s’intéressent à y
acheter des terrains. La présentation et l’acceptation des offres, ainsi
que la réception des dépôts avaient lieu exclusivement aux États-Unis.
La société n’avait aucun mandataire ni représentant au Canada autorisé
à accepter une offre ou à la conclure et ne possédait aucun permis de
vente d’immeubles au Canada. En fait, aucune vente n’y était conclue.
Le ministre a évalué l’impôt de la société aux termes de la Partie XIII
de la Loi en fonction de l’intérêt sur les versements effectués par les
résidents canadiens à l’égard de prêts hypothécaires et de conventions
de vente. La société a soutenu qu’elle exploitait une entreprise au
Canada conformément aux dispositions qui ont précédé l’alinéa 253b)
LIR et que, par conséquent, elle ne devrait pas être assujettie aux règles
d’imposition de la Partie XIII. La Cour fédérale a toutefois statué
autrement au motif que la simple présentation d’invitations à traiter par
la société ne signifie pas, aux termes de l’alinéa 253b) LIR, qu’elle
111
112
Supra, note 11.
76 DTC 6178 (CF 1 re inst.), confirmé par 76 DTC 6448 (CF Appel).
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1705
avait sollicité des commandes ou offert en vente quoi que ce soit au
Canada. Le juge Addy a conclu comme suit :
Je ne crois pas que la «simple présentation d’invitations à traiter» par le
demandeur implique qu’il «sollicitait des commandes» au Canada.
Solliciter des commandes signifie chercher à obtenir des commandes dans
un territoire donné et le terme «offre» doit, à mon avis, être pris dans
son sens habituel que le droit des obligations lui attribue, soit une offre
obligatoire qui, une fois acceptée, lie l’offrant et le destinataire de
l’offre 113. [ TRADUCTION]
Plusieurs autres causes dans lesquelles l’application de l’alinéa 253b)
de la Loi a fait l’objet d’un litige sont étudiées dans les pages qui
suivent.
Dispositions de ressources et de biens immeubles canadiens
L’article 253 LIR a récemment été modifié114 par l’ajout de l’alinéa c)
aux termes duquel un non-résident sera réputé avoir exploité une
entreprise au Canada au cours de l’année pendant laquelle il dispose :
(i) soit d’un avoir minier canadien, sauf dans le cas où un montant
relatif à la disposition est inclus en application des alinéas 66.2(1)a) ou
66.4(1)a),
(ii) soit d’un bien (sauf un bien amortissable) qui est un avoir
forestier, ou un droit ou une option y afférent,
(iii) soit d’un bien (sauf une immobilisation) qui est un bien
immeuble situé au Canada, y compris un droit ou une option relatif à un
tel bien, que celui-ci existe ou non.
Les notes techniques publiées par le ministère des Finances au sujet
de cette modification indiquent simplement qu’elle a pour objet de
veiller à ce qu’un non-résident qui dispose d’un bien (sauf une
immobilisation) qui est un bien immeuble canadien ou un avoir
forestier (y compris un droit ou une option relatif à un tel bien) est
réputé exploiter une entreprise au Canada et qu’il est par conséquent
assujetti à l’impôt canadien en application du paragraphe 2(3) LIR à
l’égard d’une telle disposition.
L’alinéa 253c) LIR a pour effet véritable d’éclaircir une situation qui
était devenue incertaine depuis la décision Tara Exploration115 et son
application dans Fergusson 116, deux jugements discutés plus loin. Avant
la décision rendue dans Fergusson, plusieurs jugements prononcés au
Canada avaient eu pour effet de reconnaître qu’un non-résident dont les
activités consistaient à acheter et à vendre des biens immeubles situés
113
Ibid., à la p. 6180 (CF 1 re inst.).
Par LC 1994, c. 7, annexe II, paragraphe 197(1), applicable aux dispositions
effectuées après le 20 février 1990, sauf en ce qui concerne les dispositions effectuées
conformément à des conventions écrites conclues avant le 21 février 1990.
115 Infra, note 153.
116 Infra, note 119.
114
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1706
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
au Canada y exploitait une entreprise. Certains de ces jugements étaient
fondés sur des facteurs de common law117, alors que d’autres
s’appuyaient sur l’alinéa 253b) 118.
Dans Fergusson et al. c. MRN 119, les contribuables non résidants
détenaient chacun une participation de 50 pour cent dans une société
qui avait acheté un fonds de terre au Canada où elle exploitait un
terrain de stationnement. Sans autre mise en valeur, c’est-à-dire dans
son état existant, ce bien ne pouvait être exploité qu’à perte.
Finalement, les contribuables ont réalisé un gain en vendant ce bien
plusieurs années plus tard sans l’avoir mis en valeur. Le juge Bonner de
la Cour canadienne de l’impôt a estimé que les contribuables n’avaient
pas fait la preuve qu’ils avaient acheté ce bien dans le but de le mettre
en valeur, sans avoir aucunement l’intention de le revendre à profit. Par
conséquent, il a conclu que le gain réalisé à la revente était un revenu
attribuable à un risque à caractère commercial. Indiquant qu’il était lié
par la décision rendue par le président Jackett dans Tara Exploration120,
et faisant observer qu’«il n’y avait aucune continuité des activités
canadiennes qui permettrait de conclure que [la société] exploitait une
entreprise au Canada 121» [ TRADUCTION], le juge Bonner a déclaré que
les contribuables n’exploitaient aucune entreprise au Canada à cet égard
et que le gain réalisé à la vente du bien n’était pas assujetti à l’impôt
sur le revenu canadien.
Le nouvel alinéa 253c) empêche maintenant d’arriver à une telle
conclusion. Un contribuable ne peut plus invoquer l’argument selon
lequel la vente isolée, par un non-résident, d’un bien énoncé à cet
alinéa ne constitue pas l’«exploitation» d’une entreprise au Canada.
Il est probable que les abus touchant certaines transactions
immobilières canadiennes qui ont été perçus dans l’application du
concept de common law relatif à l’exploitation d’une entreprise au
Canada aient fourni une autre raison de promulguer l’alinéa 254c) LIR.
Bien qu’il soit reconnu à l’échelle internationale, le principe
d’imposition voulant que les gains provenant de la disposition d’un bien
immobilier soient imposables dans le territoire où il est situé, ne
s’applique au Canada qu’aux biens immobiliers qui constituent des
immobilisations pour un non-résident qui en dispose. Le cas échéant, le
bien immobilier constitue un «bien canadien imposable» aux termes de
l’alinéa 115(1)b) LIR et, par conséquent, tout gain tiré de la disposition
de ce bien par un non-résident est assujetti à l’impôt canadien aux
termes de l’alinéa 2(3)c).
117 Voir, notamment, Rhodesia, infra, note 122; Abed, infra, note 127, et Loeck, infra,
note 134.
118 Voir, par exemple, Masri, infra, note 125; Thea, infra, note 123, et Neuberger,
infra, note 124.
119 84 DTC 1107 (CCI).
120 Infra, note 153.
121 Supra, note 119, à la p. 1109.
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1707
Avant la promulgation de l’alinéa 253c), les gains tirés de la
disposition d’un bien immobilier qui constituait un inventaire pour le
non-résident propriétaire étaient assujettis à l’impôt canadien seulement
si le non-résident en disposait dans le cadre de l’«exploitation d’une
entreprise au Canada» aux termes du concept fiscal pertinent de
common law et des dispositions des alinéas 253a) et b) LIR. Toutefois,
conformément à l’analyse précédente, si un non-résident achetait
simplement un bien immobilier situé au Canada, qu’il le mettait en
vente, négociait et concluait des contrats de vente à l’extérieur du
Canada, il ne serait pas réputé «exploiter une entreprise au Canada» et,
par conséquent, ne serait pas assujetti à l’impôt sur le revenu canadien.
Il est donc raisonnable de présumer que l’adoption de l’alinéa 253c)
avait pour but d’empêcher les non-résidents de déroger aux règles
fiscales canadiennes, chose qui semblait plus fréquente ces derniers
temps.
Certaines applications particulières
Bien immeuble
Achat et vente
Les non-résidents ont toujours beaucoup investi sur le marché
immobilier canadien. Selon plusieurs décisions judiciaires, un nonrésident dont les activités consistent à acheter et à vendre des biens
immeubles situés au Canada y exploite une entreprise.
Dans Liquidator, Rhodesia Metals Ltd. v. Commissioner of Taxes122,
une société anglaise achetait des droits miniers (qui constituaient des
biens immeubles) en Rhodésie du Sud, les mettait en valeur et les
revendait à profit. Le contrat de vente était conclu en Angleterre, où le
paiement était reçu. Le Conseil privé a jugé qu’à l’égard de cette
opération, la société anglaise était assujettie à l’impôt sur le revenu de
la Rhodésie du Sud parce que le revenu en question provenait d’une
source située à l’intérieur du territoire.
Dans Thea Corporation c. MRN 123, une société québécoise avait
acheté et vendu une participation de 75 pour cent dans un bien
canadien. La Commission d’appel de l’impôt a estimé que cette
opération était assimilable à l’exploitation d’une entreprise et jugé que
la société tenait le rôle de représentant pour le compte d’un particulier
non résidant. Par conséquent, le tribunal a jugé que ce non-résident
exploitait une entreprise au Canada. De manière similaire, dans
Neuberger c. MRN124, il a été jugé qu’un particulier non résidant qui
achetait et vendait des biens immeubles canadiens par l’entremise d’un
représentant canadien exploitait une entreprise au Canada et devenait
donc imposable sur les gains provenant de ces opérations.
122
[1940] AC 774 (CL).
67 DTC 175 (CAI).
124 69 DTC 127 (CAI).
123
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1708
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
Dans Masri c. MRN 125, l’appelant et trois autres personnes avaient
acheté cinq fonds de terre au Québec pour finalement en revendre
quatre, réalisant ainsi un gain considérable. Le juge Heald de la
Division de première instance de la Cour fédérale a estimé que le
demandeur exploitait une entreprise au Canada en se basant sur le fait
que l’ancien alinéa 253b) LIR
est suffisamment large pour couvrir les faits de cette affaire puisque le
demandeur et ses associés avaient manifestement mis leurs biens
immeubles en vente au Canada par l’entremise de courtiers en
immobilier, qu’ils savaient que ces courtiers annonçaient la mise en vente
de ces propriétés en y installant des enseignes et qu’ils avaient versé une
commission à leurs courtiers à la conclusion des ventes en question126.
[ TRADUCTION]
Par déduction logique, le juge Heald a estimé que l’expression «quoi
que ce soit» utilisée dans l’ancien alinéa 253b) comprend les biens
immeubles.
Dans Abed c. MRN 127, Abed était l’un des trois associés mentionnés
dans l’affaire Masri 128, dont les faits ont été acceptés mutatis mutandis.
Cependant, à l’opposé de la conclusion rendue par le juge Heald dans
Masri, le juge Walsh de la Division de première instance de la Cour
fédérale a estimé qu’un terrain vacant ne peut être considéré comme
«quoi que ce soit» et que, par conséquent, la définition étendue
d’exploitation d’une entreprise formulée dans l’ancien article 253 LIR
n’était pas applicable. Le juge Walsh a néanmoins conclu qu’Abed
«exploitait une entreprise au Canada» en se fondant sur l’ancien
alinéa 2(3)b) LIR et sur le sens donné à cette expression en common law.
Dans Birmount Holdings Ltd. c. La Reine129, la société contribuable
avait été constituée en Ontario en 1960 dans le seul but d’acquérir et de
détenir des biens immeubles au Canada. La même année, cette société
avait acheté son seul et unique fonds de terre, en Ontario, et l’avait
loué comme terre agricole en contrepartie d’une somme négligeable. En
1972, elle avait vendu ce terrain aux termes d’une offre qu’elle n’avait
pas sollicitée, réalisant un gain substantiel qui avait été cotisé comme
un revenu d’entreprise. En appliquant le principe de l’intention
secondaire, le juge Sweet de la Division de première instance de la
Cour fédérale a conclu que ce bien n’avait pas été acquis comme un
investissement et que l’opération constituait un risque à caractère
commercial, décision confirmée par la Division d’appel de la Cour
125
73 DTC 5367 (CF 1 re inst.).
Ibid., à la p. 5371 (CF 1 re inst.).
127 71 DTC 131 (CAI), confirmé par 78 DTC 6007 (CF 1 re inst.) et confirmé par
(sub. nom. Abed Estate c. MRN) 82 DTC 6009 (CF Appel).
128 Supra, note 125.
129 77 DTC 5031 (CF 1 re inst.), confirmé par 78 DTC 6254 (CF Appel). Un
raisonnement similaire se dégage des jugements Abed, supra, note 127, et Loeck, infra,
note 134.
126
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1709
fédérale. Le juge suppléant Sweet a alors conclu qu’en vendant ce
terrain, la société avait exploité une entreprise au Canada en 1972 au
sens de l’alinéa 250(4)c) LIR et qu’elle avait, par conséquent, été un
résident du Canada en 1972. En fait, contrairement à la situation dans
Tara Exploration130, le demandeur n’exploitait aucune entreprise autre
que celle qui était liée aux biens meubles. En réalité, conformément au
libellé de ses lettres patentes, cette société avait pour seul objet déclaré
d’«acquérir par achat» le terrain en question. Se basant sur ces faits, le
juge Sweet a conclu ce qui suit :
À mon avis, le demandeur n’a pas tout simplement pris un risque à
caractère commercial. Il exploitait une entreprise sur le terrain et au
moyen de celui-ci. Ce faisant, il remplissait exactement la fonction
commerciale prévue aux termes du libellé de ses lettres patentes…
Les négociations entreprises par Birmount au sujet du terrain ne
faisaient pas simplement partie de l’entreprise qu’elle exploitait. Elles en
constituaient l’essence même 131. [ TRADUCTION]
En appel devant la Division d’appel de la Cour fédérale, le juge
Heald a confirmé cette décision mais en se fondant sur des arguments
différents, à savoir, que la société résidait effectivement au Canada de
façon à ce qu’il n’était pas nécessaire d’appliquer la disposition
déterminative de l’alinéa 250(4)c) et d’établir si la société était
exploitée au Canada. Sans approuver expressément la conclusion du
juge Sweet, le juge Heald l’a confirmée implicitement en déclarant que
le fait que les tribunaux aient jugé que certaines activités constituent un
risque à caractère commercial, contrairement à un investissement, ne
signifie pas pour autant que ces activités ne puissent pas être assimilées
à l’exploitation d’une entreprise132.
Dans Rutenberg c. MRN 133, un non-résident qui avait conclu
14 opérations immobilières au Québec a concédé, lors du procès, qu’il
exploitait une entreprise au Canada.
Dans Loeck c. La Reine 134, le demandeur était un non-résident qui
avait acheté quatre fonds de terre au Canada et en avait revendu deux
avec l’aide d’un résident du Canada qui agissait en son nom aux termes
d’une procuration. Le tribunal a jugé que le non-résident exploitait au
Canada une entreprise dont les activités consistaient à vendre des biens
immeubles.
Finalement, dans Fergusson135, la Cour canadienne de l’impôt a jugé
que l’acquisition et la revente d’un fonds de terre au Canada constituait
130
Infra, note 153.
Supra, note 129 aux pp. 5039-40 (CF 1 re inst.).
132 Supra, note 129, à la p. 6263 (CF Appel).
133 78 DTC 6140 (CF 1 re inst.), confirmé par 79 DTC 5394 (CF Appel).
134 78 DTC 6368 (CF 1 re inst.), confirmé par 82 DTC 6071 (CF Appel).
135 Supra, note 119.
131
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1710
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
un risque à caractère commercial, puisqu’il n’y avait aucune continuité
des activités, et affirmé que le non-résident n’«exploitait» pas une
entreprise au Canada au sens de la common law et de la définition
étendue de l’alinéa 253b) LIR. Tel qu’il est indiqué plus haut, l’ajout de
l’alinéa 253c) s’oppose maintenant à cette conclusion.
Crédit-bail
Dans quelques cas, les tribunaux ont eu à déterminer si la location ou
le crédit-bail de biens immeubles constituait l’exploitation d’une
entreprise au Canada. Par exemple, selon le jugement rendu dans D.H.
Peery Estate Inc. c. MRN136, un non-résident qui recevait un loyer en
nature (c’est-à-dire une quote-part des récoltes) d’une terre agricole
située au Canada dont il était propriétaire et qu’il louait à bail
n’exerçait aucune activité commerciale et, par conséquent, n’exploitait
aucune entreprise au Canada. Par contre, dans Rubinstein c. MRN137, il a
été jugé qu’un non-résident qui tirait un loyer de la location de
deux bâtiments situés à Montréal dont il était copropriétaire avec un
autre non-résident exploitait une entreprise au Canada. Il avait été
constaté qu’un courtier en immobilier et un comptable consacraient une
partie importante de leur temps à la gestion de ces immeubles pour les
non-résidents.
Services
Il est généralement considéré qu’une entreprise de services est exploitée
à l’endroit où les services sont rendus. En effet, Revenu Canada a
affirmé ce qui suit :
si l’entreprise d’une corporation consiste à rendre des services, cette
entreprise sera exploitée au Canada seulement dans la mesure où les
services sont rendus au Canada, et le revenu net d’entreprise devra donc
être réparti proportionnellement selon une méthode raisonnable138.
Cependant, il n’est pas toujours facile de déterminer, d’abord, si une
entreprise de services est exploitée puis, si tel est le cas, l’endroit d’où
les services sont rendus.
Personnel
Un particulier non résidant qui rend des services au Canada à titre de
professionnel ou d’artiste de la scène (un entrepreneur indépendant) et
non à titre d’employé sera réputé exploiter une entreprise au Canada et,
par conséquent, il sera assujetti à l’impôt canadien à l’égard du revenu
net qu’il tire de ces services.
136
52 DTC 202 (CAI).
62 DTC 100 (CAI).
138 Bulletin d’interprétation IT-73R4, «Déduction accordée aux petites entreprises —
Revenu provenant d’une entreprise exploitée activement, d’une entreprise de placement
désignée et d’une entreprise de prestation de services personnels», le 13 février 1989,
numéro 7.
137
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1711
Services techniques
Pour déterminer si un non-résident qui fournit des services techniques
au Canada exploite une entreprise au Canada, il faut considérer la
nature et l’étendue des services en question, c’est-à-dire établir s’ils
sont accessoires aux ventes ou s’ils constituent une activité
indépendante à but lucratif. Au Royaume-Uni, cette question a été
considérée dans l’affaire Smidth139, dans laquelle une entreprise de
fabrication danoise maintenait un bureau en Angleterre où un ingénieur
qualifié devait notamment transmettre au Danemark les exigences
techniques relatives à certaines commandes, y compris des échantillons
pour essai, et aider les acheteurs anglais à installer la machinerie et à la
mettre en marche. En outre, à la demande de l’acheteur, la société
danoise envoyait à l’occasion un autre ingénieur-superviseur de
Copenhague. La Chambre des Lords a considéré que ces services
étaient insuffisants pour juger que la société danoise exerçait des
activités commerciales au Royaume-Uni puisqu’ils remplissaient une
fonction accessoire aux activités d’achat et de vente et qu’ils ne
constituaient pas l’objet principal de l’entreprise.
La Cour suprême du Canada s’est penchée sur cette question dans
Linde Canadian Refrigerator Co. v. Saskatchewan Creamery Co.140 où
elle devait déterminer si l’appelant devait obtenir un permis extraprovincial en application de la Loi sur les sociétés étrangères141, pour
maintenir une activité dans la province. La société appelante, dont le
siège social était situé au Québec, vendait de la machinerie à des
acheteurs de la Saskatchewan. Les machines étaient commandées,
expédiées et livrées à Montréal, où les ventes étaient conclues.
Cependant, aux termes des contrats de vente, un ingénieur employé par
la société installait les machines en Saskatchewan. Le juge Idington a
estimé que cette société n’exploitait aucune entreprise en Saskatchewan
et déclaré ce qui suit :
Je ne crois pas que la simple installation de la machinerie ainsi
commandée, expédiée et livrée constitue véritablement l’exploitation
d’une entreprise en Saskatchewan. Je ne peux pas croire que cette notion
a été conçue pour s’appliquer simplement à l’installation et à la mise en
marche de machines par une société qui n’exerce aucune autre activité
s’apparentant à l’exploitation d’une entreprise142. [ TRADUCTION]
Le juge Anglin a cependant estimé que la société exploitait une
entreprise en Saskatchewan parce que,
[même si] l’installation de l’usine peut, dans le cas présent, représenter
une partie relativement négligeable de l’installation que le demandeur
s’est engagé à faire par contrat, elle constituait une partie considérable de
139
Supra, note 34.
(1915), 51 RCS 400.
141 RSS 1909, c. 73.
142 Supra, note 140, à la p. 404.
140
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
1712
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
la contrepartie qu’ils avaient consentie aux défendeurs en échange de leur
argent 143. [ TRADUCTION]
Il s’est aussi basé sur le fait que «les demandeurs avaient installé
d’autres usines dans la province144.» [ TRADUCTION] Malgré cette
constatation, le juge Anglin a permis d’interjeter appel, tout comme le
juge Idington, mais pour une raison différente. Ainsi, ni l’une ni l’autre
de ces positions ne représentait la décision majoritaire de la Cour.
Ces deux cas indiquent que, lorsque des services d’aide technique et
de supervision sont dispensés au Canada comme accessoire à la vente
de biens, les vendeurs non résidants n’exploitent probablement aucune
entreprise au Canada, puisque ces services ne suffisent probablement
pas en soi pour constituer une entreprise distincte de l’entreprise de
vente.
Cependant, la question demeure si, en installant de la machinerie ou
en apportant son aide pour la mise en marche, un non-résident «produit,
[…] crée, manufacture, fabrique, améliore, […] ou construit […] quoi
que ce soit au Canada» de manière à être réputé exploiter une
entreprise au Canada au sens que l’alinéa 253a) LIR donne à ces termes.
Il peut être soutenu qu’aucun de ces termes ne s’appliquerait à la
simple installation de machinerie mais qu’ils pourraient s’appliquer à la
création comme telle de la machinerie sous forme de produit prêt à
vendre. Le passage «qu’elle l’ait ou non exportée sans le vendre» dans
cette disposition de la Loi peut porter à partager cette interprétation
puisqu’il indique que les activités mentionnées visent directement la
création de biens destinés à la vente ou, du moins, l’amélioration de la
qualité marchande de produits existants. Par conséquent, l’installation
d’un objet déjà fini et vendu ne serait pas visé par le corps de cette
disposition. Ainsi, les services techniques accessoires à la vente ne
constitueraient pas en eux-mêmes l’exploitation d’une entreprise au
Canada aux termes de la common law ou de la Loi.
Par contre, si un non-résident ou son représentant fournissent au
Canada des services techniques qui ne sont pas liés à la vente de
marchandises mais qui constituent plutôt l’objet même d’une opération,
le non-résident sera présumé exploiter une entreprise au Canada. Il faut
établir les faits dans chaque cas pour déterminer si les services
techniques fournis au Canada sont simplement accessoires à la vente de
marchandises, auquel cas le non-résident n’exploite aucune entreprise
au Canada, ou s’ils constituent en soi une entreprise ou des activités à
but lucratif, auquel cas le non-résident exploite une entreprise au
Canada. Par exemple, si la vente d’un objet et son installation ou le
service après-vente font l’objet de contrats distincts négociés
séparément et comportent des prix séparés, il est alors possible, voire
probable, que les services techniques soient vendus comme un bien
143
144
Ibid., à la p. 406.
Ibid., à la p. 407.
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5
EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1713
indépendant et qu’ils doivent donc être assimilés à l’exploitation d’une
entreprise distincte, qui doit être située au Canada si elle y exerce ses
activités. International Harvester 145 et Randall 146, qui portaient
respectivement sur des activités de fabrication et sur l’exploitation de
concessions de produits alimentaires et de boissons, figurent au nombre
des causes dans lesquelles il a été jugé que des non-résidents qui
fournissaient au Canada des services non rattachés à une vente
exploitaient une entreprise au Canada.
Assurance
L’activité des entreprises d’assurance consiste à fournir de l’assurance.
L’assurance n’est généralement pas fournie à l’endroit où se trouve
l’objet assuré. Une entreprise d’assurance doit donc être située à
l’endroit où les contrats d’assurance sont conclus et où les paiements
sont faits.
Dans Capitol Life Insurance Company c. La Reine 147, une société
d’assurance constituée aux États-Unis avait obtenu les enregistrements
et les permis fédéraux et provinciaux nécessaires et s’était conformée
aux autres exigences gouvernementales afin d’étendre ses activités
d’assurance au Canada. Elle a toutefois décidé de ne pas donner suite à
ses projets d’expansion au Canada, même si elle avait maintenu ses
enregistrements en vigueur. Elle avait émis à des sociétés apparentées
cinq contrats d’assurances collectives couvrant la vie de résidents
canadiens. Ces contrats n’avaient pas été sollicités au Canada. Les
propositions d’assurance-vie avaient été faites aux États-Unis et les
contrats y avaient été préparés. La Division de première instance de la
Cour fédérale a jugé que cette société n’exploitait pas d’entreprise au
Canada. Le juge Addy a notamment soutenu que l’alinéa 253b) LIR ne
s’appliquait pas parce que la société n’avait «jamais sollicité ni mis en
vente de polices d’assurance au Canada par l’entremise d’un
représentant». Le ministère n’est pas parvenu à établir qu’une société
de financement apparentée n’était pas un assuré mais plutôt un
représentant de la société, auquel cas elle aurait exploité une entreprise
au Canada par l’entremise de la société de financement.
Dans London Life Insurance Company c. La Reine 148, le contribuable
était une société d’assurance-vie exploitant une entreprise au Canada.
En 1976, elle avait pris certaines mesures afin d’assurer son expansion
aux Bermudes dont la nomination d’un représentant auquel elle avait
demandé de solliciter des contrats et d’effectuer des tâches
administratives. La société avait déclaré qu’elle exploitait une
entreprise aux Bermudes cette année-là afin de bénéficier du traitement
145
Supra, note 105.
Supra, note 100.
147 84 DTC 6087 (CF 1 re inst.), confirmé par 86 DTC 6164 (CF Appel).
148 87 DTC 5312 (CF 1 re inst.), confirmé par 90 DTC 6001 (CF Appel).
146
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1714
CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
fiscal avantageux qui était alors offert. Le tribunal a jugé que la société
contribuable exploitait une entreprise aux Bermudes parce que c’était là
qu’elle avait conclu les contrats d’assurance, exercé ses activités de
vente par l’entremise d’un représentant et fait de la sollicitation auprès
des résidents des Bermudes pour qu’ils concluent des contrats
d’assurance-vie.
Communication et transport à l’échelle internationale
Les tribunaux ont généralement appliqué aux entreprises internationales
de communication et de transport les mêmes principes qu’aux ventes
internationales de biens meubles. Parmi les facteurs considérés les plus
pertinents pour la détermination de l’emplacement de ces entreprises, il
faut compter le lieu de passation du contrat de transmission ou de
transport, le lieu du paiement, le lieu de transmission ou
d’embarquement et le lieu de réception ou de débarquement.
En ce qui concerne les entreprises de communication internationale,
la common law anglaise est illustrée par Erichsen149 où il a été jugé
qu’une société danoise exploitait une entreprise en Angleterre parce que
c’était dans ce pays que les contrats de transmission étaient
habituellement conclus, que les messages étaient envoyés et reçus et
que les paiements étaient faits.
Les mêmes principes ont été appliqués dans les causes de common
law concernant l’expédition. Par exemple, dans James Wingate & Co. v.
Webber150, la Chambre des Lords a jugé qu’une société non résidante
exploitait une entreprise en Écosse parce qu’elle y avait affrété des
navires et reçu des paiements.
Valeurs mobilières
Une interprétation littérale de l’alinéa 253b) LIR porte à considérer
qu’un non-résident faisant le commerce de valeurs mobilières
canadiennes par l’entremise d’un courtier ou d’un autre représentant
exploite une entreprise au Canada. Ainsi, des investisseurs non résidants
qui souscrivent des valeurs mobilières canadiennes, y compris les
investisseurs institutionnels, pourraient être présumés exploiter une
entreprise au Canada, même s’ils ne sont pas classifiés comme
courtiers, négociants ou spéculateurs. En pratique, il semble que
Revenu Canada n’applique pas cette disposition de cette manière.
Dans Ross & Company Ltd. c. MRN 151, un courtier en valeurs
mobilières constitué aux Bahamas avait vendu certaines actions
spéculatives au Canada par l’entremise de deux courtiers canadiens en
valeurs mobilières qui exerçaient au Canada les activités suivantes au
nom de la société des Bahamas :
149
Supra, note 12.
(1897), 3 TC 569 (CL).
151 67 DTC 421 (CAI).
150
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EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1715
conserver un stock d’actions; demeurer prêts à vendre ou à acheter des
actions au moment où ils en étaient avisés; considérer les cours
acheteurs; surveiller l’évolution des prix; conclure des contrats d’achat et
de vente lorsque le prix semblait approprié; remettre des actions ou en
prendre livraison; payer des actions achetées ou percevoir le produit de la
vente d’actions152. [ TRADUCTION]
La Commission d’appel de l’impôt a jugé que les courtiers canadiens
en valeurs mobilières étaient les représentants de la société des
Bahamas parce que la faible marge bénéficiaire qu’ils réalisaient sur les
opérations s’apparentait davantage à une commission de courtage qu’à
un profit qu’ils auraient réalisé pour leur propre compte et parce qu’ils
achetaient parfois des actions à un prix inférieur au cours du marché
conformément aux directives du non-résident, ce qui indiquait qu’un
stratagème avait été mis en place pour lui transférer des profits
accumulés. Par conséquent, et principalement parce que les opérations
ont eu lieu au Canada, la Commission a jugé que cette société des
Bahamas exploitait une entreprise au Canada par l’entremise des
deux courtiers. Cette décision indique donc que l’endroit où est exécuté
l’opération sur des titres est le principal facteur dont il faut tenir
compte pour établir l’emplacement territorial d’une entreprise du
domaine des valeurs mobilières et qu’un non-résident sera considéré
exploiter une entreprise au Canada s’il vend des actions dans ce pays
par l’entremise de représentants canadiens.
Dans Tara Exploration and Development Co. Ltd. c. MRN 153, le
contribuable était une société dont l’activité principale était
l’exploration minière en Irlande. Elle réunissait des fonds au Canada
pour les besoins de cette entreprise, mais les utilisait, sur une base
intérimaire, pour acheter des actions d’une société créée pour mettre en
valeur un avoir minier irlandais adjacent au sien. La société
contribuable a par la suite vendu ces actions et réalisé un profit sur
lequel le ministère a prélevé un impôt. Le président Jackett de la Cour
de l’Échiquier a décidé que cette opération constituait un risque à
caractère commercial en se fondant sur les observations suivantes :
• la société était en mesure de savoir que les actions constituaient un
bon titre spéculatif;
• puisque la société avait emprunté des fonds pour les besoins de
son entreprise, elle pouvait uniquement avoir l’intention de détenir ces
actions pendant une courte période, et
• l’opération ne faisait pas partie de l’entreprise pour laquelle le
contribuable avait réuni le capital et qu’il exploitait véritablement.
152
Ibid., à la p. 427.
70 DTC 6370 (C. de l’É.), confirmé par 72 DTC 6288 (CSC). De plus, dans
Grainger, supra, note 11, à la p. 472, Lord Morris a déclaré que «l’expression ‹exploiter
un commerce› … [qui] n’est qu’une autre façon de dire ‹exploiter une entreprise›, …
comporte certainement l’idée qu’il … ne peut pas s’appliquer à des opérations isolées».
[TRADUCTION]
153
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CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
Le président s’est alors penché sur la question de savoir si la
définition étendue d’entreprise avait aussi pour effet d’élargir le concept
d’«exploitation d’une entreprise au Canada». Constatant que l’opération
constituait un risque à caractère commercial, le président Jackett a
conclu, non sans grande hésitation, que
l’expression «exploitée» ne peut s’appliquer au mot «risque». La notion
d’exploitation comporte une idée de continuité dans le temps ou de
continuité des activités qui se rattache au sens habituel du mot
«entreprise». Un risque est un événement isolé. On prend un risque, alors
qu’on exploite une entreprise154. [ TRADUCTION]
Il a donc jugé que l’opération ne constituait pas en soi l’exploitation
d’une entreprise puisqu’un risque à caractère commercial ne peut pas
être «exploité». La Cour suprême du Canada a abondé dans le sens de
la décision de la Cour de l’Échiquier, mais pour des raisons différentes,
c’est-à-dire que la société était exonérée de l’impôt sur le revenu
canadien en application de la convention fiscale entre le Canada et
l’Irlande.
Compte tenu du «doute considérable» avec lequel le président Jackett
est arrivé à sa conclusion à ce sujet, la décision rendue par la Cour de
l’Échiquier dans l’affaire Tara Exploration ne devrait pas faire autorité
absolue et permettre d’affirmer qu’un risque isolé à caractère
commercial ne peut constituer l’exploitation d’une entreprise155. En fait,
le président Jackett a lui-même sous-entendu que, si le risque à
caractère commercial s’était inscrit dans une entreprise autrement
exploitée par la société contribuable, il pourrait bien avoir été traité
différemment156. Le commentaire suivant rend encore plus incertaine la
conclusion formulée à ce sujet par le président Jackett :
Malgré notre très grand respect pour l’opinion exprimée par le juge
Jackett, nous ne nous sentons pas obligés de conclure que la notion
d’«exploitation» sous-entend nécessairement la continuité d’une activité.
Le mot «exploiter» (carry on) peut être pris en son sens habituel et
désigner uniquement le fait qu’une opération a été effectuée ou menée à
terme. Cette interprétation semble plus conforme à l’esprit général de la
Loi qui, après tout, inclut expressément les opérations isolées dans la
notion d’«entreprise». En l’absence d’une raison impérative à l’effet
contraire, nous parvenons à un résultat plus satisfaisant en interprétant le
mot «exploiter» dans son sens ordinaire plutôt qu’en le restreignant de la
manière suggérée dans l’affaire Tara. À cet égard, nous nous rallions
donc à l’opinion exprimée par le juge Sweet [dans Birmount] 157.
[ TRADUCTION]
154
Tara Exploration, supra, note 153, à la p. 6376 (C. de l’É.).
Voir le commentaire de Gweneth McGregor sur cette décision dans «Too Many
Ifs», Around the Courts (1971), vol. 19, n o 1 Revue fiscale canadienne 19-23.
156 Tara Exploration, supra, note 153, à la p. 6374 (C. de l’É.).
157 T.E. McDonnell, «Residence of Corporations — Isolated Transactions Held To Be
Carrying on Business in Canada», Current Cases (1977), vol. 25, n o 2 Revue fiscale
canadienne 127-31, à la p. 129.
155
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EXPLOITER UNE ENTREPRISE AU CANADA
1717
Prêts d’argent
Dans Pullman c. La Reine158, la Division de première instance de la
Cour fédérale a dû déterminer dans quelles circonstances il peut être
considéré qu’un prêteur d’argent exploite une entreprise au Canada. En
l’espèce, un non-résident avait participé, à titre de prêteur d’argent, à
presque 300 opérations internationales de prêt au Canada par
l’entremise d’un courtier en prêts canadien. Le courtier canadien offrait
au non-résident de participer à des prêts au Canada et à l’étranger, et le
non-résident était libre d’accepter ou de rejeter chacune de ces offres.
Le non-résident conservait un compte bancaire au Canada aux fins des
opérations de prêt et il avait donné une procuration au courtier canadien
pour qu’il effectue ces opérations dans le compte. Le non-résident ne
sollicitait jamais lui-même les prêts et n’avait aucun bureau au Canada.
La Cour a jugé que le non-résident exploitait effectivement une
entreprise de financement, mais non au Canada. En fait, le juge Dubé a
estimé que le non-résident n’achetait ni ne vendait activement quoi que
ce soit au Canada et qu’il n’accomplissait aucun acte au Canada. Il
participait simplement à du financement provisoire à partir de
l’étranger, par l’entremise d’un courtier canadien. Qui plus est, même si
le courtier canadien disposait d’une procuration pour effectuer des
opérations de prêt, il n’était pas le représentant du demandeur au sens
de la Loi. Le juge Dubé a résumé comme suit son argumentation :
Les décisions administratives de base, soit l’acceptation ou le rejet
d’occasions de financement, étaient prises à l’étranger. Les seuls
éléments canadiens de l’opération, à savoir le compte bancaire, la
procuration et la tenue des livres, étaient accessoires et ne visaient qu’à
faciliter les opérations. L’octroi de fonds à des Canadiens (ou à des
Américains, des Portoricains et des Anglais) ne constitue pas en soi
l’exercice d’une activité au Canada, que ces opérations soient
nombreuses ou non, complètes ou caractérisées autrement. Ce type
d’opérations fait l’objet de la partie XIII de la Loi et est assujettie à une
retenue d’impôt …
À mon avis, on ne peut dire que le demandeur sollicitait des
commandes ou mettait quoi que ce soit en vente au Canada par
l’entremise d’un représentant ou autrement. Le demandeur ne sollicitait
aucune commande au Canada et n’avait pas à le faire. Il demeurait en
Suisse, où il était sollicité par un courtier qui lui offrait de participer à
des activités de financement. En outre, on ne peut dire que des prêts
peuvent être mis en vente 159. [ TRADUCTION]
Placements
Le simple fait de conserver des placements dans un territoire ne
constitue pas l’exploitation d’une entreprise à cet endroit si le nonrésident ne gère pas activement l’actif qu’il conserve sur ce territoire.
158
159
83 DTC 5080 (CF 1 re inst.).
Ibid., à la p. 5084.
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CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE
Résumé
Compte tenu de l’analyse précédente de la jurisprudence de la common
law et des dispositions de l’article 253 LIR, il peut être conclu que
chacune des activités suivantes constituerait presque certainement
l’exploitation d’une entreprise au Canada par un non-résident :
• la production ou la fabrication au Canada de quoi que ce soit pour
vente éventuelle ou pour tout usage à but lucratif;
• la sollicitation de commandes ou la mise en vente de quoi que ce
soit au Canada par l’entremise d’un représentant ou d’un employé, que
le contrat ou l’opération soit ou non exécuté au Canada;
• la disposition de biens (autres que des immobilisations) qui sont
des biens immeubles ou des avoirs forestiers canadiens;
• la conclusion ou l’exécution courante de contrats au Canada ou la
passation de contrats au Canada pour le compte du non-résident,
particulièrement en parallèle avec la livraison ou le paiement de
marchandises au Canada;
• le maintien d’un stock de marchandises au Canada dans lequel le
non-résident conserve un titre de propriété entièrement acquis et qui
sert à l’exécution de commandes aux termes de contrats, soit
directement, soit par l’entremise d’un représentant;
• la prestation de services au Canada.
Il peut également être conclu que l’exercice de certains types
d’activités commerciales en relation avec le Canada ne constitue pas
l’«exploitation d’une entreprise au Canada», selon la common law ou
l’article 253 LIR. Voici des exemples de ces activités :
• la prestation de services après-vente, tels que des conseils aux
clients ou des services d’installation suivant la vente de marchandises
au Canada, activités qui ne constituent pas comme tel une entreprise
distincte;
• l’achat de marchandises au Canada et leur exportation à l’étranger
sous la même forme, c’est-à-dire sans traitement, raffinement ni
fabrication. Cette activité ne peut être considérée comme exploitation
d’une entreprise au Canada, même si les marchandises changent de
propriétaires avant d’être exportées aux termes de dispositions prises à
l’étranger;
• l’achat et la propriété de biens au Canada comme placement passif
et la réalisation d’un revenu provenant de ces biens sous forme
d’intérêt, de dividendes, de loyers ou de redevances.
Le concept d’«exploitation d’une entreprise au Canada», qui est
fondamental à l’établissement d’une charge fiscale canadienne aux
termes de la Loi et des conventions fiscales du Canada, demeure une
question de fait. Son sens varie donc en fonction du type d’industrie et
d’activité. Par conséquent, ce terme devrait être défini de manière plus
précise dans la Loi, peut-être par l’ajout de modifications
supplémentaires à l’article 253.
(1995), Vol. 43, No. 5 / no 5

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