Tonie Marshall au plus près de Catherine Deneuve
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Tonie Marshall au plus près de Catherine Deneuve
Tonie Marshall au plus près de Catherine Deneuve Thierry Jobin Le succès de Venus Beauté (Institut), son public, ses Césars, ont incité l'actrice et réalisatrice Tonie Marshall à partir sur d'autres voies, d'autres défis. Dans Au plus près du Paradis, elle a confronté sa caméra à l'Amérique et à l'âge d'or du cinéma hollywoodien, citant, comme Nuits blanches à Seattle il y a peu, le chef-d'œuvre romantique de Leo McCarey Elle et lui (An Affair to remember) réalisé par Leo McCarey en 1957. Et puis, surtout, Tonie Marshall a écrit et réalisé un écrin pour Catherine Deneuve qui trouve là l'un de ses rôles les plus émouvants, en prise avec son âge, au péril de son image glacée. Fille de Micheline Presle auprès de qui elle a connu l'assurance et les névroses des grandes comédiennes, la cinéaste revient sur la question qui a initié et généré son film comme une force centripète: comment diriger Catherine Deneuve aujourd'hui? «Tout à commencé, se souvient-elle, quand j'ai lu un entretien où elle disait: «Le cinéma, le cinéma, c'est admirable, mais, au fond, moi je suis d'abord une amoureuse.» Ce n'est pas une phrase révolutionnaire, mais elle m'a fait comprendre que je n'avais pas besoin d'une histoire, plutôt d'un sentiment. J'ai donc eu l'idée, pour Catherine, d'un personnage qui évolue au gré d'un sentiment amoureux. Avec une narration plus libre et impressionniste, comme un jeu de vrai-faux, de rébus.» Catherine charnelle «Catherine venait de faire Place Vendôme avec Nicole Garcia (1998) où elle jouait une alcoolique. Chez Philippe Garrel (Le Vent de la nuit, 1999), elle avait accepté un personnage presque suicidaire. Ma seule possibilité, c'était d'aller au plus près de ce qu'elle est aujourd'hui. Je sais qu'il y aura des critiques sur le fait qu'elle est un peu ronde, qu'elle n'est plus aussi «ceci ou cela». Personnellement, je trouve ça extrêmement beau et troublant. J'ai donc essayé d'inverser la donne: la voilà comme quelqu'un de très épicurien, qui mange, qui boit. Plus question de la filmer de loin comme un objet inaccessible. Juste elle, très charnelle, très réelle.» Catherine sans conditions «Catherine sait jouer, bien sûr, avec son image. Mais, bizarrement, j'ai été frappée par le fait qu'elle n'est absolument pas narcissique. Au point même que si elle mange et tache son costume, elle ne le remarque pas. Elle est vivante, pressée de vivre et la voir s'agiter peut être très épuisant. Elle n'est pas du tout cette personne qu'on pourrait croire distante: Catherine est très épicurienne et sait donc forcément qu'elle joue avec ce corps-là. Si elle vivait avec l'obsession de son image, elle ferait très attention à ne pas prendre un kilo.» Catherine en douce «Nous avions joué ensemble dans L'Evénement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune (Jacques Demy, 1973). Mais c'était il y a longtemps et j'avais à peine 20 ans: nous nous étions croisées. Puis nous nous sommes revues en 1995. Elle avait dû voir l'un de mes films (Pentimento en 1989 ou Pas très Catholique en 1994) et, par le biais d'une amie commune, elle m'avait proposé de dîner. Mais je n'avais rien à lui proposer. Sèche. Rien. On s'est contactées une fois par an. Jusqu'à ce scénario. Beaucoup d'actrices, découvrant qu'elles seront quasiment dans chaque plan du film, s'enthousiasment immodérément. Catherine, elle, a plutôt eu un peu peur. Elle me disait: «On va trop me voir!».» Catherine maternelle «Au lendemain du 11 septembre, l'acteur William Hurt, qui est Américain, a craqué sur le plateau. Nous tournions au Canada et il s'est retrouvé dans la loge de Catherine. Elle l'a écouté trois heures, l'a consolé. Elle voit très juste, souvent. Ce qui n'empêche pas certains affrontements. Par exemple, ce n'est pas une acharnée des vingt-quatre prises: si on peut faire ça en deux prises, Catherine est contente. Elle ne cherche pas à refaire encore et encore le même plan. Elle dit souvent: «C'était bien, non?» Elle est très immédiate parce qu'elle a un instinct. Mais Au plus près du Paradis n'a pas été facile pour elle: mon film est très impressionniste, ce qui peut être déconcertant pour quelqu'un de très concret, de très terrien.» Catherine force centripète «Sur un plateau, tout tourne autour d'elle. Mais je crois que la personne qui en souffre le plus, c'est, justement, elle. Elle disait: «Encore moi? Encore moi?» Alors que je connais des actrices qui vendraient leur peau pour passer le plus souvent devant la caméra. Catherine est singulière. Elle est même assez unique. En se voyant dans le film, elle m'a parfois dit: «Oh la la! Je suis trop grosse!» Je trouve sublime, pour une femme qui a été si représentative de la beauté parfaite, d'arriver à donner quelque chose de séduisant dans des modalités complètement différentes. Je pense que ce qu'on a appelé son côté «glacé» est en réalité un terrain caché. Elle a réussi, en trente ou quarante ans de carrière, à garder un univers secret, sans lequel on s'engouffre tous, metteurs en scène ou spectateurs, avec la même curiosité.»