Interview de Jean-Pierre Poly

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Interview de Jean-Pierre Poly
DOSSIER : ONCFS
Interview de Jean-Pierre Poly
Ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts
Directeur général de l’Office National
de la Chasse et de la faune Sauvage
ancien élève de l'ecole Normale Supérieure Ulm (1971), de l'iNa-Pg (1972) et de l'eNgref (1976), Jean-Pierre Poly a démarré
sa carrière à la DDaf de la Mayenne puis successivement :
• Chef de service à la DDaf de Corse du Sud, • Directeur général adjoint des services à la région Corse,
• adjoint à la représentation permanente auprès de la faO à rome, • Directeur de la Daf de guadeloupe,
• Directeur de l'agence de l'eau adour-garonne, • Directeur général de l'ONCfS depuis 2003.
Comment a évolué l’Office National de la Chasse et de la
Faune Sauvage ces dernières années et quelles
perspectives s’offrent à lui ?
L’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCfS)
est un établissement public créé il y a une quarantaine d’années
par le monde de la chasse dont il s’est éloigné au fil des
transformations qu’il a connues.
L’année 98 consacre la rupture avec les fédérations
départementales de chasseurs auxquelles sont retirées les
prérogatives qu’elles exerçaient sur les agents publics en charge
de la police de la chasse, devenus depuis les agents techniques
et techniciens de l’environnement, fonctionnaires mis à
disposition de l’Office par le ministère chargé de l’écologie.
Longtemps financé par le seul produit des redevances
cynégétiques acquittées par les chasseurs qui valident, chaque
année, leur permis de chasser, l’Office s’est vu confier
progressivement par les Pouvoirs publics des missions d’intérêt
général et patrimonial sans intérêt direct ou évident pour le
monde de la chasse, alors même que, dans les années 90, la
place faite aux responsables cynégétiques au conseil
d’administration de l’établissement se trouvait mesurée.
Ce divorce consommé a conduit la fédération nationale des
chasseurs, forte de son lobbying, au début des années 2000, à
plaider pour le démembrement de l’établissement public en
suggérant la mise à disposition de la gendarmerie nationale des
agents, de loin les plus nombreux, en charge de missions de
police à l’ONCfS.
Dans la lettre de mission qui m’a été adressée en 2003, le
ministre en charge alors de la chasse m’a demandé de restaurer
des relations sereines et équilibrées entre l’établissement public
et le monde de la chasse.
La loi sur le développement des
territoires ruraux de 2005 a pris les
dispositions confiant de nouveau aux
représentants des chasseurs une
majorité d’influence, si ce n’est de
décision, au sein du conseil
d’administration de l’établissement
tandis que, dans le même temps,
comptabilité analytique faisant foi,
l’etat prenait ses dispositions, au
demeurant nécessaires compte tenu de
l’effritement ininterrompu du nombre
des chasseurs et du plafonnement
du taux des redevances cynégétiques, pour participer
progressivement au financement de son établissement public.
avec une participation financière de plus de 30 millions d’euros en
2010 pour un budget de l’ordre de 112 millions d’euros, l’etat, en
fait le ministère chargé de l’écologie, couvre désormais le coût des
missions d’intérêt général qu’il confie à son établissement sans
grandes relations avec les préoccupations du monde de la chasse.
Ces mesures (reconfiguration du conseil d’administration de
l’Office installant peu ou prou à sa gouvernance les représentants
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des chasseurs et participation croissante de l’Etat au budget de
l’Office) ont créé les conditions favorables à la négociation à
l’amiable des contentieux entre l’Office et les fédérations
départementales de chasseurs, hérités de querelles du passé, qui
hypothéquaient grandement l’avenir de l’établissement public
(plus de 35 millions d’euros à la charge de l’Office en
application des ordonnances rendues en dernière instance).
Dans le même temps, cette nouvelle posture de l’Office, chargé
de la mise en œuvre d’une politique publique aussi sensible que
la sauvegarde de la biodiversité, mais dont le monde de la
chasse pèse sur la gouvernance, a pu troubler l’analyse faite de
l’établissement par les associations de protection de
l’environnement, en jetant le doute sur l’indépendance et la
qualité de son expertise. Sans doute faut-il voir là, par exemple,
les raisons de l’échec de l’Observatoire national de la faune
sauvage et de ses habitats, instance créée en application de la
loi du 26 juillet 2000 n° 2000-698 relative à la chasse, dont le
secrétariat était confié à l’Office, et censée organiser le débat
scientifique en amont des décisions devant être prises par le
ministre en matière de gestion de la faune sauvage et de ses
habitats.
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Depuis lors, le Grenelle de l’environnement et les tables rondes
sur la chasse organisées régulièrement sous la présidence de
Jérôme Bignon, président du groupe chasse de l’Assemblée
nationale et réunissant des représentants des chasseurs, des
acteurs du monde rural et des protecteurs de la nature, ont
largement contribué à décrisper les débats et à apaiser les
esprits, facilitant pour l’Office le développement d’un
partenariat important et diversifié avec la sphère publique de
l’environnement (ONF, Conservatoire du littoral,
ONEMA,…), avec les milieux scientifiques (CNRS, INRA,
CEMAGREF, universités… ), avec les milieux associatifs
(RNF, CRPN, LPO…), avec les milieux socio-économiques
(APCA, FNSEA… ) et l’engageant sur un nouveau contrat
d’objectifs plus stratégique bénéficiant du soutien unanime de
son conseil d’administration et répondant à la commande des
Pouvoirs publics.
Convenons que ce contrat d’objectifs très stratégique ne
manque pas d’ambition en assignant à l’Office de contribuer à
la sauvegarde de la biodiversité, au développement des
connaissances sur la faune sauvage et ses habitats, à faire
progresser la chasse selon les principes du développement
durable, à contribuer à l’aménagement et au développement des
territoires ruraux comme à participer à la modernisation du
service public de l’environnement. Pour la mise en œuvre de ce
contrat, cet établissement public peut se flatter d’avoir obtenu
la garantie du maintien de ses effectifs, comme c’est le cas
depuis quelques années déjà.
Vous parlez beaucoup du ministère chargé de l’écologie,
mais l’Office n’est-il pas aussi placé sous la tutelle du
ministère chargé de l’agriculture ?
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L’Office dont la tutelle a été longtemps assurée par le seul
ministère chargé de l’écologie est aujourd’hui placé sous la
cotutelle du ministère de l’Alimentation, de l’agriculture et de
la pêche. Sans doute, doit-il largement l’avènement de cette
cotutelle aux démarches politiques du monde de la chasse,
soucieux d’échapper au seul contrôle des services du ministère
chargé de l’écologie, réputés peu favorables aux activités
cynégétiques. La Fédération nationale des chasseurs a su faire
valoir, non sans habileté, que la pratique de la chasse s’exerce
sur les territoires ruraux, agricoles et forestiers placés sous
l’administration des services du ministère de l’Alimentation, de
l’agriculture et de la pêche, beaucoup plus que sur les territoires
aux valeurs patrimoniales exceptionnelles dont la protection est
placée sous la responsabilité du ministère chargé de l’écologie.
Pour autant, j’observe que la
cotutelle du ministère de
l’Alimentation, de l’agriculture et
de la pêche s’exerce de façon plus
discrète exonérant jusqu’alors ce
ministère de participer ainsi au
financement de l’établissement
public à la mesure des missions
qu’il lui confie (participation au
développement de pratiques
agricoles
favorables
à
la
biodiversité des territoires ruraux,
consolidation avec les organisations
professionnelles agricoles, élaboration et promotion d’outils de
gestion de l’équilibre agro-sylvo-cynégétique, mise en place
d’un réseau de veille sanitaire sur la faune sauvage, création
d’un observatoire socio-économique de la filière chasse et
faune sauvage…).
Par ailleurs, l’importance des missions de surveillance des
territoires ruraux et de police de l’environnement, de la nature
et de la chasse en particulier, comme les premières décisions
prises en application de la Révision générale des politiques
publiques (RGPP), visant à renforcer l’efficacité de cette police
dans la sphère de l’environnement, ont conduit à mettre en
perspectives une éventuelle cotutelle de l’Office par le
ministère de l’Intérieur.
Comment se met en œuvre la révision générale des
politiques publiques appliquée à l’Office et comment,
selon vous, ce processus de modernisation du service
public de l’environnement peut-il se poursuivre ?
Par décision du 4 avril 2008, le CMPP a prescrit le
rapprochement des services départementaux de l’ONCFS et de
l’ONEMA afin de mettre en œuvre, sous l’autorité du préfet ou
de son représentant (DDEA, DDT), une police de la nature et
de l’eau plus cohérente et plus efficace.
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Cette décision de principe a été bien accueillie par la
communauté de travail de l’ONCFS car elle invite à travailler
ensemble pour la mise en œuvre de plans de contrôle communs,
à la mesure des enjeux départementaux, des agents appartenant
aux mêmes corps du ministère chargé de l’écologie travaillant
dans des établissements qui ont une certaine habitude de
coopération (ONCFS et CSP), auxquels sont ainsi offertes de
nouvelles perspectives professionnelles.
Dans tous les départements ont été élaborés de la sorte, courant
2009, des plans de contrôle engageant les services déconcentrés
de l’Etat investis d’une mission de police, ainsi que les services
départementaux de l’ONEMA et de l’ONCFS, à coopérer à leur
réalisation sans préjudice de la mise en œuvre des actions
techniques dévolues à ces derniers, en application du contrat
d’objectifs propre à chaque établissement.
En vue d’une généralisation de ces dispositions, une
expérimentation est en cours dans 13 départements conduisant
à la mise en place d’un service départemental mixte/ unique
pour les deux établissements.
Sont ainsi notamment analysées les conditions d’exercice de
l’autorité hiérarchique et l’animation opérationnelle des
différentes activités par les échelons régionaux et centraux des
deux établissements comme la situation des agents de terrain
afin que, d’un office à l’autre, les conditions de travail et les
statuts soient comparables dans un souci d’équité.
Force est de constater les différences de culture dans chaque
établissement à l’égard des missions de police plus développées
à l’ONCFS qu’elles ne le sont à l’ONEMA, notamment en
matière de police judiciaire.
Par ailleurs, si la politique de l’eau est familière aux services de
l’Etat engagés dans cette restructuration, il n’en est pas de
même de la politique de la biodiversité née de préoccupations
sociétales comme d’engagements internationaux ou nationaux
plus récents. Ceci pourrait augurer d’un certain déséquilibre
dans l’appréciation des enjeux environnementaux d’une police
de l’eau et de la nature circonstanciée, ce que toutefois
l’expérimentation en cours ne confirme pas à ce stade.
Pour l’avenir, il semble que les perspectives de rapprochements
des deux établissements publics ne tardent pas à rencontrer
leurs limites, l’ONEMA semblant, et cela se comprend, mieux
aspiré par ses convergences avec les agences de l’eau par
exemple.
Peut-être peut-on concevoir, et cette hypothèse a été avancée par la
direction de l’ONCFS auprès de la Direction générale de
l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), de
persévérer au-delà de l’échelon départemental dans la consolidation
d’une police de l’eau et de la nature en instaurant une direction de
la police commune aux deux établissements publics ?
Ainsi pourrait se constituer, à terme, un corps de police de
l’environnement placé sous l’autorité du ministre compétent et
se dessiner deux pôles scientifiques et techniques. L’un
consacré à l’eau et l’autre à la biodiversité, arrimés à l’ensemble
des autres services et établissements qui leur sont dédiés, mais
cela est une autre histoire…
Sur le terrain avec le Directeur technique de l’ONF au Donon
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En quelques mots, quelle perception avez-vous de votre
fonction à la direction de l’ONCFS ?
Comme souvent dans un établissement public, le directeur
général doit s’efforcer de concilier les instructions plus ou
moins masquées qu’il reçoit de sa ou de ses administrations
de tutelle et les aspirations de son conseil d’administration
dont il est chargé de mettre en œuvre la politique.
Chacun comprendra que, compte tenu du poids exercé par le
monde de la chasse au sein du conseil d’administration de
l’Office, il n’est pas toujours commode d’être comptable
d’une politique publique équilibrée et bien comprise de tous.
C’est à la direction de l’Office qu’il incombe de tenir le cap
et d’apporter, avec conviction, les explications nécessaires.
Le développement d’un partenariat abondant et diversifié,
comme c’est le cas depuis plusieurs années, est de nature à
contribuer à cet équilibre, comme à donner les gages
d’indépendance qui s’imposent à un établissement public.
La réconciliation du monde de la chasse avec l’établissement
dont il a suscité la création permet aujourd’hui, plus sereinement,
de délimiter le champ des compétences et des prérogatives de
l’établissement avec celui des structures fédérales et associatives.
On glisse ainsi progressivement du terrain de la concurrence vers
celui de la complémentarité et de la synergie.
Bien évidemment l’érosion du monde de la chasse,
concomitante avec l’émergence d’aspirations sociales plus
exigeantes et d’obligations réglementaires plus strictes, va
poser à court terme des questions sur l’évolution du statut de
l’Office, sur son identité, sur ses missions… C’est à la
direction de l’Office qu’il convient de faire des suggestions à
ses autorités de tutelle ainsi qu’à ses instances afin
d’anticiper les réformes nécessaires.
Pour l’aboutissement d’une politique qui veut que désormais
le responsable d’un service public soit jugé sur ses résultats,
en application, bien entendu, de ses lettres de mission et de
son contrat d’objectifs, comme dans la limite du budget et du
plafond d’emplois alloué à l’établissement, il revient
désormais au ministère de l’ecologie, de l’énergie, du
développement durable et de la mer (MeeDDM), en bonne
logique, de déléguer à la direction de l’établissement, la
gestion de proximité des agents qu’il emploie, l’organisation
des services, le pilotage de la politique de recrutement...
C’est à la direction de l’établissement qu’il incombe
d’emporter l’adhésion de sa communauté de travail et de ses
autorités de tutelle pour qu’il en soit ainsi.
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En Rhône-Alpes, retour sur une journée bien remplie
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