Un couloir pour la vie Juliette LATCHIMY Lycée Marie Curie, Vire (14)

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Un couloir pour la vie Juliette LATCHIMY Lycée Marie Curie, Vire (14)
Un couloir pour la vie
Juliette LATCHIMY
Lycée Marie Curie, Vire (14)
Je vais vous parler d’un enfant.
Cet enfant s’appelle George. Il s’appelle également Kasongo, Kazem,
mais aussi Frederick, Curtis, Christopher. Cet enfant s’appelle comme vous.
Comme moi.
C’est auprès des siens que cet enfant fait ses premiers pas maladroits,
qu’il balbutie ses premiers mots. Pour dire vrai, c’est auprès des siens qu’il
savoure innocemment la vie qu’on lui a donné.
Cet enfant grandit, et peu à peu, il ôte le masque invisible mais si
magnifique de l’innocence de la vie. Qu'il puisse être Texan, Iranien ou
Congolais, cet enfant essaie de se rapprocher au plus près de la vie ! Et c’est
ainsi qu’il apprend à vivre, tout simplement.
Cet enfant est devenu grand, et malheureusement depuis le 27 Avril
dernier il peut aussi être Maldivien. Celui qui à seulement 21 ans s’appelle
désormais Humaam.
Je me fais ici l’avocate de cet enfant.
Rajjeyge Jumhuriyya, plus connu sous le nom de République des
Maldives, est un Archipel voisin de L’Inde et du Sri Lanka. Mais derrière le
décor idyllique destiné aux touristes Européens, se cache en coulisses l’un des
régimes les plus autoritaires au monde.
En effet, ce 27 Avril 2014, le Président Abdulla Yameen a annoncé le
retour de la peine capitale au sein du pays ; ce même pays qui a pourtant ratifié,
tout juste dix ans auparavant, la Convention contre la Torture ! Est-il utile de
vous faire remarquer que cette nouvelle réglementation est en total désaccord
avec cette Convention ?
Cependant, le gouvernement Maldivien ne s’est pas limité à la fin du
moratoire. Puisque désormais, l’âge de responsabilité pénale aux Maldives est
fixé à 10 ans ! Mais cette république Islamique en phase de radicalisation
précise aussi que dans le cas d’infractions dites « Hadd », cet âge est abaissé à 7
ans !
Oui, Mesdames et Messieurs, condamné à mourir aux aurores de sa vie. Et que
dire des infractions passibles de mort ? « Aux Maldives, on peut être condamné
pour n’importe quoi » rapporte un habitant. Car si l’homicide est passible de
cette terrible sentence, le vol l’est également ! Les relations sexuelles hors
mariage ! L’apostasie ! La consommation d’alcool ! Est-ce à dire que tous ces
jeunes enfants ne sont que « Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! » comme le
dit ironiquement Jacques Prévert ?
Et pourtant cet Archipel qui est considéré par des millions de touristes
comme idyllique, dit « reconnaître que tout enfant a un droit inhérent à la vie »,
car lié à la Convention Relative aux Droits de l’enfant et donc à cet article six.
Néanmoins, afin « d’assurer dans toute la mesure du possible la survie et
le développement de l’enfant » - toujours stipulé dans ce sixième article - les
Maldives ont précisé qu’un enfant condamné ne sera exécuté qu’à sa majorité.
A défaut d’un couloir d’école, on lui offre un couloir de mort.
Mais le gouvernement Maldivien a probablement oublié le premier
paragraphe de l’article 37 de cette Convention qui exprime clairement que « ni
une peine capitale, ni l’emprisonnement à vie ne doivent être prononcés pour
des infractions commises avant l’âge de 18 ans ». Et oublié aussi l’article 6 du
Pacte International relatif aux droits civils et politiques, qui rappelle ce droit.
Pour tenter de justifier cette nouvelle mesure, le président des Maldives a
déclaré avec fermeté que « le meurtre doit être puni par le meurtre ». Ce que
confirme le Ministre de l’Intérieur, Umar Nasser, en ajoutant que le recours à cet
« assassinat administratif » est devenu nécessaire afin de lutter contre
« l’environnement criminel dynamique » 1aux Maldives.
Je m’adresse à vous, représentants du Gouvernement des Maldives.
Je ne désire plus maquiller sous des formules adoucissantes cette
vengeance barbare, encore pratiquée dans notre monde qui se dit civilisé et que
l’on nomme plus couramment « peine de mort ».
Mais aux Maldives, cette nouvelle réglementation, n’est malheureusement
qu’une des représentations de l’état de délabrement des libertés.
Car, en 1953, après son indépendance face à l’Empire Britannique, c’est
un pays à l’abandon qui a été la proie de Maumoom Abdul Gayoom. D’une
main de fer M. Abdul Gayoom a dirigé le pays entre 1978 et 2008. Assoiffé de
pouvoir, cet homme a conduit les populations locales à vivre en plein cauchemar
d’Orwell ; pensée unique, censure, surveillance omniprésente, autorités
violentes. De quoi nous remémorer les heures sombres de notre Histoire
Européenne… Et après un bref répit démocratique de 2008 à 2012, le pays
retombe dans un régime autoritaire avec Abdulla Yameen Abdul Gayoom, qui
n’est autre que le demi-frère de l’ex-dictateur.
Alors, malgré ce que vous osez revendiquer M. Naseer je vous affirme
que la peine de mort ne rétablit ni la paix, ni la sécurité ! Au contraire, elle
éveille les instincts sadiques de sa population. Elle détruit en chaque homme, en
chaque femme, en chaque enfant sa raison et sa qualité humaine.
Je vous réponds également que cette sanction est perverse, d’autant plus
que vous n’exécutez le mineur condamné qu’à sa majorité ! Une souffrance
insoutenable que vous tentez de justifier comme équitable mais qui n’est autre
qu’un anéantissement psychologique ajouté à une mort physique ! Ô partisans
de la peine de mort, comment pouvez-vous penser que cette peine soit équitable,
et ce quelque soit l’âge du condamné ?
Je n’innocente pas ce condamné. Mais qui peut dire qu’Albert
Camus s’égare en affirmant que : « Pour qu’il y ait équivalence, il faudrait que
le peine de mort châtiât un criminel qui aurait averti sa victime de l’époque où
on lui donnerait une mort horrible et qui, à partir de cet instant, l’aurait séquestré
à merci pendant des mois » ? Seul un Etat, s'octroie ce droit.
Enfin, vous affirmez, M. Nasser, que ce serait un développement de la
criminalité qui vous aurez contraint de réinstaurer cet hominide légal. Mais
aucune preuve statistique ne permet de l’attester.
En fait, les Maldiviens survivent, noyés dans la misère. Car si on offre aux
touristes le luxe d'un hôtel cinq étoiles, c’est au détriment de la réelle souffrance
des populations locales. Une majorité de Maldiviens, vit entassée dans des
logements exigus à Malé, l’une des capitales les plus peuplées au monde. Et
dont de la drogue frelatée à bas coût, forme le seul échappatoire pour la jeunesse
Maldivienne.
Un univers trop étanche pour une jeunesse débordante de vie.
Les Maldives forment alors un couloir de vie en sursis.
Car le Gouvernement Maldivien ne porte pas secours à cette population en
perdition ! N’est-ce pas là la représentation d’un pays en autodestruction, tel le
dieu grec Cronos dévorant ses propres enfants ?
Des tyrans qui stérilisent la vie.
C'est pourquoi je m’adresse à vous, membres du gouvernement des
Maldives. C’est pourquoi je m’adresse aux jurys Texans, qui en 1944, ont
condamné à mort George Stinney. C’est pourquoi je m’adresse aussi à la Cour
d’Ordre Militaire Congolaise, au Gouvernement Iranien ainsi qu’aux nombreux
jurys Américains qui ont décidé de la mort de Kasongo, de Kazem mais aussi de
Frederick, Curtis, Christopher. En réalité, c’est pourquoi je m’adresse à tous
ceux qui aiment la peine de mort pour « sa bonté, pour sa beauté, pour sa
grâce », comme l’a si bien ironisé Victor Hugo
La peine de mort n’est qu’un leurre ! Robert Badinter l’a résumé dans son
célèbre discours : « C’est une question qui se pose en terme politique et en terme
moral » !
Alors offrez à vos populations un couloir qui les mène vers un foyer !
Offrez-leur un couloir qui mène à une salle de soins ! Offrez-leur un couloir qui
les mène à une salle de classe !
Offrez-leur simplement un couloir qui les mène vers la vie.
Je vous remercie.