Initiation en thermodynamique

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Initiation en thermodynamique
Initiation en thermodynamique
L'origine de mon propos est,[...], la problématique de l'initiation des étudiants à la thermodynamique.
Personnellement, j'en ai pas mal souffert.
Je vous propose un survol de la genèse du noeud conceptuel de cette discipline, l'entropie.
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CARNOT et la communauté des physiciens français en général, croyait en une analogie entre une chute
d'eau alimentant un moulin hydraulique et la chute spontanée de la chaleur d'un milieu chaud vers un milieu
froid alimentant les machines à vapeur.
Soyons plus précis.
Le moulin : L'eau tombe d'un bassin haut vers un bassin froid. De cette chute on tire du travail. Si
l'installation était parfaite, une masse d'eau m tombant de l'altitude h' à l'altitude h libère un travail
W = m g (h' - h).
On considère ce travail comme la différence entre le travail que fournirait une chute hypothétique de
l'altitude h' à l'altitude zéro (le niveau de la mer)
Wmax = m g h'
et le travail récupérable à partir de l'altitude basse
Wmin = m g h.
Le rendement théorique maximal du moulin est donc
(Wmax - Wmin)/Wmax = (h' - h) / h'.
Pour CARNOT la "chute" de la chaleur (conçue comme un fluide qui ne se perd ni ne se crée) d'un lieu de
température haute T' à un lieu de température basse T donne pour une machine parfaite
W = q k (T' - T).
Ici est introduit la "constante de Carnot" k qui joue le rôle de l'accélération des chutes libres g.
Pour CARNOT encore, il doit exister l'équivalent du niveau de la mer, une température nulle en-dessous de
laquelle la chaleur ne peut pas aller.
On en déduit le célèbre théorème du rendement maximal des machines thermiques
(Wmax - Wmin)/Wmax = (T' - T) / T'.
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Ici commence un extraordinaire épisode de l'histoire de la physique.
Tout d'abord, l'expérimentation multiple et laborieuse des ingénieurs industriels a permi de démontrer que
l'existence de la température "niveau de la mer" n'est pas fausse. En degré centigrades, la température
"niveau de la mer" est - x (avec x>0), donc une température t en degrés centigrades devient en degrés absolus
T = t + x. Le rendement maximal d'une machine thermique est
(Wmax - Wmin)/Wmax = (t' - t) / (t' + x).
Mais on ne pouvait accéder à aucune des valeurs Wmax, Wmin et x. Alors on a fixé arbitrairement x et
comparé les rendements des machines de l'essai de t' à x, et des essais de t à x et de t à t'. On n'a constaté
aucune contradiction entre la théorie et les résultats (aux incertitudes des mesures près, cela va de soi).
Le théorème de Carnot a donc été admis.
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Mais une contradiction inattendue survint. La théorie de Carnot repose sur la conservation de la quantité de
chaleur dans sa chute de température. La quantité de chaleur perdue par le lieu chaud doit être égale à la
quantité de chaleur acquise par le lieu froid, ce que contredit dans une
large mesure l'expérimentation.
Pire : la quantité de chaleur évanouie entre les lieux chaud et froid est fonction croissante du travail récupéré
par la machine. La philosophie de l'école française de la physique a donc été remise en question.
Seconde contradiction : un frottement entre deux corps dégage de la chaleur tant que le frottement dure
(Davy et Rhumford). Si la chaleur est un fluide qui ne se perd ni ne se crée, alors le frottement aurait fini par
se faire sans dégagement de chaleur.
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En concurrence avec la théorie du fluide calorique français, et bien avant les travaux de Joule, était la théorie
anglo-saxonne de la chaleur égale à la somme des énergies cinétiques des composants ultimes (atomes ou
molécules) composant les corps. Dans cette théorie, un échange de chaleur entre deux corps résulte des
collisions désordonnées des composants ultimes à la frontière entre les deux corps, collisions qui occasionne
la dispersion de l'énergie cinétique entre les deux corps. Quand l'échange est terminé, les deux températures
sont égales et l'énergie et équitablement répartie (aux aléas locaux près) entre tous les composants ultimes,
quelle que soit leur nature. C'est l'origine conceptuelle de la future loi de Dulong et Petit.
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Il a fallu se rendre à l'évidence : la loi du rendement maximal de Carnot est admise, mais son fondement
théorique est entièrement à revoir.
La nouvelle explication du rendement maximal de Carnot est due à Clausius. Sans prétendre raconter
comment il s'y est pris, en voici le principe.
Soient un corps froid C et un corps chaud C' dont la réunion n'échange pas d'énergie avec l'extérieur
(ensemble de corps isolé). La température absolue de C est T', celle de C est T. L'expérience démontre que la
chaleur s'écoule toujours de C' vers C, c'est à dire que le processus est irréversible. Comme C et C' réunis
forment un tout isolé, on a, si dq et dq' désignent algébriquement la variation de la quantité de chaleur
contenue dans C et C' respectivement
dq + dq' = 0.
Des hypothèses dq + dq' = 0 et T' > T, par la seule logique mathématique, on démontre facilement que la
quantité dq/T + dq'/T' est toujours positive.
D'où la considération de cette quantité comme la variation d'une certaine grandeur physique S, qui est
toujours croissante quand le système étudié est isolé. On l'a nommée entropie (d'un mot grec qui veut dire
"retour").
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Joule a démontré (laborieusement, mais avec ténacité) que tout travail de frottement se convertit en chaleur
selon la loi
J dq = dW.
La constante J ne dépendant que des unités. C'est le célèbre 4,18 joule/calorie.
La transformation inverse a aussi lieu, mais à les choses se compliquent : la conversion de la chaleur issue
d'un corps chaud se partage toujours en chaleur reçue par le corps froid et le travail. Plus précisément, les
expérimentations des chercheurs de l'industrie ont démontré que la loi de Clausius
dS = dq/T + dq'/T' > 0
reste valable dans le cas de quatre corps : le froid C, le chaud C', la machine M et un quatrième corps K qui
reçoit le travail venant de la machine, la réunion des quatre étant isolée. La machine M reçoit de la part de C'
autant d'énergie qu'elle en donne à C et à K : c'est ce qu'on appelle un cycle thermodynamique.
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Les changements de forme d'énergie ne sont pas les seuls phénomènes irréversibles qu'un système isolé peut
manifester. On connaît par exemple l'invasion par un gaz de tout l'espace qui se présente devant lui (la
détente de Joule et Thomson) et les mélanges de fluides cités par Jacques Trener, les réactions chimiques,
etc.
D'où la nécessité de redéfinir la variation de l'entropie en se fondant sur autre chose que la chaleur ou le
travail.
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La détente et les mélanges ont suggéré la bonne idée : l'entropie d'un système est une fonction
croissante du désordre mécanique des constituants ultimes (atomes, molécules, électrons, etc) de la matière.
Cette nouvelle théorie de l'entropie est due à Boltzmann et Maxwell. Mais l'augmentation du désordre
implique que les constituants ultimes finissent toujours par occuper tout l'espace qui se présente librement à
elles. Si on repère l'espace par des axes orthonormés, on peut dire qu'une coordonnée x d'un constituant
ultime "gigote" entre deux positions extrêmes distantes de X. On considère la multiplication de tous les X de
tous les constituants ultimes, qu'on va écrire PiX : il est clair que PiX augmente très vite quand l'espace
occupé par les constituants ultimes augmente, donc c'est un bon candidat pour la définition de l'entropie.
Mais le PiX de la réunion de deux corps est la multiplication des PiX de chacun d'eux alors que l'entropie de
la réunion est la somme des entropies individuelles, d'où l'idée de définir l'entropie comme le logarithme de
PiX, à une constante multiplicatrice k près (la constante de Boltzmann) dont la valeur ne dépend que des
unités.
Mais il ne faut pas oublier les conversion d'énergie. Donner de la chaleur à un corps soit augmente sa
température, soit change son état (fusion, vaporisation, désaimantation, etc). Autant dire que l'énergie
cinétique des constituants ultimes augmente, ce qui éloigne les limites supérieure m v et inférieure - m v des
coordonnées des quantités de mouvement, limites séparées de m V (avec V = 2 v).
On a eu alors l'idée d'ajouter à l'entropie un terme k ln Pi(mV) analogue au k ln PiX précédent. On retient en
fin de compte
S = k ln [PiX Pi(m V)].
Soit v# le volume occupé par une partie ultime d'un corps qui en contient N. Alors v# = X3 donc PiX vaut
X^(3 N) = v#^N. Si ce corps est un gaz parfait, alors v# est son volume V# :
PiX = V#^N.
Si, par dilatation on double le volume du gaz alors V double et PiX est multiplié par 2^N.
Si la dilatation de fait à pression constante alors l'entropie varie de k N ln2.
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La loi des gaz parfaits P V = R T reste applicable du moment qu'on chauffe doucement un gaz, ce qui permet
d'assimiler la chaleur fournie et le travail de dilatation (V# est un volume) :
dq = P dV# = R dT.
La variation de l'entropie est définie par
dq / T = R dT / T = R d ln T.
Si on double T alors la variation de S est le cumul des
dq / T = R(ln T final - ln T initial) = R(ln 2 T - ln T) = R ln 2.
La comparaison des deux expressions de la variation de l'entropie donne k = R / N.
Ici, N est le nombre d'Avogadro 6,02 x 1023 et R est la constante des gaz parfaits R = 8,32 J/m/K. Le calcul
donne k = 1,38 x 10-23 J/K.
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Dans un prochain message : la genèse conceptuelle des potentiels thermodynamiques ...
Cordialement, Denis Chadebec