De l`urgence sociale vers l`insertion
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De l`urgence sociale vers l`insertion
Alain Mucchielli, Médecin de Santé Publique et Médecine Sociale Stéphane Akoka, Sociologue - SAMU Social de Nice Mutualité Française Alpes-Maritimes 7 avenue Gustave V 06000 Nice De l’urgence sociale vers l’insertion La lecture de l’Atlas Social de la région PACA a révélé aux intervenants du SAMU Social (Service d'Aide Mobile d'Urgence Sociale) de Nice que le public en grande précarité échappait aux analyses lors de l’approche des aspects territoriaux de la pauvreté et de la précarité. En effet, la construction des bases de données à partir d’éléments issus d’organismes sociaux publics ou privés élimine de facto toute personne non enregistrée par les dispositifs de droit commun. Si les résultats de l’Observatoire laissent apparaître des travailleurs pauvres ou des salariés précaires, il existe aussi en région PACA une population très marginalisée qui constitue néanmoins une partie du corps social. Au-delà d’un simple observatoire de rue qu’il serait opportun de développer, nous souhaitons démontrer que les trajectoires de vie des personnes, globalement regroupées sous le terme « SDF », sont en fait multiformes. L’analyse de ces populations révèle un ensemble composite pour lequel le travail de rue ne peut être stéréotypé mais au contraire bien adapté à chacune des spécificités rencontrées. -1- 1. Présentation de la démarche En 1997, la Mutualité Française Alpes Maritimes a créé, sur le territoire de Nice, une Equipe Mobile d’Urgence Sociale qui a pris le nom de Samu Social en avril 2000. Cette équipe a développé une pratique d’accompagnement des personnes Sans Domicile Fixe « SDF » dans un objectif de « lien social » : retrouver des droits sociaux et s’engager dans une démarche de soins. Dans ce cadre cette équipe fonctionne essentiellement de jour, pendant les heures ouvrables des structures partenariales. Le travail du Samu Social, auprès des personnes en situation d’extrême précarité, se situe en amont du processus d’insertion : il permet une écoute sans dramatisation, sans volontarisme. Il ne s’agit pas d’une démarche contractuelle. La proximité recherchée est avant tout relationnelle. 2. Proposition de construction d’une typologie opératoire des personnes SDF Notre expérience de la rue a révélé que le profil du « SDF » a bien évolué depuis la première description du « clochard » 1. Certaines caractéristiques, qui parfois se cumulent, permettent à l’équipe de repérer les personnes « sans-domicile » : ¾ Une action de mendicité ¾ Une présence assise prolongée, avec des sacs à proximité ¾ Un aspect physique dégradé ¾ Un comportement d’errance Malgré ces critères, il reste parfois difficile de déterminer si la personne est réellement sans domicile fixe sans une première approche. En cas de doute, un passage le lendemain au même endroit permet de confirmer ou d’infirmer une première impression : en effet, une présence continue en un même lieu est souvent caractéristique des personnes sans-abri. En 2005, le Samu Social de la Mutualité Française a rencontré, à Nice, 719 personnes différentes (79,6 % d’hommes pour 20,4 % de femmes) parmi lesquelles 225 ont fait l’objet d’un suivi régulier. Leur âge moyen est de 47 ans avec un minimum à 17 et un maximum à 89 ans. 1 A. VEXLIARD : Le Clochard, Paris.1956 -2- Leurs principales caractéristiques sont résumées dans les tableaux suivants : F ig u re 1 : P ro p o rtio n d u p u b lic d é jà su ivi e n 2005 (n b = 225) Fig u r e 2 : te m p s p a s s s é à la r u e lo r s d e la r e n c o n tr e a ve c l'é q u ip e e n 2 0 0 5 (n b = 2 2 5 ) 30% 2 6 ,5 % 25% 7 ,6 % 1 9 ,5 % 20% 6 ,7 % 6 ,7 % 15% - d e 1 m o is 1 à 6 m o is 6 m o is à 1 a n 1 à 2 ans 2 à 5ans + de 5 ans n o n re p é ré 4 0 ,3 % 1 2 ,2 % 9 ,2 % 10% 8 ,9 % 8 ,8 % 5% 2 ,9 % 1 3 ,8 % 0% 1 6 ,0 % E n 2004 E n 2003 E n 2002 E n 2001 E n 2000 E n 1999 Figure 4 : Type d'habitat (nb=225) F ig u r e 3 : R e s s o u r c e s (n b = 2 2 5 ) 60,0% a u tr e s 13% R e tr a ite 7% 59,1% 50,0% Aucune 25% 40,0% 30,0% AAH 25% 7,1% 20,0% 9,3% 5,8% 3,6% 10,0% RMI 27% A s s e d ic 3% 8,0% 7,1% 0,0% t blé ent enc e S qua l m eu ogem r d'urg Hôte rgé L Foye H ébe Rue Figure 5 : Environne m e nt de galè re (nb =225) s N on repé ré Figure 6 : zone géographique où se trouvaient les personnes en 2004 (nb=225) 2% 8% 60,0% Autre 50,2% Département AlpesMaritimes 2% 50,0% France 40,0% 15% Union Européenne 24,4% 30,0% 16,9% 20,0% Hors Union Européenne 5,3% 10,0% 3,2% 73% 0,0% Isolé Couple Binôme Groupe Figure 7 : Couverture sociale de bas e Non repéré Figure 8 : couverture sociale complémentaire (nb=225) ( nb =2 2 5) 45,8% Non repéré 29,3% Sans couv. compl. 24,0% 9,3% Sans couv. sociale 100% AME 9,8% 5,3% Mutuelle 56,0% R.G. ou CMU base 0% Non repéré Non repéré 10% 20% 30% 40% 50% 6,2% CMU compl. 60% 0% 14,2% 5% 10% 15% Figure 9 : problèmes de santé (nb=203) 53,8% 56,9% 60% 50% 35,1% 40% 29,3% 30% 16,9% 20% 10% 0% Hygiène Dentaire Alcool Usage à problèm es -3- Troubles Psychologiques Ortho-traum ato 20% 25% 30% 35% 40% 45% 50% En se basant sur l’expérience et le travail de terrain de l’équipe du Samu Social, l’analyse des différentes situations réunies sous le terme « SDF » nous a conduit à repérer 3 critères de définition de cette catégorie dite « SDF » qui prennent en compte les droits et ressources financières de la personne, son rapport au corps et sa capacité à se projeter dans l’avenir. ¾ En ce qui concerne les droits et ressources financières, il s’agit de déterminer ce à quoi la personne peut prétendre. ¾ En ce qui concerne le rapport au corps, il va s’agir d’évaluer la capacité de la personne à entendre les signaux d’alerte que produit le corps : cette « non-écoute du corps » peut aller jusqu’à induire des états d’incurie avancée où toute prise en charge sanitaire ne se fait plus que dans l’urgence médicochirurgicale. Il faut noter à ce point que l’équipe ne peut avoir une démarche volontariste vis à vis d’une personne qui refuse de se soigner. ¾ Le troisième critère, la capacité à se projeter dans le futur, ici encore, variera d'un individu à l'autre : développée chez certains afin de donner un sens à ce qu’ils sont en train de vivre, elle sera inexistante chez d’autres. Cette incapacité à projeter interdit alors tout message de prévention et toute tentative de la part de l’équipe de travailler avec la personne sur la gestion d’un capital santé. Ces 3 critères permettent de construire 6 typologies opératoires permettant d’élaborer la notion de trajectoire de vie en fonction des profils de précarisation : selon le groupe de personne « SDF », le travail d’accompagnement, et donc les moyens alloués, seront différents.2 Tableau 1 : Typologie de « SDF » Jeunes errants de - de 25 ans Travailleurs Famille Adultes « en galère » pauvres (a minima (anciens jeunes errants, (peu vus en « Clochards » usagers de « drogues de journée car 1 adulte + rue » (médicaments, alcool) sur lieu de 1 enfant) travail) Etrangers sans papiers Droits et ressources financières de la personne - + + + +/- - Rapport au corps + +/- - + + + Capacité à se projeter dans le futur + +/- - + + + 2 Il est important de noter qu’il existe une catégorie transversale par rapport à celles décrites précédemment : il s’agit de personnes SDF présentant une pathologie psychiatrique et faisant des « allerretour » entre l’hôpital psychiatrique et la rue ou en rupture de suivi psychiatrique. Cette catégorie est prise en charge de façon spécifique par rapport à toutes les autres catégories présentées et ne sera pas développée dans cette publication. En effet, avec les personnes de ce dernier groupe, le travail de l’équipe porte en priorité sur le lien avec les services de psychiatrie et particulièrement avec les travailleurs sociaux hospitaliers qui profiteront de la durée des hospitalisations pour rechercher des solutions adaptées à cette population (curatelle, appartement thérapeutique…). -4- A partir de cette typologie, l’équipe a cherché à élaborer une grille de lecture pour adapter son type de suivi : les solutions, les besoins et les moyens ne seront pas les mêmes en fonction des 6 catégories. Pour certains le suivi s’inscrira nécessairement dans la durée et pour d’autres il sera plus limité : prise en charge au premier niveau de l’urgence sociale ou soutien dans des situations de sortie d’urgence avec un véritable accompagnement vers l’insertion. Le premier niveau de l’urgence sociale se caractérise essentiellement par la satisfaction des besoins primaires (lutte contre l’hypothermie, soutien psychologique, aide alimentaires.). Il s’agit du travail le plus médiatisé des SAMU Sociaux. A cette étape la consommation de soins de la personne SDF s’effectue en général dans l’urgence médicale parfois même suite à une détresse vitale. Tableau 2 : Critère : accès aux ressources. La catégorie « clochard » est sous-représentée parmi les personnes sans ressources. Type de ressources Profil de la personne Clochard Aucune ressource Ressources Total 21,5 % (14) 78,5 % (51) 100 % (65) Autres profils 36,1 % (39) 63,9 % (69) 100 % (108) TOTAL 30,6 % (53) 69,4 % (120) 100 % (173) La dépendance est significative. chi2 = 4,06, ddl = 1, 1-p = 95,60%. Les cases encadrées en bleu (rose) sont celles pour lesquelles l'effectif réel est nettement supérieur (inférieur) à l'effectif théorique. Le chi2 est calculé sur le tableau des citations (effectifs marginaux égaux à la somme des effectifs lignes/colonnes). Odd-ratio : 0,49 % de variance expliquée (V de Cramer) : 1,80% Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 173 citations. Comme le montre le tableau précédent, l’accès aux ressources n’induit pas mécaniquement un retour vers l’insertion puisque la catégorie « clochards » est sur représentée parmi les profils de publics ayant des ressources et vivant dans la rue. Pour ces personnes dont le rapport au corps et la capacité à se projeter dans l’avenir sont gravement perturbés – les « clochards » - un préalable à la sortie de l’urgence sociale sera avant tout une nécessaire reconstruction de la personne. Cette reconstruction prendra d’autant plus de temps que la phase de désocialisation aura été longue. Ce « syndrome du plongeur » nécessite une « remontée par paliers » d’autant plus nécessaire et lente que tout échec ou toute précipitation induiront une mise en danger de la personne. -5- Au second niveau, la sortie de l’urgence sociale, il s’agit d’amener les personnes vers l’insertion, c’est à dire a minima de leur donner les moyens de se remettre en action. L’équipe doit alors s’adapter au temps de la personne en cassant le cycle des échecs pour mettre en place une pédagogie de la réussite. En ce qui concerne la santé, il s’agit à cette étape, de passer de la consommation des soins d’urgence à la gestion d’un capital santé : retrouver des droits permet aussi de se repositionner par rapport à son corps. Le rôle de l’intervenant sera davantage axé sur un soutien ciblé pour accompagner les personnes au seuil de la réinsertion par un travail dont les objectifs sont définis en fonction des priorités de chaque personne : restauration des liens familiaux, travail sur l’image de soi (vestiaire, dentaire …), bilan médical de la sécurité sociale, aide à l’obtention de pièce d’identité… En conclusion, l’accompagnement des personnes « SDF » de l’urgence sociale vers l’insertion doit s’effectuer en respectant le rythme propre de chacun. Il s’agit là d’une réflexion basée sur une approche dynamique des processus d’insertion utilisant plusieurs déterminants issus des trajectoires de vie individuelles. De plus, ce travail nous permet aussi d’inciter les pouvoirs publics à travailler en amont sur les processus de précarisation chez certaines catégories de personnes encore socialisées afin d’éviter un « syndrome de glissement » vers les catégories dites SDF décrites ci-dessus. L’étude des trajectoires de vie chez des salariés précaires, des travailleurs ou de retraités pauvres et leur éventuel accompagnement avant toute marginalisation serait un moyen important pour éviter l’aggravation de leur histoire de vie. Plus qu’en « nombre de SDF » il reste utile de réfléchir sur les déterminants de la précarisation et sur les effets aux marges de notre système y compris de notre système d’observation de la société. La réflexion sur les déterminants de la précarité devra se compléter d’une définition des indicateurs de vulnérabilité sociale. • -6-