char guerre algérie

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char guerre algérie
RENCONTRES AVEC RENE CHAR
Août 1960 discussion avec Jean Pénard
«…»
« Le ton se hausse à propos de la guerre d’Algérie. René Char est d’une
extrême sévérité pour les journalistes et écrivains qui ne pèsent pas le
poids de leurs propos. Il cite nommément Francis Jeanson et surtout
Sartre, dont le silence et l’inactivité entre 1940 et 1944 ne pourront
échapper à sa petite histoire.
Il n’est pas tendre, non plus, pour Le Monde. Il oppose leur frivolité au
sérieux de la Résistance (du moins celle qu’il a connue), où la moindre
imprudence entrainait la mort et des morts. Il évoque ce maquisard de
Provence, issu d’une humble famille, et qu’on avait chargé d’abattre un
dangereux milicien. Il le retrouve dans une petite ville. Il attend qu’il soit
seul, pour être sûr qu’il soit seul exécuté. Le milicien entre dans le
cinéma. Il en ressort en tenant sa femme devant lui. Le maquisard ne tire
pas, mais le milicien, protégé dans ces conditions hideuses, n’hésite pas
et l’abat à bout portant.
« Voilà, dit René Char, un bel exemple de responsabilité. Trop de nos
intellectuels s’abritent sans risque derrière la liberté de conscience et
d’expression. Il serait plus honorable pour eux – comme d’autres l’ont fait
– de rejoindre le FNL, et de s’exposer physiquement. Pendant ce temps,
nos jeunes soldats en Algérie, qui sont de pauvres innocents, meurent
par procuration de la main de ceux qui connaissent l’existence de tels
boucliers. Je refuse, quant à moi, de signer tout manifeste, qu’il soit d’un
bord ou de l’autre. Dans les cas concrets, cependant, j’interviens selon
ma conscience. La fille de Georges Bataille a été arrêtée comme facteur
de fonds pour le FNL. J’ai fais ce que j’avais à faire et elle a été élargie.
Mais en aucun cas je n’écrirai, ne parlerai et n’agirai dans l’abstrait. La
grande tentation des intellectuels, depuis Rousseau, c’est l’extrémisme.
C’est ce qu’ils appellent « aller jusqu’au bout des idées ». Je suis
viscéralement contre cela, qui mène droit au crime. Il ne faut prononcer,
ni à plus forte raison proférer aucun mot qui puisse entrainer des morts
sans justification. Je répète que la légèreté de certains, dans ce
domaine, est et sera inadmissible. Je n’aime pas les porteurs de valises,
réelles et surtout cérébrales. »
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