Un grand danseur d`afro-cubain à Santiago - Fabrice Hatem`s

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Un grand danseur d`afro-cubain à Santiago - Fabrice Hatem`s
Un grand danseur d'afro-cubain à Santiago : Jesus Larosa Perez
Santiago de Cuba, Vendredi 22 juillet 2011 Âgé de 28 ans, issu d'une famille de forte tradition artistique, Jesus Larosa
Perez a été pendant plusieurs années premier danseur soliste du Conjunto Folklorico de Oriente (CFO), l'un des trois
compagnies de danse folklorique les plus prestigieuses de Santiago, avec les groupes Cutumba et Kokoye. Il est à ce titre
l'un des danseurs les plus en vue de la jeune génération des interprètes de Rumba, d'Afro-cubain et d'Afro-Haïtien à
Santiago de Cuba. Dans les très belles chorégraphies du CFO, il se détache par le caractère à la fois très énergique et
félin de sa danse. J'ai pu le rencontrer par l'intermédiaire de Fabien Figueres, qui répète actuellement avec plusieurs
compagnies professionnelles de Santiago. Fabien est également l'auteur des vidéo dont sont tirées les photos de
danse de cet article (photo ci dessous : Rumba dansée par Jesus). Une famille d'artisteJe m'appelle Jesus Larosa
Perez. J'ai deux surnom artistiques : Jesusito et Chango - celui sous lequel je suis le plus connu. En effet, le personnage
de Chango est l'Orisha qui m'a donné le plus de popularité, de force dans le monde du folklore. Dans ma famille, tout le
monde était artiste. Ma mère et ma tante étaient danseuses, ce sont elles qui m'ont formé. L'époux de ma tante était
également danseur à la compagnie Cutumba. Mon père, Jesus Larosa Maturel, était percussionniste c'est lui qui m'a
donné les premiers cours dans cette discipline. Mon grand-père maternel, Wiliberto Perez Bonnet, était un aficionado
de danses populaires : Danzon, Danzonette, Son, Cha Cha Cha. Mon grand-père paternel, Julio Grinon « El rompe
coco », mort il y a deux ans, était chanteur de Columbia et de Yambu. Dès l'âge de 6 ans, je dansais, mais c'était plutôt de
la danse populaire : Cha Cha Cha, Mambo, Son, Mozambique, danses populaires d'Amérique latine. J'ai fait mes
premiers pas de danse dans les escaliers d'un immeuble du district José Marti[1]. Puis j'ai commencé à danser le folklore
vers l'âge de 8 ans. Mon premier professeur a été ma mère Darys Perez Prades, surnommée La Mora, qui était aussi
première danseuse du groupe Cutumba. La seconde a été ma tante, Silva Vilma Peres Prades. J‘ai eu ensuite d'autres
professeurs, mais ces deux-là sont celles qui ont eu le plus de force pour moi (deux photos ci-dessous, danse de Palo par
le CFO avec Jesus en soliste).Je suis ensuite rentré dans le groupe aficionado (amateur) Corazon Nino, qui a ensuite
porté plusieurs autres noms : Adiro Omadi, puis Syntesis, puis Mi Okan Olofi. C'est là que je me suis vraiment formé.
Cela a été une de mes meilleures expériences : nous avons gagné des concours au niveau national puis international
(festival Wemilere de Guanabacoa)... Le directeur du groupe Cotumba, Papo Sanchez, m'avait repéré dès l'âge de 14
ans, mais j'étais alors trop jeune pour rentrer dans la compagnie. Vers l'âge de 19 ou 20 ans, la directrice du CFO, Milagro
Ramirez, qui m'avait vu danser dans la maison de ma tante, m'a fait rentrer au CFO. Une formation empiriqueMa
formation de danse est empirique. Je ne suis allé dans aucune école. Mais j'ai beaucoup étudié, et, comme je te l'ai
dit, je viens d'une famille d'artistes. J'ai fait beaucoup de recherches personnelles sur la culture et les danse afrocubaine : je suis allé à la Havane pour mieux connaître la culture Yoruba, à Matanzas pour enrichir mes connaissances sur
les cultes Arara et le Carabali. Beaucoup de danseurs académiques n'ont pas fait de recherches personnelles comme je
l'ai fait (deux photos ci-dessous, danse de Columbia par le CFO, avec Jesus en soliste). J'ai ensuite passé les examens
d'accréditation pour accéder aux grades de danseurs qualifiés et de professeur. Et je suis aujourd'hui au sommet de
cette hiérarchie qui en comporte sept : je suis premier danseur soliste et maître de première catégorie. Ces
reconnaissances permettent, entre autre d'obtenir de meilleurs salaires. Par exemple la salaire d'un premier danseur
soliste (catégorie la plus élevée des professionnels, ndrl) est trois fois plus élevé que celui d'un danseur non évalué
(catégorie la plus basse). Mais, pendant longtemps, j'ai été payé comme danseur de 3ème niveau alors que j'étais déjà
officiellement reconnu comme danseur de premier niveau. En plus d'être premier danseur et premier maître au CFO, je
suis percussionniste, chanteur et chorégraphe.Un répertoire très large, incluant l'Afro-HaïtienAu sein du CFO, nous
dansons un répertoire très large : afro-cubain, Rumba, bien sur, mais aussi afro-franco-haitien avec la tumba francesa, le
Gaga et le Petro.Ces danses folkloriques, notamment les danses haïtiennes, d'origine africaine, comme la Vaudou, se
dansent de manière plus crue, forte quand elles sont interprétées à l'occasion d'un rite religieux, mais de manière plus
suave dans leur version artistique (deux photos ci-dessous, danse de Gaga par le CFO. avec Jesus et son frere Alexis
en duo de solistes).La Tumba francesa a deux aspects. D'une part, ce nom désigne des associations d'entraide et de
loisir des africo-descendants d'origine haïtienne, avec leur hiérarchie qui reflète un peu celle des cabildos, les nations
africaines, avec leurs rois, leurs reines, leur princes, etc. Mais le terme désigne également un ensemble de danses.
Certaines d'entre elles sont d'inspiration très nettement africaine, comme la Yusa et le Frente. D'autres, comme le
Mason, sont un mélange de danses de société françaises, comme le menuet, et de rythmes africains : les esclaves
imitaient la manière de danser de leur maîtres. Il y a plein d'autres danses moins connues, comme par exemple le Guiro
qui est né à Villa Clara...Danse et possessionJ'ai moi-même interprété tous les styles : le Vaudou, la Conga, la
Rumba. Mais j'ai toujours voulu interpréter le personnage de Chango. Je suis d'ailleurs fils de cet Orisha dans la religion.
Pendant que j'étais au CFO, j'ai été le seul à tenir ce rôle. Il y a beaucoup de bons danseurs d'Orishas à La Havane, mais
quand j'ai interprété Chango au Théâtre Mella, il y 6 ans, j'ai eu beaucoup de succès. C'est l'un de mes meilleurs
souvenirs.Il m'est arrivé à plusieurs reprises dans la religion de me faire chevaucher par Chango (Ndlr : entrer en transe).
Cela s'est aussi produit, de manière moins violente, sur la scène. L'entrée en transes est quelque chose de très
différent dans la religion des esprits et dans celle des Orishas. Dans le premier cas, le coup est immédiat, très fort. On
ne peut plus respirer. L'esprit du Mort te pénètre, prend possession de ton corps, mais tu restes conscient. Tu es chez
les Morts, mais tu vois ce qui se passe autour de toi.Dans les Orishas, cela vient de manière plus progressive. On
ressent une chaleur intense, on a l'impression d'enfler, de grandir démesurément, on a la sentiment d'être très
puissant, très fort, de pouvoir faire des choses que l'on ne fait pas habituellement. Ta tête se met à trembler. Tu as du
mal à respirer. Le Saint s'approche alors de toi, rentre dans ton espace. Puis tu perds connaissance lorsque le saint te
chevauche, et l'Orisha fait ce qu'il veut de ton corps. Sur scène, il n'est arrivé d'expérimenter aussi cette sensation. Elle
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n'était pas aussi puissante, mais j'ai quand même descendu les étages des coulisses où je me trouvais de demi-étage
en demi-étages, au point que depuis ce jour on m'appelle « Chango ascenseur ». (deux photos ci-dessus : danse de
Rumba par le CFO, avec Jesus en soliste).Des mythes à la chorégraphieJ'ai également une expérience de
chorégraphe. La chorégraphie dont je suis le plus fier est celle des solos d'Oggun, au théâtre Heredia de Santiago, il y a
deux ans, en présence des meilleurs chorégraphes de Cuba, qui avaient été invités pour le 50ème anniversaire de la
compagnie. Il y a beaucoup de chorégraphies impliquant Chango, Oggun et Ochun. Contrairement à ce que l'on croît, la
première guerre entre Chango et Oggun n'est pas lié à une histoire de femmes. Tu connais les différents Patakin sur les
rivalités entre Oggun et Chango. Dans l'un, Chango hait Oggun, car il a commis l'inceste avec leur mère Yemaya. Dans
un autre, c'est Oggun qui hait Chango parce que celui-ci lui a pris sa femme Oya. Et puis, bien sur, il y a la rivalité entre
les deux mâles pour Ochun, qui est la maîtresse des deux, mais préfère visiblement Chango à Oggun. C'est en fait Elegba,
le Dieu facétieux du Destin, qui a provoqué la première guerre entre Chango et Oggun. Jusque là, les deux étaient bons
amis. Mais Elegba a une face rouge et une face noire. Un jour il est passé entre les deux Orishas. Chango a dit : Elegba
a la figure rouge. Et Oggun a dit : non, il a la figure noire ! Aucun ne voulait en démordre, alors ils ont fini par se disputer
et par se battre. Et sais-tu pourquoi Ochun porte une couronne dorée ? En fait, elle convoitait la couronne rouge de
Chango, son amant. Alors, pour la lui prendre, elle l'a invité un jour à se baigner nu, avec elle, dans la rivière. Chango
s'est déshabillé, il a rejoint Ochun et ils se sont baigné ensemble. Pendant ce temps, Ochun a envoyé son ami le
vautour pour voler la couronne de Chango. Mais il celui-ci s'était parfaitement rendu compte de la manigance d'Ochun.
Alors, il lui a dit : « tu peux prendre ma couronne et même lui donner la couleur qui te plaît. Mais ma vraie couronne, ce
n'est pas un simple objet, elle vient de ma majesté divine ». Et, par magie, il fit apparaître une nouvelle couronne rouge
dont il se revêtit, tandis que celle qu'il avait laissé Ochun lui voler prenait la couleur jaune et dorée, la préférée de la
déesse. Les projets actuelsLa vie des artistes ici est difficile, et la reconnaissance économique de notre travail est très
limitée. Les questions de survie matérielle sont si obsédantes qu'elles parasitent la création artistique. Je souhaite
développer des projets personnels avec une bonne efficacité. Je prépare en tant que chanteur un CD intitulé « Rumba
de Hoy ». Propos recueillis par Fabrice Hatem Pour une vidéo plus récente sur les activités de Jésus depuis 2012,
cliquez sur : Jesus[1] Quartier populaire de la périphérie nord de Santiago de Cuba.
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