Métropolis Fritz Lang

Transcription

Métropolis Fritz Lang
janvier
2004
Fritz Lang
Une métaphore
de la condition humaine
Fiche d’analyse de film
Brigitte HELM
Théodor LOOS
Alfred ABEL
Fritz RASP
Rudolph KLEIN-ROGGE
Fritz ALBERTI
Gustav FRËHLICH
Métropolis
Allemagne ���1927 ���Noir et blanc ���1h57 (version actuelle) ���Muet
Scenario
Photographie
Musique
Production
Théa Von HARBOU d’après sa nouvelle
Karl FREUND, Günther RITTAU
Gottfried HUPPERTZ
Universum Film A.G. (UFA)
117
L’histoire
L’histoire
Métropolis, la cité de l’avenir en 2026 est une
gigantesque mégalopole à deux niveaux. Dans la
ville basse, des nuées d’ouvriers s’activent sur des
machines au niveau souterrain, sombre dédale de
tunnels, de monte-charge et d’ascenseurs.
Dans la ville haute, vivent les maîtres de
Métropolis. Cette élite de riches privilégiés
s’adonne à la pratique sportive et se prélasse dans
de merveilleux jardins suspendus.
Un jour, Freder, le fils du maître despotique de
la cité, Joh Fredersen, aperçoit une jeune fille en
haillons, Maria, montrant à un groupe d’enfants ce
que sont ces jardins. Fasciné par cette apparition,
il se lance à sa recherche au fond de la ville
souterraine et là, découvre un monde inconnu.
Suite à une explosion dans la chaufferie centrale,
Freder a une vision : l’usine ne serait qu’un Moloch
dévorant les hommes. Des ouvriers sont tués.
Freder demande des explications à son père sur
le sort des ouvriers mais Fredersen, qui vient de
découvrir que certaines victimes dissimulaient des
plans d’insurrection, n’a que faire des questions
de son fils. Il congédie son bras droit, Josaphat,
incapable d’avoir pu glaner des renseignements
sur la rébellion. Freder suit Josaphat et l’empêche
de mettre fin à ses jours.
travailleurs et leur raconte la légende de Babel.
Elle leur annonce qu’ils ne souffriront pas toujours
et a soudain la vision d’un médiateur qui viendrait,
s’interposerait entre le cerveau qui conçoit et la
main qui agit, et leur apporterait la paix.
Son regard se pose sur Freder qui se trouve
parmi les ouvriers, elle voit en lui ce médiateur. Ils
se donnent rendez-vous à la cathédrale. Fredersen
demande à Rotwang de donner à son robot les
traits de Maria tenue prisonnière. Mystifié par
le robot, Freder sombre dans un délire fiévreux
visité par la mort.
Déterminé à connaître la vie de ces êtres
asservis par l’atroce pouvoir de son père, il
retourne à l’usine et là, prend la place d’un ouvrier
attaché à une machine horloge. Freder réalise le
calvaire d’une journée de travail.
Durant la nuit, Fredersen va chez Rotwang,
savant à demi-fou qui vit à l’écart dans une maison
ancienne. Autrefois, Fredersen avait enlevé
et épousé la jeune fille que Rotwang aimait, la
douce Hel, morte en mettant Freder au monde.
Rotwang, possédé par le génie de la mécanique,
oublie sa haine en construisant des machines
pour Fredersen. Mais il a beau servir son maître,
il n’oublie pas et crée un robot à l’image de Hel .
Impressionné par cette découverte Fredersen
y voit la possibilité de reproduire à des milliers
d’exemplaires des automates ouvriers remplaçant
les humains.
Les jours suivants, la fausse Maria circule dans
la ville basse prêchant la révolte violente et la
débauche. Ses mots sont dictés par Fredersen dont
le plan est de domestiquer à jamais les ouvriers en
leur prouvant que toute révolte est vaine. Mais en
réalité le robot obéit à Rotwang qui trouve ainsi le
moyen de se venger de Fredersen.
Bientôt l’automate est incontrôlable et prend
la tête de la révolte pour détruire la machine
centrale. Freder, informé de la machination par
Josaphat, tente en vain de raisonner les ouvriers.
Le contremaître de l’usine, Groth, prévient la
foule que la ville souterraine sera la proie des
eaux. Mais personne ne l’écoute. L’eau envahit les
souterrains.
Maria, échappée de la maison du savant,
s’emploie à secourir les enfants. Freder la
retrouve, fou de joie, et ensemble avec Groth,
ils sauvent de nombreuses vies. Groth retourne
la foule contre la fausse Maria qui est brûlée sur
un bûcher à Yoshimara. Rotwang, devenu fou,
confond Hel et Maria. Il fait une chute mortelle du
haut de la cathédrale.
Le savant lui apprend que les plans trouvés sur
les ouvriers morts sont ceux des catacombes. Il
y conduit le maître et ils assistent à une réunion
secrète. Maria, debout devant un autel surmonté
d’une immense croix, harangue la foule des
Fredersen se sent perdu. Sur le parvis, les
ouvriers lui font face. Maria invite Freder à se
placer entre Groth et son père : « Sois leur
médiateur » dit-elle. Les deux hommes se serrent
la main. Un nouveau pacte social est né.
xion
Pistes
de réflexion
Métropolis , qui appartient à la période allemande
de son réalisateur, est l’œuvre pionnière de la
science-fiction dont elle offre tous les thèmes du
genre (la déshumanisation de la technologie, la
vie artificielle et la peur de l’inconnu). Mais ce film
«inspiré» échappe au genre qu’il initie. Véritable
métaphore de toute la condition humaine, il
demeure inclassable tant par l’empreinte visuelle
«expressionniste» qu’il exerce que par les interrogations qu’il suscite.
La vision du futur : des lendemains terrifiants…
Dés les premières images, un monde est crée
dans une vision avant tout plastique. La cité de
l’avenir apparaît : superbe pyramide, accumulation
de gratte-ciel scintillant de gerbes de lumières
vaporeuses, routes et ponts jetés dans l’immensité
du vide. Cette anticipation, offre une transposition
à peine futuriste (véhicules volants) du New-York
de l’époque.
Avec la scène de la relève des ouvriers s’ouvre
« la porte de l’enfer ». Deux colonnes d’humains
automates marchent d’un pas rythmiquement
saccadé vers des ascenseurs gigantesques. La
description de ces êtres privés de personnalité,
habitués à courber l’échine, soumis avant d’avoir
lutté, vêtus de costumes n’appartenant à aucune
époque est comme «chorégraphiée » dans une
stylisation géométrique.
Du fond de la cité, c’est le chœur souffrant et
muet de l’humanité asservie
par la technologie qui éclate
magistralement dans cette
mise en scène au service de
l’intensité.
A l’opposé du monde
cauchemardesque d’en bas,
Freder gambade dans les
jardins éternels, entouré de
belles jeunes filles. Pourtant, par son artificialité
et sa préciosité liée à l’absence de nature, cette
caricature de paradis, laisse une impression
tout aussi oppressante que l’enfer robotisé
des bas-fonds. La plongée au cœur de l’usine,
monstre mécanique happant l’humain, véritable
envers du «paradis», parachève l’angoisse. Les
jardins ne seraient qu’un ghetto où s’inverse
l’idéal édénique.
Ainsi, en quelques plans, toutes les
caractéristiques de l’univers de Métropolis ont
surgi dans une chorégraphie des volumes et des
masses. C’est dans une conception architecturale
de l’idée de la ville industrielle, que Lang évoque
la civilisation des machines. L’usine est la ville, la
ville est l’usine dans un monde où la machine fait
système.
L’avenir architectural révèle l’avenir social.
Toute l’organisation de la cité se lit dans les
oppositions (spatio-temporelles) qui la traversent.
A la verticalité, qui reflète la stricte division en
classes sociales (le haut et le bas), s’ajoute le
parallélisme (l’aérien et le souterrain) entre les
domaines respectifs des maîtres et des esclaves :
aux maîtres, les airs et le sommet des tours, les
voies aériennes réservées aux véhicules volants,
les jardins à l’air libre de la superstructure; aux
esclaves, la terre, les souterrains, les catacombes
de l’infrastructure.
De rares édifices semblent toutefois défier
l’espace et le temps face au pouvoir technicoéconomique des tours : la maison romantique
du savant individualiste et la cathédrale gothique
survivance des valeurs chrétiennes ancestrales. Ces
lieux de pouvoir spirituel, où maîtres et esclaves
se rencontrent opposent à la fois l’ancienneté au
modernisme, le passé au futur.
Reste l’usine, organe vital des rapports
de productions, symbole de la mécanisation
envahissante, comparée dans l’hallucination de
Freder au dieu Moloch dévorant infatigablement ses
victimes, elle fabrique de «l’inhumain». Comment ne
pas voir dans sa description la mise en garde contre le
développement irraisonné des techniques.
C’est la machine implacable qui rythme le temps,
des hommes horloges à la
montre de Fredersen et
conditionne
cet
univers
sans ailleurs. Rien, aucune
prise de vue sur l’extérieur
ne permet de supposer un
paradis perdu ou un refuge
possible. Quand Maria conduit les enfants aux
portes du jardin, elle leur fait entrevoir les biens
d’une autre classe, pas autre chose d’extérieur
à la ville.
Il n’y a pas à s’y tromper : Métropolis n’est pas
seulement un monde clos, mais c’est LE monde.
Et comme dans les contre–utopies, la cité propose
un univers totalitaire et concentrationnaire.
Comment ne pas voir dans ce sombre présage
du futur une description prophétique du nazisme
qui devait instaurer sept ans plus tard, un ordre
bien plus terrifiant que ne l’avait imaginé Lang.
A la métaphore de la condition humaine
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Mais au-delà de la fable de la monstruosité
sociale prémonitoire des temps déraisonnables
du XXème siècle, la dramaturgie foisonne de
références légendaires, bibliques et religieuses qui
contribuent à forger une allégorie de l’histoire de
la condition humaine.
Aux esclaves des temps immémoriaux
répondent les paysans prolétaires devenus
victimes de la mutation industrielle dans la
nouvelle Babylone.
Robotisés ils seront soumis à la machine
divinisée. Mais la machine dépend de la science
qu’imagine un savant fou et redoutable au service
de la superstructure. La science «errante» et
confisquée, affranchie de toute croyance, sans
éthique, fait le malheur de l’humanité. « Je viens
vous dire : puisque nos dieux et nos espoirs ne sont
plus que scientifiques, pourquoi nos amours ne le
deviendraient-ils pas ? » (L’Eve future de Villiers
de l’Isle-Adam) semble lancer le savant moderne
(juif dans la société allemande) s’aventurant sur les
territoires de la transgression.
C’est ainsi qu’entre la lumière et les ténèbres
de la mégalopole infernale, ce mage fou et
prométhéen fabrique un automate, robot à l’allure
féminine au visage de la bien-aimée défunte.
La créature, fausse Maria (prénommée Futura
dans le roman de Théa Von HARBOU) constitue la
figure majeure de l’œuvre. Elle renvoie à toutes les
angoisses visionnaires du XIXème siècle au travers
du mythe du monstre (Frankenstein et l’Eve future)
en opposant nature et culture. Elle concentre
toute la problématique de l’œuvre : l’être humain
peut-il transformer le processus historique de son
évolution ? Au travers de la fausse Maria, c’est la
folie de l’homme lorsqu’il se pose à l’égal de dieu
qui est en question.
Deux scènes illustrent les conséquences de la
transgression des lois de la nature. L’histoire de la
tour de Babel racontée par Maria dans une mise en
abîme de l’anéantissement éventuel de Métropolis.
La destruction des machines par les ouvriers,
représentation du «déluge» et retour au chaos
primitif, offre une vision saisissante du futur. Cette
pyramide de bras suppliants, ces grappes d’enfants
accrochés au corps de Maria, sur le dernier îlot de
béton non encore submergé par les flots, résume
tout le drame de l’humanité en perdition.
Le clone, ici double troublant de Maria, est
la création obsessionnelle du désir refoulé d’un
homme, sacralisant son amour perdu dans la mort
qu’il jette sur la ville. Sa créature symbolise le défi
lancé au père (Fredersen), démiurge isolé de la
masse sur laquelle il exerce un pouvoir absolu
depuis la hauteur.
Incarnation des désirs cachés du père, la fausse
Maria par sa sauvagerie primitive (la danse de
la séduction dans une évocation de l’idolâtrie
lubrique devant le veau d’or, l’incitation à la
révolte) exprime la monstruosité au cœur de
l’humain, la barbarie comme résurrection de la
«bête» sur le lieu même de la civilisation.
Mais la renaissance par l’humanisme et la raison
peut encore sauver le monde. C’est ce que,
Maria, image de la pure jeune fille campagnarde
et parabole évidente de la chrétienté n’a cessé de
prêcher du fond des catacombes en annonçant la
venue d’un sauveur. Freder le «fils du père», venu
à sa rencontre, sera ce médiateur. Il délivre la
cité du mal. Suite à la rédemption de Fredersen
se conclut la grande réconciliation sociale. C’est
sur ce dénouement «utopique », réintroduisant
l’espoir en l’avenir que la barbarie avait anéanti,
que s’achève la fable.
Anita LINDSKOG
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