étude sur les contraintes syntaxiques des adjectifs en

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étude sur les contraintes syntaxiques des adjectifs en
ÉTUDE SUR LES CONTRAINTES
SYNTAXIQUES DES ADJECTIFS EN
1
-ED EN ANGLAIS
Martine Schuwer
Université Rennes 2
Lorsque tu dis en te vantant : “ J’ai un beau
cheval ”, sache que tu t’enorgueillis d’un avantage
qui est à ton cheval.
Qu’est-ce donc qui est à toi? L’usage des idées.
Épictète
1. CADRE GÉNÉRAL DE L’ÉTUDE
Paradoxalement, la syntaxe de l’adjectif occupe une place restreinte
dans les grammaires traditionnelles, alors qu’elle s’avère soumise à de
réelles contraintes. Sur les origines de cet apparent manque d’intérêt, on
peut avancer plusieurs hypothèses, foncièrement interdépendantes.
Historiquement tout d’abord, la catégorie de l’adjectif relève d’une
création tardive, cette partie du discours étant auparavant intégrée à celle
du substantif, mais en tant que sous-catégorie (substantivum adjectivum).
La distinction existait donc bel et bien, mais l’adjectif participant de la
détermination du nom, son programme ne semblait pas justifier d’une
catégorie propre.
1 Les analyses présentées dans cette étude ont bénéficié des suggestions et
observations de Pierre Cotte. Qu’il en soit ici très sincèrement remercié.
Cahier du CIEL 1998-1999
L’hétérogénéité de cette classe, quant à elle, pourrait également
tenir une part dans cet état de fait.
• Prenons en premier lieu la diversité morphologique des adjectifs,
sachant par ailleurs que l’anglais ne se prête que rarement, hors contexte,
à une identification immédiate de la catégorie grammaticale à laquelle
appartient un terme.
On peut certes considérer qu’il n’en existe que deux types : les
adjectifs primitifs ou simples, sans marque morphologique distinctive
(brown, new), et les adjectifs affixés ; mais on ne compte pas moins
d’une vingtaine de suffixes 2 participant à la formation d’adjectifs
dénominaux ou déverbaux. La néologie adjectivale est à ce titre fort
révélatrice, même si elle n’opère qu’avec un nombre restreint de suffixes
3.
Les lexicographes, pour leur part, ajoutent à cette profusion en
dénommant adjectifs des termes (substantifs?) dont, en réalité, il est fait
un emploi adjectival (cooking dans cooking oil, budget dans budget flight,
chance dans chance meeting) dans des formations communément
reconnues comme des mots composés. On décèle ici qu’un des motifs du
flou qui entoure la catégorisation de l’adjectif est la confusion entre
nature et fonction. Ceci est certes problématique mais ne constitue pas un
point essentiel, car l’étiquetage ne peut constituer une fin en soi qui ne
dirait rien de la réalité et des motivations des contraintes syntaxiques.
• On mentionnera aussi l’hétérogénéité de la classe sur le plan
sémantique, comme en témoigne la diversité des classifications possibles
et effectives (qualificatifs / relationnels, objectifs / appréciatifs, relatifs /
indépendants, statiques / dynamiques, absolus, gradables ou non, de
couleur, de nationalité, de matière etc. ...) .
• Enfin, à ces brefs rappels sur la pluralité des caractéristiques
morphologiques et sémantiques des adjectifs, il faut ajouter les
contraintes syntaxiques auxquelles nombre d’entre eux sont soumis. Pour
certains, elles sont absolues : l’emploi prédicatif, prénominal ou
postnominal s’avère obligatoire. Pour d’autres, elles sont relatives : un
même adjectif, selon qu’il en sera fait un emploi prénominal ou
prédicatif, recevra deux interprétations différentes 4 . Hormis ces cas
apparemment bien circonscrits, la plupart des adjectifs ne relèvent
d’aucune contrainte et peuvent ainsi, au choix du locuteur, faire l’objet
2 Marchand, p. 375
3 Néologie lexicale 5, p. 192
4 Ainsi conventional : 1. their opinions are rather narrow and conventional . (=
banales) 2.conventional medicine (= classique / traditionnelle).
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M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
d’une prédication ou bien être placés en épithète, avant le substantif ainsi
déterminé.
Dans le cadre plus général d’une étude sur la syntaxe de l’adjectif
en anglais, on traitera ici le cas des formes adjectivales en -ed qui
présentent l’intérêt d’apparaître, en tant que tels, dans les deux
principales catégories d’emploi syntaxique contraint : certaines en effet
n’acceptent que l’emploi prédicatif, tandis que d’autres requièrent la
position prénominale.
1.2. Corpus
Le corpus a été constitué à partir de deux dictionnaires unilingues,
le Collins Cobuild (English Language Dictionary 1987), et le Longman
(Dictionary of Contemporary English 1995) désormais respectivement CC
et LDOCE. La nomenclature de ces deux ouvrages a été établie à partir
de corpus authentiques, écrits et oraux. Pour l'étymologie, on a consulté
The Concise Oxford Dictionary of English Etymology (1986).
Ont ainsi été recensés tous les adjectifs en -ed explicitement
signalés comme syntaxiquement contraints par les lexicographes. Des
ajustements se sont cependant avérés nécessaires : car si un tel relevé
présente des garanties de fiabilité dans la mesure où les conditions
d’emploi ont été constatées en discours, il arrive que les deux ouvrages
divergent dans leurs observations, seul l’un des deux signalant une
contrainte syntaxique. En ce cas, on a écarté les éléments douteux, et le
corpus ici étudié ne comprend que des adjectifs réputés syntaxiquement
contraints dans les deux dictionnaires.
La recherche d’occurrences a permis de constater la relative
exactitude des informations lexicographiques : la confrontation à la
réalité du discours n’a que très rarement apporté un démenti aux notations
dictionnairiques. On touche en fait ici aux limites - constitutives - de
l’entreprise lexicographique qui, par nature, ne peut prendre totalement en
compte la créativité de l’activité langagière. Ceci explique également
d’éventuels désaccords entre l’intuition linguistique et les mentions
dictionnairiques, mais de façon générale, on peut dire que, contrairement
à notre attente, les lexicographes ont davantage péché par défaut que par
excès.
1.3. Origine des adjectifs en -ed
On a nommé “ adjectifs ” les formes en -ed recensées pour cette
étude, reprenant ainsi la dénomination de LDOCE et de CC.
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Cahier du CIEL 1998-1999
Rappelons que -ed peut renvoyer à deux formations différentes. En
effet, d’après OED 5 , le morphème -ed est issu soit du vieil-anglais -ed/ad, suffixe du participe passé des verbes faibles (-en suffixant les verbes
forts), soit du vieil-anglais -e d e , suffixe permettant la formation
d’adjectifs dénominaux 6 , signalant la possession ou l’existence de
l’élément dénoté par le substantif (ringed = with/having a ring), ou bien
(par métaphore ou métonymie) évoquant la ressemblance avec cet
élément 7 (de forme, comme dans cupped, de comportement, dans
dogged). Ce morphème peut, en principe et sauf contraintes énonciatives
ou cognitives 8, être adjoint à tout substantif afin de former un adjectif. Il
n’existe plus, en anglais contemporain et dans une large mesure
également en moyen anglais, aucune distinction formelle entre les
formations participiales et les adjectifs dénominaux. Il n’est pas
surprenant qu’un seul et même morphème puisse ainsi être adjoint à des
bases verbales ou nominales : le même phénomène se retrouve en latin,
puisque le suffixe -tus sert aussi bien à former des participes passés
(laudatus du verbe laudare louer) que des adjectifs dénominaux
(dentatus, à partir du substantif dens, dentis, dent).
Le corpus ici étudié comprend presqu’exclusivement des formations
participiales 9.
“ Forme participiale ” n’implique pas que le verbe dont elle est
apparemment dérivée existe en tant que tel. On verra ci-après que, même
s’ils sont recensés dans quelques dictionnaires, certains prédicats verbaux
sont en réalité rarement usités à la voix active. On a même parfois été
dans l’impossibilité d’en trouver des occurrences.
Ces observations permettent de mieux comprendre d’une part pour
quelles raisons ces formes en -ed font effectivement l’objet d’une entrée
spécifique dans le dictionnaire (puisque tel n’est pas le cas pour tous les
participes passés), et d’autre part que c’est leur degré avancé de
lexicalisation qui les a fait basculer dans la catégorie des adjectifs. On
notera cependant que tous les éléments du corpus n’ont pas la faculté
d’être modifiés par un intensifieur (very), test qui permet en général de
5 Pour une description plus détaillée, on se reportera à Mossé, § 95 et 122
6
H. Marchand (1960 p. 2O7) rejette cette hypothèse. Selon lui, -ed, suffixe
adjectival ou participial, provient du seul et même suffixe indo-européen -to.
7 Marchand p. 208
8 Claude Charreyre 1995
9 L’origine nominale ou verbale est parfois difficile à déterminer. Ces adjectifs
seront considérés comme dénominaux : figured - full-blooded - hard-nosed - hooked
- landed - moneyed - pied - plumed - plastered - seamed .
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M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
conclure à la nature authentiquement adjectivale d’une forme en -ed
(tired) 10.
1.4. Problématique
La valeur fondamentale du marqueur -ed, allomorphe de - e n
morphème du participe passé, est de signaler, en termes aspectuels, que
l’énonciateur se situe en dehors du domaine notionnel considéré. Le
procès est vu comme accompli, et le syntagme nominal qualifié par le
participe se voit ainsi doté de ce que l’énonciateur considère comme un
acquis (Souesme 1992).
Les adjectifs déverbaux en -ed sont donc tous considérés comme
porteurs de cette valeur fondamentale : c’est le point d’ancrage commun.
Qu’ils soient tous affectés de ce même marqueur ne leur assure pas un
fonctionnement syntaxique uniforme puisque, pour certains, l’emploi sera
libre, tandis que pour d’autres, la syntaxe sera contrainte, requérant soit la
prédication, soit la position prénominale ou, en de très rares cas, postnominale.
En résumé, il existe ainsi d’une part un marqueur, pour lequel on
pose une valeur reconnue et supposée inaliénable, et d’autre part deux
fonctionnements syntaxiques contraints. Il importe donc de déterminer
quels facteurs génèrent l’un ou l’autre de ces emplois obligés, et
d’évaluer les effets d’une transgression de la contrainte syntaxique.
2. EMPLOI PRÉDICATIF
LDOCE intitule cette catégorie Not before noun, formulation un peu
ambiguë, qui signifie en clair que l’emploi de telles formes (une
centaine) nécessite la prédication explicite.
Tout comme divers effets de sens en contexte peuvent être inscrits
sous un seul marqueur, la prédication obligatoire peut résulter de
différents facteurs. Si ces adjectifs forment une classe homogène tant sur
le plan syntaxique que morphologique (-ed), ce n’est cependant pas ce
suffixe qui leur confère, à lui seul en tous cas, ce caractère prédicatif
(puisque d’autres formes en -ed ont une syntaxe différente), mais,
globalement, leur sémantisme, comme le révèle l’analyse. Plusieurs cas
de figure se dégagent, selon les facteurs déclencheurs. Ces facteurs ne
10 A l’exception évidemment des adjectifs non gradables comme coloured
(people), professed (anarchist)...
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Cahier du CIEL 1998-1999
sont pas mutuellement exclusifs : il n’est pas rare en effet qu’un même
adjectif cumule plusieurs traits justifiant sa place assignée (et en ce cas,
c’est d’après le trait le plus significatif qu’il sera traité).
2.1. Nécessité de complémentation
Un premier facteur, d’ordre syntactico-sémantique, peut expliquer
l’obligation de prédication ; il affecte les adjectifs pouvant difficilement
se passer de complémentation 11 :
addicted (to), attuned (to), concerned (with), destined (to), disposed
(to), encouraged (by), enmeshed (in), fascinated (by), fated (to), hellbent (on) (= very determined), het up (about) (=worried), hooked (on)
(=addicted), inclined (to), mixed up (with), opposed (to), poised (for/to)
(= ready), prepared (for/to), pushed (for) (= lacking), related (to), set
(for), strung out (on) (=addicted), touched (by), wedded (to).
Ces adjectifs dits r e l a t i f s appellent tous une information
complémentaire essentielle :
[1] Why are Americans such workaholics? Explanations vary. One
economist [...] has argued that many fellow-citizens are addicted to
consumption, and work to feed their habit. The Economist August
24,1996
[2] Indeed modern pop seems more attuned to 'virtual reality' than to the
genuine, problematical thing itself. The Economist May 4,1996
[3] She seemed destined for a long career. LDOCE
[4] The tax authorities seem less inclined to offer special deals to, say,
window-cleaners or postmen. The Economist September 20, 1997
Ce trait sémantique commun peut être considéré comme responsable
de la contrainte syntaxique : on ajoutera que l’ensemble
adjectif+préposition+complément, d’une longueur incompatible avec
l’antéposition 12, se trouve alors en position focalisée.
Il arrive cependant que cette complémentation précède l’adjectif,
sous forme adverbiale, ce qui autorise alors l’antéposition de la
complémen-tation13 :
11 Il n’est cependant pas exclu que certains de ces adjectifs soient employés sans
complémentation immédiate. L’information figure en ce cas en amont ou en aval
du texte.
12 D’autres langues, tel l’allemand, le suédois, et même une langue non indo -
européenne comme le finnois, permettent de telles antépositions. Par ailleurs, ne
sont pas ici prises en compte les formulations ludiques venant rompre la syntaxe
en anglais standard.
1 3 Ce phénomène illustre les divergences possibles avec les mentions
dictionnairiques d’emploi.
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M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
[5] More economically attuned chancellors such as [...] might have used
the opportunity of German unity to tackle this and reform Germany
from within. The Economist October 26,1996
On reviendra ultérieurement (2.4.2) d’une part sur la nature de ce
complément (sur le type d’information qu’il apporte à propos du procès
évoqué par le prédicat), et sur les connotations propres à certaines de ces
formes d’autre part (2.2.2).
A titre de conclusion provisoire, la caractéristique régissant la
syntaxe de ces adjectifs prédicatifs serait le trait [+complémentation
nécessaire].
2.2. Caractérisation
La prédication explicite est la manifestation prototypique de la
caractérisation en discours. Cette caractérisation porte, à l’évidence,
l’empreinte de l’énonciateur, mais son mode d’intervention varie selon
qu’il se pose plutôt en informateur ou plutôt en interprète.
Les adjectifs prédicatifs en -ed témoignent, de par leur syntaxe, à
des degrés divers, de cette émergence de subjectivité.
2.2.1 Caractérisation ponctuelle
Lorsqu’une qualité est prédiquée d’un sujet, c’est parce qu’elle
présente un caractère de nouveauté : l’énonciateur fait alors office
d’informateur et déclare le référent du sujet porteur d’une caractéristique
nouvelle, consécutive à un procès ou apparaissant lors d’une situation
spécifique.
On relève ainsi, parmi les adjectifs prédicatifs en -ed, un groupe
important de qualificatifs dédiés à ce dernier emploi : ils dénotent tous
véritablement un nouvel état du sujet, qui ne semble pas résulter d’un
acte délibéré, dans le sens où ce nouvel état ne constitue pas un but visé
ou recherché.
• Ainsi un procès peut-il avoir une conséquence inattendue voire, le
sémantisme en témoigne, non désirée 14 : jammed, mistaken, soaked,
stuck .
[6] Meanwhile, the ride continued, and by the time the car came to a halt
some ten or twelve minutes later, I was soaked through and through with sweat ... AUSTER Mr Vertigo p.101
[7] Unfortunately Mr Hemphill's reach exceeds his grasp. Having chosenMr
14 C’est pourquoi l’adjectif en -ed ne renseigne pas sur la nature du procès ayant
déclenché le nouvel état.
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Cahier du CIEL 1998-1999
Malloy as his subject he is stuck with him and although Mr Malloy
may be an Everyman he is not a compelling one. The Economist
September 14, 1996
[8]An examination of Tok Pisin, Ms Aitchison claims, illuminates the
general story of linguistic evolution. But her claim is arguably
mistaken . The Economist August 23, 1997
• Évoquent des états tout aussi temporaires et involontaires : broke,
indisposed, puffed.
• Les états émotionnels comme la joie (overjoyed), la surprise
(jiggered, staggered), l’inquiétude, l’énervement ou l’excitation (fed up,
keyed up, steamed up, thrilled, upset, worked up, wound up), ou encore la
peur (poleaxed, transfixed), sont également, par nature, des
manifestations non contrôlées, temporaires et toujours liées à des
situations spécifiques. La prédication vise ainsi à mettre en évidence la
conséquence d’un procès, plus précisément la réaction du sujet à un
événement ou une situation.
Comment expliquer alors que d’autres caractérisations temporaires
ou spécifiques puissent néanmoins se trouver antéposées sans prédication
préalable, que l’on puisse présenter d’emblée la relation comme préconstruite : an/the angry customer came in ? Tout d’abord angry n’est pas
un participe passé, et en tant qu’adjectif, sa syntaxe est (plus) libre. Mais
surtout, du point de vue sémantique, il correspond à ce que l’on pourrait
appeler une caractérisation brute (immédiatement identifiable 15 ), c’està-dire ne résultant pas d’une interprétation, et ne faisant l’objet d’aucune
élaboration - ce qui le différencie des formes étudiées ci-après, qui
renvoient certes également à des états visibles, mais qui appartiennent à
un vocabulaire plus élaboré.
Ainsi, dans le cadre des caractérisations ponctuelles, une seconde
série d’adjectifs forme un ensemble remarquable à deux égards : de par
leur registre particulier (slang/informal) d’une part, et de par leur
appartenance à des champs notionnels liés à des activités humaines (au
sens large) d’autre part : les thèmes de la fatigue (beat - bone-tired buggered - bushed - done - pooped - strung out - wacked (out) - wiped out zoned out - zonked out) et de l’ébriété (bombed - canned - crocked plastered - sloshed - stewed - stoned - wrecked) suscitent la plus grande
créativité, puis le dérangement mental (cracked - far gone - touched) , la
faim (famished), enfin le manque d’argent (broke).
Bien qu’ils n’appartiennent pas au même registre, mais parce qu’ils
évoquent le même thème de l’épuisement, on inclura également dans
15 Les psychologues estiment que la multiplicité des expressions visibles sur un
visage peut se réduire à six grands types : surprise, colère, joie, peur, tristesse,
dégoût (Discover fév. 1985).
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M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
cette série finished et flattened.
Tous ces adjectifs présentent deux traits sémantiques propres.
• En premier lieu, ils dénotent tous un état extrême, comme en
témoignent les gloses définitoires, qui font précéder l’équivalent
synonymique d’adverbes tels very ou extremely. Mais ceci n’empêche pas
l’énonciateur, en discours, de modifier ces adjectifs à l’aide d’autres
adverbes tels dead, flat, pretty, completely, indéniablement de type
intensifieur, et dont l’effet redondant amplifie la qualification.
[9] I've had a long day and I'm dead beat . Somerset Maugham The Force of
Circumstance
[10]United Nations: To bury or to praise - The great and good are gathering
together to honour an organisation that is flat broke and generally
discredited. The Economist October 21,1995
Ces adverbes portent bien sur l’adjectif (ils ne peuvent être
déplacés), pourtant l’énonciateur ne procède pas ici, à l’évidence, à une
évaluation quantitative sur le degré de fatigue ou d’ébriété, puisque le
stade ultime est déjà considéré comme atteint (en effet, very serait
impossible), mais à une intervention de type qualitatif, par conséquent à
effet de sens modalisant.
• Le second trait sémantique remarquable de ces adjectifs est leur
emploi métaphorique : attribués à un animé humain - car tel est toujours
le cas, propriétés primitives obligent - et s’ils font l’objet d’une
prédication, ces adjectifs ne peuvent être interprétés au sens propre 16. On
reviendra ultérieurement sur ce point (2.4.1)
Si l’on considère l’impact de ces traits sémantiques dans la
perspective de la motivation énonciative, on constate que tous concourent
à la mise en exergue du point de vue, et que l’utilisation de tels adjectifs
dénote un discours “ marqué ”. L’énonciateur utilise en effet toutes les
ressources disponibles afin que soit garanti le statut subjectif de son
assertion : par le choix du registre et le caractère quasiment hyperbolique
des termes choisis, par l’ajout fréquent d’adverbes à effet modalisant, et
enfin par l’emploi métaphorique qui, en tant que tel, révèle que
l’énonciateur a dépassé le stade d’un premier constat objectif.
Ce que partagent par conséquent les adjectifs analysés dans cette
rubrique, c’est par-dessus tout le caractère contingent, non-inhérent de la
qualification, associée à une situation spécifique, et qui évoque un état
inhabituel, a-normal mais non définitif (réversible). La vocation
exclusivement prédicative de ces adjectifs est intimement liée à leur
16 C’est par conséquent le sens propre qu’il faudra privilégier si la caractéristique
se rapporte à un objet, et, en ce cas, l’adjectif pourra figurer en épithète (finished
product - canned food - cracked cup).
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Cahier du CIEL 1998-1999
sémantisme ; si de telles propriétés peuvent être prédiquées, elles ne
peuvent néanmoins devenir constitutives, ce que traduirait leur position
épithète, en position de déterminant : le lien serait alors étroit,
l’association forte. Ici, l’adjectif en -ed exprime uniquement l’état
résultant d’un événement ou d’une situation, le sémantisme de la forme
elle-même ne disant rien de l’événement déclencheur.
2.2.2 Caractérisation interprétative
D’autres adjectifs en -ed évoquant des états temporaires ou stables
(on dépasse ici l’incidence de la situation spécifique sur l’obligation de
prédication) partagent un trait significatif et, à notre sens, décisif : en
effet, le sémantisme de ces formes dit, en fin de compte, davantage sur le
regard que l’énonciateur porte sur le sujet que sur le sujet lui-même.
Chacune traduit en effet l’appréciation qu’effectue l’énonciateur, que ce
soit de l’état affectif ou émotionnel du sujet évoqué (abashed - afraid ashamed 17 - het up - intimidated - poised), ou bien du rapport qu’il perçoit
entre le sujet et l’objet (addicted - attuned - destined - disposed - enmeshed
- fascinated - fated - hell-bent - hooked - inclined - mixed up - pushed - strung
out - wedded), ou enfin de son apparence physique (attired).
[11] He is generally believed to have been the model for Ezzie Fenwick
[...]; and for Foppy Schwartz, a male dowager gorgeously attired in a
dressing-gown of gold brocade, in Larry Kramer's 1988 farce, 'Just Say
No'. The Economist June 17,1995
L’obligation de prédication serait liée au caractère interprétatif de la
qualification, qui ne peut par conséquent être présentée que comme
expression d’un point de vue essentiellement subjectif.
Ainsi dans cet extrait de Peter Pan 18 , l’étude des changements de
niveau d’énonciation illustre cette intrusion du regard interprétatif de
l’énonciateur :
[12] It was the colour of milk; but the children did not have their father's
sense of humour, and they looked at him reproachfully as he poured the
medicine into Nana's bowl. “ Whatfun!” he said doubtfully, and they
did not dare expose him when Mrs. Darling and Nana returned.
“ Nana, good dog,” he said, patting her, “ I have put a little milk into
your bowl, Nana.”
Nana wagged her tail, ran to the medicine, and began lapping it. Then
17 Jespersen (AMEG, Part II, p.332) signale cependant qu’en l’absence de
référence à une situation spécifique, ashamed peut figurer en position pré nominale (an ashamed person ... ) ; on peut penser que ce serait dans un énoncé de
type définitoire.
18 Chap. II p. 104
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M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
she gave Mr. Darling such a look, not an angry look: she showed him
the great red tear that makes us so sorry for noble dogs, and crept into
her kennel.
Mr. Darling was frightfully ashamed of himself, but he would not give
in. In a horrid silence Mrs. Darling smelt the bowl. “ O George,” she
said, “ it's your medicine!”
“ It was only a joke,” he roared, while she comforted her boys, and
Wendy hugged Nana. “ Much good,” he said bitterly, “ my wearing
myself to the bone trying to be funny in this house.”
Le narrateur décrit ici une suite d’événements (wagged her tail ... ran
to the medicine ... began lapping it ... gave [...] a look, [...] ... crept into her
kennel), dont les acteurs de la scène sont témoins et qu’ils pourraient
restituer dans les mêmes termes (hormis pour la parenthèse concernant
l’interprétation du regard que lance le chien à son maître). Il s’agit donc
d’information brute, le regard est neutre ; puis le narrateur procède à une
focalisation interne sur Mr. Darling (Mr. Darling was frightfully ashamed of
himself) au bénéfice du co-énonciateur, en l’occurrence le lecteur, et dont
les protagonistes n’ont pas nécessairement conscience. On remarquera
d’ailleurs l’emploi d’un modal dans la suite de la proposition (but he
would not give in), qui confirme le statut omniscient du narrateur, lui
conférant le pouvoir de faire connaître au lecteur les débats intérieurs de
Mr. Darling. Le récit reprend ensuite la narration des faits (Mrs. Darling
smelt the bowl).
2.3. Synthèse
Il est en un sens fondé d’attribuer à la nécessité de complémentation
un rôle dans la contrainte de prédication, mais il ne s’agit là que de la
cause la plus immédiate, dont l’impact est moins décisif qu’il n’y paraît.
En effet, si l’on part de l’hypothèse que la syntaxe témoigne d’une
valeur énonciative, tous ces adjectifs prédicatifs (relatifs ou non)
signalent, à des degrés divers certes, une intervention de l’énonciateur, la
manifestation de son point de vue. Celle-ci peut être minimale
(caractérisation ponctuelle, informant sur le nouvel état du sujet), devenir
davantage perceptible lors de l’emploi de termes appartenant à un registre
non neutre, pour s’avérer patente lors des caractérisations interprétatives.
La prédication obligatoire de ces adjectifs en -ed révèle par
conséquent la mise en œuvre plurielle d’une stratégie énonciative
entièrement dédiée à l’expression de la subjectivité, que ce soit par le
choix du registre, l’exploitation circonscrite de l’emploi métaphorique, ou
encore l’utilisation de termes traduisant une caractérisation d’ordre
subjectif : car c’est bien toujours l’état du sujet qu’évalue ainsi
l’énonciateur, et cette thématisation du sujet conduirait, de fait, à la
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Cahier du CIEL 1998-1999
prédication de ce que l’énonciateur considère être un acquis de ce sujet,
se fondant sur les informations dont lui seul estime disposer, et qu’il
expose.
2.4. La séquence be+-ed
Etiquetées “ adjectifs ” par les lexicographes, ces formes en -e d
constituent, au sein de cette classe de mots, un groupe à l’emploi
syntaxique bien défini : obligatoirement prédiquées, elles apparaissent
donc, en discours, dans un schéma be+ ed, caractéristique de la diathèse
passive.
Cette similitude formelle ne permet cependant pas d’assimiler la
prédication de ces formes à la voix passive.
2.4.1 Genèse des adjectifs prédicatifs en -ed
La diathèse passive authentique correspond à un choix énonciatif :
lors de la mise en place du schéma prédicatif, l’énonciateur sélectionne,
comme premier argument du prédicat, l’actant instanciant la place ξ 1 (le
but de la relation primitive) 19 . Autrement dit, pour qu’il y ait véritable
prédication passive, il importe que l’énonciateur ait effectivement le
choix du terme de départ (c’est-à-dire de l’orientation de la relation
prédicative), qu’il ait donc la possibilité de thématiser l’agent ou le
patient du procès.
• Cette possibilité n’existe pas vraiment pour plus du quart des
formes prédicatives en -ed . On constate en effet que la forme nue
(l’infinitif), forme lemmatisée sous laquelle est recensé tout verbe dans le
dictionnaire, n’apparaît pas dans les nomenclatures de LDOCE ou CC,
établis à partir de corpus oraux et écrits ; si certains figurent néanmoins
dans l’exhaustif Webster’s, ils ne sont guère illustrés par des citations
d’auteurs contemporains. L’emploi semble donc restreint à la forme
participiale 20.
• Un autre ensemble présente une spécificité : il s’agit des formes
19 Groussier Rivière, 1996
20 Infinitif recensé mais non illustré par un exemple à la voix active : abashed -
addicted - attuned - attired - crocked - destined - enmeshed - famished - fated overjoyed - poleaxed - poised - pooped - zonked out. Indisposed serait dérivé de
disposed. Pas d’infinitif correspondant : ashamed (à l’origine pourtant un participe
passé, du vieil anglais ascamian = to shame, a- constituant un préfixe perfectif),
ainsi que afraid (à l’origine aussi un participe passé, du moyen anglais affraien ,
qui a supplanté afeared ].
120
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
prédicatives préfixées par un- (unharmed - unheard - unhurt - unmoved unscathed), qui constituent des dérivés non de verbes mais d’authentiques
participes passés (harmed ...). Ces formes n’ont pas de forme infinitive
correspondante (*unharm ...), et ceci tient à la valeur du préfixe
“ réversif ” un -. Un verbe (renvoyant donc à un procès) ainsi préfixé
signifie “ défaire ” (ce qui a été fait, undo, unpack ...). En d’autres termes,
il faut donc qu’un premier procès (P1 packed) ait eu lieu pour que le
second se passe (P2 unpacked). Mais lorsqu’il préfixe une forme en -ed
dérivée d’un participe passé, un-, de “ réversif ”, prend un effet de sens
“ négatif ”, l’ensemble un-/-ed étant globalement équivalent à not -ed.
Unmoved, pour reprendre la formule de Quirk, est l’opposé de moved.
Ceci a pour conséquence qu’un procès antérieur n’est plus présupposé, il
y a simplement absence - et non disparition - de l’émotion. (Rien ne peut
être “ défait ” puisque rien n’a été “ fait ”). Ces formes prédicatives en
un-/-ed , de par l’absence d’infinitif (donc de choix de voix), et par voie
de conséquence de l’effet de sens pris par un-, ne sont pas des participes
passés de passif, elles ne sont que des dérivés par préfixation.
On a dit plus haut qu’elles sont paraphrasables en not -ed. Si cela est
exact sur le plan strictement informationnel, chaque forme relève
néanmoins d’une stratégie énonciative propre. Car lorsqu’il choisit une
forme en un-/-ed, l’énonciateur prédique en fait une qualité inattendue,
contraire à l’anticipation éventuelle que la situation a créée chez le coénonciateur.
[13] They managed to escape unharmed.
[14] Her cries went unheard.
[15] He was shaken and frightened but unhurt .
Les relations prédicatives sous-jacentes en [15] illustrent d’ailleurs
cette stratégie 21 :
he / be shaken (and) [he] / [be] frightened (but ) [he] / [be] unhurt
[15] est un énoncé affirmatif : he / [be] unhurt est déclaré vrai, alors
que he was not hurt correspondrait à la non-validation de he/be hurt.
• En revanche, sont bien issus de verbes effectivement usités à la
voix active tous les autres participes, mais il est remarquable que c’est
alors presqu’exclusivement dans un emploi métaphorique 22. Ainsi :
[16] James Miles, a BBC reporter, points out just how many people were
closely touched by the killings in Beijing on June 3rd and 4th 1989:
'Let ussay, very conservatively, that 5,000 civilians were killed or
injured that night. If that figure is then multiplied by the number of
close relatives and friends, the population profoundly affected by what
21 Les coordonnants attestent de l’ellipse de be .
22 Dans trente cas sur quarante.
121
Cahier du CIEL 1998-1999
happened is already substantial. The Economist March 8, 1997
Il y a clairement spécialisation de l’emploi, puisque lorsque le verbe
est employé à la forme active, c’est au sens propre, et que, dans une
configuration en be-ed, et si le participe qualifie un animé humain, seule
l’interprétation métaphorique s’avère plausible, comme l’illustre [16] où
l’on remarquera la reprise par affected .
Ces formes en -e d , associées à b e , peuvent par conséquent
difficilement être considérées comme des participes passés de passif :
. soit tout simplement parce que le verbe n’existe pas ou s’avère
rarement employé à la voix active,
. soit - lorsque le verbe est effectivement usité à la voix active - parce
que la tournure passive se révèle exclusivement circonscrite à
l’interprétation métaphorique, constituant par là même un emploi
réservé.
On examinera enfin le cas des verbes qui ont deux participes passés,
ou deux emplois de participe passé. On distinguera ainsi les doublons
isomorphes des allomorphes.
• Doublon isomorphe
Une même forme en -ed peut avoir deux emplois syntaxiques
distincts selon la nature du référent qu’elle qualifie. A ces emplois
différenciés correspondent deux interprétations :
. en position épithète, le participe passé ne peut être associé qu’à un
syntagme nominal [-AH] et évoque un procès accompli, celui dénoté par
le verbe dont la forme en -ed est issue (canned food is food that has been
canned), au terme duquel le référent ainsi qualifié a acquis un nouvel état
(le plus souvent non réversible, donc non ponctuel). Ces formes ne sont
interprétables qu’au sens propre, et la glose confirme que le procès et
l’état résultant sont exprimés par le même verbe lexical. Dans ces
emplois prénominaux, il s’agit bien d’un participe passé de passif, et il
serait d’ailleurs possible de restituer une complémentation véritablement
agentive en by.
canned (food) - cracked (cup) - finished (product) - flattened (paper
cups) - inclined (plane) - mixed (grill) - packed (cigarettes) plastered (surface) - steamed (pudding) - stewed (fruit) wrecked (car) 23
. en position attributive, et si elles qualifient un animé humain, ces
formes ne peuvent être interprétées qu’au sens figuré, ce qui explique
23 On a fait suivre chaque forme en - ed d’un substantif [-AH] pour illustrer
l’emploi prénominal.
122
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
pourquoi, contrairement au cas précédent, le participe ne dit pas quel
procès ou événement a provoqué cet état :
[17] Mrs Witherspoon was a little more plastered than usual, I think. Paul
AUSTER Mr Vertigo p. 21
On voit ici que sont étroitement liés d’une part sens propre et
propriété devenue structurelle (et syntaxe libre), sens figuré (lui-même
souvent associé à un registre non neutre canned - plastered - stewed wrecked) et caractérisation ponctuelle d’autre part 24.
• Doublon allomorphe
Quelques verbes possèdent deux formes de participes passés, dont
l’une constitue une forme tronquée (absence de désinence -ed/-en) 25:
. à beat (v) correspondent beat et beaten
. à break (v)
‘‘
broke et broken
. à drink (v)
‘‘
drunk et drunken
La forme courte est restreinte à l’emploi prédicatif. La forme
suffixée en -en (le participe passé d’origine) garde la possibilité de
figurer en position prénominale et de constituer la base d’une dérivation
adverbiale (brokenly). Cette répartition des propriétés syntaxiques et
dérivationnelles s’accompagne de modifications sémantiques plus ou
moins importantes 26.
. Ainsi, prédiqué d’un animé humain 27 , drunken évoque un état
stable (given to drink = alcoolique), alors que drunk (intoxicated = ivre)
obligatoirement prédicatif, ne peut que renvoyer à un état temporaire. Les
deux participes, lorsqu’ils sont prédiqués, ont ainsi chacun leur aire
d’emploi:
[18] ‘Surely a priest should set a better example than this ? Surely it is
shameful to become inebriated so long before evening? How can this
man hope to retain any stature in these parts when he is greedy and
drunken ? [...] I, at least am not drunk, I am just mischievious. Louis
de Bernières Captain Corelli’s Mandolin p. 41-2
24 On verra en outre dans la troisième partie (consacrée aux adjectifs en - ed
prénominaux) que, lorsqu’il s’agit d’un procès dont on vise l’accomplissement,
l’association adjectif en -ed +SN [-AH] aboutit à la création d’un type canned food
is a kind of food.
25 On n’évoquera pas ici le cas de wed (v) et de ses deux participes passés
( wedded /wed ), le second étant complètement tombé en désuétude.
26 Le développement suivant se fonde sur les remarques de O. Jespersen AMEG
Part VI, pp. 34, 61, 79, 81-2.
27 Si drunken qualifie un événement, il est obligatoirement prénominal ( drunken
orgy/party/shouting ).
123
Cahier du CIEL 1998-1999
. La diversification s’avère plus marquée pour les paires beat/beaten
et broke/broken : la forme courte (contrainte) se distingue en termes de
sémantisme et de registre, broke évoquant le manque d’argent, beat
l’extrême fatigue, et les deux appartenant à un registre particulier
(informal/slang). En ce cas également, on n’observe donc aucune
redondance tant sur le plan syntaxique que sémantique.
2.4.2 La question de la complémentation
Dans les occurrences relevées, il n’est pas possible de reformuler
l’énoncé à la voix active ; en effet, la complémentation ne renseigne pas
sur la source du procès mais sur ce qui est perçu et dit par l’énonciateur
comme l’élément déclencheur du nouvel état du sujet :
[19] But I’m a little concerned about the allowances I made for the fuel
tank and the radiator. They were heavier than I thought. William Boyd
The Blue Afternoon p. 177
[20] He's the King of the Gypsies iswhat he is, and if he's got any soul at
all - which I'm not saying he does - then it's
packed with evil through
and through.' Paul AUSTERMr Vertigo p. 21
[21] At low incomes, most of the population is stuck in low-productivity
tropical farming. The Economist June 14,1997
• Cette complémentation prépositionnelle peut être introduite par
about [19], for, in [21], of [12], on [25], over, to [26] ou with [7] [20], et
même lorsqu’elle l’est par by [16] [22] [23] - préposition agentive par
excellence 28 - ce n’est pas pour introduire l’agent du procès proprement
dit 29 :
[22] At times Mr Geison seems almost abashed by what he has found in
more than 100 lab books of this giant, tightly held within the family at
Pasteur's request until 1971, when his last male heir passed them tothe
French national library. The Economist July 1,1995
[23] He shuddered, upset by this vision of a hypothetical future.. William
BOYD The Blue Afternoon p.177
• Témoignent aussi du caractère spéculatif ou conjectural de ce qui
est présenté comme la cause de ce nouvel état les précautions oratoires
(soulignées par moi), figurant soit sous forme d’incises, soit par
intervention directe au sein du groupe verbal. L’énonciateur atténue ainsi
le caractère assertif de son interprétation :
28 Quirk nomme cet emploi “quasi-passif”.
29 L’agent ne semble d’ailleurs pouvoir être inclus dans un adjectif composé en
-ed que s’il renvoie non à un référent spécifique, mais à un élément représentatif
de la classe : man /tailormade - god/heaven-sent .
124
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
[24] He didn’t go to work the next day, or the next. I couldn’t get him to go,
and he wouldn’t even talk to me. He was ashamed , I guess , or maybe
he thought I was mad at him. N. Scott Momaday, House Made of Dawn
p.161
[25] On the one hand, the accountants seem hell-bent on becoming bigger
than ever before: the Big Eight has already become the Big Six.. The
Economist September 20, 1997
[26] Neither country seemed disposed to escalate their quarrel any further.
Collins Cobuild
Dans le cas de participes passés qui pourraient être compris au sens
propre (et qui seraient donc interprétables comme des participes passés
de passif), c’est le contenu du syntagme prépositionnel qui permet,
rétroactivement, de comprendre qu’il y a lieu de privilégier l’emploi
métaphorique, et d’écarter l’interprétation passive (hooked on a drug pushed for time - soaked in history - wedded to the idea).
Ainsi, même dans les rares cas où -ed peut à juste titre être étiqueté
comme un vrai participe passé (tout du moins issu d’un verbe usité à la
voix active), son association à be ne confère pas à l’ensemble be-ed le
statut de voix passive, ce que corrobore, entre autres, le contenu de la
complémentation prépositionnelle.
2.4.3 La question de l’intransitivité
Le caractère intransitif d’un verbe exclut toute possibilité de
passivation, en l’absence d’argument-objet à la voix active. Or le corpus
comprend des formes en -ed dérivées de verbes intransitifs ou employés
intransitivement :
attired - dressed - drunk - famished - packed prepared - puffed - related - soaked
L’emploi prédicatif obligé les fait donc apparaître en association
avec be, ce qui conduit à rechercher ce qui différencie ces verbes
intransitifs de ceux qui ne sont pas “passivables”, et qui leur permet ainsi
d’associer leur participe passé à be sans donner lieu à une interprétation
passive.
2.4.3.1 Verbe réfléchi ou réciproque
• On remarque en premier lieu que attired, dressed, packed e t
prepared sont issus de verbes réfléchis. L’analyse de l’emploi du verbe à
la forme active permet d’en mesurer l’incidence.
[27] He dressed and was driven to the hospital without breakfasting.
William Boyd The Blue Afternoon Penguin p. 260
Il s’habilla et fut conduit à l‘hôpital sans avoir pris son petit déjeuner.
125
Cahier du CIEL 1998-1999
He (C0 ) est l’agent du procès dress, C1 n’est pas instancié. S’il
devait l’être, ce serait sous la forme d’un pronom réfléchi himself (la
marque casuelle - him - signalant bien le statut syntaxique de patient, en
place C1 , self marquant l’anaphore avec le seul élément (pro-)nominal
disponible). Il y a donc co-référence entre C 0 et C1 (exprimé ou
implicite) à la voix active, tous deux renvoyant (le premier directement,
le second anaphoriquement) à une seule et même personne, donc
indivisible en agent et patient, ce qui supprime toute possibilité de
passivation. Une telle association en be+-ed ne peut ainsi être comprise
que comme la prédication d’un état (be), -ed indiquant que le procès
dress, arrivé à terme, constitue une caractéristique désormais acquise par
le sujet.
Ceci explique par ailleurs que ces verbes réfléchis, que l’on veuille
mettre l’accent sur le déroulement du procès ou sur son caractère
accompli, ont recours au seul et même auxiliaire be, sans confusion
possible sur l’agent du procès 30.
• La même analyse vaut pour relate, verbe réciproque, même si la
configuration est plus complexe, puisqu’elle implique deux agents. Ainsi :
[28] John is related to Susan
implique que
[28’] Susan is related to John
Malgré le changement de thème, les deux formulations sont
globalement équivalentes à :
[28’’] They (John and Susan ) are related (to each other) .
La complémentation est obligatoire si le sujet grammatical ne
renvoie qu’à un seul agent, elle devient redondante si les deux agents
sont nommés et figurent en C1.
Tout comme pour les verbes réfléchis, l’interprétation passive est ici
bloquée par l’absence de réel patient distinct, la relation entre les deux
arguments étant de réciprocité.
2.4.3.2 La question du passif
Que ces verbes soient intransitifs implique que la source du procès
ne peut résider que dans le sujet grammatical ([+AH]) qui peut en être
l’origine volontaire (dressed - drunk - packed - prepared), ou simplement
le siège (famished - puffed - soaked), mais sans intervention d’un agent
animé humain. Dans ce dernier cas, le facteur déclencheur est extérieur,
non agentif, c’est un événement quelconque qui provoque chez le sujet un
30 On notera que ces formes ont pour équivalents français un schéma semblable :
être+“participe passé” (être paré/habillé/prêt)
126
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
nouvel état.
Dans le cas où le sujet se pose en origine volontaire, son état résulte
donc d’un procès par lui accompli (souvent d’ailleurs non explicité, ce
serait tautologique), et le terme de ce procès (le franchissement de la
deuxième borne) coïncide avec la réalité de ce nouvel état. Autrement
dit, n’importe quel témoin parviendrait inévitablement au même constat.
L’énonciateur n’est en ce cas qu’un témoin qui parle : son rôle consiste
simplement à verbaliser cet acquis, à actualiser la nouvelle propriété. Il
en asserte l’existence et ne participe à la situation en tant qu’informateur
: cela se voit, il le dit.
Le participe passé renseigne, à lui seul, sur le caractère accompli du
procès (-ed) et, lexicalement, sur la nature du procès ayant conduit à cet
acquis. Il est, à cet égard, remarquable que le même verbe lexical (drink,
dress, pack, prepare), accompagné du même sujet grammatical, puisse
être employé pour évoquer le procès, en déroulement ou accompli, ou
bien pour décrire son état résultant :
X is dressing
X has dressed
X is dressed
procès en déroulement
procès accompli
nouvel état
Ce constat rejoint et conforte l’hypothèse de P. Cotte 31 : ces
participes ne sont pas issus de passif, mais de parfait. L’intuition
linguistique s’accorde en outre avec cette interprétation, puisque de tels
schémas ne sont pas compris comme de vraies tournures passives (“ faux
passif ”, “ activo-passive ”).
Peu de verbes se prêtent à cet emploi, qui requiert l’intransitivité.
Cotte ajoute une autre condition : l’état résultant doit être visible.
Tel est bien le cas pour les formes ici analysées ; on en a motivé la
nécessité ci-dessus, sachant que l’accomplissement du procès doit, à
l’évidence, pouvoir donner lieu à un état résultant tangible. C’est la
condition même de sa visibilité. Ajoutons qu’il semblerait que le sujet
doive être véritablement agentif.
Ce sont précisément ces deux conditions qui différencient dressed,
drunk, packed et prepared de famished, puffed et soaked . Pour ces
derniers, le verbe est bien employé intransitivement, mais
1) le sujet grammatical n’est pas proprement agentif (il subit les
conséquences d’un événement extérieur, survenant sans intervention
délibérée),
2) le procès est à bornes confondues : à peine a-t-il commencé (-ing),
que l’effet (-ed) est déjà constatable.
Ceci explique sans doute la quasi-équivalence singulière de :
31 1996, p.90-1.
127
Cahier du CIEL 1998-1999
I am puffing ≅ I am puffed (out)
I am soaking ≅ I am soaked
I am starving ≅ I am starved
Reste posée la question de la prédication obligatoire. Pourquoi ces
formes ne peuvent-elles figurer en position épithète ?
Premièrement, elles renvoient toujours à une situation spécifique, il
ne s’agit donc pas de caractéristiques stables, ce qui les différencie, par
exemple 32 , de deceased lawyer, ou married woman. Il y a là en effet
véritablement changement de statut : la qualification étant devenue
inhérente, la position en épithète y trouve une justification. Mais
comment comprendre alors qu’il soit possible d’avoir departed guests,
escaped prisoner 3 3 , et non *gone prisoner ? Il s’agit ici de
caractéristiques plutôt ponctuelles, la qualification n’est que contingente.
Ces trois participes sont globalement synonymes (X n’est pas là où il
devrait être) mais gone correspond à un simple constat tandis que
escaped, hyponyme de gone, constitue une re-qualification de l’acte (ou
de l’absence), qui, en tant que telle, porte l’empreinte de l’énonciateur 34.
Selon Bolinger 35 , departed guests constitue un emploi -relique de l’ancien
parfait en be qui permettait le déplacement du participe en épithète, tout
comme pour the vanished Indians .
Pourtant sémantiquement proche * the disappeared Indians n’est pas possible
car disappear est apparu plus tardivement (XV), depart (XIII), vanish (XIV).
Cette explication diachronique ne s’oppose pas à notre argumentation,
l’euphémisation qui caractérise vanish signalant, là aussi, que le constat pur
est dépassé.
On voit ici que la position épithète des adjectifs en -ed qui ne sont
pas des participes passés de passif ne se justifie que si la qualité acquise
correspond à un changement de statut (d’où l’acquisition d’un caractère
stable, non ponctuel), ou bien si le qualificatif correspond à une requalification, non une simple mention de l’acte brut. Ceci explique
incidemment pourquoi dressed, obligatoirement prédicatif, peut figurer en
épithète s’il est modifié par un adverbe appréciatif : a well-dressed man.
Dressed, drunk, packed et prepared sont bien des qualités nouvelles,
ponctuelles, observables, relayées par le témoin privilégié que représente
32 Ces exemples et les suivants sont empruntés à Cotte.
33 Departed guests constitue un cas tout à fait distinct car l’état est irréversible
(donc stable). Mais l’euphémisation - métaphorique ? - signale que le stade du
pur constat est dépassé. C’est pour cette raison qu’il peut tout de même relever de
la même analyse que escaped prisoner.
34 Ce point est plus longuement développé dans l’analyse consacrée aux adjectifs
en -ed obligatoirement prénominaux (3.2.2).
35 1967
128
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
l’énonciateur, qui ne joue pas un rôle mineur : les propriétés focalisantes
de la prédication font qu’il dispose d’un outil syntaxique lui permettant de
mettre son propos en relief.
2.5. Conclusion
Cette étude s’est articulée autour de deux thèmes d’investigation.
En premier lieu, l’analyse a porté sur le sémantisme de la forme
elle-même, la recherche de traits intrinsèques susceptibles d’expliquer
l’emploi syntaxique. Au terme de cette étude, il paraîtrait d’ailleurs plus
approprié d’évoquer plutôt le caractère “ naturel ” de la prédication de
ces adjectifs en -e d , compte tenu précisément de deux de leurs
spécificités sémantiques : l’une est le complément d’information
qu’appellent certaines formes, l’autre la caractérisation (fût-elle
ponctuelle ou interprétative) qu’elles s’avèrent toutes révéler - allant bien
au-delà de la simple description - l’énonciateur procédant, en vérité,
davantage à une évaluation de l’état du sujet.
La deuxième partie, consacrée aux traits syntaxiques propres aux
verbes dont sont directement ou non issues certaines des formes en -ed, a
mis en évidence la spécificité de leur structure argumentale, écartant de
facto toute possibilité d’interprétation passive. Car le sujet grammatical,
agentif, a bien effectué un procès. Si l’énonciateur, en prédiquant cette
nouvelle propriété, peut se porter garant du caractère accompli de ce
procès, c’est parce que l’état résultant constitue une réalité visible, dont
il témoigne.
On peut ainsi constater que, quel que soit le cas de figure, la
prédication obligatoire est effectivement liée aux traits sémantiques de
ces adjectifs.
Que la dénomination de ces “ formes en -ed ” soit variée et diffère
selon les ouvrages reflète l’ambiguïté de leur nature. Leurs conditions
d’emploi manifestent la réalité de leur origine verbale, cependant
certaines possèdent des traits les rapprochant des adjectifs. Elles forment
néanmoins un ensemble dont les caractéristiques syntaxiques sont
semblables à celles d’adjectifs morphologiquement différents mais
apparentés sur le plan sémantique (sorry - cross - content), et qui feront
l’objet d’une étude ultérieure.
3. EMPLOI PRÉNOMINAL
129
Cahier du CIEL 1998-1999
Attributive, only before noun : c'est ainsi que CC et LDOCE
décrivent l’emploi syntaxique des adjectifs obligatoirement prénominaux.
Il y a en fait indissociabilité absolue entre l’adjectif et le nom, dont on
rappellera quelques manifestations :
[29]. Henry is a rural policeman 36 ne peut générer *the policeman is rural
(par contraste avec : John is a good teacher -> The teacher is good)
Que l’on se demande si c’est à la campagne qu’Henry travaille ou
que l’on veuille le nier, il faudra reprendre l’ensemble du syntagme
nominal, même si l’on ne remet pas en cause le fait que Henry soit
policier :
[29’] Is Henry a rural policeman ?
[29’’] Henry is not a rural policeman (he works in London ) 37
A contrario, la plupart des adjectifs sont dissociables du substantif
qu’ils qualifient : qu’ils puissent figurer en position attribut montre leur
relative indépendance syntaxique par rapport au substantif qu’ils
modifient (that book is expensive / that man is fascinating).
Bolinger observe des variations possibles, en jargon de métier par
exemple (trade lingo) : Is John an insurance agent ? No, he’s
commercial, ce qui, à l’inverse, peut donner Is John a commercial
agent ? No, he’s insurance (l’adjectif peut ici permuter avec un
substantif).
Il s’agit là d’emplois rares, que seul un frayage préalable rend
possibles et surtout non ambigus ; le contexte guide l’interprétation,
surtout dans le cas où le même adjectif, non contraint, donnerait lieu
à un effet de sens différent (I used to like their music, but they have
become very commercial).
• Un adjectif épithète est défini par la place qu’il occupe à côté du
nom, à gauche en anglais. L’adjonction de propriété a pu faire, en
discours, l’objet d’une prédication antérieure par un verbe copulatif, mais
ceci n’est pas obligatoire : la relation peut être présentée d’emblée
comme préconstruite (They used to have a black dog) ; et en ce cas, on
présuppose une prédication préalable implicite.
• Les adjectifs prénominaux ne sont pas justiciables d’une analyse
semblable : la position attributive étant interdite, leur emploi en épithète
ne peut résulter d’une prédication antérieure en be.
Par conséquent, pour une seule et même réalisation en surface (adj
+ nom), on posera l’existence de deux types de pré-constructions
36 Enoncé emprunté à Bolinger, op.cit.
37 Les mots en caractères gras sont particulièrement accentués.
130
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
distincts, celui des adjectifs prénominaux résultant d’une opération autre
que celle d’un repérage à valeur d’identification (partielle).
Bien que cette contrainte s’exerce sur d’autres adjectifs (certains
primitifs - sheer, actual, mere - et de nombreux dénominaux), on ne
traitera ici que du cas des adjectifs en -ed. A la centaine d’occurrences
relevées dans les deux dictionnaires, on a ajouté quelques formes
expressément citées par Jespersen et Marchand.
3.1. Formes non déverbales
3.1.1 Adjectifs dénominaux38
Le morphème -ed, ainsi suffixé à un substantif 39, signale :
. soit que le déterminé partage un trait-type du déterminant, de
l’ordre de l’apparence (martyred look : like that of a martyr), ou du
comportement (d o g g e d determination : like that of a dog) ; cette
qualification, de type métaphorique, s’appuie sur une métonymie. Le
recours à de telles opérations atteste de l’existence d’un travail
interprétatif et correspond donc à une qualification modale ;
. soit que le déterminé possède le référent du déterminant, comme
l’explicitent les définitions dictionnairiques (that owns/has...). Ces gloses
mettent en évidence le repérage à valeur de différenciation entre le sujet
grammatical et le substantif dont est dérivé l’adjectif. Ce sujet peut être
animé ou non, il est crédité d’une qualité visible ou tangible. La propriété
est objective et différentielle : dans la classe gentry (classes/horse...), elle
permet de créer une sous-classe, comme le fait tout adjectif, à ceci près
que le modifieur n’est pas prédicable.
La dérivation (-ed) marque ainsi, en surface, l’existence d’un lien
établi entre deux substantifs 4 0 (N1/N2 :pie/wagtail, land/gentry,
money/classes ...).
Il y a lieu de traiter à part le cas de pied 41 qui, associé à wagtail,
constitue une entité lexicale, l’ensemble adjectif+nom désignant un type
d’oiseau (Motacilla alba yarrellii). L’adjectif en -ed a ici une fonction
38 dogged (determination) - landed (gentry) - martyred (look) - moneyed (classes) -
pied (horse) - plumed (helmet) - sculptured (pedestal) -seamed (stocking)
39 Cf. 1.3
4 0 -ed n’est qu’un des nombreux suffixes permettant la formation d’adjectifs
dénominaux
41 du français “ pie ”
131
Cahier du CIEL 1998-1999
catégorisante : il s’agit là d’une composition figée, non libre 42.
Pour les autres occurrences, non figées, de quelle opération -ed
porte-t-il la trace, sachant que la mise en relation de deux notions,
réalisées lexicalement sous la forme de substantifs, peut, sous certaines
conditions, s’effectuer par simple juxtaposition (et former un mot
composé) ? En d’autres termes, pour quelles raisons, dans les cas
présents, la suffixation de N1 est-elle non seulement possible mais
obligatoire ? On rappellera tout d’abord que de telles formations sont
étroitement subordonnées aux propriétés de N2, et à la nature de la
qualité (N1) attribuée.
. La suffixation est ici possible 43 (c’est-à-dire non interdite) parce
que N1 ne constitue pas une propriété définitoire ou intrinsèque de N2
(*an eyed and eared baby) : il est fondé et non redondant d’attribuer à N2
(gentry, stocking) la qualité dénotée en N1 (land+ed, seam+ed), car
celle-ci n’est pas perçue comme constitutive (il existe une noblesse sans
terre, des bas sans couture ...).
. Elle est ici obligatoire (*land gentry), alors que l’anglais connaît
des cas
1) d’alternance possible : terrace(d) houses
2) de suffixation impossible :*a four-miled walk
parce que c’est précisément sur cette qualité que l’énonciateur fonde son
argumentation. La mention de cette propriété ne se justifie que par rapport
au contexte, qui souligne en retour son caractère de pertinence, comme
l’illustrent ces exemples :
[30] Its latest new machine - the 125cc Hexagon - is a revamped super scooter aimed at mature, moneyed commuters looking for a
featherbedded way of beating traffic.
[...] the newly updated Hexagon, the Italians' latest shot at the luxury
scooter market. The Times 28 March 1998
La mention de la qualité ( moneyed) des acheteurs potentiels n’a de
pertinence que parce qu’il s’agit d’un produit de luxe ( luxury).
[31] A new lower 10 per cent rate tax is widely predicted, plus national
insurance changes that will make it cheaper to employ those on lower
incomes, while raising costs for those with a moneyed workforce. The
Times 14 March 1998
C’est parce que les salaires sont élevés ( moneyed workforce ) que
l’augmentation des charges (raising costs ) est possible et justifiée.
42 comparable à blackbird , excepté que, lorsque les deux termes sont soudés,
l’accent principal (et unique) est porté par le premier élément.
43 Ce développement est fondé sur les conclusions de Charreyre 1995. Certains
exemples lui sont empruntés.
132
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
En d’autres termes, une sous-classe est ponctuellement créée
(moneyed commuters -moneyed workforce ) pour les besoins du contexte.
Il s’agit bien d’une catégorisation construite par l’énonciateur ; la qualité
(N1) est certes objective, elle est plus exactement “ objectivée ”, posée
comme argument spécifiquement pertinent. Cette propriété se distingue
de celle évoquée par pied parce qu’elle ne correspond pas à la création
d’un type, ou d’une sous-classe parmi d’autres 44. On en veut pour preuve
que landed gentry ne s’oppose pas à une gentry créditée d’une autre
propriété distinctive : elle pourra être mise en contraste avec not landed
gentry :
[32] " We are not landed gentry," explains Paula Heycock at Pytchley, "but
this is our family home and we have a duty to keep it going. The
trouble is, it costs an awful lot to run a place like this. I enjoy having
visitors, but let's face it: we do it for the money." The Times28 March
1998
alors que engineer, par exemple, se prête à une réelle déclinaison
paradigmatique selon les spécialités (agricultural, electrical, mechanical
...). En ce cas, les adjectifs participent à la création de sous-classes
répertoriées.
Ces dénominaux épithètes en - e d sont donc soumis à deux
contraintes, l’une dérivationnelle, l’autre syntaxique, qui manifestent
conjointement la mise en relation “ serrée ” de notions exprimées par les
deux substantifs. Modifiant le statut de N1, -ed lui confère la possibilité
d’être inclus dans les propriétés de N2 : il s’agit d’une qualité
ponctuellement explicitée, associée au référent de N2 lequel, par suite
d’un repérage à valeur de différenciation, en est dit porteur.
3.1.2 Participes morphologiquement isolés
Est morphologiquement isolé un adjectif dont la base n’existe pas en
langue : il n’est pas, contrairement à un dénominal ou déverbal, formé par
simple suffixation. Un adjectif en -ed peut être morphologiquement isolé
soit parce qu’il résulte d’une composition, soit parce qu’il se trouve
porteur d’une double affixation.
3.1.2.1 Participes composés
Aforesaid, aforementioned et abovementioned sont formés par
association d’un adverbe 45 et d’un participe passé (said, mentioned).
44 Il existe en effet plusieurs espèces de bergeronnettes : pied/white/yellow/forest
wagtail
45 Above se distingue par la pluralité de ses fonctions syntaxiques possibles : il
133
Cahier du CIEL 1998-1999
Paraphrasables par “ mentioned previously ”, ils signalent donc une
anaphore, de type textuel puisqu’ils ne sont usités qu’à l’écrit (on en a
souligné la première mention).
[33] ... on November 15th, Raul's wife and her brother were arrested in
Geneva as they tried to withdraw funds from a bank . [...] there was $
84m in the account in question, said the Swiss
[...] This week he broke a long silence with a (faxed) statement
denying any knowledge of the aforementioned accounts. The
Economist June 28,1997
[34] On Monday the group called Women in Journalism will publish the
results of an inquiry into a fair question. [...] I have not seen an advance
copy of the report, never having joined the aforesaid organization. The
Times 1996
Cette référence interne au texte correspond à une localisation spatiotemporelle ; la première mention du déterminé (B, ici a c c o u n t s ,
o r g a n i z a t i o n ) est en effet antérieure (sur le plan temporel), et
matériellement, se trouve “ au-dessus ”, dans l’organisation physique du
texte : les deux sont indissociables. Et c’est probablement parce que de
telles compositions soudées renvoient à une opération de type
endophorique - et puisque les verbes *aforemention, *aforesay et
*abovemention n’existent pas en langue, ce qui constitue une contrainte
absolue - qu’elles ne peuvent faire l’objet d’une prédication. Afore et
above, associés à des verbes de “ dire ”, ne sont interprétables que par
rapport à la situation d’énonciation. La qualité dénotée par l’adjectif (A
aforementioned , aforesaid ) n’est valide que dans la situation donnée,
n’appartient pas à B en tant que tel, mais à B en tant qu’objet de c e
discours : cet ajout ne modifie d’ailleurs en rien ses propriétés. L’adjectif
constitue ainsi la trace d’une opération de détermination. Seul
l’énonciateur peut d’ailleurs instancier la source du procès et, par
conséquent, il présente la relation AB comme pré-construite : la
validation antérieure est de son ressort propre. On reviendra sur l’impact
des caractéristiques sémantiques de ces adjectifs (3.2.3).
134
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
3.1.2.2 Formes doublement affixées46
La formation d’un nombre restreint d’adjectifs ne peut être
reconstituée avec certitude, et on présentera ici quelques hypothèses.
Chacune des formes possède le préfixe un- et le morphème -ed.
Aucune n’étant issue d’un verbe existant, un- prend ici un effet de sens
négatif, pour les motifs exposés en 2.4.1. Une analyse cas par cas
s’impose :
•unaccustomed constitue la seule forme dont on peut poser qu’elle est
dérivée d’un autre participe par préfixation, à l’instar des adjectifs
prédicatifs en un-/-ed.
• unwonted dérive probablement de wonted. Cependant wont est recensé
comme nom, verbe ou encore adjectif. Il est possible que wont soit le
participe du verbe (obsolète) won, aujourd’hui utilisé prédicativement
après is ou was 47, mais il existe aussi un verbe rare wont, probablement
créé par rétroformation à partir de wonted. Wonted, adjectif, est
uniquement employé en épithète.
Sur le plan du sens, unaccustomed et unwonted créditent B non
d’une propriété intrinsèque, mais d’un trait spécifique 48, nécessairement
lié à une situation ponctuelle, et dont la mention est en fait
principalement destinée au co-énonciateur. La preuve en est que la
qualification trouve souvent sa justification (soulignée en pointillé) dans
le contexte :
[35] Not long ago I woke up in the morning with unaccustomed joy in my
heart on realising I was too old to die young. Alan Sillitoe The Times
March 21, 1998
[36] On a night when British artists were virtually relegated to
unaccustomed anonymity, Dylan Sr picked up the award for Album of
the Year - perhaps the most coveted Grammy of all - for his Time Out
peut en effet avoir un emploi adjectival, adverbial ou prépositionnel, tandis que
afore , aujourd’hui archaïque, n’est employé qu’en composition, et exclusivement
avec mentioned ou said. Aforesaid a, en fait, été formé d’après beforehand (XII) et
b e f o r e t i m e . Mais la concurrence (en matière de diversité de fonctions
syntaxiques) semble avoir joué en faveur de before susceptible d’être préposition
ou adverbe, alors que l’usage de afore est désormais circonscrit aux deux
composés étudiés ici.
4 6 unaccustomed (physical exertion) - unadulterated (nonsense) - unmitigated
(disaster) - unvarnished (truth) - unwonted (good humour)
47 Jespersen, op.cit. p.32
48 On remarquera en outre que seuls des prédicats nominalisés peuvent accepter
cette qualification en épithète.
135
Cahier du CIEL 1998-1999
of Mind . The Times February, 27 1998
[37] With one sudden movement he thrust his arms beneath the belly of a
mule, spread his legs, and lifted it up to his chest. The startled animal,
its eyes popping with consternation, submitted to this unwonted
treatment, but upon being set lightly down threw back its head, brayed
with indignation, and cantered away down the street with its owner in
close pursuit. Louis de Bernières Captain Corelli’s Mandolin p. 18
L’adjectif en -ed constitue une remarque sur (le caractère inhabituel de)
l’événement, que l’énonciateur impose, s’appuyant sur des connaissances
qu’il estime non partagées ou qu’il souhaite mettre en relief. L’emploi
prénominal tiendrait, entre autres, à ce que l’énonciateur se pose, en tant
qu’auteur de la qualification, comme interprète de la situation. On
reviendra dans la synthèse sur ce point.
. unadulterated et unvarnished peuvent être dits dérivés de participes
passés de verbes existants (adulterate - varnish). Cependant, préfixés,
ces adjectifs sont employés sur le mode métaphorique seulement (en
d’autres termes, si adulterated ou varnished constituent le participe
passé d’une forme verbale finie, ils évoquent un procès, et le participe
passé en dénote le caractère accompli).
[38] Richard, the 2nd Earl Lloyd-George, seeking to present an
unvarnished personal picture (not always very credibly) in M y
Father, stated that " My father's religious beliefs fluctuated, and there
were periods in his life when he lost faith ". The Times March 14, 1998
[39] What I'm telling you is the pure,unvarnished truth. You're living in
the same house with a Jew, a black man, and an Indian, and the sooner
you accept the facts, the happier your life is going to be.' Paul Auster
Mr Vertigo p. 22
• unmitigated peut difficilement être considéré comme dérivé de
mitigated participe passé adjectival, qui semble peu usité, du fait,
semble-t-il, de sa complémentation prépositionnelle nécessaire :
[40] The effect of the strong pound is mitigated by the fact that only 5 per
cent of group sales are manufactured in the UK. The Times 14 March
1998
[41] With the summer heat partly mitigated by the ocean, this is a Florida
with a variety of experiences and with one of its lightest concentrations
of small children. The Sunday Times 15 March 1998
En effet, dans un corpus assez conséquent, on n’a relevé qu’une seule
occurrence apparemment prénominale de mitigated, mais il y a en fait
ellipse de be et la séquence se trouve dans une incise à valeur d’aparté
(révélateur d’un changement de niveau d’énonciation) :
[42] They should have won both Tests in Trinidad and, after a heavy, if
mitigated , defeat in Guyana, they dictated the match here until a
second abandonment ...The Times March 18, 1998
Il ressort de cette analyse qu’à un adjectif en un-/-ed peut ne pas
136
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
correspondre de participe passé adjectival non préfixé véritablement usité.
Ce cas n’est pas unique, d’autres adjectifs n’ont pas de contrepartie
positive (ou non négative) : ungaily, unfailing.
Enfin, et ceci atteste également de l’impact de l’affixation,
mitigated et unmitigated ont chacun un fonctionnement syntaxique
différent et contraint, le premier étant prénominal, le second le plus
souvent prédicatif.
Si la formation de unadulterated, unmitigated et unvarnished pose un
problème dans le rapport qu’ils entretiennent avec la forme dont ils
semblent dériver, ils témoignent, dans leurs acceptions, d’une similitude
frappante. Sous l’effet de cette double affixation, ils acquièrent une
signification qui n’équivaut pas à la simple addition de leurs morphèmes
constitutifs (préf.+ppa+suff.). Ainsi affixé, chacun constitue une nouvelle
entité lexicale n’ayant qu’un lointain rapport avec ses constituants. Deux
tests complémentaires illustrent cette métasémie :
• suppression de l’adjectif
- It was going to be (unadulterated) misery to us
- This is an (unmitigated) disaster
... an (unmitigated) evil
- He told the (unvarnished) truth
L’absence d’adjectif ne modifie pas la notion (exprimée par le
substantif) en tant que telle.
• remplacement par un équivalent synonymique : unadulterated,
unmitigated et unvarnished peuvent permuter avec real ou utter.
Ces deux manipulations mettent en évidence que ces adjectifs
n’ajoutent pas une propriété additionnelle (différentielle) à la notion à
laquelle ils sont associés. Leur emploi confirme que misery, disaster, evil,
truth, dans la situation donnée, possèdent intégralement toutes les
propriétés attachées à cette notion, qu’aucune n’est altérée. Ces adjectifs
(ceux en -ed comme leurs équivalents synonymiques), associés à un
syntagme nominal, confèrent ainsi à la notion le statut de haut degré.
Leur emploi en position de déterminant dénote donc un travail énonciatif
spécifique sur la notion exprimée par le syntagme nominal 49 L’analyse
des collocations révèle enfin que le sémantisme du substantif ainsi
qualifié serait incompatible avec une qualification autre que radicale :
[43] John Bruton, the Fine Gael leader, said the death was "an
unmitigated tragedy ". His colleague and friend was "one of Ireland's
most distinguished politicians and a person of great kindness". The
Times March 16, 1998
49 Cette manifestation du point de vue peut également s’exprimer sous la forme
d’un adverbe de type commentaire unmitigatedly
137
Cahier du CIEL 1998-1999
[44] A work like July's People (1981), about a violent civil war which
reduces the leafy white suburbs of Johannesburg to bomb-blackened
ruins, is an unmitigated cry of rage. The Times February 17, 1998
Ces adjectifs ne modifient donc pas la notion en elle-même,
puisqu’elle est déclarée totalement adéquate. Par conséquent, si leur
mention ne constitue pas une propriété additionnelle objectivable, celleci est à prendre comme un trait subjectif : l’énonciateur fait ainsi
connaître son point de vue sur l’authenticité absolue de la notion ainsi
choisie et qualifiée.
3.2. Adjectifs déverbaux
Parmi les prénominaux en -ed, les adjectifs déverbaux sont de loin
les plus nombreux (90% du corpus).
• Au risque de rappeler une évidence, ces adjectifs ne sont pas
obligatoirement prénominaux par nature, comme les mentions
lexicographiques - le dictionnaire traitant isolément les éléments du
corpus - pourraient le laisser croire. En effet, en tant qu’adjectifs, ils sont
nécessairement le support d’un syntagme nominal, et c’est bien lors de
leur association à un tel syntagme que se révèle la contrainte.
N’importe quel adjectif ne peut modifier n’importe quel nom : leurs
propriétés référentielles respectives limitent les possibilités d’association.
Lorsque les propriétés sont compatibles, et qu’une combinaison
adjectif+nom est formée, il se produit une interaction entre ces propriétés
référentielles. On posera l’hypothèse que la contrainte syntaxique de
l’adjectif témoigne de l’incidence de cette interaction, autrement dit que,
associé à tel type de nom, tel adjectif se trouve porteur d’une contrainte
syntaxique.
Pour les besoins de l’analyse, on examinera d’abord les
caractéristiques de l’adjectif, puis celles des types de nom auquel il est
associé : cet ordre ne saurait a priori refléter la prééminence de l’un ou
l’autre des composants. Le principe d’interaction sous-tend chaque étape
de l’analyse. Chaque (type d’) adjectif sera donc toujours analysé en
association avec un (type de) syntagme nominal (A renvoyant à
l’adjectif, B au substantif, AB à leur association).
• Ces adjectifs sont tous issus de verbes susceptibles d’être
employés à la voix active, mises à part de très rares formes archaïques :
. beloved, issu de belove (be 50 +love). Seule la forme participiale
est usitée. Elle est d’un emploi littéraire ou humoristique.
50 le préfixe be- peut former des verbes transitifs à partir de noms, d’adjectifs ou
de verbes : dans ce dernier cas, il a un rôle intensifieur (Zandvoort 1969 p. 293).
138
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
. born : un des deux participes passés de bear (born/borne). Borne
(littéraire) synonyme de carried, endured (donc employé au sens propre
ou métaphorique), semble avoir gardé plus d’affinités avec son verbe
d’origine (bear). Seul born peut renvoyer à la naissance 51.
• Le point commun de tous les autres adjectifs prénominaux en -ed
est leur origine verbale : de ce fait, ils renvoient à un procès ou un
événement, et à ce titre, supposent l’existence d’une source et,
éventuellement, d’un but. L’analyse du corpus montre que, non
indifféremment, le substantif (B) qu’ils modifient peut être un animé
humain (+AH), un inanimé (-AH), ou bien que B peut être un prédicat
nominalisé.
On relèvera en premier lieu les associations préférentielles (et
subsidiairement celles qui semblent impossibles) : avec quel type de
substantif, tel type d’adjectif peut-il ou non se combiner ? On évaluera
ensuite l’impact de la position attributive : si celle-ci est possible, quelle
différence induit-elle ? Sinon, quels facteurs bloquent la prédication ?
On traitera dans une première partie le cas où B ne peut occuper
aucune des places argumentales de A : soit parce que B est un prédicat
nominalisé, soit parce que le référent de B est non-humain alors que A
renvoie à une activité dont la source et le but doivent être animés
humains.
3.2.1 Ellipse du sujet
• Si B est un prédicat nominalisé, il renvoie, tout comme A, à un
procès. L’impossibilité de prédication tient à ce qu’aucun des composants
(A ou B) ne peut instancier de place argumentale auprès de l’autre. Il
s’agit là d’un cas de CEL 52 (composé elliptique lexicalisé) du type
standing ovation, porteur de la même contrainte syntaxique
d’imprédicabilité, et pour les mêmes motifs : deux activités
concomitantes sont prédiquées d’un même sujet dont il est fait l’ellipse
(dans le mot composé lui-même) 53, comme l’illustrent :
[45] The combined efforts of police, customs officers and informers lead
to the seizure of perhaps 30% of the world’s heroin and cocaine output.
The Economist June 28,1997
La police, les douaniers et les indicateurs sont bien à l’origine de deux
51 Selon Jespersen, (op. it. p. 59) cette différenciation orthographique ne date que
de la fin du XVIIIe.
52 Schuwer, 1997
53 Dans les citations suivantes, on a souligné en pointillé les syntagmes nominaux
renvoyant à la source, les procès figurant en gras.
139
Cahier du CIEL 1998-1999
procès : c’est grâce à leurs efforts (1), associés (2) qu’ils ont saisi
cette quantité de drogue.
[46] The film demands prolonged and unusually concentrated attention ,
whereas most museum-goers routinely stop in front of each work for only
a few moments. The Economist June, 1997
Les spectateurs doivent faire preuve d’une grande attention (1), ils sont
(donc) très concentrés (2).
[47] This is all interesting stuff, but what will really fascinate the paying
public is the continued search for signs of water-with its hint at the
possibility of life-on or under Mars's desert surface. The Economist
September 1997
Les scientifiques (contexte avant) cherchent (1) sans discontinuer (2)
toute trace d’eau sur Mars.
Dans les cas présents, l’activité principale est dénotée en B,
l’adjectif (A) venant marquer son caractère itératif ou continu ; il a donc
un effet intensifieur 54.
• La structure argumentale de certains prédicats requiert un animé
humain (source et but) : banish - engage - marry - wed. Leurs participes
passés sont également porteurs de cette caractéristique. Les combinaisons
suivantes semblent déroger à cette règle :
b a n i s h e d (years) - b o r n (days ) - e n g a g e d (days) married/wedded (life)
En ces cas d’hypallages, la qualité attribuée à B appartient en fait à
l’argument-source du prédicat A. Ainsi, par métonymie (?), c’est le statut
du sujet de A qui qualifie B, période de référence : car il s’agit toujours
de localisation temporelle (when X was banished/engaged/married), la
vie entière pouvant même être envisagée (in all my born days= ever
since I was born). A évoquant une caractéristique du sujet, celui-ci doit
impérativement être récupérable dans le contexte (il participe
généralement de la détermination même du syntagme nominal sous la
forme d’un adjectif possessif), faute de quoi on ne saurait auprès de qui
opérer la localisation temporelle de l’événement. Ces cas manifestent
donc un transfert d’attribution, puisqu’on caractérise B à l’aide d’un trait
qui appartient au sujet (A). Ces adjectifs sont ainsi porteurs d’une
information de type adverbial.
Pour tous les autres adjectifs prénominaux déverbaux, on distingue
deux catégories de procès, selon que l’accomplissement aboutit à une
transformation du référent de B ou non.
54 On notera en outre, à propos de [18], que la prédication (? their attention is
concentrated) ferait perdre à V -ed son interprétation métaphorique. Concentrated
fait partie des formes en -ed dont la contrainte syntaxique est partielle : au sens
propre ( concentrated orange juice ) l’emploi est libre, la prédication possible.
140
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
3.2.2 Transformation objective du référent de B
Procès à conséquence unique
• Au terme d’un processus volontaire, B acquiert une nouvelle
propriété 55 . Inanimé, il ne peut être à la source du procès et en constitue
effectivement le but. La source, le plus souvent non récupérable dans le
contexte, est indifférenciée (X - candy - fruit).
. -ed, dans la forme verbale finie comme dans le participe passé
adjectival, signale que le terme du procès est atteint : Candied fruit
are fruit that have been candied.
. have-en confirme la valeur aspectuelle,
. be+en témoigne de la diathèse passive : B occupe bien la place de
but dans le schéma prédicatif.
Le procès, arrivé à terme, aboutit à la création d’un type : le référent de
B se trouve porteur d’un trait nouveau, caractérisant au point de devenir
intrinsèque. Le procès a une conséquence unique, visible et irréversible.
• Si le référent de B possède le trait [+AH], il est à la source, même
involontaire, du procès, et il acquiert (si l’on ose dire) un nouveau statut,
également irréversible :
departed father - lapsed Catholic - vanished lover
Il est difficile de conclure à la création d’un type, et ceci tient sans doute
d’une part au caractère humain du référent de B, d’autre part à la nature
du procès.
Au-delà de cette différence, -ed dans les deux séries évoquées ici,
est purement aspectuel, dans le sens où le terme du procès équivaut à un
nouvel état de B qui peut être perçu, selon le type de procès, comme
plutôt positif ou non : si le procès est téléonomique, A dénote
l’acquisition d’une qualité, et dans le cas d’un procès involontaire, A
évoque la perte d’une qualité. La conséquence est en outre la seule
possible, et ceci explique que, que l’on veuille évoquer le déroulement du
procès (si l’aspect lexical le permet) ou son résultat, on aura recours au
même verbe lexical.
3.2.3 Procès “ verbal ” : les actes de parole
Le procès évoqué en A peut n’avoir aucune conséquence sur B, qui
en constitue pourtant un des actants (source ou but) : l’issue de ce procès
55 branded (product) - brushed (cotton) - candied (fruit) - figured (silk) - fitted
(carpet - gilt (frame) - ground (coffee) - hammered (silver) - jellied (eels) - joint (bank
account) - mixed (salad) - sun-dried (fruit) - tinted (glass)
141
Cahier du CIEL 1998-1999
ne se traduit donc par aucune transformation de B.
Telle est l’absence d’impact des verbes de dire qui, de par leur
sémantisme, ne renvoient pas à une activité susceptible d’engendrer, de
par son seul accomplissement, un nouvel état du sujet ou de l’objet.
• Parmi les actes de parole, on distinguera tout d’abord ceux dont
l’énonciateur rend compte en termes neutres : abovementioned aforementioned - aforesaid - said 56, auxquels il semble légitime d’inclure
agreed (plan) - declared (intention) - given (time) - voire même expected
(storm) si l’on convient qu’il y a nécessairement eu verbalisation de
l’attente pour qu’elle puisse ainsi être de nouveau évoquée.
L’apport sémantique de ces participes est circonscrit au simple
rappel du procès antérieur. Plutôt que d’une qualification de B, il s’agit de
l’équivalent d’une opération de fléchage : ces adjectifs pourraient en effet
aisément et, globalement sans perte d’information, permuter avec un
déictique anaphorique (that). En tout état de cause, que la qualification
soit lexicale ou déterminative, elle n’est interprétable que par rapport à la
situation d’énonciation.
• L’énonciateur peut se révéler moins neutre et non seulement
évoquer l’événement de dire antérieur, mais procéder du même coup à
une re-caractérisation de cet acte de parole : a v o w e d (feminist) confessed (criminal) - professed (atheist).
[48] In the 1970s and 1980s, many homosexuals were unwilling to hide.
Today, many cannot imagine hiding. These avowed homosexuals ...
The Economist July 15 1995
En ces cas, B semble être à la source du procès mais, en réalité,
l’énonciateur re-qualifie l’événement de dire antérieur. Cette
reformulation n’est possible que si B, animé humain, est porteur de
propriétés qui, culturellement, peuvent être mal acceptées : il semblerait
incongru de parler de avowed/confessed/professed president, par exemple.
Cette qualification (A) est le signe d’une distanciation (de la part de
l’énonciateur), tout comme si la dénomination (B) n’était dicible qu’en
référence à l’acte de parole ou l’événement antérieur, permettant du
même coup que l’agent soit ainsi dénommé. En d’autres termes, la requalification de l’acte autorise l’énonciateur à nommer B pour ce qu’il
est, ou convient d’être. L’énonciateur peut même redoubler de prudence
par un ajout pour le moins redondant, mais compréhensible :
[49] a well-known drinker and self-confessed wife-beater The Economist
November 9, 1996
[50] David Laskin, a self-confessed 'weather nut'
The Economist June 15,
56 The said weapon. Parce que ce sont des participes composés, les trois premiers
ont déjà fait l’objet de remarques en 3.1.2.1.
142
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
1996
[51] Michael Bane, a 45-year-old self -confessed couch potato The
Economist June 21, 1997
• L’adjectif en -ed peut également permettre à l’énonciateur de
nommer B tout en déclarant son incompétence ou son ignorance quant au
bien-fondé de la dénomination (a reputed billionaire) ou bien en en
reniant la légitimité (alleged police brutality - self-styled professor - socalled expert) 57 :
[52]... and the newspapers were full of alleged British attacks on our
shipping from Greek waters. I say ‘ alleged’ because nowadays I don’t
believe they really happened; I have a friend in the Navy who told me
that as far as he knew none of our ships had been lost. Louis de
Bernières Captain Corelli’s Mandolin p. 35
[53] ... and old men were mowed down by a cavalry regiment at the socalled Battle of Wounded Knee, which wasn't a battle so much asa
turkey shoot, a wholesale slaughter of the innocent. Paul Auster M r
Vertigo p. 74
ou encore en procédant à une reformulation à valeur définitoire :
[54] Cutler became an engineer with Rolls-Royce [...] He was given the
choice of becoming a pilot or a navigator. Thinking pilots were “ rather
common, glorified bus drivers basically ... ” he chose the latter... The
Times, 1996
glorified permet la mise en équivalence de pilots avec bus drivers.
Selon Cutler, cette dernière dénomination est plus appropriée.
Dans tous ces cas, l’adjectif en -ed marque le refus de prise en
charge de la dénomination d’origine, par suite d’inadéquation à la réalité
telle que la perçoit l’énonciateur 58.
L’emploi de ces adjectifs participiaux issus de verbes de dire
marque une intervention énonciative dont le poids varie selon le
sémantisme du verbe : il peut s’agit d’un simple rappel de l’événement
antérieur, d’une prise de distance par rapport à la dénomination (B), voire
d’un rejet complet. Parallèlement, de purement aspectuel -ed devient
progressivement modal.
3.2.4 Effet intensifieur
La mention du procès semble parfois superfétatoire ou redondante (
a grown man - an established politician - a known crack dealer) ou même
57 self-styled et so-called font partie des formes dont le participe ne peut être
employé seul en épithète (cf.3.2.6.3)
58 Ces adjectifs, en tant que révélateurs de l’évaluation de l’énonciateur sur
l’adéquation de la notion, sont les équivalents “ inverses ” de unvarnished ,
unmitigated.
143
Cahier du CIEL 1998-1999
non fondée (sworn enemies 59 ) ; sur le plan des faits, l’adjectif ne
constitue qu’un apport informationnel vague : car tel n’est pas l’objectif
de l’énonciateur. Par cette évocation, il vise en fait à intensifier les
qualités intrinsèques de B. Il ne s’agit là que d’une des stratégies dont il
dispose afin de faire valoir son point de vue sur la conformité de
l’appellation de B 60.
L’apport d’information est ainsi inversement proportionnel au poids
de l’intervention énonciative : moins l’adjectif apporte d’information sur
B (source ou but du procès), plus il dénote un travail énonciatif prononcé.
• On remarquera que si sworn est associé à un prédicat nominalisé, il
y a nécessairement renvoi à un événement antérieur (tout comme
pour written agreement).
• known ne peut être prédiqué que s’il est prémodifié : this problem is
well-known. Composé, l’adjectif ne porte aucune contrainte. D’où
l’hypothèse que k n o w n , épithète, signifie “ r e connu ”, pas
seulement “ connu ”. Une étape supplémentaire a été franchie, ce
qui explique l’effet intensifieur. ?The problem is known, sans autre
complémentation, serait dénué de sens parce que si B est déjà
nommé en tant que tel (problem), c’est qu’il est connu.
• pour des raisons similaires, dans a grown man (= un véritable adulte,
un adulte qui se respecte), l’adjectif n’est pas prédicable : un adulte,
par définition, est un être biologiquement accompli.
On voit donc que, si référence à un procès il y a, celui-ci ne joue qu’un
rôle mineur, la qualification ne visant qu’à ré-affirmer l’exemplarité des
qualités intrinsèques de B. En ce sens, le regard de l’énonciateur est
certes évaluatif, mais ne comporte pas vraiment d’élément appréciatif.
3.2.5 -ed modal
Par contraste, lorsque A ne renvoie, sans la moindre équivoque, à
aucune occurrence de procès ou événement, il ne peut être interprété
qu’en termes qualitatifs : il s’agit là de la manifestation patente du point
de vue appréciatif.
Le sémantisme de ces adjectifs participe de cette subjectivité, de
par le caractère métaphorique, donc hyperbolique en l’occurrence, de la
qualification.
59 L’emploi ici métaphorique semblerait même aller de pair avec l’absence de
procès.
60 Une autre, on l’a vu, se traduit par l’emploi de unadulterated, unmitigated,
unvarnished ... ; il n’y a clairement aucun procès antérieur.
144
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
A l’exception d’un seul (a born pianist) 61 , tous appartiennent à un
registre non neutre : formal (accursed film), old-fashioned (confounded
dog - cursed place), spoken (damned key - blessed book), informal
(jumped-up little bureaucrat), humorous or literary (beloved husband).
Puisqu’il n’y a pas eu occurrence de procès proprement dite
(l’énonciateur n’a pas, par exemple, nécessairement prononcé de
malédiction antérieurement), il serait inapproprié de parler de source du
procès, mais plutôt de prise en charge de la qualification, celle-ci étant
donc nécessairement le fait de l’énonciateur. Suffixant de tels prédicats,
-ed prend ainsi une valeur typiquement modale.
3.2.6 Observations complémentaires
3.2.6.1 Doublon lexical
Tout comme pour les adjectifs prédicatifs en - e d , de rares
prénominaux sont issus d’un verbe ayant deux participes passés, l’un
“ court ”, l’autre portant une désinence (-ed ou -en). La classe étant
réduite, il est difficile d’affirmer l’existence d’un lien global entre les
traits morphologiques, syntaxiques et sémantiques. On note cependant que
:
• seul le participe porteur d’une désinence se prête à l’emploi
métaphorique
shrunken (old lady) - sunken (cheeks) .
L’emploi purement verbal est réservé aux participes courts, auquel cas ils
renvoient nécessairement au procès : sunk - shrunk.
• Seules les formes longues peuvent renvoyer au procès : beaten
(cricket team) - fitted (carpet). Les formes courtes sont réservées à
l’emploi prédicatif, et semblent avoir gardé peu de liens avec le verbe
dont elles seraient issues - il n’est en effet pas certain que fit (adj) soit le
participe passé de fit (v), et beat (part. passé), autrefois plus usité que
beaten, s’est désormais spécialisé - ce qui explique qu’elles ne renvoient
jamais à un procès antérieur. Tant sur le plan sémantique que
morphologique, beat et fit peuvent être considérés comme de simples
adjectifs.
• Les formes courtes sont restreintes à l’emploi prénominal : joint
(bank account) - past (president) - roast (chicken).
Identiques sur le plan phonologique [past], past et passed se différencient
61 C’est uniquement en épithète seul que born relève de l’appréciatif. Pré-modifié,
( Toronto-born) il renvoie à l’occurrence du procès, et est interprété au sens propre.
145
Cahier du CIEL 1998-1999
du point de vue syntaxique et sémantique : past est déictique, et seul
passed peut évoquer un procès. Roast , en revanche, se distingue bien de
roasted (ppa) : mais comment expliquer la co-existence des deux formes
(à l’emploi prénominal contraint pour la forme courte), d’autant plus que
la différence de sens est ténue ? Il est possible que, issu du vieux
français, roast (adj.) soit réinterprété comme un participe passé
(archaïque?) de roast (v), par analogie avec joint, participe passé du
vieux français “ joindre ”, emprunté tel quel. Joined et roasted sont
purement verbaux.
On constate ainsi que l’existence de deux participes passés
correspond à des emplois non concurrents mais complémentaires.
3.2.6.2 Doublon phonologique
Un trait phonologique différentiel caractérise un nombre fini
d’adjectifs prénominaux en -ed. La désinence a pour premier effet
d’ajouter une syllabe supplémentaire quand bien même la base
(monosyllabique) se termine par une consonne qui, pour les verbes
réguliers, ne se traduit que par la simple adjonction d’une dentale [t] ou
[d] 62.
Certains sont à base dénominale : dogged (determination) - wicked
(bike/stepmother) - wretched (dog).
Parmi les déverbaux :
. l’un, beloved, est issu d’un verbe tombé en désuétude et n’a qu’une
seule réalisation phonétique : [bi 'l9 vd]
. deux sont graphiquement identiques :
. aged : an aged ['eid=id] man / a man aged [eid=d] fifty
. blessed : blessed ['blesid] innocence / [blest]
. une forme porte une différence graphique et phonologique, learned /
learnt:
a learned ['lœ:nid] man / learnt [lœ:nt].
Ce trait phonologique a une portée énonciative : il n’affecte en effet
que certains dénominaux qui ne sont alors pas interprétables au sens
propre - à l’inverse de hooked [hukt], par exemple (= avec ou en forme de
crochet) - mais qui doivent être entendus comme métaphoriques
(dogged). Il ne s’agit pas d’une caractéristique objective de B : elle lui
est attribuée par l’énonciateur.
En revanche, pour les déverbaux, on observe une différenciation : si
62 Ce phénomène ne concerne pas que les adjectifs prénominaux en -ed, mais
également : crabbed, crooked, gragged, ragged, rugged, jagged, cités par
Marchand, op. cit. p. 209.
146
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
l’énonciateur évoque un procès, la réalisation phonologique suit la règle
applicable à tout participe passé ; sinon, le participe se trouve doté d’une
syllabe supplémentaire, signal acoustique qu’il y a lieu de procéder à une
interprétation différente.
On aura constaté que, sans exception, ces adjectifs sont de type
appréciatif, le regard pouvant même, pour un même adjectif, selon le
substantif auquel il est associé, être interprété comme bienveillant
(blessed silence - wicked bike) ou critique (blessed book - w i c k e d
stepmother). Il s’agit là d’une manifestation du principe d’interaction
évoqué en 3.2.
Pour quelle raison tous les autres adjectifs prénominaux appréciatifs
(3.3.5) ne sont-ils pas porteurs de ce trait phonologique distinctif ? Il
n’apparaît pas chez ceux dont le sens est suffisamment transparent, et
pour lesquels la différenciation serait inopportune (accursed - confounded damned).
3.2.6.3 Prémodification obligatoire
La prémodification permet l’emploi d’adjectifs prénominaux qui,
sans elle, renverraient à une propriété constitutive de B et seraient donc,
en tant que tels, irrecevables, tels blooded ou handed.
• Adjectifs dénominaux
full-blooded (Cherokee Indian / argument)
adj
+ N1-ed
N2
single-handed (yachtsman / achievement)
adj
+ N1-ed
N2
La qualification de N2 est opérée en bloc par l’ensemble
indissociable adjectif+N1+-ed. En effet, l’association adj+N1 ne fait pas
sens à elle seule (?full blood - ?single hand). Solidarisant l’adjectif et N1
(reliés par un trait d’union), la suffixation donne du même coup sens à
l’ensemble par le biais d’opérations de métaphore et/ou de métonymie.
L’adjectif est indispensable et ne peut d’ailleurs permuter avec aucun
autre. La qualification ne fait pas partie des propriétés intrinsèquement
attachées à N2, mais en tant que propriété additionnelle, elle est
présentée comme caractérisante.
• Adjectifs déverbaux
La source du procès évoqué en A doit être explicitée :
. soit parce qu’elle n’est pas potentiellement unique
war-torn (country)
horse-drawn (carriage)
moonlit (garden)
147
Cahier du CIEL 1998-1999
L’ensemble résulte d’une prédication préalable éventuelle, chacune
des places du schéma de lexis devant être instanciée.
. soit parce que la source du procès est en réalité le référent de N2, en
tant qu’animé humain (et non en tant qu’expert ou architecte) :
self-styled (architect)
so-called (expert)
Le premier élément (préfixe ou adverbe) a pour fonction de signaler
que la prise en charge de la dénomination (B) est du seul fait de
l’être ainsi (auto)désigné. L’explicitation de la source du dire a pour
effet (délibéré) de signaler le refus de prise en charge de ce procès
par l’énonciateur : il peut ainsi, tout en la nommant, rejeter cette
dénomination.
La prémodification peut être adverbiale, et sembler informer sur les
circonstances de l’événement évoqué : long lost (relative) - long awaited
(payrise). Cependant, la durée évoquée par long n’est pas traduisible en
termes strictement quantitatifs. C’est davantage sur l’effet produit par
cette durée que sur sa longueur elle-même que l’adverbe renseigne.
L’adverbe est ici subjectivement caractérisant.
• En l’absence d’adverbe pré-modifiant, lost+ AH renvoie à un procès
dont B est à la source.
• Ceci explique que malgré leur parenté morphologique, awaited ne
puisse permuter avec waited, qui renverrait à un procès. Awaited est
plutôt synonyme de expected ; tous deux renseignent sur l’état
psychologique du sujet dans une situation donnée, et non sur un
événement.
Le procès est ainsi évoqué dans la perspective de son effet produit
sur le sujet, et non pour lui-même : ceci est imputable à la prémodification adverbiale, ici modalisante.
3.2.7 Synthèse
Dans l’exposé de la problématique, on a posé l’hypothèse que la
position épithète atteste d’une pré-construction. Deux cas de figure se sont
dégagés :
• soit A (dénominal ou déverbal) dénote une qualité différentielle de
B, qu’elle résulte d’un procès transformant (candied fruit) ou de la
possession d’un trait objectif choisi soit par tous les locuteurs comme
universellement distinctif (pied wagtail), soit par l’énonciateur comme
ponctuellement pertinent par rapport à son discours (landed gentry). Dans
les deux cas, l’emploi prénominal confère à A le statut de propriété
caractérisante de B, et à ce titre, acquis par B.
148
M. SCHUWER - Adjectifs anglais en -ed
La qualité attribuée par A peut être un trait secondaire, mais
complètement associé à B dans le cas des compositions elliptiques
(combined action). L’indissociabilité serait due à la dépendance d’un
procès par rapport à l’autre. Il s’agit là d’un cas tout à fait particulier car
l’impossibilité de prédication résulte de ce que AB, renvoyant à deux
procès prédiqués d’un même sujet, aucun ne peut être prédiqué de l’autre.
• soit A, déverbal, est issu d’un verbe de dire, et B ne subit par
conséquent aucune modification dans ses propriétés. Tous ces adjectifs
correspondent en fait à un travail sur la dénomination de B : selon le
sémantisme du verbe de dire, l’énonciateur procède à divers types
d’évaluation, module graduellement son degré d’intervention. Il peut, au
minimum, simplement évoquer le dire antérieur, sans intervention aucune
(aforementioned), souligner la parfaite adéquation de la dénomination
(unvarnished), en accentuer les qualités intrinsèques (sworn enemies),
signaler sa distance par rapport à cette dénomination (self-confessed),
aller jusqu’à la rejeter (alleged) tout en la nommant (ce qui équivaut à un
refus de prise en charge), enfin expliciter son point de vue purement
appréciatif sur le référent de B (cursed).
Dans tous les cas, A n’est pas prédicable en raison du travail
interprétatif ou évaluatif dont il constitue l’aboutissement, ce dont atteste
- e d . L’énonciateur présente la qualification comme, à ses yeux,
caractérisante, le sémantisme de A permettant au co-énonciateur de faire
la part entre les traits objectifs et les qualifications modales.
4. C ONCLUSION GÉNÉRALE
L’analyse des caractéristiques sémantiques, morphologiques et
syntaxiques de tous ces adjectifs syntaxiquement contraints, prénominaux
et prédicatifs, permet de conclure - et plus seulement sur le plan intuitif que c’est bien à leurs traits sémantiques propres que ces adjectifs,
nécessairement supports d’un syntagme nominal, doivent leur suffixation
et leur emploi syntaxique. Il serait vain de tenter de hiérarchiser ces deux
conséquences, d’attribuer à l’une un impact décisif justifiant le
déclenchement de l’autre, tant elles paraissent solidaires.
Il nous semble plus légitime de poser qu’il s’agit là de deux
manifestations d’un même phénomène, chacune apparaissant à un niveau
différent, sous la forme d’un marqueur d’une part, s’exprimant par un
emploi syntaxique spécifique d’autre part. Sous-jacente à ces
manifestations formelles - et qui leur donne sens - c’est, on l’a vu lors des
conclusions d’étape, la permanence de l’expression du point de vue de
149
Cahier du CIEL 1998-1999
l’énonciateur. Qu’il préside ainsi aussi bien à la prédication obligatoire
qu’à la position épithète des qualificatifs confirme qu’en aucun cas la
syntaxe n’est énonciativement neutre.
Mais comment expliquer qu’une même intervention énonciative,
subjective par nature, puisse, et de façon systématique, selon les cas,
obliger à l’un ou l’autre des emplois ?
En fait, la structure syntaxique mise en oeuvre vise à orienter, c’està-dire influencer le regard du co-énonciateur.
La prédication permet à l’énonciateur de présenter la qualification
du sujet, thème de discours, comme une information nouvelle, en position
rhématique. L’attention du co-énonciateur, sous l’effet de la focalisation,
est nécessairement attirée sur cette qualification du référent, ponctuelle
ou interprétative, selon le sémantisme de l’adjectif.
En position épithète, si la relation adjectif/nom est présentée comme
déjà nouée, c’est que l’énonciateur la considère comme caractérisante au
point de modifier les propriétés du référent du syntagme nominal, quand
bien même cette qualification est éminemment subjective, voire
appréciative. Il n’est pas anodin en effet que les adjectifs relationnels
(également dérivés) par exemple, soient pareillement syntaxiquement
contraints. C’est bien parce que la propriété dénotée par l’adjectif modifie
la référence, B, qu’elle en est syntaxiquement indissociable. Dans le cas
des adjectifs en -ed, la qualification est vue et présentée comme
modifiant la référence au point d’en acquérir le statut syntaxique de
propriété. Si -ed est purement aspectuel, B a en effet acquis une propriété
irréversible, s’il est modal, l’énonciateur s’affirme par là seul fondé à
prendre la qualification en charge, et le co-énonciateur est ainsi invité à
la considérer comme complètement intégrée aux propriétés du référent.
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