le public et la définition de la communication audiovisuelle

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le public et la définition de la communication audiovisuelle
LE PUBLIC ET LA DEFINITION DE LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE
Réflexions autour de l’arrêt de la CJCE
Mediakabel BV contre Commissariaat voor de Media
du 2 juin 2005
Marcel MORITZ
Allocataire-moniteur à l’Institut de Recherche et d’Etudes
en Droit de l’Information et de la Communication (IREDIC)
Le récent arrêt Mediakabel BV contre Commissariaat voor de Media rendu le 2 juin 2005 par la
CJCE1 a relancé avec force le débat entourant la définition de la communication audiovisuelle. Par cette
décision, la Cour a confirmé que la notion de public était bien le centre de gravité permettant de définir la
communication audiovisuelle. Dans cette affaire, les juges avaient à statuer sur la qualification juridique
d’un programme télévisuel de quasi vidéo à la demande, c'est-à-dire d’une sélection de vidéos diffusées à
heures fixes et décryptées ensuite contre paiement par les spectateurs le souhaitant. Selon les termes de
l’arrêt, un tel programme relève de la communication audiovisuelle dès lors qu’il s’adresse à « un nombre
indéterminé de téléspectateurs potentiels, auprès desquels les mêmes images sont simultanément
transmises ».
Cette prise de position revêt une importance réelle, notamment d’un point de vue économique, les
fournisseurs de programmes de quasi vidéo à la demande étant désormais contraints de respecter l’ensemble
des règles applicables à la communication audiovisuelle, dont les quotas de diffusion et les mesures de
protection du jeune public. Cependant, il serait erroné de faire de cet arrêt une lecture isolée. En réalité, ce
dernier se révèle être la traduction d’une mouvance constante. Face aux évolutions de la technique, la
notion de public et les subtilités de sa définition tendent à devenir la ligne de partage prépondérante entre
deux sphères aux encadrements juridiques distincts : la communication audiovisuelle et la communication
au public en ligne. Ce critère d’apparence simple à manipuler risque pourtant fort de se révéler à terme
excessivement simpliste et incapable de jouer seul le rôle de gardien du temple de la communication
audiovisuelle que l’on entend lui conférer. Ainsi, comment légitimer qu’un journal télévisé diffusé à 20
heures sur une chaîne nationale soit soumis à une réglementation et à une régulation rigoureuse, celles
applicables à la communication audiovisuelle, alors que ce même journal, diffusé en différé gratuitement et
sur demande individuelle par le réseau Internet n’est plus soumis aux mêmes contraintes ? Certains
répondront que le support n’est pas le même. Cependant, face au principe de neutralité technologique dont
on ne cesse de saluer, à raison, les vertus, cet unique argument ne convainc guère. Il convient donc de
constater que la définition du public auquel un programme s’adresse n’est pas neutre, mais qu’il serait à
l’inverse utopique et dangereux d’en faire le critère prépondérant voire absolu permettant de distinguer la
communication audiovisuelle de la communication au public en ligne. D’autres éléments de définition
doivent rapidement se développer, sous peine de voir les grandes catégories de notre droit de la
communication devenir perméables aux évolutions technologiques dont on sait d’expérience qu’elles sont
souvent plus rapides que prévues et qu’elles surprennent presque toujours le juriste en quête de stabilité.
Afin de repérer les brèches qui ne manqueront pas de s’ouvrir sur les parois séparant
communication en ligne et communication audiovisuelle et de proposer quelques palliatifs, il apparaît utile
de démontrer comment la notion de public est devenue prépondérante dans la définition de la
communication audiovisuelle (I), tant en droit interne (A) qu’en droit communautaire (B). Cette évolution
permettra de constater que l’existence d’un public simultané ne saurait constituer face aux évolutions
techniques un rempart suffisamment solide et que d’autres critères doivent se développer (II). Face aux
fragilités de la notion de public (A), le contenu du programme diffusé doit également devenir un critère
majeur de définition de la communication audiovisuelle (B).
I- L’existence d’un public : un critère devenu prépondérant
Que la radio et la télévision s’adressent à un public, nul ne saurait en douter ; aussi ce critère factuel
est devenu, en droit, un élément central de la définition de la communication audiovisuelle. Ce phénomène
a progressivement frappé le droit interne français (A), lequel s’est saisi de la notion de public (a) non sans
l’adapter aux évolutions techniques en y adjoignant le critère de la simultanéité (b). Ce critère sera très
1
CJCE, 3ème chambre, 2 juin 2005, Médiakabel BV contre Commisariaat voor de Media, Aff. C-89/04.
1
récemment repris par la CJCE (A) en son arrêt Mediakabel du 2 juin 2005 (a) en parfaite conformité avec la
réglementation communautaire existante (b).
A- Un critère à géométrie variable durablement employé en droit interne
a) L’existence d’un public comme élément traditionnel de définition de la communication
audiovisuelle
Le fait que la communication audiovisuelle se définisse par référence à l’existence d’un public n’est
pas un phénomène neuf. La loi du 29 juillet 19822 disposait en effet déjà en son article premier que « […] la
communication audiovisuelle est la mise à disposition du public, par voie hertzienne ou par câble, de sons,
d’images, de documents, de données ou de messages de toute nature ». Par ailleurs, l’article 77 de cette
même loi portait en son sein une précision des plus importantes, puisqu’il soumettait à déclaration préalable
« tout service de communication audiovisuelle avec le public en général ou avec des catégories de public
par lequel chaque utilisateur du service proposé interroge lui-même à distance un ensemble d’écrits, de
sons, d’images ou de documents ou messages audiovisuels de toute nature, à l’exclusion des œuvres
cinématographiques, et ne reçoit en retour que les éléments demandés ». La lecture croisée de ces
dispositions, désormais toutes deux abrogées3, démontre que le législateur de l’époque entendait définir la
communication audiovisuelle d’une manière très large, en prenant en compte l’existence d’un public du
point de vue du diffuseur. Si ce dernier adressait un message à un public ou à une catégorie de public son
activité relevait de la communication audiovisuelle, même si le message était en réalité transmis sur
demande individuelle.
La loi fondatrice du 30 septembre 19864 n’est pas venue bousculer cette conception, précisant
simplement en son article deux qu’« on entend par communication audiovisuelle toute mise à disposition du
public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d’écrits,
d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée ».
Le domaine de la communication audiovisuelle demeurait donc très large, puisque défini par opposition à la
communication privée. A condition de transiter par le biais d’un moyen de télécommunication5, tout
message destiné au public ou à une catégorie de public relevait donc de la communication audiovisuelle.
Face au développement rapide des services audiotel et minitel, une circulaire du 17 février 19886 vint
préciser les intentions du législateur de 1986. Aux termes de ce texte, « la communication audiovisuelle se
définit […] par opposition à la correspondance privée », de sorte qu’ « il y a communication audiovisuelle
lorsque le message est destiné indifféremment au public en général, ou à des catégories de public, c'est-àdire à un ensemble d’individus indifférenciés sans que son contenu ne soit fonction de considérations
fondées sur la personne » ou encore lorsque « le message transmis est à l’origine mis à la disposition de
tous les usagers du service, à titre onéreux ou gratuit ».
La communication audiovisuelle demeurait donc définie par opposition à la notion de
correspondance privée. En ce sens, l’existence d’un public, si elle figurait dans la définition, n’avait en fait
qu’une portée limité. Peu importait en substance qu’il existe réellement un public de récepteurs, c'est-à-dire
un ensemble indifférencié de personnes recevant simultanément le message, l’essentiel étant que le
diffuseur s’adresse à un public potentiel auquel il délivre le même message. La célèbre affaire Midratel du
13 octobre 19927 constitue à ce titre une illustration topique, la Cour d’appel de Paris jugeant que « les
kiosques téléphoniques, mettant à la disposition du public des messages pré-enregistrés, font partie des
services de communication audiovisuelle et se trouvent à ce titre soumis aux dispositions de la loi du 30
septembre 1986 ». Le fait que le service soit fourni sur demande individuelle ne remettait donc en aucun cas
en cause son rattachement à la catégorie de la communication audiovisuelle : le diffuseur s’adresse à un
public et lui destine un message pré-enregistré non individualisé, de sorte que de son point de vue il y a bien
communication audiovisuelle. Le rôle du public, qui décide en pareille hypothèse du moment auquel le
transfert d’information a lieu demeurait donc neutre.
2
Loi n°82-652 du 29 juillet 1982, JORF du 30 juillet 1982, pp. 2431 et s.
Abrogées par les dispositions de l’article 110 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de
communication, JORF 1er octobre 1986, pp. 11755 et s.
4
Loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, JORF du 1er octobre 1986, pp. 11755
et s.
5
Tel que défini à l’article 2 al. 1 de la loi de 1986.
6
Circulaire du 17 février 1988 prise en application de l’article 43 de la loi du 30 septembre 1986, JORF du 9 mars
1988, pp. 3149 et s.
7
CA Paris, 1ère ch., A, 13 octobre 1992, SA Midratel c/ société France Télécom, confirmation de TGI Paris 1ère ch., 15
octobre 1991. V. Dalloz, IR, 1993, 6ème cahier, p. 32 ; Petites Affiches, 18 novembre 1992, n°139, pp. 11 et 12.
3
2
b) L’exigence d’un public simultané comme élément nouveau de définition de la communication
audiovisuelle
Avec l’évolution des techniques et notamment le développement rapide de l’Internet, il devenait
nécessaire de modifier la définition de la communication audiovisuelle. C’est alors que la notion de public
va prendre une importance nouvelle en se voyant adjoindre un critère additionnel, celui de la simultanéité.
En effet, la loi pour la confiance dans l’économie numérique8 du 21 juin 2004 (dite loi LCEN) dispose en
son article premier modifiant l’article 2 de la loi du 30 septembre 1986 que l’ « on entend par
communication audiovisuelle toute communication au public de services de radio ou de télévision, quelles
que soient les modalités de mise à disposition auprès du public, ainsi que toute communication au public
par voie électronique de services autres que de radio et de télévision et ne relevant pas de la communication
au public en ligne […] ». Or, ce même article définit désormais comme service de télévision « tout service
de communication au public par voie électronique destiné à être reçu simultanément par l’ensemble du
public ou par une catégorie de public […] ». Sur le même principe, l’exigence d’une réception simultanée a
été intégrée dans la définition des services de radio.
A l’inverse, la communication au public en ligne, catégorie nouvelle antagoniste de la
communication audiovisuelle, se définit comme « toute transmission, sur demande individuelle, de données
numériques n’ayant pas le caractère de correspondance privée, par un procédé de communication
électronique permettant un échange réciproque d’informations entre l’émetteur et le récepteur ». Dès lors, la
notion de public devient en réalité duale : il existerait d’un côté un public passif, soumis à la programmation
choisie par l’émetteur, et de l’autre un public actif, maîtrisant parfaitement le moment de la diffusion et
pouvant intervenir sur le cours de cette dernière. Cette distinction revêt un enjeu juridique capital puisque le
programme diffusé à un public passif relèvera de la communication audiovisuelle alors que les contenus
diffusés à un public actif relèveront de la communication au public en ligne, laquelle est soumise à des
règles bien moins contraignantes et exclu tout contrôle de la part du CSA. En ce sens, la définition légale de
la communication audiovisuelle a suivi avec un léger décalage celle, jurisprudentielle, de l’œuvre
audiovisuelle, laquelle est incompatible avec une quelconque interactivité9.
En pratique, il convient donc désormais en droit interne d’appréhender distinctement trois types de
programmes :
- En premier lieu, les programmes audiovisuels « classiques », diffusés en clair ou contre paiement.
Dans cette hypothèse, c’est le diffuseur qui choisi les contenus programmés ainsi que les horaires de
diffusion. Peu importe alors que le programme diffusé le soit gratuitement, contre abonnement ou contre
paiement à la séance : le spectateur a certes un choix, celui de visionner ou non les programmes,
éventuellement contre paiement, mais ce choix demeure limité puisqu’il reste tenu par une grille de
programmation indépendante de sa volonté. Ce type de programme relève de la communication
audiovisuelle.
- En second lieu, les programmes de quasi vidéo à la demande. Le diffuseur propose dans ce cas un
programme émis à plusieurs reprises à des horaires très rapprochés de manière à offrir une plus grande
flexibilité au spectateur. Cette solution, malgré le confort d’utilisation qu’elle offre au spectateur demeure
techniquement assimilable à une programmation « classique », puisque le moment de la diffusion est
toujours fixé par le diffuseur et non par le récepteur comme dans le cas de la vidéo à la demande. Ce type de
programme semble donc, en l’état actuel du droit, devoir être assimilé à un mode de communication
audiovisuelle. Cette solution vient par ailleurs d’être confirmée au plan européen par l’arrêt Mediakabel BV
contre Commissariaat voor de Media.
- En troisième lieu, les programmes audiovisuels à la demande. Dans ce cas c’est le récepteur qui va
choisir le moment de la diffusion, et qui va pouvoir le plus souvent intervenir activement sur le cours de
cette diffusion. Dès lors, il n’y a plus simultanéité de la réception, et donc du public : le diffuseur propose
un contenu qui sera ensuite écouté ou visionné au moment choisi par le public, contre paiement ou
gratuitement. Ce type de contenu ne relève assurément plus, en l’état actuel du droit, de la communication
audiovisuelle.
8
Loi n°2004-575, JORF n°143 du 22 juin 2004, pp. 11168 et s.
V. notamment TGI Paris, 3ème ch., 3ème section, 28 janvier 2003 ; Ch. Caron, « L’interactivité chasse l’œuvre
audiovisuelle », Communication- Commerce électronique, avril 2003, pp.17 à 19.
9
3
B- Un critère récemment repris par la CJCE dans l’affaire Mediakabel
a) Une jurisprudence dans la droite lignée du droit interne français
Par l’affaire C-89/04 Mediakabel BV contre Commissariaat voor de Media, la CJCE a eu à
connaître de la définition d’un service de quasi vidéo à la demande10. En l’espèce, la société Mediakabel
propose depuis la fin de l’année 1999 deux types de services : d’une part un service « Mr. Zap », permettant
de recevoir contre paiement et à l’aide d’un décodeur des programmes télévisés complémentaires des
émissions diffusées en clair sur le réseau. D’autre part, Mediakabel propose à ses abonnés de visionner
certains programmes additionnels dans le cadre d’un service appelé « Filmtime », système de paiement à la
séance venant se greffer sur le service de télévision par abonnement. Concrètement, un utilisateur du service
« Mr Zap » souhaitant visionner un programme diffusé par le système « Filmtime » doit s’identifier par un
code personnel puis régler le montant du service. Il dispose alors d’une clef individuelle qui lui permet de
regarder, aux horaires prévus par le diffuseur, un ou plusieurs des films proposés. Ces films étant diffusés
avec une grande fréquence, à l’image des séances répétées d’une salle de cinéma, l’utilisateur bénéficie
d’une certaine souplesse dans le choix du moment du visionnage.
Très rapidement, la qualification du système « Filmtime » allait poser des difficultés, la société
Mediakabel considérant qu’il s’agit d’un système interactif relevant de la catégorie des services de la
société de l’information échappant au droit de la communication audiovisuelle, et notamment à l’obligation
de respecter les quotas de diffusion d’œuvres européennes imposées par la directive 89/55211. Le problème
posé n’était pas anodin tant il est vrai que le service « Filmtime » comportait à la fois certaines
caractéristiques des services de la société de l’information (accessibilité après appel individuel, paiement à
la séance), que celles d’un service audiovisuel (sélection des films, des horaires et de la fréquence de
diffusion par le diffuseur).
Saisie sur questions préjudicielles par le Raad van State néerlandais, la CJCE s’est vue demander de
qualifier en droit le service « Filmtime », non sans avoir précisé au préalable les contours de la notion de
communication audiovisuelle et réfléchi à ses implications, eu égard à la question des quotas de diffusion.
Sans que cette prise de position ne puisse surprendre outre mesure, la Cour considère dans un
premier temps que la notion de radiodiffusion télévisuelle définie par la directive 89/55212 est autonome par
rapport à la notion de société de l’information. L’une ne saurait donc se définir par simple opposition à
l’autre.
La Cour précise ensuite que la notion de radiodiffusion télévisuelle, lato sensu assimilable à notre
conception nationale de la communication audiovisuelle, se distingue principalement des services de la
société de l’information par le fait qu’elle doit fournir des services « destinés au public, c'est-à-dire à un
nombre indéterminé de téléspectateurs potentiels, auxquels les mêmes images sont simultanément
transmises »13. Le critère de la simultanéité est bien prépondérant, la Cour insistant sur le fait que « le fait
que les images soient […] accessibles au moyen d’un code personnel est sans incidence […] dès lors que le
public des abonnés reçoit les émissions au même moment »14. Par conséquent, le service « Filmtime » doit
être considéré comme offrant une prestation « point à multipoint », le diffuseur choisissant le moment de la
diffusion et la clef individuelle permettant d’accéder aux films ne constituant qu’un moyen de décryptage
de signaux adressés simultanément à tous les abonnés. Du point de vue du prestataire du service, lequel doit
d’après la Cour être privilégié15, ce service n’est donc pas émis sur demande individuelle. Il constitue un
simple service de quasi vidéo à la demande, lequel est assimilable à un service de radiodiffusion
télévisuelle.
Enfin, la Cour précise que cette qualification ne remet en aucun cas en cause l’applicabilité des
quotas de diffusion. En effet, il convient de considérer fort logiquement que ces quotas, comme pour les
programmes audiovisuels classiques, ne s’appliquent qu’au temps de diffusion et n’imposent pas aux
téléspectateurs de visionner effectivement les œuvres diffusées. Le service « Filmtime » est donc
10
V. G. Decocq, « Le pay per view est de la quasi vidéo à la demande », note sous CJCE Médiakabel BV contre
Commisariaat voor de Media, in Communication - Commerce électronique, juillet-août 2005, pp. 33-34.
11
Directive 89/552/CEE du Conseil du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives,
réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle,
JOCE, L 298 du 17 octobre 1989, pp. 23-30.
12
Ibid.
13
Point 30 de l’arrêt Médiakabel BV contre Commisariaat voor de Media précité.
14
Point 32 de l’arrêt Médiakabel BV contre Commisariaat voor de Media précité.
15
A noter sur ce point que les conclusions de l’avocat général M. Antonio Tizzano n’ont pas été suivies, ce dernier
ayant considéré au point 59 de ses conclusions que la qualification du service « ne dépend pas du point de vue
subjectif du prestataire ou du bénéficiaire ».
4
parfaitement en mesure de respecter lesdits quotas ; il lui suffit de proposer dans sa programmation un
ensemble de films variés respectueux des quotas, les spectateurs demeurant libres de choisir, de payer et de
visionner les œuvres qu’ils souhaitent.
Loin de révolutionner le droit des médias, ce récent arrêt s’inscrit dans une évolution dont on vient
de voir qu’elle affectait également le droit interne français : la notion de public prend désormais une place
prépondérante dans la définition de la communication audiovisuelle, avec une importance majeure conférée
à la simultanéité avec laquelle ce public reçoit les informations. Ainsi, la CJCE ne renierait certainement
pas les termes de l’article 2 de la loi de 1986 modifiée par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans
l’économie numérique, qui insiste dans la définition des services de radio et de télévision sur le caractère
simultané de leur réception par le public16. Notre droit interne est de ce point de vue sans conteste en
parfaite adéquation avec le dernier état de la jurisprudence communautaire. Doit-on s’en étonner ? Il est
évident que le flot incessant de directives dans le domaine du droit de la communication n’est pas ici sans
influence…
b) Une jurisprudence dans la droite lignée de la réglementation communautaire
L’importance consacrée à l’existence d’un public simultané par l’arrêt Mediakabel est également
parfaitement conforme à la réglementation communautaire existante. Ainsi, la directive 89/55217 prévoyait
déjà en son article premier que l’ « on entend par « radiodiffusion télévisuelle » l’émission primaire, avec
ou sans fil, terrestre ou par satellite, codée ou non, de programmes télévisés destinés au public. […] Ne sont
pas visés les services de communications fournissant, sur appel individuel, des éléments d’information ou
d’autres prestations […] ». Cette directive excluait donc déjà du champ de la communication audiovisuelle
les prestations fournies à la demande par des individus isolés. A contrario donc, seules les émissions
destinées à être reçues simultanément par le public relèvent de la communication audiovisuelle.
Cette conception de la notion de public simultané va encore se trouver renforcée par la directive
98/34 du 22 juin 199818. Ce texte n’est applicable qu’aux services de la société de l’information, et ne
concerne donc pas les services de radiodiffusion sonore et télévisuelle. Cependant, il est essentiel car il
précise les limites entre ces deux sphères antagonistes de la communication. Cette directive dispose en effet,
en son article premier paragraphe deux, qu’est un service de la société de l’information « tout service presté
normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un
destinataire de services ». L’annexe V de cette directive dispose par ailleurs que ne constituent pas des
services fournis à la demande individuelle d’un destinataire de services « les services de radiodiffusion
télévisuelle (y compris la quasi vidéo à la demande) […] ». D’une certaine façon, la réponse au litige
soulevé par Mediakabel trouvait ici sa réponse : le service n’était pas au sens strict un service de vidéo à la
demande, il ne pouvait être qu’un service de quasi vidéo à la demande, dont on vient de voir que la directive
98/3419 les assimilait à un service de radiodiffusion télévisuelle classique.
Par ailleurs, et en tant que de besoin, la directive 2000/3120 sur le commerce électronique est venue
préciser en son dix-huitième considérant que « les services de télévision au sens de la directive 89/552 et de
radiodiffusion ne sont pas des services de la société de l’information car ils ne sont pas fournis sur demande
individuelle. En revanche les services transmis de point à point, tels que les services de vidéo à la demande
[…] constituent des services de la société de l’information ». Si la sémantique adoptée change, les critères
de distinction demeurent : soit le service est réellement fourni à la demande, il est alors de type « point à
point » et relève des services de la société de l’information, soit les modalités du service sont en réalité
définies par le diffuseur, ce dernier est alors un service de type « point à multipoint », lequel relève de la
communication audiovisuelle.
Par conséquent, l’arrêt Mediakabel ne révolutionne en rien les critères de distinction entre
communication audiovisuelle et services de la société de l’information. Il s’inscrit bien au contraire dans la
logique d’une continuité privilégiant pour la définition de la communication audiovisuelle la notion de
public et distinguant entre le public actif et le public passif, lequel se trouve de facto être un public
simultané. Ce critère semble désormais recueillir tous les suffrages.
Né au sein de la réglementation communautaire, repris par la jurisprudence de la CJCE et par la loi
pour la confiance dans l’économie numérique, tout laisse penser désormais que l’existence d’un public
simultané constitue une barrière parfaitement étanche entre d’un côté le droit de la communication
16
V. supra ; Article 2 in fine de la loi de 1986 modifié par la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 précitée, art. 1 II.
Précitée.
18
Directive 98/34/CE du Parlement et du Conseil du 22 juin 1998, JOCE du 21 juillet 1998, L 204/37, telle que
modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement et du Conseil du 20 juillet 1998, JOCE du 5 août 1998, L 217/18.
19
Ibid.
20
Directive 2000/31/CE du Parlement et du Conseil du 8 juin 2000, JOCE n° L.178 du 17 juillet 2000.
17
5
audiovisuelle et de l’autre le droit de la communication au public en ligne. Cependant, en pratique, une telle
simplification se révèle outrancièrement simpliste, de sorte que d’autres critères devront également voir le
jour.
II- L’existence d’un public : un critère largement insuffisant
Le consensus existant sur la place majeure attribuée à la notion de public dans la définition de la
communication audiovisuelle ne doit en effet pas masquer une réalité bien plus complexe. La
communication audiovisuelle ne se réduit pas à un message quelconque adressé simultanément à un public.
Confronté aux évolutions technologiques, ce critère s’avère trop souvent dépassé (A), incapable de juguler
de prévisibles dérives (a) et de se montrer respectueux du principe de neutralité technologique (b), lequel
devrait pourtant prévaloir. Face à cette situation délicate, il convient de développer un critère additionnel
(B), fondé sur le contenu des programmes diffusés (a), ce qui n’est pourtant nullement le choix opéré par le
législateur français (b).
A- Un critère rapidement dépassé
a) Des dérives prévisibles
Sans pour autant vouloir considérer l’espace de la communication au public en ligne comme une
zone de non droit, ce qui serait absurde, il convient néanmoins de constater que ce domaine jouit d’un cadre
juridique bien plus souple que celui applicable à la communication audiovisuelle. En l’état actuel du droit
positif et de la jurisprudence, la tentation est donc grande pour les diffuseurs de proposer des contenus à la
demande par préférence aux contenus à flux continu, ceci dans le but de bénéficier d’un régime juridique
plus avantageux. Des dérives sont donc prévisibles dans de multiples domaines.
Parmi ces dérives se pose la question du devenir des quotas de diffusion d’œuvres originales
d’expression française et européenne. Ce problème n’est pas anodin, puisqu’il était placé au cœur de
l’affaire Mediakabel. Certes, il serait tentant de minimiser l’impact de l’inapplicabilité des quotas hors de la
sphère de la communication audiovisuelle. En effet, ainsi que la Cour l’a parfaitement précisé, les quotas ne
s’appliquent pas aux programmes regardés mais à ceux qui sont proposés. Cependant, il faut garder à
l’esprit que dans le domaine de la culture, l’offre a une influence non négligeable sur la demande. Avec
l’accroissement constant des débits les services de chargement de vidéo à la demande vont prendre une
importance croissante. Si les quotas de diffusion demeurent inapplicables à ces services, les diffuseurs vont
privilégier une offre rentable mais peu diversifiée, et l’effectivité même des quotas de diffusion, déjà
relative, va perdre sa consistance.
A de nombreux égards, la question de la protection du jeune public soulève encore plus
d’inquiétudes. Sur ce point crucial la situation risque à court terme d’engendrer de nombreux effets pervers.
A titre d’illustration, on peut relever que les principales chaînes de télévision diffusent d’ores et déjà « on
demand » certaines de leurs émissions sur le net. Ainsi, les journaux d’information des principales chaînes
nationales sont disponibles en différé, à la demande, sur Internet. Pour l’instant, le contenu de ces journaux
est identique à celui diffusé en direct. Mais il est parfaitement possible d’inclure dans ces derniers des
séquences, notamment de grande violence, incompatibles avec la réglementation de la communication
audiovisuelle protégeant les mineurs. Il y aurait alors deux journaux, une version « soft » diffusée sur les
chaînes de télévision, et une version « hard » diffusée sur Internet. Si la tentation économique demeure
discutable dans l’exemple d’un journal d’information, elle devient très concrète si l’on s’intéresse aux
émissions de divertissement, et notamment à la télé-réalité. Par un attractif jeu de renvoi de l’émission
télévisée vers l’émission fournie à la demande sur Internet, les chaînes pourraient habilement détourner les
règles de droit applicable et se procurer une audience supplémentaire considérable. On imagine alors
parfaitement que l’audience de l’émission Internet « hard » puisse sans peine dépasser l’audience de
l’émission télévisée classique ! Lorsque l’on sait la facilité avec laquelle les jeunes accèdent désormais à
l’Internet, le risque de vider de leur sens les dispositions visant à protéger ces derniers est grand…
Les règles relatives à la publicité, au télé-achat et au parrainage risquent également d’être
détournées. Ce point est particulièrement sensible puisqu’il touche à la rémunération des diffuseurs. Dans
ce domaine les contraintes sont fortes au sein de la communication audiovisuelle, avec notamment
l’obligation faite aux diffuseurs de ne pas programmer de messages publicitaires hors de plages
spécialement dévolues à cet effet. Avec les capacités croissantes du réseau Internet, il va devenir à court
terme tentant pour les grandes sociétés de télévision de proposer aux téléspectateurs de retrouver sur
Internet, en différé, l’ensemble des émissions récemment diffusées par la chaîne, à l’image de ce qui existe
6
déjà pour les journaux télévisés. Dès lors, en contrepartie du service offert au récepteur, lequel n’est plus lié
par la grille des programmes, la chaîne pourra employer des méthodes publicitaires que le droit de la
communication audiovisuelle bannit (incrustations de publicités dans le contenu même des émissions,
publicité clandestine, etc.).
Enfin, et il s’agit probablement du point le plus important, le CSA perd sa compétence dès lors
qu’un message relève de la communication en ligne et non plus de la communication audiovisuelle. De
nombreuses dérives sont ici à craindre. En effet, comme l’a démontré la récente affaire Al Manar21, l’organe
de régulation est particulièrement attentif aux propos diffusés par les chaînes de télévision, d’autant plus
qu’il a récemment vu ses pouvoirs renforcés à cet effet22. Si les messages extrémistes passent aujourd’hui
plus difficilement par les voies satellitaires, tout porte à croire que les auteurs de ces doctrines les
véhiculeront désormais de préférence sur Internet par le biais de programmes diffusés sur demande
individuelle, lesquels sont soustraits au contrôle du CSA.
Ces quelques illustrations sont loin d’être exhaustives, mais elles démontrent parfaitement les
enjeux considérables que revêt en pratique une qualification juridique pouvant sembler de prime abord
quelque peu théorique. Or, en centrant la qualification de la communication audiovisuelle autour de la
notion de public, le législateur et les juges sacrifient, à de nombreux égards, la logique de la neutralité
technologique sur l’autel d’une simpliste simplicité.
b) La neutralité technologique mise à mal
Le principe de neutralité technologique est désormais profondément ancré, tant en droit interne23
qu’en droit communautaire24. Il consiste à faire prévaloir le message sur son mode de transmission pour la
détermination du régime juridique applicable. Loin de remettre en cause ce principe, l’arrêt Mediakabel le
réaffirme, précisant que « la technique de transmission des images n’est pas un élément
déterminant […] »25. Cependant, la lettre de l’arrêt tranche radicalement avec ses conséquences pratiques.
En effet, si dans l’hypothèse de la qualification d’un service de quasi vidéo à la demande tel que soulevé par
le service « Filmtime » le principe de neutralité technologique a bien trouvé application, il convient de
constater qu’a contrario, dans un cas de vidéo à la demande, la qualification du programme aurait été
différente. En effet, un service réellement fourni sur demande individuelle ne s’adresserait pas à un public
simultané et ne pourrait être qualifié de service de communication audiovisuelle.
Il est donc erroné d’affirmer que la technique de transmission des images est neutre : dès lors que
cette technique permet une réelle interactivité elle agit sur la qualification du public et donc sur celle du
programme. On le voit aisément, la prépondérance confiée au critère de simultanéité du public avoue ici ses
limites. En effet, si l’on adopte une lecture a contrario de l’arrêt rendu par la CJCE, ou encore des textes
issus de la loi LCEN, on constate qu’un même programme va voir sa qualification et donc son
environnement juridique changer en fonction de son mode de transmission. Cette situation est pour le moins
critiquable au moment même où l’on entend séparer hermétiquement modalités techniques et encadrement
juridique.
Les débits exponentiels supportés par les réseaux ne feront à l’avenir que renforcer cette analyse.
En effet, il deviendra à très court terme parfaitement aisé de proposer aux spectateurs un ensemble de
programmes à la demande concurrençant la diffusion en direct. Dès lors, la part de marché constituée par le
public passif ne cessera de diminuer face à celle du public actif, maître du moment de la diffusion. Il ne faut
pas une imagination débordante pour concevoir que l’ensemble des programmes des grandes chaînes puisse
être à court terme accessible, à la demande, sur le réseau Internet, libérant ainsi les spectateurs des
contraintes de la grille de programmation. Comment expliquer dans cet avenir proche qu’un programme
déjà diffusé sur une chaîne de télévision « à débit continu » change de qualification juridique et de
21
J. Saint Laurent, « Le nouveau référé audiovisuel à l’épreuve d’Al Manar TV », Légipresse, n°216, novembre 2004,
pp. 191-196.
22
Ibid. ; V. également : La lettre du CSA, n°175, juillet 2004, pp. 1-9 ; E. Derieux, « Le pouvoir de sanction du
Conseil supérieur de l’audiovisuel », Petites Affiches, 15 mars 2005, n°52, pp. 3 à 12.
23
Le nouvel article 2 de la loi de 1986 modifiée constitue une parfaite illustration de ce principe, disposant que l’ « on
entend par communication audiovisuelle toute communication au public de services de radio ou de télévision, quelles
que soient les modalités de mise à disposition auprès du public ».
24
On peut citer à titre d’illustration les termes de l’article 1er de la directive 89/552 précitée, définissant la
radiodiffusion télévisuelle comme « l’émission primaire, avec ou sans fil, terrestre ou par satellite, codée ou non de
programmes télévisés destinés au public ».
25
Point 29 de l’arrêt ; voir aussi l’arrêt de la CJCE du 10 septembre 1996, Commission contre Belgique, C-11/95, Rec.
P. I-4115, points 15 à 25.
7
contraintes en devenant un programme à la demande ? Ne s’agit-il pas là de la négation même du principe
de neutralité technologique ?
Cette dualité de statuts juridiques pour une même émission n’est pas acceptable. Elle l’est d’autant
moins que les diffuseurs ne tarderont pas à tirer profit de la réglementation plus souple applicable à la vidéo
à la demande. Nous l’avons vu, les programmes extrémistes bannis par le droit de la communication
audiovisuelle trouveront aisément refuge sur la toile sous forme de vidéo à la demande. De même les
chaînes traditionnelles auront tout intérêt à diffuser à la demande leurs programmes sur Internet, déchargées
des contraintes horaires de diffusion et des limitations publicitaires : le jeune téléspectateur amateur d’une
série violente diffusée en seconde partie de soirée pourra donc la visionner à la demande le lendemain en
journée, loin du regard de ses parents. Quant à la chaîne, elle pourra se rémunérer sous la forme
d’incrustations publicitaires dans l’émission, solution pourtant interdite par le droit de la communication
audiovisuelle.
Afin de ne pas sombrer dans un tel chaos, il convient de prendre acte des limites de la notion de
public dans la définition des catégories de notre droit de la communication. L’existence d’un public
simultané est un indice pouvant laisser présumer qu’un programme appartient à la catégorie de la
communication audiovisuelle. Cependant, ce critère ne doit pas se voir attribuer une place excessive.
B- Un critère additionnel à développer
a) Pour une plus grande prise en compte du contenu diffusé
Face au principe admissible de neutralité technologique, il convient plus que jamais de refuser
qu’une même émission change de nature en fonction de son mode de diffusion. Il faut donc dans un premier
temps poser le principe selon lequel la qualification d’une émission ne dépend pas de son mode de
diffusion : toute émission qui aura été diffusée sur un support de communication audiovisuelle demeurerait
soumise au droit de la communication audiovisuelle quel que soit son mode ultérieur de diffusion.
Plus globalement, les concepts de programme et d’émission mériteraient pleinement d’être revus
tant ils sont porteurs de solutions pour l’avenir. Un programme peut être regardé comme une suite ordonnée
d’émissions comportant des images et/ou des sons26. A l’inverse, une émission, prise sous son acception la
plus commune pourrait être définie comme la plus petite entité constituée d’images et/ou de sons formant
par elle-même un ensemble autonome et cohérent (un reportage du journal télévisé, une série policière, un
dessin animé constituent en ce sens des émissions). Or, face à ces définitions, on relève que ce qui
caractérise pleinement la communication audiovisuelle n’est plus tant l’existence d’un programme que celle
d’émissions prises isolément. Plus clairement, l’époque à laquelle le téléspectateur était contraint par les
grilles de programmes est en réalité dépassée : avec la multiplication des chaînes et le progrès des méthodes
d’enregistrement, notamment le développement des enregistreurs vidéo à disque dur, le choix s’opère
désormais par émissions et non plus par programmes de chaînes. Ce qui caractérise donc aujourd’hui la
communication audiovisuelle n’est plus l’existence d’un programme. Le programme ne constitue en
définitive plus qu’une contrainte que le téléspectateur parvient à dépasser, avec l’aide de la technique,
comme il a commencé à le faire avec le magnétoscope. Ce qui attire le téléspectateur, ce sont bien les
émissions prises isolément. Ce sont elles qui constituent le plus petit dénominateur commun et indivisible
de la communication audiovisuelle.
Ce critère de l’émission ne constituerait pas seulement un critère additionnel pertinent de définition
de la communication audiovisuelle. Il serait également une aide précieuse pour distinguer communication
audiovisuelle et communication en ligne. En effet, la communication en ligne adapte en permanence le
contenu des informations diffusées à la demande de l’internaute. En ce sens le contenu porté par un site
Internet n’est pas assimilable à une émission puisqu’il ne dispose pas d’une cohérence propre : c’est
l’internaute, par ses choix, qui défini la structuration des informations qu’il va recevoir et qui va de ce fait
donner une cohérence à ces dernières.
On retrouve ici une distinction désormais claire entre le public actif et le public passif : le public
choisissant un programme de vidéo à la demande est « semi-actif » : il choisi activement une émission,
élément d’un programme, qu’il visionnera ensuite passivement. En réalité sa situation n’est guère différente
de celle d’un téléspectateur zappant entre les diverses chaînes à lui proposées ; le choix est plus grand, voilà
tout. Mais une fois l’émission lancée, le spectateur redevient passif puisqu’il ne peut intervenir sur le
contenu de l’émission, il peut au mieux agir sur son défilement. Dans cette logique, le concept d’émission
rejoint celui de public pour former un critère stable de définition de la communication audiovisuelle. Seul
un public réellement actif caractérise la communication au public en ligne. Le public passif ou « semi26
Voir à ce titre l’article 2 in fine de la loi de 1986 modifié par la loi du 21 juin 2004, précité.
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actif », incapable d’agir sur le contenu des émissions diffusées caractérise la communication audiovisuelle.
Malheureusement, cette dichotomie ne fut pas la voie choisie par le législateur français, bien au contraire.
b) Un critère pourtant progressivement rejeté par le droit français
Loin d’accorder une place de choix au concept d’émission tel qu’il vient d’être envisagé, le
législateur français de juin 2004 a préféré au sein de la loi LCEN choisir la voie opposée, mettant en valeur
la notion de programme conjointement à celle de public. Ainsi « est considéré comme service de télévision
tout service de communication au public par voie électronique destiné à être reçu simultanément par
l'ensemble du public ou par une catégorie de public et dont le programme principal est composé d'une suite
ordonnée d'émissions comportant des images et des sons »27. De même, « est considéré comme service de
radio tout service de communication au public par voie électronique destiné à être reçu simultanément par
l'ensemble du public ou par une catégorie de public et dont le programme principal est composé d'une suite
ordonnée d'émissions comportant des sons »28. Ce faisant, la loi limite la définition de la communication
audiovisuelle aux chaînes traditionnelles ne diffusant pas de programmes à la demande. Certes, le CSA a
déjà fort à faire avec la trentaine de chaînes hertziennes terrestres, incluant les chaînes locales, et les
quelques 320 chaînes distribuées en France sur le câble29, sans compter les chaînes étrangères diffusées par
le satellite et la télévision sur Internet30. Aussi importait-il probablement d’établir un critère de distinction
entre communication audiovisuelle et communication en ligne le plus restrictif qui soit. Cependant, en
privilégiant l’existence d’un public simultané, une première erreur paraît avoir été commise. Ce critère,
nous l’avons relevé, ouvre la voie à de trop nombreuses dérives tant il est inadapté aux évolutions
technologiques des réseaux. Le choix de l’existence d’un programme comme élément additionnel de
définition n’emporte guère plus l’adhésion. A l’heure ou le consommateur se détache de la programmation
pour ne s’attacher qu’aux émissions qui la compose, la notion de programme paraît inappropriée. Ces deux
critères conjugués semblent donc en définitive bien trop artificiels, en ce sens qu’ils ne correspondent plus
en rien à la manière dont les consommateurs appréhendent les médias. Le temps de l’audience captive face
aux programmes est bel et bien révolu ; le consommateur sélectionne désormais activement les émissions de
son choix avant de sombrer de nouveau dans la torpeur qui le caractérise. Une illustration topique de cette
évolution est disponible sur le site Internet de la chaîne de télévision M6. Cette dernière propose aux
internautes de souscrire gratuitement à un système de vidéo haute définition31. Cette technologie profite des
connexions à Internet de l’utilisateur pour télécharger des vidéos précédemment diffusées sur la chaîne. Ce
faisant les contenus sont mis à disposition de l’internaute sur le disque dur de son ordinateur, et il peut les
visionner sans délai au moment souhaité. En l’état actuel du droit ce système ne relève pas de la
communication audiovisuelle : il n’y a pas simultanéité de la réception par le public et la diffusion ne porte
pas sur un programme au sens juridique du terme, mais sur des émissions isolées. Force est pourtant de
constater que le contenu diffusé est le même qu’à la télévision et que la chaîne s’adresse bien à un public,
l’ensemble des internautes ayant souscrit à l’offre. Cette illustration démontre que la définition actuelle de
la communication audiovisuelle ne pourra pas longtemps résister aux assauts du temps et des progrès
technologiques.
En d’autres termes, ce n’est plus le programme qui fait la communication audiovisuelle, c’est
l’émission. De même, ce n’est pas plus l’existence d’un public simultané qui fait la communication
audiovisuelle, c’est simplement sa liberté de choix limitée à l’émission, et donc d’une certaine façon sa
passivité.
Ces notions sont à intégrer d’urgence dans notre définition de la communication audiovisuelle, sous
peine de voir les frontières entre modes de communication devenir poreuses. Il ne s’agit pas de rendre le
droit de la communication audiovisuelle applicable à tous les contenus diffusés à la demande, loin s’en faut.
La plupart de ces contenus, notamment les sites Internet, ne sauraient être qualifiés d’émissions. Il s’agit
simplement de prendre acte des progrès techniques et de l’évolution des modes de consommation
audiovisuels.
La pérenne cohérence de notre droit des médias est à ce prix.
27
Ibid.
Ibid.
29
Chiffres cités in Pour la confiance en l’économie numérique, éd. Journaux officiels, coll. Aux sources de la loi,
p. 127.
30
D. Baudis, « Le CSA et le défi de la convergence », Les nouveaux dossiers de l’audiovisuel, n°5, juin-juillet 2005,
pp. 30-31.
31
http://www.m6.fr/html/videoHD/espace_dedie/videohd.shtml
28
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