Tassili hoggar.

Transcription

Tassili hoggar.
Une semaine au Tassili du Hoggar
avec Envol 31
Samedi 22 Octobre
Départ de Toulouse-Blagnac pour Tamanrasset via Roissy où la compagnie Aigle
Azur achemine 150 touristes chaque dimanche vers le Hoggar. Un peu de flottement
au départ : c’est le premier vol direct Paris-Tam de la saison 2005-2006 après 2
années de « vaches maigres », suite à l’affaire de « l’enlèvement » en 2003 d’un
groupe de touristes allemands et autrichiens dans le Sud-Est du Sahara. Il semblerait
que ces touristes-là, voyageant sans guide, aient été, pour le moins, fort imprudents.
Notre encadrement sera au contraire très fourni : 2 guides, 4 chauffeurs, 1 cuisinier
et 1 aide-cuisinier. Toute cette équipe sympathique, employée par l’agence Tarakeft,
pour nous permettre de profiter au maximum de cette semaine d’immersion
saharienne.
Dès notre arrivée à l’aéroport de Tamanrasset l’accueil des autorités est chaleureux :
le contrôle des passeports et des bagages est toujours accompagné d’un mot de
bienvenue. Embarquement à 4h du mat dans nos 4x4. Direction : l’auberge où nous
attendent chorba et couscous suivis de 2-3 heures de sommeil.
Itinéraire du voyage
Dimanche
Lever à 7h pour rencontrer toute l’équipe et les 4x4 chargés de victuailles et matériel
divers, de carburant et de … 400 litres d’eau (un ravitaillement par camion-citerne
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sera nécessaire à mi-parcours) plus 24 bouteilles d’eau minérale grâce à la
prévoyance de Liliane. Après la remise de médicaments au Croissant rouge nous
partons vers le Tassili du Hoggar. Quelques villages, campements, dromadaires,
chèvres, aux abords de Tamanrasset, mais cette présence humaine ou animale se
raréfie au fur et à mesure que nous avançons sur le reg, en traversant des oueds
ayant gardé la trace des pluies récentes. Du coup la végétation est assez
abondante : arbres ou arbustes où dominent les acacias aux piquants redoutables,
buissons de coloquintes (plante très amère utilisée pour soulager les rages de dents)
ou le très toxique calotropis procera.
Cette région du Sahara est d’ailleurs pratiquement abandonnée par les semi
nomades et nomades depuis le début des années 70, avant même les très graves
évènements des années 90 qui ont secoué tout le peuple touareg. (voir en fin de
compte rendu une petite synthèse de « La question touarègue »)
Sur la piste d’In Baroum, un arrêt déjeuner nous permet d’apprécier les saines
crudités préparées par les cuisiniers et la cérémonie des « 3 thés » qui nous
accompagnera chaque midi. Le thé du désert, celui que boivent les touaregs, est
infusé trois fois dans la même théière. La première fois, il est très fort, la deuxième, il
est plus agréable, et la troisième (parfumée à l’armoisie par notre cuisinier), il est très
doux et sucré (c'est le "thé des enfants"). Les touaregs ont l'habitude de qualifier les
3 thés de la manière suivante (interprétation non garantie et sujette à d’intenses
discussions tout au long de la semaine …) : « Le premier est fort comme la vie, le
second est bon comme l'amour, le troisième est doux comme la mort. »
Avant d’arriver à notre premier bivouac, un arrêt « ramassage de bois » est
programmé par nos guides. Un arbre mort, dont les grosses branches sont
détachées à l’aide d’une corde par un 4x4, fera l’affaire pour 2 ou 3 soirées. Arrivés à
In Baroun, après avoir planté les tentes, nous nous faisons plaisir à escalader et
dévaler de grandes dunes. Ce premier contact avec le sable du désert nous a
beaucoup marqués, d’autant que le coucher de soleil était somptueux. Le coin séjour
avec tentures, piquets et tapis est installé par nos guides, comme il le sera à chaque
pique-nique et à chaque bivouac. La séance de distribution de médicaments peut
commencer pour les éclopés comme pour les bien portants (on ne sait jamais …).
Lundi
Départ pour notre première marche juste après le lever du soleil. Après le sable,
nous entamons la longue traversée de l’oued sous un soleil déjà chaud. Le sol,
parsemé de fentes de dessiccation, est également jonché de coloquintes Nous
faisons connaissance avec notre première gravure rupestre : « le diable ».Une pause
à l’ombre d’un acacia majestueux offre l’occasion de partager figues et dattes. Le
passage d’un défilé (avec traces de passage de vipères et présence d’un gros lézard
présumé dangereux) nous donne quelques émotions et nous permet surtout de faire
connaissance avec notre premier vrai tassili avec ses rochers de grès aux formes
spectaculaires posées sur le sable.
Après environ 1 h de marche sur le plateau sous le soleil une grotte spacieuse est
bienvenue, d’autant qu’elle renferme plusieurs gravures et peintures rupestres :
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antilopes, girafes (les plus anciennes, environ 6000 AC) mais aussi des bovidés (plus
récentes, environ 2000 AC). Encore une petite heure de marche sous un soleil plus
que généreux pour rejoindre les 4x4 et le coin pic nic où nous attend une menthe à
l’eau bien fraîche qui laissera quelques traces sur les langues.
La sieste dure jusqu’à 16h, heure à laquelle la température diminue très
sensiblement. Il nous restera 2h jusqu’à la nuit, le temps d’admirer un festival de
roches et de pierres de toutes formes et de parvenir à notre lieu de bivouac (Youf
Haharlal), dans un cocktail de sable et de roches couleur orange du plus bel effet.
Nos guides nous préviennent : demain il faudra marcher plus vite, la route est
nettement plus longue !
Mardi
Ils avaient bien raison ! 6h de marche seront nécessaires pour rejoindre Youf Ahakite
(traduction : « mieux qu’une maison ») où d’autres gravures, peintures, ainsi que des
écritures Tifinar nous attendent. La marche est un peu rude, mais elle en vaut la
peine : la traversée des aiguilles déchiquetées est impressionnante, ponctuée par
une petite escalade pour découvrir une nouvelle grotte décorée. La fatigue
commence à se faire sentir à partir de midi (nous marchons depuis l’aube à 6h30 !).
L’après-midi sera plus calme, nous découvrons, d’une grotte à l’autre, de multiples
traces de vie (gravures, meule, puits …) qui témoignent de la présence, sur la durée,
de communautés humaines. Plus tard nous profiterons d’un peu d’ombre pour nous
faire initier par nos guides Fatah et Tagar à des « jeux de sable et brindilles »
sahariens … Au-delà de la langue, on sait se comprendre autour de ces rébus qui
dépassent les frontières l
Mercredi
1 à 2 h de marche dans l’oued Tarabine pour se dégourdir les jambes. C’est
l’occasion de découvrir une vipère à moitié cachée sous une pierre au milieu du
chemin. Nos guides décident de la tuer car les vipères gardent, paraît-il, la
« mémoire du dérangement » et celle-ci aurait bien pu agresser d’autres visiteurs. Le
soleil est fort ce matin …Chance ! Nos 4x4 nous rejoignent après avoir été
ravitaillées en eau par un camion citerne (Rappelons que le Tassili du Hoggar est
totalement dépourvu de points d’eau). Arrêt pour admirer quelques gravures sur
pierre de grande taille et des plaques de schistes multicolores du plus bel effet. Nous
poursuivons vers Tahaggart en 4x4. Pour atteindre le lieu du bivouac, nos véhicules
doivent franchir l’obstacle de dunes de sable bien pentues. Une course s’engage
entre les chauffeurs … Tous parviennent au sommet (avec virage obligatoire avant la
crête pour ne pas se retrouver face à un mur infranchissable !), mais l’un des
véhicules devra dégonfler ses pneus pour pouvoir sortir de l’ornière.
Après une collecte de pierres volcaniques plus noires que l’ébène pendant la sieste
(merci de ne pas nous dénoncer aux douaniers de Tamanrasset !), la visite à pied du
site de Tahaggart sera, de l’avis de tous, un des grands moments du circuit : des
formes et des couleurs (juste avant le coucher du soleil) à couper le souffle et à
favoriser les méditations personnelles. La soirée au bivouac, le feu et le thé préparé
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par les cuisiniers avec chants et percussions touaregs improvisés, complèteront
heureusement cette très belle journée.
Jeudi
Encore un peu de marche à pied en quittant Tahaggart avant que les 4x4 ne nous
conduisent à site très surprenant (Tibetane) au milieu d’une plateau dénudé : une
sorte de château fort, lieu d’une bataille qui fit pas mal de morts dont témoignent
aujourd’hui encore des squelettes pétrifiés et de nombreux débris d’os humains.
Après 2 h de 4x4 en grande forme (jusqu’à 115 km/h en pointe !), à travers un
plateau monotone, nous arrivons à Tagrera. Ici, pas de peintures ou de gravures
mais, encore une fois, des formes étranges où domine la figure du champignon. Plus
tard, une marche de 2h dans un site tout aussi grandiose nous conduit à Akacheker :
une succession de dunes à perte de vue, sous un soleil qui décline, nous laissera
des images inoubliables … C’est notre avant-dernier bivouac. Bel exemple de
solidarité saharienne : les petits camarades un peu fatigués qui avaient rejoint le
campement en 4x4 nous avaient fait la (bonne) surprise de monter nos tentes !
Vendredi
Une heure et demi de marche pour quitter ce site sablonneux–rocheux d’In
Akacheker. En voiture pour El Ghessour, dernière étape du parcours pédestre. Des
canyons très encaissés bien surprenants dans cette région. Pour la première fois,
nous voyons un peu … d’eau. Rocaille sombre et sable alternent pour nous conduire
à notre lieu de pique-nique. C’est l’occasion d’un échange sur nos premières
impressions de voyage. Tout le groupe plébiscite la beauté stupéfiante des paysages
et la qualité de l’accompagnement logistique. Certains regrettent l’absence de
contacts humains dans cette portion de désert désormais fréquentée par les seuls
touristes occidentaux. D’autres (ou les mêmes …) auraient souhaité en savoir plus
sur la vie des hommes du désert hier et aujourd’hui. Le soir même notre guide se
prêtera de bonne grâce à une discussion sur ce thème. Ses propos sur « la question
touarègue » concordent largement avec le texte encadré qui figure en annexe à ce
compte rendu. Mais cette dernière soirée en bivouac, c’est aussi le moment précieux
de la « taguella », préparée en respectant scrupuleusement les préceptes de la
recette qui suit …Un moment de proximité chaleureuse avec l’équipe qui nous a
accompagné au cours de cette traversée … Dernières photos de coucher du soleil
sur les dunes … Nous sentons que nous quittons le Hoggar !
Recette de la Taguella : le "pain touareg"
Allumer un feu pour préparer des braises abondantes. Pétrir la pâte de la taguella à
base d'eau et de semoule. Donner à cette pâte une forme de galette. Creuser un
foyer dans le sable chauffé par les braises ; y déposer la taguella. La recouvrir de
sable et d'une couche de braises. Au bout d'une vingtaine de minutes, retourner la
taguella et procéder de la même façon pour cuire l'autre face (pendant 15 à 20
minutes). En fin de cuisson, retirer la taguella du foyer et la gratter pour enlever le
sable qui y adhère. Rompre la galette et l'émietter en petits morceaux dans un plat,
puis recouvrir d'une sauce préparée en parallèle (souvent à base de tomates,
d'oignons et de viande).
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Samedi
C’est le départ pour Tamanrasset et pour Toulouse. Le lever du soleil est magnifique,
comme les autres jours. Nous en profitons au maximum avant de prendre la (longue)
piste (6h) qui nous ramène à Tam. Une rencontre surprise à mi-parcours : la petite
caravane de dromadaires du frère de notre guide touareg, suivie un peu plus loin par
le campement semi nomade de sa famille. Un modeste troupeau de chèvres, des
habitations très sommaires, de nombreux enfants : la vie quotidienne dans ce désert
n’est certainement pas une partie de plaisir. Il était bon qu’à l’occasion de ce périple,
juste avant de nous précipiter sous la douche bien chaude de l’auberge de
Tamanrasset, nous ayons pu en prendre conscience. Et c’est par une visite au
marché de Tam et quelques emplettes (les dattes et les épices sont délicieuses …)
que notre voyage se conclura. Sans omettre un moment fort sympathique : la visite
de l’atelier de Fatah. Notre guide francophone est aussi un calligraphe de talent. La
plupart d’entre nous souhaiteront d’ailleurs acquérir une maxime touarègue
habilement calligraphiée par ses soins. Et les douaniers de l’aéroport de
Tamanrasset ne trouveront rien à redire à ces exportations d’œuvres d’art, alors
même que quelques cailloux du désert ne seront pas autorisés à entrer dans la soute
de l’avion …
Cette semaine d’immersion saharienne est achevée. Qui, mieux que Théodore
Monod, a su décrire la magie ordinaire du désert ? Laissons lui le mot de la
fin :
Tiré de Ecrivains-voyageurs net. Citations du livre de Théodore Monod Méharées,
Actes Sud , 1989.
Le désert est pourtant un « sinistre pays. Le premier arbre - un petit acacia - est à
quarante-cinq kilomètres d'ici ». Pays dans lequel « la distance entre deux aiguades
varie de zéro à six cents kilomètres. Au-dessus de cinq jours sans eau, promenade
touristique pour débutant, cela devient sérieux ». Une région dans laquelle le
marcheur est soumis à rude épreuve. C'est qu'il y a le sable, « matière hostile et
sournoise, sans franchise, caressante à qui demeure immobile, implacable ennemie
du marcheur, épuisé par l'invisible, étouffante et visqueuse étreinte ». Ce n'est pas
un pays pour valétudinaire. Essayer d'avoir seulement l'air malade, et que fera-t-on
de vous ? « Rien. Rien, parce qu'on ne peut rien: vous êtes malade, ou blessé,
mourant peut-être? Soit, mais le cas n'est pas prévu et, pour intéressant que vous
soyez, cela ne rapprochera pas d'une seule étape le puit bien lointain encore ».
Rude, le désert, mais on y apprend beaucoup, à le fréquenter. Par exemple, que «
l'indispensable, le vrai, ne pèse pas lourd, à peine trente kilos par mois ». A
comparer à nos besoins ... Que « la vie sauvage, élémentaire, brutale et dépouillée à
souhait est parfaitement salubre ». Et bien d'autres choses encore, dans ce
merveilleux bouquin, dont je tire cette très belle phrase que tout randonneur
(saharien ou non) devrait connaître : « L'arrêt, l'immobilité retrouvée, la tension
physique de l'effort soudainement relâchée, c'est une sensation merveilleuse, celle
de l'arc débandé. Il vaut la peine de marcher, et de marcher dur, rien que pour le
plaisir de pouvoir s'arrêter. Et la joie du départ n'est-elle pas faite déjà, largement, de
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celle de l'arrivée, savourée d'avance jusque dans les cruautés que l'absence
implique ? »
La « question touarègue »
(Extraits d’un texte écrit par des enseignants de Genève pour des élèves de terminale
http://hypo.ge-dip.etat-ge.ch/www/cliotexte/html/geopolitique.touareg.html)
« Les Touaregs et leur territoire
Les Touaregs constituent une branche du vaste ensemble berbérophone qui peuple une large partie
de l'Afrique du Nord-Ouest (Maghreb, Sahara et Sahel). Leur zone de peuplement traditionnelle
s'étend sur près de 2,5 millions de km2, l'équivalent de l'Europe occidentale. Ils se répartissent de
façon très inégale entre cinq États. 20 000 au nord du Burkina Faso, 30 000 en Libye, plus de 50 000
en Algérie (surtout dans le Tassili n'Ajjer et le Hoggar), plus de 500 000 au Mali et plus de 700 000 au
Niger.
Le Sahara n'a jamais été une barrière entre le nord et le sud de l'Afrique, mais a toujours été parcouru
par des caravanes chamelières. Cependant, les troupeaux, même de dromadaires, ne peuvent pas
vivre en permanence dans le vrai désert, en raison de la rareté de la végétation. Aujourd'hui, les
caravanes chamelières sont de plus en plus remplacées par le transport en camions. Aujourd'hui, ce
sont essentiellement des sédentaires qui forment la population du désert.
La société touarègue
L'espace touareg est le théâtre depuis le début de la décennie 90 d'une lutte armée opposant une
minorité d'activistes aux autorités de Niamey (Niger) et de Bamako (Mali). Ces dernières cherchent à
assimiler leurs concitoyens d'origine touarègue au sein de leur communauté nationale, quitte pour
cela à les acculturer et à modifier profondément leurs modes de vie.
Répartis sur d'immenses territoires, les Touaregs n'en ont pas moins conservé un fort sentiment
d'appartenance communautaire. Celui-ci repose en tout premier lieu sur la langue, le tamasheq, écrite
dans un alphabet particulier, le tifinagh. L'autre facteur d'unité est incarné par l'islam. Il est pratiqué
par les Touaregs de manière très tempérée et accorde une large place aux femmes au sein d'une
société qui, par ailleurs, pratique la monogamie et la filiation matrilinéaire. Mais l'unité découlant de la
langue et de la religion ne doit pas occulter l'existence d'une multitude de segmentations tribale,
sociale et ethnique, donnant à la société touarègue un aspect fortement hiérarchisé et composite.
Les Touaregs sont organisés en huit entités politiques que l'administration coloniale française baptisa
"confédérations", terme toujours utilisé. Constituée d'un ensemble de tribus, chaque confédération est
identifiée par le nom du territoire dont elle a le contrôle et dans lequel les populations nomadisent.
Ces confédérations sont loin de présenter un front uni. Alors que certains chercheurs privilégient la
thèse de l'unité du monde touareg, les autres constatent, au contraire, son morcellement en
ensembles concurrents. Les matériaux historiques disponibles montrent en effet que la rivalité est une
donnée fondamentale des relations entre confédérations.
Au sein des tribus (avant les récents bouleversements induits par la colonisation, la modernité et la
sédentarisation forcée), chaque individu occupe un rang social précis : nobles, lettrés, hommes libres
et vassaux, artisans, esclaves libérées, esclaves. A cela s'ajoute une dimension ethnique, en raison
de l'existence de Touaregs à la peau « blanche », aux statuts sociaux élevés, et de Touaregs à la
peau noire, descendants d'esclaves.
A ces différenciations traditionnelles s'est superposée depuis le début des années 60 l'appartenance
nationale, laquelle conditionne de manière très variable le vécu quotidien des populations réparties
entre les cinq États issus de la décolonisation. Ce fait national, longtemps considéré comme plaqué
artificiellement sur des populations nomades habituées à se jouer des frontières, a empêché que se
constitue un mouvement touareg unifié.
Cependant, l'enracinement tribal et régional constitue l'élément prépondérant de chaque mouvement.
De ce fait, la scène insurrectionnelle touarègue n'a cessé de s'émietter à la suite de querelles
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fratricides : quatre mouvements défendent la cause touarègue au Mali (regroupés à l'origine en 1992
au sein des MFUA : Mouvements et Fronts unifiés de l'Azaouâd), tandis qu'au Niger, la rébellion a
connu des scissions à répétition, passant d'un mouvement unique en 1991 (FLAA : Front de libération
de l'Aïr et de l'Azaouak) à huit mouvements distincts en 1996.
Le choc de la colonisation française
L'image des Touaregs est aujourd'hui encore très largement tributaire de l'héritage colonial français (à
l'exception des Touaregs de Libye, anciennement sous domination italienne). Les « homme libres »,
comme ils s'appellent eux-mêmes, sont perçus de façon contradictoire : fiers, rebelles,
chevaleresques et, en même temps, pillards et esclavagistes. Ils sont réputés pour être réfractaires à
toute tentative extérieure de mise en ordre, politique et économique. Célèbres pour leurs rezzous
(pluriel de razzia) contre les populations sédentaires qu'ils pillaient, voire soumettaient à l'esclavage,
avant de les assimiler culturellement, les Touaregs ne répugnaient guère à s'entredéchirer, la lutte
pour assurer la survie de la communauté dans un milieu aux ressources rares primant sur la solidarité
entre tribus. Ce mode de vie des « seigneurs du désert », aux aspects parfois choquants, a été
complètement remis en cause à la suite d'une série de chocs qui se sont succédés depuis la fin du
XIXe siècle.
La conquête française et, dans une moindre mesure, italienne de l'espace saharien, a entraîné une
première altération du fonctionnement de la société touarègue. Les tentatives de résistance à l'ordre
colonial (1916-17) ont été écrasées dans le sang, décimant durablement l'aristocratie guerrière,
affaiblissant le poids des chefferies traditionnelles et rompant le fragile équilibre des mécanismes
sociaux internes. Toutefois, les colonisateurs français ne cherchèrent pas à remettre en cause la
suprématie traditionnelle des Touaregs vis-à-vis des ethnies voisines.
Une fois les différentes confédérations défaites et soumises, les Français se contentèrent d'exercer un
contrôle relativement lâche, en s'efforçant de perturber le moins possible l'organisation sociale
touarègue (la volonté de contrôle des officiers méharistes français se doublait d'une fascination pour
un peuple et un mode de vie en totale harmonie avec un environnement rude et exigeant, fascination
qui n'est pas étrangère, du reste, à l'attrait touristique qu'offre aujourd'hui le Sahara). Mais la
colonisation va inexorablement faire son oeuvre : affaiblissement des grandes confédérations,
relâchement des réseaux communautaires, fragilisation de l'économie pastorale par le jeu des
contraintes administratives, déclin régulier du trafic caravanier.
Le choc des indépendances
La décolonisation intervenue au début des années 60 se traduit, pour les Touaregs du Niger et du
Mali, par l'inversion des rapports dominants/dominés puisque, dans ces deux pays, le contrôle des
appareils d'État revient à des ethnies négro-africaines sédentaires. Les anciens « razziés » vont
pouvoir assouvir une vengeance historique à l'encontre de leurs « razzieurs ». Autrement dit, la mise à
l'écart des Touaregs constitue une sorte une revanche des anciens esclaves noirs contre leurs
maîtres.
Cet antagonisme historique (conflits entre populations nomades et sédentaires) ajouté à la logique
centralisatrice des nouveaux États souverains va avoir pour effet d'écarteler et de marginaliser les
Touaregs. Cette nouvelle situation va les forcer à s'inscrire dans des cadres frontaliers "nationaux",
totalement étrangers à leur vision du monde et de l'espace. Dans cette perspective, les Touaregs,
nomades, à l'écart des activités économiques et peu respectueux des contraintes administratives,
sont perçus négativement, car difficilement contrôlables.
S'estimant marginalisés à la fois politiquement et économiquement, les Touaregs refusent de devenir
des citoyens de seconde zone et esquissent un début de lutte armée contre leurs nouveaux maîtres
dès les années 1961-63 au Niger et au Mali, tentatives rapidement résorbées.
Comme les élites qui héritent des commandes de l'État postcolonial sont issues des populations
sédentaires, leur projet de société exclut d'emblée les préoccupations des nomades. Ainsi, les
décisions politiques et économiques sont prises dans le sud, loin des zones de peuplement
touarègues. Par conséquent, les Touaregs sont, à quelques exceptions près, exclus du partage du
pouvoir.
En raison du fractionnement de l'espace saharien, l'économie traditionnelle touarègue va survivre très
difficilement à l'instauration de frontières de plus en plus étanches et à la mise en place
d'administrations nationales (douane, fisc, police), largement dominées par les ethnies sudistes négro-
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africaines, qui ne vont avoir de cesse de contrarier les déplacements transfrontaliers. Les zones
touarègues vont alors être prises entre deux maux : soit elles seront marginalisées (le pouvoir central
n'engagera aucun projet de développement en faveur des populations qui sont laissées à l'abandon et
à la misère : attitude adoptée par les autorités nigériennes jusqu'au grave incident de Tchin
Tabaraden en 1990), soit elles seront soumises à une politique volontariste visant à « nationaliser »
les populations nomades en les sédentarisant par tous les moyens, y compris les plus coercitifs (cette
attitude de discrimination ethnique se retrouvera plus volontiers au Mali et surtout en Libye et en
Algérie). Dans les deux cas, actions ou inactions gouvernementales vont susciter frustrations et
rancœurs.
A cela s'ajoute l'attitude de l'ancienne métropole : lorsque les Français s'installèrent à Arlit en 1971 (à
275 km au nord-ouest de l'oasis d'Agadès au Niger) pour exploiter un des plus grands gisements
d'uranium de la planète, ils n'hésitent pas à faire « monter » des « Sudistes » pour extraire le minerai.
Les Touaregs en ressentiront une grande amertume d'autant que les retombées financières seront,
pour eux, dérisoires. Possible source de revenus pour un peuple paupérisé et déstabilisé par les
sécheresses, le partage des royalties sera au coeur des revendications des mouvements rebelles,
mais la chute récente des cours mondiaux de l'uranium en a fortement dévalué l'intérêt.
Le choc de la modernité
L'irruption de la modernité dans l'espace saharien va déstabiliser les modes de vie traditionnels : les
camions, accessoire indispensable du commerce transsaharien moderne, vont entraîner le déclin
irrémédiable des grandes caravanes chamelières et de l'élevage du dromadaire, les deux piliers de
l'économie touarègue de jadis.
Le choc des sécheresses
Sur la crise économique et un contexte politique défavorable vont se greffer les effets de la
sécheresse dans les décennies 70 et 80. La mémoire collective touarègue conserve le souvenir de la
terrible sécheresse qui affecta l'Aïr en 1913, provoquant famine et désolation. Les effets dramatiques
de celle de 1969-1974 amorcent une prise de conscience en Occident. La dernière en date se situe
dans la période 1981-1985. Comparable par sa rigueur à celle de 1913, elle consomme la déchirure
du tissu social touareg, provoquant notamment un exode massif des jeunes.
Une grande partie du cheptel est anéanti, ce qui entraîne un effondrement irrémédiable de l'économie
traditionnelle. Pour de nombreux éleveurs ruinés, la seule alternative sera de migrer. Si certains iront
s'entasser dans les bidonvilles des grandes métropoles comme Niamey, Bamako, Dakar ou Lagos, la
plupart préféreront s'exiler vers l'Algérie et surtout la Libye, attirés par sa prospérité pétrolière et les
discours pansahariens du colonel Kadhafi. Ces exilés vont former les gros bataillons de la Légion
islamique. Cette formation créée par le colonel Kadhafi à la fin des années 70 a servi de matrice à de
nombreux mouvements insurrectionnels dans toute la bande sahélienne. Constituée pour servir
d'auxiliaire à l'armée libyenne et de fer de lance à la politique expansionniste du colonel Kadhafi, cette
Légion a été principalement engagée au Tchad. Près de 5 000 Touaregs ont combattu à un moment
ou à un autre en son sein. D'autres Touaregs vont rejoindre à la même période les rangs du Front
Polisario qui défend la cause des Sahraouis du Sahara occidental face à l'État du Maroc.
Le choc du retour
A la fin des années 80, la fin de la guerre froide et le retournement de la conjoncture pétrolière (forte
baisse des cours) vont conduire à un ralentissement des conflits tchadien et saharien et à une
dégradation de la situation économiques et sociale en Algérie et en Libye. Dans ce nouveau contexte,
Alger et Tripoli décident de s'alléger de la présence des Touaregs, devenue désormais un fardeau.
Nombre de Touaregs sont donc incités, ou forcés, à regagner leurs zones d'origine au Niger et au
Mali. 20 000 personnes rentrent ainsi avec armes et bagages et vont rompre le fragile équilibre de ces
régions pauvres et marginalisées. Ce retour entraîne une vague d'agitation et d'insécurité. Un
mouvement de contestation politique à l'encontre des pouvoirs centraux lointains se développe. Le
basculement dans la violence armée s'opère de manière quasi simultanée au printemps 1990 au Mali
et au Niger : au massacre de Tchin Tabaraden commis le 7 mai 1990 par l'armée nigérienne contre
des Touaregs répond l'attaque, le 29 juin suivant, de la localité de Ménaka par des Touaregs maliens.
Le cercle vicieux insurrection-répression est lancé. Les Fronts armés touaregs vont désormais se
multiplier … Suit une guérilla des sables qui fera des milliers de morts avant la signature d’accords de
paix, qui restent fragiles, en 1994. Des centaines de milliers de personnes seront déplacées.
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L'Algérie abrite aujourd’hui une importante diaspora, forte d'environ 60 000 personnes, originaires du
Niger et surtout du Mali, ayant fui les fortes sécheresses qu'a connues le Sahel au cours des
décennies 70-80. Cette réalité humaine a incité dès le début des crises touarègues les autorités
d'Alger à suivre avec la plus grande attention l'évolution de la situation chez ses deux voisins
méridionaux, son but étant d'étendre son influence diplomatique en direction de Niamey et de
Bamako, et d'éviter un risque de contagion autonomiste touchant sa propre communauté touarègue.
La diplomatie algérienne s'est de ce fait montrée très active lors de la conclusion des accords de paix
autant au Mali qu'au Niger. »
Compte rendu : Alain et Madeleine Lefebvre
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