Séance 2 - FSJP

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Séance 2 - FSJP
Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Année Universitaire 2013/2014
Faculté des sciences Juridiques et Politiques
Licence 1 Sciences Juridiques
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Droit Civil / Groupe A
1er Semestre
Chargé du cours : Professeur Mohamed Bachir NIANG
Coordinateur. : / M. Sidy Nar DIAGNE
Séance 2
Thème : La règle de droit
Sous Thème : Identification de la règle de droit
Travail à faire
-
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Faire la dissertation
Faire les exercices complémentaires
Sujet : La règle de droit et les autres règles de conduites sociales
Exercice complémentaire n°1
Parmi les six textes suivants, repérez ceux qui constituent des règles juridiques ; justifiez votre
choix.
1. Décret N°2009-512 du 29 mai 2009 portant nomination du médiateur de la république :
Le Président de la République,
• Vu la Constitution, notamment en ses articles 43 et 76 ;
• Vu la loi n 99-04 du 29 janvier 199 abrogeant et remplaçant la loi n 91-14 du 11 février 1991
instituant un médiateur de la République ;
• Vu le décret n 2009-451 du 30 avril 2009 portant nomination du Premier Ministre ;
• Vu le décret n 2009-457 du 05 mai 2009 modifié mettant fin aux fonctions d’un Ministre d’Etat à la
Présidence de la République ;
Décrète
Article Unique : M. Serigne DIOP, ancien ministre d’Etat à la Présidence de la République, est nommé
Médiateur de la République pour compter du 05 mai 2009.
Le présent décret sera publié au Journal Officiel.
Fait à Dakar, le 29 mai 2009
Par le Président de la République Abdoulaye WADE
1
Le Premier Ministre Souleymane Ndéné NDIAYE
2. Article 118 Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC) du Sénégal.
« Est responsable celui qui par sa faute cause un dommage à autrui ».
3. Arrêté ministériel n° 9827 en date du 31 octobre 2007.
Arrêté ministériel n° 9827 en date du 31 octobre 2007 abrogeant l’arrêté ministériel
n° 005015/ME/CNH du 18 juin 2007 autorisant la société TAMOIL SENEGAL S.A. à
exercer une activité d’importation de pétrole et / ou de produits pétroliers et autorisant la
société LIBYA OIL SENEGAL S.A. à exercer une activité d’importation de produits
pétroliers liquides.
Article premier. Est abrogé l’arrêté ministériel n° 005015-ME-CNH du 18 juin 2007
autorisant la société TAMOIL SENEGAL S.A. dont le siège social est à Km 7,5 Boulevard
du Centenaire de la Commune de Dakar, B.P. 227 Dakar (Sénégal) à exercer une activité
d’importation de pétrole et / ou de produits pétroliers.
Art. 2. - La société LIBYA OIL SENEGAL S.A dont le siège social est à Km 7,5 Boulevard
du Centenaire de la Commune de Dakar, B.P. 227 Dakar (Sénégal) est autorisée à exercer
une activité d’importation de produits pétroliers liquides.
Art. 3. - L’autorisation d’importation est accordée pour une durée de cinq (5) ans
renouvelable à compter du 18 juin 2007. Elle peut-être renouvelée dans les mêmes formes
pour une période ne pouvant pas excéder la durée initiale. Le renouvellement est de droit si
la société LIBYA OIL SENEGAL S.A a rempli les obligations définies par la présente
Autorisation.
Art. 4. - Pendant la durée de l’Autorisation, la société LIBYA OIL SENEGAL S.A s’engage
à importer un volume annuel minimum de vingt mille (20.000) m3 de produits, à l’exception
des GPL dont le tonnage annuel minimum requis est de mille cinq cent (1500) tonnes.
Art. 5. - La société LIBYA OIL SENEGAL S.A est tenue de communiquer annuellement au
Ministère chargé des hydrocarbures, la nature du ou des produits qu’elle envisage
d’importer ainsi que le planning d’importation desdits produits.
Art. 6. - La société LIBYA OIL SENEGAL S.A doit disposer de capacités de réception et
de stockage propres dûment agréées, ou justifier d’un contrat de location de capacités de
stockage avec une entreprise titulaire d’une Autorisation de stockage.
Art. 7. - Pour toute cargaison importée, la société LIBYA OIL SENEGAL S.A désignera un
expert agréé qui procèdera au contrôle quantitatif et qualitatif de la cargaison. Art. 8. - Le
Directeur de l’Energie, le Directeur général des Douanes et le Directeur du Commerce sont
chargés chacun en ce qui le concerne de l’exécution du présent arrêté.
4. Cour de cassation du Sénégal (devenue Cour suprême), 2e chambre statuant en matière civile et
commerciale arrêts n° 36 du 19 janvier 2005, SALEH contre ULMAN et arrêt n° 37 du 19 janvier
2005, BABOU contre DRAME (www.ohada.com Ohadata J-06-185).
…Vu la loi organique n° 92.25 du 30 mai 1992 sur la Cour de Cassation ;
Vu le Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires
en Afrique ;
Attendu qu’au soutien du pourvoi dirigé contre l’arrêt n° 315 rendu le 1er juin 2001 par la Cour
d’Appel de Dakar, confirmant l’ordonnance du juge des référés d’un tribunal régional de Dakar, qui a
2
ordonné l’expulsion d’Alioune Babou des locaux donnés à bail par Mbacké Dramé, le demandeur
invoque trois moyens de cassation tirés respectivement de la violation des articles 101 de l’Acte
uniforme sur le droit commercial général et 32 du Code de procédure civile, de l’insuffisance de
motifs et de la violation des droits de la défense ;
Mais attendu qu’aux termes de l’alinéa 3 de l’article 14 du Traité susvisé, « saisie par la voie du
recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des
Etats parties, dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes
uniformes et des règlements prévus au présent Traité, à l’exception des décisions appliquant des
sanctions pénales » et que, selon les articles 15 et 16 de ce Traité, d’une part, « les pourvois en
cassation prévus à l’article 14 ci-dessus sont portés devant la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage, soit directement par l’une des parties à l’instance, soit sur renvoi d’une juridiction
nationale statuant en cassation, saisie d’une affaire soulevant des questions relatives à l’application
des Actes uniformes » et, d’autre part, « la saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision
attaquée » ;
Attendu, en conséquence, qu’il y a lieu de se déclarer incompétent pour statuer sur la première
branche du premier moyen du pourvoi, de surseoir à statuer sur la seconde branche du premier
moyen et les deuxième et troisième moyens et de renvoyer l’affaire devant la Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage ;
PAR CES MOTIFS,
Se déclare incompétente pour statuer sur la première branche du premier moyen du pourvoi ;
Ordonne le sursis à statuer sur la seconde branche du premier moyen et les deuxième et troisième
moyens du pourvoi ;
Renvoie l’affaire devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ;
Réserve les dépens.
5. Article 18 de la loi n° 2009-27 du 8 juillet 2009 portant sur la Biosécurité.
Il est interdit d’importer ou de mettre sur le marché des organismes génétiquement modifiés
ou produits dérivés, susceptibles de provoquer une dégradation de l’environnement ou un
déséquilibre écologique, ou de nuire à la santé humaine ou animale.
6. Sourate 4 du Coran: Les femmes (An-Nisa')
Source : http://oumma.com/coran/afficher.php?NumSourate=4
… Et si vous craignez de n'être pas justes envers les orphelins,...Il est permis d'épouser deux,
trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, mais, si vous craignez de n'être pas justes
avec celles-ci, alors une seule, ou des esclaves que vous possédez. Cela afin de ne pas faire
d'injustice (ou afin de ne pas aggraver votre charge de famille).
Exercice complémentaire n°2
Après avoir expliqué la distinction entre normes impératives et normes supplétives, classez les cinq
règles ci-dessous dans la bonne catégorie.
1. Article 283 Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général (AUDCG) de l’OHADA.
3
Sauf convention contraire entre les parties, le transfert de propriété s'opère dès la prise de livraison
par l'acheteur de la marchandise vendue.
2. Article 356 Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement
d’Intérêt Economique (AUSCGIE).
A peine de nullité du contrat, il est interdit aux personnes physiques, gérantes ou associées, de
contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir
par elle un découvert en compte-courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par
elle leurs engagements envers les tiers.
Cette interdiction s'applique également aux conjoints, ascendants et descendants des personnes
visées à l'alinéa premier du présent article, ainsi qu'à toute personne interposée.
3. Article L.4. Code du travail du Sénégal.
Le travail forcé ou obligatoire est interdit. L’expression « travail forcé ou obligatoire » désigne tout
travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque ou d’une sanction et
pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré.
4. Article 153 du COCC
Les contractants peuvent, par une clause pénale écrite s'engager à payer une somme déterminée
dans le cas d'inexécution totale, partielle, tardive ou défectueuse.
5. Article 449 du Code de la famille du Sénégal.
En l’absence d’une convention expresse et sauf dispositions particulières, nul ne peut être contraint à
demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué.
Bibliographie indicative
Ouvrages
-
Aubert (J.-L.), et Savaux (E.), Introduction au droit, Sirey, coll. « Université », 14è éd.,
Sirey. Coll. « Université », 2012
-
Buffelan-Lanore (Y.) et Larribau-Teyneyre (V.), Droit civil 1re année, Sirey, 16è éd., 2009
-
Cabrillac (R), Introduction général au droit, 9e éd. Dalloz, coll. « cours » 2011.
-
Carbonnier (J.), Droit civil, Introduction, PUF, coll. Thémis, 2è éd. 2002
-
Courbe (P.), Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Mémentos », 11è éd., 2009.
-
Cornu (G.), Droit civil, Introduction au droit, Montchrestien, coll. « Précis Domat », 13è éd.,
2007
-
Malaurie (Ph.) et Morvan (P.), Droit civil, Introduction générale, Défrénois, coll. « Droit
civil », 3è éd., 2009
-
MAINGUY (D). introduction Général au droit « cours », 6e édition Lexis Nexis 2013
-
Mazeaud (H., L. et J.) et Chabas (F.), Leçons de droit civil : Introduction à l’étude du droit,
Montchrestien, 12è ed., 2000 (recommandé pour la séance)
4
-
Terré (F.), Introduction générale au droit, Dalloz, coll. « Précis », 9è éd. Dalloz. « Précis »,
2012 (recommandé pour la séance)
-
Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001
-
Code de la famille, Art. 112 (délai de viduité), art. 114 (dualité des formes du mariage) art.
571 à 653 successions de droit musulman
-
CIRCOFS, Comité Islamique pour la Réforme du Code de la Famille au Sénégal,
Projet de Code de statut personnel, Institut islamique de Dakar, 2è édition, année
1422/ 2002
Articles
-
Antoine Jeammaud, La règle de droit comme modèle, Recueil Dalloz 1990, Chron. p. 199
(V. site FSJP)
- Philippe Jestaz, La sanction ou l’inconnue du Droit, Dalloz, 1986 (V. site FSJP)
- Valérie Lasserre-Kiesow, L'ordre des sources ou le renouvellement des sources du droit,
Recueil Dalloz 2006 p. 2279 (V. site FSJP)
Documents
Doc.1 / Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001, articles 1er et 24
Article premier— La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité
devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte
toutes les croyances.
Art. 24 — La liberté de conscience, les libertés et les pratiques religieuses ou culturelles, la profession
d’éducateur religieux sont garanties à tous sous réserve de l’ordre public.
Les institutions et les communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave. Elles sont
dégagées de la tutelle de l’État. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome.
Doc. 2/ Jean CARBONNIER, La religion, fondement du droit ? In Droit et Religion, Archives de
philosophie du droit, Paris, Sirey T. 38, 1993, p. 17-21
RÉSUMÉ. — La religion peut-être créatrice de règles de droit, soit par la médiation de la morale, soit
même directement ; elle peut aussi renvoyer au pouvoir laïc la charge de légiférer. Mais le droit, c’est
encore un jaillissement spontané de justice : dans ce domaine, la religion est souvent entendue comme
porteuse de grâce, d’espérance, de prophétie.
Ce titre interrogatif aurait pu être entendu comme une question d’ethnologie : si, dans le magma de
coutumes qui rythmait la monotonie des tribus primitives, le religieux n’avait pas précédé le juridique,
si le juge n’était pas sorti du prêtre. Mais nous sommes ici en philosophie, et il me faut comprendre la
question autrement : me demander si le droit est aussi indépendant de la religion – c’est-à-dire (dans la
banalité de nos sociétés occidentales) d’un minimum de dogmatique chrétienne – aussi indépendant
que le laisseraient supposer l’autonomie, voire l’autopoïèsie qu’en théorie il s’attribue. En fait, notre
fin de siècle étant encline au consensus, le bon ton doctrinal est de concéder au religieux une certaine
influence sur le juridique. Mais le mot est vague, et surtout il ne fait pas apparaître ce qui est essentiel :
la diversité des mécanismes par lesquels la religion peut intervenir dans le droit. Une diversité qui se
complique de la dualité qui traverse le droit lui-même. Car le droit, ce ne sont pas seulement des
règles, c’est aussi un jaillissement en dehors des règles. C’est justement cette dualité règles de droit et
droit sans règles – qui a servi d’arête à la recherche qui va suivre. Une recherche qui a été conduite
sans référence nommée à une dénomination. Encore que vous puissiez estimer que c’est déjà une
suffisante confession de foi que d’étaler ses variétés et d’assumer ses variations, ses fameuses
variations, ô Bossuet – mes variations.
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Il est des règles de droit qui résonnent comme des échos de prescriptions religieuses, et avec deux
motifs d’obéir pour un, le peuple n’en obéira que mieux. Il se peut que ce soit cet aspect providentiel
de la rencontre qu’ait voulu démontrer une œuvre un peu énigmatique du Ve siècle, la Collatio
(comparaison) des lois mosaïques et romaines. Mais la Collatio pourrait être reprise pour le droit
français de notre époque. Des commandements du Décalogue y sont gravés : l’honneur dû aux père et
mère aussi bien que la condamnation du meurtre et du vol, ou – pour relever des cas de plus grande
fréquence – l’impératif du repos hebdomadaire (à un jour près), aussi bien (jusqu’en 1975) que le
célèbre futur apodictique « Tu ne commettras pas d’adultère » (ce commandement qui n’aurait pas été
rayé du code civil s’il n’avait tenu qu’à moi). Le parallèle pourrait se poursuivre, fût-ce avec des
tonalités plus sourdes : Paul Esmein décelait la notion théologique du péché sous la notion juridique de
la faute, et des auteurs voient se refléter dans l’autonomie de la volonté la pureté du oui et du non de
l’Évangile. Ce serait une erreur, toutefois, de penser qu’en cela nous avons affaire à des phénomènes
de réception (au sens où l’on évoque la réception d’un droit étranger par le droit national). Dans la
perspective où nous nous situons, on ne saurait parler de réception, parce qu’il n’y a pas eu d’adoption
directe des normes religieuses par le système juridique. Elles ne sont devenues règles de droit que par
l’intermédiaire, la médiation d’autres systèmes normatifs.
Elles y sont passées, s’affaiblissant au passage, se dépouillant de la religion pour n’en conserver
qu’une religiosité. La morale est un de ces systèmes de transition. On en pourrait citer d’autres : la
culture, les bonnes mœurs, voire le droit naturel. Mais la morale est, par excellence, la religion de ceux
qui n’en ont pas. Si notre droit des contrats réprouve le dol et la fraude, c’est sous la pression de la
règle morale. Ripert, qui a dépeint brillamment la montée de la sève morale, lui assigne expressément
une source chrétienne.
Source, rien de plus : ce n’est pas avec le christianisme que le code civil a traité directement, c’est
avec la morale médiatrice. Elle fait écran devant la religion, et l’écran se fait icône, idole, fixant sur
elle l’adoration. La conséquence est considérable, elle touche au redoutable Etiamsi de Grotius : nous
devrions continuer à nous abstenir de dol et de fraude, même si – etiamsi – nous en venions à admettre
que Dieu n’existe pas, ce qui ne pourrait être avancé que par le plus grand des crimes, ajoute Grotius,
négligemment.
L’excès libéral peut appeler en contrepoids le fondamentalisme. Il nous faut, cependant, quitter la
France pour les pays de la Réforme si nous voulons découvrir des exemples juridiques assez
consistants de ce que l’on qualifie parfois de biblicisme naïf.
Naïf pour qui s’enferme dans les murailles de la raison, mais la foi intensément vécue les fait éclater.
Essayons plutôt de comprendre. Voici – nous sommes au XVIe siècle – des gens qui n’ont jamais eu
entre les mains de recueil de coutumes, ni bien sûr de
Corpus juris civilis. Et brusquement, des hommes prestigieux, des hommes de Dieu leur confient un
livre, en leur disant « Lisez et méditer librement » – un livre qui, surtout dans une de ses parties,
s’exprime avec une voix de commandement. C’était une réaction naturelle de recevoir – ici, il
s’agissait bien d’une réception – de recevoir la Bible comme un code. Très tôt pourtant, les
Réformateurs avaient mis en garde leurs ouailles : la Thora est rude, rudimentaire, conçue pour une
société fort différente des nôtres, et elle n’a pu fonctionner comme droit qu’enveloppée, adoucie,
humanisée par le Talmud. Allons-nous canoniser le Talmud ? Peut-être les réformateurs auraient-ils pu
se contenter de dire : « Posez toujours le texte, et laissez faire les juristes, avec leur goût de la forme,
leur propension aux commentaires ». De fait, les lois puritaines de la Nouvelle-Angleterre au milieu
du XVIIe siècle, s’alignant sur le Deutéronome, avaient prononcé la peine de mort contre l’enfant
rebelle. C’était féroce. Alors, il y eut des amendements : il convenait de distinguer selon l’âge, et si
l’éducation avait été désastreuse, n’était-ce pas une circonstance atténuante ? Finalement on pouvait
bien se borner à remplacer les pierres de la lapidation par autant de coups de verges, cette peine
capitale, si j’ose dire, pour enfants. Un autre exemple, à peine moins historique. Imaginez un scribe,
un rédacteur qui soit puritain. Son prince, qui ne l’est pas, lui donne l’ordre d’introduire dans les lois
la répudiation, le divorce par volonté unilatérale. La Bible lui corne aux oreilles : « Tu ne renverras
pas la femme de ta jeunesse ». Alors, il entortillera la répudiation de délais, de conditions, de prix à
payer, si bien qu’elle sera confinée à des cas extrêmes. Il l’aura fait entrer tout de même dans le droit.
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Avec/sans remords, qui peut le savoir ? Ah ! Comme l’esprit est habile… habile à tuer la lettre ! Les
juristes, böse Christe, mauvais chrétiens. Qui donc a dit cela ?
Au risque de ne surprendre personne, je n’abandonne pas la Réforme et j’écoute maintenant Luther
dans sa doctrine des deux règnes. Oh ! je n’ignore pas l’effort de réduction que les Églises de notre
temps – la luthérienne non moins que les autres – ont appliqué à cette doctrine qui les dérange. Il est si
tentant pour elles de se mêler au grand spectacle du monde, du politique, dont la législation est une
composante de choix, procurant l’illusion de façonner les peuples comme de l’argile. C’est même la
troisième, la suprême tentation : « Je te donnerai tous les royaumes du monde et leur gloire ». Mais la
doctrine des deux règnes interrompt : laissons les royaumes à leurs rois, à leurs législateurs : ils
exercent parmi nous, sur nous, en faisant et maniant le droit, un métier voulu de Dieu, parce que, sans
la force, la violence inhérente au droit, la condition humaine qui est pécheresse, ferait exploser la
société dans le chaos. Mais ce métier, Dieu lui-même l’a rejeté hors de son royaume, parce qu’étant
exercé par des hommes, il ne peut l’être sans péché (ne pensons pas nécessairement aux tyrannies
meurtrières, aux pouvoirs corrompus, ce peut être aussi bien – aussi mal – paresse, faiblesse,
somnolence).
En vain, nous chercherions une analogie entre cette séparation radicale des deux règnes et la vieille
distinction du spirituel et du temporel qu’a épuisée son incessant jeu de raquettes. Il y a, dans la
doctrine des deux royaumes, un accent qui n’est qu’à elle, pessimiste, voire tragique, et les
conséquences qu’elle emporte sont d’une autre dimension : elle fonde – et par la théologie même, la
théologie du péché – une laïcité qui libérera de la religion le système juridique, en même temps qu’elle
relativise le droit en dévoilant ses misères. Coup double !
J’ai quelquefois rêvé, dans le respect de son génie, d’un Kelsen que Luther aurait converti afin de lui
épargner les affres d’un dilemme : ou bien la norme fondamentale dont il couronne sa construction est
parole de Dieu, et le droit tout entier, en dessous, devient religion ; ou bien elle n’est que parole
humaine sans rien au-dessus à quoi l’accrocher, et tout l’édifice flotte dans les airs. Or, la norme
fondamentale pourrait bien être d’essence divine sans que fût altérée le moins du monde la laïcité des
normes subordonnées, si c’était précisément la norme par laquelle le Seigneur a déclaré se
désintéresser du droit, le renvoyant à la compétence du prince, c’est-à-dire de l’État, selon un
mécanisme comparable au renvoi en droit international privé. Une norme qui, s’il fallait la rédiger,
pourrait tenir dans cette phrase, entre bien d’autres : « Qui m’a établi sur vous pour faire vos partages
? » (Luc, 12 : 14) – énoncé exemplaire, car le partage des propriétés – Montesquieu, Rousseau
l’avaient vu avant Marx – a été la naissance du droit.
- II Cependant, le droit ne peut plus être, de nos jours, figuré uniquement par une pyramide ou une
colonnade de normes : c’est aussi le champ où il pousse comme une herbe, fût-ce avec l’aide des
hommes, les juges d’équité en première ligne, mais également des hommes quelconques, usagers,
témoins, victimes du juridique, altérés de paix, de repos, de justice. Sur cet espace de liberté, la
religion qui est esprit peut souffler spontanément, aisément. Ce qui lui ouvre des possibilités
nouvelles, diverses et souvent inattendues, de participer au droit.
L’Évangile est fontaine de grâce. Aux côtés de la loi dont elle se croit l’antithèse, la grâce est partie
intégrante du système juridique. Il est des grâces institutionnalisées. La grâce royale, présidentielle,
c’est le prototype, et les menues grâces que les juges ont mission de faire pleuvoir à bon escient sur le
juste et l’injuste : délais de grâce en matière civile ; en matière pénale, sursis qui est une grâce sous
condition. Ce qui soulève, néanmoins, une question : si d’être institutionnalisée, la grâce ne perd pas
de sa diaphanité évangélique, si le calcul utilitaire n’y étouffe pas les élans du cœur. Dans
l’organisation politique et judiciaire de l’Occident, les décideurs se doivent d’être logiques par
profession, mais ils peuvent être charismatiques (pour emprunter à des catégories wébériennes) par
accident, c’est-à-dire par grâce reçue pour être ensuite répandue.
C’est ainsi que, par instants, des bouffées d’indulgence remuent la surface des systèmes juridiques, et
les vocables que véhicule le phénomène – supplique, pardon, rémission, rédemption – n’en
dissimulent pas l’origine – l’origine chrétienne. Sans doute, les païens aussi étaient cléments, mais ils
l’étaient en empereurs. Les chrétiens le sont par grâce, et ils sont capables d’une clémence anarchique.
Qui ne refuse pas le passage à l’acte. La délivrance des prisonniers ne relève pas de l’anecdote : c’est,
7
pour la Révélation, avant ou après Esaïe, une manière de dire le droit – Joseph, la sortie d’Égypte,
Suzanne… – le thème court tout le long de l’Écriture. Les prisons brisées, c’était une tapisserie
qu’avec des scènes bibliques Jeanne d’Albret, reine de Navarre, brodait à l’infini.
La religion aurait pu se contenter de ces échappées de justice divine au travers de la justice humaine.
Etait-il besoin d’organiser la justice divine en juridiction ? Mais c’est que l’homme ne se résigne pas à
ne posséder qu’une justice imparfaite. Il va s’évertuer à capter, pour la ramener sur terre la vision que,
pense-t-il, ne peut manquer d’avoir du juste et de l’injuste la divinité omnisciente. Telle était
l’intention des ordalies, du duel judiciaire, jugements de Dieu. C’était au temps jadis, mais il en
subsiste quelque chose dans le serment décisoire du procès civil. Pour peu que nous en dégagions son
ressort caché, en écartant la médiation qui lui est laïquement infligée par morale de l’honneur
interposée, c’est bien un recours à la justice d’en haut. Aussi est-il des sectaires qui s’abstiennent du
serment comme d’un sacrement inouï, sacrement juridique, tentative pour mettre la main du droit sur
le Tout Autre.
Ils ne récusent pas, au contraire, le jugement de Dieu – qu’ils espèrent ou redoutent – outre-tombe,
outre-terre. Comment le récuseraient-ils ? Il est annoncé par l’Évangile.
S’ils hésitent, c’est que l’Évangile n’est pas seul à l’annoncer : le Styx était même plus judiciaire.
Antique ou moderne, il n’est guère de religion qui n’ait promis une justice de la vie future comme une
compensation, une revanche des injustices du droit positif. Les incrédules ont beau jeu d’en rire : le
bon billet pour faire prendre patience ! Mais les croyants n’ont pas tort en répliquant que, dans un
rapport où la matière et le temps sont abolis, l’ici-bas et l’au-delà se soudent pour ne former qu’une
même et immédiate justice.
J’ai lu récemment une introduction à l’étude du droit, d’une remarquable élévation de pensée, où
l’Auteur – il n’est pas français – au chapitre de la procédure, dressant le tableau des voies de recours,
au-dessus de l’appel, du pourvoi en cassation, a inscrit sans trembler le jugement dernier, particulier,
puis universel à la fin des temps. Qui oserait contredire ? C’est acte de foi. Ceux qui ne croient pas au
ciel ont le droit de tout nier. Ceux qui ne croient pas au droit – je veux dire : à sa sublimité –
s’étonneront seulement de retrouver du droit, encore du droit – un prétoire, des balances, un centre
d’observation, qui sait ? – à l’heure de s’enfoncer dans la grande nuit, fût-elle étoilée.
En attendant, il faut tenter de vivre – vivre avec le droit tel qu’il est. Ceux-là même qui accordent aux
autorités de l’État pleins pouvoirs pour régir le royaume du monde doivent admettre, en toute sérénité,
que des révoltes peuvent surgir qui ont leur justification dans l’autre royaume. Les deux
enseignements ne se réunissent pas dans une relation d’exception à principe : ce sont deux vérités
égales, parce que pareillement enracinées dans l’Écriture. Ce sont les rois qui font et disent le droit.
Mais, en face, il advient qu’en temps imprévu, des prophètes se lèvent, qui leur crient « Assez !
L’Éternel est actuel ! ». Israël a eu des prophètes, des grands, des petits prophètes ; nous en eûmes
aussi sous Louis XIV, dans les Cévennes. C’était plus et moins qu’une insurrection : c’était un autre
droit qu’ils fondaient, droit de l’instant et d’un instant.
Que les juristes ne reconnaissent-ils la virtualité d’un droit prophétique ? J’ai entendu l’expression sur
les lèvres d’André Néher, l’historien inspiré du prophétisme juif. Le droit prophétique, non pas
l’absolue justice, qui est inaccessible, mais la dénonciation de l’injustice absolue qui soulève le cœur.
Singulier droit que celui-ci : il n’est pas donné d’avance, il est créé par l’événement accompli, ex
eventu, éventuellement. Par le cours de l’histoire, traduiront les uns, par le jugement de Dieu,
affirmeront les autres. C’est un droit de risques et périls. Mais êtes-vous venus chercher, pour le droit,
dans la religion une assurance ?
Doc. 3 / Valérie Lasserre, Droit et religion, Recueil Dalloz 2012 p. 1072
L'essentiel
L'attentat contre Charlie Hebdo, les récentes condamnations des femmes dissimulant leur visage dans
l'espace public, l'avis du Haut Conseil à l'intégration sur la religion dans l'entreprise, la proposition de
loi sur l'extension aux crèches privées et aux assistantes maternelles de l'interdiction du voile ou les
prières dans la rue ravivent la réflexion sur le rapport entre droit et religion, entre démocratie et
tolérance.
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« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité
devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte
toutes les croyances » - L'article 1er de la Constitution française formule de façon percutante la
distinction entre la République et la sphère du religieux qui a été consacrée par la loi du 9 décembre
1905 de séparation des Eglises et de l'Etat mettant fin au régime concordataire. La laïcisation de l'Etat,
qui a suivi chronologiquement la sécularisation du droit avec la Révolution française et la
déconfessionnalisation de l'Etat, n'a jamais fait disparaître la question religieuse. Celle-ci est au cœur
de toute société quelle que soit l'époque. Faut-il être surpris que, dans une société démocratique laïque
comme la France, les débats sur le fait religieux bénéficient d'une place centrale ? Jean Carbonnier a
écrit que si l'Etat et la religion ne peuvent pas s'ignorer, c'est sans doute parce que les droits positifs «
empruntent néanmoins, ne fût-ce que par la médiation de la morale ou des mœurs, à la religion qui les
entoure » (1). Le fait religieux est même d'autant plus omniprésent qu'il est admis dans toute sa
diversité ; laïcité emportant liberté de conscience et de religion, et donc pluralisme.
Fait religieux. Liberté publique et rapports de droit privé (2) - Loi interdisant le voile islamique
dans les espaces publics, annulation judiciaire d'un mariage pour mensonge de la mariée sur sa
virginité, décisions de justice sur les caricatures de Mahomet, rapports des pouvoirs publics sur les
sectes, refus d'accorder la nationalité française à une femme pour pratique radicale de sa religion
dénotant un défaut d'assimilation, religion dans la famille, dans l'entreprise, abattage des animaux
selon les prescriptions religieuses, proposition d'inscrire la loi de 1905 dans la Constitution, réflexions
des partis sur la place des religions, etc. L'actualité juridique démontre la nécessité pour les pouvoirs
publics de prendre en compte le fait religieux. Si l'on se focalise sur la liberté publique de conscience
et de religion (qui prend racine dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789, a valeur
constitutionnelle et constitue une liberté fondamentale consacrée par les conventions internationales),
la question des interférences entre religion et droit est extraordinairement complexe. Tout d'abord,
parce que la neutralité de l'Etat emporte des obligations tant négatives (ne pas s'immiscer dans les
questions cultuelles et dans la vie privée des individus) que positives (obligation de garantir la liberté
de conscience et de religion tant au niveau individuel que collectif). Mais on ne sait pas toujours quelle
doit être la teneur de ces obligations dans les cas particuliers. Et ensuite, parce qu'on se demande
parfois quelle doit être la limite du pluralisme, de l'esprit de tolérance et d'ouverture. Comment lutter
contre le communautarisme que menace parfois d'entraîner la religion ? Comment empêcher la liberté
de religion de nuire à la liberté individuelle ? Quelle place accorder à la manifestation de croyances
religieuses dans l'espace public et dans les rapports avec autrui ? Et c'est sans compter la difficulté
pour l'Etat d'être neutre. Le poids historique d'une religion ne fait-il pas obstacle à la neutralité
effective de l'Etat ? Quant aux relations de droit privé, elles sont également affectées par la religion en
tant que fait social auquel s'appliquent les règles générales. Mais aux conflits habituels entre droits
subjectifs s'ajoute une question spécifique : quand les limites apportées à la liberté de conscience et de
religion doivent-elles être considérées comme discriminatoires ? Seront donc envisagées, dans une
première partie, la portée du principe de laïcité de l'Etat et, dans une seconde partie, l'appréhension du
fait religieux par le droit privé.
I - La portée du principe de laïcité
Dans son rapport sur la laïcité de 2004 (3), le Conseil d'Etat a décliné la notion en trois principes :
celui de neutralité de l'Etat, qui sera examiné en premier lieu, et ceux de liberté religieuse et de respect
du pluralisme, qui seront étudiés en second lieu.
A - Neutralité de l'Etat
Le principe et le régime de la laïcité ont été instaurés dans la loi de 1905 (4), mais n'existent que par
leur mise en œuvre.
1 - Principe et régime de la laïcité
La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes, ne reconnaît,
ne salarie ni subventionne aucun culte - Que signifie exactement laïcité? C'est dans un article
célèbre que Jean Rivero y a répondu : « les textes législatifs, les rapports parlementaires qui les
commentent, les circulaires qui ont accompagné leur mise en application ont toujours entendu la
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laïcité en un seul et même sens, celui de neutralité religieuse de l'Etat » (5). Laïcité est synonyme
d'impartialité de l'Etat - gage de l'égalité et de l'absence de discrimination entre les cultes -, de
discrétion de l'Etat - par la distinction de l'autorité politique et de l'autorité religieuse - et d'obligation
pour l'Etat d'assurer à chacun le libre exercice de sa religion. Le régime juridique de la séparation de
l'Eglise et de l'Etat se base sur la garantie de la liberté de conscience et du libre exercice du culte,
l'absence de reconnaissance et de financement des cultes et sur les associations cultuelles destinées à
acquérir les biens cultuels (6). En bref, comme le disait Aristide Briand, « l'Etat n'est ni religieux, ni
antireligieux, il est areligieux ».
2 - Mise en œuvre de la laïcité
Enseignement libre. Dialogue. Lieux de culte - Trois exemples illustrent les relations entre l'Etat et
la religion. Tout d'abord, les institutions publiques d'intérêt général n'ignorent pas les religions, comme
en témoignent le financement par l'Etat des aumôneries dans les établissements publics tels les
collèges, les lycées, les hôpitaux et les prisons ou celui de l'école privée confessionnelle partie
intégrante du service public scolaire. Ensuite, l'Etat a favorisé le dialogue avec les cultes religieux, par
exemple avec la création en 2003 du Conseil français du culte musulman (7). Enfin, la question du
financement de la construction des lieux de culte - surtout des mosquées trop peu nombreuses - se
pose depuis plusieurs décennies avec une acuité toujours plus vive (8). C'est au cas par cas et avec le
renfort de circulaires qu'elle a été résolue par les collectivités territoriales par le recours au droit
commun, tels les baux emphytéotiques administratifs et les garanties d'emprunt. L'application souple
de la loi de 1905 semble avoir rendu sa réforme inutile (9). Certains parlent à ce propos de la
métamorphose du principe de laïcité dans le sens d'une «laïcité ouverte, ou positive » (10). Les cinq
arrêts rendus par le Conseil d'Etat le 19 juillet 2011 démontrent le pragmatisme libéral déterminant les
décisions des pouvoirs publics à propos de la garantie du libre exercice du culte (11).
Limites. Communautarisme. Société divisée - Dans les débats publics, la laïcité est aussitôt
invoquée dès que sont exprimées des revendications communautaristes ou prétendues telles. Le
Conseil constitutionnel a rappelé que les dispositions de l'article 1er de la Constitution aux termes
desquelles « la France est une République laïque » interdisent à quiconque de se prévaloir de ses
croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités
publiques et particuliers et s'opposent « à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe
que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture et de langue ou de croyance » (12). Mais
où s'arrêtent les droits subjectifs fondés sur la liberté de conscience et d'exercice du culte ? Où
commence le communautarisme en tant que rattachement si excessif à une communauté qu'il en
devient une menace pour la cohésion sociale (13) ? Cette question se pose notamment pour les
horaires aménagés dans les piscines municipales, les plats sans viande à la cantine, les emplacements
confessionnels dans les cimetières ou la revendication par certaines femmes d'être soignées par des
femmes dans les hôpitaux. La lutte contre le communautarisme ne risque-t-elle pas d'être liberticide ou
discriminatoire, alors que la Cour de cassation a rappelé récemment que le principe de laïcité ne
saurait justifier aucune discrimination (14) ? Les politiques canadiennes d'accommodements
raisonnables fondées sur l'égalité (pour lutter contre les discriminations indirectes) et censées favoriser
le multiculturalisme sont-elles meilleures (15) ? Faudrait-il suivre les pays qui, prenant le contrepied
de la neutralité, reconnaissent ouvertement un nouveau droit subjectif à un traitement différencié au
bénéfice de certains groupes religieux sauf contrainte excessive (16) ? En France, la question du
développement des « obligations positives reposant sur les Etats de garantir un respect effectif du droit
à la liberté religieuse sans discrimination » (17) ne devrait pas être écartée sans examen.
B - Liberté de conscience et de religion et pluralisme
« Et que tout tremble au nom du Dieu qu'Esther adore ! » - Cette phrase résonne comme un
hymne à la tolérance, à la liberté de religion et au respect d'autrui. Le pluralisme est la conséquence de
la liberté de croire et du libre exercice des cultes consacrés tant dans la Déclaration des droits de
l'homme, que dans la loi de 1905 et dans les conventions internationales, comme la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La Cour européenne des droits de l'homme, qui
depuis 1993 a élaboré progressivement « un véritable droit européen des religions » (18), y voit même
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l'une des assises d'une société démocratique (19). De nombreux débats actuels conduisent à
s'interroger sur la portée et les limites de la tolérance. Tout est-il permis ? Les difficultés pour
répondre à cette question se rencontrent par exemple à propos des signes religieux ostensibles ou des
mouvements sectaires.
1 - Liberté religieuse et signes religieux
Voile. Ecole. Espace public - La liberté de manifestation individuelle, ainsi que la visibilité de la
religion dans les écoles et les espaces publics doivent-elles être illimitées ? Si, d'un côté, il y a
l'impératif de tolérance, de l'autre, certaines pratiques tel le port du voile par des jeunes filles à l'école
affichant une croyance en l'Islam, ou celui du voile intégral, ont pu sembler remettre en cause la laïcité
de l'Etat. Ces nouvelles questions allant bien au-delà de la neutralité imposée aux fonctionnaires en
vertu du principe de laïcité (20), les pouvoirs publics en ont été saisis dans les années 80. En sept ans,
deux lois prohibitives ont été adoptées. La première, du 14 mars 2004, qui a interdit tout signe
ostensible d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires publics, était principalement
justifiée par la volonté de soustraire les élèves aux pressions des pairs (21). La seconde, du 11 octobre
2010, interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public a été motivée par le danger pour la
sécurité publique, les exigences minimales de la vie en société et la situation d'exclusion et d'infériorité
dans laquelle se trouvent les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, manifestement
incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d'égalité. A l'occasion de la décision du
Conseil constitutionnel (22) a ainsi été débattue l'existence d'un nouvel ordre public élargi aux règles
essentielles du contrat républicain qui fonde notre société. Nul n'ignore que l'ordre public est en
constante évolution. Pour un auteur, « il existe bien un ordre public non matériel qui peut justifier des
restrictions apportées aux libertés individuelles, voire des interdictions générales et cet ordre public
immatériel trouve un fondement constitutionnel dans l'article 5 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen. C'est alors de la protection de la société et non seulement des libertés
individuelles qu'il s'agit » (23).
Cour européenne des droits de l'homme. Liberté de conscience et de religion et laïcité - En
matière de liberté religieuse, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a joué un rôle
immense. Elle est devenue, en moins d'une décennie, « la sentinelle avancée de la protection de la
laïcité qui semble naviguer, désormais, entre l'affirmation de la neutralité religieuse de l'Etat et les
exigences de la lutte contre le communautarisme » (24). On distingue trois orientations dans sa
jurisprudence. Premièrement, la CEDH a imposé le principe de laïcité comme un objectif conforme
aux valeurs sous-jacentes à la Convention (25). La deuxième orientation consiste à garantir la liberté
religieuse des citoyens même lorsqu'elle investit l'espace public en l'absence de menace ou de pression
sur autrui (26). Comme le remarque un auteur, « tout ce qui choque ou dérange ne doit pas
nécessairement être interdit, au risque de stigmatiser une communauté religieuse » (27). Ce sont
précisément les limites de la liberté religieuse et le respect de la tolérance mutuelle dans une société
démocratique qui sont en cause avec l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public
par le droit français ou l'interdiction en Suisse des minarets (28). Troisièmement, la CEDH reconnaît
aux Etats une marge d'appréciation concernant la laïcité (29). Sa décision Lautsi 2, qui souligne la
symbolique culturelle de certains signes religieux, en l'espèce les crucifix dans les salles de cours,
incite aussi à se demander si la neutralité de l'Etat est possible, une question également posée pour les
mouvements sectaires. […]
II - Fait religieux et droit privé
Le fait religieux, en tant que fait de la vie sociale, ne peut être ignoré par le droit privé (34). D'abord,
parce que la discrimination fondée sur la religion est interdite, ce qui sera étudié en premier lieu.
Ensuite, parce que la religion peut entrer en conflit avec d'autres droits subjectifs, ce qui sera envisagé
en second lieu. […]
Conclusion - Qu'est-ce que la laïcité ? - Au milieu du XXe siècle, Jean Rivero disait que « le mot va
se gonfler de puissances multiples, d'aspirations et de refus mêlés » (51). Aujourd'hui, ne régule-t-elle
pas les manifestations les plus diverses de la liberté de religion ? La conquête par la laïcité des
rapports privés, après avoir conquis l'Etat tout entier, ne traduit-elle pas la
11
mobilité/malléabilité/potentialité du concept ? Il soulignait le rôle créateur de la jurisprudence « pour
faire, à partir de l'idéologie laïque, le droit positif de la laïcité » (52). Les jurisprudences tant judiciaire
et administrative qu'européenne ne composent-elles pas collectivement déjà depuis plusieurs décennies
le droit positif de la laïcité ? Il disait que « l'idéologie laïque est, avant tout, une idéologie de combat »
(53). A l'aube du XXIe siècle, la virulence des discussions ne continue-t-elle pas avant tout de
s'expliquer par le caractère engagé et passionnel de la pensée laïque ? Il se demandait s'il fallait
sacrifier « la liberté de ceux qui croient à la peur de froisser ceux qui ne croient pas » (54). Cette
question n'est-elle pas quotidienne ? Avec ses emblèmes : le voile, les minarets et les prescriptions
alimentaires. Il écrivait que « la position de neutralité n'est pas aisée à définir, ni à tenir » (55). La
neutralité n'a-t-elle pas été conservée en tant que principe que concourent à aménager incessamment
de façon pragmatique des exceptions conçues au cas par cas ? Dans son Traité sur la tolérance,
Voltaire disait du « droit de l'intolérance » qu'il était « absurde et barbare ». Les débats sur le respect
de la laïcité et la liberté de conscience et de religion ne devraient-ils pas toujours être guidés par l'idéal
de tolérance mutuelle et le respect du pluralisme, l'esprit de la démocratie et la recherche de la paix
sociale ?
Doc. 4 : règle de droit et règle morale / Par le Professeur Henri MAZEAUD / (extrait de son
Cours de droit civil, licence 1e année – Les Cours de droit 1954-1955)
Il est indispensable, pour que la vie en société soit possible, qu’il existe une règle, une règle de
conduite. Si chacun de nous suivait son bon plaisir, chacun deviendrait un ennemi pour son voisin.
Mais si la nécessité d’une règle de conduite est incontestable, il est par contre plus difficile de préciser
à quels besoins répond exactement cette règle de conduite.
En réalité, cette règle s’impose à nous pour deux raisons ; elle s’impose, d’une part pour faire
régner la justice, et, d’autre part, pour donner la sécurité.
- La règle de droit s’impose d’abord pour faire régner la justice. Le besoin de justice est l’un des
plus élémentaires et l’un des plus impérieux que nous ressentions. Il existe déjà chez l’enfant ; dès le
plus jeune âge l’enfant se révolte contre l’injustice, et ce sentiment demeure également puissant chez
l’adulte : nous ne pouvons admettre un acte qui ne paraît se justifier que par la force de celui qui
l’accomplit ; il y a contre cet acte une révolte de notre conscience, et ce n’est pas là seulement une
simple réaction de tendance morale ; nous réagissons ainsi parce que nous savons que la vie en société
serait impossible si les plus forts pouvaient écraser les plus faibles.
- La règle de droit est également nécessaire pour nous donner la sécurité, car, pour vivre en
société, l’homme a encore plus besoin de sécurité que de justice. Nous pouvons à la rigueur vivre sous
une règle que nous estimons injuste, du moins faut-il que nous connaissions la règle sous laquelle nous
vivons ; il faut, en effet, que quand nous accomplissons un acte nous sachions quelles seront
exactement les conséquences de cet acte.
Ce besoin de justice, et surtout ce besoin de sécurité, sans la satisfaction desquels la vie en
société est impossible, obligent à tracer une règle de conduite.
Mais il y a deux disciplines qui proposent aux hommes des règles de conduite ; il y a la
morale, et il y a le droit. Alors une question se pose : est-ce que la morale n’est pas une règle
suffisante, est-ce qu’il est nécessaire d’avoir, à côté de la règle morale, une règle de droit ? C’est
nécessaire, parce que la règle morale ne peut à elle seule, gouverner une société, et cela pour trois
raisons :
1° - La règle morale n’a qu’une sanction d’ordre intérieur, qu’une sanction morale, sanction qui,
malheureusement, n’est pas de nature à effrayer beaucoup de personnes, à les empêcher d’enfreindre
la règle, et à les obliger à réparer les conséquences de leurs infractions à cette règle. Il faut donc
qu’une autre règle - et c’est la règle de droit - vienne créer une sanction plus efficace, qui, elle,
contraindra matériellement les individus à ne pas faire ce qui est défendu, une sanction qui frappera
ceux qui ont enfreint la règle et qui les obligera à réparer les conséquences des actes contraires à la
12
règle.
Cette contrainte, qui est ainsi la caractéristique essentielle de la règle de droit, et qui différencie
la règle de droit de la règle morale, se manifeste, pour nous en tenir au droit civil, sous trois formes
essentielles :
- Tantôt sous une forme directe, brutale ; la force publique va intervenir directement pour faire
respecter la règle. Lorsqu’un enfant quitte le domicile paternel et va ainsi à l’encontre de la règle de
droit qui veut que l’enfant habite avec ses parents, le père pourra faire ramener cet enfant au domicile
paternel par les gendarmes, manu militari. C’est ici la contrainte directe, mise en oeuvre pour faire
respecter la règle de droit.
- Tantôt la sanction consiste à supprimer l’acte qui a été accompli contrairement à la règle. Cette
sanction est ce que l’on appelle la nullité : l’acte est nul. Par exemple, il y a une règle de droit selon
laquelle le mariage doit être célébré devant l’officier d’état civil ; le mariage qui ne serait pas célébré
devant l’officier d’état civil, serait nul ; il n’y aurait pas de mariage.
- Tantôt encore, la sanction va consister dans la condamnation de celui qui a agi contre la règle à
réparer les conséquences de son acte. Un conducteur d’automobile, à la suite d’un excès de vitesse,
renverse et blesse un piéton ; il doit réparer les conséquences de son acte ; il doit verser des
dommages-intérêts, une somme d’argent, pour réparer le préjudice qu’il a causé. C’est ce que l’on
appelle la responsabilité civile.
Il y a aussi la responsabilité pénale, qui est également une sanction des règles de droit ; non plus
des règles du droit civil, mais du droit pénal, sanction qui consiste en des condamnations corporelles
ou pécuniaires, en des amendes qu’il ne faut pas confondre avec les dommages-intérêts. L’amende est
une peine, elle est versée au Trésor, tandis que les dommages-intérêts sont une réparation ; ils sont
versés à la victime pour réparer le dommage qui lui a été causé.
Une sanction juridique est donc indispensable ; on ne peut pas se contenter, pour organiser la
vie en société, d’une sanction d’ordre moral.
Mais faut-il conclure de là que, à côté de la règle de morale, il soit nécessaire de créer une règle
de droit ? Ne pourrait-on pas se contenter d’ajouter à la règle de morale une sanction juridique,
autrement dit de faire respecter par la contrainte la règle de morale ?
Ce ne serait pas possible, car il y a deux autres raisons pour lesquelles la règle de morale est
inapte à gouverner les hommes en société.
2° - C’est d’abord que la règle de morale est d’une nature trop haute ; du moins en est-il ainsi de la
règle de morale chrétienne. Cette règle de morale est fondée en effet sur la charité, sur l’amour du
prochain ; elle est résumée, on le sait, dans le Sermon sur la Montagne, et se retrouve à chaque page de
l’Évangile. C’est l’amour du prochain qui doit nous conduire à rendre le bien pour le mal : « Si
quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. À qui veut te citer en justice, et te prendre
ta tunique, laisse encore ton manteau" (St. Matthieu, V,44). C’est là la distinction fondamentale avec
la morale de l’Ancien Testament dominé par le principe : « Oeil pour oeil, dent pour dent ».
Il y a deux idéaux différents l’idéal de charité, et l’idéal de justice ; le nouvel idéal, l’idéal de
charité, dépassent évidemment l’idéal de justice. La doctrine chrétienne enseigne que nous ne devons
pas nous contenter d’être justes envers le prochain, qu’il faut encore la charité qui est au-delà de la
justice. On peut dire que l’homme chrétien n’a pas seulement à être juste, qu’il a aussi à être bon. Il
faut, si l’on veut être juste, rendre à chacun ce qui lui est dû ; mais il faut ensuite, et c’est un degré plus
élevé, être charitable au-delà de la justice, c’est-à-dire savoir ne pas exiger son dû, supporter
l’injustice, savoir rendre le bien pour le mal.
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Alors la question qui se pose à nous est de savoir si la règle de droit, la règle dont le but est de
permettre aux hommes de vivre en société, peut poursuivre cet idéal de justice et de charité, ou si elle
est obligée de se contenter d’atteindre l’idéal de justice. Il n’est pas douteux que la règle de droit se
trouve obligée de s’arrêter au premier stade, au stade de la justice. Pour que la vie en société soit
possible, il faut établir la justice dans les rapports entre les hommes, il faut que chacun rende à autrui
ce qui lui est dû, il faut que celui qui fait tort à autrui soit puni. L’idéal de charité ne peut pas être
poursuivi sur le plan social, parce que, si la règle de droit était la règle de charité, comme
malheureusement les hommes ne sont pas parfaits, ce serait l’anarchie dans la société. L’idéal de
charité ne peut être un idéal que sur le plan individuel, dans nos consciences ; il ne peut être qu’une
règle de conduite individuelle.
C’est ce que l’on peut exprimer en disant que la justice est une nécessité sociale, et une « triste »
nécessité sociale puisque la règle de droit ne peut pas dépasser ce stade de la justice. C’est ce
qu’exprime Romano Guardini (Le Seigneur, t. I, p. 341) : « La justice est l’ordre, non des choses et
des forces, mais des relations entre personnes humaines ».
La règle morale est donc trop haute pour gouverner la société, pour qu’elle dépasse la justice, et
c’est la raison pour laquelle il faut qu’il existe, à côté d’une règle morale, une règle de droit.
3° - Mais il est une autre raison pour laquelle la règle de morale ne suffit pas ; c’est qu’elle ne peut pas
contenir une réglementation suffisamment complète, suffisamment précise, pour donner aux hommes
cette sécurité dont ils ont besoin pour vivre en société. Il faut en effet, non seulement que nous
connaissions les règles qui nous régissent, mais que nous les connaissions dans leur détail. Il faut que
chaque fois que nous agissons nous sachions quelles seront les conséquences de nos actes. Or, la
morale se contente de tracer de grandes règles, de poser de grands principes, et elle ne peut pas
procéder autrement parce qu’elle varie avec chaque conscience. On ne peut pas demander à l’un ce
que l’on peut demander à l’autre. C’est donc une règle nécessairement floue, nécessairement vague,
très générale.
Ces grands principes suffisent pour guider notre conscience, mais ils ne suffisent pas pour nous
donner la sécurité dont nous avons besoin dans la vie civile. Par exemple, la règle de morale nous dit,
« n’achetez pas à vil prix », ou « ne vendez pas à un prix excessif » ; mais nous avons besoin de savoir
dans quels cas le contrat de vente que nous passons risque d’être nul parce que nous avons acheté trop
bon marché, ou parce que nous avons vendu trop cher. Si nous ne pouvons pas le savoir, il n’y aura
plus aucune sécurité dans la vie juridique ; nous ne saurons jamais si le contrat de vente que nous
venons de passer est valable ou nul, s’il risque ou non d’être annulé. Nous avons besoin de savoir
exactement ce qui est permis et ce qui est défendu, la loi française dispose qu’il est défendu d’acheter
un immeuble pour moins des 7/12 de sa valeur. Pour que la lésion fasse tomber le contrat de vente
d’immeuble, il faut que la lésion subie par le vendeur dépasse les 7/12 de sa valeur. C’est une règle
précise, et ainsi nous sommes fixés. La morale, évidemment, ne peut pas, elle, nous donner des règles
de cette nature.
Voilà donc la différence entre la règle de droit et la règle de morale :
La règle de morale a pour but de nous dire ce qui est juste, et aussi ce qui doit être fait par
chacun de nous au-delà de la justice, sur le terrain de la charité.
La règle de droit, elle, a pour but à la fois d’obliger à respecter ce qui est juste, sans pouvoir
dépasser la justice, et de nous donner la sécurité.
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Séance 3
Thème : Les sources de la règle de droit
Travail à faire
- Lire les documents
- Faire la dissertation
Sujet : Le juge et la création de la règle de droit
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
Voir fiche de prise de contacte
Document 1 : Extrait Philippe MALAURIE
La révolution des sources. Petites affiches, 25 juillet 2006 n° 147, P. 10
…Parallèle au déclin de la loi, se développe en sens contraire la promotion de la jurisprudence en en
transformant insidieusement la nature : l'autre révolution des sources, aussi célèbre que la première.
Les étapes en sont connues : le point de départ en est le Code civil avec notamment son article 5, qui a
entendu mettre un terme aux ambitions des parlements de notre ancienne France voulant, autant et
parfois plus que le roi, constituer eux-mêmes l'État : « il est défendu aux juges de prononcer par
voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ». Le Code
civil, et notamment son père, Portalis, n'avaient nullement nié l'importance que devrait avoir la
jurisprudence dans la formation du droit, même s'il en connaissait les défauts congénitaux ; il en
dénonçait « les subtilités, les compilations et les commentaires » . Mais il en faisait une autorité
subordonnée : « sous la surveillance de la loi », disait-il ; il y a une hiérarchie : la loi est au-dessus de
la jurisprudence.
Tout le monde connaît la suite, qui s'est déroulée pendant les XIXe et XXe siècles, et se développe
encore au XXIe siècle, bien que les approbations diminuent et se multiplient les critiques. Le rôle de la
jurisprudence n'a cessé de croître et à peu près tout le monde en admet le rôle créateur _ l'admiration
avait culminé vers 1930 et ensuite était devenue nuancée. Pour les praticiens et la doctrine, les arrêts
de la Cour de cassation constituent la vraie source du droit et ce sont eux qu'ils invoquent, commentent
et dissèquent : plus ses arrêts sont nombreux, plus la jurisprudence est, comme on dit, « constante »,
plus elle constitue une règle . Et ce phénomène s'accuse avec de nouveaux visages : la séparation des
pouvoirs est de plus en plus mise à mal : la Cour de cassation peut donner des « avis » sur des points
de droit incertains _ elle ne le fait pas souvent _ ; dans ses visas, elle s'appuie sur ses propres règles
qu'elle a elle-même énoncées, les qualifiant de principes . Elle envisage aussi de se fixer elle-même
une directive pour modérer la rétroactivité de ses revirements : jurisprudence constante, avis, visas de
principes, régulations de ses rétroactivités, on peut aujourd'hui chanter le « Grand soir » de l'article 5.
Le « Grand soir » ? Il n'est pas encore consommé et subsistent de nombreux et beaux restes de la
vieille séparation des pouvoirs : les arrêts de la Cour de cassation doivent être motivés, avoir un
soubassement législatif (souvent bien fictif) et surtout la loi peut briser une jurisprudence.
Pourtant, la séparation des pouvoirs devient altérée, au moins par deux phénomènes, où le juge veut
devenir législateur et même plus que législateur. D'abord, se fondant sur les traités internationaux, le
droit européen, la Convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg, la jurisprudence peut priver d'effets une loi française qui leur est contraire ; elle devient
alors supérieure à la loi ; la Cour de cassation ne s'en prive pas. De même, les juges commencent à être
15
tentés de modifier de leur propre autorité les fondements essentiels de notre société, dépassant leurs
limites et leur compétence : par exemple, la jurisprudence qui, au nom du « droit au mariage » prévu
par la Convention européenne des droits de l'homme (article 12) déclarerait que constitue un mariage
valable, contra legem, une union homosexuelle.
C'est surtout avec les juridictions européennes, telles que la Cour de justice des Communautés
européennes et la Cour européenne des droits de l'homme, que la jurisprudence porte une atteinte
profonde au principe de la séparation des pouvoirs et aux mécanismes mêmes de la formation du droit.
À la différence de toutes les autres juridictions du monde et de l'histoire, même de la Cour suprême
des États-Unis, ces jurisprudences ne peuvent être remises en cause par personne, sauf par ellesmêmes : comme aux origines de Rome, la science du droit est devenue le monopole des pontifes.
La jurisprudence est donc une source de droit, tout en ne l'étant pas, bien qu'elle le soit. Ce qui n'est
pas très clair : l'article 5 du Code civil l'était davantage.
Document 2. Répertoire de droit civil / Jurisprudence — Louis BACH — septembre 2009 (date de la
dernière mise à jour : janvier 2012. Extrait
Section 2 - Caractère créateur de droit des décisions judiciaires au plan des normes juridiques
générales
100. Dans l'exercice de sa fonction (contentieuse ou gracieuse), le juge rend des jugements destinés à
répondre aux demandes des justiciables qui se sont adressés à lui. Il ne crée donc immédiatement que
des normes individuelles. Mais cette création implique la reconnaissance de règles de droit, autrement
dit, de normes juridiques générales, décrites dans les « motifs » (de droit) dont le juge fait précéder sa
décision.
101. Ces normes générales qui conditionnent la création, par le juge, de normes individuelles, sont
habituellement posées par voie de législation ou de coutume. Mais la réglementation n'est jamais
poussée à un point tel que le juge ne puisse plus être considéré comme ayant participé à la création du
droit. Il arrive même que les normes générales, dont la décision du juge apparaîtra comme étant
l'application, n'aient pas du tout été posées par voie de législation ou de coutume. L'ordre juridique
peut, en effet, habiliter les tribunaux à statuer, ou même leur prescrire de statuer, dans le cas où ils
constateraient qu'il n'existe aucune norme générale applicable à l'espèce qui leur est soumise. Lorsqu'il
en est ainsi, la norme générale appliquée devra être conçue par le juge lui-même, de sorte que la
fonction créatrice de droit de celui-ci apparaîtra plus clairement encore (sur l'invention par les juges de
o
« règles jurisprudentielles », V. P. MAYER, op. cit., n 86, p. 59).
102. Mais pour mesurer le caractère constitutif, créateur, de la fonction du juge, encore faut-il, après
avoir dégagé les circonstances qui peuvent donner naissance à des normes juridiques générales
d'origine judiciaire, définir le rôle du juge dans l'apparition de ces normes.
Art. 1 - Circonstances susceptibles de présider à la formation de normes juridiques générales
d'origine judiciaire
103. Ces circonstances se trouvent déjà réunies en cas d'interprétation (stricto sensu) de la loi.
A fortiori le sont-elles en cas de comblement par le juge des « lacunes volontaires » de la loi, et plus
encore en cas de comblement des « lacunes involontaires » de celle-ci.
104. Or, il conviendra de remarquer que dans chacune de ces hypothèses, les rédacteurs du code civil,
constatant les nécessités de la pratique, en même temps qu'ils en consacraient les résultats, ont, par
l'article 4 du code civil, entendu attribuer aux juges le pouvoir créateur que leur paraissait commander
une bonne administration de la justice (sur les causes de l'adoption de l'art. 4, c. civ
§ 1 - Interprétation stricto sensu de la loi
105. Interpréter la loi est la fonction première du juge. Aussi bien, l'article 4 du code civil dispose-t-il
que le juge qui refuserait de juger sous prétexte de l'« obscurité » de la loi pourrait être poursuivi
comme coupable de déni de justice.
106. Le mot « interprétation » est pris ici dans un sens strict, c'est-à-dire comme désignant la démarche
16
(du juge) que nécessite l'application d'un texte lorsque celui-ci est obscur ou ambigu. En effet,
lorsqu'un texte est clair et précis, la Cour de cassation affirme qu'il ne doit pas être interprété, mais
qu'il doit être appliqué purement et simplement, ce qui dispense le juge de recourir aux travaux
préparatoires et de rechercher l'intention du législateur - interpretatio cessat in claris T. civ. Seine,
24 avr. 1952, JCP 1952. II. 7108 : « attendu que toute recherche de la volonté du législateur par voie
d'interprétation est interdite au juge, lorsque le sens de la loi, tel qu'il résulte de sa rédaction, n'est ni
obscur ni ambigu, et doit par conséquent être tenu pour certain ; qu'il n'y aurait exception que si
l'application du texte aboutissait à quelque absurdité »
107. Aussi bien, la Cour de cassation admet-elle que les tribunaux n'ont pas à appliquer un texte clair
mais qui est absurde. L'exemple est bien connu de ce décret relatif à la police des chemins de fer, qui
interdisait aux voyageurs de monter ou de descendre « lorsque le train est complètement arrêté ». Le
texte était clair ; pourtant, la Cour de cassation n'hésita pas à donner raison aux tribunaux qui avaient
condamné des voyageurs qui étaient montés ou descendus avant que le train ne fût complètement
arrêté (Crim. 8 mars 1930, DP 1930. 1. 101, note P. Voirin). L'application d'un texte clair peut, par
conséquent, n'être pas exclusive d'une certaine rectification, conforme à la volonté des auteurs de
celui-ci (pour une définition stricte du mot « interprétation », V. G. RIPERT, op. cit., p. 384 ; comp.
H. BATIFFOL, Questions de l'interprétation juridique, Archives Phil. dr., t. 27, 1972, Dalloz, p. 9).
108. Mais surtout, il est presque impossible que le sens et par conséquent le contenu des lois aient été
assez élaborés pour qu'elles puissent être appliquées aux conduites multiples et variées des sujets de
droit sans bénéficier d'une adaptation créatrice de la part de tous les organes chargés de cette
application, notamment de la part des juges . F. GÉNY, t. 2, p. 360 ; sur la nécessité pour le juge
d'interpréter les textes afin de rechercher la volonté du législateur lorsque la loi n'est pas claire, ce qui
peut le contraindre à combiner deux textes dont ni l'un ni l'autre ne donne expressément la solution, V.
o
Crim. 26 nov. 2008, n 08-83.003 , D. 2009. 47, note P. Chaumont
: en l'espèce, la question était
de savoir si les cas d'exonération de la responsabilité pécuniaire du représentant légal d'une personne
morale titulaire du certificat d'immatriculation d'un véhicule contrôlé en excès de vitesse étaient ceux
er
er
prévus par l'art. L. 121-3, al. 1 , ou ceux résultant de l'art. L. 121-2, al. 1 , c. route ; mais le juge pénal
ne prend-il pas alors une grande liberté avec le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale qui
aurait dû, sans doute, le conduire à relaxer le prévenu ?).
109. De même, lorsque les tribunaux déclarent que celui qui use de son droit uniquement dans le but
de léser un tiers (Req. 3 août 1915, DP 1917. 1. 79), ou dans des conditions telles que le trouble qui en
résulte pour autrui « dépasse la mesure des obligations ordinaires du voisinage » (Civ. 29 mai 1937,
DH 1937. 393), commet une faute génératrice de responsabilité, il n'y a pas simple application des
articles 1382 et 1383 du code civil ; il y a apparition d'éléments nouveaux.
110. Les exemples pourraient être multipliés. Ainsi, il ne fait aucun doute qu'il y eut création de droit
lorsque les tribunaux, interprétant l'ancien article 1348 du code civil, déclarèrent que l'impossibilité de
se procurer une preuve littérale permettant de recourir aux témoignages et aux présomptions, ne
s'entendait pas seulement de l'impossibilité physique, mais de toute impossibilité physique ou morale ;
re
o
o
Civ. 1 , 9 mai 1996, n 94-14.022 Bull. civ. I, n 191), solution consacrée par l'article 1348 du code
o
civil (L. n 80-525 du 12 juill. 1980 [D. 1980. 273] : « les règles ci-dessus reçoivent encore exception
lorsque l'une des parties […] n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve
littérale de l'acte juridique »).
er
111. Il en fut de même lorsque, interprétant l'article 312 ancien, alinéa 1 , du code civil, la Cour de
cassation affirma que l'enfant né dans les cent soixante-dix-neuf premiers jours du mariage était
légitime (Civ. 8 janv. 1930, Degas, DP 1930. 1. 51, note G.P., S. 1930. 1. 257, note F. Gény), alors que
jusque-là, elle avait vu en lui un enfant légitimé par le mariage de ses parents (Civ. 26 juin 1869
[2 arrêts], DP 1869. 1. 335), déclarant du reste sans ambages que la qualité d'enfant légitime qu'elle
reconnaissait à l'enfant lui était attribué « en vue de sauvegarder par une fiction légale la dignité du
er
o
mariage et l'unité de la famille » (solution qui fut consacrée par l'art. 314, al. 1 , c. civ., réd. L. n 72-2
du 3 janv. 1972 sur la filiation [D. 1972. 51] et qui l'est, aujourd'hui, par l'art. 312, réd. ordonnance
o
n 2005-759 du 4 juill. 2005).
112. De même, il y eut création de droit quand les tribunaux découvrirent dans l'article 1384,
17
er
alinéa 1 , du code civil, un principe de responsabilité du fait des choses en général (Civ. 16 juin 1896,
Tiffaine, DP 1897. 1. 433, note R. Saleilles, concl. afin de faciliter l'indemnisation de la victime qui se
trouvait, en raison des circonstances de l'accident, dans l'impossibilité ou la grande difficulté de
prouver, comme l'aurait voulu la loi, la faute de l'auteur du dommage, et lorsque, plus tard, ils
trouvèrent dans le même texte et aux mêmes fins un principe général de responsabilité du fait d'autrui
(Cass., ass. plén., 29 mars 1991, Blieck, D. 1991. 324, note C. Larroumet , alors qu'ils affirmaient
e
auparavant l'absence d'un tel principe général (Civ. 2 , 15 févr. 1956, D. 1956. 410, note Blanc, JCP
e
1956. II. 9564, note R. Rodière ; Civ. 2 , 24 nov. 1976, D. 1977. 595, note C. Larroumet).
113. De même, il y eut apparition d'éléments nouveaux lorsque la Cour de cassation déclara que la loi
o
n 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la
re
circulation ne s'appliquait pas entre concurrents d'une compétition sportive (Civ. 1 , 28 févr. 1996,
o
Bull. civ. II, n 37, RTD civ. 1996. 641, obs. P. Jourdain ,D. 2006. 2443, note J. Mouly
).
114. De même, lorsque les tribunaux inventèrent la théorie de l'enrichissement sans cause à partir de
textes épars du code civil (jurisprudence initiée par Req. 15 juin 1882, DP 1882. 1. 596, S. 1893. 1.
281, note J.-E. Labbé) ou élaborèrent une théorie de la cause que ne contenaient pas, du moins dans
toutes ses nuances, les articles 1131, 1132 et 1133 du code civil, il ne fait aucun doute qu'ils créèrent
du droit de fond nouveau (V. Cause et Enrichissement sans cause). Que l'on songe aussi à la création
par les tribunaux de la théorie de l'abus des droits (jurisprudence initiée par Req. 3 août 1915,
DP 1917. 1. 79). De même, aujourd'hui, s'agissant de la bonne foi, les tribunaux créent du droit de
fond nouveau lorsqu'ils étendent son exigence à la formation du contrat alors que l'article 1134,
alinéa 3, du code civil n'exige expressément celle-ci qu'en ce qui concerne l'exécution du contrat
re
o
(Civ. 1 , 28 mars 2000, Bull. civ. I, n 101, R. ; V. aussi P. JOURDAIN, La bonne foi dans la
formation du contrat, Trav. assoc. Capitant 1992, p. 121 ; de même, V. le revirement de jurisprudence
conduisant à l'affirmation du caractère relatif [et non plus absolu] de la nullité pour absence de cause :
e
Civ. 3 , 29 mars 2006, D. 2007. 477, note J. Ghestin ; comp. Com. 23 oct. 2007, D. 2008. 954, note
G. Chantepie : retour à la nullité absolue en cas de vente consentie sans prix sérieux).
115. De même, constitue aujourd'hui une construction prétorienne remarquée la mise à la charge de
l'employeur de la protection juridique du salarié (Soc. 18 oct. 2006, D. 2007. 695, note J. Mouly ).
116. De même, constitue une création jurisprudentielle l'arrêt de la première chambre civile de la Cour
de cassation du 30 janvier 2007 (D. 2007. 497, obs. J. Daleau
) selon lequel « sous réserve du
respect du droit au nom et à l'intégrité de l'oeuvre adaptée, la liberté de création s'oppose à ce que
l'auteur de l'oeuvre ou ses héritiers interdisent qu'une suite lui soit donnée à l'expiration du monopole
d'exploitation dont ils bénéficient (arrêt rendu à propos d'ouvrages présentés comme la suite des
Misérables de Victor HUGO).
117. De même, il y a création de droit nouveau lorsque les tribunaux ne cessent d'allonger la liste des
responsables des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage : propriétaires, locataires,
e
occupants ou voisins occasionnels, constructeurs ou même sous-traitants (Civ. 3 , 21 mai 2008,
D. 2008. AJ 1550, obs. S. Bigot de La Touanne , D. 2008. Pan. 2901, obs. P. Brun et P. Jourdain
).
Ces quelques exemples, pris au hasard, commandent de reconnaître le caractère créateur de la fonction
du juge appelé à interpréter la loi et d'admettre que, même pris dans un sens étroit, le mot
« interprétation », qui évoque inéluctablement l'idée de traduction, de restitution (fidèle) et qui est
utilisé habituellement pour qualifier les pouvoirs du juge, ne rend pas compte, tant s'en faut, de la
réalité (V. tendant à empêcher la possibilité d'une dérive excessive dans l'interprétation créatrice de la
loi, l'exigence de la part du Conseil constitutionnel à l'adresse du législateur qu'il bannisse les
dispositions législatives insuffisamment précises et les formules trop équivoques afin de limiter les
o
interprétations arbitraires des textes, Décis. Cons. const. n 2004-549 DC du 13 janv. 2005,
JO 19 janv., cons. 25, D. 2006. Pan. 830, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino : « la sécurité
juridique […] ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable, l'évolution de la
e
jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit » ; adde : Civ. 2 , 8 juill. 2004,
o
Bull. civ. II, n 361).
118. L'analyse de la nature de l'acte d'interprétation confirme, du reste, le caractère créateur de la
18
fonction d'interprétation du juge et permet d'en mesurer la portée. Elle révèle, en effet, que
l'interprétation est acte de connaissance, mais aussi acte de volonté. En effet, si l'on admet que le droit
à appliquer est le plus souvent un cadre à l'intérieur duquel il y a plusieurs possibilités d'applications,
ne serait-ce qu'en raison de l'ambiguïté d'un mot (et comment pourrait-on en douter quand on voit
assez fréquemment la chambre civile et la chambre criminelle, quand ce ne sont pas deux chambres
civiles de la Cour de cassation, interpréter le même texte différemment ?), il convient de reconnaître
que l'interprétation par voie de connaissance permet seulement de déterminer ce cadre, ainsi que les
diverses solutions possibles qui existent à l'intérieur de celui-ci. Mais comme une seule de ces
solutions doit être retenue, c'est par un acte de volonté que le juge devra choisir sa solution, parmi
celles que l'interprétation à base de connaissance lui aura révélées comme possibles (à ce sujet, V.
o
H. KELSEN, op. cit. [supra, n 69], p. 459 et s., et pour illustrer le rôle de la volonté dans l'acte
d'interprétation, comment ne pas évoquer dans La guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean
GIRAUDOUX, cette controverse entre Hector, Demokos et Busiris : Hector [s'adressant à Busiris qui
lui a énuméré trois manquements aux règles du droit international de la flotte grecque qui auraient
justifié une riposte à laquelle Hector veut se dérober] : « Tu vas donc, et sur-le-champ, me trouver une
thèse qui permette à notre Sénat de dire qu'il n'y a pas eu manquement de la part de nos visiteurs, et à
nous, hermines immaculées, de les recevoir en hôtes ». - Demokos : « Quelle est cette
plaisanterie ? ». - Busiris : « C'est contre les faits Hector ». - Hector : « Mon cher Busiris, nous savons
tous ici que le droit est la plus puissante école d'imagination. Jamais poète n'a interprété la nature aussi
librement qu'un juriste la réalité ». - Busiris : « Le Sénat m'a demandé une consultation, je la
donne ». - Hector : « Je te demande, moi, une interprétation. C'est plus juridique encore »).
119. Du reste, comment pourrait s'expliquer l'emploi par le Conseil constitutionnel de la technique des
« réserves d'interprétation » qui lui permet de déclarer une disposition conforme à la Constitution sous
la condition qu'elle soit interprétée dans le sens que le Conseil constitutionnel définit lui-même, si
plusieurs interprétations n'étaient, à l'évidence, possibles ?
120. L'exemple de l'article 1407 ancien du code civil illustre bien cette multiplicité possible de
solutions et la nécessité d'un choix. Cet article disposait que l'immeuble acquis pendant le mariage à
titre d'« échange » contre l'immeuble appartenant à l'un des époux restait propre, sauf récompense s'il y
avait « eu soulte » ; mais quelle qualité, propre ou commune, devait-on reconnaître à l'immeuble
acquis en contrepartie d'un propre lorsque la somme versée par la communauté était importante ?
L'article 1407 était muet à ce sujet. Les tribunaux appelés à résoudre cette difficulté avaient adopté des
solutions diverses. Certains arrêts admettaient que le bien acquis avait un caractère mixte, c'est-à-dire
qu'il était propre dans la mesure de la valeur propre échangée, et commun à proportion de la valeur de
la soulte (Civ. 30 oct. 1950, D. 1950. 753, note R. Lenoan ; adde Mais d'autres arrêts décidaient que si
la soulte était plus importante que la valeur du bien cédé, il y avait vente et non pas échange, et par
conséquent acquisition pour le compte de la communauté, sauf récompense due par celle-ci au
patrimoine propre qui s'était appauvri de la valeur du bien cédé (V. not. Civ., 6 mars 1962, D. 1962.
Somm. 93). Pour mettre fin à ces incertitudes, il fallut que le législateur intervienne, qui adopta la
o
deuxième solution (L. n 65-570 du 13 juill. 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux [D. 1965.
233, rect. 334], art. 1407, al. 2).
121. Aussi bien, pourrait-on citer comme autre exemple significatif du choix qu'est appelé à opérer le
juge entre plusieurs solutions possibles, celui de l'interprétation de l'article 789 du code civil selon
lequel la faculté d'option de l'héritier se prescrivait par trente ans. En effet, la loi ne disait pas si au
bout de trente ans on devait considérer l'héritier qui n'avait pas opté, comme acceptant ou comme
renonçant. Or, les solutions les plus variées qui étaient toutes des solutions possibles de l'article 789,
furent proposées en doctrine. Certains auteurs auraient voulu que l'héritier, au bout de trente ans, fût
considéré comme acceptant ; d'autres auraient voulu qu'il fût considéré comme renonçant ; d'autres
enfin proposaient de distinguer entre les héritiers saisis, qui eussent dû être considérés comme
acceptants, et les successeurs irréguliers, qu'il aurait fallu considérer comme renonçant. Finalement,
c'est la seconde solution que retinrent les tribunaux, lesquels considérèrent comme ayant renoncé
l'héritier qui avait laissé passer trente années sans manifester sa volonté d'accepter (Civ. 13 juin 1855,
DP 1855. 1. 253 ;). Cette solution est aujourd'hui consacrée par le législateur après qu'il eut raccourci
er
le délai de prescription de trente à dix ans (C. civ., art. 780, al. 1 et 2). Mais, la solution est-elle
19
conciliable avec les principes du droit des biens ? En effet, l'héritier devient de plein droit, dès le jour
du décès, propriétaire des biens héréditaires (C. civ., art. 711), et le droit de propriété ne se perd pas
par le non-usage (en ce sens, V. F. TERRÉ et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les successions, les
e
o
libéralités, 3 éd., 1997, Précis Dalloz, n 652, p. 539). De même, le caractère volontariste de
l'interprétation apparaît lorsque l'assemblée plénière de la Cour de cassation, pour unifier la
jurisprudence de la Cour, s'est prononcée en faveur du caractère autonome de la garantie financière
exigée de l'agent immobilier, laquelle n'était donc pas éteinte lorsque, en cas de redressement ou de
liquidation judiciaire de cet agent, le client n'avait pas déclaré au passif sa créance de restitution de la
somme versée, de sorte que ce client pouvait assigner directement le garant (Cass., ass. plén., 4 juin
o
o
1999, n 96-18.094 Bull. civ., n 4 ; et le Rapport de la Cour de cassation pour l'année 1999 [p. 338]
de préciser que « l'usager profane sera ainsi protégé contre l'insolvabilité du professionnel de
l'immobilier »).
122. De ce que l'interprétation est le plus souvent à base de volonté, il résulte que toutes les méthodes
d'interprétation qui ont été proposées aux juges, ou qui pourront leur être proposées, n'ont jamais
conduit, ou ne conduiront jamais, qu'à une solution possible, mais pas à une solution qui serait seule
o
exacte (V. H. KELSEN, op. cit. [supra, n 69], p. 458 ; adde : M. VIRALLY, op. cit., p. 168 ;
P. MALAURIE, article préc., p. 607 : « c'est pure question doctrinale que de juger de la rectitude
juridique de la jurisprudence et de dire laquelle est ou n'est pas fidèle à la loi » ; V. aussi F. GÉNY,
t. 2, p. 78 : « libre recherche scientifique, recherche libre, puisqu'elle se trouve […] soustraite à
l'action propre d'une autorité positive » ; R. CARRÉ de MALBERG, t. 1, p. 712 : « la décision qui est
émise par le juge en considération des travaux préparatoires, des intentions du législateur ou des
circonstances quelconques qui ont entouré la confection de la loi, repose […] en définitive sur
l'appréciation du juge, c'est-à-dire sur sa propre puissance juridictionnelle… » ; adde : H., L. et
er
o
J. MAZEAUD, t. 1, 1 vol., n 110, p. 182, lesquels auteurs constatent qu'« il est très remarquable […]
que les ouvrages considérables du doyen GÉNY sur les méthodes d'interprétation du droit n'aient
exercé aucune influence sur l'interprétation judiciaire »). Mais cette dernière opinion est sans doute
excessive dans la mesure où les méthodes d'interprétation, si elles ne sauraient dicter au juge la
solution qu'il lui faut adopter, peuvent lui fournir l'éventail des solutions possibles au problème qui lui
est posé.
123. De même, le fait que l'interprétation soit le plus souvent à base de volonté explique pourquoi le
juge pénal doit s'en tenir à une interprétation stricte des textes ; en effet, la volonté qui doit servir de
fondement à l'incrimination et à la sanction doit être celle du législateur (Const., art. 34 et 37), à
l'exclusion, par conséquent, de celle des organes d'application du droit, notamment de celle du juge.
C'est cette règle qu'exprime entre autres la maxime nullum crimen, nulla poena sine lege, solution
traditionnelle consacrée aujourd'hui par l'article 111-4 du code pénal : « La loi pénale est
e
os
d'interprétation stricte » (V. B. BOULOC, Droit pénal général, 20 éd., 2006, Précis Dalloz, n 99
et s. ; V. l'interrogation que peut susciter à cet égard la liberté prise par un arrêt de la chambre
o
criminelle de la Cour de cassation [V. Crim. 26 nov. 2008, n 08-83.003 , D. 2009. 47, note
P. Chaumont
]).
124. L'interprétation (stricto sensu) de la loi est donc, le plus souvent, source pour le juge de pouvoir
créateur de droit ; le « comblement » des « lacunes volontaires » de la loi l'est plus encore.
§ 2 - « Comblement » des « lacunes volontaires » de la loi
125. La lacune « volontaire » ou intra legem est une lacune voulue. Le législateur sait que la règle qu'il
édicte est incomplète, mais il charge le juge, par la disposition lacunaire même, et par une sorte de
délégation de pouvoir, de la compléter. Il s'agit d'un procédé commode de législation, car il permet au
juge d'adapter les lois aux besoins nouveaux de la société et qui est pratiqué par plusieurs législations
étrangères, notamment le droit suisse où la lacune volontaire est étudiée comme l'un des procédés
classiques de la science législative (sur la notion de « lacune volontaire » de la loi, V.
H. DESCHENAUX, Traité de droit civil suisse, t. 2, Le titre préliminaire du code civil, 1969,
Fribourg, Éditions universitaires, p. 91 et s.). Mais l'article 4 du code civil français admet aussi
implicitement la licéité de son utilisation lorsqu'il dispose que le juge qui refusera de juger sous
prétexte de l'« insuffisance » de la loi pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice.
20
126. La lacune « volontaire » se caractérise donc par le fait que, ayant tracé dans les grandes lignes les
contours de la règle de droit, le législateur « laisse des espaces vides à remplir ». La loi ne se suffit
donc pas à elle-même ; elle a besoin pour s'appliquer de l'intervention du juge. Les lacunes
« volontaires » ou intra legem correspondent à ce que les auteurs allemands et suisses appellent des
normes cadres ou des clauses générales. Il s'agit de notions légales à contenu indéterminé (V.
P. COËT, Les notions-cadres dans le code civil. Étude des lacunes intra legem, thèse, Paris II, 1985).
127. Le procédé de la lacune « volontaire » n'est d'ailleurs pas nouveau : les notions de « bonnes
moeurs », « d'ordre public » (par ex., V. C. civ., art. 6), de « bon père de famille » (par ex., V. C. civ.,
art. 601 et 1728), d'« équité » (par ex., V. C. civ., art. 565 et 1135), de « faute » (par ex., V. C. civ.,
art. 1382), de « bonne foi » (par ex., V. C. civ., art. 201, 549, 550, 555, 1134, 2279 et 2280), de « délai
raisonnable » (par ex., V. C. consom., art. L. 121-101) en sont les illustrations traditionnelles.
128. Mais le procédé s'est enrichi en droit français d'exemples nouveaux qui semblent témoigner de la
volonté du législateur moderne de « s'autolimiter ». Ainsi qu'on l'a écrit, il « se conteste lui-même en
tant que législateur de certaines matières » (G. CORNU, L'apport des réformes récentes du code civil à
la théorie du droit civil, Les cours de droit, 1970-1971, p. 133, 187 et s. ; Introduction au droit, op. cit.,
os
n 177 et s., p. 97 et s.). Ainsi, lorsque le législateur moderne fait dépendre une solution de l'intérêt de
la famille (par ex., V. C. civ., art. 217, 220-1 et 1397), il recourt à une « notion juridique qu'il
re
appartient à la Cour de cassation de définir » (A. PONSARD, note sous Civ. 1 , 6 janv. 1976,
D. 1976. 253) ; de même, lorsqu'il fait dépendre la solution des intérêts en présence (par ex., V.
C. civ., art. 832-3, al. 2), il utilise une notion vague « pleine de virtualités qui pourront naître au fur et
à mesure des applications de la notion » (G. CORNU, L'apport des réformes récentes du code civil,
op. cit., p. 136). Il en est de même lorsqu'il utilise la notion de « tradition locale ininterrompue »
(C. pén., art. 52-1-1, al. 5) ou celle de « biens qui ont un caractère personnel », lesquels forment des
er
propres par leur nature sous le régime de la communauté légale (C. civ., art. 1404, al. 1 ) qui, par sa
souplesse, a autorisé maintes innovations jurisprudentielles (V. J. PATARIN, note sous Civ., 4 juin
1971, JCP 1972. II. 17164 ; J. DERRUPPÉ, L'altération du régime de communauté avec l'extension
des propres par nature, Mél. Colomer, 1993, Litec, p. 161, lequel auteur redoutait « l'invasion des
propres par nature » qui risquaient de « vider la communauté de son contenu normal pour n'y laisser
que des droits à récompense » ; à propos de la notion « d'intégrité de l'espèce humaine » à laquelle
« nul ne peut porter atteinte » [C. civ., art. 16-4], V. aussi cette réflexion de D. FENOUILLET [J.-Cl.
o
Civil, art. 16 à 16-2, fasc. 30, n 44] : « le flou du principe proclamé autorisant toutes les
interprétations, le législateur a donné ici une fois de plus à la jurisprudence le soin non seulement de
''dire'' mais encore de ''faire'' le droit » ; sur l'ensemble de la question, adde : cette constatation de
F. GÉNY [t. 2, p. 183] à propos des législations suisse et allemande : « les législations
contemporaines, les plus récentes, loin de se regimber contre cette coopération inévitable du judiciaire
avec le législatif, l'ont franchement reconnue, en multipliant, de parti pris, ce qu'on a appelé les
formules élastiques […] de façon à ouvrir au juge, par leurs dispositions mêmes, l'occasion d'exercer,
en des lignes largement tracées, la faculté d'appréciation que comporte son office… »).
o
129. Ainsi, pour prendre un exemple en droit français, l'article 1397 du code civil (réd. L. n 2007-308
du 5 mars 2007) admettant aujourd'hui la mutabilité du régime matrimonial des époux, après deux
années d'application de celui-ci, à la condition que le changement corresponde à l'« intérêt de la
famille » tel qu'apprécié par le tribunal chargé de l'homologation de la convention intervenue entre les
époux en vue du changement de régime en présence d'enfants mineurs ou lorsqu'il y a opposition, c'est
aux juges de dire comment ils entendent cette notion. En effet, qui dans la famille doit-on prendre en
considération : les époux ou les enfants ? Le choix peut être difficile, car les intérêts des uns et des
autres peuvent être diamétralement opposés. Aussi bien, on sait que c'est pour une appréciation
d'ensemble que se sont prononcés les tribunaux qui affirment que le seul fait que l'un des membres de
la famille risquerait de se trouver lésé n'interdit pas nécessairement la modification ou le changement
re
de régime envisagé (Civ. 1 , 6 janv. 1976, D. 1976. 253, note A. Ponsard, JCP 1976. II. 18461,
130. Mais dans certains cas, la loi renvoie à la coutume ou aux usages, ce qui implique pour le juge, en
cas de contestation, l'obligation de se référer à celle-là ou à ceux-ci pour trancher le litige. Ainsi,
er
l'article 389-3, alinéa 1 , du code civil dispose que « l'administrateur légal représentera le mineur dans
21
tous les actes civils, sauf les cas dans lesquels la loi ou l'usage autorise les mineurs à agir euxmêmes », et l'article 473 du code civil introduit la même réserve dans le pouvoir de représentation qu'il
confère au tuteur. Seuls, ici aussi, les tribunaux peuvent déterminer de façon authentique les actes que
l'usage autorise les mineurs à accomplir seuls.
131. De même, l'article 372-2 du code civil disposant qu'« à l'égard des tiers de bonne foi, chacun des
parents est réputé agir avec l'accord de l'autre, quand il fait seul un acte usuel de l'autorité parentale
relativement à la personne de l'enfant », c'est aux tribunaux qu'il appartient de définir de façon
authentique cette notion.
132. Par conséquent, force est de reconnaître sous ce rapport aussi le caractère créateur de la fonction
du juge chargé d'« appliquer » la loi. Mais ce caractère est plus net encore, et les pouvoirs des juges
apparaissent presque sans limites, lorsque ceux-ci sont autorisés à combler les « lacunes
involontaires » de la loi.
§ 3 - « Comblement » des « lacunes involontaires » de la loi
133. À la différence de la lacune volontaire, la lacune involontaire ou praeter legem ne serait pas
voulue et consciente. Elle ne serait pas « dans la loi mais en quelque sorte hors d'elle, en ce sens que
[sa] disposition ne régirait pas du tout une certaine situation qui pourtant appellerait une
o
réglementation » (H. DESCHENAUX, t. 2 [cité supra, n 125], p. 92). Mais l'existence de cette sorte
de lacune fait l'objet de controverses.
134. Certains auteurs en nient la possibilité en affirmant la plénitude de l'ordre juridique, laquelle
résulterait de ce que, lorsque celui-ci n'établit pas l'obligation d'une personne d'adopter une certaine
conduite, il permettrait la conduite contraire, de sorte qu'on ne pourrait jamais prétendre que
l'application de l'ordre juridique en vigueur est parfois logiquement impossible (par ex., V.
o
H. KELSEN, op. cit. [supra, n 69], p. 329 et s. ; pour une critique de cette analyse, adde :
P. AMSELEK, À propos de la théorie kelsénienne de l'absence de lacunes dans le droit, Archives
Phil. dr., t. 33, 1988, Dalloz, p. 283).
135. Aussi bien est-il exact que le fait, par exemple, que l'ordre juridique français n'avait pas réprimé
certains comportements moralement blâmables, par exemple, la filouterie d'aliments, ne s'est pas
opposé à son application ; mais la relaxe s'imposait aux juges, faute pour eux de pouvoir qualifier la
conduite du prévenu, dans le cadre d'une interprétation stricte de la loi pénale, de vol (en l'absence de
soustraction frauduleuse), d'escroquerie (faute de manoeuvres frauduleuses), d'abus de confiance
(faute de dissipation ou de détournement d'une chose remise avec charge de la restituer ; V.
o
o
B. BOULOC, Droit pénal général [op. cit. supra, n 123], n 129, p. 133). La filouterie d'aliments n'a
été réprimée que depuis une loi du 28 juillet 1873 (anc. C. pén., art. 401, al. 4 ; auj. C. pén., art. 313o
5, 1 ) comme le furent, par la suite, la filouterie portant sur une chambre d'hôtel (auj. réprimée par
o
o
l'art. 313-5, 2 , c. pén.), sur des carburants ou des lubrifiants (C. pén., art. 313-5, 3 ), et celle consistant
à se faire transporter en taxi alors que l'on sait être dans l'impossibilité absolue de payer (C. pén.,
o
art. 313-5, 4 ). De même, est réprimée aujourd'hui la soustraction frauduleuse d'énergie, par exemple,
le vol d'électricité (C. pén., art. 311-2).
136. En réalité, on ne considère qu'il y a lacune que parce qu'on juge non satisfaisante, au plan de la
politique juridique, la situation qui découlerait logiquement de l'application de l'ordre juridique en
vigueur. Ainsi, avant que le législateur n'intervienne par la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du
travail, pouvait-on prétendre que le droit positif français présentait une lacune ? Certainement, si l'on
entendait affirmer par là qu'il était contraire à l'équité que la victime d'un accident du travail dût, pour
obtenir réparation du dommage subi, faire la preuve, difficile à administrer, d'une faute du patron ou
du constructeur de la machine ayant été à l'origine de l'accident ; certainement pas, si l'on entendait
affirmer l'inapplicabilité du droit français alors en vigueur. En effet, celui-ci était applicable et sans
cesse appliqué, mais il fallait que la victime prouvât une faute conformément aux articles 1382 et 1383
du code civil.
137. Les exemples pourraient être multipliés. Ainsi, le droit français présentait certainement une
« lacune », que s'efforcèrent d'ailleurs de combler les tribunaux, lorsque, avant la loi du 16 novembre
1912, il n'admettait la recherche en justice de la paternité naturelle qu'en cas d'enlèvement de la mère,
si l'on entend dire par là que les enfants naturels étaient presque toujours privés injustement de la
22
faculté de rechercher leur père en justice.
138. Aussi bien, est-ce avec le même sens que le droit français présenta la « lacune », jusqu'à l'entrée
en vigueur de la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation, de maintenir les enfants naturels, et
particulièrement les enfants adultérins ou incestueux, dans une condition d'infériorité très marquée par
rapport aux enfants légitimes.
139. Dans de telles hypothèses, il n'y a pas inapplicabilité du droit positif, il y a inapplicabilité du droit
considéré comme meilleur qu'on voudrait lui substituer.
140. C'est pourquoi depuis longtemps des auteurs refusant de s'engager dans cette voie n'avaient pas
hésité à affirmer que, dans les cas non prévus directement ou indirectement par la loi, le juge devait
débouter le demandeur, c'est-à-dire celle des parties qui élève une prétention contraire à la situation de
fait établie. Telle fut la conclusion à laquelle étaient parvenus BLONDEAU (cité par F. GÉNY, t. 1,
o
o
n 10), DEMOLOMBE (Cours de Code Napoléon, t. 1, n 113) et HUC (Commentaire théorique et
o
pratique du code civil, t. 1, 1894, n 179).
141. D'autres auteurs, plus nuancés, déclarent que, logiquement certes, le concept d'interdiction a en
soi un contenu opposé à celui du concept de permission, de sorte que la non-interdiction équivaut, en
logique formelle, à la permission. Mais le juriste n'est pas un logicien, et la science du droit ne se
trouve pas à proprement parler en face de permissions ou d'interdictions abstraites « se prêtant à la
gymnastique d'une dialectique formelle » ; il se trouve en face de règles qui formulent des interdictions
ou des permissions, si bien qu'il faudrait parler de règles prohibitives et de règles permissives. Or, de
ce qu'une règle de droit ne vient pas interdire telle chose, autrement dit de l'absence de règle
prohibitive, on ne saurait tirer l'existence d'une règle permissive. Il n'en serait autrement que si le
système juridique lui-même consacrait le principe fondamental selon lequel ce qui ne ferait pas l'objet
d'une règle prohibitive devrait être considéré comme permis ; mais alors, le principe est un principe
juridique et à aucun titre un principe logique (V. P. AMSELEK, Méthode phénoménologique et
théorie du droit, 1964, LGDJ, p. 193 et s.).
142. Mais cette nuance fondamentale étant apportée, cette doctrine ne semble pas devoir conduire à
des résultats opposés à ceux de la précédente, du moins en droit français, car un tel principe existe
dans ce droit : il est formulé par la Déclaration des droits de 1789 (art. 5 : « tout ce qui n'est pas
défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas »),
à laquelle se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 (à ce sujet, V. M. WALINE,
article préc., p. 618). Or, on sait que, depuis une décision du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel
reconnaît la même autorité au préambule de la Constitution qu'aux autres dispositions de celle-ci.
143. D'autres auteurs, enfin, admettent qu'il existe des lacunes involontaires dans le droit français et
qu'il appartient aux juges de les combler au motif que telle a été la conception des rédacteurs de
l'article 4 du code civil (par ex., V. G. CORNU, L'apport des réformes récentes du code civil à la
os
théorie du droit civil, Les cours de droit, 1970-1971, p. 190 et s. ; F. TERRÉ, op. cit., n 349 et s.,
o
p. 274 et s. ; adde : F. GÉNY, t. 1, n 19, p. 39).
144. Et, de fait, il est exact que les paroles prononcées par PORTALIS dans son célèbre Discours
préliminaire au projet de code civil semblent bien témoigner de la volonté que soit reconnu à la
fonction judiciaire le pouvoir de se substituer à la loi en cas de « silence » de celle-ci, c'est-à-dire, en
définitive, dans le cas où il apparaîtrait aux juges que la situation litigieuse est hors des prévisions de
la loi et qu'à l'évidence, la solution qu'imposerait logiquement ce silence leur paraîtrait inopportune
(« C'est à l'expérience de combler successivement les vides que nous laissons »).
er
145. L'article 1 du code civil suisse affiche la même volonté, mais d'une manière plus directe,
er
lorsqu'il dispose (art. 1 , al. 2) que, « à défaut d'une disposition légale applicable, le juge prononce
selon le droit coutumier, et, à défaut d'une coutume, selon les règles qu'il établirait s'il avait à faire
acte de législateur ».
146. Mais, il faut voir qu'admettre le recours à la technique de la « lacune involontaire » signifie que
l'ordre juridique habilite les tribunaux à statuer conformément à leur propre conception de la raison, de
la justice, de la morale ou de l'utilité, dans le cas où ils considéreraient non satisfaisante une règle de
droit existant. Mais la solution n'est pas sans danger, car le juge est seul habilité à dire si la situation
qui lui est soumise est ou n'est pas hors des prévisions de la loi. En outre, lorsqu'il affirme qu'une
23
situation n'a pas été prévue par le législateur et que, s'il l'avait prévue, celui-ci aurait établi une règle
différente, le juge se fonde le plus souvent sur des présomptions dont on ne peut démontrer
l'exactitude.
147. Le législateur peut être incité à admettre et à justifier l'habilitation du juge à agir à sa place par le
sentiment qu'il peut avoir que l'application des normes générales qu'il pose pourrait, dans certaines
circonstances qu'il n'aurait pas prévues, et qui bien souvent n'étaient pas prévisibles, conduire à un
résultat non satisfaisant, et qu'il est, par suite, souhaitable de conférer aux tribunaux le pouvoir de les
écarter au profit d'autres, en conséquence desquelles ils poseront les normes individuelles destinées à
trancher le litige qui leur est soumis.
148. Mais s'il voulait formuler cette règle d'habilitation sans fiction, le législateur devrait disposer que,
lorsque le juge estime que l'application de telle règle en vigueur à l'espèce dont il est saisi, conduirait à
des résultats injustes, il peut trancher la question de façon discrétionnaire (V. H. KELSEN, op. cit.
o
[supra, n 69], p. 331 et s.). Mais on comprend qu'il répugne à le dire aussi nettement, car la solution
est, en droit français, contraire au principe de la prééminence de la loi dans la hiérarchie des sources
du droit.
149. Mais n'est-ce pas ce que fait, en définitive, l'article 1579 du code civil, relatif au régime
matrimonial de la participation aux acquêts, lorsqu'il dispose que « si l'application des règles
d'évaluation prévues par les articles 1571 et 1574 ci-dessus [il s'agit des règles d'évaluation des
éléments du patrimoine originaire et des éléments du patrimoine final] devait conduire à un résultat
manifestement contraire à l'équité, le tribunal pourrait y déroger à la demande de l'un des époux » ? On
pourrait aussi citer les articles 565 (réf. à l'« équité naturelle ») et 1135 (réf. à l'« équité ») ; de même,
l'article 1152 qui confère au juge le pouvoir de modérer une clause pénale prévoyant une peine
« manifestement excessive ».
150. De fait, la liste est longue des cas où les tribunaux ont cru pouvoir découvrir une lacune dans la
loi et se sont efforcés de la combler. Ainsi, c'est pour favoriser la réparation des dommages dans la
réalisation desquels une chose était intervenue que les tribunaux ont, au demeurant sur les suggestions
er
de la doctrine, tiré de l'alinéa 1 de l'article 1384 du code civil un principe de responsabilité du fait des
choses en général, alors qu'il est certain que ce texte n'était destiné qu'à servir de transition entre la
responsabilité du fait personnel (C. civ., art. 1382 et 1383) et les divers autres cas de responsabilités,
du fait d'autrui (C. civ., art. 1384, al. 2 et s.), du fait des animaux (C. civ., art. 1385) et du fait des
bâtiments (C. civ., art. 1386). Et ce texte a été de nouveau sollicité pour établir un principe général de
responsabilité du fait d'autrui, afin d'assurer plus efficacement la réparation de certains dommages
). De même, c'est parce
(Cass., ass. plén., 29 mars 1991, Blieck, D. 1991. 324, note C. Larroumet
qu'ils ont voulu aider les victimes de dommages causés par des animaux ou des bâtiments en ruine que
les tribunaux ont prétendu trouver dans les articles 1385 et 1386 du code civil des règles dérogatoires
au droit commun, alors qu'il semble bien que les rédacteurs du code n'avaient voulu que préciser
l'application de ce droit, notamment en indiquant la personne responsable.
151. De même, en procédure civile, la jurisprudence a comblé les lacunes des textes quant à la
détermination de la date des effets des jugements, en posant le principe de la rétroactivité de ceux-ci,
sur le fondement du caractère déclaratif de la généralité des décisions de justice, et en admettant
plusieurs exceptions sur le fondement du caractère constitutif de certains jugements (pour l'exposé du
os
droit positif en la matière et la critique du fondement retenu, V. C. BLÉRY, op. cit., n 423 et s.,
p. 325 et s.).
152. Et le droit pénal, quelque danger que puisse présenter pour le prévenu le comblement par les
juges d'une lacune involontaire, ne semble pas devoir échapper toujours à l'emploi du procédé. C'est
ainsi que la chambre criminelle de la Cour de cassation n'a pas hésité à assimiler des disques
phonographiques à des imprimés au sens de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse (Crim.
14 janv. 1971, JCP 1972. II. 17022, note H. Blin) dans le dessein, affiché, de « combler les lacunes
qu'a créées dans la loi de 1881 l'invention de nouveaux moyens d'expression que les auteurs de la loi
o
n'avaient évidemment pas pu prévoir » (H. BLIN, note préc. ; adde : les arrêts cités infra, n 170). De
même, la chambre criminelle a cru pouvoir, en contradiction pourtant avec l'article 429 du code de
procédure pénale, qui exige pour attribuer valeur probante à un procès-verbal, que son auteur ait
rapporté « ce qu'il a vu, entendu ou constaté personnellement », admettre la validité d'un tel document
24
qui avait constaté l'excès de vitesse d'un automobiliste, et qui n'avait été signé que par un seul des
agents qui étaient intervenus, au motif que « chacun [avait] participé personnellement à la constatation
de l'infraction, l'un actionnant le cinémomètre et l'autre, placé à un poste d'interception, recevant les
o
o
indications fournies par le premier » (Crim. 12 févr. 1997, n 96-82.831
, Bull. crim. n 59,
Gaz. Pal. 1997. 1. Doctr. 124 ; ; autre stratagème utilisé : déclarer que le procès-verbal privé de force
probante pour non-respect des dispositions de l'art. 429 c. proc. pén., valait à titre de simples
renseignements et pouvait suffire à fonder la conviction des juges, de sorte que justifie sa décision la
cour d'appel qui déclare le prévenu coupable d'inobservation de la signalisation [agents ayant rapporté
ce qu'ils avaient entendu dire de leur collègue agissant dans l'exercice de ses fonctions et qui leur avait
o
rendu compte par liaison radio de ses propres constatations] : Crim. 5 nov. 1996, n 96-80.151 , dont,
suivant l'annotateur, « la recherche de l'efficacité répressive justifie parfaitement la solution », malgré
le texte d'incrimination [C. pén., art. 223-15-2] qui, exigeant pour la commission de l'infraction [abus
frauduleux de l'état d'ignorance, ou de faiblesse] l'existence d'un acte gravement préjudiciable à la
victime, ne pouvant être appliqué en cas de testament rédigé au profit du prévenu, le testament ne
prenant effet qu'au décès de son auteur). De même, dans le silence des textes, mais cette fois dans un
souci de moindre rigueur vis-à-vis du prévenu, la jurisprudence a érigé en fait justificatif l'état de
nécessité, solution consacrée aujourd'hui par l'article 122-7 du code pénal (par ex., V. Crim. 16 juill.
e
1986, D. 1988. 390, 2 esp., note A. Dekeuwer : coup de feu tiré à terre par un policier blessant par
ricochet un individu armé qui avait préalablement fait usage de son arme ; pour une critique de la
création de droit en la matière par la jurisprudence, V. M.R.M.P., note sous Crim. 25 juin 1958,
D. 1958. 693).
153. Le « comblement d'une lacune » conduit même parfois le juge à commettre un contresens
volontaire dans l'interprétation d'un mot. Un exemple en est fourni par l'« application » de l'article 196
du code civil, lequel vise les effets de la possession d'état au cas où le mariage est entaché d'un vice de
forme. Du texte de l'article 196, il résulte que c'est la régularité de l'acte de mariage, en tant
qu'instrumentum qui ne peut plus être contestée en cas de possession d'état d'époux. Les tribunaux, on
le sait, ont pris le mot « acte » dans le sens de negotium, de sorte que c'est le mariage lui-même qui ne
peut plus être attaqué, notamment pour vice de clandestinité ou d'incompétence (Req. 9 mai 1905,
S. 1906. 1. 161, note A. Pillet ;
154. Les tribunaux arrivent même parfois à faire dire à un texte, non seulement tout autre chose que le
législateur avait voulu y mettre, mais exactement le contraire. On peut citer à ce sujet l'article 336
ancien du code civil, relatif aux effets de la reconnaissance d'un enfant naturel par son père (« La
reconnaissance du père, sans l'indication et l'aveu de la mère, n'a d'effet qu'à l'égard du père »).
L'histoire de ce texte montre que le législateur avait seulement voulu que la reconnaissance du père
puisse avoir lieu sans la volonté de la mère. La Cour de cassation en déduisit pourtant que la
reconnaissance du père, avec indication du nom de la mère, pouvait avoir effet vis-à-vis de celle-ci en
tant que constituant un élément de preuve susceptible d'être retenu s'il était corroboré par un aveu
même implicite de la mère, notamment sous la forme du tractatus d'une possession d'état (Civ. 25 juin
1877, DP 1878. 1. 262), solution que consacra l'article 337 du code civil (L. 3 janv. 1972), du moins
dans le cas où la reconnaissance du père était faite dans l'acte de naissance. Cette jurisprudence, fort
utile car, à l'époque, de nombreux couples vivant maritalement croyaient, à tort, que la preuve de la
filiation maternelle résultait automatiquement de la reconnaissance par le père mentionnant la mère, a
perdu progressivement son intérêt au fil des réformes du 3 janvier 1972 et du 25 juin 1982, et
finalement avec l'ordonnance du 4 juillet 2005 aux termes de laquelle, désormais, « la filiation est
établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant »
(C. civ., art. 311-25).
155. Aussi bien, le juge peut-il trouver une lacune dans le fait que la loi n'est pas assez sévère eu égard
aux exigences de la morale. C'est ainsi que, depuis un arrêt du 27 juillet 1937 (DP 1938. 1. 5, note
G. Marty), la chambre civile de la Cour de cassation refusait à la concubine le droit à réparation du
dommage que lui causait la mort accidentelle de son concubin, au motif que l'article 1382 du code
civil exigeait que le demandeur justifiât de « la lésion certaine d'un intérêt légitime, juridiquement
protégé ». Mais on sait que la Cour de cassation a, depuis, dans un arrêt rendu par une chambre mixte,
le 27 février 1970 (D. 1970. 201, note R. Combaldieu), redonné à l'article 1382 sa portée initiale en
25
déclarant que le « texte ordonnant que l'auteur de tout fait ayant causé un dommage à autrui sera tenu
de le réparer, n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et le demandeur
en indemnisation ». De même, l'acceptation par la Cour de cassation, mais sous son contrôle, de
l'application directe par les tribunaux de la loi du 10 janvier 1978 (C. consom., art. L. 132-1) en
matière de clauses abusives, soumises normalement à l'examen d'une commission dite des clauses
abusives et à l'intervention d'un décret (C. consom., art. L. 132-2), ne témoignait-elle pas d'une volonté
re
de remédier à une certaine lourdeur de la procédure et à l'immobilisme du gouvernement (Civ. 1 ,
26 mai 1993, D. 1993. 568, note G. Plaisant ) ? Cette solution controversée a finalement été
implicitement consacrée par le législateur en 1995 à l'occasion du toilettage de l'article L. 132-1 (V.
o
o
C. consom. art. L. 132-1 et s., réd. L. n 2008-776 du 4 août 2008 ; V. égal. V. Décr. n 2009-302 du
18 mars 2009, modifiant les art. R. 132-1 à R. 132-2-1) canalisant les pouvoirs du juge en distinguant
les clauses présumées abusives et les clauses abusives regardées comme telles de manière irréfragable
o
(V. Précisions sur la réforme des clauses abusives, Rép. min. n 45367, JOAN Q, 2 juin 2009, D. 2009,
).
AJ. 1526
156. Mais les juges peuvent aussi trouver une lacune dans le fait que la loi est au contraire trop sévère
eu égard aux exigences de la morale (et cela même si quelques années auparavant, ils l'avaient trouvée
trop libérale). C'est ainsi que le législateur, dans le but de protéger la famille légitime contre la surprise
que constitue la reconnaissance d'un enfant naturel dont l'existence n'a pas été révélée avant la
célébration du mariage, avait posé le principe que la reconnaissance faite pendant le mariage ne
pouvait nuire ni au conjoint, ni aux enfants nés de ce mariage (C. civ., art. 337 anc.). Estimant injuste
cette disposition, à l'instar de la doctrine, la Cour de cassation, avant que le législateur ne vienne
o
abroger l'article 337 (L. n 70-1323 du 31 déc. 1970 [D. 1971. 67]), avait, dans deux arrêts successifs,
renversé sa jurisprudence afin de réduire autant qu'il était possible le champ d'application de cet
re
article. En effet, jusqu'à un arrêt du 20 décembre 1961 (Civ. 1 , 20 déc. 1961, D. 1962. 321, note
G. Holleaux, JCP 1962. II. 12513, note R. Nerson), la Cour de cassation, malgré le texte formel du
dernier alinéa de l'article 337 (« Néanmoins, elle [la reconnaissance faite pendant le mariage]
produira son effet après la dissolution de ce mariage s'il n'en reste pas d'enfants »), parce qu'elle
« interprétait » cet alinéa comme le corollaire du premier, estimait que l'article 337 restait applicable
lors de la dissolution du mariage, même s'il ne restait pas d'enfants légitimes, cela afin d'assurer la
protection des intérêts du conjoint de l'auteur de l'enfant (Civ. 3 janv. 1944, S. 1945. 1. 61). Or, le
20 décembre 1961, la Cour de cassation, adoptant une interprétation restrictive de l'article 337, isola le
deuxième alinéa de cet article et affirma qu'il résulte de celui-ci « qui apporte une exception [à la]
règle, que la reconnaissance produit néanmoins son effet à l'encontre du conjoint, si, à la dissolution
du mariage, il n'y a pas eu d'enfants ». Le deuxième arrêt qui devait restreindre encore le champ
d'application de l'article 337 fut rendu par la première chambre de la Cour de cassation le 26 mars
1968 (D. 1968. 485, concl. R. Lindon, note P. Malaurie, JCP 1968. II. 15509, note A. Rouast). En
effet, alors que, selon la jurisprudence traditionnelle, l'article 337 devait s'appliquer aussi bien à la
reconnaissance volontaire qu'à la reconnaissance judiciaire, la Cour de cassation décida que cet article,
« disposition exceptionnelle », ne pouvait être appliqué hors de l'hypothèse d'une reconnaissance
volontaire, permettant, ainsi qu'on l'a dit, de limiter les conséquences d'une disposition « tenue pour
injuste, parce qu'elle faisait de l'enfant naturel la victime d'une irrégularité dont il [n'était] pas
responsable » (R. NERSON, Observations sur l'article 337 du code civil, Mél. Roubier, 1961, Dalloz,
re
p. 201 ; V. aussi Civ. 1 , 6 déc. 2007, D. 2008. 192, note crit. P. Sargos
, excluant la réparation du
préjudice moral subi par le patient au motif que « le seul préjudice indemnisable à la suite du nonrespect de l'obligation d'information du médecin, laquelle a pour objet d'obtenir le consentement
éclairé du patient, est la perte de chance d'échapper au risque qui s'est finalement réalisé »).
157. Telles sont les diverses circonstances susceptibles de présider à la formation de normes juridiques
générales d'origine judiciaire. Mais si l'on veut pouvoir mesurer le caractère constitutif, créateur, de la
fonction du juge, encore faut-il préciser quel est le rôle de celui-ci dans l'apparition de ces normes.
MÉTHODOLOGIE DE LA DISSERTATION JURIDIQUE
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Si les étudiants semblent avoir une certaine familiarité avec la dissertation (dissertation littéraire,
philosophique), il faut remarquer que la dissertation juridique présente un certain nombre de
particularités liées bien sûr à la matière mais aussi à la construction. L’épreuve écrite de dissertation
juridique, parfois appelée « sujet théorique », n’est pas un devoir de récitation du cours.
Il ne s’agit pas de reproduire des connaissances d’ailleurs plus ou moins bien comprises mais de
réfléchir à un sujet, en utilisant certes les connaissances acquises pendant l’année, mais surtout en
élaborant une réflexion personnelle et, en ce sens, originale. Dès lors, la dissertation ne fait pas
seulement appel à la mémoire, mais surtout à l’intelligence et à la réflexion. Il est donc vain de tenter
de rapprocher le sujet à traiter de tel ou tel chapitre du cours, voire de telle section ou de tel
paragraphe.
En effet, l’approche analytique qui est celle d’un cours diffère sensiblement de celle synthétique qui
est exigée dans une dissertation. La dissertation est une démonstration : l’étudiant doit livrer au
correcteur son approche de la question posée, en la justifiant par des considérations juridiques. Dès
lors, un bon devoir ne doit pas se limiter à une explication technique des mécanismes juridiques
discutés. Il doit indiquer en outre comment ces mécanismes se rattachent au sujet, et pourquoi tel
mécanisme est cité à tel endroit de la démonstration et pas ailleurs.
La dissertation juridique est donc un exercice délicat et nécessite alors un effort de préparation
sérieuse et de construction rigoureuse avant la rédaction.
I- La préparation
Lecture du sujet
Cela semble banal de le préciser et pourtant une mauvaise compréhension du sujet découle souvent de
sa lecture en diagonal.
Imposez-vous plusieurs lectures articulées et concentrées, ne laissant rien passer.
Ne vous braquez pas sur un mot en négligeant l’expression entière (« l’action en nullité » n’est pas le
même sujet que « la nullité »).
Des termes comme comparer, commenter, discuter, analyser ou montrer vous indiquent et vous
imposent un certain genre d’exercice.
Analyse du sujet
Une étape à ne pas négligez, elle seule vous permet de cerner la problématique soulevée par le sujet
pour ensuite bâtir un plan détaillé adapté.
Une analyse rigoureuse vous garantit de ne pas passer à côté du sujet ou de traiter partiellement
le sujet.
-
Concentrez-vous d’abord sur la forme du sujet
Le sujet d’exposition
Le sujet d’exposition est l’exercice le plus simple, qui consiste à exposer une question déterminée du
programme de l’examen. En général, la question a été traitée en une seule fois dans le cours.
Cependant, pour éviter l’écueil d’une récitation mot à mot, il conviendra de personnaliser le devoir.
Cet effort de réflexion s’exprimera essentiellement dans la construction du plan à partir de la
problématique qui intéresse le sujet. Si la question dans le cours a été décrite de manière linéaire en
une suite de quatre ou cinq éléments par exemple, il est indispensable de réunir ces éléments sous la
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forme d’un plan binaire. Si la question a été traitée sous un plan classique en deux parties, il faudra
rechercher si un autre plan n’est pas concevable. A défaut, il sera toujours possible de rendre plus
suggestifs les intitulés du plan du cours.
Exemple de sujet d’exposition : l’application de la loi dans le temps en matière de contrats ; la notion
de patrimoine, etc.
Le sujet de synthèse
Le sujet de synthèse nécessite de réunir plusieurs questions réparties dans l’ensemble du programme.
Dans ce cas, il faut éviter le piège qui consiste à ne traiter que le premier aspect du sujet qui vient
immédiatement à l’esprit. Il faut prendre le temps pour visionner tout le cours et dresser l’inventaire
complet des questions qui se rapportent au sujet. Ensuite, il convient de réaliser une synthèse de ces
questions.
Exemple : la vérité en droit civil ; la fidélité dans le couple, etc.
Le sujet de comparaison
Le sujet de comparaison est une espèce de sujet de synthèse. Il conduit à examiner deux notions qui,
souvent, ont été présentées séparément dans le cours. Cependant, l’exercice se complique car il est
indispensable d’examiner ces notions en parallèle. Autrement dit, il ne s’agit pas de deux sujets
descriptifs distincts mais d’un seul et unique sujet de synthèse.
Parfois ce genre de sujet est clairement énoncé dans l’intitulé.
Par exemple : « comparez le droit et la morale ».
D’autres fois, il peut être déduit de l’utilisation dans l’intitulé de la conjonction de coordination « et ».
Par exemple : « Propriété et possession ». Cependant, l’emploi du mot « et » n’est pas toujours
synonyme d’un sujet de comparaison entre les deux éléments qu’il relie. Souvent, il a pour objet
d’inviter l’étudiant à réfléchir sur l’influence que peut exercer l’un des éléments sur l’autre. Par
exemple : le mariage en droit sénégalais et les conventions internationales.
-
Analysez les termes clés puis délimitez le sujet
L’observation d’étudiants composant une épreuve écrite révèle une obsession pathologique à trouver
le plan parfait dans les cinq minutes qui suivent la distribution des sujets.
Faute de vous concentrer un quart d’heure sur l’analyse détaillée et la délimitation du sujet, vous
perdez un temps considérable à tester des plans bancals en cherchant davantage à caser votre cours
qu’à traiter la problématique. Vous vous contentez de réciter sans les trier ni les organiser des
connaissances parfois sans rapport direct avec le sujet. Mais ce n’est pas ce qu’attend le correcteur !
Vous devez lui montrer que vous savez réfléchir et structurer votre pensée.
Ne faites pas l’impasse sur l’analyse et la délimitation du sujet. Non seulement cette étape
fondamentale prévient le risque de hors sujet mais surtout met en lumière la problématique à
soulever ainsi qu’une ébauche de plan. Une analyse correctement menée est la clé d’une
dissertation réussie.
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Pour une analyse efficace du sujet, sélectionnez puis définissez les termes clés. Décomposez ensuite
les définitions obtenues afin de repérer les points importants sous-entendus par le sujet. Vous
examinerez ces points lors de l’élaboration du plan détaillé.
Le piège, à ce stade de la préparation, est de restreindre arbitrairement le sujet ou de partir sur une
mauvaise voie en ne recherchant pas une définition exacte et complète de chaque terme.
Soyez attentif à tous les termes du sujet. Procédez par conséquent à une étude sémantique, consistant à
définir les mots importants, puis à une analyse grammaticale. Les articles définis ou indéfinis, les mots
de liaison comme « ou », « et », les adverbes et les signes de ponctuation ne sont pas là par hasard ! Ils
influent considérablement sur le sens du sujet. Tenez également compte des temps et des modes
employés. Attention ! La plupart des hors sujets résultent de la négligence d’un terme ou d’un indice
grammatical. Rater un examen, une année universitaire, parce qu’on a confondu un « et » avec un
« ou », alors que l’on connaissait son cours sur le bout des doigts, il y a de quoi « se mordre les
doigts » !
Pour gagner du temps lors de la recherche de la problématique, analysez le sujet sous forme de tableau
ou de schéma de manière à confronter les informations. La problématique naît en effet de cette
confrontation. La mise en valeur des contradictions soulevées par le sujet vous permet de cerner et de
formuler plus rapidement cette problématique.
-
Recherche et formulation de la problématique
Une fois l’analyse du sujet achevée, vous possédez déjà une idée de la problématique, c’est-à-dire de
la question importante et sujette à discussion que vous devez traiter. Selon l’intitulé du sujet, cette
problématique est plus ou moins apparente. Mais, même sous-jacente, elle doit vous « sauter aux
yeux » à ce stade de préparation si votre analyse a été correctement menée. Il s’agit maintenant de la
préciser et de la formuler correctement.
Relisez encore le sujet afin de vous assurer que vous ne partez pas sur la mauvaise voie. Puis reprenez
les éléments dégagés par l’analyse et repérez les contradictions qui en résultent. Dégagez ensuite le fil
qui unit ces contradictions. Ce fil constitue la problématique, c’est-à-dire la question importante et
digne d’intérêt que vous devez soulever. Pour vous aiguiller, remémorez-vous aussi les points
importants et les débats soulignés par le professeur lors du cours relatif au thème abordé. Les sujets de
dissertation ont quasiment toujours été évoqués et/ou partiellement traités en cours.
La problématique est identifiée, il faut maintenant la formuler. Attention, il ne s’agit pas de reprendre
le sujet sous la forme d’une question ! Vous l’avez constaté, l’identification de la problématique est le
fruit d’un long processus de réflexion. Vous devez exposer le résultat de ce processus. Votre
formulation doit être dynamique. Cela signifie que vous devez mettre en relief la problématique en
expliquant son intérêt et l’enjeu des différentes réponses que l’on peut y apporter. Pour trouver les
éléments de mise en relief, prenez du recul face au sujet en vous demandant pourquoi il vous est posé
aujourd’hui et si les données du problème ont ou vont évoluer ? Procédez par conséquent à une mise
en perspective dans le temps et dans l’espace du sujet.
Vous replacerez la problématique dans l’introduction que vous rédigerez une fois le plan détaillé bâti.
Cependant, formulez-la clairement avant la construction du plan car ce dernier doit justement
répondre à la problématique. Les intitulés des deux grandes parties doivent renvoyer directement à
la problématique. De bons intitulés doivent permettre de la retrouver sans se référer à l’introduction.
-
Recensement des idées et des connaissances
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Vous avez maintenant défini et précisé l’objet de votre développement. Il s’agit d’exposer en deux
axes votre réponse à la problématique que vous venez d’identifier.
Votre position personnelle, c’est-à-dire le message que vous voulez faire passer au moyen de votre
démonstration, constitue le fil directeur de votre devoir. Elle va donc orienter les intitulés dans un sens
ou un autre. L’exposé de votre réponse à la problématique doit être organisé en deux axes (très
exceptionnellement trois), en d’autres termes structuré autour d’un plan, mais aussi justifié et illustré.
En droit, encore plus que dans d’autres disciplines, vos affirmations n’ont de valeur que si elles
reposent sur des éléments objectifs. Affirmer sans justifier revient à ne rien dire.
Afin de trouver les différents éléments qui servent de support à votre démonstration, reprenez les
points dégagés lors de l’analyse du sujet. Puis remémorez-vous votre cours, vos TD et vos lectures en
notant toutes les données qui se rapportent directement où indirectement au sujet. Procédez à des
associations d’idées.
II- La construction
La dissertation juridique comprend :
Une introduction,
Un plan (avec des développements bien sûr) en deux parties, elles-mêmes subdivisées en deux
sous-parties.
En revanche, ne vous donnez même pas la peine de pensez à la conclusion, car au premier cycle on
préfère l’occulter. Il n’y a pas de conclusion.
A. Les étapes de l’introduction
L’introduction est très certainement la partie la plus importante de la dissertation. Pour les chasseurs
de points, sachez qu’elle permet de récupérer un nombre conséquent de points lorsqu’elle est bien
construite. L’introduction ne doit être ni trop longue, ni trop brève (elle doit représenter environ le
1/3 du devoir). Alors comment construire une bonne introduction ou en tout cas une introduction qui
puisse être satisfaisante.
L’introduction doit répondre aux trois grandes questions suivantes :
De quoi dois-je parler ?, Pourquoi dois-je parler de ce sujet ? Et comment vais-je parler du
sujet ?
De quoi dois-je parler ?
Il s’agit à ce stade de procéder à la présentation du sujet : l’étudiant doit amener et poser le sujet,
définir les termes du sujet et délimiter le sujet s’il y a lieu.
*1- Amener et poser le sujet
Amener le sujet
C’est la phrase d’accroche, encore appelée l’entrée en matière
Il s’agit de situer progressivement la question à traiter dans l’ensemble de la matière, en centrant
jusqu’à la cerner avec précision. C’est la méthode de l’entonnoir. Cependant, il faut éviter de
prendre la question de trop loin ou de trop haut, ce qui retarderait à l’excès l’étude du sujet lui-même
(par exemple il ne faut pas décrire toutes les sources de la règle de droit avant d’en arriver à la
jurisprudence ou encore, il ne faut pas exposer la règle de droit à propos de l’étude de la preuve des
droits subjectifs). Il faut essayer aussi de se distinguer en proposant parfois une accroche qui va dans
le sens du cours qui vous a été dispensé, mais qui provient d’une autre source. Vous prouverez en
outre que vous avez fait des recherches, donc fourni un travail qui donne une valeur ajoutée à votre
devoir. Citer le professeur de cours magistral ou le chargé de TD n’est pas conseillé.
Exemple d’entrée en matière par la méthode de l’entonnoir (sujet : l’abrogation de la loi par
désuétude)
Situer la question consiste à la placer dans le cadre général des sources du droit positif et, parmi ces
sources, la loi (dont on mentionnera la prééminence), puis à propos de la loi, à poser la question de
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sa durée d’application, de son abrogation en général, et enfin du cas particulier de son abrogation par
désuétude
Cette façon d’ « attaquer » le sujet n’est pas la seule : L’entrée en matière peut notamment faire
référence à l’actualité juridique ou à l’histoire. Mais la méthode de l’entonnoir est la plus usuelle.
Poser le sujet
Le sujet doit être progressivement annoncé. Il ne doit pas y avoir de rupture entre l’entrée en matière
et la citation du sujet
*2- La définition des termes du sujet
Dans le droit fil de la phrase d’accroche qui peut être une définition, vient le moment où il faut
définir le sujet (après l’avoir posé) pour le comprendre. Montrer que vous l’avez compris, comment
vous l’avez compris et pourquoi. En fait, il s’agit de prendre les mots du sujet et de les définir en
disant pourquoi vous avez retenu telle signification particulière de chaque mot et du sujet en général.
En procédant ainsi, vous dégagez et mettez en évidence, le sens du sujet.
A RETENIR : seuls les mots qui font partie du langage juridique sont à définir. Aussi, seuls les
vocables en relation directe avec le sujet appellent des définitions. Il n’y a pas lieu d’expliquer
chaque terme technique rencontré, ce qui alourdirait trop la dissertation.
Pour le sujet précédent (l’abrogation de la loi par désuétude : il s’agit de définir les termes : loi,
abrogation et désuétude).
* 3- La délimitation du sujet (ce point ne s’impose pas toujours. Tout dépend de l’étendue du sujet)
Vous devez ciblez les idées que le sujet vous impose de traiter, tout en les délimitant d’abord par
rapport au sujet, mais aussi en prenant en compte des paramètres temporels (dates, chronologie),
géographique (le sujet impose-t-il de traiter que le cas sénégalais ou d’autres pays sont concernés ? ),
voire institutionnels (si le sujet impose une institution particulière, peut-être cela suppose-t-il d’en
évoquer d’autres. Ne serait ce que parce que l’institution du sujet entretien des rapports avec les
autres institutions).
Chose très importante aussi, dites ce que vous ne traiterez pas et pourquoi. L’intérêt de passer par
cette étape, consiste à montrer que vous avez connaissance de certaines notions mais dont vous ne
voyez pas l’utilité pour la démonstration que vous allez mener.
A RETENIR : délimiter un sujet ne consiste surtout pas à écarter une ou des questions qui n’ont rien
à voir avec le sujet (exemple pour traiter de la formation du mariage, l’étudiant n’a pas à préciser que
la question du divorce ne sera pas abordée parce que c’est une évidence).
Pourquoi dois-je parler de ce sujet :
Le sujet soulève une ou plusieurs questions fondamentales qui présentent certainement des intérêts
(sinon on ne vous l’aurait pas proposé). A ce stade, posez la problématique et le (ou les) intérêt (s)
du sujet.
*4- La problématique
Sujets sous forme interrogative
Parfois, la question que vous devez traiter est directement posée dans le sujet. Il convient alors de
répondre précisément à la question posée. Exemple : la jurisprudence constitue t-elle une source
de droit ? En général, ce genre de sujet invite l’étudiant à prendre personnellement position. Il doit
donc réunir les éléments de résolution du sujet présentés dans le cours et les manuels, et les organiser
pour construire un plan sous forme de réponse à la question posée.
Sujets sous forme non interrogative
D’autres fois, la question que vous devez exposer n’est pas clairement exprimée dans le sujet. Dans
cette hypothèse, il ne vous appartient pas d’inventer n’importe quelle problématique. La
problématique préexiste certainement, et vous devez la retrouver à travers le sujet. En général, elle a
été exposée en cours et elle figure dans les manuels.
Eventuellement, si vous avez du mal à dégager la problématique, essayez de reformuler le sujet sous
forme interrogative en utilisant des formules variées : « Quelle est l’influence de … ? » ; « A quoi
sert … ? » ; « Comment fonctionne … ? » ; « Quelle est la portée de … ? »……..
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Pour la réponse, vous devez vous servir des matériaux (cours, documents) et de vos réflexions
personnelles.
A RETENIR : La problématique est le cœur de l’introduction. Soignez-là. Elle doit être claire,
compréhensible et surtout pertinente. C’est elle qui doit conditionner votre plan et non l’inverse.
Vous pouvez parfaitement tomber sur une, voire deux problématiques. Dans le premier cas, il s’agira
de suivre un seul fil conducteur. Il s’agira généralement de procéder par étapes pour mener à bien la
démonstration. Vérifiez que toutes les étapes du plan qui s’annonce s’articulent bien entre elles.
Dans l’hypothèse où vous auriez deux problématiques qui ne peuvent a priori pas être regroupées
sous une autre plus globale, alors dédiez une partie à chaque problématique. C’est encore le plus
simple. (Comment rechercher la problématique, V. développements précédents)
*5- L’intérêt du sujet
Une fois que vous pensez savoir (mais mieux vaut en être certain) où le sujet veut vous emmener, il
faut insister sur l’intérêt du sujet. Il s’agit de répondre à la question : « pourquoi dois-je parler de ce
sujet ? ». Si le sujet a été donné, c’est qu’il est important. Il faut donc rechercher pourquoi le sujet a
été donné et le dire franchement. Ces intérêts, souvent liés à des développements d’actualité, peuvent
être d’ordre pratique et/ou théorique :
Intérêt théorique :
Ce sont les implications théoriques du sujet à savoir : les débats qui se sont soulevés (ce sont les
controverses doctrinales), lorsque les principes juridiques traduisent une évolution particulière (de la
législation, des mœurs, de la société…).
Exemple d’intérêt théorique
-
Actualité législative. Par exemple avec l’OHADA, la consécration d’un patrimoine
d’affectation avec la société unipersonnelle.
Controverse doctrinale. Par exemple, en ce qui concerne la nature du patrimoine, du droit au
nom ou du droit réel, la nature juridique du mariage.
Evolution d’un fondement du droit. Par exemple, en matière de responsabilité, l’idéologie de
la réparation qui conduit à indemniser toutes sortes de préjudices.
L’intérêt pratique
L’intérêt pratique se découvre la plupart du temps en cherchant à imager des cas d’application
concrets des règles juridiques en cause. On peut alors montrer que la question envisagée se pose
fréquemment, que les solutions à dégager intéressent beaucoup de personnes ou commandent des
conséquences (économiques, sociologiques…) importantes. Faire apparaître, quand c’est possible.
L’actualité des problèmes renforce considérablement le dynamisme de la dissertation ; mais
n’extrapolez surtout pas !
Exemple d’intérêt pratique
-
-
-
Conflit dans les sources du droit. Par exemple, le problème de la violation de la Convention
de l’OIT soulevé dans l’affaire Séga Seck Fall, le problème de la violation de la convention de
New York contre la torture dans l’affaire Hissen Habré.
Hiatus entre la législation existante et les besoins pratiques. Par exemple les problèmes posés
par l’exigence du divorce judiciaire et la pratique de la répudiation ; les problèmes posés par
la limitation des dépenses excessives dans les cérémonies familiales.
Aspects sociologiques. Par exemple en France, le débat judiciaire sur l’adoption d’enfants par
des couples homosexuels (NB : la question sera bientôt réglée par la loi).
Eventuellement, on peut retracer à ce stade de l’intérêt du sujet l’évolution du sujet dans le temps
(historique) et dans l’espace (droit comparé).
A RETENIR : un sujet peut revêtir un intérêt théorique ou un intérêt pratique (pas forcément les
deux à la fois). Aussi, lorsque vous souligner l’existence d’un intérêt, il faudra effectivement le
32
préciser. Exemple : Il ne suffit pas de dire (comme on le remarque dans la plupart des copies) : le
sujet revêt un intérêt théorique (sans aucune précision). [Vous ne soulignez là aucun intérêt !].
Comment vais-je parler du sujet ?
Il s’agit de justifier et d’annoncer le plan
* 6- L’annonce justifiée du plan
Vous voilà en possession de votre problématique qui prend le plus souvent la forme d’une question.
Le plan n’est autre que la réponse en deux points à cette question. Mais il ne s’agit pas seulement de
dire quelle articulation a été choisie ; il faut justifier ce plan. On doit commencer par exprimer
l’idée ou les idées essentielles animant le sujet ; puis on annonce l’ordonnancement de la
démonstration. Le plan adopté doit apparaître comme une conséquence logique et naturelle des
principes antérieurement dégagés.
L’essentiel consiste donc à expliquer pourquoi la présentation retenue s’impose. L’annonce
proprement dite se limite à la phrase dans laquelle vous ferez apparaître entre parenthèse le I et le II
du plan. Ex : ...............(I), ...................(II).
En première année, vous pouvez vous satisfaire de phrases assez simple comme : dans un premier
temps, puis dans un second, ou, dans une première partie nous traiterons telle chose et puis telle
autre dans une seconde. Mais il faudra assez vite dépasser ce stade car il n’apporte pas de réelle
satisfaction sinon celle de mettre en parallèle deux idées principales.
A RETENIR : l’étudiant doit impérativement, dans l’introduction, veiller à: Amener et poser le
sujet – Définir les termes du sujet – Poser la problématique – Donner l’intérêt du sujet –
Justifier et annoncer le plan.
Les différentes phases de l’introduction ne doivent pas être intitulées dans la rédaction. Il
suffit d’aller à la ligne après chaque phase.
B. Le plan
Le plan est commandé par le sujet, ou, plus précisément, par l’idée directrice que vous avez dégagée.
Il convient donc d’adopter un plan qui suive une ligne directrice claire, que l’on s’attache à respecter
et à démontrer.
Concrètement : le plan est la réponse à la problématique posée.
En droit, le plan se structure en deux parties, deux sous-parties. Ce qui fait un total de quatre sous
parties. Si vous avez lu attentivement ce qui précède, vous devez vous souvenir que, lors de la
recherche de notre problématique, nous avons regroupé nos idées en 4 catégories. Celles-ci
correspondent aux 4 sous parties. Mais pour réaliser le plan, ces 4 catégories doivent être contenues
dans deux grandes catégories. De telle sorte que :
Catégorie 1 regroupe Une sous catégorie, Une seconde sous catégorie,
Catégorie 2 regroupe Une sous catégorie, Une seconde sous catégorie.
Ce travail doit aboutir à plan qui devra avoir pour résultat ce qui suit :
Structure du Plan d’une dissertation juridique
I. Le titre de ma PREMIERE PARTIE
J’annonce que je vais parler ma première sous-partie (A), puis de ma seconde sous-partie (B)
A. Le titre de ma première sous-partie
Je fais une transition pour annoncer la seconde sous-partie
B. Le titre de ma seconde sous-partie
Je fais une transition pour annoncer la SECONDE PARTIE
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II. Le titre de ma SECONDE PARTIE
J’annonce que je vais parler de ma première sous-partie (A), puis de ma seconde sous-partie (B)
A. Le titre de ma première sous-partie
Je fais une transition vers ma seconde sous-partie
B. Le titre de ma seconde sous-partie
(Pas de conclusion)
ATTENTION : il est préférable et même important de réserver le I.B. et le II.A. aux catégories
les plus essentielles. C’est le cœur de votre devoir.
Comme vous pouvez le voir, le plan n’est pas qu’une succession de catégories. Il y a des titres.
Chaque titre de PARTIE doit être suffisamment englobant pour regrouper les sous parties qui
le composent (les sous parties doivent correspondre aux parties. Soit elles se complètent ou
elles s’opposent). De même, les titres doivent être la réponse à votre problématique, de telle
sorte qu’en le lisant le correcteur sait ce que vous allez dire dans les parties et sous parties.
Ce n’est pas parce que vous n’avez pas le même plan que votre camarade que vous êtes hors sujet ou
que vous avez fait un faux plan. Idem, en ce qui concerne votre plan et celui du chargé de TD. Il y a
plusieurs bonnes démarches pour traiter un sujet.
Tout dépend de la façon dont vous avez compris le sujet (en restant, bien sûr, dans le cadre de la
problématique posée par le sujet) mais aussi, dont vous l’avez amené. Il est alors important de
justifier (de bien justifier) les choix que vous avez faits lors de la délimitation du sujet.
Les différents plans possibles:
Le plan d’idées : c’est un plan qui valorisera toujours votre travail. Il est construit à partir d’une idée
que vous avez du sujet exposée en deux parties. Exemple de plan d’idées sur le sujet le « dol » I- Le
dol, vice du consentement dans la formation du contrat II- Le dol, délit dans l’exécution du contrat.
Les plans types
-
Les plans de comparaison : pour les sujets de comparaison, il faut proscrire l’examen séparé
des deux termes de la comparaison (Exemple pour le sujet Droit et morale, éviter de faire : ILe droit II- La morale). A la limite, on peut envisager de présenter successivement : les
ressemblances (I) et les différences (II), en habilitant ces intitulés.
-
Les plans de continuation : le plan type le plus utilisé est celui dit « de continuation », dont les
deux parties se prolongent en intégrant deux aspects distincts du sujet.
I- Les conditions II- Les effets /// I- La formation II- Le contenu /// I- La formation IIL’exécution /// I- Les sujets ou les titulaires du droit II- L’objet ou le contenu du
droit….
A RETENIR : Veiller à réaliser un certain équilibre des parties et sous-parties, en volume et en
intérêt autant que possible.
III- La rédaction
Vous devez retenir qu’une dissertation est une démonstration et non pas un simple exposé des
connaissances. Les connaissances sont mises au service de la démonstration, c’est à dire de la
problématique.
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Contrairement à la forme, le fond ou le contenu est fonction du sujet qui vous est donné. Mais il y a
quelques règles essentielles qui ne changent pas. Elles sont relatives à la rédaction ou la formulation
du contenu et son développement.
Faites des phrases courtes et simples. Les phrases courtes rendent le contenu dynamique, léger et
maintient l’attention du correcteur ou du lecteur. Les phrases simples rendent la dissertation plus
claire et compréhensible. Vous éviterez ainsi de perdre le lecteur. Généralement tout se passe en trois
temps : je vais dire quelque chose, je dis la chose en question, voilà ce que je voulais vous dire. Il
faut exprimer vos intentions, les réaliser et les résumer.
Privilégiez une idée par partie, mais une idée importante peut être accompagnée d’autres idées
accessoires. Le risque reste que des idées accessoires peuvent être hors sujet.
Il n’est pas possible de schématiser ou d’aller plus en profondeur pour deux raisons : la première
c’est qu’il existe une multitude de sujets et que chaque sujet peut être traité différemment. C’est
selon l’importance que l’on accorde à telle ou telle idée.
Pour quelques conseils de rédaction: soigner l’écriture, l’orthographe et l’expression ;
proscrire les abréviations, les sigles et les schémas ; éviter les familiarités ; ne pas employer le
mot « je », mais plutôt « nous », « on », « il » ; éviter l’emploi de verbes dans les intitulés ;
éviter les répétitions ; aller à ligne pour chaque idée nouvelle, enchaîner les phrases de manière
logique ; enfin, relire la copie.
Remarque générale
Tout exposé de connaissances est un exercice de communication. Il requiert:
-
Aisance et maîtrise de soi
Brièveté et concision
Nécessité absolue d'un plan tant pour l'écrit que pour l'oral
Indication des Titres
Transitions
Ecriture aérée et lisible
Surtout éviter le remplissage hors sujet qui indispose fortement le lecteur et témoigne d'une profonde
méconnaissance du sujet demandé.
Toutes les fiches et les documents annexes peuvent être téléchargés sur le
site de faculté de droit : www.fsjp.ucad.sn
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