À travers la liturgie

Transcription

À travers la liturgie
La Terre nous est confiée
À travers la liturgie
« Le pain et le vin du Royaume éternel »
Prière de présentation des offrandes (« Offertoire » dans l’ancienne liturgie) :
« Tu es béni, Dieu de l’univers, Toi qui nous donnes ce pain (ce vin)
Fruit de la terre (vigne) et du travail des hommes.
Nous te le présentons, il deviendra le pain de la vie (le vin du Royaume éternel). »
En cette période d’extrême sensibilité à l’écologie, ce temps de présentation des
offrandes lors de la messe nous redit des éléments essentiels de notre rapport à
l’environnement et comment le sacrifice du Christ, en restaurant la Création, inclut
les équilibres naturels.
Ce temps de la présentation de dons est bref : gestes et surtout paroles sont peu
développés mais le symbolisme est très riche.
Le pain et le vin : une part de nous-mêmes
La présentation des offrandes a lieu au cours d’une procession qui vient de
l’assemblée des fidèles. « Il est bien que la participation des fidèles se manifeste par
l’oblation du pain et du vin pour la célébration de l’Eucharistie… » (Présentation
générale du Missel romain, n°100). C’est en effet q uelque chose de nous-mêmes,
qui sommes le peuple de Dieu et une part de l’humanité, qui est présenté pour être
l’élément central de l’Eucharistie ; une solidarité profonde nous unit à la nature dont
le pain et le vin sont les symboles puisqu’ils sont fruits de la terre et de la vigne. Sans
cette nature nous ne saurions vivre.
Le pain représente les éléments essentiels à notre survie. Cela reste vrai même si la
tradition qui nous fait garder le pain et le vin, est un peu décalée (pour le pain comme
pour le vin) avec les interrogations actuelles : la place du pain dans l’équilibre
alimentaire et le fait qu’existent d’autres aliments essentiels dans d’autres cultures.
« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » : cette humble demande du Notre
Père dit bien qu’il est le signe de ces éléments naturels qui sont nécessaires à notre
vie et à notre énergie.
Le vin est signe de la fête, de la gratuité, de la joie, il est symbole d’abondance. Il
est, dans la modération, signe de ces éléments qui réunissent les hommes dans un
même bonheur d’être ensemble : dans les évangiles, il est évoqué comme l’élément
important des noces éternelles (Luc 22/18).
Le pain et le vin : signes de l’alliance créatrice entre Dieu et l’homme
Dans la conception chrétienne de l’écologie, la nature (dont le pain et le vin sont
donc les symboles) est à accueillir comme un don de Dieu : « Toi qui nous
donnes ! » La reconnaissance pour ce que Dieu a disposé tout autour de nous,
produit l’émerveillement et le respect devant tous ces biens qui nous sont confiés et
dont nous ne sommes que les gérants : « Tu es béni ! » « Que tes œuvres sont
grandes, Seigneur ! Tu les fis toutes avec sagesse. » (Ps 104/24).
La double prière de la présentation des dons dit aussi, malgré sa brièveté, l’alliance
entre ce don de Dieu (terre et vigne) et le travail des hommes. Cette terre et les
biens qu’elle contient sont confiés à la responsabilité de l’homme en vue d’un
enrichissement qui s’efforce de comprendre et de préserver les équilibres naturels.
« Tu demandes à l’humanité, Dieu créateur, de se perfectionner de jour en jour et
d’achever par son travail l’œuvre immense de ta création… » (Prière d’ouverture de
la messe pour le travail des hommes).
Une réconciliation qui concerne aussi la nature et notre rapport à elle
« Ils deviendront le pain de la vie et le vin du Royaume éternel » car ils participent à
ce qui va s’accomplir : cette réconciliation opérée par le Christ se réalise non
seulement entre les hommes mais aussi avec la nature en réparation de toutes les
blessures que l’avidité et une domination sans mesure des hommes ont pu causer.
Avec l’Eucharistie, il nous faut vivre non seulement la réconciliation entre les
hommes mais aussi ce que le magistère de l’Église met bien en valeur depuis
quelque temps : passer d’un environnement vécu comme « ressource » à un
environnement vécu comme « maison », comme une part de moi-même.
Nous pouvons voir que le symbolisme présent dans ces humbles offrandes est
important et il faut sans doute savoir rendre leur présentation aussi visible et
manifeste que possible.
Poursuivons ce déploiement symbolique jusqu’au bout. Le pain et le vin issus de
milliers de grains rassemblés (moulus et pressés) signifient aussi notre
rassemblement ; comme le dit la Didachè (IIe siècle après J.-C.) : « De même que ce
pain que nous rompons, autrefois disséminé sur les collines, a été recueilli pour ne
faire plus qu’un, qu’ainsi ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre dans
ton Royaume ! » Mais ils signifient également, dans ce qui va être la fraction et le
partage du pain ainsi que du vin, à la fois la communion qui s’établit entre tous les
participants mais aussi ce rétablissement de la destination universelle des biens, qui
est une autre finalité de la Création. « Dieu a destiné la terre… à l’usage de tous les
hommes… en sorte que les biens de la création doivent affluer équitablement entre
les mains de tous… » (Gaudium et Spes, Vatican II, n°69).
La messe sur le monde
Nous pouvons retrouver une large part de toutes ces significations dans le
magnifique texte du Père Teilhard de Chardin (Jésuite et paléontologue du
XXe siècle) La messe sur le monde : « Puisque, une fois encore, Seigneur, non plus
dans les forêts de l’Aisne, mais dans les steppes de l’Asie, je n’ai ni pain, ni vin, ni
autel, je m’élèverai par-dessus les symboles jusqu’à la pure majesté du Réel, et je
vous offrirai, moi votre prêtre, sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du
Monde.
Le soleil vient d’illuminer, là-bas, la frange extrême du premier Orient. Une fois de
plus, sous la nappe mouvante de ses feux, la surface vivante de la Terre s’éveille,
frémit, et recommence son effrayant labeur. Je placerai sur ma patène, ô mon Dieu,
la moisson attendue de ce nouvel effort. Je verserai dans mon calice la sève de tous
les fruits qui seront aujourd’hui broyés.
Mon calice et ma patène, ce sont les profondeurs d’une âme largement ouverte à
toutes les forces qui, dans un instant, vont s’élever de tous les points du Globe et
converger vers l’Esprit. » (P. Teilhard de Chardin, Hymne de l’Univers, éd. du Seuil,
1961, pp. 21-22).
Père Joël Morlet,
professeur à l’Institut supérieur de pastorale catéchétique (ISPC) - Paris
Points de repère n°236, mai-juin 2010
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