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Les territoires de l'opium
Les territoires de l’opium, conflits et trafics du Triangle d’or et du Croissant d’or.
Les Territoires de l’opium, livre publié en 2002 par Pierre-Arnaud Chouvy, analyse les différents facteurs ayant favorisé
l’émergence du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, les deux plus grandes régions productrices d’opium. Le Triangle d’Or est constitué
de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande. Le Croissant d’Or rassemble l’Afghanistan, l’Iran et le Pakistan.
Cet article fait partie du dossier Les mutations des trafics de drogues
L'auteur explore les différents liens qu’ont pu entretenir les sociétés et le pavot à opium. L’explication, très documentée, des différentes
conditions de culture et de production permet de comprendre pourquoi peut-il y avoir autant de différences de rendement d’un espace à un
autre, d’une variété à une autre. La diffusion du pavot à opium est replacée dans la perspective du temps long, des premiers échanges
commerciaux à l’implication des puissances coloniales européennes dans la construction du narcotrafic international.
Cette analyse historique précise permet de poser les bases d’une compréhension complète de l’émergence du Triangle d’Or et du Croissant
d’Or.
LES FACTEURS D’EMERGENCE DU TRIANGLE D’OR ET DU CROISSANT D’OR
Des mosaïques territoriales complexes
Pierre-Arnaud Chouvy s’intéresse aux caractéristiques géographiques qui ont favorisé l’émergence du Triangle et du Croissant d’Or. Il
rappelle d’abord que ce sont « des mosaïques territoriales » car ils résultent d’une superposition de différents ensembles spatiaux comme
les aires ethniques, religieuses, étatiques, nationales et linguistiques.
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Ces espaces polyethniques et interétatiques sont donc plus enclins aux échanges et mouvements illégaux de biens et de personnes. De plus
ces superpositions d’ensembles spatiaux créent de multiples discontinuités spatiales qui deviennent objet de plus-value pour le
narcotrafiquant. Par exemple le narcotrafiquant tire avantage des franchissements de frontières par augmentation des prix de l’opium. Enfin
ces mosaïques territoriales ont pour conséquence de nombreux rapports de force ne permettant pas d’obtenir l’homogénéité nécessaire au
modèle de l’Etat-nation.
Isolement et accessibilité - Routes et antiroutes
Il évoque aussi la physiographie du Triangle d’Or et du Croissant d’Or qui sont des espaces particulièrement enclavés et marginaux
géographiquement. Cet isolement se prête bien à la production de drogues illicites puisque le contrôle y est difficile. Toutefois l’enjeu est de
maintenir un équilibre entre isolement et accessibilité.
L’auteur développe alors une réflexion sur le concept de route et d’antiroute particulièrement intéressante sur le plan géopolitique. En effet,
les routes ont un rôle majeur dans le narcotrafic puisqu’elles sont un facteur d’accessibilité et permettent les flux. La route est donc un objet
géographique qui permet des échanges mais aussi un objet politique qui peut accepter ou refuser l’accès. Pierre-Arnaud Chouvy reprend le
terme « antiroute » à Mahnaz Z.Ispahani pour qualifier « tout ce qui peut contraindre, entraver ou restreindre l’accès, de façon « naturelle »
(« antiroute naturelle » ou obstacle naturel la circulation) ou « artificielle » (« antiroute artificielle » ou entrave anthropique à la
circulation) ».
Le narcotrafiquant est donc celui qui va tourner ces contraintes et ces restrictions à son avantage, l’antiroute est un facteur de nonaccessibilité et donc de sécurité. La difficulté d’accès permet au prix de ses produits de s’élever. La route révèle aussi l’équilibre stratégique
entre développement économique et sécurité des états. En effet l’ouverture d’une route peut être facteur de développement mais expose
les espaces reliés à une intensification des trafics. Pierre-Arnaud Chouvy rappelle ici l’impact décisif des politiques de développement des
routes sur la genèse du Triangle d’Or et du Croissant d’Or.
Des angles géopolitiques
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Les territoires de l'opium
Enfin Pierre-Arnaud Chouvy qualifie le Triangle d’Or et le Croissant d’Or de deux « angles géopolitiques majeurs de l’Asie ». En effet ces
espaces ont une position d’interface entre les grands ensembles asiatiques et sont à la jonction des aires d’influences indiennes et
chinoises. Ils sont devenus des angles géopolitiques en attirant des intérêts coloniaux rivaux et en étant le support des rivalités idéologiques
de la guerre froide.
Ces luttes d’influences étrangères ont imposé un flou frontalier dans le sens où les frontières étatiques semblent être des « césures
artificielles ». L’imposition du concept européen de la frontière moderne a été un terreau fertile pour le narcotrafic. L’auteur démontre que
l’instabilité régionale est instrumentalisée par les luttes d’influences étrangères ce qui a favorisé le recours à l’économie de la drogue.
L’auteur nous démontre donc que les acteurs du narcotrafic dans le Triangle d’Or et le Croissant d’Or ont tiré parti de contraintes spatiales
et politiques. En devenant des routes du narcotrafic, des antiroutes se sont révélées rentables. Face à l’isolement géographique et
diplomatique, le recours à l’économie de la culture du pavot à opium a permis l’intégration d’espaces et d’acteurs dans des systèmes à
différentes échelles.
LES TERRITOIRES DE L’OPIUM CONVOITÉS : L’OPIUM COMME ENJEU ET NERF DE LA GUERRE
Opium et territoire
Le territoire est un objet pertinemment géopolitique. En effet, la géopolitique s’intéresse à tous les types de territoires et aux enjeux qu’ils
représentent pour chaque acteur, la confrontation des acteurs donnant lieu à des rivalités d’ordre territorial. Le territoire est alors le support
de rapports de forces et de pouvoirs.
En s’intéressant aux liens entre opium et territoire l’auteur développe longuement l’enjeu des processus de territorialisation. Ainsi, l’espace
de production de pavot à opium est convoité par, pour et contre l’opium. La territorialisation se fait par l’opium car il permet de financer les
conflits. Ce processus se fait pour l’opium puisque c’est l’espace de production du pavot à opium qui est convoité. Enfin cette
territorialisation peut se faire contre l’opium dans le cadre de la lutte antidrogue.
Par leurs contradictions ces différents processus de territorialisation créent des situations géopolitiques. L’auteur étudie plusieurs exemples
de ces situations géopolitiques dans le Triangle d’Or et le Croissant d’Or.
L’auto entretien de la guerre et de la drogue
Par ce processus de territorialisation l’économie de l’opium permet donc de maintenir et de développer les conflits des deux espaces
étudiés. Ici l’auteur démontre que l’opium a un rôle économique et stratégique qui en fait « le nerf et l’enjeu de la guerre ». Pierre-Arnaud
Chouvy rappelle aussi l’utilisation de la drogue comme moyen de pression politique, économique et stratégique. L’économie de l’opium
alimente les conflits, mais ces derniers dynamisent aussi l’économie de l’opium.
Il y a donc un phénomène d’auto entretien de la guerre et de la drogue.
AFGANISTAN ET BIRMANIE : L’IMPACT DU FACTEUR POLITIQUE SUR LE RECOURS À L’ÉCONOMIE DE L’OPIUM
Isolement diplomatique et fragmentation politique
L’auteur développe l’analyse de différentes situations géopolitiques afin de démontrer l’influence du facteur politique sur le recours à la
narcoéconomie dans le Triangle d’Or et le Croissant d’Or. Il effectue une analyse comparative détaillée du cas de la Birmanie et de
l’Afghanistan qui sont les deux producteurs majeurs d’opiacés.
Cette analyse démontre que les politiques isolationnistes birmanes et afghanes ont ensuite conduit à un isolement diplomatique
international. C’est cet isolement diplomatique qui a stimulé le recours à l’économie de la drogue en tant que moyen d’intégration au
marché mondial. Pierre-Arnaud Chouvy souligne que ces deux états sont ceux qui présentent les mosaïques ethno linguistiques les plus
importantes du Triangle d’Or et du Croissant d’Or.
Ainsi la domination politique des Pachtouns et des Birmans sur les autres communautés engendre une fragmentation politique qui pérennise
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Les territoires de l'opium
les conflits et qui appelle donc à l’économie de l’opium.
La pérennisation des conflits armés
En insistant sur le facteur politique l’auteur démontre que la corrélation drogue-sous-développement ne prévaut pas dans le processus du
recours à l’économie de l’opium dans ces espaces. C’est donc la pérennisation des conflits armés depuis 1948 et 1979 qui ressort de cette
analyse comme variable explicative des cas birmans et afghans.
Toutefois le sous-développement favorise les conflits ethniques qui entraineront eux-mêmes le recours à l’économie de la drogue. PierreArnaud Chouvy dévoile donc un phénomène d’auto entretien entre les fragmentations politiques, les politiques isolationnistes et l’isolement
diplomatique, les conflits prolongés et le recours à l’économie de l’opium.
La légitimité de l’Etat
Le dernier élément qui ressort de l’analyse des situations géopolitiques de l’auteur est la légitimité de l’état. En effet, en Birmanie et en
Afghanistan le pouvoir de l’état ne repose pas sur sa légitimité mais sur la coercition. Le recours à l’économie de la drogue peut ainsi
permettre une intégration politique et économique à l’encontre de l’état. Mais paradoxalement la narcoéconomie offre à l’Etat un pouvoir de
négociation qui permet d’assoir son autorité.
Eclairage
Les Territoires de l’opium analyse de façon complète le processus aboutissant à l'émergence du Croissant d’Or et du Triangle d’Or.
L’analyse géopolitique des facteurs de spatialisation dans la production et des trafics de l’opium montre ainsi sa pertinence. L’espace
est appréhendé comme un enjeu, où se conjuguent et s'affrontent des dynamiques territoriales portées par des acteurs dont les
motivations deviennent alors plus claires. Une appréhension géopolitique fondée sur de solides bases géographiques s'avère à la
lecture de cet ouvrage précieuse pour comprendre le phénomène de ces narcotiques.
Il reste pour cette raison d'actualité, et pas seulement pour qui s'intéresse à l'histoire de ces trafics, bien entendu indispensable pour
comprendre ce qui se passe aujourd'hui.
Laura Bachellerie
Les territoires de l’opium. Conflits et trafics du Triangle d’Or et du Croissant d’Or Pierre-Arnaud Chouvy Octobre
2002, Olizane, Genève (ISBN : 2-8808-6283-3). 539 pages, 27 cartes originales 24, 70 € Préfaces des professeurs Yves
Lacoste et Roland Pourtier.
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