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E E S O O travaux et documents de l'Unité Mixte de Recherche 6590 ESpAcES ET SOcIETES DOSSIER : SANTE octobre 2015 39 ESO UMR 6590 Espaces et Sociétés universités :Angers-Caen-Le Mans-Nantes-RennesII E ESO O Travaux eT documenTs PublicaTion semesTrielle de l'uniTé mixTe de recherche 6590 du cnrs esPaces eT sociéTés secrétariat de rédaction monique bigoteau nantes cnrs umr 6590 université de nantes bP 81227 44312 nantes cedex 3 eso - tél. (33)02 53 48 75 57 - (fax)(33)02 53 48 75 50 e-mail : [email protected] site : http://eso.cnrs.fr comité de rédaction monique bigoTeau, nantes ; serveT erTul, le mans ; vincenT gouëseT, rennes ; benjamin Taunay, angers ; jean-françois Thémines, caen ; véronique van Tilbeurgh, rennes direcTeur de PublicaTion : vincent gouëset, eso - umr 6590 - cnrs, université rennes concePTion édiToriale eT secréTariaT de rédacTion : monique bigoteau, eso dao - carTograPhie : théodora allard, eso imPression : imPrimerie la harPe, rennes issn : 2117-931x - - ii nantes, ingénieure de recherche cnrs rennes, assistante-ingénieure cartograPhe cnrs 3 colloques, séminaires • « Le beau, le bon, le vrai » : Interroger les normes environnementales en sciences sociales, Jean-Baptiste Bahers, emmanuelle Hellier, nadia Dupont, p. 7-16 • « Sexualités : des lieux et des liens », 3e biennale Masculins/Féminins, colloque international, compte rendu, Jean-marc Fournier, emmanuel Jaurand, p. 17-20 • « Tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu, Xavier michel, p. 21-26 résumés De travauX • L’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale. Echelle nationale et locale (le cas du Maine-et-Loire), Jean-Pierre Ducos, p. 29-40 • La ressource territoriale comme facteur-clé du développement durable local, rose-marie Grenouillet, p. 41-52 Position De recHercHe • Une approche comparée des politiques régionales d’innovation. Les cas de la Bretagne et du SørTrøndelag (Norvège), elena Dantec-Gernigon, p. 55-62 • Ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en Inde. L’exemple du Rajasthan, nicolas Bautès, p. 63-76 Dossier santé • Une brève histoire de la santé dans les travaux de ESO, sébastien Fleuret, p. 79-84 • Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé. Quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes enceintes ou ayant récemment accouché dans la ville de Rennes, clélia Gasquet-Blanchard, anne-cécile Hoyez, p. 85-89 • Automédication : pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. Étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise, sébastien Fleuret, stéphanie larramendy-magnin, laurent Brutus, p. 91-101 s o m m a i r e • Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires. Regards croisés en Pays de la Loire, et au Québec, léa Potin, p. 103-107 • Les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile : pratiques spatiales dans les espaces du quotidien, sarah Painter, p. 109-112 • Étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris, Béatrice Georgelin, p. 113-117 • Analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents, l’exemple du dispositif Maison des Adolescents du Calvados, métilde Havard, p. 119-122 • Les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge. Du cadre d’analyse socio-spatiale de la vulnérabilité des personnes âgées à une recherche sur les personnes immigrées, aurélien martineau, p. 123-126 eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 5 colloques séminaires séminaires colloques colloques séminaires colloques séminaires colloques séminaires colloques séminaires colloques séminaires eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O « le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales 7 jean-baptiste bahers emmanuelle hellier nadia dupont umr L’objet de cet article est de livrer un compte rendu a posteriori, subjectif et dé-disciplinarisé du séminaire tenu dans le cadre des séminaires d’ESO-Rennes sur les normes environnementales. L e groupe séminaire ESO-Rennes avait proposé en juin 2013 que soit posée une question relative au contexte de l’action publique en matière environnementale. L’environnement doit être compris au sens large non seulement comme l’ensemble des éléments composant le milieu physico-naturel, mais aussi comme le cadre de vie construit des sociétés. Or, dans des domaines aussi variés que l’urbanisme, les paysages ou les services urbains, la référence à des règles formelles et légales organise le champ des possibles, notamment en fonction des directives européennes et des lois nationales. Parmi ces règles, les normes (de qualité, de constructibilité, d’usages, de composition…) jouent un rôle central, en produisant de notre point de vue des définitions de ce qui est « beau, vrai ou bon ». Les règles normatives ont pour ambition de représenter un « idéal éthique », un appel à la « responsabilité « écocitoyenne » de tous les acteurs », et doivent atteindre un « certain degré d’universalité » (Roy, 2013). Dans le domaine de l’environnement, ces normes sont complexes à appréhender car elles relèvent de multiples cadrages, renvoyant à des connaissances spécifiques (écologiques, biologiques, sanitaires, économiques), à différents régimes (propriété privée, intérêt public), à différents contextes (risque, gestion quotidienne etc.), et à des enjeux de portées différentes (publics, professionnels, locaux, mais également nationaux, voire internationaux) (Mormont, Mougenot et Dasnoy, 2006). eso rennes - cnrs 6590 - université rennes 2 tent un intérêt scientifique partagé par un certain nombre de chercheurs, dans la mesure où ces cadres sont observés dans leur mise en application dans les territoires et par le biais des réactions et adaptations qu’ils suscitent de la part des groupes sociaux et acteurs locaux. Notre questionnement était alors de savoir si les normes environnementales, dans leurs dimensions réglementaires et techniques, font sens pour les acteurs locaux impliqués dans la gestion ou la préservation des espaces ou des ressources (I). Ce faisant, nous interrogeons aussi la capacité des acteurs à s’approprier ces normes, voire à en produire d’autres, et surtout à les mobiliser dans le cadre de controverses d’aménagement et d’environnement (II). Il reste que si l’application des normes s’inscrit souvent dans des périmètres et zonages, les rapports sociaux à l’espace local ne sont pas pris en compte dans leur mise en œuvre, contrairement aux considérations techniques et économiques (III). Dans les interventions supports de cette réflexion (cf. encart ci-dessous), les types et les niveaux de normes évoqués sont hétérogènes, et le défi de cette tentative de compte rendu est bien de faire dialoguer ces différents niveaux d’appréhension, relatifs à des approches distinctes plus encore qu’à des approches disciplinaires différentes (sociologie, droit, aménagement, géographie…). Au sein d’ESO et particulièrement de l’axe Action publique, les cadres institutionnels de l’action susci- eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 8 « le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales liste des interventions supports et disciplines Journée du 02/12/13 Benoît Montabone, Emmanuelle Hellier, Géographieaménagement, Introduction au séminaire: « Le beau, le bon, le vrai. Interroger les normes environnementales en sciences sociales ». Nadia Dupont, Emmanuelle Hellier, Géographie-aménagement, « La qualité sanitaire et environnementale de l’eau potable: quelle cohérence des normes: entre discours, perceptions et réglementation? ». Jean-Baptiste Bahers, Évaluation environnementale et aménagement, « Une lecture par les normes d’un dispositif environnemental: le cas de la gestion des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) ». Journée du 20/01/14 Béatrice Quenault, Économie et aménagement, « La résilience: nouveau régime normatif pour la gestion des risques de catastrophe? » Jean-François Inserguet, Droit public, « Préservation des espaces naturels et agricoles par les documents d’urbanisme: densification et gestion économe des espaces ». Journée du 12/05/14 Caroline Le Calvez, Géographie-aménagement, « Qualité écologique et résistances usagères sur le bassin-versant de la Seiche » Journée du 30/06/14 Véronique Van Tilbeurgh, Sociologie, « Émotions et valeurs dans la négociation des normes environnementales » i- les reGistres De la norme L’enjeu scientifique de la mobilisation du concept de norme environnementale peut être proche de celui de la prescription, établie comme une injonction politique top-down (même si parfois les normes sont aussi bottom-up dans le domaine de l’éducation par exemple). L’expression de « norme environnementale » est parfois employée dans le sens donné par le « “génie sanitaire urbain“ comme l’ensemble des normes, savoirs, savoir-faire et équipements destinés à améliorer les conditions sanitaires du milieu urbain » (Frioux, 2009). Ce type d’ingénierie à double facette, sanitaire et environnementale, a plusieurs sortes d’outils à disposition: la réglementation, l’incitation économique et la planification (Rollin, 2009). La question en filigrane repose sur ce que cela implique comme appropriations, critiques et réactions dans la société civile. En effet, « la norme renvoie aussi à une approche autre que technique qui prend en compte Colloques, séminaires les règles qui président au (bon) fonctionnement de la société. Bref à une vision éthique de celle-ci » (Méquignon, Mignot, 2015). C’est dans cette optique que nous abordons successivement la norme comme principe et forme de régulation puis comme référence fondée sur des seuils négociés. 1. ce qui fait norme et relation avec d’autres principes connexes Plusieurs registres de normes sont sollicités selon les objets opérationnels. Premièrement, celui de la norme juridique constitue une dimension incontournable pour ces objets dits environnementaux. Une illustration peut être fournie par la politique de protection de l’eau, régie dans l’Union Européenne par la Directive-cadre sur l’Eau (2000). Selon Barraqué (2005), il existe ainsi trois grands registres de normes dans le domaine de l’eau: « la norme de procédé ou obligation de moyens […], celle d’obligation de résultats à atteindre au niveau de l’objectif final visé […], et celle d’obligations de résultats de niveau intermédiaire, visant par exemple les rejets (comme les normes d’émission) ». Ainsi, la gestion de l’eau ou des déchets est encadrée par des normes qui définissent les nouveaux modèles d’action (Bahers, 2013). Plus que des référentiels, ce sont des ensembles de règles d’usages, de prescriptions techniques, relatives aux caractéristiques d’un produit. La norme est « ce qui doit être ». On peut dès lors parler de dispositif socio-technique car cet assemblage de contraintes techniques s’applique à plusieurs niveaux de gestion et à plusieurs acteurs intervenant dans les filières. Le cas de la gestion des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) est éloquent: la réglementation implique des contraintes techniques, tant dans la conception des produits et leur recyclage en fin de vie que dans les exigences organisationnelles du financement des opérations. Les questions de recherche, qui en découlent, interrogent la cohérence des normes entre discours, perceptions et réglementation. Est-ce que ces normes produites par des instances publiques et des groupes d’intérêt privés représentent le « bon » pour tous les acteurs, notamment pour ceux qui y sont soumis dans leur activité? La diversité des niveaux d’appréhension « le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales permet-elle de guider l’action publique? S’intéresser à la norme environnementale suppose également de questionner sa traduction en injonctions techniques et en implications spatiales et sociales. Enfin, le regard critique du chercheur sur l’application des processus normatifs est inévitable pour déconstruire l’objet d’étude. Ainsi, la multiplication des normes est souvent jugée comme probablement contre-productive, comme dans le domaine de l’eau potable: « Les progrès des connaissances scientifiques ont conduit à une prolifération de normes de qualité d’autant plus incompréhensibles pour le public que celui-ci, longtemps écarté des cercles décisionnels, est resté attaché à des critères esthétiques et organoleptiques pour juger de cette qualité » (Barraqué, 2005). En outre, il ressort de plusieurs interventions des chercheurs d’ESO-Rennes que les normes tendent à figer l’action publique vers des objectifs standardisés à atteindre, elles réduisent les marges de manœuvre, si bien que les outils des acteurs doivent s’adapter pour y répondre. Cette standardisation et cette application d’un modèle unique, par exemple la Directive-cadre sur l’Eau, sont censées répondre à une attente sociale garantissant la qualité écologique des milieux aquatiques1 et permettre une simplification du processus décisionnel (même si cela n’est pas évident dans les faits). Une autre illustration concerne le domaine de la résilience. Si la résilience n’est pas une norme réglementaire, elle est devenue un nouveau régime normatif pour répondre à la gestion des risques de catastrophe. Elle comprend des injonctions techniques et organisationnelles vers un idéal à atteindre, qui se déroule de la préparation à la crise à l’organisation post-catastrophe. Ce registre se construit dans la conception d’un système socio-environnemental, pour faire face à des situations « hors norme ». Ainsi, le régime normatif de la résilience est devenu un concept de référence, mais difficile à opérationnaliser, utilisé par divers acteurs aux finalités multiples, voire contradictoires, qui portent des valeurs et des projets de société très différents. À l’opposé, certaines normes sont des applications de dispositifs généraux destinés à la mise en œuvre de volontés politiques. Par exemple, la production par la loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010 de nouvelles 9 mesures en matière de densité maximale de constructions et de qualité urbaine, architecturale et paysagère a engendré l’évolution de la réglementation relative aux documents d’urbanisme et d’aménagement - que sont Plans Locaux d’Urbanisme (PLU)2 et Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT)3. Dans ce cas, il s’agit non pas d’une norme qui définit un ensemble de règles définitives et obligatoires, mais d’une réglementation qui offre aux collectivités territoriales la faculté d’intervenir dans ces domaines par l’intermédiaire des SCOT et des PLU. Dans ce cadre, le concept de normes environnementales est dès lors sollicité par le chercheur pour interroger l’évolution du « verdissement » des politiques territoriales et le rôle des acteurs dans l’application de celles-ci. Des registres de normes très différents sont aussi évoqués, tels que les fonctions normatives des émotions4. Ce registre concerne la dimension émotionnelle dans les négociations, par exemple autour de l’implantation d’éoliennes en Bretagne. Il s’agit de l’adhésion à un projet à partir de valeurs intrinsèques (beau/juste/vrai). 2. les notions de « bon niveau » et de « bon état » : des critères et des seuils négociés Les normes environnementales sont associées à des critères, des seuils et des mesures métrologiques qui régissent le « bon niveau » et le « bon état ». En effet, elles ont « une dimension qui renvoie directement aux sciences de la nature et à la connaissance de « ce qui est ». On se verra donc dans l’obligation de faire des mesures et d’établir des liens de causalité entre les phénomènes, de manière à fonder scientifiquement les seuils minima et maxima que comportent 1- La sécurité sanitaire des eaux brutes destinées à la consommation humaine est définie par des seuils édictés par des Directives antérieures 2- Le PLU est le principal document de planification de l’urbanisme et de l’occupation des sols au niveau communal ou intercommunal. 3- le Le SCoT est un document qui traduit un projet de territoire, à l’échelle de plusieurs communes ou groupements de communes, visant à mettre en cohérence l’ensemble des politiques sectorielles notamment en matière d’urbanisme, d’habitat, de déplacements et d’équipements. 4- L’émotion, dans le champ sociologique et psychologique, est une perturbation provenant d’un échec de l’habitude et la réflexion qui suit est un effort de réajustement. Elle survient quand une situation dément ou dépasse les croyances (et la confiance) ou quand les désirs/objectifs ne sont pas appropriés à la réalité. Ces émotions laissent le choix de la résistance au démenti des croyances ou de la révision des attitudes ou de la réalité. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 10 « le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales toutes les normes » (Roy, 2013). Ces seuils sont aussi de registres très différents et découlent de processus hétérogènes. Dans le cadre de la gestion de l’eau, le « bon état » se réfère à des éléments qui concernent la qualité des eaux. On fait appel au bon état écologique comme unique et hypothétique état d’équilibre, mais qui a des expressions diversifiées et évolutives. Ainsi, ce bon état se détermine selon des paramètres chimiques, biologiques et morphologiques. La norme est ainsi bâtie sur des paramètres pouvant évoluer, mais qui sont nécessaires pour juger, évaluer et comprendre. Par ailleurs, le choix des paramètres retenus résulte de la prise en compte d’une expertise et/ou de rapports de force portés par les lobbies professionnels, économiques et politiques à l’échelle européenne dans le cadre des directives sur l’eau. Néanmoins, l’application réglementaire d’un seuil précis peut être perçue par les gestionnaires de la production d’eau comme un effet « couperet ». Cela est important car de ces normes découlent des arrêtés préfectoraux qui peuvent entraîner jusqu’à la fermeture des installations de prélèvement d’eau (Hellier, Michel-Guillou, Dupont, 2013). Concernant la gestion des déchets, l’objectif du « bon état » se justifie par l’amélioration générale de la réduction des volumes de déchets enfouis et incinérés et de la récupération des ressources pour les réintroduire dans les cycles de production. Cela implique une mise aux normes pour les premiers acteurs concernés, c’est-à-dire les entreprises de gestion des déchets, ainsi qu’un changement d’habitude. Ces seuils concernant la filière des DEEE sont définis à l’échelle européenne par le démantèlement de tous les composés dangereux (condensateurs au PCB, cartes de circuits imprimés, câbles, moteurs, etc.) et des objectifs de collecte et recyclage chiffrés sur le gisement total des déchets. Ce sont des exigences minimales de performances, comme par exemple les normes de certification forestière (Tozzi et al., 2009). Les éco-organismes5, responsables du fonctionnement financier et organisationnel de la filière, doivent contrôler et auditer les entreprises pour vérifier le respect des normes environnementales. 5- Sociétés à but non lucratif, créées par et pour les producteurs d’équipements électriques et électroniques agréées par l’Etat. Colloques, séminaires Elles ont même le pouvoir de les exclure de ces marchés. Les opérateurs de traitement perçoivent dès lors ces contrôles comme de véritables occasions de sanction. Certaines entreprises ont été menacées de liquidation, lorsqu’un éco-organisme mit un terme à un contrat pour cause de non atteinte des seuils normatifs de performance. La norme tend à favoriser des mesures et des solutions à dominante technologique et ingénieuriale (tels que des ouvrages de protection). Concernant la résilience, les objectifs-seuils sont de réduire les conséquences des dommages potentiels par une protection (physique et civile), en donnant notamment la priorité aux mesures défensives et réactives. Ces seuils, nécessaires à la définition de ce qui « doit être » ou du « bon état », font parfois l’objet de réactions importantes: ils sont perçus comme arbitraires, alors qu’ils sont souvent issus de longs compromis. En particulier, les acteurs, gestionnaires et opérateurs assujettis à ces normes peuvent avoir des perceptions spécifiques des seuils, les vivant comme des « effets couperets », en les plaçant du « bon côté » de la barrière ou du « mauvais ». Parfois, les normes législatives et réglementaires relatives à l’urbanisme et à l’environnement donnent lieu à des incohérences. Par exemple, les dispositions relatives au SCOT et celles concernant les PLU peuvent être antagonistes. Le premier peut ainsi, depuis la loi Grenelle 2, fixer un seuil minimal de densité (correspondant dans ce cas à un plancher de densité), donc de hauteur notamment, alors que le second ne peut prévoir que des hauteurs maximales. Le captage de l’Horn dans le Finistère est un autre exemple révélateur de paradoxes dans l’application des normes environnementales et sanitaires. Du fait d’une concentration élevée en nitrates du captage sur l’Horn, une usine de dénitrification a été mise en place dans les années 2000 et permet de distribuer une eau conforme aux normes de distribution. Mais un contentieux européen au nom de l’environnement (normes sur les eaux brutes) a abouti à la fermeture du captage en 2009 et à l’ouverture d’une nouvelle prise d’eau sur un autre affluent. Cette application de la norme a pour conséquence paradoxale la distribution d’une eau plus chargée en nitrates qu’auparavant, à un coût économique élevé – lié à l’inutilisation de l’usine neuve et à « le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales la construction de nouvelles canalisations - et d’engendrer un flux d’eaux plus chargées en nitrates dans la baie de l’Horn. Cette application de la norme différente au cours du temps induit donc un paradoxe environnemental et sanitaire. Issues d’un processus de production complexe, les normes réglementaires et administratives en environnement existent aussi en tant qu’elles font l’objet des modalités d’accompagnement, d’application, d’intervention, de réception, de négociation voire de contournement. C’est ce volet relatif à la norme dans ses usages par ses acteurs que nous développons dans la section suivante. ii- usaGers, Gestionnaires et oPérateurs Privés et PuBlics : les acteurs Face auX normes Cette section interroge ainsi le rôle des acteurs face aux normes. Ils sont suivant les cas des usagers, des gestionnaires et des opérateurs. Existe-t-il une forme de négociation de la norme aboutissant à son adaptation? De nombreux travaux ont montré que le rôle d’acteurs, comme les citoyens et les profanes, est parfois de modifier et de susciter de nouvelles connaissances d’opposition, qui conduiront à l’exigence de rediscuter les normes produites par des experts (Mormont, Mougenot et Dasnoy, 2006). Ainsi, certains chercheurs analysent des méthodes intéressantes (tel que la corégulation) pour « accroître la participation des destinataires et la flexibilité de la norme » (Roger, 2009). Dans tous les cas, il est demandé aux gestionnaires et usagers des espaces des efforts d’acculturation aux préoccupations environnementales et aux règles qui en découlent pour prétendre à mener leurs activités (Rollin, 2011). Cela n’empêche pas l’émergence régulière de processus de discussion et de controverse autour de la légitimité des normes en vigueur et de leur application. 1. Perceptions, interprétations et mobilisations des acteurs locaux et des usagers face aux normes Les perceptions et interprétations des normes sont très divergentes selon les acteurs et les objets d’étude. La lecture des positionnements sociaux, professionnels, individuels face à ces règlements est 11 ainsi très révélatrice. Le plus souvent, les acteurs et usagers suivent et appliquent les normes, et parfois ils participent à leur émergence. Cette réappropriation peut conduire à des incertitudes sur l’intérêt à le faire : « Mais si c’est l’industrie qui impose les lois, définit les normes, lisse les comportements, l’analogie [de l’économie circulaire] devient trompeuse : elle fait passer la merveilleuse mécanique de la production industrielle pour un cycle naturel que nous aurions mauvaise grâce à enrayer par notre retenue. » (Hurand, 2014). Ainsi, certains acteurs, comme ceux de l’industrie dans le cas précédent, pourraient avoir un intérêt stratégique à participer à l’émergence d’une norme vertueuse pour l’orienter selon leurs intérêts. Dans le domaine de l’eau, la « bonne qualité » est décrite dans les entretiens différemment selon les statuts des acteurs6. Selon la fonction (élu communal, technicien, exploitant, représentant associatif), le discours est focalisé tantôt sur le bon état écologique, tantôt sur les coûts de traitement, ou encore sur les usages de l’eau potable. En complément, les habitants interrogés désignent une « eau de qualité » par un bon état chimique ou comme une eau « naturelle », qui plus est en fonction d’un usage quotidien « sans danger ». Ainsi, questionner la qualité de l’eau selon les acteurs et les usages est délicat : le recours à la norme n’est pas évident, notamment en termes de légitimité, de représentativité et de pérennité. D’ailleurs, lorsqu’on demande aux habitants quelle est leur norme d’appréciation personnelle pour juger de la qualité de l’eau, ils répondent par des critères organoleptiques (qui sont contenus dans la norme), par la confiance dans la réglementation, et par l’identification d’éléments indésirables comme les nitrates. Dans le cadre de la gestion des déchets, l’application des normes est plus contraignante pour certains acteurs que pour d’autres. Par exemple, des entre6- La méthodologie d’entretiens en Ille-et-Vilaine et dans le Finistère consiste en : 22 entretiens semi-directifs systématisés : acteurs élus, techniciens AEP, exploitants, responsables SAGE (Entre autres questions, évaluation de l’état de la ressource et définitions de « l’eau potable » et de « l’eau de qualité ») ; 135 questionnaires habitants (dont agriculteurs) (18 questions : perception de l’eau du robinet, pratiques de consommation et connaissance du système de gestion) eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 12 « le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales prises d’insertion n’ont pas pu s’adapter à de nouvelles normes les excluant mécaniquement des marchés. On peut observer dans d’autres filières, comme celle du bois, des processus d’exclusion d’entreprises en rendant le coût de mise en conformité trop élevé (Tozzi et al., 2011). À l’opposé, certains chercheurs ont montré que le renforcement des contraintes réglementaires dans un pays augmente la compétitivité des entreprises par rapport à des concurrents qui ne sont pas soumis aux mêmes normes, en stimulant la position concurrentielle des firmes les moins polluantes sur les marchés internationaux (Boiral, 2005). D’autres acteurs, comme les éco-organismes, ont le rôle plus facile de relayer les normes, ce qui correspond à leur cadre d’action. Les entreprises de traitement des déchets se sentent les plus contraintes, notamment par les éco-organismes qui leur demandent un respect rigoureux des normes sans leur garantir de les retenir dans leurs appels d’offres. Cette situation engendre une instabilité commerciale forte, des pratiques de fraudes et des marges de manœuvre faibles. En outre, les collectivités et les consommateurs sont sollicités seulement à l’aval de la mise en œuvre des normes et ne participent pas à leur construction, alors qu’ils sont les premiers concernés et qu’il leur est demandé de se responsabiliser. Certaines normes ont un impact direct sur le cadre d’action de certains acteurs (comme les constructeurs par rapport aux nouvelles dispositions de « plancher de densité »), d’autres normes exercent un impact indirect. Ainsi, les contraintes d’un SCOT (intercommunal) peuvent être très lourdes pour les communes, dont le PLU peut être annulé par le juge administratif si ce dernier estime qu’il ne répond pas à toutes les contraintes et est donc incompatible avec le SCOT. Par ailleurs, le diagnostic territorial inclus dans ce schéma doit analyser la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers au cours des dix dernières années et doit proposer des objectifs chiffrés de lutte contre l’étalement urbain. Ces derniers peuvent « éventuellement » (comme le précise la loi) être ventilés par secteur géographique. L’analyse d’études de cas montrerait sans aucun doute des conflits d’usage de l’espace par différentes activités plus ou moins consommatrices d’espace. Colloques, séminaires 2. conflictualité des normes : controverses, négociation, contournements La mise en application des normes devient parfois le sujet de controverses et de conflictualités importantes, dans lesquelles le. la chercheur. e est parfois plongé(e) et mis(e) à contribution par la demande sociale: « Le cas des « controverses environnementales » vient modifier les rapports qu’entretiennent recherche et expertise dans le champ de la sociologie [….] en matière de production de normes adaptées à l’urgence des enjeux environnementaux » (Grisoni et Némoz, 2013). Des conflits d’aménagement apparaissent dans le domaine de l’eau, notamment sur le sujet de la continuité écologique qui apparaît aujourd’hui comme la norme pour l’aménagement des cours d’eau; ces conflits montrent un rejet de l’action publique topdown et de ses injonctions en rupture avec les perceptions locales des usages. L’application de cette nouvelle norme remet en cause les perceptions des cours d’eau par certains acteurs ancrés sur des pratiques locales. Néanmoins, face à ces conflits, l’action publique développe des processus de concertation et de recherche de solutions consensuelles, en adaptant au besoin les argumentaires et dispositifs d’accompagnement public. Des conflits sont aussi présents dans le domaine des déchets, entre les collectivités et l’État, qui s’est désengagé au profit d’éco-organismes dont la gouvernance est uniquement influencée par une logique marchande. La régulation de l’environnement par le marché montre ses limites quand l’État qui agrée les éco-organismes, n’arrive plus à contrôler leur action et limiter les dysfonctionnements (filières au bord de la banqueroute ou de l’overdose, monopole après le rachat d’un éco-organisme par un autre, scandales financiers), car ces derniers sont devenus très puissants, incontournables et indispensables. Il en résulte des relations très tendues entre les éco-organismes, qui ne respectent pas leur engagement dans certaines situations, et les collectivités avec les contribuables qui subissent les conséquences financières et organisationnelles. Les normes environnementales, qui en tant que normes juridiques s’affichent comme transcendantes, sont très souvent négociées selon des registres d’émo- « le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales tions et de valeurs. Le chercheur va ainsi s’approprier la norme comme un état initial de la négociation à partir duquel se joueront des émotions collectives qui bloqueront ou non les dispositifs de négociation. Le cas des parcs éoliens en Nord-Finistère met en évidence des temporalités et des territorialités différentes de la contestation. Dans le cas des négociations environnementales, les seuils des normes d’action sont plus difficiles à mesurer. Le « bon niveau » se caractérise selon des émotions et des valeurs qui vont avoir des incidences sur la confiance collective. Dès lors, la progression de la contestation est liée à une rupture dans l’attribution de la confiance au réseau du pouvoir, qui s’exprime suivant différentes émotions collectives. Entre l’instruction des dossiers, l’acceptation du permis de construire et l’inauguration des parcs éoliens, la mise en scène des conflits évolue beaucoup selon la confiance dans le pouvoir local, en particulier municipal. Les expressions des émotions collectives, autour de l’opposition juste/injuste, se transforment, passant de quelques inquiétudes individuelles, à un début d’émotions collectives jusqu’à l’expression d’une souffrance en incorporant la plainte. La plupart des interventions des chercheurs, s’appuyant sur des études de cas (remontée des poissons migrateurs dans l’Aulne, rivière canalisée, parc naturel marin d’Iroise, fermetures de captage d’eau potable) ont mis en évidence pourquoi et comment l’application des normes environnementales soulève des controverses environnementales alors que ces normes sont chargées de « mettre tout le monde d’accord ». Dans le même ordre d’idées, la norme réglementaire et technique a une visée universalisante vis-à-vis de l’espace, tandis qu’elle reste perçue sans doute différemment en fonction des pratiques et rapports à l’espace des collectivités et entités chargées de les mettre en œuvre et de les appliquer. iii- esPaces et normes environnementales Cette dernière partie est nécessaire pour l’approche scientifique fédératrice (celle des rapports sociaux à l’espace). Elle nous conduit à penser la norme environnementale comme objet spatialisé. Il s’agit d’abord de discuter la vocation d’homogénéisa- 13 tion de la norme pour des espaces singuliers, et ensuite d’interroger la confrontation des usages et pratiques locales face aux normes. 1. une spatialisation homogénéisante de l’application des normes dans des territoires hétérogènes L’application des normes a pour vocation d’homogénéiser la règle pour des territoires hétérogènes par le biais de périmètres, zonages, supports. Elle a ainsi cette vocation de s’imposer aux singularités locales, avec l’argument de l’universalité. Cependant, ces différences mettent parfois en lumière une lutte « entre relativisme normatif qui sied bien à certains domaines, et des régimes normatifs locaux, particuliers ou communautaires avec lesquels il s’inscrit » (Roy, 2013). La question de la légitimité de la norme, et de son acceptabilité, se pose donc aussi selon ces variables géographiques. Par ailleurs, d’autres travaux ont montré que dans la pratique et « pour plusieurs raisons, les normes globales, notamment juridiques, laissent des marges de manœuvre aux acteurs chargés de les appliquer » (Rollin, 2009). Ainsi, les acteurs locaux font évoluer leurs pratiques professionnelles, grâce à une augmentation du niveau de connaissances et compétences, conduisant les « territoires de se doter de ressources cognitives plus importantes, ce qui a des conséquences sur la territorialisation de la politique publique » (Rollin, 2009). Dans le régime de la résilience, l’espace est présent par deux entrées. La première concerne la dimension du zonage, que l’on peut retrouver dans la gestion des risques de submersion ou d’inondation. Par sa mission de garant de l’ordre public, l’État identifie réglementairement et techniquement des zones d’aléa et de danger, en partenariat avec les communes. À ces périmètres correspondent des prescriptions spécifiques relatives aux constructions et activités (zones à ne pas urbaniser ou à protéger aux moyens d’ouvrages lorsqu’elles sont déjà occupées), pouvant aller jusqu’à l’interdiction absolue (zone noire). La seconde entrée met en lumière l’abandon d’un régime de solidarité collective pour aller vers une responsabilité individuelle, qui met l’accent sur le renforcement de la capacité d’autonomie ou d’auto-organisation des individus et des communautés (territoires urbains). Les autorités et forces eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 14 « le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales vives présentes dans les territoires sont chargées d’organiser elles-mêmes les secours (mesures d’alertes, évacuation de la population, soins aux personnes…) et le plus rapidement possible la récupération des services de base et la fourniture d’un niveau acceptable de conditions de vie aux personnes touchées. S’il s’agit bien du désengagement de l’État, c’est aussi l’opportunité de développer un outil de démocratie participative et d’autonomie locale pour faire face à des situations territorialisées complexes et incertaines. Dans le domaine de l’eau, les objets de recherche sont clairement spatialisés et cristallisent des enjeux importants de territoires. Il s’agit en effet de bassins vulnérables ou de rivières où se développe un conflit d’aménagement entre action publique et acteurs locaux. Ces scènes locales focalisent des questions techniques, financières et de représentations. Alors que l’application de la norme est généralisée, les dispositifs de remédiation sont, eux, variables selon les espaces régionaux et locaux (dispositifs ad hoc des collectivités s’ajoutant aux dispositifs génériques). Par ailleurs, certains territoires sont très « influents » et diffusent au reste du pays leurs références, ce que montrent des travaux d’historiens: « la capacité des capitales à constituer un réservoir d’expertise et d’accumulation du savoir, en particulier par la présence d’institutions centralisatrices chargées de juger et de définir la science, d’établir des normes et de conseiller le pouvoir » (Frioux, 2009; p. 453). La norme, à visée égalitaire, produit paradoxalement des inégalités par la discrimination de territoires singuliers. L’exemple de la Directive nitrates (1991) pose de nombreuses questions aux gestionnaires: faut-il focaliser les mesures et les actions sur les captages en contentieux et suspendus, soumis à contraintes réglementaires sans contrepartie financière, au détriment des autres bassins, dotés de politiques volontaristes et d’aides? 2. usagers de l’espace : la norme aux prismes des pratiques et expériences de l’espace Dans les processus de sa mise en place à des échelles locales, la norme se confronte à des usagers divers, qui considèrent souvent que leur contexte d’action est spécifique et différent de celui du voisin. Les Colloques, séminaires représentations historiques, les usages et la discontinuité spatiale sont ainsi des perspectives dont les « fabricants » des normes devraient davantage tenir compte. Ces aspects de l’expérience spatiale, de l’espace vécu, échappent le plus souvent aux politiques publiques. Par exemple, la promotion de la continuité écologique des cours d’eau dans le cadre de la DCE privilégie une fonction de l’écosystème considérée comme emblématique, la libre circulation de l’eau, des sédiments et des poissons. En revanche, la prise en compte des pratiques et des expériences des riverains utilisateurs des lieux (exemple: propriétaires de moulins) est un point de vue qui est difficilement retenu dans la mise en œuvre de cette politique, car elle obligerait à une application très hétérogène des mesures. La norme réglementaire s’applique pour contravention à la règle de Police de l’eau (norme nitrates), mais peut produire un effet contre-productif possible d’enfermement et de stigmatisation. Cela questionne aussi des choix de stratégies territoriales entre les lieux « exemplaires » de la reconquête de la qualité de l’eau et des milieux ou des espaces de limitation des dommages pour rentrer « dans la norme ». C’est pourquoi les usagers de ces espaces regrettent notamment le peu de prise en compte de leurs pratiques et expériences (Hellier, Michel-Guillou, Dupont, 2013). Chez les élus locaux, cela produit un sentiment d’« inégalité des territoires », et conduit à l’adoption de solutions techniques sans ancrage local et sans co-construction. Le cas des déchets est aussi illustratif du manque de prise en compte des inégalités territoriales dans l’émergence des normes. Il n’y pas d’enjeu infranational dans le dessein de la norme sur les déchets électriques et cela engendre une exportation régionale et internationale très facile des flux de déchets hors des territoires de production. Pourtant, le principe de proximité est central dans les cadres réglementaires de la gestion des déchets, mais il est peu respecté et surtout faible par rapport aux arguments technico-économiques (une structure performante de traitement même très éloignée du site de regroupement proposera un coût faible en incluant le transport des déchets). Ainsi, les collectivités territoriales ont un rôle « le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales très inefficace, malgré des outils de planification et de gestion, dans le cadre de filières spécifiques. Enfin, les éco-organismes, gestionnaires de ces filières, n’ancrent pas du tout leur action dans les territoires et ne prennent pas en compte les singularités territoriales. Les territoires urbains et ruraux présentent des attributs propres, tels que les difficultés d’emplacement de lieux de tri et regroupement dans les villes et l’éloignement entre usagers et infrastructures dans les campagnes. Ces contraintes territoriales mériteraient des dispositifs différenciés. conclusion Fondé sur des approches diversifiées, ce texte a cherché à valoriser un travail individuel et collectif, qui n’avait pas l’ambition de traiter de la portée théorique et épistémologique du concept de normes, mais visait à éclairer la notion de « norme environnementale » dans ses dimensions réglementaires et territoriales. À l’issue de notre compte-rendu « a posteriori, subjectif et dé-disciplinarisé », et à partir des cas exposés, nous identifions un certain nombre d’apports et de limites de l’application des normes environnementales pour l’aménagement des espaces et pour la participation des groupes sociaux. 15 par le biais d’audiences de pure forme, mais grâce à des dispositifs tels que les sondages délibératifs et les conférences de citoyens » (Bourg, 2009) Les freins au rôle vertueux des normes environnementales sont d’ordre spatial et social. En effet, l’absence généralisée de prise en compte des disparités territoriales, et la difficulté d’imaginer ces normes comme évolutives maintiennent les normes dans leur rigidité et leur standardisation, alors que les configurations territoriales sont variables, et les besoins de régulations évolutifs. On peut ajouter à ces limites d’efficacité et de compréhension pour les usagers, la technicité des réponses possibles au respect des normes, la contestation du bien-fondé en lien avec des objets de controverse scientifique et/ou politique, la difficulté à accepter un référentiel commun. Ces perspectives pourraient permettre d’alimenter une géographie des réponses des usagers face aux normes, dans ce qu’elle nous apprend sur les politiques publiques face aux territoires diversifiées. Exprimée à un moment donné des recherches menées à ESO-Rennes, l’analyse que nous avons proposée reste ouverte; elle aura rempli son objectif si déjà elle fait écho au-delà des co-auteurs et permet à notre communauté scientifique d’identifier un objet pluridisciplinaire prometteur. En ce qui concerne les apports des normes environnementales, plusieurs aspects méritent d’être soulignés: elles constituent un outil, un levier capable de permettre de faire appliquer une réglementation lorsqu’on arrive au bout des négociations ou que les discussions et l’incitation ont échoué. Les acteurs gestionnaires des services d’eau interrogés reconnaissent eux-mêmes que le respect de normes de potabilité les contraint à viser une qualité d’eau « sécurisée ». Par ailleurs, si l’on étudie les politiques publiques relatives à des ressources « naturelles », on peut constater que l’édiction de normes amène à des formes de rationalisation des pratiques dans des domaines à fort impact environnemental (déchets, eau). Enfin la connaissance d’un référentiel commun rend possible des discussions jusqu’au débat public, ce qui ouvre la voie à la démocratie écologique. « La démocratie écologique multiplie les possibilités de contribution du public à l’élaboration des normes environnementales, non seulement eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 16 « le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales BiBlioGraPHie • Bahers J.-B., 2013, « Métabolisme territorial et filières de récupération-recyclage », Revue Développement Durable et Territoires, Appel à communication « Ecologie industrielle et économie de fonctionnalité », [En ligne], vol. 5, n° 1 • Barraqué B., 2005, « Évolution des normes sanitaires et environnementales de l’eau urbaine », Colloque de l’observatoire universitaire de la ville: Développement urbain durable, gestion des ressources, gouvernance, 21-23 septembre, Lausanne, 18 p. • Boiral O., 2005, « Concilier environnement et compétitivité, ou la quête de l’éco-efficience », Revue française de gestion, n° 158, p. 163-186 • Bourg D., Whiteside K., 2009, « Pour une démocratie écologique », La Vie des idées, 01/09/2009. 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Il s’est inscrit par ailleurs dans le cadre plus général d’une évolution institutionnelle et scientifique vers une plus grande visibilité de toutes les questions touchant aux identités liées au genre et à la sexualité, avec notamment la création en 2012 de l’Institut du genre2 dédié à ces recherches. Cela correspondait également à un changement de la société française, changement devenu évident et médiatique avec les nombreux débats et tensions suscités par la loi du mariage pour tous, votée en 2013. Tout en soulignant la nécessité de reconnaître et de prendre au sérieux le rôle de la sexualité dans la création de spatialités et la façon dont les acteurs perçoivent l’espace, notons que le colloque était de fait inséparable d’un contexte social marqué par des changements, des innovations et des réactions d’hostilité. Les 32 communications du colloque étaient réparties en huit ateliers: 1. Désirs; 2. Faire avec la distance; 3. Peur et harcèlement dans l’espace public; 4. Identité de genre et droit à la ville; 5. Homosexualiser l’espace public; 6. Discrimination: faire et défaire la norme; 7. Corporéité et rapport de domination; 8. Fiertés et festivités LGBT. 1- Colloque organisé par l’UMR ESO qui s’est tenu à l’Université d’Angers, les 16 et 17 décembre 2014. http://biennalegenre.sciencesconf.org/ 2- http://institut-du-genre.fr/ 3- À l’exception de : Cattan N., Leroy S., 2013, Atlas mondial des sexualités, Paris, Éditions Autrement, 96 p. eso angers - cnrs 6590 - université angers Certains géographes pourraient estimer que le sujet d’un tel colloque est relativement étroit, comme s’il s’agissait d’une question très annexe et limitée à une petite minorité de personnes. Pourtant, les rares communications des biennales précédentes touchant à la sexualité avaient déjà montré l’importance de questionner les rapports entre espace et sexualités de la manière la plus complète qui soit et avec des objectifs multiples: mettre à jour des rapports sociaux et spatiaux insoupçonnés ou mal connus, renouveler l’approche et les conceptions de l’espace, des territoires et des mobilités, élargir et questionner des frontières disciplinaires. À Bordeaux et Grenoble, des présentations avaient mis en évidence la perpétuation des effets de domination de genre et le rôle premier joué par l’hétéronormativité dans l’accès à l‘espace et à ses ressources, tout comme la possibilité de se déplacer à différents échelons spatiaux. En outre, la sexualité recouvrant à la fois des pratiques et les identités des sujets, elle concerne potentiellement tout le monde et tous les lieux. Il s’agit objectivement d’une question universelle. Mais elle reste aujourd’hui taboue en sciences humaines et sociales, encore trop souvent seulement étudiée sous l’angle de la norme et de la déviance, délaissant souvent le caractère essentiel de l’expression sexuelle dans la construction des réalités sociales et spatiales, notamment en géographie. De fait les travaux dans d’autres disciplines (histoire, sociologie, anthropologie, langues, etc.) sont plus nombreux et plus anciens. Enfin la géographie anglo-saxonne a commencé à aborder ce sujet il y a plus de vingt ans. Ce colloque a donc permis de combler un certain retard de la géographie française3 et à renforcer la légitimité, la pertinence et l’utilité des recherches dans ce domaine. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 18 « sexualités : des lieux et des liens » : 3e biennale masculins/Féminins, colloque international, compte rendu Dans la conférence plénière d’introduction, Line Chamberland, Professeure à l’Université du Québec à Montréal, a rappelé l’évolution de la recherche sur les sexualités dans le contexte canadien en différenciant, d’une part, les universités anglo-saxonnes qui ont développé des Gender and Feminist Studies, et d’autre part, les universités francophones qui donnent moins d’importance à ce thème mais qui bénéficient de programmes de recherche-action. Elle a précisé que l’existence d’enseignements et de recherches sur les questions LGBT dans une université tenait parfois à la seule arrivée d’un enseignant-chercheur, et que ces activités cessaient en cas de départ. Il convient également de noter l’importance des positions théoriques et politiques, desquelles découlent notamment les tensions entre les tenants des queer studies et les féministes. On peut ici rapidement définir les lieux queers comme étant des espaces de résistance contre l’hétéronormativité de la société et contre l’homonormativité des quartiers gay. Il s’agit donc de lieux alternatifs qui visent à s’affranchir des normes dominantes et des stéréotypes. Pour certaines féministes, le cadre théorique des études sur le genre (individualisme méthodologique, théories interactionnistes, intersectionnalité) dilue l’importance des rapports sociaux globaux. L’apparition d’un courant queer matérialiste permettrait de concilier une approche par les rapports de domination et une approche centrée sur les individus. Cette intervention a donc montré combien la recherche au Canada avait avancé avec les années avec à la fois des acquis théoriques et des analyses de réalités sur le terrain. Les deux autres conférences plénières ont permis au public d’écouter une sociologue (Isabelle Clair) puis un géographe (Guy Di Méo). Définissant le genre comme un ordre hiérarchique organisant les relations entre les groupes de sexe, Isabelle Clair a exposé ses recherches sur les modalités des constructions sociales des féminités et des masculinités chez les adolescents de milieux populaires, dans des contextes spatiaux différenciés. Pour elle la sexualité est vue comme un foyer de la construction du genre et de la hiérarchisation des individus. Guy Di Méo a développé l’intérêt du genre pour la lecture de l’espace: il est d’abord un élément essentiel de construction sociale des individus et des groupes (sur la base d’une caractérisation biolo- Colloques, séminaires gique), dont les pratiques spatiales se distinguent; le genre se construit aussi dans un rapport dissymétrique (homme/femme, hétérosexualité/homosexualité, etc.) qui s’inscrit dans l’espace à travers la visibilité et l’invisibilité. Des binômes géographiques tels le territoire et le réseau ou l’espace public et l’espace privé peuvent être revisités et discutés au regard des réalités vécues par les individus. Le premier atelier intitulé « Désirs » a présenté le fonctionnement des FOLSOM de Berlin et de San Francisco. Il s’agit de rencontres annuelles pour des pratiques BDSM (Bondage, Domination, Sado-Masochisme) qui se déroulent aussi bien dans des lieux publics (rues, parcs) que privés (bars, clubs) et semiprivés (appartements ouverts sur l’extérieur). On constate une certaine mondialisation de ces pratiques, notamment grâce à Internet. Il a également montré l’évolution de Venise, ville des plaisirs interdits et du jeu au XVIIIe siècle, devenue aujourd’hui la ville romantique par excellence dans une approche particulièrement hétéronormée. Le deuxième atelier a posé la question de la distance. Il a traité de la vie affective et sexuelle à distance: lorsque les couples et les corps sont réunis dans un espace numérique susceptible d’apaiser l’attente de la future rencontre dans le monde réel. Le cas des migrantes prostituées en France a mis en évidence les lieux majeurs pratiqués: la zone de prostitution (périphérie des villes, abords de forêts, axes routiers, etc.), le logement et les espaces vécus dans le pays d’origine. Il s’agit pour ces femmes d’un double exil: dans un pays étranger et dans des espaces de prostitution. Une étude sur des sites de rencontre Internet rapprochant des hommes handicapés et des femmes valides originaires du Cameroun, du Gabon et de Madagascar a dégagé l’idée que la sexualité pouvait servir de ressource migratoire dans un contexte de mondialisation. Le troisième atelier a posé la question du harcèlement sexuel de femmes par des hommes à Bordeaux, au Caire et à Tunis. Les agressions varient de la « drague lourde » au viol dans des lieux divers, depuis de larges espaces ouverts à des lieux confinés et cachés. Pour les femmes, les contraintes sont fortes la « sexualités : des lieux et des liens » : 3e biennale masculins/Féminins, colloque international, compte rendu nuit et les stratégies adoptées sont diverses. On constate que les mêmes lieux urbains peuvent être perçus comme des territoires érotiques ou anxiogènes selon les individus qui les fréquentent. Le quatrième atelier s’est interrogé sur le droit à la ville et l’identité à Paris et Montréal. Pour les prostitués (femmes, hommes et transgenres) le territoire de racolage est un espace où il peut être davantage possible de gérer la violence que dans le reste de la ville. Pour les femmes hétérosexuelles qui souhaitent pratiquer une sexualité sans lendemain, les lieux de rencontre sont très limités. Il leur faut en conséquence gagner en assurance pour se déplacer en ville la nuit et acquérir de cette manière des compétences et stratégies nouvelles. Par ailleurs, à Montréal, les queers, lesbiennes et queer of color partagent des lieux queers et ont des projets politiques collectifs. À Paris à l’inverse, les lesbiennes radicales et les communautés queers et « transpédégouines » restent isolées, voire opposées, alors que leurs combats se rejoignent. Le cinquième atelier a été consacré aux lieux publics de drague pour hommes: forêts, plages, bâtiments désaffectés, chantiers, parcs, toilettes publiques, etc. Il s’agit de la pratique d’actes sexuels non tarifés entre hommes, ou sexe récréatif, considérée comme illégale (vis-à-vis de la loi) et déviante (vis-à-vis de la norme sociale) ou encore subversive. Il s’agit de lieux discrets, parfois invisibles, à la différence des établissements commerciaux (saunas, sex-clubs, etc.). Se dégagent des formes d’appropriation de l’espace géographique à la fois furtives (rencontres brèves) et durables (le lieu perdure des années). On peut parler de micro-territoires communautaires dans la mesure où ils fonctionnent sur des codes et règles de fonctionnement précis via une logique de réseau permettant la circulation d’information sur l’espace pratiqué mais aussi le filtrage du public. Le sixième atelier a abordé le thème des discriminations. Des études sur le mariage entre personnes de même sexe ont montré que l’annonce du mariage (famille, collègues, public) était facilitée lorsque l’homosexualité des personnes est connue. De plus, on note que certains rituels, symboles ou traditions des 19 mariages hétérosexuels sont reproduits. En France, les débats autour du mariage pour tous ont ravivé des propos et comportements homophobes. Pour les hommes, à la discrimination qui concerne l’homosexualité s’ajoutent d’autres formes de discrimination: les origines ethnoculturelles, être porteur du VIH, certaines attitudes (paraître efféminé), le surpoids, etc. Ces discriminations varient selon les lieux: à l’école, au travail, sur Internet ou encore à l’intérieur même du milieu gay. On peut ainsi dégager des sous-populations aux profils plus ou moins vulnérables et plus ou moins marginalisées en fonction des lieux pratiqués. Intitulé « Corporéité et rapport de domination », le septième atelier a soulevé la question des rapports sexuels entre femmes domestiques noires et leurs employeurs masculins blancs à l’île Maurice, pratique qui constitue un héritage de l’esclavage. Une communication s’est également intéressée à l’exclusion des lieux centraux des travailleuses du sexe et à leur déterritorisalisation pour montrer que ces dernières y répondent par des tactiques spatiales d’appropriation et de reterritorialisation. Entre les habitants et riverains des lieux de prostitution, les responsables des politiques publiques d’aménagement et les prostitué.e.s s’engage un rapport de force qui montre que les lieux de prostitution, mouvants, sont finalement l’objet d’un ordre négocié. Dans un autre registre, l’espace carcéral pour hommes a été analysé par le biais de la pratique du sport. Dans les prisons se dessine un espace sportif hiérarchisé entre hétérosexuels et homosexuels. Cette hiérarchie reproduit la domination des « véritables hommes » sur les détenus homosexuels considérés comme dangereux et vulnérables. Enfin le dernier atelier « Fiertés et festivités LGBT » a rassemblé des chercheurs sur l’analyse des parades LGBT à Sao Paulo, Anvers et Amsterdam pour mettre en avant leurs dimensions festive, revendicative et politique. Dans les espaces-temps des parades (Gay Pride ou marche des fiertés), les minorités LGBT se donnent le droit de faire ce qui est quotidiennement censuré: baiser en public, tenues extravagantes, exhibition de corps mais également participation de parents de familles homoparentales revendiquant leur souhait d’être traités comme des citoyens. Il s’agit eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 20 « sexualités : des lieux et des liens » : 3e biennale masculins/Féminins, colloque international, compte rendu donc d’espaces-temps opposés aux conventions hétéronormatives. Une autre communication a mis en lumière le sens politique de l’occupation de l’espace public par des militantes lesbiennes à Montréal en deux occasions appelées « marches dyke »: la première appelée « la marche des gouines radicales », organisée par de jeunes militantes de mouvements populaires, surtout des queers anticapitalistes, des queers radicaux et des queers of colors, la deuxième marche étant celle des femmes LGBT. Une autre communication s’est intéressée aux pratiques spatiales des adhérents des associations sportives estampillées LGBT. Ces pratiques spatiales sont diverses: créations d’isolats territoriaux temporaires, structuration réticulaire, mise en place de marqueurs territoriaux symboliques, etc. Cette analyse peut être déclinée à toutes les échelles: mondiale (Gay Games ou Outgames), nationale (tournois LGBT), locale (réseaux de convivialité) mais également à l’échelle micro-locale du gymnase et du corps. La table ronde finale intitulée: « Où vont les recherches sur les sexualités et l’espace? » a rassemblé Rachele Borghi, Colin Giraud, Alain Léobon, Stéphane Leroy, Carlos Eduardo Maia et Raymonde Séchet. Les échanges ont mis en avant la grande richesse et la grande diversité des approches au cours des deux journées. Cette biennale était par ailleurs parfaitement en phase avec l’évolution sociale et politique actuelle, ce qui a bien souligné l’intérêt et l’utilité sociale des recherches en SHS sur ces questions. De nombreuses pistes de recherche ont été dégagées pour mieux comprendre dans les années à venir les liens entre lieux et sexualités, et afin de continuer à rompre avec les tabous inhérents à ces questions de recherche. Enfin, les enjeux futurs portent également sur la nécessité de développer des travaux dans les pays du Sud. Pour conclure, on peut affirmer que ce colloque a démontré le grand intérêt des études sur les sexualités et les lieux. Il ne s’agit pas que de pratiques privées et intimes limitées à des espaces restreints et confinés mais de questions de société à part entière. La résistance de la société à aborder ce thème tient au danger potentiel d’une évolution, voire d’un renversement de Colloques, séminaires l’ordre établi, et notamment d’un ordre de domination masculin voire masculiniste. Le colloque a beaucoup insisté sur les pratiques homosexuelles dont on pourrait arguer qu’elles sont minoritaires et d’un intérêt limité pour la société en général. D’un point de vue théorique, cet argument ne tient pas: l’analyse d’une minorité peut révéler un fonctionnement global; par contraste, la périphérie informe souvent sur le centre. D’un point de vue plus pragmatique, les débats houleux en France autour du mariage pour tous ont montré combien les changements concernant une minorité impliquaient en réalité des changements pour l’ensemble de la société. « Tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu 21 xavier michel eso caen umr C e texte se veut un compte rendu1 des lignes directrices du colloque Tourism, travel and leisure Sources of Wellbeing, Happiness and Quality of Life qui s’est tenu à Budapest (Hongrie) du 22 au 24 octobre 2014. Organisé par Atlas: Association of Tourism and Leisure Education Research2, il a rassemblé 95 participants et donné lieu à 72 communications orales. La dimension internationale du colloque (28 nationalités représentées, surtout européennes, mais aussi asiatiques et nord-américaines), la diversité des disciplines (économie, géographie, sociologie, philosophie, sciences politiques, sciences de gestion, mais aussi études touristiques)3 et des terrains (recherche fondamentale ou appliquée) auraient pu constituer autant de difficultés pour créer des liens et des axes majeurs de réflexion structurant le colloque, d’autant que l’addition des notions dans le titre qui lui avait été donné pouvait susciter un foisonnement d’interprétations. Cependant, les références à un état de l’art partagé a minima4 ont permis de poser certaines bases communes d’analyse. Si les trois notions: « tourisme, voyage et loisir » ont été associées, presque toutes les communications ont bien pris comme cadre d’analyse l’activité touristique, au sens d’une combinaison de pratiques de déplacement et de séjour, pour motif de loisirs. Ce cadrage a d’ailleurs amené à faire une distinction avec la notion de « Medical travel », dont le but est plus 1- En prolongement du compte rendu oral effectué le 23 janvier 2015 lors de l’atelier mensuel d’Eso-Caen. 2- Le colloque a été organisé en cooperation avec le Tourism Observatory for Health, Wellness and Spa et le Budapest College of Communication and Business de l’Université des sciences appliquées de Budapest et a été en outre financé par les cotisations à l’association et les droits d’inscription. 3- Cette diversité disciplinaire permet d’élargir les questionnements, par rapport à des colloques sur le bien-être davantage limités aux sciences humaines et sociales (par exemple Espaces, qualité de vie et bien-être, Université d’Angers, 2005 ; International conference on Well-being and Places, Université de Durham, 2009). 4- Par exemple : Uysal Muzaffer, Perdue Richard, Sirgy Joseph (2012), Handbook of tourism and quality-of-life research. Enhancing the lives of tourists and residents of host communities, Springer, et : Voigt Cornelia, Pforr Christof (2013), Wellness tourism A destination perspective, Routledge - cnrs 6590 - université basse-normandie sanitaire (pour traiter une pathologie) que ludique, par contraste avec celle de « Medical tourism », qui représente davantage les offres et pratiques de « Wellness tourism », comme les spas, les établissements de thalassothérapie, et plus largement les équipements censés procurer un état de satisfaction. Au-delà, la session introductive plénière du colloque a eu pour but de questionner les rapports entre santé, bien-être et tourisme, en déclinant le bien-être par les deux notions de wellbeing et de wellness, dont la distinction a déjà été posée5. Wellness renvoie aux activités, ici dans le cadre touristique, vis-à-vis desquelles des capacités et une bonne forme physique sont exercées et/ou recherchées, alors que wellbeing6 dépasse ces dimensions pour représenter un état plus général de satisfaction et de contentement des personnes. Dans le champ du tourisme, cette dernière notion se décline alors au moyen de deux adjectifs: hedonic, lorsque le wellbeing est produit et/ou recherché en lien avec le plaisir, l’agréable, et eudemonic, lorsqu’il est produit et/ou recherché en lien avec le sens à donner à sa vie, et il est intéressant de prendre en compte cette dernière dimension justement vis-à-vis des expériences touristiques, relevant du « hors quotidien » mais en interaction avec l’ensemble du parcours de vie des individus, en lien avec la qualité de vie. La distinction entre wellness et wellbeing amène d’autres questions: est-ce que finalement le wellness ne serait que la dimension commerciale/commercialisée du wellbeing? Le wellbeing « touristique » est-il alors possible sans équipements, sans offres spécifiques de « wellness tourism »? Un des keynote speakers du colloque, Simon Bell, est allé plus loin dans sa conférence7, en soulignant que le tourisme est historiquement lié à l’appréciation des paysages, donc dans une démarche d’intégration aux territoires visités, 5- Fleuret S. (2005). Espaces, Qualité de vie et Bien-être. Presses de l’Université d’Angers, p. 11. 6- Très souvent écrit en un seul mot et sans trait d’union dans les communications du colloque et les ouvrages anglo-saxons. 7- Communication intitulée « Tourism and the landscape : An intimate but overlooked connection ? ». eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 22 « tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu alors que la mise en place des resorts touristiques, notamment ceux qui se présentent avec une dimension de wellness, relèvent finalement de ce qui a déjà été caractérisé comme étant un tourisme enclavé8, amenant à questionner la nature du tourisme, si celuici ne sert plus à la découverte de l’ailleurs et de l’Autre mais n’est plus que l’expression de vacanciers confinés dans des espaces clos. Ceci est d’autant plus questionné que, lors de cette session introductive, différentes tendances dominantes du tourisme ont été présentées: le tourisme culturel dans les années 1990, le green tourism des années 2000, et le wellness tourism des années 2010, même si cette présentation est tranchée et à discuter. La problématique commune à l’ensemble des communications et discussions du colloque intègre nécessairement la dimension systémique. Analyser le wellbeing et le wellness touristiques conduit à associer des temps et des espaces différents, des individus et des groupes différents, entre eux (environnement humain) et en relation avec l’environnement matériel. Trois approches peuvent être identifiées. La relation entre le tourisme et le bien-être s’appréhende dans des articulations entre le hors quotidien et le quotidien des individus: le bien-être de ceux-ci est une construction globale dans leur parcours de vie, les expériences touristiques en étant des étapes. En entrant ensuite dans l’examen de ces expériences touristiques ellesmêmes, c’est la relation aux environnements et aux paysages qui est analysée: le bien-être des touristes peut-il être développé partout, face à des lieux dégradés, « surfréquentés »? Enfin, le bien-être et la qualité des conditions de travail des salariés du tourisme sont observés, ainsi que les effets du tourisme sur les communautés locales. i- l’eXPérience touristique, Partie De la qualité De vie et Du Bien-être Des inDiviDus En matière de relations entre l’expérience touristique et les parcours de vie des individus, s’agissant du bien-être et de la qualité de vie, la littérature scienti8- Cazes G. (1992). « L’antinomie de deux grandes conceptions du tourisme : l’enclavé et l’intégré ». In : Tourisme et Tiers-monde Un bilan controversé Les nouvelles colonies de vacances, Paris : L’Harmattan, p. 159-188. Colloques, séminaires fique a surtout traité la question des effets bénéfiques des expériences touristiques sur la vie quotidienne suite au séjour9. Certaines communications du colloque présentent une analyse plus ample des liens entre l’expérience touristique et les parcours de vie du point de vue du bien-être. 1. l’expérience touristique et le cycle vacancier des individus Ksenia Kirillova et Xinran Lehto10 rappellent tout d’abord l’hypothèse de l’atténuation des effets bénéfiques des vacances à mesure que les individus sont replongés dans leur vie quotidienne Cette hypothèse fonctionne dans le cadre d’une représentation positive du tourisme due à sa nature ludique, évasive et insouciante, en opposition avec une représentation d’une vie quotidienne empreinte de travail, de routine et de soucis. Cependant, leur position s’en démarque, pour aller plus loin que cette dichotomie travail/loisir. D’une part, le bien-être doit être conçu à partir d’un état psychique de l’individu sur le long terme, renvoyant à la notion d’existential authenticity. Cet état ne disparaît pas durant l’expérience touristique, ni après, et est à prendre en compte dans ce que pourra être le bienêtre pendant l’expérience touristique. D’autre part, à l’échelle plus fine du temps touristique, l’état de bien-être n’est pas identique, et fluctue. À partir des travaux déjà existants sur la liminalité touristique et les différentes phases de l’expérience touristique11, Kirillova et Lehto représentent une double courbe avec une opposition maximale entre le niveau d’« existential authenticity » et le niveau d’anxiété au milieu de la période de vacances. Au début de l’expérience touristique, l’anxiété serait élevée, du fait du manque de connaissances de la destination et/ou d’un temps d’adaptation, alors que les bénéfices de l’expérience touristique en matière de bien-être ne sont pas encore advenus. Le milieu de l’expérience comprendrait un « peak » avec niveau 9- Par exemple : Gilbert David, Abdullah Junaido (2004). « Holidaytaking and the sense of well-being », Annals of Tourism Research, Vol. 31, n° 1, p. 103-121, et Sirgy Joseph (2010). « Towards a Quality of Life Theory of Leisure Travel Satisfaction », Journal of Travel Research, Vol. 49, n° 2, p. 246-260. 10- Communication : « An existential conceptualization of the vacation cycle ». 11- cf. Clawson Marion, Knetsch Jack L. (1966), Economics of Outdoor Recreation. Baltimore : Johns Hopkins Press, 328 p. « tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu élevé d’« existential authenticity » corrélé à un faible niveau d’anxiété. La fin de l’expérience touristique serait en revanche marquée par un retour à l’état de début des vacances, interrogeant alors le bénéfice des vacances dans le retour à la vie quotidienne. Cette représentation théorique appelle à être discutée. Elle pourrait correspondre à une des trajectoires de bienêtre dans le déroulement de l’expérience touristique, mais d’autres trajectoires sont possibles. 2. le capital de mobilité des individus Les relations entre les parcours de vie et l’expérience touristique sont aussi appréhendées en fonction d’une différenciation entre les individus selon leur capital de mobilité, au sens d’une capacité à maîtriser leur expérience de mobilité. Ce capital est variable selon les groupes sociaux et les individus. Cette approche amène à considérer non plus seulement les effets des expériences touristiques sur la vie quotidienne ni l’état psychique général de l’individu, mais prend en compte le processus de développement des compétences touristiques, certains auteurs ayant mis en évidence l’existence de carrières de voyages12. Les différentes mobilités interagissent dans ce processus et les mobilités touristiques ne se construisent pas de manière isolée13. Le bien-être des touristes durant leurs vacances14 est alors variable en fonction de leurs parcours généraux de mobilité. Ainsi, les individus avec des pratiques élevées de voyages et séjours touristiques, notamment dans une dimension internationale, mais aussi d’une mobilité résidentielle assez développée, disposent de représentations et perceptions leur permettant de faire avec et d’apprécier chaque destination. Mais les individus ayant une plus faible mobilité générale ont parfois des difficultés à apprécier l’environnement, matériel et humain, de la destination, et donc à développer un état de satisfaction et de bien-être, même lorsque la qualité de vie ou de séjour des destinations est bonne. 12- Pearce Philip L., Lee Uk-Il (2005). « Developing the travel career approach to tourist motivation ». Journal of Travel Research, Vol. 43, n° 3, p. 226-237. 13- Hannam Kevin, Butler Gareth, Paris Cody Morris (2014). « Developments and key issus in tourism mobilities ». Annals of Tourism Research, Vol. 44, p. 171-185. 14- Communication : Xavier Michel, « The Well-being of the tourists during their Holidays ». 23 D’autre part, la capacité à partir en vacances et à maîtriser la mobilité touristique est aussi due à des représentations de l’ailleurs en fonction de l’âge. Pour les personnes âgées, la perception des risques de voyage entre en compte15 à deux niveaux: la prise de décision de partir en voyage touristique, et la satisfaction et le bien-être obtenus à partir de l’expérience touristique. En effet, un niveau élevé de perception de risques va avoir un impact sur l’appréciation de l’expérience ainsi que sur le souvenir qui en sera gardé, même si aucun problème n’est survenu durant l’expérience. Enfin, ce capital de mobilité est aussi à construire, selon Harald Friedl16, par une éducation au tourisme et à l’attention à porter aux ressources des destinations. Le monde doit alors être pratiqué avec curiosité mais prudence, dans la perspective de durabilité. Il insiste sur l’importance de donner du sens aux expériences. Pour cela, il faudrait que les touristes, et d’abord les fournisseurs de services touristiques, possèdent un rapport aux objets et aux lieux qui ne relève pas seulement de la dimension du produit à consommer, mais qui contienne une compréhension du monde, ceci justement dans la perspective de la santé et du bien-être. Afin d’expliciter son analyse, il indique que la situation actuelle serait due à un paradigme dominant de la croissance économique, alors que c’est le paradigme de la “croissance personnelle”17 qui devrait être développé et appliqué, dans une approche de développement personnel et d’échanges avec les autres. ii- l’eXPérience touristique Peut-elle touJours conDuire au DéveloPPement Du Bien-être ? L’analyse plus classique des relations entre les touristes et le « milieu » de la destination touristique a été adaptée aux questions de qualité des espaces et de bien-être par beaucoup de communications du colloque. Différentes approches peuvent être distinguées. 15- Communication : Carlos Cardoso Ferreira, Ana Alfonso Acantara, « Tourism risk perception senior travelers ». 16- Communication : « Sustainable tourism education, a way to health and well-being ? » 17- Personal growth. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 24 « tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu 1. le bien-être du touriste commence (ou pas) à l’aéroport Une communication présentant les résultats d’une recherche utilisant la technique du jeu de rôle a permis d’évaluer les perceptions, positives ou négatives, de dispositifs de contrôle de sécurité, le terrain d’expérimentation étant les aéroports finlandais18. Deux groupes de « passagers » ont été constitués, et ils ont dû subir différentes pratiques de contrôle. Le groupe subissant les pratiques désagréables s’est senti peu respecté, les individus qui le composent ont été affectés par le manque de politesse, de courtoisie, de discrétion, les interrogatoires et les fouilles devant le public pouvant conduire à l’altération de leur image. Ceci a un impact sur l’instant, mais peut aussi influer sur le sentiment de bien-être pour la suite de l’expérience touristique. Le groupe « bien traité » en ressort quant à lui avec une impression plus positive, et la politesse des agents de contrôle aide alors également à rendre les passagers mieux enclins à effectuer les pratiques de contrôle sans contrariété. 2. le bien-être et la relation à la nature paysagère L’analyse, évoquée en introduction, de Simon Bell19 est pertinente pour montrer ce processus de pratiques touristiques aujourd’hui coupées, plus ou moins, de cadres paysagers “naturels”, questionnant l’engagement des touristes avec/dans le paysage. Cet engagement est perçu comme bénéfique, pour développer les exercices physiques, se déstresser, découvrir et apprendre, mais aussi repousser de manière bénéfique sa zone de confort. La pratique des environnements de plein air contribue à rendre les individus plus adaptables et résilients. Ceci n’est plus forcément possible, pleinement, dans toutes les destinations touristiques20. L’urbanisation et le “tourisme de masse” peuvent être analysés comme des facteurs plutôt négatifs vis-à-vis de ces objectifs et bénéfices. Ceci conduit à considérer le “landscape 18- Communication : Petri Hottola, « Security meta-framing and happiness at airports ». 19- Communication : « Tourism and the landscape : An intimate but overlooked connection ? ». 20- Communication : Ines Boavida-Portugal, Jorge Rocha, Carlos Cardoso Ferreria, « Accommodation and land use in Coastal Alentejo (Portugal) ». Colloques, séminaires management” comme une démarche essentielle afin de maintenir ou retrouver une qualité paysagère comme condition au re-développement du bien-être par la nature. Concrètement, Catherine Kelly présente les exemples d’aménagement qui peuvent être choisis pour retrouver des espaces “verts” et propices au bien-être dans les cadres touristiques et de loisirs en GrandeBretagne21. En prolongeant l’idée de « therapeutic landscapes »22, la démarche d’écothérapie est posée, dans le sens d’une relation escomptée entre la nature et le bien-être mental, ceci aux niveaux individuel et collectif. Les espaces peuvent avoir un statut d’aménagement formel : jardins publics, parcs, « healing gardens », ou plus informel : forêts, berges de cours d’eau et de lacs, littoraux maritimes. 3. l’implication dans une pratique émancipatrice lors de l’expérience touristique Le bien-être est aussi recherché et acquis par l’environnement social pendant l’expérience touristique. L’exemple du flamenco est développé par Xavier Matteuci et Sebastien Filep23, afin de montrer que cette pratique permet un bien-être dans une dimension “eudémonique”. La recherche a été conduite par des entretiens et une observation participante à Séville. Le flamenco permet aux individus de s’engager dans des environnements authentiques, du fait d’une immersion parmi les artistes et les habitants. D’autres pratiques touristiques spécifiques ont été analysées, comme la « slow food »24 ou la participation à des camps d’entraînement au football dans les lieux de clubs renommés25, mais en interrogeant l’impossible accessibilité à ce type d’expérience pour tous les touristes. 21- Communication : « Constructing, Producing and Consuming Green Wellbeing Spaces ». 22- Gessler W. (1992). « Therapeutic landscapes : medical issues in light of the new cultural geography ». Social science medicine, Vol. 34, n° 7, p. 735-746. 23- Communication : « Flamenco tourists accounts of eudemonic well-being ». 24- Communication : Yasin Bilim, Eda Gunes, Umit Sormaz, « Cultural destinations and slow food practice ». 25- Communication : Emmanuele Adamo, Milka Ivanova, « Managing wellness destinations through football teams training camps ». « tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu 4. l’importance du management pour favoriser la satisfaction et le bien-être des touristes Plusieurs communications ont cherché à montrer que l’existence du bien-être touristique est favorisé, voire ne peut se développer, que si des pratiques de management des services touristiques sont bien en place. Cela passe par une bonne formation des professionnels du tourisme afin que ceux-ci soient conscients des objectifs à atteindre dans ce domaine, ainsi que la mise en œuvre de réseaux professionnels. Ceux-ci ont une influence positive sur la qualité des destinations26, donc au sens d’une offre de “wellness tourism” attractive et appréciable, qui se traduit à la fois dans les services d’accueil des touristes, dans les services en backoffice assurant un bon fonctionnement du système et dans la qualité de la protection des espaces. Outre cette idée générale, des études de cas révèlent la capacité d’innovation touristique au service de la qualité des expériences et du bien-être des touristes, mais aussi des habitants. Plusieurs cas montrent une tendance à l’essor des formes de tourisme intégré, c’est-à-dire en relation avec les milieux “locaux”. L’idée de proximité est mise en avant pour valoriser des formules touristiques empreintes de plus d’hospitalité27, avec une insertion des hébergements dans un patrimoine bâti ancien au sein des villages. Une interaction positive existe avec les territoires locaux, le tourisme participant au renouveau économique et démographique des villages. La qualité de l’expérience touristique relève d’une dimension culturelle avec une recherche d’authenticité, mais relève aussi d’une dimension spatiale: c’est la dispersion des hébergements dans l’espace de la communauté locale qui est une plus-value. Au-delà des systèmes locaux et régionaux, l’hébergement touristique “authentique” s’est répandu au moyen de réseaux commerciaux de réservation d’hébergement: CouchSurfing, AirBnB, Dooze. C’est le service personnalisé et une expérience ayant davantage de sens qui sont recherchés28. 26- Communication : Justyna Maciag, « The effectiveness of the tourism network in the development of destination product’s quality ». 27- Communication : Sonia Ferrari, Monica Gilli, « The “albergo diffuso” in Italy : a new model of network hospitality ». 28- Communication : Lénia Marques, Beatriz Gondim Matos, Maria de Lourdes de Azevedo Barbosa, « Emerging forms of hospitality : homestay networks and social innovation ». 25 Les équipements et démarches de wellness tourism sont donc mis en avant pour parvenir à des états de satisfaction et de bien-être des touristes meilleurs. La recherche ou le retour à l’”authenticité” sont pensés comme devant être dirigés par des aménagements, des pratiques de management et des offres touristiques adaptés. iii- les conDitions De travail et le Bien-être Des salariés Du tourisme et Des HaBitants Permanents L’activité et la population touristiques sont en interaction avec les salariés et les habitants permanents des destinations, ce qui implique de la part des responsables touristiques une conscience et une organisation attentives à la qualité des conditions de travail. D’autre part, un impact positif du tourisme envers les habitants permanents est aussi à rechercher. 1. que recouvre la qualité des conditions de travail des salariés du tourisme ? Des enquêtes ont montré la situation perfectible des conditions de travail, et le besoin d’appliquer des codes éthiques dans les milieux professionnels du tourisme. Une enquête systémique a mis en évidence le fait que les « unethical behaviors »29 se traduisent dans différents domaines, et pas seulement vis-à-vis des salariés. D’une part, les comportements négatifs ont un impact sur les relations avec les clients et l’environnement, mais d’autre part les salariés ont aussi parfois des attitudes négatives envers leur hiérarchie, les clients, et entre eux. C’est à partir de ce constat d’une globalité des comportements que les démarches d’amélioration des rapports entre acteurs doivent être entreprises. En se concentrant sur la question du bien-être des employés du tourisme30, trois dimensions ont été définies: la satisfaction pour le métier qui peut procurer un bien-être physique, les pratiques professionnelles qui s’articulent avec une dimension physiologique et corporelle, et les relations avec la hiérarchie de l’en- 29- Communication : Marek Bugdol, Justyna Maciag, « Unethical behavior in tourist organization ». 30- Communication : Esther Martinez-Garcia, Dolors Celma, Joan Sorribes, « Impact of socially responsible human resource management on employee’s well-being in the hospitality sector ». eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 26 « tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu treprise et les autres employés qui sont reliés à la dimension du bien-être social. Les facteurs défavorables au bien-être sont exposés dans le secteur du tourisme: taux de turnover important, longues heures de travail, emplois à temps partiel et/ou non permanents, bas salaires. Cependant, les résultats d’une enquête31 n’indiquent pas de satisfaction diminuée à cause du turnover ou du travail de week-end. Au contraire, la satisfaction est altérée dans le secteur du tourisme par le travail de nuit, à temps partiel, ou par les heures supplémentaires. Deux communications ont aussi traité de la question de la satisfaction et du bien-être au travail dans les petites entreprises familiales de tourisme. Hannele Rautamäki montre qu’il existe une corrélation entre le sentiment de propriété, de développement de l’entreprise, et la satisfaction au travail32. Dans le secteur agritouristique en Autriche, une enquête par entretiens33 a montré que le supplément d’activité touristique apporte des revenus intéressants, mais au détriment de l’équilibre de vie des exploitants, du fait du temps important passé à l’activité touristique. 2. les interactions entre les événements touristiques et les communautés locales urbaines Les festivals sont parfois perçus comme un moyen d’améliorer les conditions économiques et sociales de villes ou de quartiers urbains. Yi-De Liu a mené une enquête quantitative et qualitative sur trois ans au sujet des effets de l’année européenne de la culture à Liverpool en 2008. L’événement a conduit à l’amélioration de l’intérêt des habitants des quartiers marginalisés envers la culture, l’amélioration de leur accessibilité et inclusion dans les activités culturelles, et l’amélioration du sens du lieu et de leur sentiment d’appartenance au territoire urbain. En complément, Valery Gordin34 montre que l’impact des festivals sur les territoires (en Finlande et en Russie) dépend en partie de la situation socio-économique préalable de ceux-ci, par exemple de l’importance de la jeunesse, et 31- Quality of Life at Work Survey (QLWS, 2010) en Catalogne. 32- Communication : « Psychological ownership and joy of work as self-reported by entrepreneurs of family firms in tourism ». 33- Communication : James Miller, « Work-life balance in farm tourism : hosts, guests and stress ». 34- Communication : « Festival impacts from the regional perspective ». Colloques, séminaires en partie du management et de l’organisation du festival. Plus que le thème du festival lui-même, les caractères de ce qui environne et organise l’événement comptent davantage pour en évaluer les effets. conclusion Les analyses de terrain révèlent la complexité des rapports entre les différents acteurs dans les problématiques de recherche de qualité de vie, de séjour, et de recherche du bien-être. Les communications de ce colloque reflètent aussi des applications différenciées de la notion de bien-être selon les régions du monde et les types de territoire. Les équipements de wellness tourism ont d’abord été développés dans certains pays d’Europe centrale et d’Europe du Nord. Les acteurs touristiques d’Europe du Sud ont traditionnellement développé la dimension du bien-être par une approche authentique et intégrée. Face aux effets du tourisme de masse, les positions et démarches doivent être repensées, en établissant des équipements formels de wellness tourism, même s’ils se placent dans un processus de tourisme intégré. Les communications sont issues de recherches qui sont focalisées sur un terrain, sur un “segment” du système touristique. Les approches plus globales sont à privilégier pour saisir plus largement le bien-être des touristes et d’autres acteurs. D’autre part, les évaluations menées et les résultats présentés dans ces travaux traitent la notion de bien-être à partir d’approches souvent empiriques. Malgré une littérature scientifique déjà abondante, la conceptualisation du bien-être et son application dans le tourisme appellent à être poursuivies. La question du bien-être dans le tourisme est aussi à travailler davantage en lien avec l’accessibilité au tourisme pour tous et avec les pratiques de rencontres entre les individus, touristes et habitants permanents. 27 résumé de travaux résumé de travaux résumé de travaux résumé de travaux résumé de travaux résumé de travaux résumé de travaux eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence Territoriale. échelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire* 29 jean-Pierre ducos umr introDuction D es premières règles d’alignement à l’émergence de la notion d’urbanisme et de planification urbaine, plus de quatre siècles fondateurs d’un urbanisme d’État se sont écoulés. Avec la Loi d’Orientation Foncière de 1967 (LOF), les premiers outils d’accompagnement du développement urbain se mettent en place au travers des Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) et des Plans d’Occupation des Sols (POS). Ces documents annonciateurs d’une politique de planification urbaine nationale laisseront la place à ceux de lutte contre l’étalement urbain introduit par la loi Solidarité et Renouvellement Urbain de 2000 avec les Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT) succédant au SDAU (Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme) et les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) succédant aux POS (Plan d’Occupation des Sols). Cette refondation des documents d’urbanisme s’appuie sur un changement de paradigme en ce qui concerne les politiques urbaines: l’expansion urbaine doit laisser place au renouvellement urbain et la ségrégation spatiale introduite par une planification trop sectorielle doit laisser place à la solidarité urbaine. L’exposé des motifs de la loi SRU explicite clairement ce changement de posture qui confère désormais aux documents d’urbanisme un rôle de limitation de la consommation foncière et de préservation de l’environnement et des ressources naturelles. Cette loi marque une rupture à l’encontre de près de quarante années d’un urbanisme expansif des espaces périurbains alimenté par le règne de l’habitat individuel et des déplacements automobiles. Ce processus de refondation des outils de planification urbaine se poursuit avec les lois Grenelle 1 de * Thèse de géographie-aménagement soutenue le 31 mars 2015 à l’université d’Angers, sous la dir. de J. Soumagne eso angers - cnrs 6590 - université angers 2009 et Grenelle 2 de 2010 qui introduisent une véritable refondation environnementale des documents. La poursuite de la lutte contre l’étalement urbain est confirmée mais les SCoT et les PLU se voient assignés des objectifs environnementaux renforcés : lutte contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre, lutte contre la perte de biodiversité, lutte contre la dégradation des ressources naturelles et de l’eau, lutte contre la dégradation des paysages… Un caractère plus prescriptif et plus opérationnel est donné à ces documents. La responsabilité des collectivités locales en charge de l’élaboration des documents d’urbanisme est également renforcée et le rôle de contrôle de l’État réaffirmé. Poursuivant cet effort porté sur la question de la limitation de la consommation foncière, la loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR) de 2014 vient compléter et renforcer l’arsenal des outils déployés depuis l’année 2000 pour enrayer le phénomène, notamment dans le rôle fédérateur et intégrateur du SCoT en matière de politiques publiques et dans les conditions d’ouverture à l’urbanisation de nouveaux espaces. i- ProBlématique Dans ce nouveau cadre réglementaire, les documents d’urbanisme introduits par la loi SRU, et les SCoT en particulier, sont-ils véritablement en mesure d’atteindre les objectifs environnementaux qui leur sont assignés? Nous préciserons à ce stade que la notion d’efficacité environnementale a été appréhendée à travers le caractère opératoire du contenu rédactionnel du document et de la capacité pour ses utilisateurs à disposer d’un outil intelligible, appropriable et trouvant une traduction concrète dans la transposition de ses orientations et prescriptions vers les documents aval. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 30 l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale. echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire ii- métHoDe et outils Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à une question aussi large, nous avons pris le parti d’aborder cette problématique à partir de cinq entrées complémentaires. Premièrement, le choix a été fait de privilégier une approche qualitative supposant l’analyse de documents servant de base de référence et de comparaison, approche resserrée autour des Schémas de Cohérence Territoriale du département du Maineet-Loire. Une approche quantitative sur l’ensemble des SCoT élaborés en France aurait pu être un choix de recherche visant à l’exhaustivité et au systématisme de l’analyse mais aurait dépassé le temps et les moyens affectés à cette recherche. Cependant, de nombreux SCoT « nationaux » ont été pris pour référence ou en comparaison de la situation départementale. Deuxièmement, le privilège a été donné à une analyse détaillée du contenu des documents, sur le fond et la forme. Cette approche volontairement très qualitative a été motivée par le fait que ces schémas constituent désormais des documents dits « intégrateurs », et compris de ce fait comme un support de référence s’imposant aux documents aval. Au-delà du caractère formel des éléments constitutifs imposés par le législateur, la qualité rédactionnelle de leur contenu doit constituer le premier gage d’efficacité, en ce sens que l’expression des enjeux et des moyens d’agir doit être explicite et applicable. Troisièmement, le choix de resserrer l’analyse au département du Maine-et-Loire est apparu pertinent compte tenu du caractère représentatif de ce territoire, entièrement couvert de SCoT élaborés ou en cours d’élaboration. C’est autour de cette question de la forme et du fond que nous avons orienté cette recherche en s’appuyant sur l’analyse des SCoT du département du Maine-et-Loire. Nous avons plus particulièrement retenu deux schémas comme fil rouge de cette analyse. Le document du Pays Loire-Angers a été d’abord été choisi pour quatre raisons principales: l’antériorité de documents préalables avec un SDAU et un schéma directeur; un contexte urbain mettant en avant des problématiques particulières de maîtrise de l’étalement urbain autour de la ville-centre ; un schéma dit de « première génération » issu de la loi Résumés de travaux SRU; une ingénierie interne avec une agence d’urbanisme ayant réalisé le document. Celui du Pays des Mauges constitue notre deuxième document de référence retenu pour les raisons suivantes: un SCoT rural porté par un territoire novice en matière de planification urbaine; un SCoT « Grenelle », premier document de cette génération approuvé dans le département; un document élaboré par un bureau d’études externe au territoire. L’analyse détaillée et comparative des deux documents a été complétée par une analyse synthétique du contenu des cinq autres SCoT départementaux approuvés ou en cours d’élaboration. Enfin, des éclairages complémentaires ont été apportés à partir de l’analyse de documents élaborés sur le reste du territoire national, notamment un certain nombre de SCoT témoins ayant fait l’objet de différentes études de suivi ou d’évaluation1. Quatrièmement, la problématique s’inscrit dans le champ d’une pratique professionnelle d’accompagnement des collectivités territoriales pour l’élaboration de leurs documents de planification urbaine. En effet, depuis la loi SRU de 2000, plusieurs syndicats mixtes en charge de l’élaboration de SCoT ont sollicité le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Maine-et-Loire pour un accompagnement dans le cadre de la mise en œuvre de ces documents. Après quinze ans de pratique, le croisement d’une recherche universitaire avec une ré-interrogation de pratique professionnelle apparaissait comme particulièrement opportune et permettait de nourrir une analyse critique de documents auxquels le CAUE a pu participer. C’est aussi ce contexte professionnel qui explique cette entrée très analytique des documents et moins des conditions techniques et politiques de leur élaboration, champ sur lequel notre positionne1- CONSEIL GENERAL DE L’ENVIRONNEMENT ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, 2012, Audit thématique national relatif à la prise en compte des objectifs du Grenelle de l’environnement dans l’élaboration des Schémas de Cohérence territoriale (SCoT), Rapports, n° 007702-01, avril 2012, 162 p. - CERTU, 2005, Démarche SCoT témoins, Etat initial de l’environnement, 15 p. - CERTU, L’agriculture dans les Scot témoins, CERTU-CETE Ed, 14 p. - CERTU, CETE, Ed, 2008, Démarche SCoT témoins. 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Alors que le sujet des documents d’urbanisme a été plus largement traité par des juristes ou des urbanistes (Vigo, 2000; Leroux 2000, Eddazi, 2011) à travers la question de la portée juridique de ces documents ou celle de leur efficacité sectorielle dans certains champs spécifiques: bruit, milieux naturels, air, etc. (Labat, 2001; WardaKhazen, 2008; Hasan, 2012), quelques recherches plus eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 32 l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale. echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire Figure 2 : Département du Maine-et-Loire et état d’avancement des S.Co.T dans la région Pays de La Loire au 1er janvier 2014 orientées vers une approche géographique (Desjardins, 2007; Cluzet, 1992, Bertrand, 2004) ont été conduites. Cependant, la question de « l’efficacité environnementale » n’a jamais été traitée sauf à partir d’entrées sectorielles ou au contraire sous l’angle plus général du développement durable. Deux thèses soutenues pourraient se rapprocher de la problématique proposée. Si la thèse d’Aurélie Prévost (2013) fait référence à la notion d’évaluation durable, c’est principalement à travers l’exemple du plan local d’urbanisme de Toulouse que sa recherche l’amène à conclure que « les indicateurs des évaluations des PLU semblent renseigner plus sur les performances durables des villes que sur la qualité du dispo- Résumés de travaux sitif d’urbanisme réglementaire ». La thèse de Fernanda Moscarelli (2013), qui s’appuie sur les deux SCoT de l’agglomération de Montpellier et de Grenoble serait la plus proche de notre problématique, soulignant à la fois une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux dans les deux documents étudiés mais aussi leurs limites; le contexte d’élaboration des documents constitue selon elle un facteur qui « influe autant, ou même plus, que les SCoT, dans l’efficacité de l’action publique ». Entre ces deux approches aux conclusions relativement convergentes, notre positionnement s’est inscrit dans la continuité d’une formation universitaire intitulée « géographie et aménagement », l’échelle des SCoT apparaissant ainsi comme la plus pertinente en l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale. echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire tant que nouveaux outils d’aménagement du territoire et la notion d’efficacité environnementale étant attachée à son contenu physique (au sens de la géographie physique). Ce positionnement écarte provisoirement de notre champ l’appréciation « d’évaluation durable » ou « de développement durable » des SCoT étudiés, notions qui auraient considérablement élargi le sens de cette recherche et dépassé, là encore, le temps et les moyens affectés. Plus précisément, la notion « d’efficacité environnementale » a été appréciée à travers le caractère opératoire du contenu rédactionnel des documents constitutifs du SCoT (Rapport de présentation, État Initial de l’Environnement, Évaluation environnementale, Projet d’Aménagement et de Développement Durable, Document d’Orientations Générales/Document d’Orientation et d’Objectifs…). Elle se situe dans cette recherche comme le corollaire de la notion d’évaluation environnementale au sens de la Directive 2001/42 de la Communauté Européenne en retenant cinq thématiques constitutives de cette évaluation. En effet, pour circonscrire et préciser ce qui est entendu par efficacité environnementale, nous avons retenu comme problématique préalable la question de la limitation de la consommation foncière, premier levier environnemental affiché dans les documents d’urbanisme pour agir sur la préservation de l’environnement au sens large du terme. C’est d’abord cette première thématique que nous avons analysée à partir du contenu des SCoT du département du Maine-etLoire. Au-delà du constat quantitatif, nous avons tenté d’apprécier comment ce premier levier était traité dans les documents, quelle portée souhaitée ou véritable émergeait du contenu des différentes pièces constitutives du SCoT Pour ce premier thème introductif, nous avons précisé comment était abordée plus précisément la question des espaces agricoles, premiers espaces consommés par l’étalement urbain. formalisée en particulier par la définition, la prise en compte et la traduction sur le territoire d’une trame verte et bleue. D’une posture de préservation des milieux naturels, les documents d’urbanisme doivent désormais passer à une posture active de remise en bon état; au-delà de l’obligation réglementaire et formelle de traduire cette trame verte et bleue dans les documents d’urbanisme, la question posée est celle de la capacité des SCoT de proposer un mode de gestion des territoires facilitant cette remise en bon état. Ensuite, la question des paysages constitue notre deuxième thématique d’analyse. Le sujet n’est pas nouveau dans la planification urbaine, mais il se pose désormais de manière plus aiguë constatant l’incidence de l’étalement urbain sur la qualité des paysages, avec une difficulté de fond pour définir ce que recouvre la notion de qualité de paysage. Nous avons retenu en troisième thème d’analyse la question de la ressource en eau, tant du point de vue qualitatif que quantitatif. La modification des milieux naturels et du cycle de l’eau par l’étalement urbain constitue un sujet récurrent mais dont les incidences sont aujourd’hui beaucoup plus sensibles du point de vue de la disponibilité et de la qualité de cette ressource au regard des perturbations introduites par le changement climatique. C’est enfin ce dernier sujet qui constitue notre quatrième thème d’analyse. Inscrit en tête des premiers articles du code de l’environnement et du code de l’urbanisme comme un enjeu majeur, le changement climatique représente la problématique la plus complexe mais aussi la plus globale à traiter. Dans leur action locale, les SCoT ont axé leur intervention sur la question de la limitation des émissions de gaz à effet de serre et la maîtrise énergétique par la réduction des consommations et le recours aux énergies renouvelables, la question de fond posée sur l’adaptation à ce changement restant aujourd’hui en suspens. À partir de ce levier préalable, nous avons retenu quatre thématiques sur lesquelles nous avons considéré que la consommation foncière avait des incidences directes. Tout d’abord, la question de la biodiversité qui constitue un des enjeux majeurs des documents d’urbanisme à travers l’obligation de « remise en bon état des continuités écologiques », Enfin, pour tenter de répondre à la question de l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme et des SCoT en particulier, il nous est apparu nécessaire de rappeler au préalable le contexte de cette refondation de forme et de fond que nous avons évoqué précédemment. En effet, la montée en puissance des enjeux environnementaux dans les documents d’urba- eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 33 E E SO O 34 l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale. echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire nisme ne peut être appréciée et comprise qu’à la lecture de l’émergence d’une conscience plus globale et planétaire sur ces questions, expliquant notamment la progressive intégration des principes de développement durable dans notre système législatif. Contemporains de la Loi d’Orientation Foncière, les prémices de ce que l’on qualifiera de conscience environnementale planétaire émergent avec le Club de Rome et son slogan « Halte à la croissance ». Jusqu’en 1987 et la publication du rapport Bründtland introduisant les principes de développement durable, vingt ans s’écoulent au cours desquels les problématiques environnementales vont peu à peu infléchir les outils législatifs et le paysage institutionnel français: les premiers ministères de l’environnement se mettent en place, les études d’impact sont mises en œuvre sur certains projets. Sous l’impulsion de sommets et accords internationaux (Sommet de Rio en 1992, Sommet de Johannesburg en 2002…) et des engagements pris par l’Union européenne dans ce domaine (Traité de Maastricht en 1992), la France entre à partir de la fin des années quatre-vingt-dix dans un processus d’intégration législative des principes de développement durable qui se concrétisera par la loi constitutionnelle de 2005 relative à la Charte sur l’environnement introduisant dans la constitution les principes de développement durable. Les années 2000 marquent enfin le passage à une inscription politique de ces questions avec la mise en avant des enjeux écologiques lors des élections présidentielles de 2007 et leur prolongement dans les travaux du Grenelle de l’environnement ayant conduit aux lois Grenelle 1 et 2. Si l’évolution de nos outils en matière de planification urbaine et d’environnement a été indiscutablement influencée par ce contexte international, c’est aussi sur la base de constats nationaux que des adaptations et mutations majeures ont été insufflées. Tout d’abord, les outils permettant d’apprécier les incidences environnementales sont relativement récents et ont été d’abord utilisés de façon sectorielle (eau, air, déchets, bruit, biodiversité…) et peu communiqués. Mais surtout, ces données n’ont jamais été véritablement corrélées avec les documents d’urbanisme. En effet, la première génération de documents d’urbanisme (SDAU et POS) a été conçue sans véritable portée environnementale et sans objectif d’évaluation. Résumés de travaux L’évaluation environnementale des SCoT, et des PLU sous certaines conditions, introduite par la loi Grenelle 2 apporte une première évolution majeure dans ce domaine. Ainsi, les méthodes et indicateurs environnementaux qu’il convient de définir dans les SCoT devraient-ils contribuer à apprécier, plus ou moins directement, l’efficacité environnementale du document? iii- résultats En synthèse de cette recherche, sur l’ensemble des cinq thématiques retenues autour de cette question de l’efficacité environnementale des SCoT, il apparaît plusieurs éléments de commentaires en ce qui concerne les éléments constitutifs du rapport de présentation. Le diagnostic, l’état initial de l’environnement, l’articulation avec les autres plans et programmes et enfin l’évaluation environnementale participent à la description du territoire. En ce qui concerne le diagnostic, si sa vocation de document global et transversal constitue son point fort, son caractère exhaustif voire encyclopédique lui confère souvent une dimension « monumentale » d’énumération de constats sacrifiant à l’analyse des causes. L’État Initial de l’Environnement (EIE) présente la synthèse des données environnementales exposées de manière thématique et exhaustive: la forme et le fond de l’EIE répondent à une obligation normative fixant un cadre clair et complet de son contenu mais traité indépendamment des autres thèmes du diagnostic ce qui entraîne une forme de dichotomie entre le diagnostic « socio-économique » et le diagnostic environnemental qui peut ainsi apparaître « hors sol ». Document assurant la transversalité des approches avec l’ensemble des autres outils d’aménagement concernant le territoire, l’articulation avec les autres plans et programmes constitue l’exercice le plus complexe. La vocation transversale et intégratrice de cette analyse de l’articulation du projet de SCoT avec les autres plans et programmes constitue une évolution majeure dans la prise en compte des différentes échelles et problématiques dans lesquelles s’inscrit le territoire porteur du Schéma; mais la multiplicité des thèmes, des échelles, des gouvernances, des documents et de leur portée réglementaire rend complexe l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale. echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire cette obligation d’articulation. On peut cependant noter des évolutions tendant à simplifier cette articulation avec, dans le domaine de la biodiversité, la réalisation du Schéma Régional de Cohérence Écologique, document unique de référence en matière de définition et de prise en compte des trames vertes et bleues. Dernier élément du rapport de présentation, l’évaluation environnementale doit permettre d’apprécier les incidences environnementales du projet sur le territoire. Cette obligation formelle introduite par la Directive 2001/42 de la Communauté européenne répond à l’objectif d’éviter ou de limiter tout préjudice à l’environnement par une appréciation en amont des effets du projet sur l’environnement. Dans le cas des SCoT, qui définissent davantage un projet de territoire qu’un projet d’aménagement au sens opérationnel du terme, l’évaluation relève le plus souvent d’une rhétorique environnementale; en effet, les auteurs du document s’évertuent le plus souvent à démontrer que les mesures prises sont de nature à limiter les effets sur l’environnement et minimiser ainsi la nécessité de mise en œuvre effective d’outils d’évaluation des effets réels du projet sur l’environnement. Ce constat met en exergue la difficulté de définir le cadre de cette appréciation oscillant entre évaluation et étude d’impact. Expression politique du projet souhaité par les élus du territoire, le Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) constitue le document central du SCoT en ce sens qu’il doit témoigner d’un engagement formel pour la mise en œuvre du projet défini. Force est de constater que la plupart des documents étudiés couvrent un champ d’intentions large mais restent peu ambitieux et relativement évanescents sur les objectifs à atteindre et les moyens d’y parvenir. On peut en ce sens regretter que les échanges parlementaires lors de l’écriture de la loi SRU aient écarté l’idée d’un PADD opposable qui aurait donné une vraie force politique à ce document et une obligation d’engagement des élus auteurs et porteurs du SCoT. Des objectifs plus précis et surtout plus explicites donneraient à ce document un réel caractère d’engagement opérationnel. Dans le même ordre d’idée, le Document d’Orientations Générales (DOG.), devenu Document d’Orientation et d’Objectifs (DOO) avec la loi Grenelle 2 de 2010, constitue la traduction technique et réglementaire du projet exprimé dans le PADD Il doit permettre en parti- 35 culier de traduire les orientations du SCoT dans les documents d’urbanisme aval, et plus particulièrement depuis la loi ALUR de 2014 dans les plans locaux d’urbanisme intercommunaux. Portant une analyse plus lointaine sur l’évolution des SDAU aux SCoT, il apparaît clairement que le contenu de ce document à portée réglementaire a glissé d’un motif urbain à un motif environnemental beaucoup plus large comme en témoigne la multiplicité des thèmes abordés: consommation foncière, agriculture, paysage, biodiversité, eau, déchets, énergie, changement climatique… Si la majorité des SCoT abordent effectivement l’exhaustivité de ces thèmes, le plus souvent dans un objectif de pédagogie environnementale, il faut cependant souligner la faiblesse des mesures prescriptives qui confèrent au document une réelle portée opérationnelle, le registre étant le plus souvent celui de la recommandation ou de l’incitation et peu de l’obligation. Si la loi Grenelle 2 de 2010 a renforcé l’obligation d’objectifs à atteindre, en particulier en matière de limitation de la consommation foncière, considérée comme le premier levier environnemental, cette exigence est confrontée à des difficultés opérationnelles liées notamment à des problématiques méthodologiques: modalités et fiabilité de la définition d’états « 0 », des outils et méthodes de suivi, des bases de comparaison… Enfin, et en ce qui concerne la transposition des orientations du DOO vers les documents d’urbanisme locaux, la plus grande interrogation porte sur la grande subsidiarité qui est laissée aux Plans Locaux d’Urbanisme Intercommunaux dans bon nombre de domaines et qui peut porter atteinte au caractère exécutoire du SCoT. Ce principal point de faiblesse des SCoT ressort très largement de l’analyse des avis de l’autorité environnementale et des services de l’État transmis aux cours de ces dernières années aux syndicats mixtes en charge de l’élaboration des SCoT tant au niveau départemental que national sur la base des avis mis en ligne par les différentes directions régionales de l’environnement. Si le premier point de fragilité qui est principalement mis en avant concerne l’insuffisance de mesures prescriptives sur la question de la limitation de la consommation foncière, les autres thématiques ne sont pas épargnées: faiblesse des mesures prescriptives en ce qui concerne les objectifs de densité et eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 36 l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale. echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire de mixité résidentielle, la préservation des espaces agricoles, la définition et la mise en œuvre de la trame verte et bleue, la préservation de la ressource en eau… Enfin, en ce qui concerne le niveau d’investissement des SCoT sur les cinq grandes thématiques analysées dans cette recherche, il faut souligner la primauté donnée à la lutte contre la consommation foncière, enjeu majeur et premier levier environnemental mis en avant par la loi Grenelle 2 de 2010 et confortée par la loi ALUR de 2014. Le corollaire en matière de préservation des espaces agricoles est sous-jacent à ce premier objectif mais reste limité en matière de mobilisation d’outils réglementaires ou de mesures prescriptives. La biodiversité constitue le deuxième sujet d’actualité, supplantant la question du paysage pourtant présente de longue date dans les documents de planification urbaine. L’obligation de « remise en bon état des continuités écologiques » confère désormais un rôle opérationnel aux documents d’urbanisme en matière d’écologie; la définition et la mise en œuvre de trames vertes et bleues doivent traduire concrètement cet objectif et expliquent la nouvelle consistance des SCoT dans ce domaine. Si l’eau et le paysage restent des sujets récurrents, le contenu de ces Schémas dans ces domaines demeure le plus souvent succinct et peu opérationnel compte tenu sans doute d’une difficulté d’articulation des échelles d’actions entre celle des territoires de SCoT et celles des projets et actions en matière de paysage et de préservation de la ressource en eau. Enfin, le changement climatique constitue le sujet émergeant de ces documents. Enjeu du XXIe siècle, cette question du changement climatique est le plus souvent abordée à travers celle de la limitation des émissions de gaz à effet de serre et des mesures d’économie d’énergie, principalement ciblées sur les domaines de la construction et des déplacements. Pour autant, les mesures prescriptives sur cette problématique restent balbutiantes et dans un registre d’intentions vertueuses sans objectifs tangibles malgré les tentatives parfois engagées dans ce domaine par la mise en œuvre de plans climat-énergie territoriaux. Plus encore, si la problématique du changement climatique est évoquée dans la majorité des schémas étudiés dans cette recherche, aucun n’a pour autant Résumés de travaux abordé la question de l’adaptation du territoire à ce changement, défaut significatif pour des documents qui ont vocation à définir un projet de territoire durable pour demain. conclusion Avec les lois SRU et Grenelle 2, les SCoT ont l’obligation de définir le cadre territorial et les conditions d’organisation de ce territoire à partir desquels doivent être pris en compte des enjeux environnementaux. Dans ce sens, ces documents se voient assignés un rôle à la fois prescriptif et opérationnel mais pour lequel plusieurs limites se dessinent. Tout d’abord, les SCoT se voient confrontés à un « champ » environnemental considérablement élargi (changement climatique, biodiversité, paysages, eau, ressources naturelles, risques…); son obligation d’articulation avec les plans et programmes traitant de ces différents sujets confère au document un caractère global et dynamique qui peut trouver sa limite dans le risque d’une écriture encyclopédique, sectorielle et strictement factuelle. Ensuite, la portée du document dans sa dimension plus ou moins prescriptive peut être également un frein dans l’application opérationnelle des mesures ou intentions affichées dans le SCoT. Ce point soulève plus largement la question de la portée réglementaire du Document d’Orientations et d’Objectifs (DOO) mais aussi de la portée politique du Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD), document d’intention politique mais dont le caractère non opposable vient largement émousser le poids de l’engagement des élus. C’est également la question posée sur la pertinence des conclusions de l’évaluation environnementale, document obligatoire qui a conduit dans une réponse normative à dissocier la partie environnementale du diagnostic territorial. Les méthodes proposées, les indicateurs définis et l’insuffisance de données d’état des lieux dans certains domaines (biodiversité, changement climatique) rendent l’exercice délicat et peuvent interroger sur la fiabilité des conclusions. Enfin, le contexte des acteurs avec lesquels s’élabore le SCoT peut être un facteur complémentaire d’efficacité du document, supposant que le triptyque élus - bureaux d’études - citoyens l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale. echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire accède au même niveau de compréhension et d’appropriation des enjeux et dispose, pour chacun, des moyens d’agir. Si cette réflexion s’inscrit pleinement et formellement dans une problématique de recherche universitaire en ce qui concerne plus largement les questions d’aménagement du territoire et plus spécifiquement la place et la portée des documents d’urbanisme de planification dans ce domaine, il constitue également un acte de prise de recul et d’interrogation sur une pratique professionnelle quotidienne d’accompagnement des collectivités locales dans leur démarche d’élaboration de leurs documents de planification. Au-delà des conclusions ou orientations qui pourraient continuer à alimenter une réflexion universitaire sur ces sujets, il doit être également compris comme une tentative de démarche de progrès immédiatement mobilisable dans une action quotidienne de pédagogie et de conseil auprès des élus confrontés à des enjeux majeurs, en situation d’urgence face à des bouleversements institutionnels, sociaux, économiques et environnementaux globaux. Les SCoT font partie des outils à leur disposition pour répondre à ces enjeux, sous réserve de la juste utilisation qu’ils en feront; leur efficacité environnementale ne dépendrait-elle pas finalement de leur seule conviction et volonté? réFérences BiBlioGraPHiques • Benoît Cécile, 2003, « Loi SRU: comment gérer le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ». Le Moniteur, 03/01/2003, p. 44 à 47 • Bertrand François, 2004, Planification et développement durable: vers de nouvelles pratiques d’aménagement régional? 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Son processus d’élaboration s’appuie en effet sur un panier de richesses1 dont certaines sont valorisées par la patrimonialisation, dans un contexte particulier de développement. Complétée d’une organisation spécifique des acteurs, elle constitue un élément favorisant l’intégration du développement durable dans les projets locaux. Ce processus constitutif est alors assez souple pour permettre une adaptation dans le temps, même s’il reste dépendant de la volonté des acteurs locaux. Le contexte bigourdan a permis de tester les outils développés pour cette thèse, notamment un diagnostic territorial basé sur l’analyse de la vulnérabilité au changement climatique et l’identification de la ressource territoriale, ainsi que l’adaptation de l’analyse du cycle de vie d’un produit, au projet de territoire. Le texte présent est axé sur les aspects de la patrimonialisation au cœur du développement durable des projets territoriaux. De notre point de vue, le caractère durable des projets de développement local est notamment donné par la globalité dans leur approche (Da Cunha, 2005) et leur adaptabilité, c’est-à-dire leur capacité à évoluer face à de nouvelles situations. Nous partons du postulat que la ressource territoriale favorise l’intégration de ces éléments de durabilité, particulièrement par son processus de constitution. Cette réflexion s’appuie sur une étude dans les Hautes-Pyrénées, concernant un territoire de plaine, le canton d’Ossun et un de montagne, le Val d’Azun (fig. 1)2. 1- L’expression « panier de richesses » est utilisée ici en référence « au panier de biens et de services » de Mollard et Pecqueur (2007). 2- Plus largement, ces réflexions et résultats d’enquêtes sont extraits du document de thèse présenté pour le doctorat de géographie (https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01138867). eso caen - cnrs 6590 - université de caen Nous avons travaillé sur les projets de développement (fig. 2) qui paraissent marquants lorsque nous observons ces territoires intercommunaux qui semblent être une échelle d’organisation à la fois proche des acteurs, de leur espace de vie, et pouvant structurer des projets (et de plus en plus avec notamment la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République). Nous avons identifié parmi ces projets ceux qui s’appuient sur des objets patrimoniaux forts, à l’aide de la présence ou non sur le territoire de neuf critères: • d’un savoir-faire singulier, d’une filière de formation qui le caractériserait; • d’une filière économique installée depuis longtemps; • de la reconnaissance d’une « identité » particulière; • de ressources naturelles remarquables; • de la transformation sur place de ressources; • d’une organisation territoriale adaptée, d’équipements structurants; • d’objets mis en valeur sur ce territoire, à quoi la notion de patrimoine y est-elle reliée?; • de conflits autour d’une ressource ou d’un patrimoine; • de financements spécifiques. À partir de ces critères, les projets pastoraux et touristiques se sont révélés les « plus patrimoniaux » pour le Val d’Azun, ainsi que l’agriculture (hors maïsiculture) et l’aéronautique en plaine. À travers ces projets, nous regardons comment l’intégration de critères de durabilité est facilitée, ou non, par le processus de ressource territoriale (fig. 3). Son procédé de constitution part d’un territoire (un lieu) où des stratégies d’acteurs mobilisent certaines richesses (issues de ressources matérielles ou idéelles) qui en font un patrimoine spécifique et caractérisant. Cette nouvelle richesse constitue une ressource particulière, mobilisable pour le développement de son territoire d’ancrage, et devenant elle-même un élément constitutif de ce territoire. Il s’agit ainsi d’un processus en boucle. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 42 la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local Figure 1 : Les terrains d’étude du Canton d’Ossun et du Val d’Azun (Hautes-Pyrénées) Hautes-Pyrénées CCCO CCVA Canton d’Ossun Tarbes Périmètre de Communauté de communes Périmètre CC au 01/01/2014 Axes structurants Zone urbaine Village Zone aéroportuaire Plaine agricole Forêt Haute montagne Estive Val d’Azun Argelès-Gazost 0 10km Communauté de Communes du Canton d'Ossun (CCCO) Figure 2 : Projets structurants les territoires d’études Territoire Canton d’Ossun / plaine Val d’Azun / montagne Projet 1 Développement d’une agriculture hors maïs (transformation produits de la ferme) Projet pastoral / agricole Projet 2 Projet aéronautique autour de la ZAC Aéropole Projet touristique Projet 3 L’artisanat : présence importante sur le territoire Projet industriel : passé minier + production d’hydroélectricité Projet 4 La sylviculture, pour ces 2 territoires boisés (couverture forêt : 10 et 20% pour Azun) Résumés de travaux 0 3 km Communauté de communes de la Vallée d'Azun (CCVA) Trois hypothèsessont émises: La ressource territoriale permet une gestion efficiente des ressources locales; elle est un pilier du développement local et de son organisation et, par sa spécialisation, elle ne permet pas au territoire d’être adaptable. Pour vérifier la première hypothèse, nous nous fondons sur une analyse des représentations des décideurs locaux vis-à-vis des ressources naturelles. Concernant la deuxième hypothèse, nous regardons l’organisation de ces acteurs. Enfin, l’exemple des projets de développement permet de voir si ces territoires constitués sur une ressource territoriale ne sont pas trop spécifiques, ce qui serait un frein à une évolution face à des événements liés au changement climatique. Ainsi, nous allons discuter des liens entre les éléments de développement durable et la patrimonialisation de la ressource à travers trois exemples: l’organisation des acteurs, le besoin d’adaptabilité des projets et le respect des ressources locales. la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local 43 Figure 3 : Schéma simplifié de la constitution de la ressource territoriale i- la Patrimonialisation Des ressources, un vecteur De DuraBilité ? Une phase importante de la constitution de la ressource territoriale est l’étape de la patrimonialisation. Elle implique une bonne connaissance des ressources locales ainsi que leur appropriation par les acteurs territoriaux. Les richesses locales y sont valorisées et cette mise en avant s’appuie sut le respect de ces ressources et donc, sur une bonne gestion de celles-ci. Cet attachement aux ressources patrimoniales les inscrit dans un désir de préservation, permettant ainsi la continuité des projets qu’elles soutiennent. Cette démarche se situe donc dans la durabilité. Nous vérifions cette hypothèse en interrogeant la perception des acteurs locaux. 1. les ressources valorisées par les acteurs locaux Lorsque nous abordons la question des ressources du territoire avec les acteurs locaux, nous avons des réponses spontanément axées sur différents types de ressources (économiques, naturelles, voire financières), qui sont parfois mis en relation avec un projet de territoire (un marché potentiel, une filière à explorer). Les termes de ressource patrimoniale ne sont pas cités mais sous-jacents aux discours des responsables locaux. Pour eux, ces éléments sont principalement d’origine naturelle. Ainsi, les ressources forestières sont mentionnées dans la plupart des cas et sont mises en relations par les acteurs avec: - un développement économique possible: « il y a des choses à faire, il faut peut-être exploiter », « elle pourrait largement être optimisée », « la ressource n’est pas exploitée mais ça demanderait une étude de l’ONF »; - un développement existant « des forêts dont une hêtraie exploitée de temps en temps », ou un développement inopportun « c’est une ressource qu’on n’exploite pas, mais ces exploitations n’ont plus de valeur maintenant à cause de l’Europe et de la mondialisation », ou « le marché pas favorable, plus de ressource financière issue de la forêt, elle est replantée pour l’avenir mais ça a un coût », ou « on peut mieux faire mais la collectivité (commune et intercommunalité) n’a pas les moyens (compétence, législation) ». (« extraits d’entretiens »3) La sylviculture apparaît le plus dans le discours des acteurs locaux mais ne paraît pas être une ressource naturelle pouvant servir un projet pour les deux terrains d’étude. L’agriculture est également citée comme projet de développement territorial mais mise en relation avec ses impacts, « pas trop d’élevage par rapport à la capacité du territoire » (extrait d’entretien). Elle n’est pas valorisée comme un projet sauf pour un élu qui indique que la filière de transformation des produits agricoles pourrait être beaucoup plus développée. En revanche, le pastoralisme est présenté à plusieurs reprises pour son enjeu touristique. D’une manière générale, même si ce n’est pas en 3- Ces citations sont extraites d’une enquête de terrain menée dans le cadre de la thèse de doctorat, concernant une vingtaine d’entretiens auprès d’élus communaux et communautaires des deux terrains d’étude et de spécialistes locaux (directeurs de collectivités, experts pastoraux et environnementaux). eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 44 la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local Figure 4 : Paysages du Val d’Azun et de la plaine d’Ossun termes de ressource patrimoniale, l’idée est exprimée par les acteurs locaux: il est question d’un développement économique basé sur l’agriculture et le tourisme, deux éléments présents depuis longtemps sur le territoire montagnard, et d’une filière potentielle avec l’exploitation forestière. Seule l’activité aéronautique n’est pas du tout abordée en termes de ressource locale. Ceci n’est pas signe d’un manque de valorisation patrimoniale de cette activité par les responsables locaux, mais peut-être qu’elle n’est pas envisagée comme une ressource locale à gérer, devant l’absence de lien entre cette filière économique et une ressource naturelle. En effet, l’agriculture est liée à l’usage des sols et de l’eau, le tourisme s’appuie en partie sur la valorisation des paysages et la forêt est un habitat naturel (fig. 4). Il semble donc que pour les gestionnaires des espaces ruraux étudiés, la notion de ressource territoriale est exclusivement liée aux ressources naturelles. 2. une patrimonialisation axée sur les ressources territoriales La perception des acteurs de terrain révèle un attachement aux ressources naturelles quand on les interroge sur ce qu’ils entendent par ressources locales. Le patrimoine forestier est le plus cité alors que c’est le Résumés de travaux moins valorisé en termes de projet de développement territorial. Faut-il en conclure que la connaissance des ressources liée au processus de patrimonialisation ne suffit pas à les valoriser au point de les inscrire dans un projet de développement? Nous pensons que oui, ce type de projet n’étant pas privilégié par le jeu d’acteurs actuellement. Sans être intégré au processus de constitution de la ressource territoriale, ce patrimoine est-il pour autant mal géré? La plupart de ces zones forestières sont suivies par l’Office national des forêts. C’est un choix de gestion qui favorise une bonne connaissance de la ressource et son utilisation de manière concertée avec la collectivité. Ainsi, sans valorisation économique, la ressource peut être suivie par les acteurs locaux qui sont conscients de leurs patrimoines valorisables. Le retour des acteurs nous apprend également qu’ils ne font pas de différences entre ressources perçues, celles qui marquent le paysage, l’histoire du territoire, et ressources utilisées, qui sont mobilisées dans les projets de développement. Les ressources perçues se retrouvent ainsi uniquement sous l’angle des ressources naturelles pour les décideurs interrogés, qui les considèrent également comme des ressources utilisées pour leur usage esthétique et de lieux de loisirs. Ces res- la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local sources servent également les projets économiques, basés sur la valorisation d’un patrimoine culturel tel que le pastoralisme et ses traditions, que ce soit sous l’angle agricole ou touristique. La culture montagnarde est un patrimoine très présent et mis en avant par les élus valléens. Cette relative conscience des patrimoines régionaux implique pour nous un certain respect des ressources qui les constituent. La préservation du Val d’Azun et d’une station de ski alpin l’illustrent. Aujourd’hui très conscients de la valeur de leurs paysages et de l’image de vallée préservée, les décideurs locaux sont très heureux de cette situation et appuient leur développement touristique sur cet atout. C’est le point de départ d’une bonne gestion. Le respect des ressources passe ainsi par leur valorisation sociale, première étape dans une gestion durable de leur qualité et des stocks. ii- les réseauX D’acteurs Dans le Processus De Patrimonialisation : quel aPPort Pour la DuraBilité Des ProJets ? Le processus de patrimonialisation de la ressource structure les acteurs selon une organisation particulière. Dans ce sens, la deuxième hypothèse place la ressource territoriale comme pilier du développement, en permettant aux acteurs d’être au cœur de l’organisation locale, donc d’avoir une bonne connaissance des parties prenantes. Cette structuration représente un élément clé dans une approche globale des projets de territoire. En faisant le parallèle entre l’organisation liée à la constitution de la ressource territoriale et les éléments d’une approche globale, nous essayons de voir les qualités du processus de patrimonialisation, en tant que facilitateur de l’intégration du développement durable. Le principal apport de la conception du développement durable selon trois piliers est la constitution des projets territoriaux selon une approche globale. Cette vision des projets autorise la prise en compte à la fois de différents éléments constitutifs du projet, dont les acteurs et leurs attentes, avec les conséquences de leurs actes et objectifs. Les éléments extérieurs sont à prendre en compte comme les conséquences d’un projet sur les autres, sur le patrimoine, ainsi que sur les ressources exogènes. 45 Dans le cadre du développement local, on peut se demander si la notion de filière ne traduit pas l’intégration de ce critère de durabilité. La filière des produits agricoles des terrains d’étude peut nous le montrer. la filière, une approche globale ? La filière est vue comme une organisation des acteurs sur une thématique, par la mobilisation d’un type de ressources, dans un objectif de développement local. Elle devient structurante pour le territoire, confrontant notamment différents réseaux d’acteurs. Un projet qui s’appuie sur une ressource territoriale est lié de fait aux savoir-faire locaux qui mobilisent une valeur patrimoniale. Ce développement basé sur les richesses locales permet d’élaborer une ressource qui recueille l’adhésion de la société régionale. C’est particulièrement le cas dans le domaine agroalimentaire pour lequel la ressource locale constitue un gage de sûreté. Elle est signe d’une identité territoriale des produits, de savoir-faire locaux, doublés d’une organisation socio-économique. Dans le cas de l’organisation induite au processus de ressource territoriale, le rôle des réseaux d’acteurs est essentiel. Le schéma (fig. 5), illustrant le cas du Val d’Azun, permet de les faire ressortir comme un élément déclencheur de l’organisation de la filière. Cette confrontation lors du processus de patrimonialisation, offre en théorie une vision globale du projet, notamment par les discussions et les enjeux de pouvoir au sein des acteurs concernés. Nous voyons notamment l’importance des réseaux d’acteurs dans la constitution des richesses en patrimoine, puis des patrimoines en ressource. Cette patrimonialisation ne se fait pas sans un certain jeu de pouvoir entre les acteurs locaux. Différents liens unissent ainsi les agriculteurs aux autres acteurs de ces sites de montagne. Ils sont également en relation avec les garants de la biodiversité sur ce territoire qui a la particularité d’inclure deux sites Natura 2000 et une partie de la zone cœur du Parc national des Pyrénées. Ces deux entités peuvent à la fois apporter des aides financières (équipements pastoraux, études), des conseils (en lien avec la biodiversité et la qualité des pelouses) et la valorisation des patrimoines locaux (concours annuels des prairies fleuries du Parc eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 46 la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local Figure 5 : Schéma de la constitution de la ressource territoriale agricole en Val d’Azun Base Panier de richesses Transformation Patrimonialisation Projet de développement Résultat Ressource territoriale Jeux d’acteurs Valorisation, organisation ... ü ü ü ü ü ü Culture m ontagnarde Es tives Savoi r - fai re , viande et from age Res s ourc es naturelles Pays ages Equipem ents lois i rs et touris tiques POLITIQUES • Elus locaux • Conseils communaux et intercommunaux ADMINISTRATIONS • DDT • Préfecture… ü ü Pas toral is m e Marque from agère ü Im age de Vallée fam iliale AGRICULTEURS • Organisations • Locaux • Extérieurs CONSEILS, EXPERTS • Service pastoral (GIPCRPGE) • Botanistes… • Agences du tourisme national, communications de Natura 2000). En retour, les éleveurs, avec leurs troupeaux, participent au maintien de la biodiversité et des paysages, par l’utilisation des estives. Ce tableau idyllique a mis du temps à s’imposer, les acteurs locaux refusant dans un premier temps les contraintes imposées par le Parc national des Pyrénées. L’intégration des périmètres Natura 2000 a été vécue de la même façon, même si dans les faits aucune contrainte juridique n’est attachée à ces zonages. Les outils financiers permettent alors de motiver certains gestionnaires d’estive pour obtenir leur participation. En effet, si dans un premier temps une opposition « de forme » s’est établie face Résumés de travaux ü ü Agric ul ture de m ontagne Tou ris m e de m ontagne ACTEURS DE L’OFFRE TOURISTIQUE • Equipements touristiques • Offre hôtelière… ACTEURS ECONOMIQUES • Financeurs • Clients / Touristes ü ü Filière agric ultu re rurale Filière touris m e fam ili ale GARANTS DE LA BIODIVERSITE • Natura 2000 • PNP A CTEURS DES LOISIRS • Chasse • Pêche • Randonnée…. aux projets Natura 2000, les éleveurs et leurs représentants ont su profiter de ces opportunités. De plus, les comités de pilotage des sites Natura sont des instances permettant la rencontre régulière des acteurs locaux qui peuvent échanger sur leur position, voire créer de nouveaux projets ensemble. Cette organisation particulière permet de croiser différentes approches de la montagne. Les agriculteurs organisent également leurs débouchés économiques que ce soit par un investissement dans l’accueil touristique, avec une pluralité d’activités de la ferme (gîte, découverte), ou en organisant leur la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local propre filière. Certains ont en effet créé une marque fromagère, autour de la promotion et la vente des fromages des producteurs membres. Les agriculteurs s’organisent également entre eux dans d’autres domaines. Le système des coopératives est assez utilisé généralement au niveau des Hautes-Pyrénées, et pas seulement pour les productions, le partage de matériels agricoles par exemple fait l’objet des Coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA). Ces confrontations locales aboutissent dans cet exemple à des partenariats entre acteurs: une certaine solidarité en vue de la promotion de leur territoire. Les agriculteurs se structurent également en plaine d’Ossun (hors maïsiculture) avec le « redéveloppement » de filières courtes (vente directe à la ferme, marchés locaux). Ils s’appuient aussi sur le partenariat avec la grande distribution, par le placement des produits transformés dans les hypermarchés voisins sous l’étiquette « produits locaux » ou « alliance locale ». Enfin, de nouvelles possibilités de débouchés existent avec les points de vente fermiers, même s’ils sont situés en périphérie au territoire d’étude. Ces structures particulières sont nées récemment dans les Hautes-Pyrénées et prônent les filières courtes, du producteur au consommateur. Pour « la ferme en directe », les agriculteurs s’associent pour vendre leurs produits issus de l’agriculture raisonnée, dans un lieu commun. L’enseigne « Le carré fermier » est centrée sur les produits locaux et la transmission des savoir-faire (formation d’apprentis au métier de boucher-charcutier par exemple). Les producteurs participants sont actionnaires de l’entreprise de vente (société par actions simplifiées). De sorte, il s’agit de véritables filières de distribution qui sont en cours de structuration sur la thématique des produits fermiers locaux, que ce soit pour le territoire de plaine ou celui de montagne. D’une manière générale, si pour ce dernier les éleveurs s’organisent de manière interne à la Vallée, les agriculteurs de plaines semblent plus ouverts à une organisation sur une échelle plus large. Ils ont donc une vision différente de leur territoire. C’est sans doute aussi par manque de choix, la clientèle touristique étant peu présente sur le canton d’Ossun. Cette organisation entre acteurs de l’agriculture (en filière de promotion ou de distribution) offre des lieux 47 de rencontres, d’échanges, favorisant une approche globale. Elle permet également des économies d’échelle et une valorisation locale des produits, ce qui est positif en termes d’impacts puisque moins de transportinduit moins de gaz à effet de serre. Le processus de patrimonialisation, couplé aux arbitrages des réseaux d’acteurs, offre ainsi en théorie une vision globale des projets territoriaux. Les projets se croisent, ce qui enrichit les réflexions sur le développement local. Pour le Val d’Azun, des ressources et acteurs sont communs à la constitution des deux projets territoriaux. De nombreux liens découlent de cette situation et créent des ponts entre les deux activités: les agriculteurs se retrouvent au centre de ces interactions, pouvant être mobilisés par les deux ressources à la fois. Ils sont bien entendu au cœur de l’activité agricole mais effectuent aussi une animation en terme touristique par les visites et/ou l’accueil à la ferme, les démonstrations de la fabrication des fromages (à la ferme ou en estive) ou leur présence lors des marchés locaux. Les élus tiennent alors un rôle essentiel en termes d’équilibre entre les différentes ressources économiques et patrimoniales de leur territoire. L’échelle du projet s’avère ainsi essentielle: assez proche du terrain pour concerner les parties prenantes mais assez large pour permettre une réflexion sur les évolutions du territoire. iii- le Processus De ressource territoriale Favoriset-il l’aDaPtation Des ProJets De DéveloPPement ? Cette dernière hypothèse défend le fait que pour être durable, un projet de développement territorial doit être adaptable, qu’il doit laisser à ses porteurs la capacité de réagir face à de nouvelles situations: « l’adaptation permet la continuité du projet de développement » (Magnan, 2008). Le processus de patrimonialisation permet-il cela ? Nous allons voir que l’organisation des acteurs autour du processus de constitution de la ressource territoriale est adaptable, en permettant notamment d’intégrer des évolutions dans les projets à travers l’exemple de l’adaptation au changement climatique et la question de la spécialisation. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 48 la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local l’adaptation des terrains d’étude au changement climatique Le diagnostic de vulnérabilité des terrains d’étude et l’enquête auprès des élus locaux ont montré que l’appropriation de l’enjeu climatique est encore peu présente sur ces territoires. Ainsi, l’exemple de l’adaptation au changement climatique, illustrant l’idée qu’elle permet la continuité du projet de développement (Magnan, 2008), nous apprend que les territoires étudiés ne sont pas encore dotés d’une organisation particulière pour gérer ce problème qui n’est pas jugé prioritaire par les élus locaux. La patrimonialisation n’a ainsi pas d’influence particulière sur l’anticipation de la gestion du changement climatique. Elle peut en revanche favoriser une mobilisation plus facile le moment venu. Nous constatons également des engagements de certains acteurs comme le Parc national des Pyrénées qui a élaboré son Plan climat, ainsi que les interrogations d’autres périmètres naturalistes comme les réserves et les sites Natura 2000 (lien entre changement climatique et biodiversité). Les territoires d’étude sont pourtant souples dans la gestion de leur projet si l’on en juge des évolutions dans un autre domaine comme celui des inondations. Ce sujet répond également à des prérogatives nationales touchant directement les populations et les décideurs locaux, les évolutions nécessaires en termes de gestion des cours d’eau ou de prévention des risques ont ainsi été apportées. Pour juger de la durabilité d’un projet de territoire vis-à-vis de ses capacités d’adaptation, nous regardons également si la ressource territoriale doit être plutôt spécialisée ou diversifiée et à quel niveau elle permet au territoire d’être résilient. spécialisation ou diversification ? La troisième hypothèse défend l’idée que le processus de patrimonialisation rend l’organisation locale trop spécialisée pour pouvoir s’adapter et réaliser les évolutions nécessaires qui assureraient la continuité du projet local. En effet, nous pouvons penser que structurer un territoire autour d’une ressource territoriale c’est le spécialiser. Cette spécialisation crée des dépendances qui le rendent moins souple dans le temps. Nous nous demandons ainsi de quelle manière le territoire doit être géré, en s’appuyant sur une spécialisation que permet le développement autour Résumés de travaux d’une ressource territoriale, ou sur la diversité des projets de développement qui doivent répondre aux besoins de la société locale ? Est-ce la spécialisation ou la diversification qui sert au mieux la durabilité d’un territoire ? Si nous prenons le cas d’un territoire en majorité composé de forêts, nous pouvons nous demander quel est le scénario le plus durable pour la population locale. Il y a trois possibilités. Premièrement, il est possible de sanctuariser la forêt afin de garder un milieu « naturel » sans maîtrise de la biodiversité mais dans ce cas, la population se prive d’un potentiel économique par rapport à son exploitation. La ressource est préservée, mais il n’y a pas de projet de développement. Deuxièmement, le choix peut être fait de spécialiser la forêt pour un usage particulier tel que celui de la filière bois-énergie, ou celui de la construction, mais le risque de porter atteinte à la biodiversité existe alors. Certaines espèces peuvent être privilégiées à d’autres pour leur qualité en construction et cela conduit à une monoculture d’arbres peut-être nonautochtones de surcroît. De plus, dans le cadre de la spécialisation, les acteurs locaux ne cherchent pas à répondre à l’ensemble des besoins de leur population, ce qui rend le territoire dépendant des autres dans de nombreux domaines. Enfin, il est possible de diversifier les usages en scindant la forêt en diverses parties non immuables (qui évoluent en fonction des richesses qu’elles offrent dans le temps) où plusieurs pratiques pourront s’exercer telles que les loisirs, l’exploitation pour le bois-énergie ou la construction, et des zones protégées par exemple. Dans ce dernier cas, nous nous situons dans un espace qui cherche à équilibrer les activités en présence, comme peut l’offrir une « gestion intégrée » des territoires basée sur la pluriactivité d’un espace, tout en veillant à conserver les ressources naturelles présentes. La diversité est donc un élément de durabilité par rapport à la spécialisation dans un domaine économique particulier. Quid de la ressource territoriale? Nous avons constaté que pour la constituer, les acteurs font appel à divers patrimoines de son panier de richesses. Sa forme de spécialisation est due aux caractéristiques propres de son territoire et non à un projet unique autour d’une thématique économique, d’autant que nous avons distingué plusieurs res- la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local sources territoriales pour les deux terrains d’études. Il s’agit ainsi d’une spécialisation patrimoniale qui s’appuie sur assez d’éléments pour permettre au projet d’être souple dans le temps. Le cas du projet de développement basé sur le tourisme en Val d’Azun nous le montre. Ce projet est ancien pour le territoire. Il repose sur la valorisation de ses savoir-faire traditionnels et son capital naturel à travers ses paysages, mais il sait aussi être dynamique en s’adaptant à la clientèle touristique dont les goûts et les besoins évoluent, en adaptant l’offre des activités de loisirs par exemple, ou en ouvrant son accessibilité à un public plus large (projet d’interprétation « La montagne pour tous » avec l’aménagement de la Vallée du Tech à ArrensMarsous, labellisé « Tourisme et handicap » pour les handicaps moteur, visuel, auditif et mental). Dans ce cas, le projet de territoire parvient à évoluer dans le temps, et c’est aussi le cas du projet agricole. Notre hypothèse sur la spécialisation se révèle ainsi erronée et conduit à considérer le processus de constitution de la ressource territoriale comme permettant l’adaptabilité du projet de territoire et donc sa durabilité, au moins de ce point de vue. Nous n’avons néanmoins traité ici que d’évolutions conjoncturelles ou structurelles. Nous ne savons donc pas comment réagi ce processus face à un problème traumatisant pour le territoire, tel qu’une catastrophe naturelle. Nous posons ainsi la question de la capacité du territoire à continuer son projet de développement en cas de bouleversement majeur, de sa résilience. L’étape de la patrimonialisation dans le processus de ressource territoriale peut constituer un moyen d’améliorer la résilience d’un projet: en identifiant de manière précise ses éléments constitutifs et ses processus d’élaboration, les responsables territoriaux ont la connaissance des leviers d’actions disponibles en cas de perturbation d’importance. Ils savent quel élément ou quelle phase sont atteints et peuvent ainsi trouver plus facilement des moyens de correction. Les modifications apportées sont l’occasion de faire autrement et par exemple, d’intégrer des éléments de durabilité dans le processus. La crise affrontée par le territoire et sa population permet ainsi d’accélérer ou motiver des changements qui auraient sans doute été réalisés, mais de manière beaucoup plus lente. Les territoires d’études n’ont pas vraiment subi de grandes crises 49 donc il est difficile d’illustrer cette hypothèse à partir du travail empirique. Nous pouvons néanmoins aborder le cas des inondations qui y sont fréquentes. Ces aléas climatiques peuvent être à l’origine de modifications dans la façon d’aménager les cours d’eau et leurs abords, ainsi que dans la prise en compte des zones inondables vis-à-vis de l’urbanisation. Le niveau de résilience dépend de la préparation des acteurs face à ces aléas (c’est le cadre des programmes d’action de prévention des inondations (PAPI) par exemple). Nous pouvons ainsi en déduire que le niveau de résilience fait l’adaptabilité du projet de territoire. Plus les différents acteurs sont préparés et capables de faire face à des événements perturbateurs, plus le projet peut être adapté pour assurer la continuité du développement territorial. C’est au niveau de l’étape de la patrimonialisation des ressources issues du panier de richesses que les acteurs locaux ont un rôle majeur. C’est à cette phase que les choix de valorisation de ressources peuvent se réaliser dans un objectif de durabilité: privilégier des ressources renouvelables et des procédés « propres » et souples dans le temps conclusion la valorisation de certaines richesses du territoire et leur structuration autour d’un projet de développement déterminé relèvent d’un processus qui peut être long, mais ces différentes étapes peuvent subir des évolutions. Le système reste donc souple mais dépendant des acteurs responsables. Cette implication, qui pourrait apparaître comme un défaut dans la construction des projets territoriaux, est pour nous un levier majeur du développement durable local. En effet, le processus étant dépendant des acteurs et de leur volonté, c’est à ce niveau qu’il semble judicieux d’apporter des corrections au système pour qu’il devienne plus durable, dans le sens du respect des hommes et de leur environnement. D’une façon générale, la patrimonialisation représente un facteur-clé dans le développement durable des territoires. Elle structure l’action collective qui mobilise les différentes richesses locales. Cependant, restant dépendante de la volonté des acteurs, elle eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 50 la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local Figure 6 : Intégration des éléments de durabilité au processus de ressource territoriale du Val d’Azun Base Transformation Panier de richesses Patrimonialisation Connaissance des ressources : bonne gestion / respect Projet de développement Résultat Ressource territoriale Jeux d’acteurs Approche par filière permet d’agir d’un bout à l’autre de la chaîne Valorisation, organisation ... ü ü ü ü ü ü Culture m ontagnarde Es tives Savoi r - faire , viande et from age Res s ourc es naturelles Pays ages Equipem ents lois i rs et touris tiques POLITIQUES • Elus locaux • Conseils communaux et intercommunaux ü ü ü Pas torali s m e Marque from agère Im age de Vallée fam ili ale Choix de ressources renouvelables AGRICULTEURS • Organisations • Locaux • Extérieurs Sensibilisation des acteurs, notamment décideurs locaux ADMINISTRATIONS • DDT • Préfecture… CONSEILS, EXPERTS • Service pastoral (GIPCRPGE) • Botanistes… • Agences du tourisme n’est pas suffisante à elle seule pour permettre une mise en œuvre du développement durable efficace sur un territoire. D’autres éléments extérieurs (réglementation, conseil…) sont nécessaires afin d’influencer ces acteurs vers l’intégration de la durabilité dans leur projet de développement le cas échéant. Le processus de patrimonialisation est alors assez souple pour intégrer les éléments de durabilité (fig. 6). Cet exemple nous montre à quels endroits le processus est adaptable et ainsi où peuvent être intégrés Résumés de travaux ü ü Agric ul ture de m ontagne Tou ris m e de m ontagne ü ü Filière agric ultu re rurale Filière touris m e fam iliale Choix d’une gestion éco-responsable Prise en compte des impacts endo et exogènes ACTEURS DE L’OFFRE TOURISTIQUE • Equipements touristiques • Offre hôtelière… ACTEURS ECONOMIQUES • Financeurs • Clients / Touristes GARANTS DE LA BIODIVERSITE • Natura 2000 • PNP Mobilisation de multiples acteurs : assure une approche globale facilitée A CTEURS DES LOISIRS • Chasse • Pêche • Randonnée…. Déjà une organisation en place : demande que quelques adaptations vers une logique de durabilité les critères de durabilité. Ce caractère adaptable du processus de patrimonialisation, et plus largement celui de constitution de la ressource territoriale, représentent sa qualité principale dans un objectif de durabilité. L’adaptabilité et la globalité sont ainsi deux critères complémentaires et nécessaires à un projet de développement durable. Il semble bien que, quel que soit le projet de développement, la ressource territoriale permet, par son processus constitutif, d’adapter les objectifs et les méthodes à des procédés plus dura- la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local bles, tout se détermine au niveau du jeu d’acteurs. Il n’y a que la volonté des principaux décideurs qui peut permettre l’intégration du caractère de durabilité dans les projets de développement locaux. 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Approche comparée Bretagne et Sør-Trøndelag (Norvège) » et réalisée sous la direction de Gerhard Krauss (sociologie) et Guy Baudelle (géographie-aménagement), est financée par le Conseil régional de Bretagne par un dispositif d’Allocation de Recherche doctorale. Cette recherche vise à éclairer le rôle de la Région en matière de politiques publiques liées à l’innovation dans le cadre des actions en faveur du développement territorial. Dans cette perspective, l’innovation sera appréhendée en tant que processus, au sens des économistes évolutionnistes (Winter, 1987, cité par Fontan et al., 2004, pp.199-120). La pertinence de l’échelon régional en matière de politique d’innovation sera discutée en précisant la nature des relations entre acteurs politico-administratifs, centres d’enseignement et de recherche et milieux innovateurs. Ces interactions, qualifiées de « triple hélice » depuis Etzkowitz et Leydesdorff (1995), fonctionnent-elles correctement sur le plan institutionnel et géographique? Quels outils politiques (impulsion, soutien, coordination, etc.) sont mis en place, ou pourraient l’être, afin de les faire évoluer? Notre travail répondra à ces interrogations et fera des recommandations pour renforcer le rôle de pivot des autorités régionales. Ce travail de recherche analysera comment les deux régions choisies tentent de répondre au paradoxe relevé par Spilling (2010, p. 13) de l’inadéquation entre le niveau d’activité de la recherche des pays de 1- La Norvège, non membre de l’Union Européenne, est confrontée au même problème. eso rennes - cnrs 6590 - université rennes 2 l’Union européenne1 et leur capacité à la traduire en innovations, alors même que la politique publique d’innovation est définie de relative longue date au niveau européen (European Commission, 1997) et évolue toujours, jusqu’au récent programme Horizon 2020. Pour ce faire, il posera la question de l’adéquation des moyens (politiques, financiers, etc.) aux fins recherchées en terme de développement dans une situation de périphéricité. Cette recherche repose sur l’hypothèse que la collectivité régionale est susceptible de répondre aux besoins institutionnels des acteurs économiques, même si ces derniers puisent concomitamment dans les ressources endogènes et exogènes des territoires. L’échelon régional peut en effet jouer un rôle de pivot dans la définition des politiques de soutien à l’innovation. Nous postulons que son intervention peut mettre en cohérence les sous-systèmes d’innovation (fragmentés?) observables au niveau infranational. Après avoir replacé les initiatives des deux terrains dans le corpus lié à la région et à l’innovation (I), seront présentés les travaux théoriques à partir desquels nous analyserons leur portée, ainsi que la méthodologie que nous suivrons (II) pour y parvenir. i- les autorités réGionales, Des acteurs De la triPle Hélice De l’innovation 1. la région, un cadre pertinent pour l’analyse de l’innovation Le politiste Romain Pasquier fait référence aux controverses liées à l’appréhension de la région comme délimitée ou au contraire abordée dans une « perspective relationnelle et poreuse » (Pasquier, 2012, p. 25). Le découpage administratif n’empêche en rien l’étude des flux entrants et sortants, créant système, dans des « espaces de gouvernance (qui) ont contribué à affaiblir les cadres nationaux de la comparaison ou, en tout cas, à déplacer les regards des com- eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 56 une approche comparée des politiques régionales d’innovation. les cas de la bretagne et du sør-trøndelag (norvège) paratistes vers des unités alternatives de comparaison longtemps ignorées sinon méprisées » (ibid., p. 33). Cette invitation au déplacement du regard nous intéresse pour qualifier le rôle de pivot de cet échelon, et l’évolution de son action publique. Pour le géographe Philip Cooke (1998), la région est un lieu d’intérêts normatifs partagés, de spécificité économique, d’homogénéité administrative, géographique et d’allégeance politique, de niveau subcentral par rapport à son pays hôte. Il précise: « Comme de Vet2 (…) le soutient, c’est la capacité institutionnelle à attirer et animer un avantage concurrentiel, souvent par la promotion de pratiques coopératives entre acteurs économiques, qui donne aux régions une identité conceptuelle et réelle forte. » (p. 15-16)3 En juger empiriquement nous amènera à répondre à cette interrogation: ne vaut-il pas mieux appuyer le développement territorial sur de multiples sous-systèmes innovants distincts plutôt que sur un seul système régional d’innovation, idéal-type considéré ici comme difficilement accessible (pour une discussion critique: Doloreux et Bitard, 2005)? 2. une acception large de l’innovation L’innovation revêt de multiples aspects. Au-delà de l’innovation sociale (Mumford, 2002, p. 253), existe l’innovation de produit, de procédé, organisationnelle (Steiber et Alänge, 2013, p. 137), managériale, de service (Dandurand, 2005), chacune relevée par Gaglio (2011), pour qui « cette typologie comporte des limites, notamment du fait de sa perméabilité » (p. 30). Incrémentale, radicale ou disruptive, permanente4 , grande ou micro, but ou moyen, fondée sur la Recherche et Développement (R&D) ou répondant aux commentaires de ses utilisateurs (Flowers, 2008, p. 4), l’innovation est intéressée par la demande et non plus seulement par l’offre (Baudelle et al., 2011, p. 30). Elle s’appréhende sous l’angle de l’approvisionnement (Uyarra, 2010, p. 2) voire de sa souplesse (soft innovation, Stoneman, 2009, p. 4). 2- cf. de Vet J. M., 1993, « Globalization and local and regional competitiveness », STI Review, 13, pp. 89-122. 3- Traduit de l’anglais par l’auteur de cet article. 4- Permanence révélée comme une nécessité par nombre d’auteurs dans leurs recherches sur l’efficacité territoriale. Par exemple : Heidenreich et Krauss (1998), en particulier p. 215. Position de recherche Bien des dimensions ont donc été ajoutées à l’acception, depuis les travaux pionniers de Schumpeter (1942) centrés sur ses aspects économiques: « les innovations sont des produits nouveaux ou significativement améliorés, des services, procédés, formes d’organisations ou des modèles de marketing qui sont utilisés pour créer de la valeur et/ou des avantages sociétaux » 5 (Conseil National de la Recherche norvégien, cité par Karlsen, 2012, p. 103). Pour juger de l’importance de l’innovation dans le cadre des politiques visant le développement territorial, deux régions particulières ont été choisies. 3. Deux terrains se prêtant bien à la comparaison L’intérêt de la méthode comparative internationale est « de porter un regard décentré sur sa propre réalité nationale, en questionnant des éléments qui peuvent paraître évidents d’un point de vue strictement interne » (Hassenteufel, 2005, p. 113). Les deux régions d’investigation ont été choisies en raison des défis communs que représentent leurs caractéristiques partagées d’être des espaces maritimes et non centraux. Toutes deux sont membres de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes. Cette association indépendante fondée en 1973 regroupe plus de 150 régions et se présente comme « la seule organisation en Europe qui vise à réduire les distances entre le centre économique et politique de notre Continent et ses périphéries, améliorant ainsi l’accessibilité des Régions soumises à des contraintes géographiques qui constituent un frein à leur potentiel » (CRPM, 2015, p. 12). Issu des mathématiques, le terme de périphérie a intéressé la géographie et la sociologie au XXe siècle (Kühn, 2015), dans l’étude des effets négatifs de la distance vis-à-vis d’un centre. Le rapport centre-périphérie « permet une description de l’opposition des lieux, mais surtout propose un modèle explicatif de cette différenciation: la périphérie est subordonnée parce que le centre est dominant » (Grataloup, 2004). Les régions à la marge géographiquement ne sont cependant pas sans ressources: pour Copus (2001), les nouvelles technologies rendent la périphéricité a-spa5- Traduit du norvégien par l’auteur de cet article. une approche comparée des politiques régionales d’innovation. les cas de la bretagne et du sør-trøndelag (norvège) Figure 1 : Les deux régions étudiées Bretagne (France) et Sør-Trøndelag (Norvège) Régions étudiées Trondheim (Sør-Trøndelag) Rennes (Bretagne) 0 500 km tiale, permettant un développement polycentrique. Le choix de la Bretagne et du Sør-Trøndelag a été dicté par leurs similitudes au sein de leurs trajectoires nationales. Une bonne connaissance de la langue norvégienne offre en outre un accès facilité aux rapports et données primaires. Quelques données chiffrées générales: la France occupe le 22e rang du Global Innovation Index (Dutta et al., 2014) sur 142, et la Norvège le 14e. Les effectifs des chercheurs dans la population les classent respectivement à la 20e et la 5e place, les dépenses brutes en R&D en % du PIB à la 14e et la 24e, le pourcentage des emplois dans les services à forte intensité de connaissance à la 7e et 10e. En matière de collabo- 57 ration université-industrie, la France occupe la 31e place et la Norvège la 13e. Bretagne et Sør-Trøndelag ne sont pas si éloignés l’un de l’autre, exception faite R&D (Fig. 2). La Norvège connaît un découpage administratif en seulement trois niveaux (État; comté; commune), ce qui n’invalide pas la comparaison car le comté est considéré comme une région (Edvardsen, 2004, p. 15). Au niveau régional, la principale distinction concerne le réseau urbain. Le Sør-Trøndelag est dominé par la ville de Trondheim (près de 180000 habitants), l’agglomération de deuxième rang, Melhus, n’en accueillant que 15800. Nulle ville intermédiaire, donc, au contraire de la Bretagne, caractérisée par la bipolarité Rennes-Brest et un ensemble de villes moyennes qui la font qualifier de polycentrique (Gaudin, 2013, pp. 283-285). Un trait commun aux deux régions réside dans les objectifs ambitieux de leurs plans d’action en faveur de l’innovation. 4. la région, un acteur de l’innovation Dans son Plan régional pour l’innovation et la création de valeur, le comté norvégien indique qu’il souhaite devenir la région la plus créative d’Europe (SørTrøndelag Fylkeskommune, 2014, p. 8). Pour ce faire, il adopte une démarche globale, analysée par Vareide et Nyborg Storm sous la forme d’une pyramide d’attractivité (2012, p. 52), mêlant peuplement, entreprises, « visites » (emplois liés au tourisme et congrès) et développement (Fig. 3). Pour sa part, le Conseil régional de Bretagne diffuse sa Stratégie régionale de développement économique, d’innovation et d’internationalisation via 11 Figure 2 : données comparatives Bretagne / sør-trøndelag Superficie (Km2) Population Nombre Brevets Part du PIB Part des d’inscrits déposés national (%, dépenses dans l’ensei- (2013) 2010) nationales gnement en R&D supérieur (% 2012) (2014) Bretagne 27 208 (4,24)* 3 273 000 (4,95) 118 278 (5) 494 (2,92) 4,1 3,5 sør-trøndelag 18 848 (4,89) 351 805 (6,92) 14 290 (5,24) 205 (2,6) 3,6 16,88 *Les chiffres entre parenthèses représentent le pourcentage atteint par la région par rapport au niveau national. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 58 une approche comparée des politiques régionales d’innovation. les cas de la bretagne et du sør-trøndelag (norvège) vateurs encastrés Porter (1990) sur les clusters, qu’il définit comme « un groupe d’entreprises et d’institutions associées, géographiquement proches et entretenant des relations de complémentarités entre elles » (Pecqueur, 2010 p. 293). Trop vague (Martin et Sunley, 2003), cette définition donne cependant de l’importance aux proximités, aux échanges (Boekholt et Van der Weele, 1998, p. 50), pour un capital humain (Florida, 2002) qui y trouverait un contexte favorable pour se rassembler. Afin de lutter contre les effets de lock-in, ou verrou (Grabher, 1993), les firmes ont besoin d’avoir des contacts avec d’autres milieux, aux compétences diversifiées (Isaksen, 1995, p. 10). Cette plus grande souplesse relève de la description de ce qui se passe dans les milieux innovateurs (Aydalot, 1986; Crevoisier, 2001). Nous suivrons l’approche par ces milieux innovateurs, développée en science régionale et économie spatiale, pour l’importance qu’elle accorde aux territoires (Baudelle et al., 2011, p. 35; Uzunidis, 2010, p. 92) ainsi qu’aux jeux d’acteurs. Le milieu innovateur « se caractérise par la construction d’une dynamique réticulaire dense et hétérogène qui mobilise des espaces et des acteurs multiples dans une relation non hiérarchisée. Pour ce faire, (il) se fonde sur une organisation systémique souple et ouverte » (Auneau, 2009, p. 267). Réseau social informel dans une zone géographique délimitée (Isaksen, 1995, p. 8), le milieu est aussi innovateur « lorsqu’il est capable de s’ouvrir à l’extérieur et d’y recueillir des informations, voire des ressources diverses » (Quévit et Van Doren, 1993, p. 52). Nous considérerons les interactions des milieux innovateurs de Bretagne et du Sør-Trøndelag à la lumière des apports du néo-institutionnalisme, enrichis du concept d’encastrement territorial. 1. les effets spatiaux de l’innovation au prisme de la théorie des milieux innovateurs La littérature fait la part belle à la manière dont les activités innovantes ont trouvé un ancrage sur le territoire. Elle analyse des exemples de réussites via des configurations organisationnelles spécifiques, à l’image de la Silicon Valley (Saxenian, 1994), ou des districts industriels italiens décrits au XXe siècle, à la suite des travaux de Marshall sur les districts anglo-saxons à la fin du XIXe. Plus cités encore sont les travaux de 2. Des milieux appréhendés par le néo-institutionnalisme et le concept d’encastrement territorial Qui dit néo-institutionnalisme dit institutions, définies par North (1990, p. 477), en sociologie, comme les « règles du jeu dans une société ». Le néo-institutionnalisme se présente au singulier, suite aux travaux fondateurs de March et Olsen (1984), mais n’en recouvre pas pour autant un courant unique. Guy Peters (2005) compte jusqu’à six composantes distinctes. Toutes précisent, traditionnelle- Figure 3 : La pyramide d’attractivité, modifiée d’après Vareide et Nyborg Storm, op. cit., p. 52. Peuplement Développement Entreprises Visite filières stratégiques et 7 domaines d’innovation prioritaires, réunis sous quatre axes, formant sa « Glaz économie ». Ceci en référence à cette couleur de vert, bleu et gris mêlés (agriculture; ressources maritimes; « matière grise » et « silver economy »). Les chiffres disponibles issus des rapports régionaux, de la Chambre de Commerce et d’Industrie, entre autres, aideront à qualifier la teinte de cette économie, pour la comparer à celle du terrain norvégien. Les politiques d’innovation, transversales, intéressent des travaux théoriques issus de différentes disciplines (science régionale, économie spatiale, géographie économique, sociologie de l’innovation et des réseaux). Ils serviront de socle aux grilles d’analyse mobilisées, décrites ci-après. ii- Des Politiques réGionales visant Des milieuX inno- Position de recherche une approche comparée des politiques régionales d’innovation. les cas de la bretagne et du sør-trøndelag (norvège) ment, l’attrait pour la permanence, les routines (Jepperson, 1991, p. 149), la stabilité (Scott, 2001, p. 48). Nombre d’auteurs néo-institutionnalistes s’intéressent tout autant aux conflits et jeux d’acteurs faisant « bouger les lignes », à l’image des travaux de DiMaggio (1988) sur l’entrepreneur institutionnel, ou encore de Fligstein et McAdam (2012) sur les champs d’action stratégique6. Abrutyn (2014) invite à porter un intérêt à la place occupée par les acteurs, plus ou moins proches d’un noyau organisationnel, pour décrire leurs modes de fonctionnement et influences. Les dépendances les plus remarquables se situant a priori au plus près dudit noyau, nous pouvons, pour les analyser, orienter notre travail au prisme de l’encastrement territorial. Le concept d’encastrement (Polanyi, 1944; Granovetter, 1985) se décline, pour Hess (2004) selon sa nature sociétale, de réseau et territoriale. Ainsi répond-il aux questions de « qui est encastré, dans quoi, et de ce qu’il y a de si « spatial » à ce propos », posées par Pike et al. (2000) (cité dans: Hess, 2004, p. 166). L’encastrement territorial considère les interdépendances entre acteurs (Hardy et Hollinshead, 2011, p. 1634), entre ceux-ci et leur(s) environnement(s), comme des sphères d’action mêlées. Pour Suire (2005), il est une condition du succès de l’innovation par les liens forts qu’il suppose, selon les capacités d’absorption et de diffusion des connaissances de chaque région (Fitjar et Rodríguez-Pose, 2011, p. 557). Pour répondre aux questionnements de notre recherche et prenant en compte les éléments qui précèdent, une méthodologie mixte sera appliquée. 3. une méthodologie mixte, principalement qualitative Quantitativement, les rapports chiffrés issus des travaux du Conseil Régional, de la Chambre de Commerce et d’Industrie, de Bretagne Développement Innovation, seront croisés avec ceux émanant de leurs équivalents norvégiens. Ils serviront de socle à une comparaison opérée à l’aide d’un questionnaire pour juger de l’intensité de l’encastrement des acteurs innovants; les entrepreneurs seront interrogés sur 6- Pour une description de l’évolution de leur pensée, vers la plus grande prise en compte du changement, voir Krauss, 2014. 59 leurs coopérations avec des acteurs proches et plus distants. Ceci situera leurs stratégies entre buzz et pipeline7. Une analyse statistique en Composantes Principales des réponses recueillies dévoilera les modèles sous la surface, non reliés les uns aux autres au premier chef, et influençant le processus de décision. Une variable relative à la diversité des sources d’information qualifiera le fonctionnement de la triple hélice propre à chacun des terrains. Fitjar et Rodríguez-Pose (2011, p. 564) par exemple, en ont repéré 14, pertinentes pour notre analyse sur la portée des coopérations: fournisseurs, clients, universités, etc. Pour Busca et Toutain (2009, p. 5) « l’analyse de la réalité sociale ne peut se satisfaire de traitements statistiques multivariés et mérite d’être complétée par des méthodes compréhensives d’investigation sociologique ». L’approche qualitative reviendra à analyser la parole recueillie d’acteurs des sphères politico-administrative, de recherche et privée, lors d’entretiens semi-directifs. Sur une quarantaine d’entretiens envisagés pour chacune des deux régions, certains sont déjà réalisés. Leur analyse déterminera si les innovateurs se situent ou pas à la marge de la communauté régionale et technique, s’ils sont connectés aux acteurs institutionnels régionaux. Quelle est la nature des ressources8 qui leur sont proposées? Parviennent-ils en retour à influencer les institutions? Les acteurs pratiquent-ils entre eux la « coopétition »9 ? Pour quels résultats? 7- Bathelt et al., (2004). La trajectoire du buzz correspond à une approche locale dans le processus de création des connaissances, quand la seconde, globale, cherche ailleurs une connaissance parfois manquante à assimiler. 8- « Les institutions ont (…) des effets sur les ressources des acteurs, directement parce qu’une position institutionnelle est une ressource en soi, et indirectement parce que ces positions permettent d’accéder à d’autres ressources (matérielles, juridiques et temporelles en particulier) » (Hassenteufel, 2011, p. 148). 9- Le terme allie coopération et compétition. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 60 une approche comparée des politiques régionales d’innovation. les cas de la bretagne et du sør-trøndelag (norvège) conclusion Tabariés (2005, p. 6) note que les régions aident les entreprises de manière diverse selon les ressources dont elles disposent, selon leur histoire aussi, créant nombre de configurations possibles. Ce sera un point crucial à discuter en prenant appui sur les données agrégées des deux terrains. L’approche par les milieux innovateurs aborde « de manière opérationnelle les problèmes de développement régional (…) (et) fournit des indications normatives permettant d’identifier les possibilités d’amélioration de la capacité innovatrice au niveau régional » (Massard et al., 2004, p. 6). Elle nous aidera à formuler les recommandations en direction des autorités régionales concernées. Celles-ci utilisent des méthodes pour rendre compte des phénomènes innovants démontrant une volonté politique particulière, une appétence portée à certaines activités, certains indicateurs, plutôt qu’à d’autres. Il sera enrichissant de transposer la méthode norvégienne précitée (Vareide et Nyborg Storm, 2012) à l’étude de ce qui se passe en Bretagne. L’exercice nécessitera de se méfier des quatre chausse-trappes relevées par Patrick Hassenteufel (2005, pp. 117-118), en particulier de la comparaison « factice », qu’il a nommé ailleurs Canada-dry, en ce qu’elle en est, mais pas tout à fait. BiBlioGraPHie • Abrutyn S., 2014, Revisiting institutionalism in sociology. Putting the « institution » back in institutional analysis, New York, Routledge • Auneau Y., 2009, Construire un système d’innovation régionalisée, propositions à partir d’exemples bretons, thèse de doctorat en Géographie et aménagement, Université de Rennes 2 • Aydalot P, 1986, « Présentation », in Aydalot P. 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Ces édifices sont aujourd’hui inscrits dans les circuits nationaux et internationaux du tourisme urbain et sont peu à peu concernés par un processus de conservation au titre du patrimoine. La question patrimoniale, dans le contexte de l’Inde contemporaine qui a connu un profond mouvement d’ouverture et de décentralisation depuis les réformes engagées dès la fin des années 1980, concentre une multiplicité d’enjeux à la fois d’ordre économique et politique. Elle s’avère particulièrement centrale dans le contexte des anciennes cités royales du Rajasthan, où l’activité touristique patrimoniale est désormais largement concurrentielle à l’échelle des États fédérés et des villes qui les composent. La valorisation des nombreux édifices patrimoniaux du Rajasthan aujourd’hui jugés remarquables est à la fois une manière, pour les institutions publiques touristiques et patrimoniales, de mettre en valeur un héritage susceptible de constituer une ressource économique et d’ainsi maintenir une activité, concurrencée par les nombreuses destinations émergentes du marché indien du tourisme. Pour les propriétaires de ces édifices, cette valorisation constitue à la fois 1-Chercheur associé au laboratoire Favela e Cidadania, Université Fédérale de Rio de Janeiro (Brésil) et au Centre d’Etudes de l’Inde et de l’Asie du Sud, CEIAS-EHESS, Paris. eso caen - cnrs 6590 - université caen une activité lucrative et un moyen de maintenir, dans le contexte postindépendance, leur position dominante au sein d’un système social dans lequel ils ont historiquement occupé des fonctions dirigeantes. C’est à l’échelle locale que les processus de conservation et de valorisation patrimoniale sont le plus éclairants sur les logiques sociales et institutionnelles à l’œuvre. Les conflits et, du point de vue institutionnel, les paradoxes que suscite la valorisation de ces éléments patrimoniaux, s’inscrivent tant dans des conceptions différentes de ce qui fait patrimoine que dans des concurrences sociales et économiques qui se traduisent dans la lente élaboration d’une politique en matière de conservation et de valorisation du patrimoine. L’effort d’institutionnalisation dans ce domaine est ainsi largement traversé d’intérêts individuels ou familiaux, selon des logiques que cet article propose d’éclairer. C’est dans l´articulation entre dynamiques institutionnelles locales et nationales qu´il s´agit de positionner la présente réflexion. La question patrimoniale en Inde invite dès lors à une lecture politique des interactions sociales, pour lesquelles, quel que soit le cas indien considéré, le territoire, ici défini comme un espace produit par le jeu des acteurs sociaux, dans ses formes matérielles et symboliques, occupe une place centrale, à la fois comme ressource économique et comme enjeu politique, de l’échelle locale à l’échelle fédérale. Après avoir rapidement présenté, dans une première partie, le cadre institutionnel de la conservation et de la valorisation du patrimoine bâti en Inde, il conviendra d’observer, dans une deuxième partie, la manière dont la mémoire de la royauté hindoue, qui a longtemps dominé les anciennes cités du Rajasthan, est soumise à une stratégie visant à maintenir la domination sociale des anciens représentants royaux, au moyen de la valorisation patrimoniale des hauts-lieux que sont les palais et les édifices architecturaux qui occupent une place structurante dans l’organisation spatiale des anciennes cités. La centralité historique eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 64 ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan des anciennes cités royales se trouve alors réaffirmée, alors même qu’elles ont, comme l’ensemble des villes indiennes, connu un profond mouvement d’expansion de leur aire urbaine dans la période récente qui a contribué à en transformer les dynamiques (Swerts, Pumain et Denis, 2014). L’article se poursuit, dans sa troisième partie, par l’analyse de cette stratégie à l’échelle d’une cité princière du Sud-Rajasthan, Udaipur, ancienne capitale du royaume du Mewar, où le patrimoine et sa valorisation engagent progressivement les membres de l’ancienne noblesse à influer sur les sphères décisionnaires du Gouvernement central en vue de l’institutionnalisation de la conservation d’éléments architecturaux dont ils sont à la fois les principaux représentants et les propriétaires. Ce processus met en évidence les paradoxes d’une gestion patrimoniale partiale, car opérant au moyen de la production d’une politique publique patrimoniale confrontée à des propriétés et à des intérêts d’ordre privé. i- le caDre institutionnel De la conservation et De la valorisation Patrimoniale en inDe De la « culture » considérée au prisme du développement La politique gouvernementale en matière de conservation et de valorisation du patrimoine s’inscrit, en Inde, dans des conceptions désormais globalisées selon lesquelles la culture est un élément central du développement des sociétés et des territoires. Cette appréhension de la culture, qui conduit à conserver et à valoriser ses éléments et expressions dans toute leur diversité, est celle vers laquelle s’orientent de plus en plus de pays du monde, soucieux de bénéficier d’une visibilité accrue à l’échelle globale et de tirer un bénéfice économique des formes les plus diverses de valorisation patrimoniale. L’Unesco défend lui-même l’indivisibilité du couple culture et développement, susceptible de produire de nouvelles richesses économiques et d’atteindre à « une existence intellectuelle, émotionnelle, morale et spirituelle satisfaisante »2. 2- www.portal.unesco.org/culture/fr/ev.php- URL_ID=1140078&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html Position de recherche Cette vision quelque peu idéaliste ou, du moins, ambitieuse définit désormais la norme vers laquelle tend la politique gouvernementale de l’Union indienne en la matière. Selon le Gouvernement indien, citant un texte publié par l’Unesco (Ibid.), la culture est « un élément primordial du développement des ressources humaines du pays » (Ibid.). Un extrait du chapitre 2.12 du texte de la Commission de Planification du Département de la Culture du Gouvernement central de New Delhi résume la manière dont la culture est appréhendée par les pouvoirs publics. Le texte souligne à la fois l’ancienneté, la spécificité et la diversité de la culture indienne ainsi que la nécessité de la protéger et de la valoriser à des fins autant identitaires qu’économiques: « La culture de l’Inde est caractérisée par un ethos unique pluraliste qui a évolué sur plus de 5000 ans. En même temps, il évolue constamment au travers d’un processus d’assimilation produisant des expressions créatives, des systèmes de valeurs et de patterns de croyance pour la société. De nos jours, la culture n’est pas confinée à être seulement une urgence d’auto expression pour les individus et les communautés, mais est aussi un moyen de fournir des opportunités d’emploi. Avec un nombre important de personnes dépendant des externalités de ce secteur, sa promotion (…) est nécessaire pour stimuler la croissance économique, tout en renforçant son rôle en tant qu’expression des urgences créatives de la population ». Cet extrait montre toute l’ambition que suscitent auprès des planificateurs indiens la conservation et la valorisation de l’ensemble des éléments culturels et patrimoniaux. En cela, il ouvre la voie vers un double mouvement: l’élaboration d’un cadre légal et institutionnel structurant une politique en matière de patrimoine d’une part; d’autre part, l’intervention de plus en plus marquée d’entrepreneurs privés dans la sphère publique organisée autour de la conservation et la valorisation touristiques d’ensembles patrimoniaux qui, pour partie, ne relèvent pas du domaine public. la lente mise en œuvre d’une politique de conservation à l’échelle de l’état central En Inde, le processus d’identification et de conservation du patrimoine avait été initié par les colons britanniques, soucieux de procéder à un inventaire ency- ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan clopédique de ce vaste territoire très largement inconnu et recèlant nombre d’éléments enrichissant les savoirs scientifiques, techniques tout autant qu’esthétiques. À partir de l’Indépendance (1947), les tout premiers plans quinquennaux définis par le Gouvernement central nouvellement désigné se sont attachés, à partir de 1950, à mettre en place un dispositif institutionnel spécifique, constitué d’organismes chargés de l’identification et de la préservation d’éléments archéologiques, anthropologiques et ethnographiques. La création de ces institutions s’est accompagnée de celle de centres d’archives nationales, de musées et d’académies visant à sauvegarder le patrimoine culturel dans toute sa diversité, et à mettre à disposition du public cet ensemble de savoirs. Ce n’est qu’à partir du VIe Plan (1978-1983) que le Gouvernement central, sous l’influence internationale et face à la nécessité de trouver de nouvelles opportunités économiques, prend conscience des bénéfices susceptibles d’être générés de la valorisation des biens culturels. Au cours du VIIe Plan (1980-1985), un effort tout particulier est effectué en vue de soutenir la production artistique et la documentation dans le domaine de la culture. De nouvelles idées sur la conservation sont alors révélées, insistant sur l’importance de valoriser les différences culturelles constitutives de la « nation indienne ». Une série de programmes d’encouragement à la production artistique conduit entre autres à la création d’académies nationales de performance des arts littéraires et visuels, à l’adoption de mesures incitatives en matière artistique par des prix et des bourses à la création. la valorisation patrimoniale au carrefour d’initiatives publiques et d’intérêts privés : vers une économie culturelle touristique Une inflexion dans la structuration d’une politique publique patrimoniale peut être observée à partir des années 1980. Les plans quinquennaux couvrant la période 1980-1990 (VIIe et VIIIe), mis en œuvre dans le contexte de restrictions budgétaires liées à une conjoncture économique difficile, invitent en effet les institutions publiques à s’appuyer sur des collaborations inédites avec des organismes indépendants spécialisés dans le domaine culturel. Ils préfigurent à ce titre une politique de conservation et de valorisation des biens culturels 65 envisagée au travers d’une participation d’un nombre toujours plus important d’organes issus de la sphère étatique, depuis le Gouvernement central jusqu’aux municipalités (Municipal Corporations) et, progressivement, d’entrepreneurs privés et du monde associatif. L’établissement, dans plusieurs États, de complexes culturels multi-usages (Multipurpose Cultural Complexes) et de lieux spécialisés dans la formation artistique des enfants compte parmi les principales avancées. Parallèlement à cela, sept Zonal Cultural Centres (Centres Culturels de Zone) sont créés dans le pays en 1985. En plus d’organiser une série d’activités dans les principaux centres urbains du pays et dans des zones rurales où les institutions gouvernementales sont jusqu’alors très peu présentes, ces structures collaborent avec des institutions relevant des États fédérés et avec des ONG chargées de la préservation, de la promotion et de la diffusion de formes artistiques tribales et populaires (Tribal and Folk Art Forms), aux échelles locale et régionale. Cet élargissement du prisme selon lequel il s’agissait de valoriser le patrimoine de la nation, et les collaborations inter- et intragouvernementales créées, tendent à dessiner une politique culturelle considérée de plus en plus comme devant répondre aux enjeux locaux et régionaux. Ce mouvement vers ce qui pourrait s’apparenter à une politique territorialisée ne relève pas tant d’un choix défini à l’échelle du Gouvernement central, que du constat des faiblesses de l’État en matière de mise en œuvre d’orientation de politique générale. Les institutions publiques en charge de la conservation, dont certaines préexistent à l’Indépendance, disposent en effet de moyens et de capacités d’intervention très limités. Parmi ces institutions figure l’Archeological Survey of India, organisme en charge de la gestion de 3562 monuments reconnus d’intérêt archéologique et culturel national - incluant 16 monuments classés par l’Unesco au titre du Patrimoine mondial de l’Humanité -, charge qu’il ne peut assurer seul tant au niveau logistique que financier. Afin d’équilibrer ses comptes, il est engagé dans des opérations de maîtrise d’ouvrage contractuelles en coopération, à l’exemple de la conservation et la restauration d’une partie du complexe de temples d’Angkor Vat au Cambodge, opération menée depuis 1986 et poursuivie jusqu’à aujourd’hui. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 66 ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan Même avec des moyens limités, l’activité de protection et de promotion culturelle et patrimoniale demeure importante. Parmi les actions mises en œuvre, tant dans le domaine de la protection des archives nationales, que dans celui de la protection du patrimoine anthropologique du pays (projet People of India, initié par l’Anthropological Survey of India), dans la valorisation du patrimoine écologique, ou dans l’organisation et le soutien à de nombreux festivals à travers le pays, aux exhibitions et foires artisanales figure l’intervention des Zonal Cultural Centres. elle se caractérise par des séjours d’artistes et de chercheurs dans le cadre de programmes d’échanges culturels (National Cultural Exchange Programme) mis en place de villages d’art et d’artisanat (Arts and crafts villages) - à l’image de celui de Shilpgram, à Udaipur au Rajasthan, ou encore de Sargaalaya dans le Kerala. En imitant l’organisation et l’architecture de villages traditionnels l’objectif est de constituer une vitrine pour la promotion touristique, et de fournir un lieu de valorisation des arts et artisanats du pays. Tournés vers les touristes, qui en constituent les principales cibles commerciales, ces lieux sont la matérialisation de l’une des plus importantes mesures gouvernementales en direction de la promotion d’un tourisme culturel dans les territoires indiens liant institutions du tourisme et de la culture dans une double logique de protection et de valorisation économique du patrimoine culturel. Encadré selon le Charitable Endowment Act de 1980, loi sur les donations, le National Culture Fund (Fonds National pour la Culture, ci-après NCF), Trust, créé en 1996 par le Gouvernement indien en vue de préserver et promouvoir le patrimoine, confirme les orientations progressivement engagées dans la décennie 1980. Ce fonds, dont le Gouvernement central souligne qu’il doit fonctionner « en partenariat avec la communauté et les corporations » (ASI, 2002), prévoit l’exonération d’impôts sur le revenu pour les donateurs, le plus souvent des familles fortunées du pays. Organisé sous forme d’un forum de plusieurs acteurs de la culture (gouvernementaux, corporations, fondations privées et organisations non gouvernementales), ce dispositif est conçu comme un cadre institutionnel permettant de répondre aux nouveaux défis de conservation et de valorisation culturelle dans le contexte d’une économie désormais libéralisée. Position de recherche L’Indian Oil Foundation (ci-après IOF), créée à l’initiative de la compagnie pétrolière du même nom, est l’un des partenaires privés dont l’action s’inscrit dans le cadre du NCF. Il joue un rôle prépondérant dans le financement des projets de protection coordonnés par l’ASI. La mise en place de cette fondation, au budget assuré par une nébuleuse d’entreprises privées parmi les plus dynamiques de l’économie indienne, associée à certaines entreprises intégrant des capitaux étrangers (joint ventures), vise la protection et la valorisation des sites du patrimoine de l’ASI, et engage une série de projets de développement dans les zones périphériques à ces sites, en vue « d’aider à enrichir la qualité de vie de la communauté et de préserver l’équilibre écologique et le patrimoine au travers d’une forte conscience environnementale » (ASI, 2002). L’IOF prend en charge une partie de la mise en valeur et de l’entretien des sites, et en assure l’aménagement par la mise en place de services et d’équipements touristiques de sites désormais reconnus comme patrimoniaux. Parallèlement à ces travaux de protection et d’aménagement pris en charge par des partenaires financiers privés, le projet souligne la nécessité de solliciter l’intervention d’organisations non gouvernementales pour diriger des activités communautaires de développement (Community Development Activities) comme les projets relevant essentiellement des secteurs de l’éducation et de l’alimentation en eau potable de qualité. Le IXe Plan, qui couvre la période 1997-2002, voit une fois de plus le rôle des acteurs de la conservation s’étendre, celui de l’ASI et des Zonal Cultural Centres particulièrement, l’un dans le domaine de la conservation, l’autre dans celui de l’organisation d’événements en collaboration avec les Tourism Development Corporation (Corporation de développement du tourisme), principales instances gouvernementales présentes dans chaque État de la fédération, et ayant en charge l’activité touristique. Cette période est celle d’une collaboration de plus en plus importante entre les services chargés du tourisme et ceux de la culture, autour du développement de ce qui est officiellement reconnu comme une économie culturelle touristique (Bautès N., 2004). Afin d’assurer la coordination de ces acteurs, principal objectif du Xe plan, débuté en 2003, la Commis- ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan sion de planification met en place le Steering Committee on Art & Culture (SCAC), organisme jouant le rôle d’observatoire du secteur de la culture à l’échelle du pays et de mise en œuvre de la politique définie dans le cadre des orientations fédérales inscrites dans les plans quinquennaux. Ainsi, au cours des toutes dernières années, le Département de la Culture a plus que jamais souligné l’importance de préserver le patrimoine culturel en s’appuyant sur l’action de toutes les institutions compétentes, organismes publics et institutions autonomes confondues, incluant ONG et structures privées. Il mise sur une collaboration accrue entre ces institutions liées au tourisme et les acteurs de la gestion urbaine, afin de disposer d’une approche globale des problèmes liés au patrimoine culturel. Pour le IXe Plan (1997-2002), le Département de la Culture avait alloué près de 92 041 crore roupies3 (soit 125 millions d’Euros) à la mise en œuvre de sa politique. Pour les suivants (2003-2008 et 2009-2014), le SCAC avait recommandé un budget au moins trois fois plus important. Quelle que soit la somme allouée au budget de la culture à l’avenir, l’objectif est là encore d’impliquer de plus en plus les initiatives privées pour œuvrer à la préservation et la promotion du patrimoine culturel, dans le cadre d’un développement voulu « durable ». Néanmoins, et en dépit de l’élaboration d’un dispositif désormais très élaboré à l’échelle du Gouvernement central, et d’orientations politiques stimulant les coopérations d’acteurs institutionnels issus de sphères (publiques, privées, organisations non gouvernementales) et d’échelles territoriales différentes, la traduction locale de ces mesures semble obstruée par les enjeux que représentent la conservation, mais surtout la valorisation culturelle et touristique d’éléments patrimoniaux qui semblent au cœur des conflits sociaux qui structurent la société indienne. C’est ce que le développement suivant propose de mettre en évidence, à partir de l’exemple du Rajasthan, État considéré comme pionnier tant dans la mise en œuvre de dispositifs de reconnaissance et de conservation du patrimoine, que dans leur valorisation à des fins économiques. Ce qui rend le processus observé à l’échelle de cet 3- Le crore est une unité de mesure en vigueur en Inde. 1 crore = 10 000 000 67 État singulier relève de la main mise dont bénéficient les membres de l’ancienne noblesse royale et de quelques familles de riches marchands sur ces éléments matériels, dont ils sont à la fois les propriétaires et les principaux représentants. Il s’agira donc de considérer cet exemple dans ses spécificités, et dans la manière dont, sous l’influence dont disposent les membres de l’ancienne royauté auprès du Gouvernement central, la dynamique s’est engagée, et tend à revêtir une dimension nationale. Ceci permettant ainsi d’expliquer en quoi l’action publique en matière patrimoniale et touristique est traversée d’intérêts privés qui entrent en résonance avec la faiblesse de l’État dans les affaires locales. ii- la reconteXtualisation De la mémoire royale Dans l’initiative Patrimoniale au raJastHan ou la Force Des HéritaGes socioPolitiques Du patrimoine envisagé comme ressource pour l’économie du rajasthan La création du Rajasthan en 1948 met fin aux principautés hindoues du Nord-Ouest de l’Inde jusqu’alors indépendantes. Avec cette décision s’ouvre une nouvelle période pour les anciens territoires princiers. Outre les bouleversements politiques et administratifs consécutifs à l’intégration de ces territoires au sein de l’Union indienne naissante, une grande part de la population est confrontée à une situation dans laquelle elle se voit contrainte, face à la destitution du modèle d’administration féodale jusque-là prévalant, de trouver de nouvelles ressources économiques. C’est dans le cadre de l’établissement d’un secteur économique de type moderne (Stern, 1992) qu’émerge dans les cités royales du Rajasthan une dynamique économique autour de la mobilisation du patrimoine bâti. Certains membres de l’ancienne noblesse royale vont en effet transformer d’anciens palais ou des havelis4, demeures historiquement cédées par le Maharana (grand roi) à un thakur - noble en charge 4- Les havelis sont des demeures traditionnelles des marchands du Rajasthan, organisées selon une architecture spécifique, autour d’une cour centrale, et divisées en différents espaces destinés à séparer femmes et hommes, espaces privés et publics. Ce terme est aujourd’hui souvent utilisé pour désigner l’ensemble des demeures représentatives du Rajasthan, propriétés de différentes communautés dont les Rajputs. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 68 ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan de l’administration des territoires du royaume contrôlés depuis Udaipur - en résidences hôtelières (Bautès N., 2002, 2004, 2015 ; Cadène P., 2000, 2015 ; Ramusack B., 1996, 1998) destinées à une clientèle étrangère de luxe - britannique et américaine - pour laquelle le Rajasthan devient, à partir du milieu des années 1950, un lieu de séjour convoité. Ces propriétés royales tendent d’abord à constituer l’essentiel de l’offre touristique, une offre très spécialisée en produits contenant de fortes références culturelles et historiques. ciation avec le Gouvernement indien à éviter la perte de l’ensemble de leur patrimoine immobilier et foncier. Ce processus, qui débute dans les années 1960, constitue pour une partie de l’élite râjput une opportunité lui permettant d’obtenir une rente financière grâce à la valorisation économique de ses propriétés, revenus ensuite mobilisés pour assurer la conservation d’une partie de leur patrimoine bâti. Ce processus permet en même temps d’envisager la permanence de la suprématie de la culture royale sur le territoire de l’actuel État du Rajasthan. Avec la mobilisation de ces “hauts lieux” du territoire royal en vue de leur valorisation économique, débute ainsi un mouvement qui, tout en étant d’abord limité aux plus grandes cités royales du Rajasthan, principalement Jaipur, Jodhpur, Udaipur et Jaisalmer, est fortement médiatisé à l’étranger en raison de liens privilégiés entretenus par les membres de la royauté Râjput5 avec la Couronne britannique. Par Cette série d’actions tend à réaffirmer et à recontextualiser une mémoire collective à l’échelle du Rajasthan au sein de laquelle la royauté occupe une place centrale sinon exclusive, à la fois matérialisée dans l’organisation spatiale des cités royales et diffusée au travers des images, des discours et des représentations du Rajasthan dans son ensemble (Henderson et Weisgrau, 2007). La mémoire ainsi renouvelée revêt la forme d’une stratégie politique visant à « installer le souvenir dans le sacré » (Nora P., 1991). À travers la valorisation des hauts lieux du patrimoine qui matérialisent la domination royale, elle « s’enracine dans le concret, dans l’espace, le geste, l’image et l’objet » (Ibid.). ailleurs, ce processus connaît un retentissement important dans le pays, partie prenante des principaux bouleversements politiques inhérents à la construction de la nation indienne. Si les restrictions puis la suppression des privilèges attribués aux princes6 s’accompagnent de la saisie d’un nombre important de propriétés immobilières, nombreux sont cependant les Râjput à être parvenus à l’issue d’une négo- 5- En sanskrit, le mot Rajput signifie “Fils de roi”. Ce groupe, qui a donné son nom au Rajputana (ancien nom de la province qui couvre l’actuel Rajasthan) est composé majoritairement d’hindous de caste Ksatrya, correspondant à des fonctions de guerriers. Les Râjput sont divisés en plusieurs clans : Rathore, Kachchwaha, Chauhan et Sisodia. Si l’histoire de la région souligne leur origine géographique floue, ils clament être les descendants des Huns venus d’Asie centrale installés dans le Nord de l’Inde, ou encore d’autres tribus parmi celles qui ont envahi ce territoire. Leur pouvoir dans le contexte historique du Rajputana s’affirme au cours du VIIe siècle. Ils deviennent les sujets de plus anciens royaumes hindous, constituant une force déterminante face aux troupes mogholes. Les princes hindous acceptent formellement les Rajputs comme nobles, si bien qu’aujourd’hui princes et nobles sont confondus dans le terme Rajput. Pendant la période britannique, les Rajputs ont longtemps tenté de maintenir des Etats indépendants au sein du Rajasthan. 6- Ces privilèges, appelés Prives Purses, correspondent à des compensations aux anciennes familles royales. Ils s’effectuent sous la forme de sommes d’argent accordées annuellement par le Gouvernement central aux familles royales détenant le royaume depuis la passation de pouvoir entre Rajput et Gouvernement indien. Ces privilèges sont calculés en fonction de la taille du royaume. A Udaipur, ils étaient de l’ordre de 2,2 millions de roupies par an. En 1971, Indira Gandhi, alors Premier Ministre de l’Inde, abolit ce système par un amendement de la Constitution. Position de recherche Ces cités devenues des villes touristiques intégrées au circuit des capitales royales du Rajasthan, « triangle d’or » du tourisme indien, existent avant tout dans le cadre du modèle territorial (Lévy J. et Lussault M., 2003) construit par la dynastie Râjput locale comme « un espace dogmatique, lieu de la vérité jamais remise en question » (Barel Y., 1987). Elles restent aujourd’hui fortement marquées par l’empreinte de ce modèle en raison de la capacité des Râjputs à mobiliser l’histoire et à se l’approprier autant qu’à intégrer l’ensemble des groupes sociaux et leurs mémoires au sein du système qu’ils dominent (Bautès, 2007). Par ce biais, le groupe constitué par l’élite râjput s’affirme ainsi de manière durable dans le Rajasthan, se positionnant comme les pionniers du développement économique des anciennes cités royales et plaçant par ce biais le patrimoine au cœur des enjeux sociaux urbains à l’échelle du pays. ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan le patrimoine royal en scène : un mouvement pour la reconnaissance institutionnelle des hauts-lieux de la mémoire râjput C’est véritablement à la fin des années 1980, suite à une série de mesures autour de la reconnaissance de la « culture » - sur lesquelles nous avons proposé un bref panorama dans la première partie de ce travail que le terme Heritage (patrimoine) entre officiellement dans le vocabulaire des acteurs du tourisme indien. Le Rajasthan fait alors figure de moteur de la mise en exergue de cette ressource inédite pour le développement dans les discours politiques et dans les actions mises en œuvre en direction des édifices architecturaux qui singularisent les anciens États princiers et leur culture. Le terme est d’abord exclusivement utilisé pour désigner une catégorie d’hôtels, principalement composée des anciens palais et demeures historiques mis en exergue par la royauté. La formalisation d’une politique patrimoniale en direction de ces établissements s’effectue sous l’action de plusieurs membres de la noblesse Râjput désireux de procéder à la reconnaissance de la qualité, de l’authenticité et de la singularité architecturales des propriétés royales. En dépit de fortes querelles de clans et de familles, et malgré la prégnance de brutaux conflits d’intérêt, à l’exemple de celui qui oppose depuis de longues années les deux frères descendants de la dynastie royale du Mewar, Mahendra et Arvind Singh, plusieurs représentants d’anciennes familles royales dirigeantes des royaumes du Mewar et du Marwar historiquement engagés dans des conflits fratricides, parviennent dans ce contexte nouveau à concilier leurs intérêts. Ce rapprochement inédit se traduit par la création d’une association de propriétaires d’Heritage properties, (propriétés patrimoniales). L’ambition est alors moins de s’associer pour profiter d’une visibilité unique sur le marché touristique que de mener une action conjointe permettant d’avoir plus de poids visà-vis des institutions gouvernementales. La compétition reste néanmoins très présente au sein même de l’association nationale de protection du patrimoine que ces Râjput contribuent à fonder en 1991, sous le nom d’Indian Heritage Hotels Association (IHHA)7. Cet 7- http://indianheritagehotels.com/ 69 organisme a pour objet, dans le contexte de la libéralisation de l’économie indienne, d’exercer un lobbying sur le Gouvernement central afin que l’offre touristique de luxe puisse rester sous leur contrôle. L’IHHA a pour ambition de faire modifier les règles de classification des hôtels de luxe, Five Star Hotels, afin de permettre aux propriétés patrimoniales d’être reconnues à ce titre. Suite à de vives discussions avec des représentants du Gouvernement, une classification spécifique est décidée le 6 septembre 1990: les Heritage Hotels sont officiellement répertoriés par le Governement indien parmi les éléments patrimoniaux faisant l’objet d’une réglementation stricte en matière de bâti (Taft, 2003). Dès lors, chaque projet de modification, d’extension ou de réhabilitation doit être fait en respect du style architectural et des techniques utilisées lors de la construction. Trois titres distinguent ces hôtels, situés dans des havelis, des anciens abris de chasse (hunting lodges), des forts (-garh), ou encore des palais: • Le titre d’Heritage property, qui désigne une propriété construite avant 19508 disposant d’un minimum de cinq chambres. Le gouvernement oblige à ce que « les caractéristiques générales et l’ambiance soient conformes au concept générique d’héritage et de distinction architecturale » (Taft F., 2003). • Le titre d’Heritage Classic Property, destiné aux édifices ayant été construits avant 1935 et disposant d’au moins 15 chambres. Outre le respect des règles concernant le patrimoine et la distinction architecturale, ces hôtels doivent disposer d’au moins un équipement sportif (piscine, club de gymnastique, terrain de tennis ou de squash), • Enfin, le titre d’Heritage Grand, qui désigne une propriété conforme aux mêmes règles que les deux catégories précédentes, mais doit aussi suivre des mesures très strictes en matière de décoration et d’apparence. Le règlement exige que « toutes les aires publiques et privées, incluant les chambres, doivent avoir une apparence et un décor supérieurs » (Ibid.) et au moins la moitié des chambres doivent disposer de systèmes d’air conditionné. 8- Il existe aujourd’hui une controverse sur l’attribution du titre d’Heritage : certains propriétaires veulent modifier le statut, limitant l’accès à ce titre aux bâtiments construits avant 1900. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 70 ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan Ce procédé de classification, désormais en vigueur à l’échelle nationale, soumet le demandeur à un comité qui inclut des représentants du département du tourisme du Gouvernement central et du Gouvernement de l’État dont relève le site; de l’Institute of Hotel Management, de la Federation of the Hotel & Restaurant Association of India (FHRAI), des représentants de la Travel Agents’ Association of India (TAAI), et de l’IHHA. Il peut éventuellement faire appel à d’autres spécialistes si nécessaire, des architectes par exemple. Au nombre de treize en 1990 dans toute l’Inde, le nombre des propriétés reconnues sous cette classification était de 87 en 2015 (Project Monitoring information System, Government of India)9. Au cours des toutes dernières années on a vu l’inscription de plusieurs établissements situés dans des zones rurales et dans de petits havelis situés en ville. En 2015, 39 hôtels classés étaient encore situés au Rajasthan, une grande majorité d’entre eux appartenant à des groupes dirigés par des familles râjput (dont HRH Hotels, qui possède 15 d’entre elles). Le deuxième État le plus représenté étant le Kerala, avec dix-neuf Heritage Hotels, suivi par l’Himachal Pradesh (sept établissements pour chacun), quatre pour le Gujarat et le Tamil Nadu; Pondichéry, Goa et l’Uttaranchal disposant de deux hôtels reconnus, la dernière propriété classée étant située au Sikkim. Ce processus de reconnaissance et de valorisation des propriétés patrimoniales, en même temps qu’il met l’emphase sur la convergence entre tourisme et patrimoine, singularise le cas indien par la force et la prégnance d’un style reconnu, celui de l’art et de l’architecture de la royauté hindoue, et d’un groupe qui, au titre de propriétaire autant que d’héritier légitime assurant la transmission de ce patrimoine, œuvre à l’institutionnalisation de la conservation-valorisation de ses biens en vue d’optimiser ses propres conditions de valorisation économique et de domination sociale. L’idée de patrimoine est dans ce cas exclusivement associée à la culture râjput, dont la domination tant symbolique que politique est, par ce biais, reconnue par les instances gouvernementales. Relayant les efforts des membres de l’ancien pou- 9- http://tourismpmis.nic.in/Scripts/InterfaceReport/Hotel/ApprovedHotelsDate.aspx Position de recherche voir royal de voir leurs propriétés reconnues au travers d’une politique touristique et patrimoniale portée par le Gouvernement central, celui-ci tend ainsi à légitimer l’influence des propriétaires de bâtiments remarquables du point de vue historique dans le champ du tourisme et du patrimoine. En cela, les instances fédérales contribuent à asseoir la légitimité de cette élite sociale à influer sur les affaires locales, ce que la suite du texte s’attachera à montrer au travers d’un exemple localisé dans l’ancienne cité princière d’Udaipur. iii- l’emPreinte royale Dans la valorisation touristique Du Patrimoine Bâti : l’eXemPle D’uDaiPur (raJastHan) la permanence de l’héritage royal au cœur du projet touristique Les prémisses de l’activité touristique dans sa forme moderne au Rajasthan, après l’Indépendance, s’appuient largement sur l’initiative des membres de l’élite dirigeante ou économique des anciens royaumes. La valorisation touristique de leurs propriétés via l’hébergement ouvre en effet la voie à l’expansion de domaines de production de biens et de services qui tendent, dans les anciennes capitales royales de Jaipur, d’Udaipur, de Jodhpur ou de Jaisalmer, à une véritable dynamique de développement économique à l’échelle régionale (Bautès N., 2004). Organisation d’événements, pratiques sportives (polo, équitation, golf dans certains cas), ou encore activités de plein air et tourisme écologique contribuent ainsi à élargir une offre et à la concentrer entre les mains des propriétaires des principaux centres de l’activité patrimoniale: les anciens palais et demeures de nobles. Aussi, en dépit de l’émergence d’un secteur d’activité désormais très large, rassemblant à la fois l’industrie de l’hospitalité et l’artisanat notamment, et auquel contribuent des acteurs issus d’un large spectre de la société, ce mouvement s’apparente à la stratégie d’un groupe pour assurer, via le patrimoine et les principaux attributs matériels et symboliques de l’ancienne royauté, la main mise sur un pan entier de l’économie. C’est bien la maîtrise des hauts lieux du tourisme que sont les palais et demeures de caractère qui figurent au cœur de cette stratégie, dont nous avons étudié les contours en détail (Bautès, 2004). ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan Dans ce contexte, les ambitions de conservation sont ainsi avant tout subordonnées à la réussite individuelle ou familiale qui, bien que traversée par de vifs conflits inter ou intra-familiaux, demeure le principal moteur de la dynamique patrimoniale. Les acteurs engagés demeurent en effet ceux qui disposent à la fois des moyens les plus importants pour pouvoir supporter financièrement le coût de travaux de réhabilitation souvent très lourds et qui disposent de la légitimité et des capitaux nécessaires pour engager la reconnaissance patrimoniale de leurs propriétés et pour initier des partenariats d’envergure avec de grandes firmes touristiques indiennes ou étrangères, à l’exemple de celui qui lie le représentant de la dynastie d’Udaipur, Arvind Singh Mewar, au Taj Group of Hotels filiale du groupe Tata. Dans un contexte où l’offre touristique tend, à l’échelle du pays, à se professionnaliser, s’appuyant peu à peu sur des centres de formation aux métiers du tourisme (près de 50 établissements, Hospitality and Tourism management Colleges, sont présents dans le pays, dont un seul est situé à Jaipur, au Rajasthan), les entreprises familiales râjput continuent de mobiliser une main-d’œuvre – souvent peu formée – dont la majorité est issue de clans râjputs. Ce personnel, de bas statut social et traditionnellement au service des familles Râjput dominantes, est essentiellement constitué de Râjput ruraux ayant longtemps été « possesseurs d’un unique lopin de terre qui (leur) permet(tent) tout juste de subsister (avec les leurs) », (Vidal D., 1995 : 57). La permanence de cette pratique dans le contexte d’une économie moderne est la garantie, la constance de leur domination et leur permet de continuer à agir comme les principaux agents d’insertion de populations Râjput issues d’un monde rural en déprise. Ainsi, la majeure partie du personnel pour le tourisme est non qualifiée, et employée temporairement dans l’entreprise touristique. Cette main-d’œuvre est en effet régulièrement renouvelée selon les besoins des entrepreneurs. Après une durée à Udaipur limitée, elle retourne travailler dans les campagnes, sur les terres ou dans les propriétés que ces entrepreneurs ont le plus souvent gardées dans les anciens territoires contrôlés. La vigueur de ce système est toujours aussi 71 importante. Elle participe autant à fournir une expérience urbaine à des Râjput de bas statut, qu’à disposer d’une main-d’œuvre peu onéreuse de confiance. Ces actions définissent ainsi une tendance réelle à la reproduction d’un système ancien hérité, non pas « la morne litanie d’une organisation qui survit parce qu’on oublie de la détruire, mais l’histoire agitée d’une constante renaissance » (Barel Y., 1975 : 571361). la valorisation patrimoniale au prisme d’une double sélection sociale et spatiale À ce constat d’une opération visant à affirmer le pouvoir du groupe ayant longtemps dominé la scène politico-économique des royaumes du Rajasthan, s’ajoute un processus patrimonial qui, lui aussi, est dépendant des choix de ce qui mérite d’être, selon les propriétaires, valorisé ou non. Concernant les choix de conservation et valorisation patrimoniale, un travail de terrain visant à étudier les usages actuels des havelis, demeures anciennes susceptibles de faire l’objet de procédures de conservation patrimoniale dans la ville d’Udaipur et d’y trouver ainsi de nouveaux usages par le tourisme, montre, qu’en dépit de l’importante signification de leur qualité architecturale reconnue par les propriétaires et les institutions patrimoniales elles-mêmes, une très grande partie d’entre elles semble véritablement écartée du double mouvement touristique et patrimonial. En effet, selon les sources rassemblées pour identifier et localiser ces édifices (documents archivés du royaume, ouvrages historiques) et informations récoltées dans le cadre d’entretiens compréhensifs10 conduits avec des habitants du centre historique, 10- Cette étude, conduite dans le cadre d’une thèse de géographie intitulée « Le gout de l’héritage. Processus de production d’un territoire touristique : Udaipur en Inde du Nord (Rajasthan », a consisté à identifier et à localiser, dans les sources historiques et au travers d’un travail de terrain, les anciennes demeures appartenant à d’anciens membres de la noblesse et à des familles marchandes ayant acquis ces biens au moyen de dons royaux. Ces éléments reconnus pour leurs singularités architecturales et leur fonction historique, ont ensuite fait l’objet d’une enquête auprès de près de 80 individus propriétaires, locataires ou voisins de ces édifices. Les entretiens visaient à questionner les statuts d’occupation, à collecter des éléments informant sur leurs usages anciens et actuels, et à observer ceux qui avaient fait l’objet de procédures de restauration et de reconversion, en résidences hôtelières notamment. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 72 ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan Udaipur comptait, à l’Indépendance, 86 havelis11. Sur l’ensemble de ce qui a pu être identifié (72), seules neuf possèdent à ce jour un usage hôtelier, une abrite un musée et le Western Zone Cultural Centre, quand plus de 20 sont louées par leurs propriétaires à des locataires occupant ou à des entreprises de fabrication ou de stockage de matériaux. Une partie (46) de ces édifices est ainsi utilisée à des fins résidentielles, louée après avoir au préalable été morcelée, les propriétaires appartenant à des lignées familiales Râjput occupant encore souvent une partie des lieux. Si quatre étaient, en 2012, en cours de rénovation après avoir été acquises, soit par des étrangers (un Français, un Allemand), soit par des Indiens originaires d’autres villes indiennes (2 appartenant à des Mumbaïte), à des fins d’habitation, une vingtaine d’entre elles était en état d’abandon fin 2014, certaines totalement détruites si bien qu’il nous a été impossible de les localiser précisément en raison de profondes transformations dans le tissu bâti alentour. Cet exemple met en évidence les limites d’une volonté, pourtant affichée dans les sites touristiques et dans nombre de discours portés par des membres de l’élite râjput, de protéger et valoriser le patrimoine bâti de l’ancienne cité. En dépit de la manne financière dont disposent le plus souvent leurs propriétaires, la valorisation touristique et/ou patrimoniale n’est envisagée que dans quelques rares cas, l’essentiel de ce patrimoine demeurant écarté de toute initiative de conservation. Un tel phénomène, si marqué dans l’espace urbain d’Udaipur, semble tout aussi observable dans la plus grande partie des cités royales rajasthani, les plus petites tout particulièrement, où le coût de la réhabilitation et l’incertitude de leur réussite en tant que résidence hôtelière rendent les propriétaires peu enclins à assurer seuls les risques de l’entreprise (Cadène P., 2000). Une même tendance est observable dans les plus grandes cités touristiques comme dans tous les lieux du Rajasthan, où les demeures patrimoniales sont souvent en état de dégradation avancée et d’inoccupation, et ne peuvent correspondre qu’à une 11- Ce chiffre reste approximatif, eu égard à la diversité des définitions de cet élément urbain (nous avons pris en compte les seuls bâtiments pour lesquels le nom spécifiait leur appartenance à cette catégorie). Au cours de nos enquêtes, nous avons pu identifier et localiser dans la ville 72 d’entre eux. Position de recherche demande touristique marginale. À Udaipur et dans les plus grandes cités, ce phénomène est d’autant plus surprenant que c’est l’ensemble urbain dans lequel ces hauts lieux sont inscrits qui est l’objet d’une attention majeure de la part des institutions internationales chargées de la conservation du patrimoine, l’Unesco en particulier. En dépit d’une intervention limitée et très partielle dans la réhabilitation et la valorisation, les Râjputs œuvrent au maintien de statut de principal référent identitaire pour un patrimoine fortement médiatisé. Le rôle ambivalent de ces acteurs, à la fois principaux acteurs de la conservation et aux moyens d’action limités car contenus à leurs seules propriétés, est ainsi à la mesure de l’ambiguïté de la question patrimoniale. Ceci souligne toute la difficulté de définir l’ensemble de ces héritages urbains en vue d’une appropriation collective, qui passe certainement par l’établissement d’une législation efficace permettant d’enrayer la dégradation ou l’abandon de ces propriétés. Un cadre institutionnel existe pourtant, surtout mis en place depuis les années 1990, avec une véritable campagne nationale de promotion touristique (Incredible India) mise en œuvre, et un cadre institutionnel précis dans le domaine de la protection des formes et expressions patrimoniales les plus diverses. la main mise du projet patrimonial face aux enjeux sociaux et urbains contemporains Les objectifs de coopération avec la sphère privée, définis par les pouvoirs publics, et la nécessité de mener les affaires patrimoniales en conciliant les intérêts du plus grand nombre se confrontent à la complexité des dynamiques sociales structurées autour du patrimoine. Cette complexité se traduit d’abord dans la diversité des définitions de ce qui, pour les acteurs, fait patrimoine et de ce qui à ce titre doit être conservé et valorisé. Cette diversité rend difficile la coordination entre des acteurs véhiculant des visions différentes. La confrontation de ces visions et des actions qui en découlent, s’apparente à des conflits entre acteurs locaux, ou témoigne de la difficulté des pouvoirs publics d’implémenter localement des projets planifiés à l’échelle nationale ou à celle de l’État. À l’échelle locale, les conceptions distinctes de ce qui fait patrimoine et de son usage à la fois social et ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan économique peuvent être illustrées dans plusieurs initiatives récentes observées à Udaipur, où un groupe historiquement idéologiquement opposé à la noblesse Râjput, celui des marchands - principalement d’obédience religieuse Jaïn -, est à l’origine de la construction de nouveaux édifices imposants à des fins d’hôtellerie de luxe. L’envergure de ces établissements, la qualité de leur confort et des services proposés en font de véritables édifices se substituant au patrimoine architectural dominant localement. Au travers de ce processus, l’image royale est ainsi réappropriée, instrumentalisée au service d’une offre hôtelière et architecturale à laquelle est attribuée, par son adéquation aux formes anciennes, une « qualité patrimoniale » reconnue. Ces hôtels de luxe, à l’image de l’Udai Vilas du groupe Oberoi s’apparentent ainsi à des objets postmodernes, mêlant les signes du passé aux tendances les plus actuelles de la consommation. Un article publié dans le Times of India présente ces hôtels comme « héroïques dans leur adhésion aux designs architecturaux et paysagers indiens, et (…) glamour par-delà les croyances ». Par l’organisation de mises en scène nocturnes donnant vie au passé local au moyen d’expressions artistiques, et à travers l’esthétique des nouveaux hôtels émerge ainsi un mouvement de mobilisation et de revitalisation du patrimoine local. Ces établissements sont bien ancrés dans les signifiants principaux du territoire royal. Dans le même temps, ils contribuent à redéfinir les attributs patrimoniaux et culturels, notamment en redynamisant l’offre touristique par des références culturelles issues d’autres groupes sociaux, comme celles associées à l’art tribal ou au folklore local, tout en l’articulant à l’image luxueuse dont bénéficie le séjour dans un palais Râjput. Ces constructions ne rentrent pas dans les critères définis par les instances officielles de reconnaissance patrimoniale, en particulier celles de l’Indian Heritage Hotel Association (IHHA). Néanmoins, et c’est là leur spécificité, leur aspect architectural, la tradition d’hospitalité revendiquée par leurs propriétaires, l’ensemble des artefacts qui sont disposés dans ces lieux les font correspondre en tout point aux hôtels royaux. La seule différence, et elle est évidemment majeure, réside dans le contexte temporel de leur fondation et dans l’origine sociale de leurs dirigeants. Ceux-ci sont 73 le plus souvent issus de riches familles marchandes. Leur appartenance à une caste traditionnelle de marchands, tant par les spécialités, savoirs et savoir-faire commerciaux que celle-ci représente que par son dynamisme commercial, favorise son investissement dans le tourisme et le développement d’activités particulièrement florissantes. Contrôlant plusieurs filières de l’économie régionale et nationale, les castes marchandes sont aujourd’hui très présentes dans l’économie culturelle touristique, tout particulièrement dans la bijouterie, certaines filières du textile (surtout celles provenant du Gujarat, région de Kutch, entre autres) et de divers produits manufacturés spécifiques (sculptures en bronze ou en acier représentant des dieux du panthéon hindou par exemple). Avec le développement rapide du tourisme domestique, ils sont de plus en plus nombreux à s’être engagés dans l’hôtellerie. Le plus souvent initialement source secondaire de revenus, l’activité touristique représente une rapide diversification de leurs ressources économiques, si bien qu’ils viennent également concurrencer les râjput dans le domaine patrimonial. Leur démarche d’investissement dans le tourisme, marquée d’imitation, révèle une tendance de plus en plus observée au Rajasthan, où la question patrimoniale est peu à peu inscrite dans des mouvements globaux tout en fonctionnant selon des logiques sociales héritées, largement empreintes de conflits au sein d’un système social dominé par les descendants royaux et les familles marchandes, auxquels sont associés les castes brahmanes, ces trois composantes définissant l’ancienne société royale hindoue (Dumont, 1996 (1966)). Du point de vue de la gestion de la ressource patrimoniale nécessitant, en raison de la multiplicité des acteurs engagés, des actions concertées dans l’articulation entre niveaux national et local, il convient de souligner les difficultés des pouvoirs publics à faire converger leurs ambitions dans le cadre d’actions localisées. Celles-ci sont souvent liées au déficit de moyens financiers et de dispositifs susceptibles de constituer des avantages pour les acteurs privés. La volonté et la flexibilité de l’action publique dans le domaine du patrimoine, notamment des organes comme les Zonal Cultural Centres et l’INTACH, semblent pourtant des éléments permettant d’envisager de possibles parte- eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 74 ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan nariats. Néanmoins, la mise en œuvre de projets pensés en collaboration s’avère délicate à effectuer, à la fois en raison d’un manque de moyens logistiques et financiers des acteurs publics, et d’une difficulté de mener des négociations susceptibles de répondre aux intérêts de chacun des acteurs. Lorsque cette collaboration est possible, comme dans le cas du partenariat récemment créé entre l’Unesco-India, la Maharana Mewar Charitable Foundation (MMCF) et la Municipalité d’Udaipur (Municipal Corporation), la dynamique institutionnelle est largement dominée par les intérêts des propriétaires, dans ce cas représenté par le principal Trustee de la MMCF, le représentant de la dynastie royale lui-même, Arvind Singh Mewar. Lorsque ce type de collaboration est engagé dans le cadre d’activités de coopération internationale, comme c’est le cas du partenariat signé entre la ville française de Strasbourg et Udaipur autour des enjeux du développement urbain et, particulièrement, dans le domaine de la mise en valeur du patrimoine, les partenaires (École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg et son homologue d’Udaipur, Buddha Institute, Urban Development Department, Government of Rajasthan, Ministère des affaires étrangères français, Association nationale des villes et pays d’art et d’histoire, Indian Heritage Cities Network Foundation) disposent de marges de manœuvres largement dépendantes des décisions émanant du MMCF qui, outre d’être propriétaire des édifices patrimoniaux les plus remarquables, dispose d’une légitimité symbolique associée à une manne financière qui oriente les décisions. Ceci est tout particulièrement notable dans le contexte actuel, marqué par l’incapacité des instances publiques de traduire les objectifs politiques par des actions concrètes au niveau local; ce qui induit donc une situation selon laquelle les principaux gestionnaires du patrimoine restent ceux qui se sont imposés à l’échelle des territoires locaux en mobilisant leurs propres propriétés. À Udaipur, le descendant de la dynastie locale s’est tout récemment attaché à la mise en œuvre d’un projet d’envergure visant non seulement à protéger l’enceinte royale, qu’il administre par l’intermédiaire de la MMCF, mais ayant aussi de mettre en exergue cet espace en le considérant comme une « Ville dans la ville » ou plutôt, pour Position de recherche reprendre l’intitulé du projet, The City within a city. La ville dans une ville, telle est la vision défendue par Arvind Singh Mewar, porteur, d’une vision patrimoniale resserrée, centrée sur l’ancienne cité royale, lorsque ses partenaires s’inscrivent dans des préoccupations sociales (mobilité), fonctionnelles (désengorgement du centre) et environnementales (lutte contre les pollutions) étendues à l’échelle de l’aire urbaine. La diversité culturelle du Rajasthan, aujourd’hui exprimée par la diffusion d’images et de formes culturelles très diverses: danses et expressions picturales tribales, musiques folkloriques portées par des groupes minoritaires (langas ou manganyars originaires de l’Ouest de l’État et présents dans toutes les villes touristiques), ou encore savoirs et savoir-faire artisanaux issus des couches les plus basses de la société (impression textile, fabrication de bijoux, de poteries terracotta…), reste en effet subordonnée à l’image dominante. Cette subordination est rendue possible par la diversité des individus et groupes porteurs de savoirs et savoir-faire susceptibles d’être valorisés par le tourisme, dans un contexte marqué par l’absence de règles en matière d’emploi et de salaire, par une faiblesse du droit du travail - qui n’est cependant pas spécifique au domaine de l’industrie culturelle. Artistes et artisans sont le plus souvent employés de manière précaire dans les grands hôtels, ou prêtent des services peu rémunérés aux plus grands entrepreneurs touristiques. Ainsi, tout en valorisant de plus en plus de formes patrimoniales conformément aux prérogatives de l’Unesco persiste la main mise des acteurs les plus importants sur l’ensemble du patrimoine culturel. Ce phénomène témoigne de la faible influence des pouvoirs publics dans la gestion des affaires patrimoniales telles qu’elles s’expriment au niveau des territoires locaux, ceci induisant la permanence d’un modèle d’organisation sociale fondée sur une hiérarchie ancienne et sur une différence de statut qui justifie les discriminations et accentue les inégalités sociales. La valorisation patrimoniale est ainsi autant un enjeu et une opportunité qu’elle apparaît comme un nouveau moyen, pour les Râjput et pour les principaux entrepreneurs touristiques, de réaffirmer un pouvoir et un contrôle tant symbolique que matériel sur le ter- ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan ritoire. À Udaipur, la capacité d’Arvind Singh Mewar à maîtriser les outils de communication en vue de s’associer avec des acteurs internationaux de poids – l’Unesco en particulier - et son recours à des financeurs étrangers, lui permet à la fois d’atteindre ses objectifs de conservation et de faire fructifier ses propres affaires économiques. À lui seul, il entend se substituer à l’action publique en matière de gestion patrimoniale. Le recours au patrimoine relève donc d’une stratégie dominante à visée économique et politique tout à la fois qui, tout en permettant de faire fonctionner un système économique, conduit à obstruer la perspective d’un développement local au sein duquel l’ensemble de la population investie de manière active ou par sa seule présence au sein d’un territoire fortement esthétisé et valorisé par le regard touristique, participerait de la dynamique économique. Au lieu de cela, la conservation est prétexte à diffuser un mode de gestion patrimoniale et territoriale conservatrice. conclusion En Inde, la nécessaire visibilité d’un patrimoine diversifié, conservé et valorisé suscite une réorganisation des stratégies des acteurs qui tend à modifier ou à réorienter les rapports de force locaux, obligeant chacun à se positionner sur une conception précise visà-vis d’un ensemble d’éléments fortement valorisés par le regard extérieur et pour lesquels il existe une véritable pression visant à la conservation. Cette pression induit des positionnements et des mouvements très divers parfois difficilement conciliables dans la perspective d’une appréhension commune de ce qui, localement ou régionalement, doit être conservé et de quelle manière. Dans la société hindoue, les éléments structurants de l’identité sociale ou religieuse, reconnus ou non explicitement en tant que patrimoines, ne sont pas forcément exclus du mouvement naturel aboutissant inexorablement à leur destruction. Dès lors, il n’existe aucun paradoxe apparent à ne pas conserver en l’état des éléments pourtant en état de dégradation avancée ou à construire de toutes pièces des édifices qui, par les attributs esthétiques et les références stylistiques auxquels ils se réfèrent dans leurs formes, deviennent du patrimoine. 75 Dans ce cadre caractérisé par la capacité de cette société à produire un patrimoine national à partir de l’appropriation d’éléments très disparates, qu’il s’agit localement de trouver les moyens de coordonner. La durabilité du patrimoine et sa capacité à induire des tendances positives sur la société autant que sur les économies locales relèvent alors de la manière dont ces initiatives sont reconnues et dont s’exerce ou non un soutien en leur direction. Les territoires indiens souffrent d’un déficit de gestion publique qui obstrue non seulement les perspectives de conservation et de productions patrimoniales, mais plus largement conduit à la dégradation des conditions de vie de nombreux espaces urbains. L’action patrimoniale ne peut en effet s’effectuer que dans le cadre d’infrastructures adéquates et de normes en matière de développement urbain et économique définies et respectées. La production patrimoniale est bien inscrite au cœur des problématiques de la gestion urbaine, une gestion dans laquelle les pouvoirs publics ont du mal à jouer un rôle incitatif et régulateur au regard de la force et de la permanence des dynamiques sociales locales souvent héritées de formes d’organisation anciennes, comme c’est tout particulièrement le cas dans le Rajasthan. La question des héritages sociaux et de leur permanence englobe ainsi celle de leur pendant spatialisé, le patrimoine. abréviations ASI: Archeological Survey of India FHRAI: Federation of the Hotel & Restaurant Association of India IHM: Institute of Hotel Management IHHA: Indian Heritage IOF: Indian Oil Foundation INTACH: Indian National Trust for Art and Cultural Heritage SCAC: Steering Committee on Art & Culture TAAI: Travel Agents’ Association of India WZCC: Western Zone Cultural Centre. ZCC: Zonal Cultural Centre eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 76 ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan BiBlioGraPHie • Barel Y., 1987, Le héros et le politique: le sens d’avant le sens. Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 175 p. • Bautès N., Cadène Ph., Dumortier B., 2015, « Le tourisme en Inde : imaginaire et réalités », in Cadène et Dumortier (dir.), L’Inde: une géographie, Paris, Armand Colin, Coll. Capes/Agreg, (à paraître). • Bautès N., 2004, Le goût de l’héritage. 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Le présent numéro de ESO Travaux et documents regroupe sous forme de dossier une grande partie des travaux présentés ce jour-là et montre la dynamique de cette thématique santé dans l’unité de recherche. Cette dynamique se matérialise dans les travaux des chercheurs mais aussi et peutêtre surtout, dans ceux des doctorants et étudiants de Master 2 futurs doctorants qui, lors de ce séminaire, sont venus donner encore plus d’épaisseur à un ensemble de travaux déjà significatifs en augurant une poursuite de la dynamique des études en santé dans ESO durant les prochaines années. Ce dossier thématique présente les travaux en cours dans l’UMR à l’articulation entre santé et territoire. Le premier texte, rédigé par Clélia Gasquet-Blanchard et Anne-Cécile Hoyez, propose quelques réflexions sur les parcours et trajectoires dans le domaine de la santé, issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes enceintes ou ayant récemment accouché dans la ville de Rennes. Une deuxième contribution présente les premiers résultats du programme ANR Automed sur les pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens envers l’automédication (Stéphanie LarramendyMagnin, Sébastien Fleuret, Laurent Brutus). La troisième contribution expose le projet de recherche de Léa Potin qui vise à créer un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires Le texte suivant propose le projet de recherche de Léa Potin qui vise à créer un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires. La cinquième contribution analyse les dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents à travers l’exemple du dispositif Maison des Adolescents du Calvados (Métilde Havard). eso angers - cnrs 6590 - université angers Enfin, après une étude des pratiques spatiales dans les espaces du quotidien des personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile proposée par Sarah Painter, la dernière contribution porte sur les immigrés en France au seuil du grand âge (Aurélien Martineau). Le texte ci-après a pour objectif de retracer l’évolution de la place de la santé en tant que thème de recherche dans les travaux de l’UMR ESO depuis la fin des années 1990. Il suit un plan chronologique au fil du récit des initiatives prises par un ou des groupes de chercheurs, au gré des publications et événements qui ont ponctué le développement de ce champ de recherche, qui constitue désormais une thématique forte dans l’UMR À l’origine, à la fin des années 1990, un ensemble de personnes travaillait concomitamment sur des questions de santé dans l’UMR: • à Angers: un programme intitulé « ville-hôpital » a impliqué de nombreux chercheurs du site et donné lieu au financement de la thèse de Sébastien Fleuret sur les espaces hospitaliers (2000); dans le même temps Christian Pihet travaillait à l’étude du vieillissement, ce qui donnera lieu à la soutenance de son HDR en 1998 (publiée aux PUR en 2003); • à Caen: deux thèses portant directement sur la santé ont été soutenues au début des années 2000 (Gwenaëlle Lerouvillois (2006) sur l’offre de soins en Basse Normandie et Patricia Vinclet sur les infirmières hospitalières). Dans le même temps, des chercheurs travaillant sur des thèmes connexes ont inclu des questions de santé dans leurs travaux: Benoît Raoulx sur les programmes communautaires, la détresse sociale confrontée aux enjeux de santé publique à Vancouver (2002), Isabelle Dumont sur les sans-abris et leurs problématiques sanitaires (2002) • à Rennes: Raymonde Séchet travaillait sur les questions de la pauvreté (1996) et commençait à s’in- eso, travaux & documents, n° 38, mars 2015 E E SO O 80 une brève histoire de la santé dans les travaux de eso téresser à la santé en tissant des collaborations avec le département de médecine générale du CHU, par exemple (Gwenola Levasseur) et avec l’ENSP – école nationale de la santé publique (future EHESP-Ecole des hautes études en santé publique); • à Nantes: un premier Atlas de la santé du département de la Vendée et Machecoul a été publié en 1992 sous la responsabilité de N. Sztokmann, D. Rapetti, J.-R. Bertrand et de C. Pihet. La même équipe augmentée de M. Bigoteau et de L. Pourinet a été sollicitée à nouveau par la DRASS pour la production d’un Atlas de la région des Pays de la Loire en 1993. Ce travail a été réalisé alors que le système de santé français venait de connaître une réforme importante avec la création des SROS (schémas régionaux d’organisation sanitaire) et que la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) était tenue d’élaborer son premier schéma régional de santé. Il s’agit là d’une illustration de l’utilité sociale des travaux en géographie de la santé. Quelques années plus tard, Valérie Jousseaume s’intéressera spécifiquement aux recompositions de l’offre médicale en région (2002) Dans ce contexte, un groupe de travail sur la santé est créé en 1999 (intitulé POST: Population, santé, territoire) dont la première réunion, impulsée par Benoît Raoulx à Caen, se tient dans la perspective du FIG de St Dié les Vosges de 2000, dont le thème était justement la santé. Cependant aucun des membres d’ESO n’a communiqué lors de cet événement, ce qui aujourd’hui serait impensable. Une déclaration d’intention est publiée en 2001 au sein de la revue de l’UMR, ESO Travaux et documents, dans son n° 15. Rapidement il est apparu aux yeux des chercheurs et doctorant(e)s impliqués que pour faire perdurer ce groupe de travail sur la santé, il fallait se donner un objectif: ce fut l’ouvrage « la santé, les soins, les territoires », paru aux PUR en 2002 sous la direction de Raymonde Séchet et de Sébastien Fleuret (recruté comme chargé de recherche en 2001 sur la problématique santé et Dossier santé territoires). Depuis lors, la santé est un champ de recherche bien implanté dans ESO et va connaître des périodes d’activité plus ou moins dense, une visibilité plus ou moins grande jusqu’à aujourd’hui où les questions de santé occupent une place importante dans l’unité et mobilisent un grand nombre de chercheurs statutaires (DR, CR, MCF et PR) ainsi que des jeunes chercheurs (Master 2, Doctorants et Post Doc), ce qui a permis d’atteindre une taille critique qui ouvre de belles perspectives. La structuration actuelle des recherches en santé à ESO est donc à replacer dans la continuité de ce qui s’est fait depuis ce premier groupe de travail. La continuité des recherches sur cette thématique au sein de l’unité. En 2003 sont initiés les premiers développements vers le Canada à travers les travaux d’Alain Léobon sur la communauté gay face au risque VIH Sida (programme ANRS) et de Sébastien Fleuret sur les centres locaux de services communautaires (bourse Brec). Cette même année, les analyses de la dimension sociale de la surmortalité liée à la canicule en France en 2002, proposées par R. Séchet, C. Pihet et S. Fleuret ont mis en avant le fait que les décès semblaient affecter plus spécifiquement les personnes socialement isolées et fragilisées. Mais faute de pouvoir accéder aux données, ce chantier n’a pas été développé. Les années 2003 et 2004 ont marqué les débuts de nombreux partenariats avec des agences et collectivités diverses : Conseil général du Maine-etLoire, Agglomérations d’Angers, de Rennes, réseaux d’associations (ex. médecins du monde), mutuelles (ex. Mutuelles de Vendée, Mutuelle sociale agricole), ARH – Agence régionale de l’hospitalisation, ARS – Agence régionale de santé, etc. Les premiers travaux en convention de recherche avec la DRASS des Pays de la Loire portent sur le PRAPS (programme régional d’accès à la prévention et aux soins) et, consécutivement au recrutement au CNRS de Djemila Zéneidi en 2003, sur l’accueil des sans-abris en CHRS-Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (contrat piloté par S. Fleuret, Rapport publié en 2004). Un premier événement est organisé en 2004 à Angers, le Colloque « Peut-on prétendre à des espaces une brève histoire de la santé dans les travaux de eso de qualité et de bienêtre? », qui explore la question du bien-être en lien avec la définition de la santé par l’OMS pour qui la santé est « plus que l’absence de maladie, un état de bien-être complet, physique, mental et social ». Les actes ont été publiés aux Presses universitaires d’Angers en 2006. En 2005, outre la poursuite des collaborations avec la DRASS, s’engage un travail (impliquant M. Calvez, R. Séchet et S. Fleuret) avec la CPAM du Loiret et le bureau d’étude « Plénitudes » sur l’accès aux soins et les inégalités de santé (cette recherche donnera lieu à d’autres partenariats avec des CPAM dans d’autres départements en 2012). À partir de 2007, ESO s’élargit et le choix est fait d’une organisation en transversalités, la santé disparaît en tant que thématique structurante pour s’inscrire dans les différents axes: • Parcours de vie et santé: considérant que la prise en charge en santé est le fait de différents acteurs qui interviennent successivement ou simultanément auprès de la personne, il paraît essentiel d’étudier les parcours depuis une porte d’entrée (médecin, centre de santé, hôpital) et à travers un cheminement parfois complexe et pas toujours rationnellement organisé. Une deuxième entrée dans cet axe est développée par A.-C. Hoyez qui intègre ESO en 2012 comme chercheuse CNRS, après un premier passage en tant qu’ATER (en 2007) et de nombreuses collaborations alors qu’elle était affectée à l’unité CNRS Migrinter (2008-2012). L’approche d’A.-C. Hoyez considère les trajectoires de vie (notamment migratoires) et leur impact sur la santé (cf. texte dans ce même numéro). • Politiques et action publique en santé : on retrouve dans cet axe les travaux portant sur l’organisation des soins, la construction locale de la santé, les jeux d’acteurs avec les travaux de Sébastien Fleuret sur les réseaux locaux et les jeux d’acteurs ou sur la santé communautaire par exemple. 81 sur le plan de la recherche contractuelle, plusieurs programmes continuent à être développés. Citons notamment: • Le programme ESCR Franco-Britannique co-piloté par Sarah Curtis (Durham, UK) et Raymonde Séchet, impliquant Anne-Cécile Hoyez et Sébastien Fleuret sur le thème « migrations et santé ». Il s’agissait d’une série de quatre ateliers internationaux visant à fédérer un réseau de recherche et à comparer les sujets et méthodologies d’étude. Ce travail a donné lieu à une publication collective dans International journal of migration, health and social care en 2009; • Un programme d’étude sur le thème des pôles d’excellence en santé (2007, Conseil de développement économique de l’agglomération d’Angers) piloté par S. Fleuret a porté sur l’évaluation du potentiel de développement économique local à partir des activités en santé dans le Pays d’Angers; • Une étude sur le vieillissement des personnes handicapées (Conseil général du Maine-et-Loire, CNVA et réseau associatif « CLH ») a été publiée sous forme de rapport en 2009 et d’un article dans les Cahiers de géographie du Québec (Fleuret, 2011); • Un volet santé figurait dans le programme ESSTER (économie sociale et territoires, financé par la Diesess), il portait essentiellement sur l’étude du rôle des associations de santé et des mutuelles (Thareau et al., 2007); • Plus récemment, un programme ANR sur l’automédication co-piloté par Sébastien Fleuret, Véronique Guienne (Cens-Nantes) et Laurent Brutus (Médecine générale, Nantes) étudie les effets de contexte dans les variations d’usage et de perception des pratiques de l’automédication. Anne-Cécile Hoyez est impliquée dans ce programme. Les premiers résultats de cette ANR font l’objet d’un texte spécifique dans ce dossier (Fleuret S., Larramendy S., Brutus L.). Plusieurs thèses ont été soutenues entre 2007 et 2013 dans le cadre d’ESO: Béatrice Chaudet (Handicap, vieillissement et accessibilité : Exemples en France et au Québec, 2009); Sébastien Tusseau (La prévention du VIH/SIDA au Mali: le travail des acteurs de terrain, l’expérience des facteurs de transmission du virus, et la construction de territoires sanitaires et sociaux, 2013); Morgan Berger (L’accessibilité aux eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 82 une brève histoire de la santé dans les travaux de eso soins des hémophiles en Bretagne, 2012); Erwan Le Goff (Les Villes-Santé en Bretagne: quels choix de gestion et d’aménagement des espaces?, 2012); Mathilde Plard (Vieillissement et care dans les familles transnationales indiennes: Expériences de vie de brahmanes à Chennai et Coimbatore, 2012); Adeline Beyrie (Des frontières du corps aux frontières de l’identité: l’expérience d’une vie au quotidien avec des incapacités motrices majeures, 2013) et Ibrahima Dione (Polarisation des structures de soins de la Haute Casamance: entre construction nationale des systèmes de santé et recours aux soins transfrontalier, 2013). Dans cette même période, deux ouvrages de référence ont été édités chez Économica Anthropos: En 2007 sous la codirection de S. Fleuret et J.-P. Thouez (Université de Montréal) paraît : Géographie de la santé, un panorama. Ce livre présente les principales problématiques, méthodes et orientations de recherche en géographie de la santé. C’est le premier ouvrage complet et adossé à des travaux de recherche sur ce sujet en français. Les ouvrages précédents étaient soit orientés vers les questions d’économie de planification et d’accès aux soins (par exemple le « Que sais-je? » sur la géographie de la santé publié par Emmanuel Vigneron et François Tonnelier en 1999), soit orientés vers l’aménagement du territoire (par exemple l’ouvrage dirigé par Emmanuel Vigneron en 2002 aux éditions de l’AubeDatar), soit des Atlas (Salem G., Rican S. Jougla E., 2000 et 2006 avec Marie France Kurzinger). Suite à ce premier ouvrage qui présentait l’état de l’art dans les pays occidentaux et développait les sujets de Dossier santé recherche les plus courants, un deuxième volume est publié en 2011. Il s’intéresse à des approches plus originales (études dans les « Suds », approches non conventionnelles en santé...), à l’écart des courants principaux, voire inscrites dans une logique critique. Il est publié sous la co-direction d’Anne-Cécile Hoyez et de Sébastien Fleuret toujours chez Économica. Auparavant, A.-C. Hoyez avait publié sa thèse L’espace monde du yoga. De la santé aux paysages thérapeutiques mondialisés, aux PUR (2005). Plus récemment de nouveaux programmes avec des partenaires locaux ou régionaux ont été développés: • une étude sur la résorption des points noirs bruit (PNB) pour le compte de l’ARH des Pays de Loire (B. Chaudet et S. Fleuret, 2013) a montré l’importance des perceptions et représentations de l’environnement dans la façon dont les riverains de ces points noirs bruit ressentent ou non l’amélioration apportée par la réalisation d‘un équipement antibruit et dans la façon dont cela affecte leur santé (stress, sommeil...) • La réalisation d’un observatoire participatif santé-précarité pour la FNARS Bretagne (POPPS, en ligne sur le site web de la FNARS) par S. Fleuret et C. Cornelissen en 2014 (http://www.fnars.org/bretagnepopps) • La poursuite des travaux sur migration en santé dans le cadre du réseau des MSH notamment sur l’accès aux soins des migrants (Hoyez, 2011) • Un volet santé et bien-être dans l’enquête sur la vie étudiante pilotée par J. Prugneau à Angers qui a fait l’objet d’une publication dans le Geographical journal en 2015, en co-écriture avec S. Fleuret Des recrutements ont renforcé l’équipe et les nouvelles collègues qui apportent leurs thématiques et programmes de recherche: Clélia Gasquet, MCF à l’EHESP, travaille sur les représentations de l’épidémie une brève histoire de la santé dans les travaux de eso liée au virus Ebola (thèse soutenue en 2011) et aussi sur plusieurs dimensions socio-spatiales de la grossesse et de la maternité. Mathilde Plard, Chargée de recherche CNRS à ESO Angers travaille sur le vieillissement et la fin de vie en relation avec les migrations (voir son texte publié dans ESO travaux et documents en 2013). ève Gardien, MCF en sociologie à Rennes travaille sur le handicap à travers la construction sociale de l’évaluation du handicap, l’apprentissage du corps après l’accident, ou encore les luttes politiques et citoyennes par et pour les personnes handicapées. Citons également Fatou Leity Mobdj, docteure en sociologie qui a travaillé sur les patients atteints du VIH au Sénégal et impliquée actuellement sur les trajectoires de soins des jeunes en Nouvelle Calédonie qui est depuis 2015 chercheuse associée à ESO Angers. Deux autres projets sont en cours et confèrent à ESO une place centrale dans la structuration d’une communauté francophone de géographie de la santé. • Le premier est la création de la revue francophone sur la santé et les territoires (rfst.hypotheses.org) dont les premiers textes sont parus en avril 2015. • Le second est l’organisation à Angers en 2017 de l’International medical geography symposium, conférence mondiale bi-annuelle qui réunit l’ensemble de la communauté des géographes de la santé de tous les points du globe. 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Issus du programme de recherche MIGSAN1, les résultats présentés visent à articuler les dimensions spatiales et sociales de ces trajectoires qui constituent le cœur de nos recherches: il existe un réel enjeu théorique et méthodologique à éclairer les modalités de recours aux soins en prenant en compte les contextes spatiaux (villes, quartiers, habitat, réseaux sociaux dans lesquels ils prennent place). Aussi, deux grandes questions de fond se posent pour nous. D’une part, celle évoquée par Demazières et Samuel (2010) : qu’est-ce qui, dans le parcours biographique, fait contexte? Dans le cadre de nos réflexions, cela interroge en quoi le contexte participe à expliciter les états de santé et les modalités d’accès aux soins pour les migrants. D’autre part, nous cherchons à savoir comment articuler ce qui relève du parcours de soins, du parcours migratoire et des trajectoires du soin pour des populations dont les modalités d’accès aux soins sont spécifiques et complexes. Pour cela, nous synthétiserons, dans une première partie, les éléments théoriques qui entrent dans le cadre d’analyse. Puis, nous présenterons, dans une deuxième partie, des résultats 1- Projet de recherche financé par le Réseau National des MSH (RN-MSH) de septembre 2012 à avril 2015. Le projet associait la MSHB, la MSHS, la MSH Ange-Guépin ainsi qu’une unité non SHS (le département de santé publique de l’Université Rennes 1). eso rennes - cnrs 6590 - université rennes 2 d’analyses sous forme de biographies synthétiques qui permettent de mettre en lumière les ressources, ruptures et continuités telles qu’elles se jouent du point de vue de femmes enceintes migrantes. Enfin, nous discuterons des enjeux que soulève une telle recherche, tant du point de vue de la recherche fondamentale que de la recherche appliquée. Nous avons été confrontées à des (trajectoires de) femmes en situation de précarité et/ou d’instabilité résidentielle. L’éclairage que nous apportons vise à interroger les cadres sociaux et spatiaux de leur quotidien de femmes/migrantes/mères comme à donner des éléments de compréhension de leur contexte de vie aux professionnels de la santé intervenant à leurs côtés. eléments de contexte concernant la précarité des femmes enceintes migrantes Sur les 23000 femmes qui ont consulté dans les missions Médecins du Monde dans 9 pays européens (Médecins du Monde, 2015) Concernant l’accès aux soins: • 82 % des femmes n’ont pas de couverture santé • Plus de 50 % des femmes n’ont pas accès à des consultations prénatales • 58,2 % ont reçu des soins trop tardivement Concernant les conditions de vie: • 2/3 des femmes limitent leurs déplacements quotidiens en raison de leur situation administrative et par peur d’être arrêtées • 55 % vivent dans des hébergements temporaires • 23 % considèrent que leurs conditions de logement sont dangereuses pour leur santé et celles de leurs enfants • 50 % ont été séparées d’au moins un de leurs enfants eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 86 Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé. quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes... i. Parcours et traJectoires Dans le Domaine Du soin : quelques Positionnements tHéoriques La notion de « parcours » peut revêtir plusieurs sens. La mobilisation d’une telle notion fait débat. Dans le domaine des sciences médicales et de la santé publique, la notion de « parcours » se rapporte aux étapes liées à l’adressage administratif et répond à des logiques institutionnelles; en ce sens, le « parcours », ainsi normé, ne permet pas de cerner la complexité des enchevêtrements à l’œuvre dans les parcours de vie et ne permet ni de rendre compte des logiques et des choix effectués par les individus, ni des raisons de ces choix (Séchet et Fleuret, 2006). En sciences sociales, les travaux invitent à privilégier une approche globale des relations entre individus et sociétés au regard des orientations, choix, contraintes (en lien avec leurs positions sociales) (Caradec, Ertul, Melchior, 2012). Également, il convient d’« interroger la dynamique contradictoire entre l’action des déterminismes sociaux, familiaux, psychiques et le travail des individus sur leur propre histoire » (Bessin, 2009), de prendre en compte les « bifurcations » qui illustrent concomitamment les évolutions conjoncturelles, voire structurelles qui « font contexte » pour ces trajectoires (Bessin et al., 2010) et, enfin, de souligner les ré-agencements dans les dynamiques et les configurations des trajectoires de vie (Bessin, 2009). Dans nos travaux, nous avons été confrontées au besoin impérieux de contextualisation des parcours de soins de patients migrants primo-arrivants. En effet, vis-à-vis de ceux-ci, l’analyse par « parcours de soins » s’est vite révélée insuffisante: sans mise en perspective, ils n’indiquent que du non-recours, de la sur-utilisation et/ou de la sous-utilisation des services de santé. Les parcours peuvent alors être qualifiés d’« irrationnels » aux yeux de la santé publique, et par effet de glissement de sens, on risque de voir émerger la mise en place d’un discours culturaliste. C’est la raison pour laquelle nous avons intégré la notion de « trajectoire de soin » telle qu’elle a été théorisée par A. Strauss (Strauss, 1978; Strauss et Baszanger, 1992). Celle-ci, mobilisée dans les processus de soin (maladie, ou bien un événement comme la grossesse), met le contexte au cœur de la réflexion: elle permet d’aborder comment le processus de maladie Dossier santé déclenche un travail spécifique chez les soignants et les proches des patients, notamment par le passage de « trajectoires de routine » à des « trajectoires problématiques » par exemple. Cette notion englobe le caractère imprévisible des processus de maladie et de la vie quotidienne (Bessin et al., 2010) et comporte autant une dimension biographique que collective. La notion de « trajectoire » donne ainsi un cadre théorique pour entrevoir les soins et l’accès aux soins dans leur complexité, qui permet d’introduire les notions de « rupture » et de « continuité » dans un même ensemble d’analyse. Ce cadre fondamental associe alors plusieurs dimensions spatiales, temporelles et sociales qui nous permettent de prendre en compte les liens entre acteurs (associations, patients, familles, professionnels de santé et du social) mais également entre acteurs et institutions (quel accès, quel fonctionnement?) selon différentes temporalités et spatialités au sein de différents mondes sociaux. ii. métHoDoloGie Ces considérations théoriques comportent un défi méthodologique: si les parcours sont régulièrement étudiés en sciences sociales, on en mesure moins bien les effets de contexte (Demazières et Samuel, 2010). Nous avons interviewé 22 patientes enceintes suivant une grille d’entretien conçue pour appréhender les éléments contextuels. Ces femmes avaient consulté pour un suivi pré et/ou post-natal ou accouché depuis moins d’une semaine, au CHU de Rennes. Le point de contact avec les femmes s’effectuait grâce à l’appui du personnel médical (sages-femmes, aides-soignantes, obstétricien.ne.s), partie prenante de cette recherche, qui nous indiquait les femmes qui correspondaient à nos critères d’inclusion. Nous demandions aux femmes si elles acceptaient d’effectuer un entretien, et, le cas échéant, celui-ci était réalisé par nos soins dans une pièce à part, réservée pour les besoins de l’étude2. Les entretiens ont été menés avec l’autorisation du chef de service maternité gynéco-obstétrique, au ser- 2- Les entretiens, d’une durée de 25 minutes à 2h30, ont été enregistrés puis retranscrits. Ils ont été anonymisés. Les prénoms des femmes utilisés ici sont donc fictifs. Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé. quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes... vice de consultation obstétrique ou dans les chambres des patientes en maternité. Les entretiens ont été conduits en français lorsque c’était possible, ou en anglais, ou avec l’aide d’un.e interprète professionnel.le spécialisé.e en santé. Quelques entretiens ont été réalisés avec un interprète « familial », comme le mari; ils ont alors été considérés comme des entretiens « de couple » et non plus individuels; d’autres ont été parasités par la forte intrusion dans l’interprétation des expériences de la grossesse par la personne tierce; ils n’ont pas été intégrés à cette analyse. Les femmes interrogées sont de différentes nationalités (marocaine, algérienne, serbe, congolaise, guinéenne, comorienne, cubaine, turque, hongroise, équatorienne, tchétchène, géorgienne, malgache). Certaines sont arrivées depuis quelques semaines en France, d’autres y vivent depuis plusieurs années; toutes sont nées à l’étranger et ont migré au cours de leur vie; elles ont différents statuts au regard du droit au séjour (demandeuses d’asile, différents titres de séjour temporaires); certaines ont eu des grossesses et accouchements dans leur pays d’origine. iii. Présentation De BioGraPHies et traJectoires syntHétiques synthèse « biographie et trajectoire » de noura Cette jeune femme native des Comores arrive à Mayotte avec ses parents quand elle est enfant. Elle y grandit et tombe enceinte en 2005. Elle ne reste pas en lien avec le père. Elle accouche à Mayotte prématurément. Son enfant est transféré pour soins à la Réunion où elle ne peut pas l’accompagner. Elle est séparée de lui durant plusieurs semaines. Les médecins de Mayotte l’informent que si des problèmes de développement chez son enfant apparaissent, ils seront mieux pris en charge en France métropolitaine. Observant effectivement un retard de développement chez son fils, la jeune femme choisi de migrer en France. Sa sœur vit à Rennes, ce qui participe à son choix dans la destination. Dans un premier temps, elle vient avec un visa d’étude qui lui permet également de bénéficier d’une chambre en cité universitaire. Elle laisse son enfant à sa mère à Mayotte le temps de s’installer en France pour pouvoir l’accueillir convenablement. Après 7 mois, elle le fait venir pour la mise en place de soins adaptés. Il est suivi par une assistante sociale et en Centre Médico-Psychologique (CMP). Au moment de l’entretien, elle vient d’obtenir un logement social de 4 pièces, et consulte pour un suivi de grossesse coordonné par un médecin généraliste et le service gynécologie et obstétrique du CHU de Rennes. 87 synthèse « biographie et trajectoire » d’eva La trajectoire de cette jeune femme serbe est marquée initialement par une migration estudiantine. Elle arrive à 18 ans en France et décide par la suite d’y rester. Elle travaille sans contrat dans une pâtisserie parisienne. Durant cette période elle réside dans un centre social, puis est hébergée chez une amie à Rennes. Son conjoint la rejoint en France, mais il réside chez sa sœur à Tours, le couple ne peut alors se rencontrer qu’occasionnellement. La jeune femme obtient un emploi de baby-sitter à temps plein. Cependant, la femme qui l’emploie la sous-paie et la situation de la jeune femme s’apparente à de l’esclavage domestique. Elle quitte cet emploi et trouve un hébergement dans un centre social pour femmes et entame une procédure judiciaire à l’encontre de son ex-patronne. Elle attend le jugement. En fonction de l’issue et des indemnités éventuelles, le couple réfléchit à un retour au pays et à l’ouverture d’un commerce. Elle tombe enceinte et, après son accouchement, les services sociaux lui proposent une place dans un centre d’hébergement « mère-enfant ». Elle refuse cette place car elle préfère rester avec son conjoint et ne peut imaginer la maternité sans l’aide quotidienne de son conjoint. synthèse « biographie et trajectoire » d’omara Cette jeune femme d’origine cubaine vit en France depuis 1998, suite à son mariage avec un Français. Elle obtient un permis de résidente en 2003. Elle donne naissance à un premier enfant la même année. En 2004, son mari décède accidentellement juste avant la naissance de leur 2e enfant. Elle se retrouve alors seule avec ses deux enfants sans famille en France. Elle est prise en charge par les services sociaux, et obtient un petit appartement à Rennes. En 2006, elle se marie avec un autre Français et donne, la même année, naissance à un 3e enfant. Le couple divorce en 2008. Elle se retrouve à nouveau seule avec trois enfants à charge et est régulièrement aidée par les services sociaux. En 2009, elle s’installe avec son partenaire actuel, un homme cubain. Entre 2008 et 2011, elle subit 3 fausses-couches et affronte, suite à cela, des complications de santé majeures, traitées à Cuba lors de séjours temporaires. Quand nous l’avons rencontrée, elle venait juste de donner naissance à un 4e enfant. Elle se décrit comme « hyperfertile » (elle a eu 7 grossesses et 4 enfants) et a formulé une demande de ligature des trompes. Cette intervention lui a été refusée au motif qu’elle a moins de 30 ans (alors que la loi ne pose aucune limite d’âge). Elle était très anxieuse au sujet de ses deux aînés, pris en charge par l’ASE, et de son 3e enfant, placé sous la responsabilité de son 2e mari. Elle est très inquiète aussi pour le devenir de son nourrisson et de son couple: la demande de visa de résident pour son partenaire a été refusé, et il était sur le point de tomber dans la catégorie des « sans-papiers ». Aussi, en tant que mère de 3 enfants de nationalité française, d’un enfant pour qui cette nationalité n’est pas acquise et conjointe d’un homme susceptible d’être expulsé du territoire, elle se trouve prise au piège d’une situation administrative inextricable. Pour toutes ces raisons, elle développe beaucoup d’angoisses notamment en raison des risques et menaces d’origine administratifs plutôt que de ses conditions de vie ou de santé personnelles. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 88 Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé. quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes... Le cas de Noura a été choisi car il illustre une forme de trajectoire ascendante et vécue positivement par la femme: les repérages dont elle a fait l’objet par les services sociaux lui valent une prise en charge au plus près de sa situation. Les cas d’Eva et Omara ont été choisis car ils concernent des femmes qui se retrouvent dans des situations de rupture, engendrées par des rapports de force complexes voire conflictuels avec les services sociaux, mais également avec les services d’immigration qui font peser une menace sur la stabilité de leur famille. Ces différents cas de figure mettent en avant un fait constamment repéré dans nos entretiens: dans les situations rencontrées, l’approche par trajectoire permet de cerner les situations de ruptures et/ou de leviers dans les prises en charge qui peuvent induire des situations délétères pour la santé, et qui prennent racine non seulement dans les expériences du soin (ruptures de soins), mais aussi du social (prise en charge sociale) et de la migration (obtention des titres de séjour). iv. quelques éléments De Discussion Au regard d’une entrée par un état de santé (la grossesse), les trajectoires établies dans ces entretiens illustrent les imbrications et influences réciproques que peuvent avoir les parcours de soins sur les parcours de vie, migratoires et inversement. Ces processus montrent que l’accès aux soins et à la santé ne peut être pensé en dehors des parcours et des contextes de vie des individus. Le cas de Noura nous permet, grâce à la contextualisation de son parcours de vie, de mieux cerner sa trajectoire migratoire entamée par ses parents (des Comores vers Mayotte) et poursuivie par elle (de Mayotte vers la France). Cette trajectoire, guidée par le besoin de soins vitaux pour son fils aîné, induit par deux fois une rupture dans la relation avec son enfant (séparation à la naissance, puis séparation lorsqu’elle part en France en vue de s’établir avant de le faire venir). Dans le second cas, il s’agit d’une séparation accompagnée par un réseau familial très présent, puisque l’enfant est gardé par sa grand-mère à Mayotte et que la mère est accueillie par sa sœur en France. On voit donc bien ici comment les différents mondes sociaux constituent un contexte Dossier santé complexe qu’il est opportun d’analyser en termes de trajectoire. De cette façon, en développant une approche globale qui prend en compte le travail et le positionnement soignant, on aborde aussi le contexte d’exercice du soin qui participe à mieux appréhender les problématiques rencontrées dans les processus institutionnels. Comment peuvent se positionner les soignants dans certains cas de conflictualité avec leurs patientes? Comment réagissent-ils par exemple face au refus de certaines de leurs propositions (comme avec Eva), ou, inversement, face à une demande qu’ils considèrent comme inopportune (comme avec Omara)? Au moment de l’entretien Eva nous explique qu’elle a refusé la place en foyer mère-enfant que lui ont proposé les services sociaux pour ne pas être séparée de son conjoint. Elle souhaite un hébergement où celui-ci pourra leur rendre visite, voir résider avec elle et le nouveau-né, ce qui n’est pas possible dans le type de foyer proposé. En effet, au cours de la grossesse, le conjoint n’est pas « absent » relationnellement du couple et de la grossesse, mais il est contraint, par son emploi de routier, de vivre à Tours chez sa sœur. Le contexte institutionnel dans le champ médico-social en France implique de repérer les femmes seules, ainsi que les femmes seules, surtout si elles sont enceintes ou avec enfants en bas âge, et de leur proposer, si possible, une prise en charge adaptée. Quand c’est le cas, cela implique une négociation, voire une mobilisation, entre des services sociaux et médicaux débordés par les demandes, et qui se voient contraints, du fait du caractère « spécifique » de l’action, de « sortir » du cœur de leur profession. Le refus d’Eva a donc pu être perçu comme une opposition à un dispositif « favorable » pour elle du point de vue du corps médical et médico-social, et non comme l’expression de sa volonté d’être entourée, en sortie de maternité, de son conjoint. Omara a émis plusieurs demandes de stérilisation à visée contraceptive. Le contexte de l’exercice de la médecine obstétricale provoque certains « blocages » dans la pratique de la stérilisation en France, qui s’illustre ici par le fait que la demande d’Omara ne peut être entendue par les médecins qui l’ont suivie au motif qu’elle serait trop jeune. Sa demande aurait très certainement été acceptée dans d’autres contextes nationaux (au Nord comme au Sud). Ce contexte français participe à Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé. quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes... mettre en difficulté cette femme qui ne se sent pas comprise des soignants qui la suivent et qui craint fortement les répercussions de ce refus sur sa vie familiale. Les contextes médicaux, légaux et médico-sociaux dans lesquels évoluent les soignants les placent en situation d’émettre et de recevoir des injonctions contradictoires de différentes sphères institutionnelles et relationnelles et de devoir prendre des décisions qui peuvent avoir des impacts importants dans la trajectoire des patientes qu’ils suivent. C’est la raison pour laquelle, nous prenons en compte l’ensemble de ce contexte médico-social, notamment car il participe à influencer les trajectoires de vie de ces femmes. Nous analysons tout le registre d’action dans ce domaine et l’incluons comme déclencheur d’éléments biographiques (en termes de ruptures ou leviers) qui participent à l’accès et au recours aux soins et donnent lieu à d’éventuelles nouvelles chaînes d’événements. La notion de trajectoire permet ainsi d’établir les allersretours nécessaires entre les différents mondes sociaux (professionnels, familiaux, institutionnels, sanitaires) auxquels appartiennent les individus. L’enjeu de notre recherche est donc d’approfondir les connaissances sur les trajectoires de ces femmes en les replaçant dans leurs dimensions spatiales, c’est-à-dire en tenant compte de l’importance des contextes de logement, des contraintes ou possibilités de mobilité, de la mobilisation de réseaux sociaux, proches ou dispersés. 89 BiBlioGraPHie • Bessin M., 2009, « Parcours de vie et temporalité biographiques: quelques éléments de problématique », CNAF, Informations sociales, 2009/6 -156: 12-21pp. • Bessin M., Bidart C., Grossetti M., 2010, Bifurcations. Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte. • Demazière D., Samuel O., 2010, « Inscrire les parcours individuels dans leurs contextes », Temporalités: 11. 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La problématique de l’automédication ouvre de nombreuses questions: l’usage des médicaments (Fainzang, 2012), les relations médecin-patient (Fainzang, 2006), les enjeux politiques autour du rôle et de la place du médecin prescripteur et la remise en cause de certaines prérogatives professionnelles (Fainzang, 2012). Dans la lignée de la loi du 4 mars 2002 qui mettait en avant les notions de décision partagée ou co-décision entre patient et médecin, l’automédication est aujourd’hui reliée à la question de l’autonomie du patient (Gagnon E., 1998, Fainzang, 2012) qui va de paire avec les savoirs que celui-ci possède (Akrich, Meadel, 2009) et la façon dont il va ou non échanger sur ce sujet avec un professionnel de santé dans une confrontation savoir professionnel/savoir profane (Jouet, Flora, 2010). Cet article s’inscrit dans le contexte français, qui se distingue par une faible importance du marché de l’automédication, en valeur comme en volume, par rapport à ses voisins européens (Coutinet, Abecassis, 2007,). Toutefois dans un souci de maîtrise des dépenses publiques, les pouvoirs publics cherchent à encourager ces pratiques d’auto-soins. La problématique de cet article se situe donc à l’articulation de l’autonomie du patient et celle de la santé publique. En effet, si 68 % des Français se déclarent favorables à l’automédication (Deloitte/Harris Interactive., 2013), cette pratique n’est pourtant pas sans danger. Le retard de diagnostic suite à une automédication prolongée et les risques iatrogènes sont les principales sources d’accidents (Queneau, 2008,). Face à ce risque, le « rapport Coulomb », commandité en 2007 par le Ministre de la Santé, désigne le médecin géné- raliste et le pharmacien comme les garants du « bon usage » des médicaments d’automédication et de la « prévention de certains risques encourus par le patient » (Coulomb, Baumelou, 2007). Le rapport précise le devoir du médecin de « vérifier, voire d’orienter l’automédication du patient », spécifiant toutefois qu’il ne pourrait « être tenu responsable du mésusage d’un patient ». La place du pharmacien comme partie intégrante de l’offre de soins primaire et de proximité s’en trouve renforcée. La présente étude cherche à comprendre comment ces professionnels de santé perçoivent et intègrent cette mission de Santé publique dans leurs pratiques quotidiennes. Comment dans l’exercice de leur profession, ils encouragent ou freinent l’automédication. Comment ils perçoivent les récentes politiques publiques qui ouvrent le marché de l’auto-soin. La façon dont les médecins s’accommodent de ces pratiques d’automédication est souvent abordée dans la littérature scientifique mais très rarement comme objet central de la recherche. Les résultats obtenus par entretiens semi-directifs auprès de médecins et pharmaciens des aires urbaines de Nantes et Saint-Nazaire durant le premier semestre 2014, rendent compte de la diversité des pratiques et mettent celles-ci en lien avec des effets de proximité géographique et professionnelle (LarramendyMagnin, Fleuret, 2015). i- matériel et métHoDe La méthodologie s’est déroulée en deux temps: le choix des communes pour réaliser nos entretiens puis la construction des grilles d’entretien et l’organisation des entretiens avec les professionnels. L’étude a été menée dans le cadre du programme eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 92 automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise de recherche ANR « AUTOMED1 », « Automédication choisie ou subie » 2013-2016, qui propose l’analyse des déterminants sociaux, territoriaux et médicaux du recours à l’automédication, dans les départements de Loire-Atlantique et de Vendée. Ce programme interdisciplinaire combine les outils et méthodes de trois disciplines : médecine générale (DMG de Nantes), sociologie (CENS Nantes) et géographie (ESO-Angers et ESO-Rennes). Les terrains retenus pour analyser les positionnements des médecins généralistes, éclairés par le point de vue des pharmaciens face à l’automédication, ont été choisis dans le périmètre de ce programme. Deux enquêtes du programme AUTOMED ont été utilisées, de façon exploratoire, pour sélectionner les médecins et pharmaciens à rencontrer2. La première interrogeait les pratiques d’automédication de patients enquêtés en salle d’attente de médecine générale. L’enquête a duré deux mois et reposait sur des questionnaires anonymes et auto-administrés. Cette enquête s’est répétée chaque année durant les trois années du projet de recherche AUTOMED mais seules les données quantitatives de la vague 1 de l’étude, réalisée de mai à juin 2013, étaient disponibles et exploitables au moment de la réalisation de cet article. La deuxième étude a été réalisée à partir d’observations directes de consultations de médecins généralistes, maîtres de stage universitaires, en Vendée et Loire-Atlantique du 14 mai au 15 juin 2012 (Thay, 2013) par des internes de médecine générale, dans le cadre du stage « praticien » de niveau 1 du Diplôme d’études spécialisées de médecine générale. Ce travail cherchait à déterminer au travers des discussions entre le médecin et son patient si la question de l’automédication était abordée lors de consultations pour des pathologies aiguës, qui initiait alors la discussion et si cette discussion était prise en compte dans les prescriptions. Les médecins, s’ils connaissaient la thématique générale de l’étude, n’étaient pas informés de l’objectif principal de cette étude afin de ne pas modifier leur comportement. 1- Programme porté conjointement par le Centre nantais de sociologie (V. Guienne) ; le Département de médecine générale de Nantes (L. Brutus) et ESO (S. Fleuret) 2- Pour plus d’information sur le programme AUTOMED, consultez le carnet de recherche en ligne : http://automed.hypotheses.org/12 Dossier santé À partir de ces deux études, il a été observé que les taux d’automédication (étude 1) et la fréquence d’évocation, d’exploration et de prise en compte de l’automédication en consultation (étude 2) varient géographiquement. Les agglomérations nazairienne et nantaise se singularisaient par des taux différents de la moyenne territoriale, en limite de signification statistique (respectivement inférieur et supérieur). Ces variations géographiques ont été étudiées en profondeur et font l’objet d’un article publié par ailleurs (Larramendy-Magnin S., Fleuret S. 2015). Dans le cadre du présent travail, cette observation a déterminé le choix de conduire des entretiens approfondis avec des médecins et pharmaciens dans ces deux territoires dont les rapports à l’automédication se différenciaient significativement. Dans les deux zones définies, les médecins généralistes ont été contactés en fonction de leur commune et leur quartier d’exercice afin d’obtenir un échantillon comprenant des contextes socio-économiques de pratiques variés. Les médecins généralistes ont été contactés au hasard dans un premier temps sur les communes identifiées à partir de la base de données Ameli.fr pour limiter les biais de sélection. Dans un deuxième temps, une tentative de redressement de l’échantillon sur le sexe des praticiens a été effectuée (la donnée « âge » n’était pas disponible). Pour compléter le point de vue des médecins, des pharmacies ont été contactées dans un deuxième temps en fonction de leur proximité avec les cabinets médicaux enquêtés ou de leur situation en zone de passage (galeries marchandes). Des grilles d’entretien spécifiques à chaque type de professionnel ont été utilisées pour contextualiser les propos (choix d’installation, données sociologiques, patientèle...) et pour positionner le professionnel de santé dans ses perceptions et ses pratiques vis-à-vis de l’automédication (la définir, l’encourager ou la freiner, positionnement par rapport aux politiques publiques, réactions face à cette automédication...). La grille d’entretien visait à faire décrire leurs pratiques aux professionnels sans considération de justification de ces pratiques, et à livrer leurs perceptions à partir de leur expérience individuelle. Les entretiens ont été menés par un ingénieur de recherche bénéficiant de la double compétence de géographe et de médecin. automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise Le travail de recherche portait en premier lieu sur les médecins généralistes. Mais il semblait judicieux de s’intéresser également aux pharmaciens. Ils sont positionnés immédiatement après la prescription dans la délivrance du médicament et donc en continuité de ce qui a pu se jouer en terme d’automédication dans la consultation et sont témoins et acteurs des enjeux de la prescription/non prescription. Ils portent également un regard sur la relation médecin-patient. Hors l’une des hypothèses de ce travail est que la nature de cette relation conditionne le rapport à l’automédication. Par conséquent, des entretiens ont été réalisés avec des pharmaciens en complément des entretiens avec les généralistes pour éclairer ces deux points. Les entretiens enregistrés après accord ont ensuite été intégralement retranscrits pour permettre une analyse fine des discours. La quasi-totalité des entretiens a été réalisée par le même enquêteur pour ne pas introduire de biais dans le questionnement des différents professionnels. L’analyse des discours s’est effectuée à partir du logiciel Nvivo (QRS International). Les différents thèmes apparus au cours des entretiens ont été encodés puis analysés pour leur contenu, sans comptage d’occurrence des mots. ii- résultats 1. les professionnels enquêtés 49 professionnels de santé ont été enquêtés au cours d’entretiens de 40 minutes en moyenne. Le taux de refus était de 33 %. 2. interroger et prendre en compte l’automédication « Abordez-vous le sujet de l’automédication durant vos consultations? ». Un médecin homme sur deux répond spontanément « non », ne se sentant ni vraiment concerné, ni vraiment préoccupé par cette problématique comme en témoigne ce médecin de 55 ans: « C’est plus eux qui en parlent éventuellement parce qu’ils ont été, avant de nous voir justement, à la pharmacie (...) et puis que ça n’a pas marché. Voilà je ne développe pas plus que ça ». 93 Le sujet est tout de même parfois évoqué « à titre informatif » comme l’évoque un médecin de 43 ans « Je leur demande ce qu’ils ont pris (...) S’ils ont avalé tout ce qu’ils avaient dans leur pharmacie ou s’ils n’ont rien pris ça m’aide à quantifier le problème ». Ceux qui répondent « oui », pour plus de la moitié, se revendiquent d’une médecine lente, plus globale (par exemple des acupuncteurs ou médecins exerçant dans des cabinets issus du militantisme médical de la fin des années 1970). 16 femmes médecins sur 18 répondent spontanément « oui », presque comme une évidence. Elles interrogent les pratiques d’automédication pour: • savoir où en est le patient dans la prise en charge de ses symptômes; • prévenir les risques et éviter les interactions ou les redondances avant prescription; • repréciser le bon usage des médicaments pris en automédication. « Avant de prescrire je leur demande si déjà ils ont pris quelque chose, systématiquement, pour ne pas en rajouter ou éviter un accident », témoigne une praticienne de 50 ans. L’automédication reste principalement interrogée au travers de la question: « Qu’avez-vous pris avant de venir me voir? », ce qui cible une automédication prise en réponse à un symptôme pour lequel le patient est venu consulter. Ainsi formulé, ce questionnement n’explore pas l’automédication qui pourrait intervenir pour d’autres symptômes que le patient ne souhaiterait pas évoquer avec son médecin, soit par gène (laxatifs), soit parce qu’il pense que le médecin ne répondrait pas à son questionnement (fatigue chronique) ou celle prise en prévention des maladies (vitamines, fortifiants). De même, cette façon d’interroger l’automédication se focalise essentiellement sur l’usage de produits et moins sur des pratiques de soins non médicamenteuses. L’automédication avec des médicaments non allopathiques est exceptionnellement interrogée. Or selon Kesser, Hatz, Schär (2001), l’automédication devient spécialement intéressante quand on la considère en rapport avec l’utilisation de segments de deux médecines: médecine orthodoxe et médecine complémentaire. L’explication de cette faible interrogation de l’au- eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 94 automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise tomédication non allopathique réside probablement dans le fait que ces médicaments (homéopathie, phytothérapie, aromathérapie) sont considérés comme de la médecine douce, n’ayant que peu d’effets, présentant peu de risques, et par conséquent préoccupant peu les médecins. Un médecin de 43 ans témoigne: « je ne suis pas sûr qu’on me le dise tout le temps ce genre d’automédication, (...) parce que je n’ai pas une oreille très réceptive (...) je ne suis pas sûr d’y croire beaucoup ». La façon de questionner l’automédication est très certainement liée à ce que les médecins envisagent de faire de l’information recueillie. À travers l’analyse de nos entretiens, deux types de médecins apparaissent. Le premier, celui des sceptiques qui doutent de leur capacité à encadrer les pratiques de leurs patients. Ils estiment que ceux-ci sont peu observants et que quoi qu’il arrive ils prendront en charge de multiples façons leur santé en dehors de la médecine qu’ils leur proposent. Le deuxième type est composé de médecins plus confiants sur l’efficience de leur prise en charge et de leur éducation thérapeutique. Ainsi, ils pensent parvenir à encadrer l’automédication de leurs patients. « À la fin de la consultation je leur explique des choses, je leur donne des consignes pour la prochaine fois dans la même situation, ça vous avez le droit de le faire avant de venir me voir (...)» explique un jeune médecin de 32 ans. La répartition des médecins dans un type ou dans l’autre semble obéir à une combinaison de facteurs : un effet de génération, de formation et de la représentation que se fait le médecin de sa relation au patient, plus ou moins paternaliste. Ainsi, le premier type plus empreint de fatalisme et de renoncement semble aussi concerner des médecins plutôt plus âgés ayant donc reçu une formation différente de celle dispensée actuellement (abandon du modèle paternaliste au profit d’une approche centrée sur le patient (Véluet, 2008,) et qui ont eu depuis une pratique professionnelle qui leur a apporté un certain pragmatisme. C’est ce que rapporte ce médecin nantais « voilà 50 ans... on s’embête moins (rires) », autrement dit, on ne se berce pas d’illusions sur la portée des recommandations formulées. Dossier santé 3. une vision positive ou négative de l’automédication Les professionnels étaient invités à définir l’automédication. De la définition littérale du mot au jugement de valeur, de la pratique à risque à l’autonomie positive du patient, les visions sont très variées. Certains médecins qualifient l’automédication comme une pratique « en dehors des bonnes pratiques », contraire au bon usage du médicament, contraire à leur préconisation, « des gens qui prendraient par exemple, des anti inflammatoires, des antibiotiques, sans avis médical. Mais s’ils prennent un peu de doliprane ou soignent une plaie, pour moi ce n’est pas de l’automédication ». Dans cet exemple, le médecin s’oppose à la prise autonome d’anti-inflammatoires ou d’antibiotiques issus de la pharmacie familiale, puisqu’il la juge inappropriée et la qualifie alors d’automédication. Il approuve par ailleurs l’utilisation de paracétamol qui ne peut s’apparenter dès lors à de l’automédication. Un autre médecin définit l’automédication comme « un non-dit », suggérant un défaut de confiance entre le patient et son médecin. Enfin, un médecin définit l’automédication comme « de la concurrence déloyale » mettant en cause le rôle croissant des pharmaciens dans la prise en charge médicale des patients. Il ne s’agit pas là d’une vision économique mais d’une forme de revendication d’un pré-carré lié aux savoirs acquis (ou supposés) et aux actes y afférant. Les définitions à consonances négatives émanent toutes de médecins de plus de 50 ans, principalement des hommes. Il apparaît au cours des entretiens avec ces praticiens qu’ils subissent l’automédication de leurs patients qu’ils vivent comme une rupture de confiance au profit d’autres interlocuteurs, dont le pharmacien. La notion d’autonomie apparaît dans les définitions de l’automédication à consonances positives. Elle est présentée comme bénéfique, mais parfois restreinte à la prise en charge des pathologies bénignes à l’instar des préconisations gouvernementales, « le patient qui est capable de traiter des petits soucis ponctuels de santé ». Cette définition se retrouve plutôt chez de jeunes médecins femmes confiantes dans leurs capacités ainsi que dans celles de leurs patients à avoir une prise en charge raisonnée et raisonnable de la santé de ces derniers. L’automédication est souvent définie automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise comme un acte volontaire « des patients qui veulent gérer eux-mêmes leurs symptômes (...) des gens qui veulent se soigner tout seuls ». Un médecin nazairien y voit même « un geste spontané, naturel, sans prise de risque épouvantable », soulignant au passage que nous nous « automédiquons tous », lui, le premier. Des médecins soulignent quelques avantages de ces pratiques: celui de « temporiser » le recours à la consultation, principalement dans le cas des viroses hivernales, libérant ainsi des créneaux horaires pour des pathologies nécessitant rapidement un avis médical, ou de faire avancer la prise en charge, notamment dans le cas des douleurs, le patient ayant déjà testé l’efficacité d’un premier traitement. Les pharmaciens appellent eux communément les médicaments d’automédication, tels que définis par les pouvoirs publics, des « médicaments conseils ». Ils définissent l’automédication souvent par rapport à leur exercice, en fonction de la connotation positive ou péjorative que le terme leur évoque: • Une pratique en dehors de leur pratique « en ce qui me concerne, l’automédication ne me concerne pas » : le pharmacien positionne l’automédication comme un acte autonome de l’usager, sans l’avis d’aucun professionnel de santé, médecin ou pharmacien, « un patient qui a sa pharmacie à la maison et qui prend ce dont il a besoin au moment où il en a besoin (...). Parce que nous au comptoir on repositionne à chaque fois le produit demandé »; • L’automédication comme le cœur de leur métier, « le conseil ». Certains pharmaciens estiment ainsi que l’automédication est une des missions de santé publique que le gouvernement leur a confiée, notamment par les politiques de déremboursement du médicament et qui les positionne comme acteurs de soins primaires au même titre que le médecin: « je crois bien que ça serait notre base de métier, au lieu d’aller chez le médecin, les gens viennent nous voir ». 4. encourager ou freiner l’automédication, entre situations médicales et représentations Selon les cas, les médecins vont encourager ou freiner l’automédication. Leur position va être déterminée soit par une situation médicale particulière soit par des représentations 95 (parfois relevant de lieux communs). Au regard de situations médicales, ils encourageront les pratiques d’automédication: • pour des pathologies bénignes chez l’adulte: fièvre bien tolérée, douleurs légères, viroses hivernales; • pour les maladies chroniques, chez les patients qui connaissent bien leurs symptômes, pour qui le diagnostic a été établi par le médecin et qui ont appris comment et quand utiliser leur traitement prescrit alors en « si besoin »; • en pédiatrie, après avoir éduqué les parents à reconnaître les signes de gravité qui doivent les conduire à consulter, pour les enfants de plus de 6 mois principalement et avec trois produits: le paracétamol, le sérum physiologique et le soluté de réhydratation; • chez des patients identifiés par le médecin comme en capacité de reconnaître leurs symptômes, d’utiliser correctement les médicaments et de savoir consulter en cas de besoin comme l’expose cette femme médecin de 52 ans: « Les gens que je vois autonomes, capables de gérer, et de réfléchir, de prendre le téléphone pour poser des questions, là je leur dis, oui vous vous débrouillez tout seul, vous avez ça et ça vous avez l’habitude de les prendre, après si vous avez des problèmes, des questions vous m’appelez ». Dans les cas ci-dessus, l’automédication encouragée est donc le fruit d’une éducation thérapeutique, pour des symptômes identifiés au préalable avec le médecin, avec un traitement défini par le praticien. Le traitement est d’ailleurs souvent prescrit par ordonnance anticipée. Le paracétamol est identifié par tous les médecins comme le médicament que les patients peuvent utiliser de façon autonome après éducation. Les médecins relèvent peu d’événements indésirables en lien avec les pratiques d’automédication. Ils restent toutefois méfiants des prises médicamenteuses autonomes, surtout quand intervient le conseil « du voisin » et que rentre en jeu la pharmacie familiale. Les perceptions des praticiens sur les dangers que présentent certains médicaments sont influencées par les mauvaises expériences vécues durant leur parcours professionnel. Ainsi, les anti-inflammatoires, accessibles sans ordonnance, sont identifiés par une large majorité eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 96 automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise de médecins comme à risque pour leurs patients, polypathologiques (iatrogénie), femmes enceintes (risque tératogène), enfants, et les patients présentant une infection (risque de complications graves). Les médecins sont également vigilants vis-à-vis des psychotropes (anxyolitiques par exemple). Ce qui est craint ici c’est la sur-consommation même si ces médicaments sont uniquement accessibles sur ordonnance. Cette sur-consommation serait due à l’acquisition de substances par échanges entre voisines. Derrière un fait établi (les femmes sont majoritaires parmi les consommateurs de psychotropes), se cache aussi une représentation péjorative: le troc issu de la pharmacie familiale serait le fait de patientes plus ou moins habilitées à s’automédiquer face aux effets secondaires de ces médicaments et au fort risque de dépendance. L’utilisation des antibiotiques en automédication a été évoquée spontanément par 19 médecins sur 30. Cette automédication n’est possible qu’à partir de comprimés restant d’une prescription antérieure, ce qui pose également le problème de l’observance de la durée du traitement prescrit et du conditionnement des boîtes de médicaments. Ici, ce n’est pas le risque pour le patient qui est mis en avant mais le risque de santé publique de résistances des bactéries aux antibiotiques liées à un mauvais emploi et une surconsommation de ces médicaments. Suite à la campagne télévisuelle « les antibiotiques ce n’est pas automatique », selon les dires des praticiens, les patients sembleraient à la fois mieux accepter la non-prescription d’antibiotiques et pratiqueraient désormais moins cette automédication. Le retard de diagnostic a également été cité comme un des risques de l’automédication. Ce dernier apparaît si l’automédication se substitue trop longtemps à une consultation médicale. La durée est subjective puisqu’elle dépendra de la pathologie considérée. 5. Déremboursement et libre accès des médicaments Le développement de l’automédication en France est en partie lié à deux mesures introduites par les politiques publiques pour l’encourager. La première est le déremboursement de certains médicaments qui a pour effet de ne plus rendre nécessaire la consultation pour y accéder. La deuxième est l’autorisation depuis 2008 de vendre des médicaments en officine Dossier santé en libre-service ce qui peut avoir pour conséquences de court-circuiter le conseil du pharmacien, l’acheteur se saisissant du produit avant d’avoir reçu les recommandations du professionnel. Concernant le déremboursement des médicaments, les avis sont nuancés. La plupart des médecins estiment qu’un certain nombre de médicaments sont inutiles, voire dangereux et que leur déremboursement leur donne un argument supplémentaire pour ne plus les prescrire et pour dissuader leurs patients de les prendre en automédication, « c’est bien parce que ça nous permet d’appuyer dans l’idée des gens le fait que ce n’est peut-être pas super-efficace et que c’est peut-être pour ça que c’est déremboursé ». Des médecins et pharmaciens soulignent également l’intérêt de la mesure pour préserver le système de soins français en améliorant les finances de la sécurité sociale. A contrario, certains pharmaciens évoquent fréquemment le discrédit qu’apporte le déremboursement sur les médicaments, « ce n’est plus remboursé donc ce n’est pas efficace » et la chute des ventes immédiate qu’entraîne la mesure. D’autres professionnels de santé, principalement implantés dans les quartiers défavorisés mettent en avant que les déremboursements des médicaments dits « de confort » pénalisent les moins fortunés et engendrent des inégalités de santé: se les procurer engendrera une dépense supplémentaire et si cette dépense est trop importante cela peut conduire au renoncement aux soins. Or si ces médicaments ne sont pas d’une grande efficacité, ce qui a justifié leur déremboursement, certains peuvent soulager des symptômes, apporter du confort à l’usager, ce qui, en matière de santé, devrait pouvoir être accessible à tous. L’exemple le plus fréquemment évoqué est celui des hémorroïdes où tous les médicaments de première ligne ont été dé-remboursés. Un deuxième effet négatif des déremboursements apparaît alors: des prescriptions contraintes par les difficultés économiques des patients. Une autre conséquence est que les médecins ne pouvant pas prescrire un traitement non remboursé à leurs patients en incapacité financière de l’acquérir, leur prescrivent alors des traitements remboursés mais généralement utilisés en deuxième intention (ex: anti-inflammatoires) et souvent plus à risque d’effets secondaires. Loin de automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise conduire à une automédication « gratuite » pour la sécurité sociale, ces déremboursements peuvent finalement apparaître contre-productifs, ce que souligne ce médecin « ça nous oblige parfois à prescrire des médicaments qui sont bien plus chers et qui sont remboursés parce que les gens refuseront de le prendre s’il n’est pas remboursé. Donc je trouve que ça à plus l’effet inverse que l’effet escompté au final, de faire des économies ». Plusieurs médecins regrettent le déremboursement de médicaments peu actifs mais qui enrichissaient leur arsenal thérapeutique, surtout lorsque l’effet recherché était l’effet placebo (prescription pouvant psychologiquement sécuriser le patient pour des pathologies ne requérant pas de médication selon les recommandations). Là encore, devant l’importance de la « prescription » pour certains patients, ces médecins craignent d’avoir à prescrire des molécules plus actives, remboursées, chez des patients économiquement défavorisés. Les médicaments en libre accès, ou OTC (« over the counter ») sont des médicaments listés que les pharmaciens peuvent disposer, depuis 2008, sur des présentoirs dédiés proches des comptoirs, permettant aux clients de se servir directement. Même si les pharmaciens interrogés disent ne pas constater d’augmentation de leur chiffre d’affaires depuis la mise en place dans leurs officines de ce nouveau rayonnage, ils admettent toutefois que cette nouvelle disposition (médicaments situés dans les zones d’attentes de passage en caisse) provoque des achats spontanés. Un peu plus de la moitié des médecins et pharmaciens interrogés estiment que mettre certains médicaments en libre accès en pharmacie représente un danger pour les patients. Pourtant 15 pharmaciens sur 19 ont un rayon d’OTC. Plusieurs d’entre eux expliquent l’avoir mis en place plutôt par « obligation », fortement incités par leur groupement, mais n’adhèrent pas forcément à ce mode de distribution. Cela renvoie au paradoxe de la profession de pharmacien d’officine pourvoyeur de médicaments d’un système public de santé (régulation administrée) et commerçant d’un système industriel à but lucratif (régulation de marché) (Founier P, Lomba C., 2007). 97 Les arguments développés par les professionnels de santé, médecins et pharmaciens confondus, contre le libre accès sont les suivants: • le médicament n’est pas un produit de consommation comme un autre. Cette mesure « banalise » le médicament et l’automédication, les usagers sousestimant alors les risques encourus, minimisés par la suppression de la « barrière symbolique » du pharmacien. Cette banalisation pourrait également induire une sur-consommation, toujours selon les dires de certains des professionnels; • les professionnels de santé constatent que les usagers méconnaissent les médicaments d’usage courant (posologies inadaptées, confusion entre plusieurs types de molécules) et craignent une mauvaise utilisation, ce qui renvoie à une représentation négative de l’automédication; • le conseil est plus difficile à délivrer par le pharmacien lorsque le patient arrive en caisse avec le médicament, « parce qu’ils se sont servis, c’est sousentendu, je connais le truc que j’ai pris »; • certains pharmaciens redoutent que le libre accès ne soit un argument supplémentaire pour que la grande distribution obtienne l’autorisation de vente des médicaments. Les médecins qui « ne s’opposent pas » au libre accès, plus qu’ils n’y sont favorables, font confiance au pharmacien pour encadrer de la même manière les achats de ces médicaments que ceux délivrés au comptoir. Les arguments favorables au libre accès des médicaments sont principalement développés par les pharmaciens. Le principal est celui du patient autonome qui « s’implique dans sa prise en charge ». Le libre accès permettrait ainsi de rapprocher l’usager du médicament, lui donnant la possibilité dans l’exercice de son choix, de lire les notices, comparer, s’intéresser. Enfin, cette possibilité offerte au patient de sélectionner seul les traitements dont il estime avoir besoin, peut lui permettre de contourner une gêne à évoquer certains symptômes aux comptoirs. 6. médecins, pharmaciens : collaboration ou antagonisme ? Un rapport du conseil de l’Ordre des médecins (Pouillard J., 2001) en 2001 préconisait une attitude déontologique commune aux médecins et aux phar- eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 98 automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise maciens, incluant les recommandations de bon usage de médicaments, une formation continue pluridisciplinaire, une évaluation partagée de la consommation du médicament et du comportement des patients en automédication. La question « Comment voyez-vous l’articulation entre médecins et pharmaciens autour de la problématique de l’automédication? » fait ressortir les représentations de chaque profession l’une par rapport à l’autre ainsi que les liens que ces professionnels de santé entretiennent. Deux cas de figures sont observés. Dans le premier cas, les pharmacies sont situées à proximité d’un cabinet médical et leur clientèle est principalement constituée de patients avec ordonnance qui peuvent éventuellement effectuer des achats complémentaires en automédication. Lorsqu’existe cette proximité entre médecins et pharmaciens, ils se connaissent et respectent le travail de chacun. L’articulation entre les deux professions est alors perçue comme: • une co-responsabilité: le pharmacien est un niveau de contrôle supplémentaire à celui du médecin; • une complémentarité: le patient peut demander conseil au pharmacien notamment pour les médecines « douces » auxquelles le médecin n’a pas été formé, inversement les pharmaciens peuvent adresser leurs clients aux médecins quand ils estiment que la demande dépasse leurs compétences. Dans ce premier cas les échanges sont cordiaux et les interactions fréquentes. Dans d’autres espaces, cette proximité est moins évidente (centre-ville de Nantes et Saint-Nazaire) et les perceptions peuvent être toute autre. Les pharmaciens sont parfois perçus comme des commerçants, « des vendeurs de médicaments », exerçant une « concurrence déloyale » puisqu’ils poussent à l’automédication. Inversement, plusieurs pharmaciens de centre-ville dénoncent l’ingérence du médecin dans le libre choix de la pharmacie par le patient, ce qui fausserait la libre concurrence dans le champ de l’automédication. « Je vais dire que 90 % des médecins envoient leurs patients nommément à la pharmacie X, je l’ai vu inscrit sur les ordonnances. Parce que c’est pas cher. (...) Moi je ne dis pas n’allez pas chez tel médecin vous allez avoir des dépassements d’honoraire. Jamais, je me l’interdis » évoque une pharmacienne de Nantes. Dossier santé iii- Discussion 1. le lien entre l’automédication et la relation médecin patient L’automédication, dans le cadre d’une relation de confiance entre soignant et soigné, peut être vue comme un élément de la consultation parmi tant d’autre et va être abordée tout naturellement comme l’exprime ce médecin « Ça ne me gêne pas, on peut en parler. Ce n’est pas une atteinte à mon pouvoir de médecin, pour moi de toute façon vous ne pouvez que négocier avec les gens leur traitement, vous ne pouvez pas l’imposer ». Inversement une rupture de confiance entre soignant et soigné va générer une incompréhension et dans certains cas il sera moins naturel, voir compliqué, d’évoquer l’automédication en consultation. Il semble que les médecins qui se situent dans le deuxième cas de figure sont aussi ceux qui ont un a priori négatif sur l’automédication. Nous sommes ici dans la question de l’asymétrie des savoirs entre professionnels et profanes (Jouet E. & Flora L., op.cit), le patient doit se sentir écouté et autorisé à parler librement de son automédication, le médecin ne doit pas percevoir cette automédication comme une remise en cause de son autorité d’éducateur thérapeutique. Or seul un tiers des problèmes de santé sont portés à la connaissance des médecins (White K, Williams T, Greenberg B., 1961). Ce qui conduit ce médecin de l’agglomération nazairienne à s’interroger à ce sujet « Est-ce que les patients ont confiance vraiment en leur médecin (...) est-ce qu’on est suffisamment réceptif pour qu’ils nous accordent leur confiance ? ». En résumé un modèle relationnel serein entre soignant et soigné permettrait une meilleure prise en compte de l’automédication. Inversement des expériences déçues du patient avec son médecin (Fainzang S., 2012, op cit), conduisent l’usager à recourir à d’autres modalités de prise en charge, en d’autres termes à une automédication déconnectée de la relation avec le médecin traitant. Des pharmaciens de la région nantaise corroborent ce constat d’après les échanges avec leurs clients. Ils relient le recours à l’automédication et aux médecines alternatives avec le manque de disponibilité des médecins durant les consultations pour entendre les plaintes des patients: « ils nous disent, « on n’est pas automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise écoutés » (...) il n’y a plus de prise en charge globale, il y a une prise en charge spécifique ». 2. la coopération entre professionnels de santé La proximité spatiale est un facteur favorable à la coopération des pharmaciens et médecins pour la prise en charge des patients. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce résultat. La proximité physique permet aux professionnels, au mieux de se rencontrer, au moins de connaître le lieu d’exercice de l’autre, ce qui pourrait faciliter les échanges: identifiant un interlocuteur privilégié, ils sont plus à même de tisser des liens (patients adressés par les pharmaciens aux médecins et médecins identifiant la pharmacie de proximité comme celle qui délivrera les ordonnances de leurs patients). Pharmaciens et médecins exercent dans un même contexte territorial avec les mêmes problématiques locales (difficultés socio-économiques, isolement...), ce qui leur permet de mieux se comprendre « Je vois les médecins généralistes à côté de chez moi, ils ont des cernes jusque-là, ils commencent à 8 heures, ils finissent à 21 heures, ils ont 10 minutes par patient sinon ils se font engueuler parce que M. Machin n’a pas eu le temps de passer (…) j’avoue qu’ils galèrent un peu » rapporte un pharmacien dont l’officine est située en face du cabinet médical. 3. la surreprésentation des femmes médecins dans l’échantillon Malgré nos efforts pour le redresser, les femmes sont surreprésentées dans notre échantillon (6 sur 10) En Loire-Atlantique seulement 46 % des médecins généralistes sont des femmes en 2012 (Romestaing P, Le Breton-Lerouvillois G., 2012). Toutefois, nous n’avons pas traité l’ensemble du département mais des communes ciblées en fonction de deux critères, le taux de recours à l’automédication (Larramendy S., Fleuret S., 2015) et le profil socio-résidentiel des populations. Or dans certaines communes ainsi sélectionnées, le sexe ratio diffère notablement de celui observé à l’échelle de la Loire-Atlantique. Par exemple à Trignac, quatre médecins sur cinq sont des femmes. Ce déséquilibre dans le sexe ratio s’explique également par des différences de taux de refus entre hommes et femmes médecins pour participer à l’étude. 47,8 % des hommes contactés (N=23) ont refusé d’être enquêtés contre 99 25 % (N=24) de leurs homologues féminins. Cette réalité, si elle a contraint la composition de notre échantillon, corrobore nos résultats sur le plus grand intérêt porté par les femmes médecins pour la problématique de l’automédication (cf. résultats sur « interroger l’automédication »). Le Baromètre santé INPES 2011 fait état d’un plus grand investissement des femmes médecins dans les questions d’éducation (Arnaud G., 2011). Or, selon J. Godart dans un article paru en 2009 dans Santé Publique, « la prévention est une attitude éminemment transversale » qui « intègre les différents aspects du mode de vie, des habitudes et comportements, privés ou publics » du patient (Godard J., 2009). Ces dimensions d’éducation, de prévention, sont fondamentales dans la perspective d’encadrement de l’automédication des patients. Elles se retrouvent dans la pratique d’une « médecine globale ». Cette notion, particulièrement développée au Canada, centre l’exercice médical non pas sur la maladie mais sur le patient (McWhinney IR., 1980). Cette approche de la médecine est apparue de manière plus prégnante dans les milieux d’exercice socio-économiquement défavorisés, là où les médecins se sont installés pour un « choix de pratiques » (quartiers en zone urbaine sensible) et non pour un « un choix de vie » (centre-ville, cadre de vie agréable). « On m’a proposé de m’installer ici (...) c’est ce que je souhaitais faire comme médecine, une médecine globale, mixte, (...) avec pas mal de prise en charge psycho-sociale associée et que dans le quartier, sur une vaste région nazairienne c’est exactement ce qu’on peut faire » explique un médecin installé en ZUS à Saint-Nazaire. Les travaux d’Anne Véga, anthropologue de la santé soulignent que les médecins installés par « choix de vie » le font souvent dans des conditions défavorables à l’écoute et la négociation (Vega A., 2011), et que les hommes sont surreprésentés dans cette catégorie. Dans notre échantillon, on constate que les médecins installés par choix de pratique dans les milieux d’exercice socio-économiquement défavorisés sont majoritairement des femmes. À notre connaissance il n’existe pas d’étude approfondie sur la dimension géographique des choix d’installation des femmes médecins, et la petite taille de notre échantillon ainsi que le déséquilibre du sexe ratio ne nous permettent que des suppositions. Ce point de discussion est donc une invitation à approfondir les recherches en ce sens. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 100 automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise conclusion Des variations apparaissent chez les médecins généralistes dans la façon de considérer les pratiques d’automédication de leurs patients. La prise en compte de l’automédication s’inscrirait plus globalement dans une approche médicale qui tendrait à considérer le patient dans son individualité et son contexte de vie. Le sexe, l’âge, l’expérience professionnelle, la formation semblent également peser sur la place et la prise en compte de l’automédication dans la relation soignant, soigné. Des effets de proximité et d’inter-connaissance entre les professionnels, l’impact des politiques publiques sont des facteurs influençant les variations des perceptions et des pratiques des professionnels. Si les médecins généralistes acceptent l’automédication dans un cadre borné et normé, cette étude a montré que cette acceptation est disparate. Les mesures gouvernementales tendant à encourager l’automédication sont plutôt mal reçues par les médecins et le manque de recommandations claires sur l’encadrement des pratiques peut également expliquer une grande variabilité de positionnement. Les pharmaciens développent eux, la part du « conseil » dans leur activité dans le double objectif, parfois contradictoire, de renforcer leur position d’acteur du système de soins et d’augmenter leur chiffre d’affaires sur lequel ils se rémunèrent. La prise en compte de l’automédication par les professionnels de santé apparaît au final tributaire de facteurs liés à la fois à la nature du colloque singulier médecin-patient (relation de confiance intégrant l’automédication dans une prise en charge globale), à l’articulation entre le rôle du généraliste et le rôle du pharmacien mais aussi au profil des médecins (effets de sexe et de génération) qui conditionnent leur pratique et jusqu’au choix de leur lieu d’installation (ce qui peut avoir des effets d’autocorrélation entre effets de profil individuel et effets de contexte socio-territorial). Dans un contexte de proximité et d’interactions, les deux professions affichent une complémentarité et une co-responsabilité qui lèvent au moins dans leurs discours les craintes face au risque de santé publique de l’automédication. Quand les médecins accusent les pharmaciens de mercantilisme ou quand les pharmaciens disent répondre aux attentes déçues des Dossier santé patients, cette deuxième condition n’est pas réalisée. Des temps de rencontres interprofessionnels pourraient permettre une meilleure prise en charge des patients, les échanges de savoirs offrant à chacun de progresser dans son exercice et de briser les représentations erronées des pratiques des uns et des autres. automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise BiBlioGraPHie • Akrich M., Meadel C., 2009, « Les échanges entre patients sur internet ». La presse médicale. Paris, Masson et Compagnie, V 38 (10), p. 1484-90 • Arnaud G., 2011, Baromètre santé médecins généralistes 2009. 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New England Journal of Medecine (265):885-92. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires. regards croisés en Pays de la loire et au québec 103 léa Potin eso angers umr introDuction L ’objectif de ce texte est de présenter les grandes lignes d’un projet de recherche en Géographie de la Santé qui a pu être exposé lors de la Journée ESO Santé & Bien-être du 30 mars 2015. Ce projet résulte d’un travail de préparation issu de la mission recherche réalisée dans le cadre du Master 2 Développement Entreprises et Territoires. Il s’intègre au cœur des grandes réflexions qui agitent et orientent les politiques de santé dans les territoires, autour des concepts d’inégalités sociales de santé, de leurs déterminants et leurs mesures. Si l’objectif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) visait en 1986 la santé pour tous en l’an 2000, on constate qu’en 2015 la problématique des écarts de santé entre pays ou au sein des pays est toujours d’actualité (Leclerc et al. 2000; Potvin L., Moquet M.-J. 2010; Organisation Mondiale de la Santé 2009). La place des déterminants sociaux de la santé dans les études ne cesse de s’accroître (Evans et al. 1996). Leurs rôles et leurs fonctionnements font l’objet d’un intérêt particulier puisqu’il s’agit de mieux les comprendre pour pouvoir agir sur le large sujet des inégalités sociales de santé. (Organisation Mondiale de la Santé 2008; Ministère de la Santé et des Services Sociaux 2012). Entre idéal de l’équité et de la santé pour tous (Dahlgren & Whitehead 1991; Whitehead 1991; OMS 1981) et réalité de la persistance et de l’accentuation parfois des profondes inégalités (Leclerc et al. 2000), les chercheurs, politiques, et acteurs du sanitaire et social tentent aujourd’hui de mieux comprendre les mécanismes sociaux et spatiaux (multiples) sous-jacents aux inégalités après des siècles de domination de la réponse biologique et médicale. (Contandiopoulos 1999; De Koninck & Fassin 2004; Aïach & Fassin 2004; Leclerc et al. 2000). Jugées inacceptables, injustes, inéquitables et surtout potentiellement évitables, (Moleux et al. 2011), les inégalités - cnrs 6590 - université angers sociales de santé viennent nuancer l’efficacité des systèmes de soins de santé et de soins médicaux. Les inégalités sociales de santé naissent de la répercussion des inégalités sociales sur la santé, sorte de « traduction dans les corps des inégalités sociales » (Aïach & Fassin 2004). Elles diffèrent des inégalités de santé, qui elles renseignent de l’inégalité de la santé des individus devant les facteurs biologiques et génétiques (Institut National de Santé Publique du Québec 2014). Sur le sujet de proximité et santé, il s’agit en s’intéressant à des territoires distincts, les Pays de la Loire, et le Québec, de creuser les questions des inégalités de santé et de les synthétiser. Le Québec, en matière de santé, a fait le choix d’axer ses politiques publiques sur une approche globale de la santé, en alliant sanitaire et social, et en concentrant son action sur un système de santé territorialisé (Fleuret 2009). Territoire moteur dans la recherche sur les déterminants sociaux de la santé, il constitue une source précieuse d’inspiration pour tenter de réaliser des outils innovants dans la réduction des inégalités sociales et territoriales et pour viser une meilleure allocation des ressources en France. Devant les nouveaux enjeux des Agences Régionales de Santé1 (et en s’intéressant à la région des Pays de la Loire), la territorialisation et l’approche globale de la santé doivent devenir le nouveau référentiel en matière de politiques publiques de santé. 1- La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires crée, dans son article 118, les Agences Régionales de Santé. voir aussi trois grands axes dans la présentation des Agences Régionales de Santé : « Un service public de santé régional, unifié et simplifié ; Une approche globale de la santé ; Des politiques de santé ancrées sur un territoire », http://www.ars.sante.fr/Presentation-generale.89790.0.html eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 104 Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires regards croisés en Pays de la loire et au québec i- autour Des concePts De Justice sociale et D’inéGalités en santé, le nouveau reGarD De la GéoGraPHie 1. équité, égalité, justice sociale, concepts au cœur de la recherche sur les inégalités sociales de santé et leurs déterminants Il convient de ne pas mélanger équité et égalité, car si le cadre d’action tend vers plus d’équité en santé, toutes les différences ne sauraient être des injustices. « L’objectif d’équité en santé n’est pas le strict aplanissement des différences de santé entre les individus, et toutes les inégalités mises en évidence ne sauraient être perçues comme « injustes ». » (Rochaix & Tubeuf 2009) La dimension d’équité est un principe essentiel qui motive nos sociétés modernes dans l’amélioration des services de santé, mais qui ne saurait rendre les individus totalement égaux devant la santé. La santé est aujourd’hui considérée comme une ressource positive, un potentiel que chacun doit avoir la chance équitable de réaliser pleinement. En 1991, Whitehead (Whitehead 1991) replace au centre de l’attention la question « qu’est-ce que l’égalité devant la santé »? Repartant de quelques exemples d’écarts importants dans l’état sanitaire des populations (mortalité, morbidité, disparité de qualité de vie et de bienêtre), il s’agit pour l’auteur de ne pas assimiler tous les écarts comme inéquitables. L’iniquité renvoie à « une dimension éthique, désignant de fait les inégalités qui sont « à la fois évitables et injustes ». L’enjeu du débat égalité/équité réside dans la détermination de ce qui est juste ou injuste dans une situation donnée, et cela passe par l’étude de l’origine de cet état pour en juger la valeur d’où l’importance des déterminants. À l’échelle des pays développés, la motivation de réduction des écarts d’état de santé dans la population se fait sous l’idéologie d’une certaine justice sociale. Les inégalités ne renvoient pas au sens « mathématique » de la notion d’égalité qui impliquerait une vision égalitariste pure et non d’équité. depuis plusieurs décennies, visent une approche globale pour l’étude des déterminants des états de santé, et l’étude du lieu au regard de la santé. Ils ont permis de lui attribuer un rôle d’aide à la décision publique (Salem 1995; Ménard 2002). S’intéresser à la question de la santé et du territoire, revient à considérer que le territoire ne se cantonne pas uniquement à l’espace géographique, à son caractère physique. « Le milieu ne se borne pas aux conditions physiques et biologiques d’un lieu mais comprend aussi ses caractéristiques sociales, économiques, culturelles » (Picheral 1995). Il est bien un construit social, en mouvement, (Fleuret 2003), où l’organisation des systèmes de santé nécessite d’intégrer les lieux et les effets de lieux dans l’analyse. (Fleuret & Apparicio 2011; Moon 1995). Les avancées conceptuelles sur les déterminants sociaux de la santé depuis ces dernières années se sont doublées de la modernisation et de la volonté de mesurer les inégalités et les mécanismes à l’œuvre. Vaste domaine, tant les déterminants sont nombreux et sujets à interprétations. La recherche en géographie a notamment été précieuse dans la compréhension des liens entre la santé et le lieu. En s’appuyant sur l’existence d’un gradient social, impliquant que les inégalités en matière de santé sont liées à des différences systématiques de position sociale et de répartition socio-économique (associées aux effets des conditions de travail, d’éducation, et de nombreux autres facteurs). La création d’indices et l’utilisation des outils statistiques et géographiques ont permis d’identifier la position relative de la santé. Avec l’objectif de faire avancer la recherche sur les disparités sociales de santé en France et de se concentrer sur une typologie des espaces selon qu’ils favorisent ou défavorisent la santé (sous toutes ses dimensions), l’étude des déterminants sociaux de la santé par la géographie apparaît incontournable. ii2. la vision renouvelée de la santé par la géographie de la santé, légitimité d’une discipline La géographie de la santé a dû se confronter à des difficultés de légitimité, par rapport « au clan biomédical » mais aussi par rapport à son propre clan (Ménard 2002). Les travaux, d’une géographie de la santé, initiés Dossier santé trouver les moyens De réDuire les inéGalités sociales De santé en travaillant les questions Des Déterminants sociauX De la santé Les inégalités sociales de santé et les déterminants sociaux de la santé sont intimement liés, ces derniers ayant illustré l’ampleur des influences (de multiples Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires regards croisés en Pays de la loire et au québec natures) sur la santé des populations (Bourque & Quesnel-Vallée 2006) et interrogé les écarts existants. 1. Des déterminants multiples Carey et Crammond (Carey & Crammond 2015) reconnaissent que si les déterminants sociaux de la santé ont fait l’objet d’une abondante documentation ces 40 dernières années, l’action publique reste difficile puisque les mécanismes de causalités restent flous. Les auteurs aujourd’hui, tendent à insister sur la nécessaire coordination de la recherche avec les processus politiques. Trouver des moyens de réduire les inégalités sociales de santé nécessite de comprendre comment elles naissent. L’approche des déterminants de santé, née dans les années 1970, vient renforcer l’idée, que le seul système de soins n’explique pas l’état de santé. La santé de la population est liée à des facteurs médicaux, mais pas uniquement. Des facteurs externes au sanitaire expliquent la santé et complexifient la détermination de l’état de santé. Cette approche apporte une caractérisation sociale et économique, spatiale et environnementale dans l’explication de la santé des populations. (Couffinhal et al. 2004). L’étude des maladies cardio-vasculaires et des moyens de prévention a, par exemple, mis en avant l’importance des conditions socio-économiques et de disparités territoriales comme facteur de risques, en parallèle des risques axés sur les comportements individuels. (Lang 2004) 2. la nécessaire mesure « L’inégalité suppose une hiérarchie et sa traduction dans les corps nécessite une mesure » (Leclerc et al. 2000). Le lien de cause à effet entre un déterminant et l’état de santé d’un individu ou d’une population est loin d’être simple et complexifie l’action publique. (INSPQ 2014). Dans le but de guider l’allocation des ressources aux besoins, les indicateurs et indices de santé doivent permettre de mesurer soit: divers aspects de la santé d’une population, ou dans une logique de déterminants de la santé: la mesure des facteurs qui ont un impact sur la santé. C’est un enjeu considérable dans l’adéquation des réponses aux besoins des populations en matière de santé. Le territoire québécois est un support-clé, il a été l’objet de différentes études 105 reconnues sur les inégalités de santé, notamment grâce aux travaux de R. Pampalon, et à la création de son indice de défavorisation matérielle et sociale pour l’étude des inégalités de santé au Québec.(Gamache & Pampalon 2010) La mise en évidence des disparités passe par la modernisation et le recours à des données de plus en plus fiables. Au regard des outils et méthodes de la géographie sociale, ce projet devra rendre compte d’une typologie des espaces en tentant de dépasser l’étude statistique et de la combiner par la suite, à une approche qualitative. L’approche statistique inspirée de l’indicateur de Pampalon notamment, permettra une meilleure connaissance des phénomènes d’éloignement à la santé d’une population. Il s’agira sur cette question des indicateurs de réaliser un travail de fond pour déterminer à l’échelle de la région quels déterminants sont pertinents et accompagnés de quels indicateurs, sur quelles échelles et à quel niveau de disponibilité? Associé, par la suite, à une approche plus qualitative, sous forme d’entretiens et d’observations auprès des acteurs de la santé du territoire, ce projet devra permettre d’élargir la connaissance des rapports des individus et des populations à l’espace et à la santé. conclusion Ce travail préparatoire est un élément incontournable permettant une mise en perspectives des raisonnements et des questions de recherches, et l’identification des limites et problématiques principales. Suite aux échanges de la Journée ESO Santé et BienÊtre, il apparaît que la transversalité et les enjeux d’interdisciplinarité de la recherche en géographie sociale sont un point essentiel. Cet enjeu fait d’ailleurs l’objet de nombreux débats, questionnant notamment, la frontière entre les approches sociologiques et les approches géographiques, voire épidémiologiques en ce qui concerne la santé. Les travaux de recensement des indicateurs de santé et de leur pertinence posent la question de l’accès et de la validité des données. Cette limite posée par l’accès aux données est cruciale et inhérente au travail de recherche en géographie, tant les sources sont nombreuses. Elle est d’ailleurs concomitante à eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 106 Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires regards croisés en Pays de la loire et au québec celle des jeux d’échelles. Entre l’individu et la population, entre le local et le national, quelle est l’échelle adéquate? Quelle unité territoriale étudier? Quelles données sont disponibles sur l’unité en question? Cette problématique d’échelle est essentielle et implique de comprendre « la relation entre l’échelle de représentation et la structure hiérarchique des déterminants de la santé » (Philibert & Breton 2007). Ces questions d’échelles amènent un degré de vigilance important lorsqu’il s’agit de manipuler des données statistiques relatives aux états de santé, entre effet de contexte et effet de composition. On assiste depuis quelques années à la multiplication des documents à visée politique (stratégies mondiales, nationales ou locales au-delà de l’unique secteur sanitaire pour réduire les inégalités sociales de santé) ou scientifique (plus large prise en compte du sujet par des chercheurs, amenés à travailler la question des déterminants sociaux de la santé de façon interdisciplinaire) afin d’assurer la pertinence des actions et l’adaptation des outils. L’enjeu étant que les deux soient davantage en lien, afin d’alimenter l’articulation entre données scientifiques et actions publiques, sur les thèmes aussi sensibles que la réduction des inégalités de santé, notamment en France sur la connaissance statistique (Moleux et al. 2011). Cette masse d’informations pose une limite de traitement et d’assimilation de l’information. La pertinence de l’approche comparative entre Québec et France, pour ce projet, permet alors de nourrir les réflexions par la connaissance des deux systèmes, leurs enjeux, limites et objectifs. « Vous savez que nous partageons avec le Québec le fait d’avoir à la fois une espérance de vie très élevée, parmi les plus élevées du monde, et, en même temps, des écarts d’espérance de vie entre catégories sociales extrêmement accentués » (Podeur et al. 2007). Confronter le cas québécois à la situation en Pays de la Loire permettra d’effectuer des comparaisons, de s’inspirer des méthodes et outils développés au Québec concernant la géographie de la santé et la réduction des inégalités sociales de santé. Dossier santé BiBlioGraPHie • Aïach P. & Fassin D., 2004, « L’origine et les fondements des inégalités sociales de santé ». Revue du Praticien, 54(20), pp. 2221-2227. • Bourque M. & Quesnel-Vallée A., 2006, « Social Policies. An Aspect of Public Health ? ». Lien social et Politiques, (55), pp. 45-52 • Carey G. & Crammond B., 2015, « Action on the social determinants of health: Views from inside the policy process ». Social Science & Medicine, 128, pp. 134-141 http://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0277 953615000507 • Contandiopoulos A.-P., 1999, « La santé entre les sciences de la vie et les sciences sociales ». 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La première partie présente la population d’étude. La deuxième partie expose la stratégie de recherche envisagée. Elle consiste à examiner les processus d’inclusion et d’exclusion auxquels les personnes souffrant de troubles psychiques vieillissantes sont confrontées chaque jour, en s’intéressant particulièrement à la rencontre entre les politiques publiques et les pratiques spatiales des individus, dans leur espace du quotidien. i- la PoPulation D’étuDe La désinstitutionalisation désigne la mise en place de services ambulatoires de psychiatrie, c’est-à-dire de services hors des murs de l’hôpital. Menée en France et au Québec à partir des années 1960, elle a eu des implications majeures sur la vie quotidienne des patients: autrefois enfermés en institution ou à l’hôpital, ils vivent aujourd’hui pour la plupart en milieu ordinaire. Mais la désinstitutionalisation est loin d’avoir été mise en œuvre partout avec succès. Et vivre parmi les autres ne suffit pas pour se sentir inclus. En France et au Québec, beaucoup de personnes souffrant de troubles psychiques, bien que vivant dans la communauté2, restent très isolées. 1- La thèse est également encadrée par un comité de thèse constitué de Clélia Gasquet-Blanchard (Maître de conférences en géographie de la santé, EHESP), Eve Gardien (Maître de conférences en sociologie, Laboratoire ESO) et Charlène Le Neindre (Chargée de recherche, IRDES). 2- L’expression désigne au Québec le fait pour les patients de la psychiatrie de vivre en milieu ordinaire. eso rennes - cnrs 6590 - université rennes 2 Les troubles psychiques cachent une grande variété de situations et de symptômes dont rend compte la diversité des classifications. Quoi qu’il en soit de cette hétérogénéité, les troubles psychiques causent tous des difficultés récurrentes au quotidien, comme tisser et maintenir des relations sociales, accomplir des tâches ordinaires, sortir, prendre soin de soi, de son logement, planifier sa journée ou prendre des décisions. Les personnes concernées sont nombreuses à avoir des difficultés à faire face aux changements ainsi qu’une hypersensibilité qui fait qu’elles peuvent être particulièrement affectées par ce qui se déroule autour d’elles. Bien que les traitements permettent de diminuer certains symptômes, ces difficultés d’ordre social restent présentes tout au long de la vie et font que les personnes souffrant de troubles psychiques sont très exposées aux processus d’exclusion. Les difficultés qu’elles rencontrent sont liées non seulement à leur pathologie, mais aussi à l’espace dans lequel elles s’inscrivent. Elles dépendent certes de la nature des troubles, mais aussi d’éléments contextuels comme l’organisation de la prise en charge, les conditions de logement ou le contexte social. Cette perspective invite à explorer la dimension spatiale du vécu des troubles psychiques. Comment les personnes en proie à ces troubles pratiquent-elles l’espace? II s’agit de comprendre les processus d’exclusion dont les personnes font l’expérience, non pas uniquement au prisme des pathologies, mais aussi selon les contextes locaux. C’est pourquoi les troubles psychiques sont abordés comme étant susceptibles de provoquer une situation de handicap. Fougeyrollas (2010) décrit la situation de handicap comme résultant de l’interaction entre les facteurs personnels et l’environnement plus ou moins (in)capacitant dans lequel la personne évolue. Ce cadre d’analyse permet de penser le rapport entre la personne et l’espace dans lequel elle vit. Ce rapport évolue à mesure que la per- eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 110 les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile : pratiques spatiales dans les espaces du quotidien sonne souffrant de troubles psychiques vieillit, rendant le maintien à domicile plus difficile. Auparavant, les personnes souffrant de troubles psychiques vieillissaient et mourraient en institution psychiatrique. Or, si les patients vivent désormais majoritairement en milieu ouvert, ils y vieillissent aussi. L’espérance de vie augmente. Les personnes souffrant de troubles psychiques sont plus nombreuses à vivre plus longtemps. Les acteurs de la prise en charge font ainsi face aujourd’hui à l’émergence de besoins nouveaux, plus complexes du fait que le vieillissement s’ajoute aux troubles psychiques. ii- stratéGie De recHercHe envisaGée La stratégie de recherche comporte deux axes, qui correspondent à deux dimensions du sujet, intimement liées: la construction sociale et politique du vieillissement dans le contexte des troubles psychiques d’une part (1), l’expérience quotidienne du vieillissement par les personnes souffrant de troubles psychiques d’autre part (2). 1. construction sociale et politique du vieillissement des personnes souffrant de troubles psychiques Cet axe vise à saisir les modalités de prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiques vieillissantes. Les difficultés sociales causées par les troubles psychiques requièrent souvent la mise en place d’un étayage diversifié de professionnels. Grâce à ces intervenants des secteurs social, médicosocial et sanitaire, les personnes souffrant de troubles psychiques parviennent de plus en plus à vivre en logement individuel. Leur prise en charge est donc entendue selon une acception globale, c’est-à-dire qu’elle ne se réduit pas à la psychiatrie. Au fil de l’avancée en âge le maintien à domicile se complique. La prise en charge doit répondre aux besoins qu’introduit le vieillissement en plus des difficultés liées aux troubles psychiques (Massé et Veber, 2007). Les personnes sont ainsi susceptibles de relever à la fois du secteur du handicap et de la personne âgée. La difficile adéquation des services publics avec les nouvelles réalités et besoins de cette population, au Québec (Charpentier et al, 2010; Dallaire et al, Dossier santé 2003) comme en France (De Berranger, 2003; Jovelet, 2010), renforce les situations de handicap et les formes d’exclusion associées. Plusieurs échelles sont à examiner pour comprendre comment s’organise la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiques vieillissantes. Cette organisation s’inscrit dans des contextes nationaux, France et Québec, qui conçoivent différemment la prise en charge de la vieillesse et des troubles psychiques. Or, par les catégories qu’elles mobilisent et les dispositifs qu’elles élaborent, les politiques publiques inscrivent les individus dans des statuts, participant à la construction de vieillesses spécifiques (Hummel et al, 2014). Ces constructions affectent le quotidien des personnes, notamment en matière d’accompagnement et de ressources. En matière de santé mentale, le fonctionnement de la prise en charge est aussi hétérogène selon les contextes locaux. Or, ceux-ci contribuent à forger des expériences différenciées du vieillissement (Mallon, in Hummel et al, 2014, Wittman, 2003). Une enquête auprès d’acteurs de la prise en charge à plusieurs échelons (Région, Département, Ville…) et intervenant dans différents domaines (logement, soin, vie sociale…) est ainsi indispensable pour saisir les effets des contextes locaux. 2. Géographies du quotidien S’il est intéressant d’explorer comment les contextes locaux façonnent le vieillissement des personnes, la façon dont elles s’adaptent à leur tour à ceux-ci revêt aussi son importance. Cet axe propose d’examiner particulièrement les processus d’inclusion et d’exclusion vécus par chaque personne, par l’étude de ses pratiques spatiales quotidiennes. Les pratiques spatiales permettent de voir comment les personnes interagissent avec leur espace du quotidien. Cette approche interpelle précisément l’interaction entre l’individu et son environnement. Les personnes souffrant de troubles psychiques peuvent percevoir certaines caractéristiques de l’environnement comme des obstacles, les amenant à adopter des comportements d’évitement, de contournement. Les pratiques révèlent ainsi les mécanismes d’adaptation et de négociation que les personnes mettent en place avec et dans l’espace. Plusieurs travaux ont montré la les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile : pratiques spatiales dans les espaces du quotidien richesse dont elles font preuve pour exploiter l’espace et tirer parti des ressources de la ville, afin de contourner ou compenser leurs difficultés (Parr 2000, 2011). Face à un environnement qui leur est incapacitant, elles sont amenées à développer des stratégies, des résistances pour faire avec les obstacles au quotidien. Les auteurs insistent sur l’importance que revêt la présence de lieux qu’elles puissent investir malgré leurs difficultés sociales (Pinfold, 2000), et qu’elles aient la possibilité de construire, de s’approprier leur propre espace dans la ville (Corin, 2002). L’étude des pratiques dans le contexte du vieillissement introduit la question de la déprise, ce « processus de réaménagement de la vie qui se produit au fur et à mesure que les personnes qui vieillissent sont confrontées aux difficultés croissantes » (Caradec, 2012). Pour les personnes souffrant de troubles psychiques, ce processus intervient alors qu’elles rencontrent des difficultés importantes d’adaptation (Kilbourne et al, 2005) et qu’elles bénéficient de moins en moins de ressources les aidant à faire face à ces changements, du fait de la disparition des proches, de la perte de revenus (Charpentier et al, 2010) ou de la perte accélérée de leur autonomie. C’est pourquoi, lorsque le vieillissement s’ajoute aux troubles psychiques et qu’il complexifie davantage le rapport entre la personne et son espace de vie, il est indispensable de tenir compte des ressources qui sont accessibles ou non à la personne. Il s’agit de voir si la personne souffrant de troubles psychiques qui avance en âge parvient à trouver dans son milieu de vie des possibilités concrètes de garder prise. Si les cadres dans lesquels s’inscrit le vieillissement, les supports, les ressources et les opportunités dont disposent les personnes déterminent en grande partie la manière dont elles font l’expérience de l’avancée en âge, les parcours individuels jouent aussi un rôle important. Les politiques de prise en charge et la société ont longtemps spécifié, et spécifient encore, les lieux de vie des personnes souffrant de troubles psychiques. Ce carcan a nourri certaines expériences résidentielles (hôpital, rue, domicile parental), déterminant des rapports particuliers à l’espace privé intime ou public, dont l’étude peut éclairer certaines pra- 111 tiques actuelles et les capacités des personnes à s’approprier des ressources. Ces pratiques spatiales peuvent être considérées en partie comme l’héritage d’expériences passées, au cours desquelles l’individu acquiert et construit sa capacité à habiter et à pratiquer l’espace. conclusion Peu d’études sont menées en France sur les expériences d’inclusion et d’exclusion des personnes souffrant de troubles psychiques (Coldefy, 2010), encore moins sous l’angle du vieillissement. L’articulation des deux axes de la recherche réside d’une part dans l’impact des cadres politiques et sociaux et des modalités de prise en charge sur la vie quotidienne des personnes (1); et d’autre part sur la capacité des personnes à s’insérer dans ce système, à s’adapter et à composer avec ces cadres, voire à les dépasser (2). Il s’agit de penser leurs géographies du quotidien, en tant qu’elles sont construites par des transactions permanentes entre les personnes et les contextes dans lesquels elles vivent. Outre les facteurs environnementaux et biographiques, les troubles et les traitements construisent aussi le rapport à l’espace. La perte de contact avec la réalité, le délire de persécution, ou bien la lenteur et la prise de poids qu’occasionnent les médicaments modifient les pratiques. Il faudra donc cibler précisément la population d’étude. La méthodologie est en cours d’élaboration. Faire de la recherche auprès de personnes souffrant de troubles psychiques requiert de la créativité, surtout lorsqu’il s’agit de rendre compte de leur expérience et de leur vécu. Les troubles psychiques affectent l’interaction, l’organisation de la pensée, la cohérence et la véracité des propos, la concentration, la mémoire. Face à cela, c’est au chercheur d’adapter et de croiser ses méthodes pour développer une stratégie lui permettant de faire avec et de composer avec ces difficultés. ` eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 112 les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile : pratiques spatiales dans les espaces du quotidien réFérences • Caradec V., Ertul S., & Melchior J.-P., 2012, Les dynamiques des parcours sociaux. Rennes: Presses Universitaires de Rennes • Charpentier M., Guberman N., Billette V., Lavoie J.-P., Grenier A., & Olazabal I., 2010, Vieillir au pluriel (Vol. 47). 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En France, les politiques municipales de santé ont pris plus d’ampleur depuis une vingtaine d’années, à mesure de l’évolution des cadres législatifs1, de l’émergence de dispositifs donnant un cadre d’action à la promotion de la santé, tels les Ateliers Santé-Ville (ASV) ou plus récemment les contrats locaux de santé liant collectivités locales et Agences Régionales de Santé (ARS), et à mesure de l’intérêt croissant que les élus locaux portent aux questions de santé. Sous l’actuelle mandature, les acteurs politiques parisiens réaffirment leur volonté de conduire une politique de santé ambitieuse, avec pour fil rouge la réduction des inégalités socio-territoriales de santé, et pour méthode le partenariat et la concertation. En quoi ces stratégies politiques locales renouvelées contribuent-elles aux reconfigurations en cours de l’action publique locale en santé? En quoi les dispositifs d’action en santé déjà en place, ainsi que les différentes « constructions locales de santé » entre acteurs professionnels et associatifs des secteurs sanitaire, médicosocial et social (Fleuret, 2012) se développant dans de nombreux champs de la santé y contribuent-ils égale- 1- La promotion des collectivités territoriales comme acteurs légitimes sur les questions de santé s’est accrue en 2010 avec la loi Hôpital Patients Santé Territoires, qui place désormais les communes et les intercommunalités en position de co-construction des politiques locales de santé avec les ARS, mais dès la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte des exclusions, la santé redevenait l’affaire des villes par son inscription dans le volet social dans l’action municipale. eso angers - cnrs 6590 - université angers ment? En quoi les reconfigurations observées à Paris résultent-elles d’articulations spécifiques entre ces différentes dynamiques? En prenant comme cas d’étude Paris, l’objectif est ici d’observer les singularités de ces recompositions dans la capitale et d’en expliquer les ressorts, au moment où plusieurs démarches commanditées par la Mairie de Paris2 mobilisent les acteurs du champ de la santé à se mobiliser pour réfléchir ensemble aux problématiques communes qu’ils rencontrent et au rôle de chacun dans la politique locale de santé. Les éléments présentés dans ce texte s’appuient sur un premier recueil de matériaux effectué dans le cadre d’un terrain exploratoire au printemps et à l’été 2015: - en observation participante au sein des ateliers et des débats des États Généraux de la Protection Maternelle et Infantile de Paris (PMI), organisés à l’occasion des 70 ans du service départemental et, - à partir d’entretiens menés auprès de personnes intervenant soit directement dans le champ de la santé de la mère et du jeune enfant3, ou des acteurs du champ plus large de la santé qui sont leurs partenaires ou leurs commanditaires. i- conteXte et ProBlématiques À Paris, les acteurs professionnels, institutionnels, associatifs du champ de la santé, compris dans un sens large4, sont nombreux à intervenir sur un territoire peu étendu, la superficie de la commune ne dépassant pas 2- Parmi ces démarches on compte : l’organisation en 2015 d’Etats Généraux de la PMI de Paris, le déploiement durant la mandature d’ « instances locales de démocratie sanitaire », à l’échelle des arrondissements, en favorisant la mise en place de Conseils Locaux de Santé Mentale et de Conseils Locaux de Santé au spectre plus large, la tenue d’Assises de la santé en 2016… 3- On désigne ainsi la santé périnatale et le suivi préventif des mères, des naissances, et des jeunes enfants. 4- C’est-à-dire en incluant les acteurs professionnels de l’offre publique et libérale de soins, les acteurs municipaux et associatifs de la prévention et de la promotion de la santé, du secteur médico-social, les acteurs politiques, leurs partenaires, etc. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 114 étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris les 105 km2, mais marqué comme dans d’autres métropoles par d’importantes inégalités socio-territoriales de santé5. Les inégalités d’accès à l’offre de soins, notamment celle de premier recours et au tarif conventionné par la Sécurité Sociale, sont au cœur des préoccupations politiques. Toutefois, les enjeux liés à l’organisation territoriale du champ de la santé parisien dépassent cette seule dimension. L’exécutif parisien souhaite développer une « vraie » politique territoriale de santé à l’échelle de l’ensemble du territoire parisien. Pour le sous-directeur à la santé de la Ville de Paris, ce stade n’est pas encore atteint. D’une part, si des dispositifs comme les Ateliers Santé-Ville ou les Conseils Locaux de Santé Mentale permettent effectivement l’appropriation des questions de santé à l’échelle d’un quartier politique de la ville ou d’un arrondissement, et permettent l’animation du réseau des partenaires et du tissu associatif autour de projets locaux, ces dispositifs ne couvrent pas l’ensemble de la ville. En retour, si le maillage territorial de la commune par les services sociaux et de santé de la Ville et du Département de Paris est bon, cela ne garantit pas que ces services soient en interaction très forte avec leurs territoires. La stratégie de la Mairie de Paris est alors de déployer un maillage qualifié de « démocratie sanitaire », qui passe par la diffusion d’instances de coordination et de concertation, dont le format est laissé à l’appréciation des mairies d’arrondissements. Pour le sous-directeur à la santé, c’est l’intérêt d‘une collectivité qui est à la fois commune et département comme la Ville de Paris, que de se positionner ainsi « puisqu’elle est à même de favoriser cette articulation entre le sanitaire, le médicosocial et le social ». 5- Le contexte socio-sanitaire de la ville est marqué par d’importantes disparités, tant en ce qui concerne les états de santé, que les inégalités dans l’accès aux soins, dans la distribution de l’offre de soins de premier recours... Une représentation schématique des disparités intra-parisiennes communément partagée consiste à opposer le nord-est parisien, c’est-à-dire les 18e, 19e et 20e arrondissements, plus précaires et où les problématiques sociales et sanitaires sont plus fortes, au reste de la ville, mais les diagnostics locaux conduits par différentes équipes de recherches montrent que ces disparités sont plus complexes, et les inégalités socio-spatiales opèrent à plus grande échelle (voir, Rican et al., 2011). Dossier santé Néanmoins, cette stratégie politique ne se déploie pas sur un territoire parisien vide de tout autre dynamique de territorialisation. Au contraire, il y a cours d’autres processus, pluriels, selon les échelles auxquelles on observe le nombre et le type d’acteurs qui y participent ainsi que leurs interactions. Ces processus concernent notamment la coordination des professionnels du soin, et plus largement de la santé, qui mettent en place différents réseaux : réseaux de coordination pluri-professionnels, réseaux thématiques liés à une pathologie, réseaux Ville-Hôpital pour faire le lien entre suivi hospitalier et prise en charge libérale… Ces coordinations sont pour certaines rattachées à l’un ou l’autre des CHU parisiens, ou dépendent d’une initiative très ancrée localement pour d’autres. Elles n’opèrent donc pas toutes à la même échelle, du quartier à l’échelle métropolitaine, ni ne couvrent systématiquement tout Paris. En jeu, c’est la capacité de ces réseaux et ces systèmes d’acteurs à mieux répondre aux besoins de santé de toutes les populations présentes sur le territoire, à améliorer la prise en charge des cas cliniques complexes comme des situations individuelles difficiles6, etc. Cela passe par le décloisonnement des champs du soin, de la prévention et de la promotion de la santé et du secteur médicosocial, l’amélioration de l’interconnaissance entre acteurs, de la coordination et de la complémentarité des actions conduites. D’autres facteurs contribuent à l’hétérogénéité territoriale de l’action publique en santé sur Paris. La sectorisation7 récente des différents services sociaux et de santé municipaux, dont la PMI, doit permettre à ces services de travailler de façon plus étroite avec les partenaires de terrain pertinents, secteur par secteur. Les synergies qui se créent localement dépendent en partie des personnes en poste sur chaque secteur. On peut relever également le rôle des diffé- 6- La difficulté de certaines situations peut être liée à différentes formes de précarité, à une instabilité familiale ou résidentielle (à l’exemple de parcours de vie d’hôtels sociaux en centres d’hébergements ou d’autres situations locatives précaires qui créent des ruptures dans le suivi des soins), à des parcours de vie plus complexes, notamment liés à l’expérience migratoire… 7- Le principe d’organisation hiérarchique retenu pour assurer le service repose sur la définition de territoires ad-hoc ou secteurs, regroupant un ou plusieurs arrondissements, selon le nombre d’équipements à superviser. étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris rents ASV parisiens, présents dans sept arrondissements8, qui ont pour spécificité d’être portés par des associations, et non par les services municipaux comme c’est le cas de l’écrasante majorité des ASV en France. Conformément à leur mission de coordination de projets et d’animation territoriale, chacun des ASV mène une action et porte une dynamique locale, qui se différencie selon l’expertise propre à chaque association porteuse et selon les ressources, humaines, associatives, budgétaires… présentes sur un territoire. Enfin, la complexité de l’organisation politique de la Ville de Paris est un facteur d’hétérogénéité supplémentaire. Les stratégies mises en place par les services centraux de la Mairie de Paris sont dépendantes des relais qu’il est possible de trouver « en local ». Or, « on ne peut pas faire autrement que constater qu’actuellement, il y a quand même des élus locaux, quand je dis ‘locaux’, c’est au niveau des arrondissements, dont certains sont très impliqués sur ces questions [de santé], et d’autres beaucoup moins », reconnaît-on à la sous-direction de la santé de Paris. ii- orientations métHoDoloGiques Afin de comprendre les reconfigurations en cours dans ce champ de la santé hétérogène, traversé par des rapports de force et la recherche de complémentarités entre acteurs, la méthodologie choisie est de recenser les territorialités des différents acteurs de l’action publique en santé à Paris (Gumuchian et al., 2003; Vanier, 2009). Le but est d’identifier pour chaque acteur quelles sont les formes de son inscription spatiale, à quel(s) réseau(x) il appartient, quels sont ses référentiels d’action, ses stratégies et ses représentations. Il s’agira ensuite de montrer en quoi les territorialités propres à chacun des acteurs présents dans le champ peuvent être des ressources dans la co-construction de réponses aux problématiques communes et comment, en retour, dans l’interaction, ces territorialités peuvent être discutées, revues, enrichies. 8- Il s’agit du 13e et du 14e au sud de Paris, et des 10e, 11e, 18e, 19e et 20e arrondissements au nord-est. Ces ASV, peu nombreux et circonscrits aux quartiers politique de la ville dans Paris, ne couvrent pas tous le même nombre d’habitants, les résidents des quartiers prioritaires étant plus nombreux dans les 18e, 19e et 20e arrondissements. 115 Enfin, il s’agit de mieux saisir les ressorts et les effets des rapports de pouvoir et de coopération entre acteurs dans lesquels se construisent les rôles respectifs de chacun, en portant une attention particulière au rôle coordinateur que cherche à construire le pouvoir municipal à Paris, à ses traductions stratégiques, méthodologiques et interventionnels, notamment visà-vis d’autres dynamiques et dispositifs coordinations pluri-professionnelles existants. Pour ce faire, la méthode employée consiste en des entretiens auprès des acteurs, l’analyse de leurs discours, et de l’observation participante aux instances de concertation et aux démarches de « démocratie sanitaire » mises en place par la Ville de Paris. Face au nombre important et à la pluralité des acteurs en santé décrite précédemment, la stratégie méthodologique retenue consiste à procéder par séquences d’enquête successives: en étudiant d’abord un champ thématique, celui de la santé de la mère et du jeune enfant, en généralisant ensuite à d’autres champs thématiques ensuite, en observant enfin les modalités de la régulation politique de l’action publique en santé prise dans sa globalité. Comme annoncé en introduction, le propos de ce texte se limite à la première séquence d’enquête. iii- Premières oBservations : l’étuDe Du cHamP De la santé De la mère et Du Jeune enFant La préparation des États généraux de la PMI de Paris qui se tiendront en séance plénière en novembre 2015, par le biais de l’organisation d’ateliers de travail et de débats publics, constitue le premier terrain d’observation participante de cette thèse. Cette observation, socle de la première séquence d’enquête, a permis de se familiariser avec le contexte parisien et ses acteurs, et de dresser des premiers constats. Les États Généraux de la PMI de Paris sont le fruit d’une commande politique émanant directement du 9- Par exemple, l’association URACA (Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines) ancrée depuis 30 ans dans le 18e arrondissement y développait des approches en santé communautaire visant la prévention sanitaire et sociale globale. Elle a put être l’association porteuse du premier ASV monté sur Paris en 2008 et dont l’action a pu bénéficier des réseaux et des méthodologies préexistantes de l’association. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 116 étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris pouvoir exécutif parisien, qui souhaitait initier un travail de réflexion qui vise à repréciser le positionnement de la PMI dans le dispositif de santé autour de la naissance et du suivi préventif du jeune enfant et vis-à-vis de l’objectif de réduction des inégalités socio-territoriales de santé. L’amélioration de la prise en charge globale de la naissance et du suivi du développement du jeune enfant est une préoccupation commune aux professionnels de la santé périnatale, aux professionnels de la PMI, à leurs partenaires associatifs, du médicosocial… Les enjeux sont encore plus forts en ce qui concerne les cas individuels les plus complexes, qu’il s’agisse de grossesses pathologiques ou de situations individuelles difficiles, en raison d’une grande vulnérabilité économique et sociale des familles par exemple, demandant une meilleure prise en charge globale. Des réseaux de santé attitrés existent d’ores et déjà à Paris10. Leur mission est d’accompagner l’offre de soins en santé périnatale et de coordonner la prise en charge en ville des patientes et de leurs enfants. D’autres réseaux plus spécialisés existent, comme le réseau de santé SOLIPAM (Solidarité Paris Maman) qui accompagne les femmes enceintes en situation de grande précarité. Plusieurs ASV parisiens se sont emparés dès 2014 de la thématique de la périnatalité, en mettant en place des groupes de travail, dont les réseaux et les PMI étaient partenaires, et en réalisant des annuaires sur leurs territoires. Quant aux services de PMI, ils travaillaient à leur organisation territoriale avant même la tenue des États Généraux. La mise en place un schéma directeur avait abouti en 2014 à une sectorisation en sept territoires de la PMI de Paris, qui s’était accompagnée d’une refonte assez importante des encadrements. Le sous-directeur de la planification, de la PMI et des familles à la Ville de Paris fait le constat que les territoires d’action ainsi découpés le sont de façon pertinente vis-à-vis des besoins des familles les plus vulnérables. Il y a cohérence entre la répartition des centres et donc de l’offre de service, plus dense dans le Nord10- La mise en place du premier réseau Ville-Hôpital en périnatalité autour de l’hôpital Bichat-Claude Bernard dans le 18e arrondissement date d’il y a 10 ans. A ce réseau pionnier et généraliste en santé périnatale dans le Nord de Paris s’est ajouté un réseau dans l’Est, puis un réseau dans le Sud, qui ont vocation selon l’ARS d’Ile de France à fusionner un réseau parisien unique. Dossier santé est parisien, et celle des concentrations de populations marquées par différents critères de vulnérabilité socioéconomique. Mais la question de l’inscription territoriale de chacun des centres de PMI vis-à-vis le réseau local demeure. Les dynamiques de constructions locales de systèmes d’acteurs en santé périnatale semblent donc avoir précédé la commande politique et répondre d’abord à des enjeux organisationnels et professionnels. Des enjeux demeurent, notamment quant à l’amélioration des coordinations et des moyens d’intervention en ce qui concerne les populations les plus en difficulté ou les plus éloignées. Cette question a largement occupé les débats dédiés à l’organisation territoriale de la PMI de Paris lors des États Généraux. Lors d’entretiens réalisés en complément de l’observation auprès de professionnels de PMI ou de professionnels de terrain partenaires (ASV, réseaux, etc.), ces acteurs ont été nombreux à reconnaître que la démarche des États Généraux a permis de mettre à plat leurs difficultés communes, souvent déjà connues, et de souligner la nécessité d’un plus fort portage politique de la question de la périnatalité. Mais, des doutes sont aussi exprimés sur la portée réelle à en attendre quant à la transformation des modes d’intervention, les États Généraux étant conduits à moyens budgétaires constants. suites et conclusions attenDues La poursuite de ce travail de recherche visera d’abord à approfondir ces premiers résultats sur le champ de la santé de la mère et du jeune enfant. Il s’agira d’observer de façon plus fine quelles reconfigurations s’opèrent, ou ne s’opèrent pas, à l’issue des États Généraux. Il s’agira d’observer de façon systématique si les coordinations locales se ressemblent ou se différencient. Il s’agira de préciser les leviers et les freins, notamment budgétaires et professionnels, à l’aboutissement des dynamiques de coopérations locales. Il s’agira de préciser quelles logiques professionnelles et organisationnelles, quelles logiques propres au service public, quelles logiques politiques et quelles logiques territoriales préexistantes, se croisent et se confrontent pour aboutir à ce paysage. Une séquence d’enquête ultérieure devra permettre de généraliser ces étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris résultats en comparant les résultats obtenus à ce qui peut être observé dans d’autres champs thématiques en santé. Enfin, une séquence d’enquête transversale sera consacrée aux élus parisiens, c’est-à-dire à l’adjoint à la Maire de Paris en charge de la santé, mais également aux élus en charge de la santé dans les arrondissements et de leurs conseillers. Il s’agira d’étudier comment ils s’approprient les questions de santé et comment ils donnent corps à une politique de santé à l’échelle de leurs arrondissements. De quels relais disposent-ils? S’emparent-ils des différentes instances de concertation, dites participatives et de démocratie sanitaire impulsées par la Mairie de Paris, et si oui, comment et pour aborder quelles problématiques? Quelle place y occupe la santé de la mère et du jeune enfant? Cette recherche visera ainsi à contribuer à l’analyse des reconfigurations contemporaines de l’action publique locale en santé, en montrant notamment: • la persistance d’enjeux de pouvoirs et de compétence qui accompagnent le décloisonnement en cours des politiques publiques locales de santé porté par des enjeux d’amélioration de la prise en charge des habitants; • le rôle particulier des acteurs associatifs quant à la mise en œuvre concrète de ce décloisonnement des politiques au niveau local et à la plus grande appropriation des questions de santé en ville; • les rôles joués respectivement par les professionnels de terrain et les élus dans la construction de la santé en tant qu’objet de politique publique locale. 117 BiBlioGraPHie • Fleuret S., 2012, Construction locale de santé. Attention primaire et santé communautaire, comparaisons internationales et expérimentation en France, Habilitation à diriger des recherches, Université d’Angers • Gumuchian H., Grasset E., Lajarge R., Roux E., 2003, Les acteurs, ces oubliés du territoire, Paris, France, Anthropos : Économica, 186 p. • Rican S., Rey G., Lucas-Gabrielli V., Bard D., Zeitlin J., Charreire H., Jougla E., Salem G., Vaillant Z., Combier É., Oppert J.-M., Hercberg S., Castetbon K., Mejean C., Pampalon R., 2011, « Désavantages locaux et santé : construction d’indices pour l’analyse des inégalités sociales et territoriales de santé en France et leurs évolutions », Environnement, risques et santé, Vol. 10, n° 3, pp. 211-215 • Vanier M., 2009, Territoires, territorialité, territorialisation: controverses et perspectives, Rennes, France, Presses Universitaires de Rennes (Entretiens de la Cité des Territoires), 228 p. Enfin, il s’agira de re-situer les résultats produits sur le cas d’étude choisi, et d’analyser si les spécificités propres à Paris, en raison de son organisation administrative et politique et de sa situation métropolitaine, produisent des effets eux aussi spécifiques quant aux reconfigurations de l’action publique locale en santé. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents, l’exemple du dispositif maison des adolescents du calvados 119 métilde havard umr L e présent article fait suite à une communication présentée dans le cadre de la journée « Santé et Bien-être », organisée par le laboratoire Espaces et Sociétés. L’objet de cette intervention était de présenter la recherche envisagée au prisme des réflexions menées au sein de l’UMR-ESO 6590, notamment à partir de l’axe thématique consacré aux « pratiques, expériences et représentations de l’espace » et de l’axe transversal. Dans un premier temps, il sera nécessaire de livrer des éléments de contexte afin d’exposer la problématique retenue pour l’analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents à partir de l’exemple fourni par la Maison des Adolescents du Calvados. Puis, il s’agira de présenter les choix qui ont présidé à la construction l’objet d’étude. En dernier lieu, le positionnement du chercheur en début de thèse sera explicité. conteXtualisation De la recHercHe En 1999, la première structure extra-hospitalière pour adolescents est ouverte dans le cœur de ville du Havre. Cette expérience marque les prémices de l’émergence du concept « Maison des Adolescents ». En effet, le rapport du Défenseur des Enfants (2002) puis la Conférence de la Famille (2004) concourent à la légitimation de ce concept. En 2005, un cahier des charges national est rédigé: les « Maisons des Adolescents » doivent œuvrer en direction des adolescents, favoriser le décloisonnement institutionnel et la mise en complémentarité fonctionnelle des structures d’aide sociale, médico-sociale et sanitaire à l’échelle de département. Dans le Calvados, une « Maison des Adolescents » est ouverte à Caen, en 2006. Dix ans après la rédaction du cahier des charges national, seuls 10 départements ne sont toujours pas pourvus d’une « Maison des Adolescents ». eso caen - cnrs 6590 - université de caen La Maison des Adolescents du Calvados (MDA14) est une association Loi 1901, dont la création résulte de la rencontre d’une approche sociale, médicosociale portée par l’Association Calvadosienne de Sauvegarde de l’Enfant à l’Adulte (ACSEA) et d’une approche sanitaire portée par l’Établissement Public en Santé Mentale Caen (EPSM). L’Association des Amis de Jean Bosco (AAJB) rejoint, par la suite, le projet. Cette construction hybride se retrouve dans un type original d’association qui développe une approche globale de l’adolescent. Cette Maison a pour vocation d’accueillir les adolescents et leur entourage ainsi que les professionnels travaillant avec ce public. Son équipe pluri-professionnelle remplit des missions d’écoute et d’évaluation des situations adolescentes, oriente ceux qui le nécessitent vers des accompagnements adaptés et met en place des suivis spécifiques. Les jeunes de 12 à 18 ans, domiciliés dans le Calvados, peuvent intégrer le dispositif MDA14 de deux manières: de leur propre initiative ou à la suite d’une orientation par un professionnel (Éducation Nationale, médecin traitant, assistante sociale…). Certains adolescents réalisent, au sein du dispositif, de véritables « parcours de soin »: ils passent de l’Espace Accueil, porte d’entrée généraliste, aux Espaces cliniques où des accompagnements spécifiques sont mis en place (Espace Consultation, Espace de Soin et de Médiation, Espace Hébergement thérapeutique). À l’échelle du département, la Maison des Adolescents représente « une sorte de carrefour aux multiples entrées et sorties, une plate-forme d’aide et d’orientation pour des demandes les plus générales aux prises en charges les plus spécialisées » [MDA14, 2011]. Si ce travail de thèse entend questionner les « parcours de soin » des adolescents dans le Calvados, c’est pour mettre en lumière les tensions qui animent ce dispositif, aux prises entre un paysage politique et institutionnel marqué par la restructuration du système de santé et une légitimité reposant sur sa capa- eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 120 analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents, l’exemple du dispositif maison des adolescents du calvados cité à accompagner le public adolescent dans des « parcours de soin » personnalisés à l’échelle du département. construire l’oBJet D’étuDe Les premiers résultats tirés de l’enquête exploratoire montrent qu’en 2013, 54 adolescents sont engagés dans un « parcours de soin », c’est-à-dire qu’ils fréquentent au moins deux espaces cliniques de la MDA14. Pour 23 d’entre eux, le « parcours de soin » a été initié à la suite de leur passage à l’Espace Accueil, pour les autres, il débute à la suite de leur orientation vers un des Espaces cliniques de la MDA14 par un professionnel partenaire. Ce travail d’exploitation de la base de données 2013, produite par la structure, s’est vu complété par une série d’entretiens semi-directifs menés auprès de professionnels de la Maison des Adolescents. Leurs discours ont ainsi pu être recueillis quant aux accompagnements qu’ils mettent en place et aux difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leurs missions. Parallèlement, une bibliographie sur la notion de « parcours de soin » et sur le mouvement de la restructuration du système de santé français a été constituée (rapports officiels, de textes tirés de la littérature grise et académique). Au regard des premiers résultats issus de l’enquête exploratoire, il convient, pour l’heure, de retenir une acceptation large du soin, de sorte que les accompagnements relevant du sanitaire, du médico-social, du social, de l’éducatif, du pédagogique et du judiciaire soient partie intégrante des « parcours de soin » étudiés. Les accompagnements dispensés par MDA14 seront considérés au même titre que ceux proposés par les partenaires dont le territoire de compétence concerne le département du Calvados. C’est la loi « Hôpital, Patient, Santé, Territoire » du 21 juillet 2009 qui introduit la notion de parcours en santé. Selon la Haute Autorité de Santé, « les parcours de santé correspondent à la fois à la mise en œuvre d’un programme de prévention adapté à la personne, et à l’organisation appropriée des soins et des services sociaux nécessaires aux différents moments d’une prise en charge personnalisée » [Haute Autorité de Santé, 2012]. Dossier santé Au cours du travail de recherche, il s’agira d’analyser les dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents dans le Calvados à partir de l’exemple fourni par le dispositif. Ces premières questions de recherche participent à la construction de l’objet d’étude: Quelles sont les caractéristiques des adolescents qui fréquentent la Maison? Quels sont les accompagnements auxquels ils ont recours? Quels sont les indicateurs qui permettent d’apprécier la cohérence des « parcours de soin » réalisés? Dans quelle mesure les temps d’élaboration, de mise en œuvre et de suivi des « parcours de soin » permettent-ils la confrontation des représentations et des pratiques de chacun des acteurs engagés (professionnels, adolescents, entourage) ? Comment les acteurs en présence se positionnent-ils les uns par rapport aux autres? Quelles sont les négociations possibles? Dans quelle mesure l’action de la MDA14 vientelle soutenir l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des « parcours de soin » pour les adolescents dans le Calvados? Dans quelle mesure l’offre de soin coïncidet-elle avec les besoins de santé exprimés par les adolescents domiciliés dans le Calvados? le Protocole D’enquête et le Parti Pris De la métHoDe Un premier travail consistera à reconstituer les « parcours de soin » des adolescents qui fréquentent, ou qui ont fréquenté, le dispositif et ce, depuis son ouverture. Des traitements statistiques seront appliqués aux données produites par la MDA14 dans le but d’établir une typologie des profils adolescents et des « parcours de soin » qu’ils effectuent. Une modélisation des « parcours de soin » pourra alors être proposée. Pour chaque idéal type mis en évidence, il conviendra de recueillir auprès des acteurs1 engagés dans des « parcours de soin » leurs représentations quant à la santé des adolescents (entretiens semidirectifs et focus group) et d’identifier les pratiques de santé qui y sont liées. 1- Les interviewés seront les adolescents, leurs parents ou représentants de l’autorité parentale, les professionnels de première ligne, les gestionnaires d’établissements et de services accueillant le public adolescent et les gestionnaires des politiques locales de santé et en faveur de la jeunesse. Un échantillonnage sera construit afin de mener des entretiens semidirectifs approfondis. analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents, l’exemple du dispositif maison des adolescents du calvados Le travail de contextualisation de l’objet d’étude passera par la mise en évidence des dynamiques structurantes du Calvados et s’effectuera en trois temps. Tout d’abord, il s’agira de caractériser l’offre de santé présente dans le département (recenser et localiser les établissements et services intervenant auprès du public adolescent, préciser leurs modalités d’action dans les différents champs de compétences que sont le sanitaire, le médico-social, le social, l’éducatif, le pédagogique et le judiciaire et leur territoire de compétence). Il conviendra, ensuite, d’étudier la répartition des populations selon leurs profils sociodémographiques et économiques en exploitant les bases de données mises à disposition par des institutions comme l’INSEE, le Conseil départemental, le Département de l’Enfance et de la Famille, etc. Pour compléter, il conviendra de s’intéresser à la distribution de l’activité de cette Maison à l’échelle du Département (cartographier ses bassins de patientèle) et d’identifier les réseaux professionnels dynamiques organisés autour des questions liées à l’adolescence. Ce travail s’appuiera nécessairement sur un corpus bibliographique où seront analysées les politiques menées localement, en matière de santé et en faveur de la jeunesse, au regard des orientations nationales voire supranationales. Les effets d’accumulation de difficultés en des lieux circonscrits seront alors interrogés. Quels sont les indicateurs qui permettent d’identifier le(s) risque(s) potentiels pour le développement de l’adolescent? Il s’agira de comprendre si des effets de contexte (structurels) peuvent apparaître comme favorables ou défavorables à l’état de santé des adolescents et si, sur un territoire donné, ils peuvent encourager ou, au contraire, contraindre les pratiques des acteurs engagés. L’association génère des bases de données, depuis son ouverture en 2006, précieuses pour cette recherche car elles rendent possible la réalisation d’une étude longitudinale des « parcours de soin » des adolescents. Pour saisir les dimensions sociales et spatiales de ces parcours, les conditions d’élaboration, de mise en œuvre et de suivi des « parcours de soin » seront étudiés à différentes échelles d’analyse et en intégrant les points de vue des différents acteurs qui y prennent part. La confrontation des résultats obtenus 121 permettra d’identifier les rapports de force à l’œuvre au sein des processus de soin étudiés. Le traitement de l’information recueillie se fera au moyen de techniques quantitatives et qualitatives de manière à ce que l’interprétation des données qualitatives vienne rétro-éclairer celles des données quantitatives. Ce travail monographique, réalisé à partir de cet exemple de Maison, propose donc d’étudier le rapport entre les dynamiques du contexte local, qui peuvent apparaître tour à tour favorables ou défavorables à la santé des adolescents, et les marges de manœuvre dégagées collectivement par les acteurs impliqués dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des « parcours de soin » des adolescents au bénéfice de l’amélioration de l’état de santé de cette population. conclusion Le présent article pose les jalons du travail de recherche envisagé. Il permet d’en cerner les attendus, d’identifier les axes à approfondir et ceux, encore naissants, qui devront être articulés à la structure actuelle du projet de thèse. Ce travail de recherche s’attachera à produire de la connaissance qui puisse être réinvestie aussi bien dans le cadre de la pratique de la recherche qu’auprès des acteurs engagés dans des « parcours de soin » d’adolescents. En ce sens, la thèse bénéfice du soutien académique de l’Unité ESO-UMR 6590, représenté par B. Raoulx (ESO-Caen) et S. Fleuret (ESO-Angers), et du soutien de la MDA14, représentée par le Dr P. Genvresse, qui s’engage aux côtés de la Région Basse-Normandie à financer ce travail. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 122 analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents, l’exemple du dispositif maison des adolescents du calvados quelques références bibliographiques • Auvray L., Lefur P., 2002, « Adolescents: Etat de santé et recours aux soins », Questions d’économie de la santé, IRDES, n° 49, mars • Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, 2012, Travaux préparatoires Groupe de travail « Santé et accès aux soins », Pour un accès plus égal et facilité à la santé et aux soins, 2012 • Del Casino V., Thomas M., Cloke P., Panelli R., 2011, A companion to social geography, Chichester: Willey Blackwell • DRESS, 2004, « La santé des adolescents », Études et résultats, n° 322, juin • Fleuret S., Séchet R., 2002, La santé, les soins, les territoires. Penser le bien-être, Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 236 p. • Fleuret S., Thouez J.-P, 2007, Géographie de la Santé, un panorama, Éditions ÉconomicaAnthropos, 301 p. • Fleuret S., Hoyez A.-C., 2011, Santé et géographie, nouveaux regards, Éditions ÉconomicaAnthropos, 302 p. • Haute Autorité de Santé, 2012, Rapport d’activité • IGAS, 2013, Évaluation de la mise en place du dispositif « Maison des Adolescents » (MDA), Rapport • Jaeger M., 2000, L’articulation du sanitaire et du social, Paris: Dunod, 224 p. • Maison des Adolescents du Calvados, 2011, Projet d’association réactualisé 2012-2017 • UNICEF, 2014, Adolescents en France: le grand malaise, 60 p. Dossier santé les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge. du cadre d’analyse socio-spatiale de la vulnérabilité des personnes âgées à une recherche sur les personnes immigrées 123 aurélien martineau eso angers umr I l n’y a jamais eu autant de personnes âgées au sein de nos sociétés occidentales qui arrivent à un âge aussi avancé de la vie (Caradec, 2007). Le nombre de personnes de 75 ans ou plus passera en France de 5,2 millions en 2010 à 11,9 millions à l’horizon 2060 (Chardon, 2010). Sur le plan démographique, le XXIe siècle sera donc le siècle du vieillissement (Dumont, 2005) et l’augmentation de la population vieillissante représente un enjeu de santé publique pour garantir le bien-être de tous jusqu’à la fin de sa vie. L’avancée des connaissances relatives aux parcours de vieillissement est donc primordiale pour anticiper et répondre aux enjeux gérontologiques présents et à venir. Dans ce contexte, cette contribution, qui se veut une position de recherche préparatoire à une thèse menée à l’université d’Angers, a pour objet de proposer un cadre d’analyse sociospatiale de la vulnérabilité des personnes au grand âge. Il sera ici présenté à travers deux principales notions: les parcours de vie durant la vieillesse et la vulnérabilité. L’objectif est de démontrer en quoi ce cadre théorique peut être pertinent pour analyser les parcours de vieillissement et de fin de vie en France des migrants dans leurs territoires de résidence. i- étuDe Des cHanGements socio-sPatiauX au GranD âGe L’étude des conséquences sociospatiales de l’expérience du grand âge (Martineau 2015) fait référence dans les parcours de vieillissement aux travaux du sociologue V. Caradec (2008). Ce chercheur ne définit pas le grand âge comme l’appartenance d’individus à une classe d’âge (par exemple, les 80 ans et plus). Le grand âge correspond d’après lui aux expériences nouvelles qui sont vécues par les personnes dans leur parcours de vieillissement, qui se caractérise par divers changements expérimentés dans cette période de la vie: connaître des limitations fonctionnelles, avoir - cnrs 6590 - université angers conscience de sa finitude, perdre ses contemporains, etc. Pour résumer, une ou des épreuves qui marquent le vieillissement en transformant le rapport de la personne âgée à soi, aux autres et au monde (Caradec, op cit, p. 9). Dans cette perspective, des récits biographiques d’individus au grand âge habitant différents territoires de vie du département de Maine-et-Loire ont été menés en mars 2015 (territoires urbains et périurbains: agglomérations angevine et choletaise et en milieu rural: communautés de communes Moine- etSèvre). Lors des entretiens, les phases de bifurcation/transition biographique (Mazade, 2011) de ces personnes ont été analysées pour comprendre comment face à une difficulté, une expérience liée au grand âge, elles ont agi et réagi. Comment se sont-elles adaptées (ou non) aux conséquences sociales et spatiales générées par ces événements? Pour en saisir les éléments, le recours à un cadre d’analyse systématique de leur situation a été primordial. Le modèle théorique proposé a été construit autour de deux concepts centraux: la vulnérabilité et les parcours de vie durant la vieillesse. Ils ont permis d’analyser les récits au grand âge en étudiant les changements au sein des parcours et dans les territoires de vie des individus. ii- la vulnéraBilité : le cHoiX D’un moDèle D’analyse Du GranD âGe Utilisée initialement en géographie, la notion de vulnérabilité s’est progressivement intégrée au secteur gérontologique en complément de la notion de fragilité (Martin, 2013). Une recension des écrits sur le thème de la vulnérabilité a permis de retenir le cadre d’analyse développé par E. Schröder Butterfill et R. Marianti. Pour ces auteures, la vulnérabilité d’un indi- eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 124 les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge... vidu se définit comme « le produit d’un ensemble de risques distincts, mais liés, à savoir le risque d’exposition à une menace, le risque de matérialisation d’une menace et le risque d’absence de défense permettant de gérer la menace » (Schröder-Butterfill, 2013, p. 208). Pour les deux gérontologues, les « menaces » correspondent à des événements capables d’amorcer la progression de l’individu vers une « issue défavorable » dans la vieillesse, sauf si celui-ci dispose de ressources lui permettant de « faire face », de réagir à la menace. Les menaces sont un ensemble de chocs, de crises, d’aléas qui peuvent être très différents selon les situations. Un accident vasculaire cérébral (AVC), un deuil, une chute, etc. sont autant d’aléas qui peuvent générer une situation de crise. Face à cela, l’individu peut mobiliser un soutien pour éviter une évolution de sa situation qui ne lui serait pas favorable. Les auteures distinguent ensuite « l’exposition » qui correspond aux états de l’individu. L’âge, le sexe, la situation géographique, la classe sociale, etc. sont autant de facteurs agissant sur la probabilité d’être confronté à un aléa, un événement donné. L’exposition, aussi nommée facteur de risque, est primordiale dans l’analyse des situations sans réduire la vulnérabilité d’une personne uniquement à des caractéristiques. Enfin, « le faire face », aussi nommé atout, résilience, stratégie d’adaptation correspond aux capacités de faire face. C’est l’ensemble des « ressources et des relations à la disposition des personnes pour les aider à se protéger contre les menaces, éviter les évolutions défavorables et récupérer après une crise » (ibidem, p. 212). Ces capacités ont un aspect relationnel et dynamique, elles sont classées en trois groupes. Premièrement, les capacités individuelles correspondant aux ressources économiques, aux capitaux humains, à la résilience, aux capacités d’adaptation des personnes. Deuxième type, pour ces auteurs, le réseau social à travers la famille, les amis, les voisins. Tous les membres qui participent à l’épanouissement et le bien-être de l’individu. Il faut garder à l’esprit qu’ils peuvent également représenter parfois des limites pour l’individu (en cas de conflits par exemple). Enfin, dernières « capacités de faire face », le soutien formel essentiel pour la compensation, les carences des capacités individuelles et du réseau social. Il cor- Dossier santé respond aux services sociaux et de santé, et sociaux, aux organismes de retraite, etc. Ce type de recours pose l’enjeu de la fiabilité du soutien formel, de la qualité et de l’accessibilité des services et des prestations mobilisées. Ce qui peut varier selon les situations et, d’un territoire à un autre. Ce cadre d’analyse développe au final un ensemble d’évolutions face auxquelles les personnes âgées pourraient se sentir vulnérables. Par exemple, l’absence de soin et de service d’accompagnement de qualité, une exclusion de la vie sociale, l’institutionnalisation, la solitude, etc. Ces exemples pouvant être enrichis, l’évaluation « des menaces » prend en effet sens dans la vie de chaque individu et va varier selon les contextes. Étudier les ressources et entrevoir les stratégies d’adaptation prend sens également dans l’espace, en interrogeant les enjeux et les risques « spatiaux », les disparités et les inégalités présentes à l’échelle des territoires de vie des personnes. iii- Parcours De vie Durant la vieillesse : la Prise en comPte De la Dimension temPorelle Le vieillissement étant le produit des trajectoires passées (Caradec, 1998, p. 2), étudier les parcours de vie durant la vieillesse, c’est considérer l’ensemble de la vie de l’individu. Pour S. Pin Le Corre (2009), cette approche « appliquée au vieillissement et à la vieillesse » relève d’un courant de recherche récent qui a permis de prendre connaissance des multiples situations de vieillesse et des trajectoires plurielles de vieillissement. Ces travaux sont notamment centrés sur les événements qui jalonnent les dernières étapes de la vie et sur la façon dont « les individus vivent et s’adaptent à ces changements » (Pin Le Corre, op cit, p. 17). Le parcours de vie des individus est composé « d’un ensemble de trajectoires plus ou moins entrelacées et renvoyant aux différentes sphères dans lesquelles se déroule l’existence individuelle: scolaire, professionnelle, familiale, etc. » (Cavalli, 2007, p. 57). L’approche des parcours de vie saisit donc les interconnexions entre les expériences vécues à des instants différents de la vie des personnes. Dans ce sens, cette notion apparaît essentielle pour entrevoir l’ensemble des trajectoires vécues par les individus au grand âge les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge... (événements, décisions, contraintes rencontrés par le passé comme actuellement). Pour la géographe R. Séchet, l’analyse des parcours de vie doit donc être liée aux temporalités et aux espaces dans lesquels les parcours se façonnent (Séchet, 2012). L’hétérogénéité des parcours de vie durant la vieillesse doit être mise en lumière par la multiplicité des facteurs de vulnérabilité rencontrés au grand âge. Sur l’ensemble des personnes âgées, il n’est en effet pas possible de distinguer « celles qui sont vulnérables, de celles qui sont solides en examinant simplement les facteurs d’exposition et les menaces communes, car la vulnérabilité découle des interactions entre les avantages/désavantages cumulés au fil de l’existence » (Martin, 2013, pp. 28-29). Étudier les trajectoires de vieillissement au grand âge, c’est tenter de comprendre ce qui peut caractériser leur vulnérabilité face à un ou plusieurs risques. Cela nécessite de « prêter attention aux conditions d’apparition et de répartition dans le temps des facteurs d’exposition, mais aussi à la manière dont les individus parviennent ou non à mobiliser des ressources sociales, matérielles et publiques pour se protéger des effets négatifs » (ibidem). D’où l’intérêt de proposer un cadre théorique mêlant l’approche des parcours de vie et l’étude de la vulnérabilité pour prendre en considération les dimensions agissant sur les expériences de vieillissement au grand âge. iv- ProJet Doctoral - une lecture socio-sPatiale Des Parcours De vie Des immiGrés au GranD âGe En 2008, 890000 immigrés âgés de 65 ans et plus résidaient en France qui représente 8 % de la population totale de cette tranche d’âge. Le nombre d’immigrés âgés est en constante augmentation et la diversité des origines et des parcours migratoires font de ces publics une catégorie d’étude singulière et complexe. Durablement installée en France, une majorité d’entre eux vont passer leurs retraites et leur fin de vie sur le territoire national (Attias-Donfut, 2006). Actuellement, nombre d’entre eux sont dans une période transitoire où l’entrée en situation de dépendance et la fin de vie sont des enjeux centraux (Attias-Donfut, 2012). La littérature scientifique dresse le constat qu’ils rencontrent des difficultés similaires au reste de la population 125 face au vieillissement. Une partie d’entre eux éprouve cependant des difficultés supplémentaires (Samaoli, 2012) par rapport aux personnes non-immigrées : conditions de vie moins avantageuses, barrière de la langue, non-recours à certains droits sociaux, éloignement des proches restés au pays, dépendance précoce. Un travail de recension bibliographique a permis de mettre en exergue les enjeux propres aux expériences de vieillissement de ces publics en France (Plard, Martineau, & Fleuret, 2015). Le cadre théorique présenté peut être adapté à l’analyse des parcours durant la vieillesse des immigrés au grand âge. En effet, les approches se basant sur les parcours de vie améliorent la mise en lumière de la vulnérabilité des personnes âgées. Elles permettent d’objectiver des facteurs d’exposition, des menaces, qui trouvent leur origine dans des périodes antérieures de la vie. Concernant, les migrants âgés, l’étude de leurs parcours migratoires et de vie en France, des changements qui ont pu modifier leur culture, façonner leur identité peuvent donner des indications essentielles sur les facteurs de vulnérabilité éprouvés au grand âge. La mise en lien de ces deux concepts (parcours de vie et vulnérabilité) offre une lecture des trajectoires de vieillissement inscrite dans le temps et dans l’espace au sein des territoires de vie des migrants. Cette approche permettra de saisir les dimensions temporelles et spatiales dans les récits biographiques de ces populations ayant pu habiter au cours de leur vie dans des pays, sur des espaces de vie très différents. La démarche favorisera ainsi l’analyse de la vulnérabilité vécue par les migrants âgés et l’étude des issues de la vieillesse, la manière dont les immigrés âgés font face aux menaces qu’ils rencontrent. L’une des finalités de cette recherche doctorale sera de spatialiser les expériences au grand âge des migrants pour étudier les disparités existantes en fonction de leur territoire de vie. La recension bibliographique a dans ce sens démontré que la dimension spatiale était quasi-absente dans la littérature scientifique et les enjeux spatiaux liés au vieillissement de ces publics très peu abordés. eso, travaux & documents, n° 39, octobre 2015 E E SO O 126 les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge... réFérences BiBlioGraPHiques • Attias-Donfut Claudine, 2006, L’Enracinement: Enquête sur le vieillissement des immigrés en France. Armand Colin, 358 p. • Attias-Donfut Claudine, 2012, Dépendance des immigrés âgés, une solitude accrue. 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(dir.), Les dynamiques des parcours sociaux temps, territoires, professions, Presses universitaires de Rennes, pp. 7-9 E E S O O travaux et documents de l'unité n° 39 - octobre 2015 mixtE dE rEchErchE 6590 ESpAcES ET SOcIETES SOmmAIRE colloques, séminaires • « Le beau, le bon, le vrai » : Interroger les normes environnementales en sciences sociales, Jean-Baptiste Bahers, emmanuelle Hellier, nadia Dupont, p. 7-16 • « Sexualités : des lieux et des liens », 3e biennale Masculins/Féminins, colloque international, compte rendu, Jean-marc Fournier, emmanuel Jaurand, p. 17-20 • « Tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu, Xavier michel, p. 21-26 résumés De travauX • L’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale. Echelle nationale et locale (le cas du Maine-et-Loire), Jean-Pierre Ducos, p. 29-40 • La ressource territoriale comme facteur-clé du développement durable local, rose-marie Grenouillet, p. 41-50 Position De recHercHe • Une approche comparée des politiques régionales d’innovation. Les cas de la Bretagne et du SørTrøndelag (Norvège), elena Dantec-Gernigon, p. 53-60 • Ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en Inde. L’exemple du Rajasthan, nicolas Bautès, p. 61-74 Dossier santé • Une brève histoire de la santé dans les travaux de ESO, sébastien Fleuret, p. 77-82 • Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé. Quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes enceintes ou ayant récemment accouché dans la ville de Rennes, anne-cécile Hoyez, clélia Gasquet-Blanchard, p. 83-87 • Automédication : pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens, Étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise, sébastien Fleuret, stéphanie larramendy-magnin, laurent Brutus, p. 89-99 • Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires. Regards croisés en Pays de la Loire, et au Québec, léa Potin, p. 101-105 • Les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile : pratiques spatiales dans les espaces du quotidien, sarah Painter, p. 107-110 • Étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris, Béatrice Georgelin, p. 111-115 • Analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents, l’exemple du dispositif Maison des Adolescents du Calvados, métilde Havard, p. 117-120 • Les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge. Du cadre d’analyse socio-spatiale de la vulnérabilité des personnes âgées à une recherche sur les personnes immigrées, aurélien martineau, p. 121-124