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travaux et documents
de l'Unité Mixte de Recherche 6590
ESpAcES ET SOcIETES
DOSSIER : SANTE
octobre
2015
39
ESO
UMR 6590
Espaces et Sociétés
universités :Angers-Caen-Le Mans-Nantes-RennesII
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Travaux eT documenTs
PublicaTion semesTrielle
de l'uniTé mixTe de recherche 6590 du cnrs
esPaces eT sociéTés
secrétariat de rédaction
monique bigoteau
nantes cnrs umr 6590
université de nantes
bP 81227 44312 nantes cedex 3
eso
-
tél. (33)02 53 48 75 57 - (fax)(33)02 53 48 75 50
e-mail : [email protected]
site : http://eso.cnrs.fr
comité de rédaction
monique bigoTeau, nantes ; serveT erTul, le mans ;
vincenT gouëseT, rennes ; benjamin Taunay, angers ;
jean-françois Thémines, caen ; véronique van Tilbeurgh, rennes
direcTeur de PublicaTion : vincent gouëset, eso
-
umr
6590 -
cnrs, université rennes
concePTion édiToriale eT secréTariaT de rédacTion : monique bigoteau, eso
dao
-
carTograPhie : théodora allard, eso
imPression : imPrimerie la harPe, rennes
issn : 2117-931x
-
-
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nantes, ingénieure de recherche cnrs
rennes, assistante-ingénieure cartograPhe cnrs
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colloques, séminaires
• « Le beau, le bon, le vrai » : Interroger les normes environnementales en sciences sociales,
Jean-Baptiste Bahers, emmanuelle Hellier, nadia Dupont, p. 7-16
• « Sexualités : des lieux et des liens », 3e biennale Masculins/Féminins, colloque international,
compte rendu, Jean-marc Fournier, emmanuel Jaurand, p. 17-20
• « Tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu, Xavier michel, p. 21-26
résumés De travauX
• L’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale.
Echelle nationale et locale (le cas du Maine-et-Loire), Jean-Pierre Ducos, p. 29-40
• La ressource territoriale comme facteur-clé du développement durable local,
rose-marie Grenouillet, p. 41-52
Position De recHercHe
• Une approche comparée des politiques régionales d’innovation. Les cas de la Bretagne et du SørTrøndelag (Norvège), elena Dantec-Gernigon, p. 55-62
• Ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en Inde. L’exemple du Rajasthan,
nicolas Bautès, p. 63-76
Dossier santé
• Une brève histoire de la santé dans les travaux de ESO, sébastien Fleuret, p. 79-84
• Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé. Quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes enceintes ou ayant récemment accouché dans la ville
de Rennes, clélia Gasquet-Blanchard, anne-cécile Hoyez, p. 85-89
• Automédication : pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens. Étude dans
les agglomérations nazairienne et nantaise, sébastien Fleuret, stéphanie larramendy-magnin,
laurent Brutus, p. 91-101
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• Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires. Regards croisés en Pays de la Loire, et au Québec, léa Potin, p. 103-107
• Les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile : pratiques
spatiales dans les espaces du quotidien, sarah Painter, p. 109-112
• Étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris,
Béatrice Georgelin, p. 113-117
• Analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents, l’exemple du
dispositif Maison des Adolescents du Calvados, métilde Havard, p. 119-122
• Les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge. Du cadre d’analyse socio-spatiale de la vulnérabilité des personnes âgées à une recherche sur les personnes immigrées,
aurélien martineau, p. 123-126
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colloques
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« le beau, le bon, le vrai » :
interroger les normes environnementales en sciences sociales
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jean-baptiste bahers
emmanuelle hellier
nadia dupont
umr
L’objet de cet article est de livrer un compte rendu
a posteriori, subjectif et dé-disciplinarisé du séminaire
tenu dans le cadre des séminaires d’ESO-Rennes sur les
normes environnementales.
L
e groupe séminaire ESO-Rennes avait proposé en juin 2013 que soit posée une question relative au contexte de l’action publique
en matière environnementale. L’environnement doit
être compris au sens large non seulement comme
l’ensemble des éléments composant le milieu physico-naturel, mais aussi comme le cadre de vie construit des sociétés. Or, dans des domaines aussi variés
que l’urbanisme, les paysages ou les services urbains,
la référence à des règles formelles et légales organise
le champ des possibles, notamment en fonction des
directives européennes et des lois nationales. Parmi
ces règles, les normes (de qualité, de constructibilité,
d’usages, de composition…) jouent un rôle central, en
produisant de notre point de vue des définitions de ce
qui est « beau, vrai ou bon ». Les règles normatives
ont pour ambition de représenter un « idéal
éthique », un appel à la « responsabilité « écocitoyenne » de tous les acteurs », et doivent atteindre
un « certain degré d’universalité » (Roy, 2013). Dans
le domaine de l’environnement, ces normes sont
complexes à appréhender car elles relèvent de multiples cadrages, renvoyant à des connaissances spécifiques (écologiques, biologiques, sanitaires, économiques), à différents régimes (propriété privée,
intérêt public), à différents contextes (risque, gestion
quotidienne etc.), et à des enjeux de portées différentes (publics, professionnels, locaux, mais également nationaux, voire internationaux) (Mormont,
Mougenot et Dasnoy, 2006).
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6590 - université rennes 2
tent un intérêt scientifique partagé par un certain
nombre de chercheurs, dans la mesure où ces cadres
sont observés dans leur mise en application dans les
territoires et par le biais des réactions et adaptations
qu’ils suscitent de la part des groupes sociaux et
acteurs locaux. Notre questionnement était alors de
savoir si les normes environnementales, dans leurs
dimensions réglementaires et techniques, font sens
pour les acteurs locaux impliqués dans la gestion ou la
préservation des espaces ou des ressources (I). Ce faisant, nous interrogeons aussi la capacité des acteurs à
s’approprier ces normes, voire à en produire d’autres,
et surtout à les mobiliser dans le cadre de controverses
d’aménagement et d’environnement (II). Il reste que si
l’application des normes s’inscrit souvent dans des
périmètres et zonages, les rapports sociaux à l’espace
local ne sont pas pris en compte dans leur mise en
œuvre, contrairement aux considérations techniques
et économiques (III).
Dans les interventions supports de cette réflexion
(cf. encart ci-dessous), les types et les niveaux de
normes évoqués sont hétérogènes, et le défi de cette
tentative de compte rendu est bien de faire dialoguer
ces différents niveaux d’appréhension, relatifs à des
approches distinctes plus encore qu’à des approches
disciplinaires différentes (sociologie, droit, aménagement, géographie…).
Au sein d’ESO et particulièrement de l’axe Action
publique, les cadres institutionnels de l’action susci-
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« le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales
liste des interventions supports et disciplines
Journée du 02/12/13
Benoît Montabone, Emmanuelle Hellier, Géographieaménagement, Introduction au séminaire: « Le beau, le
bon, le vrai. Interroger les normes environnementales en
sciences sociales ».
Nadia Dupont, Emmanuelle Hellier, Géographie-aménagement, « La qualité sanitaire et environnementale de
l’eau potable: quelle cohérence des normes: entre discours, perceptions et réglementation? ».
Jean-Baptiste Bahers, Évaluation environnementale et
aménagement, « Une lecture par les normes d’un dispositif environnemental: le cas de la gestion des déchets
d’équipements électriques et électroniques (DEEE) ».
Journée du 20/01/14
Béatrice Quenault, Économie et aménagement, « La résilience: nouveau régime normatif pour la gestion des
risques de catastrophe? »
Jean-François Inserguet, Droit public, « Préservation des
espaces naturels et agricoles par les documents d’urbanisme: densification et gestion économe des espaces ».
Journée du 12/05/14
Caroline Le Calvez, Géographie-aménagement, « Qualité
écologique et résistances usagères sur le bassin-versant
de la Seiche »
Journée du 30/06/14
Véronique Van Tilbeurgh, Sociologie, « Émotions et
valeurs dans la négociation des normes environnementales »
i- les reGistres De la norme
L’enjeu scientifique de la mobilisation du concept
de norme environnementale peut être proche de celui
de la prescription, établie comme une injonction politique top-down (même si parfois les normes sont aussi
bottom-up dans le domaine de l’éducation par
exemple). L’expression de « norme environnementale » est parfois employée dans le sens donné par le
« “génie sanitaire urbain“ comme l’ensemble des
normes, savoirs, savoir-faire et équipements destinés
à améliorer les conditions sanitaires du milieu urbain »
(Frioux, 2009). Ce type d’ingénierie à double facette,
sanitaire et environnementale, a plusieurs sortes d’outils à disposition: la réglementation, l’incitation économique et la planification (Rollin, 2009). La question en
filigrane repose sur ce que cela implique comme
appropriations, critiques et réactions dans la société
civile. En effet, « la norme renvoie aussi à une
approche autre que technique qui prend en compte
Colloques, séminaires
les règles qui président au (bon) fonctionnement de la
société. Bref à une vision éthique de celle-ci » (Méquignon, Mignot, 2015). C’est dans cette optique que
nous abordons successivement la norme comme principe et forme de régulation puis comme référence
fondée sur des seuils négociés.
1. ce qui fait norme et relation avec d’autres principes connexes
Plusieurs registres de normes sont sollicités selon
les objets opérationnels. Premièrement, celui de la
norme juridique constitue une dimension incontournable pour ces objets dits environnementaux. Une
illustration peut être fournie par la politique de protection de l’eau, régie dans l’Union Européenne par la
Directive-cadre sur l’Eau (2000). Selon Barraqué
(2005), il existe ainsi trois grands registres de normes
dans le domaine de l’eau: « la norme de procédé ou
obligation de moyens […], celle d’obligation de résultats à atteindre au niveau de l’objectif final visé […], et
celle d’obligations de résultats de niveau intermédiaire, visant par exemple les rejets (comme les
normes d’émission) ».
Ainsi, la gestion de l’eau ou des déchets est encadrée par des normes qui définissent les nouveaux
modèles d’action (Bahers, 2013). Plus que des référentiels, ce sont des ensembles de règles d’usages, de
prescriptions techniques, relatives aux caractéristiques
d’un produit. La norme est « ce qui doit être ». On peut
dès lors parler de dispositif socio-technique car cet
assemblage de contraintes techniques s’applique à
plusieurs niveaux de gestion et à plusieurs acteurs
intervenant dans les filières. Le cas de la gestion des
déchets d’équipements électriques et électroniques
(DEEE) est éloquent: la réglementation implique des
contraintes techniques, tant dans la conception des
produits et leur recyclage en fin de vie que dans les exigences organisationnelles du financement des opérations. Les questions de recherche, qui en découlent,
interrogent la cohérence des normes entre discours,
perceptions et réglementation. Est-ce que ces normes
produites par des instances publiques et des groupes
d’intérêt privés représentent le « bon » pour tous les
acteurs, notamment pour ceux qui y sont soumis dans
leur activité? La diversité des niveaux d’appréhension
« le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales
permet-elle de guider l’action publique? S’intéresser à
la norme environnementale suppose également de
questionner sa traduction en injonctions techniques et
en implications spatiales et sociales. Enfin, le regard critique du chercheur sur l’application des processus normatifs est inévitable pour déconstruire l’objet d’étude.
Ainsi, la multiplication des normes est souvent jugée
comme probablement contre-productive, comme dans
le domaine de l’eau potable: « Les progrès des connaissances scientifiques ont conduit à une prolifération de
normes de qualité d’autant plus incompréhensibles
pour le public que celui-ci, longtemps écarté des cercles
décisionnels, est resté attaché à des critères esthétiques et organoleptiques pour juger de cette qualité »
(Barraqué, 2005).
En outre, il ressort de plusieurs interventions des
chercheurs d’ESO-Rennes que les normes tendent à
figer l’action publique vers des objectifs standardisés à
atteindre, elles réduisent les marges de manœuvre, si
bien que les outils des acteurs doivent s’adapter pour y
répondre. Cette standardisation et cette application
d’un modèle unique, par exemple la Directive-cadre sur
l’Eau, sont censées répondre à une attente sociale
garantissant la qualité écologique des milieux aquatiques1 et permettre une simplification du processus
décisionnel (même si cela n’est pas évident dans les
faits). Une autre illustration concerne le domaine de la
résilience. Si la résilience n’est pas une norme réglementaire, elle est devenue un nouveau régime normatif pour répondre à la gestion des risques de catastrophe. Elle comprend des injonctions techniques et
organisationnelles vers un idéal à atteindre, qui se
déroule de la préparation à la crise à l’organisation
post-catastrophe. Ce registre se construit dans la
conception d’un système socio-environnemental, pour
faire face à des situations « hors norme ». Ainsi, le
régime normatif de la résilience est devenu un concept
de référence, mais difficile à opérationnaliser, utilisé
par divers acteurs aux finalités multiples, voire contradictoires, qui portent des valeurs et des projets de
société très différents.
À l’opposé, certaines normes sont des applications
de dispositifs généraux destinés à la mise en œuvre de
volontés politiques. Par exemple, la production par la
loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010 de nouvelles
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mesures en matière de densité maximale de constructions et de qualité urbaine, architecturale et paysagère
a engendré l’évolution de la réglementation relative
aux documents d’urbanisme et d’aménagement - que
sont Plans Locaux d’Urbanisme (PLU)2 et Schémas de
Cohérence Territoriale (SCOT)3. Dans ce cas, il s’agit
non pas d’une norme qui définit un ensemble de
règles définitives et obligatoires, mais d’une réglementation qui offre aux collectivités territoriales la faculté
d’intervenir dans ces domaines par l’intermédiaire des
SCOT et des PLU. Dans ce cadre, le concept de normes
environnementales est dès lors sollicité par le chercheur pour interroger l’évolution du « verdissement »
des politiques territoriales et le rôle des acteurs dans
l’application de celles-ci.
Des registres de normes très différents sont aussi évoqués, tels que les fonctions normatives des émotions4. Ce
registre concerne la dimension émotionnelle dans les
négociations, par exemple autour de l’implantation d’éoliennes en Bretagne. Il s’agit de l’adhésion à un projet à
partir de valeurs intrinsèques (beau/juste/vrai).
2. les notions de « bon niveau » et de « bon état » :
des critères et des seuils négociés
Les normes environnementales sont associées à
des critères, des seuils et des mesures métrologiques
qui régissent le « bon niveau » et le « bon état ». En
effet, elles ont « une dimension qui renvoie directement aux sciences de la nature et à la connaissance de
« ce qui est ». On se verra donc dans l’obligation de
faire des mesures et d’établir des liens de causalité
entre les phénomènes, de manière à fonder scientifiquement les seuils minima et maxima que comportent
1- La sécurité sanitaire des eaux brutes destinées à la consommation humaine est définie par des seuils édictés par des Directives
antérieures
2- Le PLU est le principal document de planification de l’urbanisme
et de l’occupation des sols au niveau communal ou intercommunal.
3- le Le SCoT est un document qui traduit un projet de territoire, à
l’échelle de plusieurs communes ou groupements de communes,
visant à mettre en cohérence l’ensemble des politiques sectorielles notamment en matière d’urbanisme, d’habitat, de déplacements et d’équipements.
4- L’émotion, dans le champ sociologique et psychologique, est
une perturbation provenant d’un échec de l’habitude et la
réflexion qui suit est un effort de réajustement. Elle survient
quand une situation dément ou dépasse les croyances (et la
confiance) ou quand les désirs/objectifs ne sont pas appropriés à
la réalité. Ces émotions laissent le choix de la résistance au
démenti des croyances ou de la révision des attitudes ou de la
réalité.
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« le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales
toutes les normes » (Roy, 2013). Ces seuils sont aussi
de registres très différents et découlent de processus
hétérogènes. Dans le cadre de la gestion de l’eau, le
« bon état » se réfère à des éléments qui concernent
la qualité des eaux. On fait appel au bon état écologique comme unique et hypothétique état d’équilibre,
mais qui a des expressions diversifiées et évolutives.
Ainsi, ce bon état se détermine selon des paramètres
chimiques, biologiques et morphologiques. La norme
est ainsi bâtie sur des paramètres pouvant évoluer,
mais qui sont nécessaires pour juger, évaluer et comprendre. Par ailleurs, le choix des paramètres retenus
résulte de la prise en compte d’une expertise et/ou de
rapports de force portés par les lobbies professionnels,
économiques et politiques à l’échelle européenne
dans le cadre des directives sur l’eau. Néanmoins, l’application réglementaire d’un seuil précis peut être
perçue par les gestionnaires de la production d’eau
comme un effet « couperet ». Cela est important car
de ces normes découlent des arrêtés préfectoraux qui
peuvent entraîner jusqu’à la fermeture des installations de prélèvement d’eau (Hellier, Michel-Guillou,
Dupont, 2013).
Concernant la gestion des déchets, l’objectif du
« bon état » se justifie par l’amélioration générale de la
réduction des volumes de déchets enfouis et incinérés
et de la récupération des ressources pour les réintroduire dans les cycles de production. Cela implique une
mise aux normes pour les premiers acteurs concernés,
c’est-à-dire les entreprises de gestion des déchets, ainsi
qu’un changement d’habitude. Ces seuils concernant la
filière des DEEE sont définis à l’échelle européenne par
le démantèlement de tous les composés dangereux
(condensateurs au PCB, cartes de circuits imprimés,
câbles, moteurs, etc.) et des objectifs de collecte et
recyclage chiffrés sur le gisement total des déchets. Ce
sont des exigences minimales de performances,
comme par exemple les normes de certification forestière (Tozzi et al., 2009). Les éco-organismes5, responsables du fonctionnement financier et organisationnel
de la filière, doivent contrôler et auditer les entreprises
pour vérifier le respect des normes environnementales.
5- Sociétés à but non lucratif, créées par et pour les producteurs
d’équipements électriques et électroniques agréées par l’Etat.
Colloques, séminaires
Elles ont même le pouvoir de les exclure de ces marchés. Les opérateurs de traitement perçoivent dès lors
ces contrôles comme de véritables occasions de sanction. Certaines entreprises ont été menacées de liquidation, lorsqu’un éco-organisme mit un terme à un
contrat pour cause de non atteinte des seuils normatifs
de performance.
La norme tend à favoriser des mesures et des solutions à dominante technologique et ingénieuriale (tels
que des ouvrages de protection). Concernant la résilience, les objectifs-seuils sont de réduire les conséquences des dommages potentiels par une protection
(physique et civile), en donnant notamment la priorité
aux mesures défensives et réactives. Ces seuils, nécessaires à la définition de ce qui « doit être » ou du « bon
état », font parfois l’objet de réactions importantes: ils
sont perçus comme arbitraires, alors qu’ils sont souvent issus de longs compromis. En particulier, les
acteurs, gestionnaires et opérateurs assujettis à ces
normes peuvent avoir des perceptions spécifiques des
seuils, les vivant comme des « effets couperets », en
les plaçant du « bon côté » de la barrière ou du « mauvais ». Parfois, les normes législatives et réglementaires relatives à l’urbanisme et à l’environnement
donnent lieu à des incohérences. Par exemple, les
dispositions relatives au SCOT et celles concernant les
PLU peuvent être antagonistes. Le premier peut ainsi,
depuis la loi Grenelle 2, fixer un seuil minimal de densité (correspondant dans ce cas à un plancher de densité), donc de hauteur notamment, alors que le second
ne peut prévoir que des hauteurs maximales. Le captage de l’Horn dans le Finistère est un autre exemple
révélateur de paradoxes dans l’application des normes
environnementales et sanitaires. Du fait d’une concentration élevée en nitrates du captage sur l’Horn, une
usine de dénitrification a été mise en place dans les
années 2000 et permet de distribuer une eau
conforme aux normes de distribution. Mais un contentieux européen au nom de l’environnement (normes
sur les eaux brutes) a abouti à la fermeture du captage
en 2009 et à l’ouverture d’une nouvelle prise d’eau sur
un autre affluent. Cette application de la norme a pour
conséquence paradoxale la distribution d’une eau plus
chargée en nitrates qu’auparavant, à un coût économique élevé – lié à l’inutilisation de l’usine neuve et à
« le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales
la construction de nouvelles canalisations - et d’engendrer un flux d’eaux plus chargées en nitrates dans la
baie de l’Horn. Cette application de la norme différente au cours du temps induit donc un paradoxe environnemental et sanitaire.
Issues d’un processus de production complexe, les
normes réglementaires et administratives en environnement existent aussi en tant qu’elles font l’objet des
modalités d’accompagnement, d’application, d’intervention, de réception, de négociation voire de
contournement. C’est ce volet relatif à la norme dans
ses usages par ses acteurs que nous développons dans
la section suivante.
ii-
usaGers, Gestionnaires et oPérateurs Privés et
PuBlics : les acteurs Face auX normes
Cette section interroge ainsi le rôle des acteurs
face aux normes. Ils sont suivant les cas des usagers,
des gestionnaires et des opérateurs. Existe-t-il une
forme de négociation de la norme aboutissant à son
adaptation? De nombreux travaux ont montré que le
rôle d’acteurs, comme les citoyens et les profanes, est
parfois de modifier et de susciter de nouvelles connaissances d’opposition, qui conduiront à l’exigence de
rediscuter les normes produites par des experts (Mormont, Mougenot et Dasnoy, 2006). Ainsi, certains
chercheurs analysent des méthodes intéressantes (tel
que la corégulation) pour « accroître la participation
des destinataires et la flexibilité de la norme » (Roger,
2009). Dans tous les cas, il est demandé aux gestionnaires et usagers des espaces des efforts d’acculturation aux préoccupations environnementales et aux
règles qui en découlent pour prétendre à mener leurs
activités (Rollin, 2011). Cela n’empêche pas l’émergence régulière de processus de discussion et de
controverse autour de la légitimité des normes en
vigueur et de leur application.
1. Perceptions, interprétations et mobilisations des
acteurs locaux et des usagers face aux normes
Les perceptions et interprétations des normes
sont très divergentes selon les acteurs et les objets
d’étude. La lecture des positionnements sociaux, professionnels, individuels face à ces règlements est
11
ainsi très révélatrice. Le plus souvent, les acteurs et
usagers suivent et appliquent les normes, et parfois
ils participent à leur émergence. Cette réappropriation peut conduire à des incertitudes sur l’intérêt à le
faire : « Mais si c’est l’industrie qui impose les lois,
définit les normes, lisse les comportements, l’analogie [de l’économie circulaire] devient trompeuse :
elle fait passer la merveilleuse mécanique de la production industrielle pour un cycle naturel que nous
aurions mauvaise grâce à enrayer par notre
retenue. » (Hurand, 2014). Ainsi, certains acteurs,
comme ceux de l’industrie dans le cas précédent,
pourraient avoir un intérêt stratégique à participer à
l’émergence d’une norme vertueuse pour l’orienter
selon leurs intérêts. Dans le domaine de l’eau, la
« bonne qualité » est décrite dans les entretiens différemment selon les statuts des acteurs6. Selon la
fonction (élu communal, technicien, exploitant,
représentant associatif), le discours est focalisé
tantôt sur le bon état écologique, tantôt sur les coûts
de traitement, ou encore sur les usages de l’eau
potable. En complément, les habitants interrogés
désignent une « eau de qualité » par un bon état chimique ou comme une eau « naturelle », qui plus est
en fonction d’un usage quotidien « sans danger ».
Ainsi, questionner la qualité de l’eau selon les acteurs
et les usages est délicat : le recours à la norme n’est
pas évident, notamment en termes de légitimité, de
représentativité et de pérennité. D’ailleurs, lorsqu’on
demande aux habitants quelle est leur norme d’appréciation personnelle pour juger de la qualité de
l’eau, ils répondent par des critères organoleptiques
(qui sont contenus dans la norme), par la confiance
dans la réglementation, et par l’identification d’éléments indésirables comme les nitrates.
Dans le cadre de la gestion des déchets, l’application des normes est plus contraignante pour certains
acteurs que pour d’autres. Par exemple, des entre6- La méthodologie d’entretiens en Ille-et-Vilaine et dans le Finistère consiste en :
22 entretiens semi-directifs systématisés : acteurs élus, techniciens AEP, exploitants, responsables SAGE (Entre autres questions, évaluation de l’état de la ressource et définitions de « l’eau
potable » et de « l’eau de qualité ») ;
135 questionnaires habitants (dont agriculteurs) (18 questions :
perception de l’eau du robinet, pratiques de consommation et
connaissance du système de gestion)
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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« le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales
prises d’insertion n’ont pas pu s’adapter à de nouvelles
normes les excluant mécaniquement des marchés. On
peut observer dans d’autres filières, comme celle du
bois, des processus d’exclusion d’entreprises en rendant le coût de mise en conformité trop élevé (Tozzi et
al., 2011). À l’opposé, certains chercheurs ont montré
que le renforcement des contraintes réglementaires
dans un pays augmente la compétitivité des entreprises par rapport à des concurrents qui ne sont pas
soumis aux mêmes normes, en stimulant la position
concurrentielle des firmes les moins polluantes sur les
marchés internationaux (Boiral, 2005). D’autres
acteurs, comme les éco-organismes, ont le rôle plus
facile de relayer les normes, ce qui correspond à leur
cadre d’action. Les entreprises de traitement des
déchets se sentent les plus contraintes, notamment
par les éco-organismes qui leur demandent un respect
rigoureux des normes sans leur garantir de les retenir
dans leurs appels d’offres. Cette situation engendre
une instabilité commerciale forte, des pratiques de
fraudes et des marges de manœuvre faibles. En outre,
les collectivités et les consommateurs sont sollicités
seulement à l’aval de la mise en œuvre des normes et
ne participent pas à leur construction, alors qu’ils sont
les premiers concernés et qu’il leur est demandé de se
responsabiliser.
Certaines normes ont un impact direct sur le cadre
d’action de certains acteurs (comme les constructeurs
par rapport aux nouvelles dispositions de « plancher
de densité »), d’autres normes exercent un impact
indirect. Ainsi, les contraintes d’un SCOT (intercommunal) peuvent être très lourdes pour les communes,
dont le PLU peut être annulé par le juge administratif
si ce dernier estime qu’il ne répond pas à toutes les
contraintes et est donc incompatible avec le SCOT. Par
ailleurs, le diagnostic territorial inclus dans ce schéma
doit analyser la consommation d’espaces naturels,
agricoles et forestiers au cours des dix dernières
années et doit proposer des objectifs chiffrés de lutte
contre l’étalement urbain. Ces derniers peuvent
« éventuellement » (comme le précise la loi) être ventilés par secteur géographique. L’analyse d’études de
cas montrerait sans aucun doute des conflits d’usage
de l’espace par différentes activités plus ou moins
consommatrices d’espace.
Colloques, séminaires
2. conflictualité des normes : controverses, négociation, contournements
La mise en application des normes devient parfois
le sujet de controverses et de conflictualités importantes, dans lesquelles le. la chercheur. e est parfois
plongé(e) et mis(e) à contribution par la demande
sociale: « Le cas des « controverses environnementales » vient modifier les rapports qu’entretiennent
recherche et expertise dans le champ de la sociologie
[….] en matière de production de normes adaptées à
l’urgence des enjeux environnementaux » (Grisoni et
Némoz, 2013).
Des conflits d’aménagement apparaissent dans le
domaine de l’eau, notamment sur le sujet de la continuité écologique qui apparaît aujourd’hui comme la
norme pour l’aménagement des cours d’eau; ces
conflits montrent un rejet de l’action publique topdown et de ses injonctions en rupture avec les perceptions locales des usages. L’application de cette nouvelle norme remet en cause les perceptions des cours
d’eau par certains acteurs ancrés sur des pratiques
locales. Néanmoins, face à ces conflits, l’action
publique développe des processus de concertation et
de recherche de solutions consensuelles, en adaptant
au besoin les argumentaires et dispositifs d’accompagnement public.
Des conflits sont aussi présents dans le domaine
des déchets, entre les collectivités et l’État, qui s’est
désengagé au profit d’éco-organismes dont la gouvernance est uniquement influencée par une logique marchande. La régulation de l’environnement par le
marché montre ses limites quand l’État qui agrée les
éco-organismes, n’arrive plus à contrôler leur action et
limiter les dysfonctionnements (filières au bord de la
banqueroute ou de l’overdose, monopole après le
rachat d’un éco-organisme par un autre, scandales
financiers), car ces derniers sont devenus très puissants, incontournables et indispensables. Il en résulte
des relations très tendues entre les éco-organismes,
qui ne respectent pas leur engagement dans certaines
situations, et les collectivités avec les contribuables qui
subissent les conséquences financières et organisationnelles.
Les normes environnementales, qui en tant que
normes juridiques s’affichent comme transcendantes,
sont très souvent négociées selon des registres d’émo-
« le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales
tions et de valeurs. Le chercheur va ainsi s’approprier
la norme comme un état initial de la négociation à
partir duquel se joueront des émotions collectives qui
bloqueront ou non les dispositifs de négociation. Le
cas des parcs éoliens en Nord-Finistère met en évidence des temporalités et des territorialités différentes de la contestation. Dans le cas des négociations
environnementales, les seuils des normes d’action
sont plus difficiles à mesurer. Le « bon niveau » se
caractérise selon des émotions et des valeurs qui vont
avoir des incidences sur la confiance collective. Dès
lors, la progression de la contestation est liée à une
rupture dans l’attribution de la confiance au réseau du
pouvoir, qui s’exprime suivant différentes émotions
collectives. Entre l’instruction des dossiers, l’acceptation du permis de construire et l’inauguration des
parcs éoliens, la mise en scène des conflits évolue
beaucoup selon la confiance dans le pouvoir local, en
particulier municipal. Les expressions des émotions
collectives, autour de l’opposition juste/injuste, se
transforment, passant de quelques inquiétudes individuelles, à un début d’émotions collectives jusqu’à l’expression d’une souffrance en incorporant la plainte.
La plupart des interventions des chercheurs, s’appuyant sur des études de cas (remontée des poissons
migrateurs dans l’Aulne, rivière canalisée, parc naturel
marin d’Iroise, fermetures de captage d’eau potable)
ont mis en évidence pourquoi et comment l’application des normes environnementales soulève des
controverses environnementales alors que ces normes
sont chargées de « mettre tout le monde d’accord ».
Dans le même ordre d’idées, la norme réglementaire
et technique a une visée universalisante vis-à-vis de
l’espace, tandis qu’elle reste perçue sans doute différemment en fonction des pratiques et rapports à
l’espace des collectivités et entités chargées de les
mettre en œuvre et de les appliquer.
iii- esPaces et normes environnementales
Cette dernière partie est nécessaire pour l’approche scientifique fédératrice (celle des rapports
sociaux à l’espace). Elle nous conduit à penser la
norme environnementale comme objet spatialisé. Il
s’agit d’abord de discuter la vocation d’homogénéisa-
13
tion de la norme pour des espaces singuliers, et
ensuite d’interroger la confrontation des usages et
pratiques locales face aux normes.
1. une spatialisation homogénéisante de l’application des normes dans des territoires hétérogènes
L’application des normes a pour vocation d’homogénéiser la règle pour des territoires hétérogènes par
le biais de périmètres, zonages, supports. Elle a ainsi
cette vocation de s’imposer aux singularités locales,
avec l’argument de l’universalité. Cependant, ces différences mettent parfois en lumière une lutte « entre
relativisme normatif qui sied bien à certains domaines,
et des régimes normatifs locaux, particuliers ou communautaires avec lesquels il s’inscrit » (Roy, 2013). La
question de la légitimité de la norme, et de son acceptabilité, se pose donc aussi selon ces variables géographiques. Par ailleurs, d’autres travaux ont montré que
dans la pratique et « pour plusieurs raisons, les normes
globales, notamment juridiques, laissent des marges
de manœuvre aux acteurs chargés de les appliquer »
(Rollin, 2009). Ainsi, les acteurs locaux font évoluer
leurs pratiques professionnelles, grâce à une augmentation du niveau de connaissances et compétences,
conduisant les « territoires de se doter de ressources
cognitives plus importantes, ce qui a des conséquences sur la territorialisation de la politique
publique » (Rollin, 2009).
Dans le régime de la résilience, l’espace est présent
par deux entrées. La première concerne la dimension
du zonage, que l’on peut retrouver dans la gestion des
risques de submersion ou d’inondation. Par sa mission
de garant de l’ordre public, l’État identifie réglementairement et techniquement des zones d’aléa et de
danger, en partenariat avec les communes. À ces périmètres correspondent des prescriptions spécifiques
relatives aux constructions et activités (zones à ne pas
urbaniser ou à protéger aux moyens d’ouvrages lorsqu’elles sont déjà occupées), pouvant aller jusqu’à l’interdiction absolue (zone noire). La seconde entrée met
en lumière l’abandon d’un régime de solidarité collective pour aller vers une responsabilité individuelle, qui
met l’accent sur le renforcement de la capacité d’autonomie ou d’auto-organisation des individus et des communautés (territoires urbains). Les autorités et forces
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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« le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales
vives présentes dans les territoires sont chargées d’organiser elles-mêmes les secours (mesures d’alertes,
évacuation de la population, soins aux personnes…) et
le plus rapidement possible la récupération des services
de base et la fourniture d’un niveau acceptable de
conditions de vie aux personnes touchées. S’il s’agit
bien du désengagement de l’État, c’est aussi l’opportunité de développer un outil de démocratie participative
et d’autonomie locale pour faire face à des situations
territorialisées complexes et incertaines.
Dans le domaine de l’eau, les objets de recherche
sont clairement spatialisés et cristallisent des enjeux
importants de territoires. Il s’agit en effet de bassins
vulnérables ou de rivières où se développe un conflit
d’aménagement entre action publique et acteurs
locaux. Ces scènes locales focalisent des questions
techniques, financières et de représentations. Alors
que l’application de la norme est généralisée, les
dispositifs de remédiation sont, eux, variables selon les
espaces régionaux et locaux (dispositifs ad hoc des collectivités s’ajoutant aux dispositifs génériques). Par
ailleurs, certains territoires sont très « influents » et
diffusent au reste du pays leurs références, ce que
montrent des travaux d’historiens: « la capacité des
capitales à constituer un réservoir d’expertise et d’accumulation du savoir, en particulier par la présence
d’institutions centralisatrices chargées de juger et de
définir la science, d’établir des normes et de conseiller
le pouvoir » (Frioux, 2009; p. 453).
La norme, à visée égalitaire, produit paradoxalement des inégalités par la discrimination de territoires
singuliers. L’exemple de la Directive nitrates (1991)
pose de nombreuses questions aux gestionnaires:
faut-il focaliser les mesures et les actions sur les captages en contentieux et suspendus, soumis à
contraintes réglementaires sans contrepartie financière, au détriment des autres bassins, dotés de politiques volontaristes et d’aides?
2. usagers de l’espace : la norme aux prismes des pratiques et expériences de l’espace
Dans les processus de sa mise en place à des
échelles locales, la norme se confronte à des usagers
divers, qui considèrent souvent que leur contexte d’action est spécifique et différent de celui du voisin. Les
Colloques, séminaires
représentations historiques, les usages et la discontinuité spatiale sont ainsi des perspectives dont les
« fabricants » des normes devraient davantage tenir
compte. Ces aspects de l’expérience spatiale, de
l’espace vécu, échappent le plus souvent aux politiques publiques. Par exemple, la promotion de la
continuité écologique des cours d’eau dans le cadre de
la DCE privilégie une fonction de l’écosystème considérée comme emblématique, la libre circulation de
l’eau, des sédiments et des poissons. En revanche, la
prise en compte des pratiques et des expériences des
riverains utilisateurs des lieux (exemple: propriétaires
de moulins) est un point de vue qui est difficilement
retenu dans la mise en œuvre de cette politique, car
elle obligerait à une application très hétérogène des
mesures.
La norme réglementaire s’applique pour contravention à la règle de Police de l’eau (norme nitrates),
mais peut produire un effet contre-productif possible
d’enfermement et de stigmatisation. Cela questionne
aussi des choix de stratégies territoriales entre les lieux
« exemplaires » de la reconquête de la qualité de l’eau
et des milieux ou des espaces de limitation des dommages pour rentrer « dans la norme ». C’est pourquoi
les usagers de ces espaces regrettent notamment le
peu de prise en compte de leurs pratiques et expériences (Hellier, Michel-Guillou, Dupont, 2013). Chez
les élus locaux, cela produit un sentiment d’« inégalité
des territoires », et conduit à l’adoption de solutions
techniques sans ancrage local et sans co-construction.
Le cas des déchets est aussi illustratif du manque
de prise en compte des inégalités territoriales dans l’émergence des normes. Il n’y pas d’enjeu infranational
dans le dessein de la norme sur les déchets électriques
et cela engendre une exportation régionale et internationale très facile des flux de déchets hors des territoires de production. Pourtant, le principe de proximité est central dans les cadres réglementaires de la
gestion des déchets, mais il est peu respecté et surtout
faible par rapport aux arguments technico-économiques (une structure performante de traitement
même très éloignée du site de regroupement proposera un coût faible en incluant le transport des
déchets). Ainsi, les collectivités territoriales ont un rôle
« le beau, le bon, le vrai » : interroger les normes environnementales en sciences sociales
très inefficace, malgré des outils de planification et de
gestion, dans le cadre de filières spécifiques. Enfin, les
éco-organismes, gestionnaires de ces filières, n’ancrent pas du tout leur action dans les territoires et ne
prennent pas en compte les singularités territoriales.
Les territoires urbains et ruraux présentent des attributs propres, tels que les difficultés d’emplacement de
lieux de tri et regroupement dans les villes et l’éloignement entre usagers et infrastructures dans les campagnes. Ces contraintes territoriales mériteraient des
dispositifs différenciés.
conclusion
Fondé sur des approches diversifiées, ce texte a
cherché à valoriser un travail individuel et collectif, qui
n’avait pas l’ambition de traiter de la portée théorique
et épistémologique du concept de normes, mais visait
à éclairer la notion de « norme environnementale »
dans ses dimensions réglementaires et territoriales. À
l’issue de notre compte-rendu « a posteriori, subjectif
et dé-disciplinarisé », et à partir des cas exposés, nous
identifions un certain nombre d’apports et de limites
de l’application des normes environnementales pour
l’aménagement des espaces et pour la participation
des groupes sociaux.
15
par le biais d’audiences de pure forme, mais grâce à
des dispositifs tels que les sondages délibératifs et les
conférences de citoyens » (Bourg, 2009) Les freins au
rôle vertueux des normes environnementales sont
d’ordre spatial et social. En effet, l’absence généralisée
de prise en compte des disparités territoriales, et la difficulté d’imaginer ces normes comme évolutives maintiennent les normes dans leur rigidité et leur standardisation, alors que les configurations territoriales sont
variables, et les besoins de régulations évolutifs. On
peut ajouter à ces limites d’efficacité et de compréhension pour les usagers, la technicité des réponses
possibles au respect des normes, la contestation du
bien-fondé en lien avec des objets de controverse
scientifique et/ou politique, la difficulté à accepter un
référentiel commun. Ces perspectives pourraient permettre d’alimenter une géographie des réponses des
usagers face aux normes, dans ce qu’elle nous apprend
sur les politiques publiques face aux territoires diversifiées. Exprimée à un moment donné des recherches
menées à ESO-Rennes, l’analyse que nous avons proposée reste ouverte; elle aura rempli son objectif si
déjà elle fait écho au-delà des co-auteurs et permet à
notre communauté scientifique d’identifier un objet
pluridisciplinaire prometteur.
En ce qui concerne les apports des normes environnementales, plusieurs aspects méritent d’être soulignés: elles constituent un outil, un levier capable de
permettre de faire appliquer une réglementation lorsqu’on arrive au bout des négociations ou que les discussions et l’incitation ont échoué. Les acteurs gestionnaires des services d’eau interrogés reconnaissent
eux-mêmes que le respect de normes de potabilité les
contraint à viser une qualité d’eau « sécurisée ». Par
ailleurs, si l’on étudie les politiques publiques relatives
à des ressources « naturelles », on peut constater que
l’édiction de normes amène à des formes de rationalisation des pratiques dans des domaines à fort impact
environnemental (déchets, eau). Enfin la connaissance
d’un référentiel commun rend possible des discussions
jusqu’au débat public, ce qui ouvre la voie à la démocratie écologique. « La démocratie écologique multiplie les possibilités de contribution du public à l’élaboration des normes environnementales, non seulement
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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« sexualités : des lieux et des liens » : 3e biennale masculins/féminins,
colloque international, compte rendu
17
jean-marc fournier
umr
eso caen - cnrs
6590 - université basse-normandie
emmanuel jaurand
umr
C
e colloque1 a fait suite à la 1re biennale
« Masculins/féminins : questions pour la
géographie » (2010) qui s’était tenue à Bordeaux et à la deuxième « Masculins/féminins: dialogues géographiques et au-delà » (2012) organisée à
Grenoble. Il s’est inscrit par ailleurs dans le cadre plus
général d’une évolution institutionnelle et scientifique
vers une plus grande visibilité de toutes les questions
touchant aux identités liées au genre et à la sexualité,
avec notamment la création en 2012 de l’Institut du
genre2 dédié à ces recherches. Cela correspondait également à un changement de la société française, changement devenu évident et médiatique avec les nombreux débats et tensions suscités par la loi du mariage
pour tous, votée en 2013. Tout en soulignant la nécessité de reconnaître et de prendre au sérieux le rôle de
la sexualité dans la création de spatialités et la façon
dont les acteurs perçoivent l’espace, notons que le colloque était de fait inséparable d’un contexte social
marqué par des changements, des innovations et des
réactions d’hostilité. Les 32 communications du colloque étaient réparties en huit ateliers:
1. Désirs;
2. Faire avec la distance;
3. Peur et harcèlement dans l’espace public;
4. Identité de genre et droit à la ville;
5. Homosexualiser l’espace public;
6. Discrimination: faire et défaire la norme;
7. Corporéité et rapport de domination;
8. Fiertés et festivités LGBT.
1- Colloque organisé par l’UMR ESO qui s’est tenu à l’Université
d’Angers, les 16 et 17 décembre 2014. http://biennalegenre.sciencesconf.org/
2- http://institut-du-genre.fr/
3- À l’exception de : Cattan N., Leroy S., 2013, Atlas mondial des
sexualités, Paris, Éditions Autrement, 96 p.
eso angers - cnrs
6590 - université angers
Certains géographes pourraient estimer que le
sujet d’un tel colloque est relativement étroit, comme
s’il s’agissait d’une question très annexe et limitée à
une petite minorité de personnes. Pourtant, les rares
communications des biennales précédentes touchant
à la sexualité avaient déjà montré l’importance de
questionner les rapports entre espace et sexualités de
la manière la plus complète qui soit et avec des objectifs multiples: mettre à jour des rapports sociaux et
spatiaux insoupçonnés ou mal connus, renouveler
l’approche et les conceptions de l’espace, des territoires et des mobilités, élargir et questionner des frontières disciplinaires.
À Bordeaux et Grenoble, des présentations avaient
mis en évidence la perpétuation des effets de domination de genre et le rôle premier joué par l’hétéronormativité dans l’accès à l‘espace et à ses ressources,
tout comme la possibilité de se déplacer à différents
échelons spatiaux. En outre, la sexualité recouvrant à
la fois des pratiques et les identités des sujets, elle
concerne potentiellement tout le monde et tous les
lieux. Il s’agit objectivement d’une question universelle. Mais elle reste aujourd’hui taboue en sciences
humaines et sociales, encore trop souvent seulement
étudiée sous l’angle de la norme et de la déviance,
délaissant souvent le caractère essentiel de l’expression sexuelle dans la construction des réalités sociales
et spatiales, notamment en géographie. De fait les travaux dans d’autres disciplines (histoire, sociologie,
anthropologie, langues, etc.) sont plus nombreux et
plus anciens. Enfin la géographie anglo-saxonne a
commencé à aborder ce sujet il y a plus de vingt ans.
Ce colloque a donc permis de combler un certain
retard de la géographie française3 et à renforcer la légitimité, la pertinence et l’utilité des recherches dans ce
domaine.
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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« sexualités : des lieux et des liens » : 3e biennale masculins/Féminins, colloque international, compte rendu
Dans la conférence plénière d’introduction, Line
Chamberland, Professeure à l’Université du Québec à
Montréal, a rappelé l’évolution de la recherche sur les
sexualités dans le contexte canadien en différenciant,
d’une part, les universités anglo-saxonnes qui ont
développé des Gender and Feminist Studies, et d’autre
part, les universités francophones qui donnent moins
d’importance à ce thème mais qui bénéficient de programmes de recherche-action. Elle a précisé que l’existence d’enseignements et de recherches sur les questions LGBT dans une université tenait parfois à la seule
arrivée d’un enseignant-chercheur, et que ces activités
cessaient en cas de départ.
Il convient également de noter l’importance des
positions théoriques et politiques, desquelles découlent notamment les tensions entre les tenants des
queer studies et les féministes. On peut ici rapidement
définir les lieux queers comme étant des espaces de
résistance contre l’hétéronormativité de la société et
contre l’homonormativité des quartiers gay. Il s’agit
donc de lieux alternatifs qui visent à s’affranchir des
normes dominantes et des stéréotypes. Pour certaines
féministes, le cadre théorique des études sur le genre
(individualisme méthodologique, théories interactionnistes, intersectionnalité) dilue l’importance des rapports sociaux globaux. L’apparition d’un courant queer
matérialiste permettrait de concilier une approche par
les rapports de domination et une approche centrée
sur les individus. Cette intervention a donc montré
combien la recherche au Canada avait avancé avec les
années avec à la fois des acquis théoriques et des analyses de réalités sur le terrain.
Les deux autres conférences plénières ont permis
au public d’écouter une sociologue (Isabelle Clair) puis
un géographe (Guy Di Méo). Définissant le genre
comme un ordre hiérarchique organisant les relations
entre les groupes de sexe, Isabelle Clair a exposé ses
recherches sur les modalités des constructions sociales
des féminités et des masculinités chez les adolescents
de milieux populaires, dans des contextes spatiaux différenciés. Pour elle la sexualité est vue comme un
foyer de la construction du genre et de la hiérarchisation des individus. Guy Di Méo a développé l’intérêt du
genre pour la lecture de l’espace: il est d’abord un élément essentiel de construction sociale des individus et
des groupes (sur la base d’une caractérisation biolo-
Colloques, séminaires
gique), dont les pratiques spatiales se distinguent; le
genre se construit aussi dans un rapport dissymétrique
(homme/femme, hétérosexualité/homosexualité, etc.)
qui s’inscrit dans l’espace à travers la visibilité et l’invisibilité. Des binômes géographiques tels le territoire et
le réseau ou l’espace public et l’espace privé peuvent
être revisités et discutés au regard des réalités vécues
par les individus.
Le premier atelier intitulé « Désirs » a présenté le
fonctionnement des FOLSOM de Berlin et de San Francisco. Il s’agit de rencontres annuelles pour des pratiques BDSM (Bondage, Domination, Sado-Masochisme) qui se déroulent aussi bien dans des lieux
publics (rues, parcs) que privés (bars, clubs) et semiprivés (appartements ouverts sur l’extérieur). On constate une certaine mondialisation de ces pratiques,
notamment grâce à Internet. Il a également montré
l’évolution de Venise, ville des plaisirs interdits et du
jeu au XVIIIe siècle, devenue aujourd’hui la ville
romantique par excellence dans une approche particulièrement hétéronormée.
Le deuxième atelier a posé la question de la distance. Il a traité de la vie affective et sexuelle à distance: lorsque les couples et les corps sont réunis dans
un espace numérique susceptible d’apaiser l’attente
de la future rencontre dans le monde réel. Le cas des
migrantes prostituées en France a mis en évidence les
lieux majeurs pratiqués: la zone de prostitution (périphérie des villes, abords de forêts, axes routiers, etc.),
le logement et les espaces vécus dans le pays d’origine.
Il s’agit pour ces femmes d’un double exil: dans un
pays étranger et dans des espaces de prostitution. Une
étude sur des sites de rencontre Internet rapprochant
des hommes handicapés et des femmes valides originaires du Cameroun, du Gabon et de Madagascar a
dégagé l’idée que la sexualité pouvait servir de ressource migratoire dans un contexte de mondialisation.
Le troisième atelier a posé la question du harcèlement sexuel de femmes par des hommes à Bordeaux,
au Caire et à Tunis. Les agressions varient de la
« drague lourde » au viol dans des lieux divers, depuis
de larges espaces ouverts à des lieux confinés et
cachés. Pour les femmes, les contraintes sont fortes la
« sexualités : des lieux et des liens » : 3e biennale masculins/Féminins, colloque international, compte rendu
nuit et les stratégies adoptées sont diverses. On constate que les mêmes lieux urbains peuvent être perçus
comme des territoires érotiques ou anxiogènes selon
les individus qui les fréquentent.
Le quatrième atelier s’est interrogé sur le droit à la
ville et l’identité à Paris et Montréal. Pour les prostitués (femmes, hommes et transgenres) le territoire de
racolage est un espace où il peut être davantage possible de gérer la violence que dans le reste de la ville.
Pour les femmes hétérosexuelles qui souhaitent pratiquer une sexualité sans lendemain, les lieux de rencontre sont très limités. Il leur faut en conséquence
gagner en assurance pour se déplacer en ville la nuit et
acquérir de cette manière des compétences et stratégies nouvelles. Par ailleurs, à Montréal, les queers, lesbiennes et queer of color partagent des lieux queers et
ont des projets politiques collectifs. À Paris à l’inverse,
les lesbiennes radicales et les communautés queers et
« transpédégouines » restent isolées, voire opposées,
alors que leurs combats se rejoignent.
Le cinquième atelier a été consacré aux lieux
publics de drague pour hommes: forêts, plages, bâtiments désaffectés, chantiers, parcs, toilettes
publiques, etc. Il s’agit de la pratique d’actes sexuels
non tarifés entre hommes, ou sexe récréatif, considérée comme illégale (vis-à-vis de la loi) et déviante
(vis-à-vis de la norme sociale) ou encore subversive. Il
s’agit de lieux discrets, parfois invisibles, à la différence
des établissements commerciaux (saunas, sex-clubs,
etc.). Se dégagent des formes d’appropriation de
l’espace géographique à la fois furtives (rencontres
brèves) et durables (le lieu perdure des années). On
peut parler de micro-territoires communautaires dans
la mesure où ils fonctionnent sur des codes et règles
de fonctionnement précis via une logique de réseau
permettant la circulation d’information sur l’espace
pratiqué mais aussi le filtrage du public.
Le sixième atelier a abordé le thème des discriminations. Des études sur le mariage entre personnes de
même sexe ont montré que l’annonce du mariage
(famille, collègues, public) était facilitée lorsque l’homosexualité des personnes est connue. De plus, on
note que certains rituels, symboles ou traditions des
19
mariages hétérosexuels sont reproduits. En France, les
débats autour du mariage pour tous ont ravivé des
propos et comportements homophobes. Pour les
hommes, à la discrimination qui concerne l’homosexualité s’ajoutent d’autres formes de discrimination:
les origines ethnoculturelles, être porteur du VIH, certaines attitudes (paraître efféminé), le surpoids, etc.
Ces discriminations varient selon les lieux: à l’école, au
travail, sur Internet ou encore à l’intérieur même du
milieu gay. On peut ainsi dégager des sous-populations
aux profils plus ou moins vulnérables et plus ou moins
marginalisées en fonction des lieux pratiqués.
Intitulé « Corporéité et rapport de domination », le
septième atelier a soulevé la question des rapports
sexuels entre femmes domestiques noires et leurs
employeurs masculins blancs à l’île Maurice, pratique
qui constitue un héritage de l’esclavage. Une communication s’est également intéressée à l’exclusion des
lieux centraux des travailleuses du sexe et à leur déterritorisalisation pour montrer que ces dernières y
répondent par des tactiques spatiales d’appropriation
et de reterritorialisation. Entre les habitants et riverains des lieux de prostitution, les responsables des
politiques publiques d’aménagement et les prostitué.e.s s’engage un rapport de force qui montre que
les lieux de prostitution, mouvants, sont finalement
l’objet d’un ordre négocié. Dans un autre registre,
l’espace carcéral pour hommes a été analysé par le
biais de la pratique du sport. Dans les prisons se dessine un espace sportif hiérarchisé entre hétérosexuels
et homosexuels. Cette hiérarchie reproduit la domination des « véritables hommes » sur les détenus homosexuels considérés comme dangereux et vulnérables.
Enfin le dernier atelier « Fiertés et festivités LGBT »
a rassemblé des chercheurs sur l’analyse des parades
LGBT à Sao Paulo, Anvers et Amsterdam pour mettre
en avant leurs dimensions festive, revendicative et
politique. Dans les espaces-temps des parades (Gay
Pride ou marche des fiertés), les minorités LGBT se
donnent le droit de faire ce qui est quotidiennement
censuré: baiser en public, tenues extravagantes, exhibition de corps mais également participation de
parents de familles homoparentales revendiquant leur
souhait d’être traités comme des citoyens. Il s’agit
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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« sexualités : des lieux et des liens » : 3e biennale masculins/Féminins, colloque international, compte rendu
donc d’espaces-temps opposés aux conventions hétéronormatives. Une autre communication a mis en
lumière le sens politique de l’occupation de l’espace
public par des militantes lesbiennes à Montréal en
deux occasions appelées « marches dyke »: la première appelée « la marche des gouines radicales »,
organisée par de jeunes militantes de mouvements
populaires, surtout des queers anticapitalistes, des
queers radicaux et des queers of colors, la deuxième
marche étant celle des femmes LGBT. Une autre communication s’est intéressée aux pratiques spatiales des
adhérents des associations sportives estampillées
LGBT. Ces pratiques spatiales sont diverses: créations
d’isolats territoriaux temporaires, structuration réticulaire, mise en place de marqueurs territoriaux symboliques, etc. Cette analyse peut être déclinée à toutes
les échelles: mondiale (Gay Games ou Outgames),
nationale (tournois LGBT), locale (réseaux de convivialité) mais également à l’échelle micro-locale du gymnase et du corps.
La table ronde finale intitulée: « Où vont les
recherches sur les sexualités et l’espace? » a rassemblé Rachele Borghi, Colin Giraud, Alain Léobon,
Stéphane Leroy, Carlos Eduardo Maia et Raymonde
Séchet. Les échanges ont mis en avant la grande
richesse et la grande diversité des approches au cours
des deux journées. Cette biennale était par ailleurs
parfaitement en phase avec l’évolution sociale et politique actuelle, ce qui a bien souligné l’intérêt et l’utilité
sociale des recherches en SHS sur ces questions. De
nombreuses pistes de recherche ont été dégagées
pour mieux comprendre dans les années à venir les
liens entre lieux et sexualités, et afin de continuer à
rompre avec les tabous inhérents à ces questions de
recherche. Enfin, les enjeux futurs portent également
sur la nécessité de développer des travaux dans les
pays du Sud.
Pour conclure, on peut affirmer que ce colloque a
démontré le grand intérêt des études sur les sexualités
et les lieux. Il ne s’agit pas que de pratiques privées et
intimes limitées à des espaces restreints et confinés
mais de questions de société à part entière. La résistance de la société à aborder ce thème tient au danger
potentiel d’une évolution, voire d’un renversement de
Colloques, séminaires
l’ordre établi, et notamment d’un ordre de domination
masculin voire masculiniste. Le colloque a beaucoup
insisté sur les pratiques homosexuelles dont on pourrait arguer qu’elles sont minoritaires et d’un intérêt
limité pour la société en général. D’un point de vue
théorique, cet argument ne tient pas: l’analyse d’une
minorité peut révéler un fonctionnement global; par
contraste, la périphérie informe souvent sur le centre.
D’un point de vue plus pragmatique, les débats houleux en France autour du mariage pour tous ont
montré combien les changements concernant une
minorité impliquaient en réalité des changements
pour l’ensemble de la société.
« Tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu
21
xavier michel
eso caen
umr
C
e texte se veut un compte rendu1 des lignes
directrices du colloque Tourism, travel and
leisure Sources of Wellbeing, Happiness
and Quality of Life qui s’est tenu à Budapest (Hongrie)
du 22 au 24 octobre 2014. Organisé par Atlas: Association of Tourism and Leisure Education Research2, il
a rassemblé 95 participants et donné lieu à 72 communications orales. La dimension internationale du
colloque (28 nationalités représentées, surtout européennes, mais aussi asiatiques et nord-américaines), la
diversité des disciplines (économie, géographie, sociologie, philosophie, sciences politiques, sciences de gestion, mais aussi études touristiques)3 et des terrains
(recherche fondamentale ou appliquée) auraient pu
constituer autant de difficultés pour créer des liens et
des axes majeurs de réflexion structurant le colloque,
d’autant que l’addition des notions dans le titre qui lui
avait été donné pouvait susciter un foisonnement d’interprétations. Cependant, les références à un état de
l’art partagé a minima4 ont permis de poser certaines
bases communes d’analyse.
Si les trois notions: « tourisme, voyage et loisir »
ont été associées, presque toutes les communications
ont bien pris comme cadre d’analyse l’activité touristique, au sens d’une combinaison de pratiques de
déplacement et de séjour, pour motif de loisirs. Ce
cadrage a d’ailleurs amené à faire une distinction avec
la notion de « Medical travel », dont le but est plus
1- En prolongement du compte rendu oral effectué le 23 janvier
2015 lors de l’atelier mensuel d’Eso-Caen.
2- Le colloque a été organisé en cooperation avec le Tourism
Observatory for Health, Wellness and Spa et le Budapest College
of Communication and Business de l’Université des sciences
appliquées de Budapest et a été en outre financé par les cotisations à l’association et les droits d’inscription.
3- Cette diversité disciplinaire permet d’élargir les questionnements, par rapport à des colloques sur le bien-être davantage
limités aux sciences humaines et sociales (par exemple Espaces,
qualité de vie et bien-être, Université d’Angers, 2005 ; International conference on Well-being and Places, Université de
Durham, 2009).
4- Par exemple : Uysal Muzaffer, Perdue Richard, Sirgy Joseph
(2012), Handbook of tourism and quality-of-life research. Enhancing the lives of tourists and residents of host communities,
Springer, et : Voigt Cornelia, Pforr Christof (2013), Wellness tourism A destination perspective, Routledge
- cnrs
6590 - université basse-normandie
sanitaire (pour traiter une pathologie) que ludique, par
contraste avec celle de « Medical tourism », qui représente davantage les offres et pratiques de « Wellness
tourism », comme les spas, les établissements de thalassothérapie, et plus largement les équipements
censés procurer un état de satisfaction. Au-delà, la session introductive plénière du colloque a eu pour but de
questionner les rapports entre santé, bien-être et tourisme, en déclinant le bien-être par les deux notions de
wellbeing et de wellness, dont la distinction a déjà été
posée5. Wellness renvoie aux activités, ici dans le cadre
touristique, vis-à-vis desquelles des capacités et une
bonne forme physique sont exercées et/ou recherchées, alors que wellbeing6 dépasse ces dimensions
pour représenter un état plus général de satisfaction
et de contentement des personnes. Dans le champ du
tourisme, cette dernière notion se décline alors au
moyen de deux adjectifs: hedonic, lorsque le wellbeing
est produit et/ou recherché en lien avec le plaisir, l’agréable, et eudemonic, lorsqu’il est produit et/ou
recherché en lien avec le sens à donner à sa vie, et il est
intéressant de prendre en compte cette dernière
dimension justement vis-à-vis des expériences touristiques, relevant du « hors quotidien » mais en interaction avec l’ensemble du parcours de vie des individus,
en lien avec la qualité de vie.
La distinction entre wellness et wellbeing amène
d’autres questions: est-ce que finalement le wellness
ne serait que la dimension commerciale/commercialisée du wellbeing? Le wellbeing « touristique » est-il
alors possible sans équipements, sans offres spécifiques de « wellness tourism »? Un des keynote speakers du colloque, Simon Bell, est allé plus loin dans sa
conférence7, en soulignant que le tourisme est historiquement lié à l’appréciation des paysages, donc dans
une démarche d’intégration aux territoires visités,
5- Fleuret S. (2005). Espaces, Qualité de vie et Bien-être. Presses
de l’Université d’Angers, p. 11.
6- Très souvent écrit en un seul mot et sans trait d’union dans les
communications du colloque et les ouvrages anglo-saxons.
7- Communication intitulée « Tourism and the landscape : An intimate but overlooked connection ? ».
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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« tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu
alors que la mise en place des resorts touristiques,
notamment ceux qui se présentent avec une dimension de wellness, relèvent finalement de ce qui a déjà
été caractérisé comme étant un tourisme enclavé8,
amenant à questionner la nature du tourisme, si celuici ne sert plus à la découverte de l’ailleurs et de l’Autre
mais n’est plus que l’expression de vacanciers confinés
dans des espaces clos.
Ceci est d’autant plus questionné que, lors de cette
session introductive, différentes tendances dominantes du tourisme ont été présentées: le tourisme
culturel dans les années 1990, le green tourism des
années 2000, et le wellness tourism des années 2010,
même si cette présentation est tranchée et à discuter.
La problématique commune à l’ensemble des communications et discussions du colloque intègre nécessairement la dimension systémique. Analyser le wellbeing et le wellness touristiques conduit à associer des
temps et des espaces différents, des individus et des
groupes différents, entre eux (environnement humain)
et en relation avec l’environnement matériel. Trois
approches peuvent être identifiées. La relation entre le
tourisme et le bien-être s’appréhende dans des articulations entre le hors quotidien et le quotidien des individus: le bien-être de ceux-ci est une construction globale dans leur parcours de vie, les expériences
touristiques en étant des étapes. En entrant ensuite
dans l’examen de ces expériences touristiques ellesmêmes, c’est la relation aux environnements et aux
paysages qui est analysée: le bien-être des touristes
peut-il être développé partout, face à des lieux
dégradés, « surfréquentés »? Enfin, le bien-être et la
qualité des conditions de travail des salariés du tourisme sont observés, ainsi que les effets du tourisme
sur les communautés locales.
i- l’eXPérience touristique, Partie De la qualité De vie
et Du Bien-être Des inDiviDus
En matière de relations entre l’expérience touristique et les parcours de vie des individus, s’agissant du
bien-être et de la qualité de vie, la littérature scienti8- Cazes G. (1992). « L’antinomie de deux grandes conceptions
du tourisme : l’enclavé et l’intégré ». In : Tourisme et Tiers-monde
Un bilan controversé Les nouvelles colonies de vacances, Paris :
L’Harmattan, p. 159-188.
Colloques, séminaires
fique a surtout traité la question des effets bénéfiques
des expériences touristiques sur la vie quotidienne
suite au séjour9. Certaines communications du colloque présentent une analyse plus ample des liens
entre l’expérience touristique et les parcours de vie du
point de vue du bien-être.
1. l’expérience touristique et le cycle vacancier des
individus
Ksenia Kirillova et Xinran Lehto10 rappellent tout
d’abord l’hypothèse de l’atténuation des effets bénéfiques des vacances à mesure que les individus sont
replongés dans leur vie quotidienne Cette hypothèse
fonctionne dans le cadre d’une représentation positive
du tourisme due à sa nature ludique, évasive et insouciante, en opposition avec une représentation d’une
vie quotidienne empreinte de travail, de routine et de
soucis. Cependant, leur position s’en démarque, pour
aller plus loin que cette dichotomie travail/loisir. D’une
part, le bien-être doit être conçu à partir d’un état psychique de l’individu sur le long terme, renvoyant à la
notion d’existential authenticity. Cet état ne disparaît
pas durant l’expérience touristique, ni après, et est à
prendre en compte dans ce que pourra être le bienêtre pendant l’expérience touristique.
D’autre part, à l’échelle plus fine du temps touristique, l’état de bien-être n’est pas identique, et
fluctue. À partir des travaux déjà existants sur la liminalité touristique et les différentes phases de l’expérience touristique11, Kirillova et Lehto représentent
une double courbe avec une opposition maximale
entre le niveau d’« existential authenticity » et le
niveau d’anxiété au milieu de la période de vacances.
Au début de l’expérience touristique, l’anxiété serait
élevée, du fait du manque de connaissances de la destination et/ou d’un temps d’adaptation, alors que les
bénéfices de l’expérience touristique en matière de
bien-être ne sont pas encore advenus. Le milieu de
l’expérience comprendrait un « peak » avec niveau
9- Par exemple : Gilbert David, Abdullah Junaido (2004). « Holidaytaking and the sense of well-being », Annals of Tourism
Research, Vol. 31, n° 1, p. 103-121, et Sirgy Joseph (2010).
« Towards a Quality of Life Theory of Leisure Travel Satisfaction », Journal of Travel Research, Vol. 49, n° 2, p. 246-260.
10- Communication : « An existential conceptualization of the
vacation cycle ».
11- cf. Clawson Marion, Knetsch Jack L. (1966), Economics of Outdoor Recreation. Baltimore : Johns Hopkins Press, 328 p.
« tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu
élevé d’« existential authenticity » corrélé à un faible
niveau d’anxiété. La fin de l’expérience touristique
serait en revanche marquée par un retour à l’état de
début des vacances, interrogeant alors le bénéfice des
vacances dans le retour à la vie quotidienne. Cette
représentation théorique appelle à être discutée. Elle
pourrait correspondre à une des trajectoires de bienêtre dans le déroulement de l’expérience touristique,
mais d’autres trajectoires sont possibles.
2. le capital de mobilité des individus
Les relations entre les parcours de vie et l’expérience touristique sont aussi appréhendées en fonction d’une différenciation entre les individus selon leur
capital de mobilité, au sens d’une capacité à maîtriser
leur expérience de mobilité. Ce capital est variable
selon les groupes sociaux et les individus. Cette
approche amène à considérer non plus seulement les
effets des expériences touristiques sur la vie quotidienne ni l’état psychique général de l’individu, mais
prend en compte le processus de développement des
compétences touristiques, certains auteurs ayant mis
en évidence l’existence de carrières de voyages12. Les
différentes mobilités interagissent dans ce processus
et les mobilités touristiques ne se construisent pas de
manière isolée13. Le bien-être des touristes durant
leurs vacances14 est alors variable en fonction de leurs
parcours généraux de mobilité. Ainsi, les individus avec
des pratiques élevées de voyages et séjours touristiques, notamment dans une dimension internationale, mais aussi d’une mobilité résidentielle assez
développée, disposent de représentations et perceptions leur permettant de faire avec et d’apprécier
chaque destination. Mais les individus ayant une plus
faible mobilité générale ont parfois des difficultés à
apprécier l’environnement, matériel et humain, de la
destination, et donc à développer un état de satisfaction et de bien-être, même lorsque la qualité de vie ou
de séjour des destinations est bonne.
12- Pearce Philip L., Lee Uk-Il (2005). « Developing the travel
career approach to tourist motivation ». Journal of Travel
Research, Vol. 43, n° 3, p. 226-237.
13- Hannam Kevin, Butler Gareth, Paris Cody Morris (2014).
« Developments and key issus in tourism mobilities ». Annals of
Tourism Research, Vol. 44, p. 171-185.
14- Communication : Xavier Michel, « The Well-being of the tourists during their Holidays ».
23
D’autre part, la capacité à partir en vacances et à
maîtriser la mobilité touristique est aussi due à des
représentations de l’ailleurs en fonction de l’âge. Pour
les personnes âgées, la perception des risques de
voyage entre en compte15 à deux niveaux: la prise de
décision de partir en voyage touristique, et la satisfaction et le bien-être obtenus à partir de l’expérience
touristique. En effet, un niveau élevé de perception de
risques va avoir un impact sur l’appréciation de l’expérience ainsi que sur le souvenir qui en sera gardé,
même si aucun problème n’est survenu durant l’expérience.
Enfin, ce capital de mobilité est aussi à construire,
selon Harald Friedl16, par une éducation au tourisme et
à l’attention à porter aux ressources des destinations.
Le monde doit alors être pratiqué avec curiosité mais
prudence, dans la perspective de durabilité. Il insiste
sur l’importance de donner du sens aux expériences.
Pour cela, il faudrait que les touristes, et d’abord les
fournisseurs de services touristiques, possèdent un
rapport aux objets et aux lieux qui ne relève pas seulement de la dimension du produit à consommer, mais
qui contienne une compréhension du monde, ceci justement dans la perspective de la santé et du bien-être.
Afin d’expliciter son analyse, il indique que la situation
actuelle serait due à un paradigme dominant de la
croissance économique, alors que c’est le paradigme
de la “croissance personnelle”17 qui devrait être développé et appliqué, dans une approche de développement personnel et d’échanges avec les autres.
ii- l’eXPérience
touristique Peut-elle touJours
conDuire au DéveloPPement Du Bien-être ?
L’analyse plus classique des relations entre les touristes et le « milieu » de la destination touristique a été
adaptée aux questions de qualité des espaces et de
bien-être par beaucoup de communications du colloque. Différentes approches peuvent être distinguées.
15- Communication : Carlos Cardoso Ferreira, Ana Alfonso Acantara, « Tourism risk perception senior travelers ».
16- Communication : « Sustainable tourism education, a way to
health and well-being ? »
17- Personal growth.
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« tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu
1. le bien-être du touriste commence (ou pas) à l’aéroport
Une communication présentant les résultats
d’une recherche utilisant la technique du jeu de rôle
a permis d’évaluer les perceptions, positives ou négatives, de dispositifs de contrôle de sécurité, le terrain
d’expérimentation étant les aéroports finlandais18.
Deux groupes de « passagers » ont été constitués, et
ils ont dû subir différentes pratiques de contrôle. Le
groupe subissant les pratiques désagréables s’est
senti peu respecté, les individus qui le composent ont
été affectés par le manque de politesse, de courtoisie, de discrétion, les interrogatoires et les fouilles
devant le public pouvant conduire à l’altération de
leur image. Ceci a un impact sur l’instant, mais peut
aussi influer sur le sentiment de bien-être pour la
suite de l’expérience touristique. Le groupe « bien
traité » en ressort quant à lui avec une impression
plus positive, et la politesse des agents de contrôle
aide alors également à rendre les passagers mieux
enclins à effectuer les pratiques de contrôle sans
contrariété.
2. le bien-être et la relation à la nature paysagère
L’analyse, évoquée en introduction, de Simon
Bell19 est pertinente pour montrer ce processus de
pratiques touristiques aujourd’hui coupées, plus ou
moins, de cadres paysagers “naturels”, questionnant
l’engagement des touristes avec/dans le paysage. Cet
engagement est perçu comme bénéfique, pour développer les exercices physiques, se déstresser, découvrir et apprendre, mais aussi repousser de manière
bénéfique sa zone de confort. La pratique des environnements de plein air contribue à rendre les individus plus adaptables et résilients. Ceci n’est plus forcément possible, pleinement, dans toutes les
destinations touristiques20. L’urbanisation et le “tourisme de masse” peuvent être analysés comme des
facteurs plutôt négatifs vis-à-vis de ces objectifs et
bénéfices. Ceci conduit à considérer le “landscape
18- Communication : Petri Hottola, « Security meta-framing and
happiness at airports ».
19- Communication : « Tourism and the landscape : An intimate
but overlooked connection ? ».
20- Communication : Ines Boavida-Portugal, Jorge Rocha, Carlos
Cardoso Ferreria, « Accommodation and land use in Coastal Alentejo (Portugal) ».
Colloques, séminaires
management” comme une démarche essentielle afin
de maintenir ou retrouver une qualité paysagère
comme condition au re-développement du bien-être
par la nature.
Concrètement, Catherine Kelly présente les exemples d’aménagement qui peuvent être choisis pour
retrouver des espaces “verts” et propices au bien-être
dans les cadres touristiques et de loisirs en GrandeBretagne21. En prolongeant l’idée de « therapeutic
landscapes »22, la démarche d’écothérapie est posée,
dans le sens d’une relation escomptée entre la nature
et le bien-être mental, ceci aux niveaux individuel et
collectif. Les espaces peuvent avoir un statut d’aménagement formel : jardins publics, parcs, « healing
gardens », ou plus informel : forêts, berges de cours
d’eau et de lacs, littoraux maritimes.
3. l’implication dans une pratique émancipatrice lors
de l’expérience touristique
Le bien-être est aussi recherché et acquis par l’environnement social pendant l’expérience touristique.
L’exemple du flamenco est développé par Xavier Matteuci et Sebastien Filep23, afin de montrer que cette
pratique permet un bien-être dans une dimension
“eudémonique”. La recherche a été conduite par des
entretiens et une observation participante à Séville.
Le flamenco permet aux individus de s’engager dans
des environnements authentiques, du fait d’une
immersion parmi les artistes et les habitants. D’autres
pratiques touristiques spécifiques ont été analysées,
comme la « slow food »24 ou la participation à des
camps d’entraînement au football dans les lieux de
clubs renommés25, mais en interrogeant l’impossible
accessibilité à ce type d’expérience pour tous les touristes.
21- Communication : « Constructing, Producing and Consuming
Green Wellbeing Spaces ».
22- Gessler W. (1992). « Therapeutic landscapes : medical issues
in light of the new cultural geography ». Social science medicine,
Vol. 34, n° 7, p. 735-746.
23- Communication : « Flamenco tourists accounts of eudemonic
well-being ».
24- Communication : Yasin Bilim, Eda Gunes, Umit Sormaz, « Cultural destinations and slow food practice ».
25- Communication : Emmanuele Adamo, Milka Ivanova,
« Managing wellness destinations through football teams training camps ».
« tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu
4. l’importance du management pour favoriser la
satisfaction et le bien-être des touristes
Plusieurs communications ont cherché à montrer
que l’existence du bien-être touristique est favorisé,
voire ne peut se développer, que si des pratiques de
management des services touristiques sont bien en
place. Cela passe par une bonne formation des professionnels du tourisme afin que ceux-ci soient conscients
des objectifs à atteindre dans ce domaine, ainsi que la
mise en œuvre de réseaux professionnels. Ceux-ci ont
une influence positive sur la qualité des destinations26,
donc au sens d’une offre de “wellness tourism” attractive et appréciable, qui se traduit à la fois dans les services d’accueil des touristes, dans les services en backoffice assurant un bon fonctionnement du système et
dans la qualité de la protection des espaces.
Outre cette idée générale, des études de cas révèlent la capacité d’innovation touristique au service de
la qualité des expériences et du bien-être des touristes, mais aussi des habitants. Plusieurs cas montrent
une tendance à l’essor des formes de tourisme intégré,
c’est-à-dire en relation avec les milieux “locaux”. L’idée
de proximité est mise en avant pour valoriser des formules touristiques empreintes de plus d’hospitalité27,
avec une insertion des hébergements dans un patrimoine bâti ancien au sein des villages. Une interaction
positive existe avec les territoires locaux, le tourisme
participant au renouveau économique et démographique des villages. La qualité de l’expérience touristique relève d’une dimension culturelle avec une
recherche d’authenticité, mais relève aussi d’une
dimension spatiale: c’est la dispersion des hébergements dans l’espace de la communauté locale qui est
une plus-value. Au-delà des systèmes locaux et régionaux, l’hébergement touristique “authentique” s’est
répandu au moyen de réseaux commerciaux de réservation d’hébergement: CouchSurfing, AirBnB, Dooze.
C’est le service personnalisé et une expérience ayant
davantage de sens qui sont recherchés28.
26- Communication : Justyna Maciag, « The effectiveness of the
tourism network in the development of destination product’s
quality ».
27- Communication : Sonia Ferrari, Monica Gilli, « The “albergo
diffuso” in Italy : a new model of network hospitality ».
28- Communication : Lénia Marques, Beatriz Gondim Matos,
Maria de Lourdes de Azevedo Barbosa, « Emerging forms of
hospitality : homestay networks and social innovation ».
25
Les équipements et démarches de wellness tourism sont donc mis en avant pour parvenir à des états
de satisfaction et de bien-être des touristes meilleurs.
La recherche ou le retour à l’”authenticité” sont
pensés comme devant être dirigés par des aménagements, des pratiques de management et des offres
touristiques adaptés.
iii- les conDitions De travail et le Bien-être Des salariés Du tourisme et Des HaBitants Permanents
L’activité et la population touristiques sont en
interaction avec les salariés et les habitants permanents des destinations, ce qui implique de la part des
responsables touristiques une conscience et une organisation attentives à la qualité des conditions de travail. D’autre part, un impact positif du tourisme envers
les habitants permanents est aussi à rechercher.
1. que recouvre la qualité des conditions de travail
des salariés du tourisme ?
Des enquêtes ont montré la situation perfectible
des conditions de travail, et le besoin d’appliquer des
codes éthiques dans les milieux professionnels du tourisme. Une enquête systémique a mis en évidence le
fait que les « unethical behaviors »29 se traduisent dans
différents domaines, et pas seulement vis-à-vis des
salariés. D’une part, les comportements négatifs ont
un impact sur les relations avec les clients et l’environnement, mais d’autre part les salariés ont aussi parfois
des attitudes négatives envers leur hiérarchie, les
clients, et entre eux. C’est à partir de ce constat d’une
globalité des comportements que les démarches d’amélioration des rapports entre acteurs doivent être
entreprises.
En se concentrant sur la question du bien-être des
employés du tourisme30, trois dimensions ont été définies: la satisfaction pour le métier qui peut procurer
un bien-être physique, les pratiques professionnelles
qui s’articulent avec une dimension physiologique et
corporelle, et les relations avec la hiérarchie de l’en-
29- Communication : Marek Bugdol, Justyna Maciag, « Unethical
behavior in tourist organization ».
30- Communication : Esther Martinez-Garcia, Dolors Celma, Joan
Sorribes, « Impact of socially responsible human resource management on employee’s well-being in the hospitality sector ».
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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« tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu
treprise et les autres employés qui sont reliés à la
dimension du bien-être social. Les facteurs défavorables au bien-être sont exposés dans le secteur du tourisme: taux de turnover important, longues heures de
travail, emplois à temps partiel et/ou non permanents,
bas salaires. Cependant, les résultats d’une enquête31
n’indiquent pas de satisfaction diminuée à cause du
turnover ou du travail de week-end. Au contraire, la
satisfaction est altérée dans le secteur du tourisme par
le travail de nuit, à temps partiel, ou par les heures
supplémentaires.
Deux communications ont aussi traité de la question de la satisfaction et du bien-être au travail dans les
petites entreprises familiales de tourisme. Hannele
Rautamäki montre qu’il existe une corrélation entre le
sentiment de propriété, de développement de l’entreprise, et la satisfaction au travail32. Dans le secteur agritouristique en Autriche, une enquête par entretiens33 a
montré que le supplément d’activité touristique
apporte des revenus intéressants, mais au détriment
de l’équilibre de vie des exploitants, du fait du temps
important passé à l’activité touristique.
2. les interactions entre les événements touristiques
et les communautés locales urbaines
Les festivals sont parfois perçus comme un moyen
d’améliorer les conditions économiques et sociales de
villes ou de quartiers urbains. Yi-De Liu a mené une
enquête quantitative et qualitative sur trois ans au
sujet des effets de l’année européenne de la culture à
Liverpool en 2008. L’événement a conduit à l’amélioration de l’intérêt des habitants des quartiers marginalisés envers la culture, l’amélioration de leur accessibilité et inclusion dans les activités culturelles, et
l’amélioration du sens du lieu et de leur sentiment
d’appartenance au territoire urbain. En complément,
Valery Gordin34 montre que l’impact des festivals sur
les territoires (en Finlande et en Russie) dépend en
partie de la situation socio-économique préalable de
ceux-ci, par exemple de l’importance de la jeunesse, et
31- Quality of Life at Work Survey (QLWS, 2010) en Catalogne.
32- Communication : « Psychological ownership and joy of work
as self-reported by entrepreneurs of family firms in tourism ».
33- Communication : James Miller, « Work-life balance in farm
tourism : hosts, guests and stress ».
34- Communication : « Festival impacts from the regional perspective ».
Colloques, séminaires
en partie du management et de l’organisation du festival. Plus que le thème du festival lui-même, les caractères de ce qui environne et organise l’événement
comptent davantage pour en évaluer les effets.
conclusion
Les analyses de terrain révèlent la complexité des
rapports entre les différents acteurs dans les problématiques de recherche de qualité de vie, de séjour, et
de recherche du bien-être. Les communications de ce
colloque reflètent aussi des applications différenciées
de la notion de bien-être selon les régions du monde
et les types de territoire. Les équipements de wellness
tourism ont d’abord été développés dans certains pays
d’Europe centrale et d’Europe du Nord. Les acteurs
touristiques d’Europe du Sud ont traditionnellement
développé la dimension du bien-être par une
approche authentique et intégrée. Face aux effets du
tourisme de masse, les positions et démarches doivent
être repensées, en établissant des équipements formels de wellness tourism, même s’ils se placent dans
un processus de tourisme intégré.
Les communications sont issues de recherches qui
sont focalisées sur un terrain, sur un “segment” du système touristique. Les approches plus globales sont à
privilégier pour saisir plus largement le bien-être des
touristes et d’autres acteurs. D’autre part, les évaluations menées et les résultats présentés dans ces travaux traitent la notion de bien-être à partir d’approches souvent empiriques. Malgré une littérature
scientifique déjà abondante, la conceptualisation du
bien-être et son application dans le tourisme appellent
à être poursuivies. La question du bien-être dans le
tourisme est aussi à travailler davantage en lien avec
l’accessibilité au tourisme pour tous et avec les pratiques de rencontres entre les individus, touristes et
habitants permanents.
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résumé de travaux
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de
cohérence Territoriale. échelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire*
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jean-Pierre ducos
umr
introDuction
D
es premières règles d’alignement à l’émergence de la notion d’urbanisme et de planification urbaine, plus de quatre siècles
fondateurs d’un urbanisme d’État se sont écoulés.
Avec la Loi d’Orientation Foncière de 1967 (LOF), les
premiers outils d’accompagnement du développement urbain se mettent en place au travers des
Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme
(SDAU) et des Plans d’Occupation des Sols (POS). Ces
documents annonciateurs d’une politique de planification urbaine nationale laisseront la place à ceux de
lutte contre l’étalement urbain introduit par la loi Solidarité et Renouvellement Urbain de 2000 avec les
Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT) succédant
au SDAU (Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme) et les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) succédant aux POS (Plan d’Occupation des Sols). Cette
refondation des documents d’urbanisme s’appuie sur
un changement de paradigme en ce qui concerne les
politiques urbaines: l’expansion urbaine doit laisser
place au renouvellement urbain et la ségrégation spatiale introduite par une planification trop sectorielle
doit laisser place à la solidarité urbaine.
L’exposé des motifs de la loi SRU explicite clairement ce changement de posture qui confère désormais aux documents d’urbanisme un rôle de limitation
de la consommation foncière et de préservation de
l’environnement et des ressources naturelles. Cette loi
marque une rupture à l’encontre de près de quarante
années d’un urbanisme expansif des espaces périurbains alimenté par le règne de l’habitat individuel et
des déplacements automobiles.
Ce processus de refondation des outils de planification urbaine se poursuit avec les lois Grenelle 1 de
* Thèse de géographie-aménagement soutenue le 31 mars 2015
à l’université d’Angers, sous la dir. de J. Soumagne
eso angers - cnrs
6590 - université angers
2009 et Grenelle 2 de 2010 qui introduisent une véritable refondation environnementale des documents.
La poursuite de la lutte contre l’étalement urbain est
confirmée mais les SCoT et les PLU se voient assignés
des objectifs environnementaux renforcés : lutte
contre le réchauffement climatique et les émissions de
gaz à effet de serre, lutte contre la perte de biodiversité, lutte contre la dégradation des ressources naturelles et de l’eau, lutte contre la dégradation des paysages… Un caractère plus prescriptif et plus
opérationnel est donné à ces documents. La responsabilité des collectivités locales en charge de l’élaboration des documents d’urbanisme est également renforcée et le rôle de contrôle de l’État réaffirmé.
Poursuivant cet effort porté sur la question de la
limitation de la consommation foncière, la loi pour
l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR)
de 2014 vient compléter et renforcer l’arsenal des
outils déployés depuis l’année 2000 pour enrayer le
phénomène, notamment dans le rôle fédérateur et
intégrateur du SCoT en matière de politiques
publiques et dans les conditions d’ouverture à l’urbanisation de nouveaux espaces.
i- ProBlématique
Dans ce nouveau cadre réglementaire, les documents d’urbanisme introduits par la loi SRU, et les
SCoT en particulier, sont-ils véritablement en mesure
d’atteindre les objectifs environnementaux qui leur
sont assignés? Nous préciserons à ce stade que la
notion d’efficacité environnementale a été appréhendée à travers le caractère opératoire du contenu
rédactionnel du document et de la capacité pour ses
utilisateurs à disposer d’un outil intelligible, appropriable et trouvant une traduction concrète dans la
transposition de ses orientations et prescriptions vers
les documents aval.
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l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale.
echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire
ii- métHoDe et outils
Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à
une question aussi large, nous avons pris le parti d’aborder cette problématique à partir de cinq entrées
complémentaires. Premièrement, le choix a été fait de
privilégier une approche qualitative supposant l’analyse de documents servant de base de référence et de
comparaison, approche resserrée autour des Schémas
de Cohérence Territoriale du département du Maineet-Loire. Une approche quantitative sur l’ensemble
des SCoT élaborés en France aurait pu être un choix de
recherche visant à l’exhaustivité et au systématisme
de l’analyse mais aurait dépassé le temps et les
moyens affectés à cette recherche. Cependant, de
nombreux SCoT « nationaux » ont été pris pour référence ou en comparaison de la situation départementale.
Deuxièmement, le privilège a été donné à une analyse détaillée du contenu des documents, sur le fond et
la forme. Cette approche volontairement très qualitative a été motivée par le fait que ces schémas constituent désormais des documents dits « intégrateurs »,
et compris de ce fait comme un support de référence
s’imposant aux documents aval. Au-delà du caractère
formel des éléments constitutifs imposés par le législateur, la qualité rédactionnelle de leur contenu doit
constituer le premier gage d’efficacité, en ce sens que
l’expression des enjeux et des moyens d’agir doit être
explicite et applicable.
Troisièmement, le choix de resserrer l’analyse au
département du Maine-et-Loire est apparu pertinent
compte tenu du caractère représentatif de ce territoire, entièrement couvert de SCoT élaborés ou en
cours d’élaboration. C’est autour de cette question de
la forme et du fond que nous avons orienté cette
recherche en s’appuyant sur l’analyse des SCoT du
département du Maine-et-Loire. Nous avons plus particulièrement retenu deux schémas comme fil rouge
de cette analyse. Le document du Pays Loire-Angers a
été d’abord été choisi pour quatre raisons principales:
l’antériorité de documents préalables avec un SDAU et
un schéma directeur; un contexte urbain mettant en
avant des problématiques particulières de maîtrise de
l’étalement urbain autour de la ville-centre ; un
schéma dit de « première génération » issu de la loi
Résumés de travaux
SRU; une ingénierie interne avec une agence d’urbanisme ayant réalisé le document. Celui du Pays des
Mauges constitue notre deuxième document de référence retenu pour les raisons suivantes: un SCoT rural
porté par un territoire novice en matière de planification urbaine; un SCoT « Grenelle », premier document
de cette génération approuvé dans le département;
un document élaboré par un bureau d’études externe
au territoire.
L’analyse détaillée et comparative des deux documents a été complétée par une analyse synthétique du
contenu des cinq autres SCoT départementaux
approuvés ou en cours d’élaboration. Enfin, des éclairages complémentaires ont été apportés à partir de
l’analyse de documents élaborés sur le reste du territoire national, notamment un certain nombre de SCoT
témoins ayant fait l’objet de différentes études de suivi
ou d’évaluation1.
Quatrièmement, la problématique s’inscrit dans le
champ d’une pratique professionnelle d’accompagnement des collectivités territoriales pour l’élaboration
de leurs documents de planification urbaine. En effet,
depuis la loi SRU de 2000, plusieurs syndicats mixtes
en charge de l’élaboration de SCoT ont sollicité le
Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Maine-et-Loire pour un accompagnement
dans le cadre de la mise en œuvre de ces documents.
Après quinze ans de pratique, le croisement d’une
recherche universitaire avec une ré-interrogation de
pratique professionnelle apparaissait comme particulièrement opportune et permettait de nourrir une analyse critique de documents auxquels le CAUE a pu participer. C’est aussi ce contexte professionnel qui
explique cette entrée très analytique des documents
et moins des conditions techniques et politiques de
leur élaboration, champ sur lequel notre positionne1- CONSEIL GENERAL DE L’ENVIRONNEMENT ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, 2012, Audit thématique national relatif à la
prise en compte des objectifs du Grenelle de l’environnement
dans l’élaboration des Schémas de Cohérence territoriale (SCoT),
Rapports, n° 007702-01, avril 2012, 162 p.
- CERTU, 2005, Démarche SCoT témoins, Etat initial de l’environnement, 15 p.
- CERTU, L’agriculture dans les Scot témoins, CERTU-CETE Ed, 14 p.
- CERTU, CETE, Ed, 2008, Démarche SCoT témoins. Etat initial de
l’Environnement, 28 septembre, 15 p.
- DIRECTION GENERALE DE l’URBANISME, DE L’HABITAT ET DE LA
CONSTRUCTION, 2007, Analyse des contenus des 14 SCoT
approuvés au 1/06/2006 – Synthèse des dispositions orientant
l’urbanisation, DGUHC, CETE, 22 janvier 2007, 60 p.
l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale.
echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire
31
environnementale
ment de recherche et professionnel aurait pu être
sujet à critique quant à l’objectivité et à l’exhaustivité
de l’analyse.
Cinquièmement, la problématique proposée a été
peu abordée par des géographes si on en juge par le
nombre de thèses axées sur le rapport entre les documents d’urbanisme et l’environnement. Alors que le
sujet des documents d’urbanisme a été plus largement
traité par des juristes ou des urbanistes (Vigo, 2000;
Leroux 2000, Eddazi, 2011) à travers la question de la
portée juridique de ces documents ou celle de leur
efficacité sectorielle dans certains champs spécifiques:
bruit, milieux naturels, air, etc. (Labat, 2001; WardaKhazen, 2008; Hasan, 2012), quelques recherches plus
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l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale.
echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire
Figure 2 : Département du Maine-et-Loire et état d’avancement des S.Co.T
dans la région Pays de La Loire au 1er janvier 2014
orientées vers une approche géographique (Desjardins, 2007; Cluzet, 1992, Bertrand, 2004) ont été
conduites. Cependant, la question de « l’efficacité
environnementale » n’a jamais été traitée sauf à partir
d’entrées sectorielles ou au contraire sous l’angle plus
général du développement durable.
Deux thèses soutenues pourraient se rapprocher
de la problématique proposée. Si la thèse d’Aurélie
Prévost (2013) fait référence à la notion d’évaluation
durable, c’est principalement à travers l’exemple du
plan local d’urbanisme de Toulouse que sa recherche
l’amène à conclure que « les indicateurs des évaluations des PLU semblent renseigner plus sur les performances durables des villes que sur la qualité du dispo-
Résumés de travaux
sitif d’urbanisme réglementaire ». La thèse de Fernanda Moscarelli (2013), qui s’appuie sur les deux
SCoT de l’agglomération de Montpellier et de Grenoble serait la plus proche de notre problématique,
soulignant à la fois une meilleure prise en compte des
enjeux environnementaux dans les deux documents
étudiés mais aussi leurs limites; le contexte d’élaboration des documents constitue selon elle un facteur qui
« influe autant, ou même plus, que les SCoT, dans l’efficacité de l’action publique ».
Entre ces deux approches aux conclusions relativement convergentes, notre positionnement s’est inscrit
dans la continuité d’une formation universitaire intitulée « géographie et aménagement », l’échelle des
SCoT apparaissant ainsi comme la plus pertinente en
l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale.
echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire
tant que nouveaux outils d’aménagement du territoire
et la notion d’efficacité environnementale étant attachée à son contenu physique (au sens de la géographie
physique). Ce positionnement écarte provisoirement
de notre champ l’appréciation « d’évaluation
durable » ou « de développement durable » des SCoT
étudiés, notions qui auraient considérablement élargi
le sens de cette recherche et dépassé, là encore, le
temps et les moyens affectés. Plus précisément, la
notion « d’efficacité environnementale » a été appréciée à travers le caractère opératoire du contenu
rédactionnel des documents constitutifs du SCoT (Rapport de présentation, État Initial de l’Environnement,
Évaluation environnementale, Projet d’Aménagement
et de Développement Durable, Document d’Orientations Générales/Document d’Orientation et d’Objectifs…). Elle se situe dans cette recherche comme le
corollaire de la notion d’évaluation environnementale
au sens de la Directive 2001/42 de la Communauté
Européenne en retenant cinq thématiques constitutives de cette évaluation.
En effet, pour circonscrire et préciser ce qui est
entendu par efficacité environnementale, nous avons
retenu comme problématique préalable la question
de la limitation de la consommation foncière, premier
levier environnemental affiché dans les documents
d’urbanisme pour agir sur la préservation de l’environnement au sens large du terme. C’est d’abord cette
première thématique que nous avons analysée à partir
du contenu des SCoT du département du Maine-etLoire. Au-delà du constat quantitatif, nous avons tenté
d’apprécier comment ce premier levier était traité
dans les documents, quelle portée souhaitée ou véritable émergeait du contenu des différentes pièces
constitutives du SCoT Pour ce premier thème introductif, nous avons précisé comment était abordée plus
précisément la question des espaces agricoles, premiers espaces consommés par l’étalement urbain.
formalisée en particulier par la définition, la prise en
compte et la traduction sur le territoire d’une trame
verte et bleue. D’une posture de préservation des
milieux naturels, les documents d’urbanisme doivent
désormais passer à une posture active de remise en
bon état; au-delà de l’obligation réglementaire et formelle de traduire cette trame verte et bleue dans les
documents d’urbanisme, la question posée est celle de
la capacité des SCoT de proposer un mode de gestion
des territoires facilitant cette remise en bon état.
Ensuite, la question des paysages constitue notre
deuxième thématique d’analyse. Le sujet n’est pas
nouveau dans la planification urbaine, mais il se pose
désormais de manière plus aiguë constatant l’incidence de l’étalement urbain sur la qualité des paysages, avec une difficulté de fond pour définir ce que
recouvre la notion de qualité de paysage.
Nous avons retenu en troisième thème d’analyse la
question de la ressource en eau, tant du point de vue
qualitatif que quantitatif. La modification des milieux
naturels et du cycle de l’eau par l’étalement urbain
constitue un sujet récurrent mais dont les incidences
sont aujourd’hui beaucoup plus sensibles du point de
vue de la disponibilité et de la qualité de cette ressource au regard des perturbations introduites par le
changement climatique.
C’est enfin ce dernier sujet qui constitue notre quatrième thème d’analyse. Inscrit en tête des premiers
articles du code de l’environnement et du code de l’urbanisme comme un enjeu majeur, le changement climatique représente la problématique la plus complexe
mais aussi la plus globale à traiter. Dans leur action
locale, les SCoT ont axé leur intervention sur la question
de la limitation des émissions de gaz à effet de serre et
la maîtrise énergétique par la réduction des consommations et le recours aux énergies renouvelables, la question de fond posée sur l’adaptation à ce changement
restant aujourd’hui en suspens.
À partir de ce levier préalable, nous avons retenu
quatre thématiques sur lesquelles nous avons considéré que la consommation foncière avait des incidences directes. Tout d’abord, la question de la biodiversité qui constitue un des enjeux majeurs des
documents d’urbanisme à travers l’obligation de
« remise en bon état des continuités écologiques »,
Enfin, pour tenter de répondre à la question de l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme
et des SCoT en particulier, il nous est apparu nécessaire
de rappeler au préalable le contexte de cette refondation de forme et de fond que nous avons évoqué précédemment. En effet, la montée en puissance des
enjeux environnementaux dans les documents d’urba-
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l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale.
echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire
nisme ne peut être appréciée et comprise qu’à la lecture de l’émergence d’une conscience plus globale et
planétaire sur ces questions, expliquant notamment la
progressive intégration des principes de développement durable dans notre système législatif. Contemporains de la Loi d’Orientation Foncière, les prémices de
ce que l’on qualifiera de conscience environnementale
planétaire émergent avec le Club de Rome et son
slogan « Halte à la croissance ». Jusqu’en 1987 et la
publication du rapport Bründtland introduisant les principes de développement durable, vingt ans s’écoulent
au cours desquels les problématiques environnementales vont peu à peu infléchir les outils législatifs et le
paysage institutionnel français: les premiers ministères
de l’environnement se mettent en place, les études
d’impact sont mises en œuvre sur certains projets.
Sous l’impulsion de sommets et accords internationaux (Sommet de Rio en 1992, Sommet de Johannesburg en 2002…) et des engagements pris par l’Union
européenne dans ce domaine (Traité de Maastricht en
1992), la France entre à partir de la fin des années
quatre-vingt-dix dans un processus d’intégration législative des principes de développement durable qui se
concrétisera par la loi constitutionnelle de 2005 relative
à la Charte sur l’environnement introduisant dans la
constitution les principes de développement durable.
Les années 2000 marquent enfin le passage à une
inscription politique de ces questions avec la mise en
avant des enjeux écologiques lors des élections présidentielles de 2007 et leur prolongement dans les travaux du Grenelle de l’environnement ayant conduit aux
lois Grenelle 1 et 2.
Si l’évolution de nos outils en matière de planification urbaine et d’environnement a été indiscutablement influencée par ce contexte international, c’est
aussi sur la base de constats nationaux que des adaptations et mutations majeures ont été insufflées. Tout
d’abord, les outils permettant d’apprécier les incidences environnementales sont relativement récents
et ont été d’abord utilisés de façon sectorielle (eau, air,
déchets, bruit, biodiversité…) et peu communiqués.
Mais surtout, ces données n’ont jamais été véritablement corrélées avec les documents d’urbanisme. En
effet, la première génération de documents d’urbanisme (SDAU et POS) a été conçue sans véritable portée
environnementale et sans objectif d’évaluation.
Résumés de travaux
L’évaluation environnementale des SCoT, et des PLU
sous certaines conditions, introduite par la loi Grenelle 2
apporte une première évolution majeure dans ce
domaine. Ainsi, les méthodes et indicateurs environnementaux qu’il convient de définir dans les SCoT
devraient-ils contribuer à apprécier, plus ou moins directement, l’efficacité environnementale du document?
iii- résultats
En synthèse de cette recherche, sur l’ensemble des
cinq thématiques retenues autour de cette question de
l’efficacité environnementale des SCoT, il apparaît plusieurs éléments de commentaires en ce qui concerne
les éléments constitutifs du rapport de présentation.
Le diagnostic, l’état initial de l’environnement, l’articulation avec les autres plans et programmes et enfin
l’évaluation environnementale participent à la description du territoire. En ce qui concerne le diagnostic, si sa
vocation de document global et transversal constitue
son point fort, son caractère exhaustif voire encyclopédique lui confère souvent une dimension « monumentale » d’énumération de constats sacrifiant à l’analyse des causes. L’État Initial de l’Environnement
(EIE) présente la synthèse des données environnementales exposées de manière thématique et exhaustive: la forme et le fond de l’EIE répondent à une obligation normative fixant un cadre clair et complet de
son contenu mais traité indépendamment des autres
thèmes du diagnostic ce qui entraîne une forme de
dichotomie entre le diagnostic « socio-économique »
et le diagnostic environnemental qui peut ainsi apparaître « hors sol ».
Document assurant la transversalité des approches
avec l’ensemble des autres outils d’aménagement
concernant le territoire, l’articulation avec les autres
plans et programmes constitue l’exercice le plus complexe. La vocation transversale et intégratrice de cette
analyse de l’articulation du projet de SCoT avec les
autres plans et programmes constitue une évolution
majeure dans la prise en compte des différentes
échelles et problématiques dans lesquelles s’inscrit le
territoire porteur du Schéma; mais la multiplicité des
thèmes, des échelles, des gouvernances, des documents et de leur portée réglementaire rend complexe
l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale.
echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire
cette obligation d’articulation. On peut cependant
noter des évolutions tendant à simplifier cette articulation avec, dans le domaine de la biodiversité, la réalisation du Schéma Régional de Cohérence Écologique,
document unique de référence en matière de définition et de prise en compte des trames vertes et bleues.
Dernier élément du rapport de présentation, l’évaluation environnementale doit permettre d’apprécier
les incidences environnementales du projet sur le territoire. Cette obligation formelle introduite par la Directive 2001/42 de la Communauté européenne répond à
l’objectif d’éviter ou de limiter tout préjudice à l’environnement par une appréciation en amont des effets
du projet sur l’environnement. Dans le cas des SCoT,
qui définissent davantage un projet de territoire qu’un
projet d’aménagement au sens opérationnel du terme,
l’évaluation relève le plus souvent d’une rhétorique
environnementale; en effet, les auteurs du document
s’évertuent le plus souvent à démontrer que les
mesures prises sont de nature à limiter les effets sur
l’environnement et minimiser ainsi la nécessité de mise
en œuvre effective d’outils d’évaluation des effets réels
du projet sur l’environnement. Ce constat met en
exergue la difficulté de définir le cadre de cette appréciation oscillant entre évaluation et étude d’impact.
Expression politique du projet souhaité par les élus
du territoire, le Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) constitue le document central
du SCoT en ce sens qu’il doit témoigner d’un engagement formel pour la mise en œuvre du projet défini.
Force est de constater que la plupart des documents
étudiés couvrent un champ d’intentions large mais restent peu ambitieux et relativement évanescents sur les
objectifs à atteindre et les moyens d’y parvenir. On peut
en ce sens regretter que les échanges parlementaires
lors de l’écriture de la loi SRU aient écarté l’idée d’un
PADD opposable qui aurait donné une vraie force politique à ce document et une obligation d’engagement
des élus auteurs et porteurs du SCoT. Des objectifs plus
précis et surtout plus explicites donneraient à ce document un réel caractère d’engagement opérationnel.
Dans le même ordre d’idée, le Document d’Orientations Générales (DOG.), devenu Document d’Orientation et d’Objectifs (DOO) avec la loi Grenelle 2 de 2010,
constitue la traduction technique et réglementaire du
projet exprimé dans le PADD Il doit permettre en parti-
35
culier de traduire les orientations du SCoT dans les
documents d’urbanisme aval, et plus particulièrement
depuis la loi ALUR de 2014 dans les plans locaux d’urbanisme intercommunaux. Portant une analyse plus
lointaine sur l’évolution des SDAU aux SCoT, il apparaît
clairement que le contenu de ce document à portée
réglementaire a glissé d’un motif urbain à un motif
environnemental beaucoup plus large comme en
témoigne la multiplicité des thèmes abordés: consommation foncière, agriculture, paysage, biodiversité, eau,
déchets, énergie, changement climatique… Si la majorité des SCoT abordent effectivement l’exhaustivité de
ces thèmes, le plus souvent dans un objectif de pédagogie environnementale, il faut cependant souligner la
faiblesse des mesures prescriptives qui confèrent au
document une réelle portée opérationnelle, le registre
étant le plus souvent celui de la recommandation ou de
l’incitation et peu de l’obligation.
Si la loi Grenelle 2 de 2010 a renforcé l’obligation
d’objectifs à atteindre, en particulier en matière de
limitation de la consommation foncière, considérée
comme le premier levier environnemental, cette exigence est confrontée à des difficultés opérationnelles
liées notamment à des problématiques méthodologiques: modalités et fiabilité de la définition d’états
« 0 », des outils et méthodes de suivi, des bases de
comparaison…
Enfin, et en ce qui concerne la transposition des
orientations du DOO vers les documents d’urbanisme
locaux, la plus grande interrogation porte sur la grande
subsidiarité qui est laissée aux Plans Locaux d’Urbanisme Intercommunaux dans bon nombre de
domaines et qui peut porter atteinte au caractère exécutoire du SCoT. Ce principal point de faiblesse des
SCoT ressort très largement de l’analyse des avis de
l’autorité environnementale et des services de l’État
transmis aux cours de ces dernières années aux syndicats mixtes en charge de l’élaboration des SCoT tant au
niveau départemental que national sur la base des avis
mis en ligne par les différentes directions régionales de
l’environnement. Si le premier point de fragilité qui est
principalement mis en avant concerne l’insuffisance de
mesures prescriptives sur la question de la limitation
de la consommation foncière, les autres thématiques
ne sont pas épargnées: faiblesse des mesures prescriptives en ce qui concerne les objectifs de densité et
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l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale.
echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire
de mixité résidentielle, la préservation des espaces
agricoles, la définition et la mise en œuvre de la trame
verte et bleue, la préservation de la ressource en eau…
Enfin, en ce qui concerne le niveau d’investissement des SCoT sur les cinq grandes thématiques analysées dans cette recherche, il faut souligner la primauté donnée à la lutte contre la consommation
foncière, enjeu majeur et premier levier environnemental mis en avant par la loi Grenelle 2 de 2010 et
confortée par la loi ALUR de 2014. Le corollaire en
matière de préservation des espaces agricoles est
sous-jacent à ce premier objectif mais reste limité en
matière de mobilisation d’outils réglementaires ou de
mesures prescriptives. La biodiversité constitue le
deuxième sujet d’actualité, supplantant la question du
paysage pourtant présente de longue date dans les
documents de planification urbaine. L’obligation de
« remise en bon état des continuités écologiques »
confère désormais un rôle opérationnel aux documents d’urbanisme en matière d’écologie; la définition et la mise en œuvre de trames vertes et bleues
doivent traduire concrètement cet objectif et expliquent la nouvelle consistance des SCoT dans ce
domaine. Si l’eau et le paysage restent des sujets
récurrents, le contenu de ces Schémas dans ces
domaines demeure le plus souvent succinct et peu
opérationnel compte tenu sans doute d’une difficulté
d’articulation des échelles d’actions entre celle des territoires de SCoT et celles des projets et actions en
matière de paysage et de préservation de la ressource
en eau. Enfin, le changement climatique constitue le
sujet émergeant de ces documents. Enjeu du
XXIe siècle, cette question du changement climatique
est le plus souvent abordée à travers celle de la limitation des émissions de gaz à effet de serre et des
mesures d’économie d’énergie, principalement ciblées
sur les domaines de la construction et des déplacements. Pour autant, les mesures prescriptives sur cette
problématique restent balbutiantes et dans un registre
d’intentions vertueuses sans objectifs tangibles malgré
les tentatives parfois engagées dans ce domaine par la
mise en œuvre de plans climat-énergie territoriaux.
Plus encore, si la problématique du changement climatique est évoquée dans la majorité des schémas
étudiés dans cette recherche, aucun n’a pour autant
Résumés de travaux
abordé la question de l’adaptation du territoire à ce
changement, défaut significatif pour des documents
qui ont vocation à définir un projet de territoire
durable pour demain.
conclusion
Avec les lois SRU et Grenelle 2, les SCoT ont l’obligation de définir le cadre territorial et les conditions
d’organisation de ce territoire à partir desquels doivent être pris en compte des enjeux environnementaux. Dans ce sens, ces documents se voient assignés
un rôle à la fois prescriptif et opérationnel mais pour
lequel plusieurs limites se dessinent. Tout d’abord, les
SCoT se voient confrontés à un « champ » environnemental considérablement élargi (changement climatique, biodiversité, paysages, eau, ressources naturelles, risques…); son obligation d’articulation avec les
plans et programmes traitant de ces différents sujets
confère au document un caractère global et dynamique qui peut trouver sa limite dans le risque d’une
écriture encyclopédique, sectorielle et strictement factuelle. Ensuite, la portée du document dans sa dimension plus ou moins prescriptive peut être également
un frein dans l’application opérationnelle des mesures
ou intentions affichées dans le SCoT. Ce point soulève
plus largement la question de la portée réglementaire
du Document d’Orientations et d’Objectifs (DOO) mais
aussi de la portée politique du Projet d’Aménagement
et de Développement Durable (PADD), document d’intention politique mais dont le caractère non opposable
vient largement émousser le poids de l’engagement
des élus. C’est également la question posée sur la pertinence des conclusions de l’évaluation environnementale, document obligatoire qui a conduit dans une
réponse normative à dissocier la partie environnementale du diagnostic territorial.
Les méthodes proposées, les indicateurs définis et
l’insuffisance de données d’état des lieux dans certains
domaines (biodiversité, changement climatique) rendent l’exercice délicat et peuvent interroger sur la fiabilité des conclusions. Enfin, le contexte des acteurs
avec lesquels s’élabore le SCoT peut être un facteur
complémentaire d’efficacité du document, supposant
que le triptyque élus - bureaux d’études - citoyens
l’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale.
echelle nationale et locale : le cas du maine-et-loire
accède au même niveau de compréhension et d’appropriation des enjeux et dispose, pour chacun, des
moyens d’agir.
Si cette réflexion s’inscrit pleinement et formellement dans une problématique de recherche universitaire en ce qui concerne plus largement les questions
d’aménagement du territoire et plus spécifiquement la
place et la portée des documents d’urbanisme de planification dans ce domaine, il constitue également un
acte de prise de recul et d’interrogation sur une pratique professionnelle quotidienne d’accompagnement
des collectivités locales dans leur démarche d’élaboration de leurs documents de planification. Au-delà des
conclusions ou orientations qui pourraient continuer à
alimenter une réflexion universitaire sur ces sujets, il
doit être également compris comme une tentative de
démarche de progrès immédiatement mobilisable
dans une action quotidienne de pédagogie et de
conseil auprès des élus confrontés à des enjeux
majeurs, en situation d’urgence face à des bouleversements institutionnels, sociaux, économiques et environnementaux globaux. Les SCoT font partie des outils
à leur disposition pour répondre à ces enjeux, sous
réserve de la juste utilisation qu’ils en feront; leur efficacité environnementale ne dépendrait-elle pas finalement de leur seule conviction et volonté?
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Résumés de travaux
la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
41
rose-marie grenouillet
umr
L
a ressource territoriale (Gumuchian, et al.,
2007), encore peu utilisée dans l’analyse géographique, permet de constater l’importance
de la mobilisation des ressources locales par les
acteurs d’un territoire, dans la constitution d’un projet
de développement. Son processus d’élaboration s’appuie en effet sur un panier de richesses1 dont certaines
sont valorisées par la patrimonialisation, dans un
contexte particulier de développement. Complétée
d’une organisation spécifique des acteurs, elle constitue un élément favorisant l’intégration du développement durable dans les projets locaux. Ce processus
constitutif est alors assez souple pour permettre une
adaptation dans le temps, même s’il reste dépendant
de la volonté des acteurs locaux. Le contexte
bigourdan a permis de tester les outils développés
pour cette thèse, notamment un diagnostic territorial
basé sur l’analyse de la vulnérabilité au changement
climatique et l’identification de la ressource territoriale, ainsi que l’adaptation de l’analyse du cycle de vie
d’un produit, au projet de territoire. Le texte présent
est axé sur les aspects de la patrimonialisation au cœur
du développement durable des projets territoriaux.
De notre point de vue, le caractère durable des
projets de développement local est notamment donné
par la globalité dans leur approche (Da Cunha, 2005) et
leur adaptabilité, c’est-à-dire leur capacité à évoluer
face à de nouvelles situations. Nous partons du postulat que la ressource territoriale favorise l’intégration
de ces éléments de durabilité, particulièrement par
son processus de constitution. Cette réflexion s’appuie
sur une étude dans les Hautes-Pyrénées, concernant
un territoire de plaine, le canton d’Ossun et un de
montagne, le Val d’Azun (fig. 1)2.
1- L’expression « panier de richesses » est utilisée ici en référence « au panier de biens et de services » de Mollard et Pecqueur (2007).
2- Plus largement, ces réflexions et résultats d’enquêtes sont
extraits du document de thèse présenté pour le doctorat de géographie (https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01138867).
eso caen - cnrs
6590 - université de caen
Nous avons travaillé sur les projets de développement (fig. 2) qui paraissent marquants lorsque nous
observons ces territoires intercommunaux qui semblent être une échelle d’organisation à la fois proche
des acteurs, de leur espace de vie, et pouvant structurer des projets (et de plus en plus avec notamment
la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République).
Nous avons identifié parmi ces projets ceux qui
s’appuient sur des objets patrimoniaux forts, à l’aide
de la présence ou non sur le territoire de neuf critères:
• d’un savoir-faire singulier, d’une filière de formation qui le caractériserait;
• d’une filière économique installée depuis longtemps;
• de la reconnaissance d’une « identité » particulière;
• de ressources naturelles remarquables;
• de la transformation sur place de ressources;
• d’une organisation territoriale adaptée, d’équipements structurants;
• d’objets mis en valeur sur ce territoire, à quoi la
notion de patrimoine y est-elle reliée?;
• de conflits autour d’une ressource ou d’un patrimoine;
• de financements spécifiques.
À partir de ces critères, les projets pastoraux et
touristiques se sont révélés les « plus patrimoniaux »
pour le Val d’Azun, ainsi que l’agriculture (hors maïsiculture) et l’aéronautique en plaine. À travers ces projets, nous regardons comment l’intégration de critères
de durabilité est facilitée, ou non, par le processus de
ressource territoriale (fig. 3). Son procédé de constitution part d’un territoire (un lieu) où des stratégies d’acteurs mobilisent certaines richesses (issues de ressources matérielles ou idéelles) qui en font un
patrimoine spécifique et caractérisant. Cette nouvelle
richesse constitue une ressource particulière, mobilisable pour le développement de son territoire d’ancrage, et devenant elle-même un élément constitutif
de ce territoire. Il s’agit ainsi d’un processus en boucle.
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
Figure 1 : Les terrains d’étude du Canton d’Ossun et du Val d’Azun (Hautes-Pyrénées)
Hautes-Pyrénées
CCCO
CCVA
Canton d’Ossun
Tarbes
Périmètre de Communauté de communes
Périmètre CC au 01/01/2014
Axes structurants
Zone urbaine
Village
Zone aéroportuaire
Plaine agricole
Forêt
Haute montagne
Estive
Val d’Azun
Argelès-Gazost
0
10km
Communauté de Communes du Canton d'Ossun (CCCO)
Figure 2 : Projets structurants les territoires d’études
Territoire Canton d’Ossun /
plaine
Val d’Azun /
montagne
Projet 1
Développement
d’une agriculture
hors maïs
(transformation
produits de la
ferme)
Projet pastoral
/ agricole
Projet 2
Projet aéronautique
autour de la ZAC
Aéropole
Projet
touristique
Projet 3
L’artisanat :
présence importante
sur le territoire
Projet
industriel :
passé minier +
production
d’hydroélectricité
Projet 4
La sylviculture, pour ces 2 territoires
boisés (couverture forêt : 10 et 20%
pour Azun)
Résumés de travaux
0
3 km
Communauté de communes de la Vallée d'Azun (CCVA)
Trois hypothèsessont émises:
La ressource territoriale permet une gestion efficiente des ressources locales; elle est un pilier du développement local et de son organisation et, par sa spécialisation, elle ne permet pas au territoire d’être
adaptable.
Pour vérifier la première hypothèse, nous nous fondons sur une analyse des représentations des décideurs
locaux vis-à-vis des ressources naturelles. Concernant la
deuxième hypothèse, nous regardons l’organisation de
ces acteurs. Enfin, l’exemple des projets de développement permet de voir si ces territoires constitués sur une
ressource territoriale ne sont pas trop spécifiques, ce qui
serait un frein à une évolution face à des événements liés
au changement climatique. Ainsi, nous allons discuter des
liens entre les éléments de développement durable et la
patrimonialisation de la ressource à travers trois exemples: l’organisation des acteurs, le besoin d’adaptabilité
des projets et le respect des ressources locales.
la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
43
Figure 3 : Schéma simplifié de la constitution de la ressource territoriale
i- la Patrimonialisation Des ressources, un vecteur
De DuraBilité ?
Une phase importante de la constitution de la ressource territoriale est l’étape de la patrimonialisation.
Elle implique une bonne connaissance des ressources
locales ainsi que leur appropriation par les acteurs territoriaux. Les richesses locales y sont valorisées et
cette mise en avant s’appuie sut le respect de ces ressources et donc, sur une bonne gestion de celles-ci.
Cet attachement aux ressources patrimoniales les
inscrit dans un désir de préservation, permettant ainsi
la continuité des projets qu’elles soutiennent. Cette
démarche se situe donc dans la durabilité. Nous vérifions cette hypothèse en interrogeant la perception
des acteurs locaux.
1. les ressources valorisées par les acteurs locaux
Lorsque nous abordons la question des ressources
du territoire avec les acteurs locaux, nous avons des
réponses spontanément axées sur différents types de
ressources (économiques, naturelles, voire financières), qui sont parfois mis en relation avec un projet
de territoire (un marché potentiel, une filière à
explorer). Les termes de ressource patrimoniale ne
sont pas cités mais sous-jacents aux discours des
responsables locaux. Pour eux, ces éléments sont principalement d’origine naturelle. Ainsi, les ressources
forestières sont mentionnées dans la plupart des cas
et sont mises en relations par les acteurs avec:
- un développement économique possible: « il y a
des choses à faire, il faut peut-être exploiter », « elle
pourrait largement être optimisée », « la ressource
n’est pas exploitée mais ça demanderait une étude de
l’ONF »;
- un développement existant « des forêts dont une
hêtraie exploitée de temps en temps »,
ou un développement inopportun « c’est une ressource qu’on n’exploite pas, mais ces exploitations
n’ont plus de valeur maintenant à cause de l’Europe et
de la mondialisation », ou « le marché pas favorable,
plus de ressource financière issue de la forêt, elle est
replantée pour l’avenir mais ça a un coût », ou « on
peut mieux faire mais la collectivité (commune et
intercommunalité) n’a pas les moyens (compétence,
législation) ». (« extraits d’entretiens »3)
La sylviculture apparaît le plus dans le discours des
acteurs locaux mais ne paraît pas être une ressource
naturelle pouvant servir un projet pour les deux terrains d’étude. L’agriculture est également citée
comme projet de développement territorial mais mise
en relation avec ses impacts, « pas trop d’élevage par
rapport à la capacité du territoire » (extrait d’entretien). Elle n’est pas valorisée comme un projet sauf
pour un élu qui indique que la filière de transformation
des produits agricoles pourrait être beaucoup plus
développée. En revanche, le pastoralisme est présenté
à plusieurs reprises pour son enjeu touristique.
D’une manière générale, même si ce n’est pas en
3- Ces citations sont extraites d’une enquête de terrain menée
dans le cadre de la thèse de doctorat, concernant une vingtaine
d’entretiens auprès d’élus communaux et communautaires des
deux terrains d’étude et de spécialistes locaux (directeurs de collectivités, experts pastoraux et environnementaux).
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
Figure 4 : Paysages du Val d’Azun et de la plaine d’Ossun
termes de ressource patrimoniale, l’idée est exprimée
par les acteurs locaux: il est question d’un développement économique basé sur l’agriculture et le tourisme,
deux éléments présents depuis longtemps sur le territoire montagnard, et d’une filière potentielle avec l’exploitation forestière. Seule l’activité aéronautique
n’est pas du tout abordée en termes de ressource
locale. Ceci n’est pas signe d’un manque de valorisation patrimoniale de cette activité par les responsables
locaux, mais peut-être qu’elle n’est pas envisagée
comme une ressource locale à gérer, devant l’absence
de lien entre cette filière économique et une ressource
naturelle. En effet, l’agriculture est liée à l’usage des
sols et de l’eau, le tourisme s’appuie en partie sur la
valorisation des paysages et la forêt est un habitat
naturel (fig. 4). Il semble donc que pour les gestionnaires des espaces ruraux étudiés, la notion de ressource territoriale est exclusivement liée aux ressources naturelles.
2. une patrimonialisation axée sur les ressources territoriales
La perception des acteurs de terrain révèle un attachement aux ressources naturelles quand on les interroge sur ce qu’ils entendent par ressources locales. Le
patrimoine forestier est le plus cité alors que c’est le
Résumés de travaux
moins valorisé en termes de projet de développement
territorial. Faut-il en conclure que la connaissance des
ressources liée au processus de patrimonialisation ne
suffit pas à les valoriser au point de les inscrire dans un
projet de développement? Nous pensons que oui, ce
type de projet n’étant pas privilégié par le jeu d’acteurs actuellement. Sans être intégré au processus de
constitution de la ressource territoriale, ce patrimoine
est-il pour autant mal géré? La plupart de ces zones
forestières sont suivies par l’Office national des forêts.
C’est un choix de gestion qui favorise une bonne
connaissance de la ressource et son utilisation de
manière concertée avec la collectivité. Ainsi, sans valorisation économique, la ressource peut être suivie par
les acteurs locaux qui sont conscients de leurs patrimoines valorisables.
Le retour des acteurs nous apprend également qu’ils
ne font pas de différences entre ressources perçues,
celles qui marquent le paysage, l’histoire du territoire, et
ressources utilisées, qui sont mobilisées dans les projets
de développement. Les ressources perçues se retrouvent ainsi uniquement sous l’angle des ressources
naturelles pour les décideurs interrogés, qui les considèrent également comme des ressources utilisées pour
leur usage esthétique et de lieux de loisirs. Ces res-
la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
sources servent également les projets économiques,
basés sur la valorisation d’un patrimoine culturel tel que
le pastoralisme et ses traditions, que ce soit sous l’angle
agricole ou touristique. La culture montagnarde est un
patrimoine très présent et mis en avant par les élus valléens. Cette relative conscience des patrimoines régionaux implique pour nous un certain respect des ressources qui les constituent. La préservation du Val
d’Azun et d’une station de ski alpin l’illustrent. Aujourd’hui très conscients de la valeur de leurs paysages et de
l’image de vallée préservée, les décideurs locaux sont
très heureux de cette situation et appuient leur développement touristique sur cet atout. C’est le point de
départ d’une bonne gestion. Le respect des ressources
passe ainsi par leur valorisation sociale, première étape
dans une gestion durable de leur qualité et des stocks.
ii- les réseauX D’acteurs Dans le Processus De Patrimonialisation : quel aPPort Pour la DuraBilité Des
ProJets ?
Le processus de patrimonialisation de la ressource
structure les acteurs selon une organisation particulière. Dans ce sens, la deuxième hypothèse place la ressource territoriale comme pilier du développement,
en permettant aux acteurs d’être au cœur de l’organisation locale, donc d’avoir une bonne connaissance
des parties prenantes. Cette structuration représente
un élément clé dans une approche globale des projets
de territoire. En faisant le parallèle entre l’organisation
liée à la constitution de la ressource territoriale et les
éléments d’une approche globale, nous essayons de
voir les qualités du processus de patrimonialisation, en
tant que facilitateur de l’intégration du développement durable.
Le principal apport de la conception du développement durable selon trois piliers est la constitution des
projets territoriaux selon une approche globale. Cette
vision des projets autorise la prise en compte à la fois
de différents éléments constitutifs du projet, dont les
acteurs et leurs attentes, avec les conséquences de
leurs actes et objectifs. Les éléments extérieurs sont à
prendre en compte comme les conséquences d’un
projet sur les autres, sur le patrimoine, ainsi que sur les
ressources exogènes.
45
Dans le cadre du développement local, on peut se
demander si la notion de filière ne traduit pas l’intégration de ce critère de durabilité. La filière des produits agricoles des terrains d’étude peut nous le montrer.
la filière, une approche globale ?
La filière est vue comme une organisation des
acteurs sur une thématique, par la mobilisation d’un
type de ressources, dans un objectif de développement local. Elle devient structurante pour le territoire,
confrontant notamment différents réseaux d’acteurs.
Un projet qui s’appuie sur une ressource territoriale est lié de fait aux savoir-faire locaux qui mobilisent une valeur patrimoniale. Ce développement basé
sur les richesses locales permet d’élaborer une ressource qui recueille l’adhésion de la société régionale.
C’est particulièrement le cas dans le domaine agroalimentaire pour lequel la ressource locale constitue un
gage de sûreté. Elle est signe d’une identité territoriale
des produits, de savoir-faire locaux, doublés d’une
organisation socio-économique. Dans le cas de l’organisation induite au processus de ressource territoriale,
le rôle des réseaux d’acteurs est essentiel. Le schéma
(fig. 5), illustrant le cas du Val d’Azun, permet de les
faire ressortir comme un élément déclencheur de l’organisation de la filière. Cette confrontation lors du processus de patrimonialisation, offre en théorie une
vision globale du projet, notamment par les discussions et les enjeux de pouvoir au sein des acteurs
concernés.
Nous voyons notamment l’importance des réseaux
d’acteurs dans la constitution des richesses en patrimoine, puis des patrimoines en ressource. Cette patrimonialisation ne se fait pas sans un certain jeu de pouvoir entre les acteurs locaux. Différents liens unissent
ainsi les agriculteurs aux autres acteurs de ces sites de
montagne. Ils sont également en relation avec les
garants de la biodiversité sur ce territoire qui a la particularité d’inclure deux sites Natura 2000 et une
partie de la zone cœur du Parc national des Pyrénées.
Ces deux entités peuvent à la fois apporter des aides
financières (équipements pastoraux, études), des
conseils (en lien avec la biodiversité et la qualité des
pelouses) et la valorisation des patrimoines locaux
(concours annuels des prairies fleuries du Parc
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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46
la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
Figure 5 : Schéma de la constitution de la ressource territoriale agricole en Val d’Azun
Base
Panier de richesses
Transformation
Patrimonialisation
Projet de
développement
Résultat
Ressource territoriale
Jeux d’acteurs
Valorisation, organisation ...
ü
ü
ü
ü
ü
ü
Culture
m ontagnarde
Es tives
Savoi r - fai re , viande
et from age
Res s ourc es
naturelles
Pays ages
Equipem ents lois i rs
et touris tiques
POLITIQUES
• Elus locaux
• Conseils
communaux et
intercommunaux
ADMINISTRATIONS
• DDT
• Préfecture…
ü
ü
Pas toral is m e
Marque
from agère
ü
Im age de Vallée
fam iliale
AGRICULTEURS
• Organisations
• Locaux
• Extérieurs
CONSEILS, EXPERTS
• Service pastoral (GIPCRPGE)
• Botanistes…
• Agences du tourisme
national, communications de Natura 2000). En retour,
les éleveurs, avec leurs troupeaux, participent au
maintien de la biodiversité et des paysages, par l’utilisation des estives. Ce tableau idyllique a mis du temps
à s’imposer, les acteurs locaux refusant dans un premier temps les contraintes imposées par le Parc
national des Pyrénées. L’intégration des périmètres
Natura 2000 a été vécue de la même façon, même si
dans les faits aucune contrainte juridique n’est attachée à ces zonages. Les outils financiers permettent
alors de motiver certains gestionnaires d’estive pour
obtenir leur participation. En effet, si dans un premier
temps une opposition « de forme » s’est établie face
Résumés de travaux
ü
ü
Agric ul ture
de m ontagne
Tou ris m e de
m ontagne
ACTEURS DE L’OFFRE
TOURISTIQUE
• Equipements
touristiques
• Offre hôtelière…
ACTEURS ECONOMIQUES
• Financeurs
• Clients / Touristes
ü
ü
Filière agric ultu re
rurale
Filière touris m e
fam ili ale
GARANTS DE LA
BIODIVERSITE
• Natura 2000
• PNP
A CTEURS DES LOISIRS
• Chasse
• Pêche
• Randonnée….
aux projets Natura 2000, les éleveurs et leurs représentants ont su profiter de ces opportunités. De plus,
les comités de pilotage des sites Natura sont des
instances permettant la rencontre régulière des
acteurs locaux qui peuvent échanger sur leur position,
voire créer de nouveaux projets ensemble. Cette organisation particulière permet de croiser différentes
approches de la montagne.
Les agriculteurs organisent également leurs débouchés économiques que ce soit par un investissement
dans l’accueil touristique, avec une pluralité d’activités
de la ferme (gîte, découverte), ou en organisant leur
la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
propre filière. Certains ont en effet créé une marque
fromagère, autour de la promotion et la vente des fromages des producteurs membres. Les agriculteurs
s’organisent également entre eux dans d’autres
domaines. Le système des coopératives est assez utilisé généralement au niveau des Hautes-Pyrénées, et
pas seulement pour les productions, le partage de
matériels agricoles par exemple fait l’objet des Coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA). Ces
confrontations locales aboutissent dans cet exemple à
des partenariats entre acteurs: une certaine solidarité
en vue de la promotion de leur territoire.
Les agriculteurs se structurent également en plaine
d’Ossun (hors maïsiculture) avec le « redéveloppement » de filières courtes (vente directe à la ferme,
marchés locaux). Ils s’appuient aussi sur le partenariat
avec la grande distribution, par le placement des produits transformés dans les hypermarchés voisins sous
l’étiquette « produits locaux » ou « alliance locale ».
Enfin, de nouvelles possibilités de débouchés existent
avec les points de vente fermiers, même s’ils sont
situés en périphérie au territoire d’étude.
Ces structures particulières sont nées récemment
dans les Hautes-Pyrénées et prônent les filières
courtes, du producteur au consommateur. Pour « la
ferme en directe », les agriculteurs s’associent pour
vendre leurs produits issus de l’agriculture raisonnée,
dans un lieu commun. L’enseigne « Le carré fermier »
est centrée sur les produits locaux et la transmission
des savoir-faire (formation d’apprentis au métier de
boucher-charcutier par exemple). Les producteurs participants sont actionnaires de l’entreprise de vente
(société par actions simplifiées). De sorte, il s’agit de
véritables filières de distribution qui sont en cours de
structuration sur la thématique des produits fermiers
locaux, que ce soit pour le territoire de plaine ou celui
de montagne. D’une manière générale, si pour ce dernier les éleveurs s’organisent de manière interne à la
Vallée, les agriculteurs de plaines semblent plus
ouverts à une organisation sur une échelle plus large.
Ils ont donc une vision différente de leur territoire.
C’est sans doute aussi par manque de choix, la clientèle touristique étant peu présente sur le canton
d’Ossun.
Cette organisation entre acteurs de l’agriculture (en
filière de promotion ou de distribution) offre des lieux
47
de rencontres, d’échanges, favorisant une approche
globale. Elle permet également des économies d’échelle et une valorisation locale des produits, ce qui est
positif en termes d’impacts puisque moins de
transportinduit moins de gaz à effet de serre.
Le processus de patrimonialisation, couplé aux
arbitrages des réseaux d’acteurs, offre ainsi en théorie
une vision globale des projets territoriaux. Les projets
se croisent, ce qui enrichit les réflexions sur le développement local. Pour le Val d’Azun, des ressources et
acteurs sont communs à la constitution des deux projets territoriaux. De nombreux liens découlent de cette
situation et créent des ponts entre les deux activités:
les agriculteurs se retrouvent au centre de ces interactions, pouvant être mobilisés par les deux ressources à
la fois. Ils sont bien entendu au cœur de l’activité agricole mais effectuent aussi une animation en terme
touristique par les visites et/ou l’accueil à la ferme, les
démonstrations de la fabrication des fromages (à la
ferme ou en estive) ou leur présence lors des marchés
locaux. Les élus tiennent alors un rôle essentiel en
termes d’équilibre entre les différentes ressources
économiques et patrimoniales de leur territoire. L’échelle du projet s’avère ainsi essentielle: assez proche
du terrain pour concerner les parties prenantes mais
assez large pour permettre une réflexion sur les évolutions du territoire.
iii- le Processus De ressource territoriale Favoriset-il l’aDaPtation Des ProJets De DéveloPPement ?
Cette dernière hypothèse défend le fait que pour
être durable, un projet de développement territorial
doit être adaptable, qu’il doit laisser à ses porteurs la
capacité de réagir face à de nouvelles situations: « l’adaptation permet la continuité du projet de développement » (Magnan, 2008). Le processus de patrimonialisation permet-il cela ? Nous allons voir que
l’organisation des acteurs autour du processus de
constitution de la ressource territoriale est adaptable,
en permettant notamment d’intégrer des évolutions
dans les projets à travers l’exemple de l’adaptation au
changement climatique et la question de la spécialisation.
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
l’adaptation des terrains d’étude au changement climatique
Le diagnostic de vulnérabilité des terrains d’étude
et l’enquête auprès des élus locaux ont montré que
l’appropriation de l’enjeu climatique est encore peu
présente sur ces territoires. Ainsi, l’exemple de l’adaptation au changement climatique, illustrant l’idée
qu’elle permet la continuité du projet de développement (Magnan, 2008), nous apprend que les territoires
étudiés ne sont pas encore dotés d’une organisation
particulière pour gérer ce problème qui n’est pas jugé
prioritaire par les élus locaux. La patrimonialisation n’a
ainsi pas d’influence particulière sur l’anticipation de la
gestion du changement climatique. Elle peut en
revanche favoriser une mobilisation plus facile le
moment venu. Nous constatons également des engagements de certains acteurs comme le Parc national
des Pyrénées qui a élaboré son Plan climat, ainsi que
les interrogations d’autres périmètres naturalistes
comme les réserves et les sites Natura 2000 (lien entre
changement climatique et biodiversité).
Les territoires d’étude sont pourtant souples dans
la gestion de leur projet si l’on en juge des évolutions
dans un autre domaine comme celui des inondations.
Ce sujet répond également à des prérogatives nationales touchant directement les populations et les décideurs locaux, les évolutions nécessaires en termes de
gestion des cours d’eau ou de prévention des risques
ont ainsi été apportées. Pour juger de la durabilité d’un
projet de territoire vis-à-vis de ses capacités d’adaptation, nous regardons également si la ressource territoriale doit être plutôt spécialisée ou diversifiée et à quel
niveau elle permet au territoire d’être résilient.
spécialisation ou diversification ?
La troisième hypothèse défend l’idée que le processus de patrimonialisation rend l’organisation locale
trop spécialisée pour pouvoir s’adapter et réaliser les
évolutions nécessaires qui assureraient la continuité
du projet local. En effet, nous pouvons penser que
structurer un territoire autour d’une ressource territoriale c’est le spécialiser. Cette spécialisation crée
des dépendances qui le rendent moins souple dans le
temps. Nous nous demandons ainsi de quelle manière
le territoire doit être géré, en s’appuyant sur une spécialisation que permet le développement autour
Résumés de travaux
d’une ressource territoriale, ou sur la diversité des
projets de développement qui doivent répondre aux
besoins de la société locale ? Est-ce la spécialisation
ou la diversification qui sert au mieux la durabilité
d’un territoire ?
Si nous prenons le cas d’un territoire en majorité
composé de forêts, nous pouvons nous demander
quel est le scénario le plus durable pour la population
locale. Il y a trois possibilités. Premièrement, il est possible de sanctuariser la forêt afin de garder un milieu
« naturel » sans maîtrise de la biodiversité mais dans
ce cas, la population se prive d’un potentiel économique par rapport à son exploitation. La ressource est
préservée, mais il n’y a pas de projet de développement. Deuxièmement, le choix peut être fait de spécialiser la forêt pour un usage particulier tel que celui
de la filière bois-énergie, ou celui de la construction,
mais le risque de porter atteinte à la biodiversité existe
alors. Certaines espèces peuvent être privilégiées à
d’autres pour leur qualité en construction et cela
conduit à une monoculture d’arbres peut-être nonautochtones de surcroît. De plus, dans le cadre de la
spécialisation, les acteurs locaux ne cherchent pas à
répondre à l’ensemble des besoins de leur population,
ce qui rend le territoire dépendant des autres dans de
nombreux domaines. Enfin, il est possible de diversifier
les usages en scindant la forêt en diverses parties non
immuables (qui évoluent en fonction des richesses
qu’elles offrent dans le temps) où plusieurs pratiques
pourront s’exercer telles que les loisirs, l’exploitation
pour le bois-énergie ou la construction, et des zones
protégées par exemple. Dans ce dernier cas, nous nous
situons dans un espace qui cherche à équilibrer les
activités en présence, comme peut l’offrir une « gestion intégrée » des territoires basée sur la pluriactivité
d’un espace, tout en veillant à conserver les ressources
naturelles présentes.
La diversité est donc un élément de durabilité par
rapport à la spécialisation dans un domaine économique particulier. Quid de la ressource territoriale?
Nous avons constaté que pour la constituer, les
acteurs font appel à divers patrimoines de son panier
de richesses. Sa forme de spécialisation est due aux
caractéristiques propres de son territoire et non à un
projet unique autour d’une thématique économique,
d’autant que nous avons distingué plusieurs res-
la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
sources territoriales pour les deux terrains d’études. Il
s’agit ainsi d’une spécialisation patrimoniale qui s’appuie sur assez d’éléments pour permettre au projet
d’être souple dans le temps. Le cas du projet de développement basé sur le tourisme en Val d’Azun nous le
montre. Ce projet est ancien pour le territoire. Il
repose sur la valorisation de ses savoir-faire traditionnels et son capital naturel à travers ses paysages, mais
il sait aussi être dynamique en s’adaptant à la clientèle
touristique dont les goûts et les besoins évoluent, en
adaptant l’offre des activités de loisirs par exemple, ou
en ouvrant son accessibilité à un public plus large
(projet d’interprétation « La montagne pour tous »
avec l’aménagement de la Vallée du Tech à ArrensMarsous, labellisé « Tourisme et handicap » pour les
handicaps moteur, visuel, auditif et mental).
Dans ce cas, le projet de territoire parvient à évoluer dans le temps, et c’est aussi le cas du projet agricole. Notre hypothèse sur la spécialisation se révèle
ainsi erronée et conduit à considérer le processus de
constitution de la ressource territoriale comme permettant l’adaptabilité du projet de territoire et donc sa
durabilité, au moins de ce point de vue. Nous n’avons
néanmoins traité ici que d’évolutions conjoncturelles
ou structurelles. Nous ne savons donc pas comment
réagi ce processus face à un problème traumatisant
pour le territoire, tel qu’une catastrophe naturelle.
Nous posons ainsi la question de la capacité du territoire à continuer son projet de développement en cas
de bouleversement majeur, de sa résilience. L’étape
de la patrimonialisation dans le processus de ressource
territoriale peut constituer un moyen d’améliorer la
résilience d’un projet: en identifiant de manière précise ses éléments constitutifs et ses processus d’élaboration, les responsables territoriaux ont la connaissance des leviers d’actions disponibles en cas de
perturbation d’importance. Ils savent quel élément ou
quelle phase sont atteints et peuvent ainsi trouver plus
facilement des moyens de correction. Les modifications apportées sont l’occasion de faire autrement et
par exemple, d’intégrer des éléments de durabilité
dans le processus. La crise affrontée par le territoire et
sa population permet ainsi d’accélérer ou motiver des
changements qui auraient sans doute été réalisés,
mais de manière beaucoup plus lente. Les territoires
d’études n’ont pas vraiment subi de grandes crises
49
donc il est difficile d’illustrer cette hypothèse à partir
du travail empirique. Nous pouvons néanmoins
aborder le cas des inondations qui y sont fréquentes.
Ces aléas climatiques peuvent être à l’origine de modifications dans la façon d’aménager les cours d’eau et
leurs abords, ainsi que dans la prise en compte des
zones inondables vis-à-vis de l’urbanisation. Le niveau
de résilience dépend de la préparation des acteurs
face à ces aléas (c’est le cadre des programmes d’action de prévention des inondations (PAPI) par
exemple).
Nous pouvons ainsi en déduire que le niveau de
résilience fait l’adaptabilité du projet de territoire. Plus
les différents acteurs sont préparés et capables de
faire face à des événements perturbateurs, plus le
projet peut être adapté pour assurer la continuité du
développement territorial. C’est au niveau de l’étape
de la patrimonialisation des ressources issues du
panier de richesses que les acteurs locaux ont un rôle
majeur. C’est à cette phase que les choix de valorisation de ressources peuvent se réaliser dans un objectif
de durabilité: privilégier des ressources renouvelables
et des procédés « propres » et souples dans le temps
conclusion
la valorisation de certaines richesses du territoire
et leur structuration autour d’un projet de développement déterminé relèvent d’un processus qui peut être
long, mais ces différentes étapes peuvent subir des
évolutions. Le système reste donc souple mais dépendant des acteurs responsables. Cette implication, qui
pourrait apparaître comme un défaut dans la construction des projets territoriaux, est pour nous un
levier majeur du développement durable local. En
effet, le processus étant dépendant des acteurs et de
leur volonté, c’est à ce niveau qu’il semble judicieux
d’apporter des corrections au système pour qu’il
devienne plus durable, dans le sens du respect des
hommes et de leur environnement.
D’une façon générale, la patrimonialisation représente un facteur-clé dans le développement durable
des territoires. Elle structure l’action collective qui
mobilise les différentes richesses locales. Cependant,
restant dépendante de la volonté des acteurs, elle
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
Figure 6 : Intégration des éléments de durabilité au processus de ressource territoriale
du Val d’Azun
Base
Transformation
Panier de richesses
Patrimonialisation
Connaissance des ressources :
bonne gestion / respect
Projet de
développement
Résultat
Ressource territoriale
Jeux d’acteurs
Approche par filière
permet d’agir d’un bout à
l’autre de la chaîne
Valorisation, organisation ...
ü
ü
ü
ü
ü
ü
Culture
m ontagnarde
Es tives
Savoi r - faire , viande
et from age
Res s ourc es
naturelles
Pays ages
Equipem ents lois i rs
et touris tiques
POLITIQUES
• Elus locaux
• Conseils
communaux et
intercommunaux
ü
ü
ü
Pas torali s m e
Marque
from agère
Im age de Vallée
fam ili ale
Choix de ressources
renouvelables
AGRICULTEURS
• Organisations
• Locaux
• Extérieurs
Sensibilisation des
acteurs, notamment
décideurs locaux
ADMINISTRATIONS
• DDT
• Préfecture…
CONSEILS, EXPERTS
• Service pastoral (GIPCRPGE)
• Botanistes…
• Agences du tourisme
n’est pas suffisante à elle seule pour permettre une
mise en œuvre du développement durable efficace sur
un territoire. D’autres éléments extérieurs (réglementation, conseil…) sont nécessaires afin d’influencer ces
acteurs vers l’intégration de la durabilité dans leur
projet de développement le cas échéant. Le processus
de patrimonialisation est alors assez souple pour intégrer les éléments de durabilité (fig. 6).
Cet exemple nous montre à quels endroits le processus est adaptable et ainsi où peuvent être intégrés
Résumés de travaux
ü
ü
Agric ul ture
de m ontagne
Tou ris m e de
m ontagne
ü
ü
Filière agric ultu re
rurale
Filière touris m e
fam iliale
Choix d’une gestion
éco-responsable
Prise en compte des
impacts endo et
exogènes
ACTEURS DE L’OFFRE
TOURISTIQUE
• Equipements
touristiques
• Offre hôtelière…
ACTEURS ECONOMIQUES
• Financeurs
• Clients / Touristes
GARANTS DE LA
BIODIVERSITE
• Natura 2000
• PNP
Mobilisation de
multiples acteurs :
assure une
approche globale
facilitée
A CTEURS DES LOISIRS
• Chasse
• Pêche
• Randonnée….
Déjà une organisation
en place : demande que
quelques adaptations
vers une logique de
durabilité
les critères de durabilité. Ce caractère adaptable du
processus de patrimonialisation, et plus largement
celui de constitution de la ressource territoriale, représentent sa qualité principale dans un objectif de durabilité. L’adaptabilité et la globalité sont ainsi deux critères complémentaires et nécessaires à un projet de
développement durable. Il semble bien que, quel que
soit le projet de développement, la ressource territoriale permet, par son processus constitutif, d’adapter
les objectifs et les méthodes à des procédés plus dura-
la ressource territoriale comme facteur clé du développement durable local
bles, tout se détermine au niveau du jeu d’acteurs. Il
n’y a que la volonté des principaux décideurs qui peut
permettre l’intégration du caractère de durabilité dans
les projets de développement locaux.
BiBlioGraPHie
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2010, Patrimoines, héritages et développement
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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position de recherche
position de recherche
position de recherche
position de recherche
position de recherche
position de recherche
position de recherche
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une approche comparée des politiques régionales d’innovation.
les cas de la bretagne et du sør-Trøndelag (norvège)
55
elena dantec-gernigon
umr
introDuction : une aPProcHe comParative De DeuX
esPaces inFranationauX
N
otre thèse de géographie-aménagement
de l’espace, provisoirement intitulée
« Innovation et développement territorial:
quelles politiques régionales? Approche comparée
Bretagne et Sør-Trøndelag (Norvège) » et réalisée sous
la direction de Gerhard Krauss (sociologie) et Guy Baudelle (géographie-aménagement), est financée par le
Conseil régional de Bretagne par un dispositif d’Allocation de Recherche doctorale. Cette recherche vise à
éclairer le rôle de la Région en matière de politiques
publiques liées à l’innovation dans le cadre des actions
en faveur du développement territorial. Dans cette
perspective, l’innovation sera appréhendée en tant
que processus, au sens des économistes évolutionnistes (Winter, 1987, cité par Fontan et al., 2004,
pp.199-120).
La pertinence de l’échelon régional en matière de
politique d’innovation sera discutée en précisant la
nature des relations entre acteurs politico-administratifs, centres d’enseignement et de recherche et
milieux innovateurs. Ces interactions, qualifiées de
« triple hélice » depuis Etzkowitz et Leydesdorff
(1995), fonctionnent-elles correctement sur le plan
institutionnel et géographique? Quels outils politiques
(impulsion, soutien, coordination, etc.) sont mis en
place, ou pourraient l’être, afin de les faire évoluer?
Notre travail répondra à ces interrogations et fera des
recommandations pour renforcer le rôle de pivot des
autorités régionales.
Ce travail de recherche analysera comment les
deux régions choisies tentent de répondre au paradoxe relevé par Spilling (2010, p. 13) de l’inadéquation
entre le niveau d’activité de la recherche des pays de
1- La Norvège, non membre de l’Union Européenne, est
confrontée au même problème.
eso rennes - cnrs
6590 - université rennes 2
l’Union européenne1 et leur capacité à la traduire en
innovations, alors même que la politique publique
d’innovation est définie de relative longue date au
niveau européen (European Commission, 1997) et
évolue toujours, jusqu’au récent programme Horizon
2020. Pour ce faire, il posera la question de l’adéquation des moyens (politiques, financiers, etc.) aux fins
recherchées en terme de développement dans une
situation de périphéricité.
Cette recherche repose sur l’hypothèse que la collectivité régionale est susceptible de répondre aux
besoins institutionnels des acteurs économiques,
même si ces derniers puisent concomitamment dans
les ressources endogènes et exogènes des territoires.
L’échelon régional peut en effet jouer un rôle de pivot
dans la définition des politiques de soutien à l’innovation. Nous postulons que son intervention peut mettre
en cohérence les sous-systèmes d’innovation (fragmentés?) observables au niveau infranational.
Après avoir replacé les initiatives des deux terrains
dans le corpus lié à la région et à l’innovation (I), seront
présentés les travaux théoriques à partir desquels
nous analyserons leur portée, ainsi que la méthodologie que nous suivrons (II) pour y parvenir.
i- les autorités réGionales, Des acteurs De la triPle
Hélice De l’innovation
1. la région, un cadre pertinent pour l’analyse de l’innovation
Le politiste Romain Pasquier fait référence aux
controverses liées à l’appréhension de la région
comme délimitée ou au contraire abordée dans une
« perspective relationnelle et poreuse » (Pasquier,
2012, p. 25). Le découpage administratif n’empêche
en rien l’étude des flux entrants et sortants, créant système, dans des « espaces de gouvernance (qui) ont
contribué à affaiblir les cadres nationaux de la comparaison ou, en tout cas, à déplacer les regards des com-
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une approche comparée des politiques régionales d’innovation. les cas de la bretagne et du sør-trøndelag (norvège)
paratistes vers des unités alternatives de comparaison
longtemps ignorées sinon méprisées » (ibid., p. 33).
Cette invitation au déplacement du regard nous intéresse pour qualifier le rôle de pivot de cet échelon, et
l’évolution de son action publique.
Pour le géographe Philip Cooke (1998), la région
est un lieu d’intérêts normatifs partagés, de spécificité
économique, d’homogénéité administrative, géographique et d’allégeance politique, de niveau subcentral
par rapport à son pays hôte. Il précise:
« Comme de Vet2 (…) le soutient, c’est la capacité
institutionnelle à attirer et animer un avantage concurrentiel, souvent par la promotion de pratiques coopératives entre acteurs économiques, qui donne aux
régions une identité conceptuelle et réelle forte. »
(p. 15-16)3
En juger empiriquement nous amènera à répondre
à cette interrogation: ne vaut-il pas mieux appuyer le
développement territorial sur de multiples sous-systèmes innovants distincts plutôt que sur un seul système régional d’innovation, idéal-type considéré ici
comme difficilement accessible (pour une discussion
critique: Doloreux et Bitard, 2005)?
2. une acception large de l’innovation
L’innovation revêt de multiples aspects. Au-delà de
l’innovation sociale (Mumford, 2002, p. 253), existe
l’innovation de produit, de procédé, organisationnelle
(Steiber et Alänge, 2013, p. 137), managériale, de service (Dandurand, 2005), chacune relevée par Gaglio
(2011), pour qui « cette typologie comporte des
limites, notamment du fait de sa perméabilité » (p. 30).
Incrémentale, radicale ou disruptive, permanente4 , grande ou micro, but ou moyen, fondée sur la
Recherche et Développement (R&D) ou répondant aux
commentaires de ses utilisateurs (Flowers, 2008, p. 4),
l’innovation est intéressée par la demande et non plus
seulement par l’offre (Baudelle et al., 2011, p. 30). Elle
s’appréhende sous l’angle de l’approvisionnement
(Uyarra, 2010, p. 2) voire de sa souplesse (soft innovation, Stoneman, 2009, p. 4).
2- cf. de Vet J. M., 1993, « Globalization and local and regional
competitiveness », STI Review, 13, pp. 89-122.
3- Traduit de l’anglais par l’auteur de cet article.
4- Permanence révélée comme une nécessité par nombre d’auteurs dans leurs recherches sur l’efficacité territoriale. Par
exemple : Heidenreich et Krauss (1998), en particulier p. 215.
Position de recherche
Bien des dimensions ont donc été ajoutées à l’acception, depuis les travaux pionniers de Schumpeter
(1942) centrés sur ses aspects économiques: « les
innovations sont des produits nouveaux ou significativement améliorés, des services, procédés, formes
d’organisations ou des modèles de marketing qui sont
utilisés pour créer de la valeur et/ou des avantages
sociétaux » 5 (Conseil National de la Recherche norvégien, cité par Karlsen, 2012, p. 103).
Pour juger de l’importance de l’innovation dans le
cadre des politiques visant le développement territorial, deux régions particulières ont été choisies.
3. Deux terrains se prêtant bien à la comparaison
L’intérêt de la méthode comparative internationale est « de porter un regard décentré sur sa propre
réalité nationale, en questionnant des éléments qui
peuvent paraître évidents d’un point de vue strictement interne » (Hassenteufel, 2005, p. 113). Les deux
régions d’investigation ont été choisies en raison des
défis communs que représentent leurs caractéristiques partagées d’être des espaces maritimes et non
centraux.
Toutes deux sont membres de la Conférence des
Régions Périphériques Maritimes. Cette association
indépendante fondée en 1973 regroupe plus de 150
régions et se présente comme « la seule organisation en
Europe qui vise à réduire les distances entre le centre
économique et politique de notre Continent et ses périphéries, améliorant ainsi l’accessibilité des Régions soumises à des contraintes géographiques qui constituent
un frein à leur potentiel » (CRPM, 2015, p. 12).
Issu des mathématiques, le terme de périphérie a
intéressé la géographie et la sociologie au XXe siècle
(Kühn, 2015), dans l’étude des effets négatifs de la distance vis-à-vis d’un centre. Le rapport centre-périphérie « permet une description de l’opposition des
lieux, mais surtout propose un modèle explicatif de
cette différenciation: la périphérie est subordonnée
parce que le centre est dominant » (Grataloup, 2004).
Les régions à la marge géographiquement ne sont
cependant pas sans ressources: pour Copus (2001), les
nouvelles technologies rendent la périphéricité a-spa5- Traduit du norvégien par l’auteur de cet article.
une approche comparée des politiques régionales d’innovation. les cas de la bretagne et du sør-trøndelag (norvège)
Figure 1 : Les deux régions étudiées
Bretagne (France) et Sør-Trøndelag (Norvège)
Régions étudiées
Trondheim
(Sør-Trøndelag)
Rennes
(Bretagne)
0
500 km
tiale, permettant un développement polycentrique.
Le choix de la Bretagne et du Sør-Trøndelag a été
dicté par leurs similitudes au sein de leurs trajectoires
nationales. Une bonne connaissance de la langue norvégienne offre en outre un accès facilité aux rapports
et données primaires.
Quelques données chiffrées générales:
la France occupe le 22e rang du Global Innovation
Index (Dutta et al., 2014) sur 142, et la Norvège le 14e.
Les effectifs des chercheurs dans la population les classent respectivement à la 20e et la 5e place, les dépenses
brutes en R&D en % du PIB à la 14e et la 24e, le pourcentage des emplois dans les services à forte intensité
de connaissance à la 7e et 10e. En matière de collabo-
57
ration université-industrie, la France occupe la 31e
place et la Norvège la 13e. Bretagne et Sør-Trøndelag
ne sont pas si éloignés l’un de l’autre, exception faite
R&D (Fig. 2).
La Norvège connaît un découpage administratif en
seulement trois niveaux (État; comté; commune), ce
qui n’invalide pas la comparaison car le comté est
considéré comme une région (Edvardsen, 2004, p. 15).
Au niveau régional, la principale distinction concerne
le réseau urbain. Le Sør-Trøndelag est dominé par la
ville de Trondheim (près de 180000 habitants), l’agglomération de deuxième rang, Melhus, n’en
accueillant que 15800. Nulle ville intermédiaire, donc,
au contraire de la Bretagne, caractérisée par la bipolarité Rennes-Brest et un ensemble de villes moyennes
qui la font qualifier de polycentrique (Gaudin, 2013,
pp. 283-285).
Un trait commun aux deux régions réside dans les
objectifs ambitieux de leurs plans d’action en faveur
de l’innovation.
4. la région, un acteur de l’innovation
Dans son Plan régional pour l’innovation et la création de valeur, le comté norvégien indique qu’il souhaite devenir la région la plus créative d’Europe (SørTrøndelag Fylkeskommune, 2014, p. 8). Pour ce faire, il
adopte une démarche globale, analysée par Vareide et
Nyborg Storm sous la forme d’une pyramide d’attractivité (2012, p. 52), mêlant peuplement, entreprises,
« visites » (emplois liés au tourisme et congrès) et
développement (Fig. 3).
Pour sa part, le Conseil régional de Bretagne diffuse sa Stratégie régionale de développement économique, d’innovation et d’internationalisation via 11
Figure 2 : données comparatives Bretagne / sør-trøndelag
Superficie (Km2) Population
Nombre
Brevets Part du PIB Part des
d’inscrits
déposés national (%, dépenses
dans l’ensei- (2013)
2010)
nationales
gnement
en R&D
supérieur
(% 2012)
(2014)
Bretagne
27 208
(4,24)*
3 273 000
(4,95)
118 278
(5)
494
(2,92)
4,1
3,5
sør-trøndelag
18 848
(4,89)
351 805
(6,92)
14 290
(5,24)
205
(2,6)
3,6
16,88
*Les chiffres entre parenthèses représentent le pourcentage atteint par la région par rapport au niveau national.
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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une approche comparée des politiques régionales d’innovation. les cas de la bretagne et du sør-trøndelag (norvège)
vateurs encastrés
Porter (1990) sur les clusters, qu’il définit comme « un
groupe d’entreprises et d’institutions associées, géographiquement proches et entretenant des relations
de complémentarités entre elles » (Pecqueur, 2010
p. 293). Trop vague (Martin et Sunley, 2003), cette
définition donne cependant de l’importance aux proximités, aux échanges (Boekholt et Van der Weele,
1998, p. 50), pour un capital humain (Florida, 2002) qui
y trouverait un contexte favorable pour se rassembler.
Afin de lutter contre les effets de lock-in, ou verrou
(Grabher, 1993), les firmes ont besoin d’avoir des
contacts avec d’autres milieux, aux compétences
diversifiées (Isaksen, 1995, p. 10).
Cette plus grande souplesse relève de la description de ce qui se passe dans les milieux innovateurs
(Aydalot, 1986; Crevoisier, 2001).
Nous suivrons l’approche par ces milieux innovateurs, développée en science régionale et économie
spatiale, pour l’importance qu’elle accorde aux territoires (Baudelle et al., 2011, p. 35; Uzunidis, 2010, p. 92)
ainsi qu’aux jeux d’acteurs. Le milieu innovateur « se
caractérise par la construction d’une dynamique réticulaire dense et hétérogène qui mobilise des espaces et
des acteurs multiples dans une relation non hiérarchisée. Pour ce faire, (il) se fonde sur une organisation
systémique souple et ouverte » (Auneau, 2009, p. 267).
Réseau social informel dans une zone géographique
délimitée (Isaksen, 1995, p. 8), le milieu est aussi innovateur « lorsqu’il est capable de s’ouvrir à l’extérieur et
d’y recueillir des informations, voire des ressources
diverses » (Quévit et Van Doren, 1993, p. 52).
Nous considérerons les interactions des milieux
innovateurs de Bretagne et du Sør-Trøndelag à la
lumière des apports du néo-institutionnalisme, enrichis du concept d’encastrement territorial.
1. les effets spatiaux de l’innovation au prisme de la
théorie des milieux innovateurs
La littérature fait la part belle à la manière dont les
activités innovantes ont trouvé un ancrage sur le territoire. Elle analyse des exemples de réussites via des
configurations organisationnelles spécifiques, à l’image de la Silicon Valley (Saxenian, 1994), ou des districts industriels italiens décrits au XXe siècle, à la suite
des travaux de Marshall sur les districts anglo-saxons à
la fin du XIXe. Plus cités encore sont les travaux de
2. Des milieux appréhendés par le néo-institutionnalisme et le concept d’encastrement territorial
Qui dit néo-institutionnalisme dit institutions, définies par North (1990, p. 477), en sociologie, comme les
« règles du jeu dans une société ».
Le néo-institutionnalisme se présente au singulier,
suite aux travaux fondateurs de March et Olsen
(1984), mais n’en recouvre pas pour autant un courant
unique. Guy Peters (2005) compte jusqu’à six composantes distinctes. Toutes précisent, traditionnelle-
Figure 3 : La pyramide d’attractivité, modifiée
d’après Vareide et Nyborg Storm, op. cit., p. 52.
Peuplement
Développement
Entreprises
Visite
filières stratégiques et 7 domaines d’innovation prioritaires, réunis sous quatre axes, formant sa « Glaz économie ». Ceci en référence à cette couleur de vert,
bleu et gris mêlés (agriculture; ressources maritimes;
« matière grise » et « silver economy »). Les chiffres
disponibles issus des rapports régionaux, de la
Chambre de Commerce et d’Industrie, entre autres,
aideront à qualifier la teinte de cette économie, pour
la comparer à celle du terrain norvégien.
Les politiques d’innovation, transversales, intéressent des travaux théoriques issus de différentes disciplines (science régionale, économie spatiale, géographie économique, sociologie de l’innovation et des
réseaux). Ils serviront de socle aux grilles d’analyse
mobilisées, décrites ci-après.
ii- Des Politiques réGionales visant Des milieuX inno-
Position de recherche
une approche comparée des politiques régionales d’innovation. les cas de la bretagne et du sør-trøndelag (norvège)
ment, l’attrait pour la permanence, les routines (Jepperson, 1991, p. 149), la stabilité (Scott, 2001, p. 48).
Nombre d’auteurs néo-institutionnalistes s’intéressent
tout autant aux conflits et jeux d’acteurs faisant
« bouger les lignes », à l’image des travaux de
DiMaggio (1988) sur l’entrepreneur institutionnel, ou
encore de Fligstein et McAdam (2012) sur les champs
d’action stratégique6. Abrutyn (2014) invite à porter un
intérêt à la place occupée par les acteurs, plus ou
moins proches d’un noyau organisationnel, pour
décrire leurs modes de fonctionnement et influences.
Les dépendances les plus remarquables se situant
a priori au plus près dudit noyau, nous pouvons, pour
les analyser, orienter notre travail au prisme de l’encastrement territorial.
Le concept d’encastrement (Polanyi, 1944; Granovetter, 1985) se décline, pour Hess (2004) selon sa
nature sociétale, de réseau et territoriale. Ainsi
répond-il aux questions de « qui est encastré, dans
quoi, et de ce qu’il y a de si « spatial » à ce propos »,
posées par Pike et al. (2000) (cité dans: Hess, 2004,
p. 166). L’encastrement territorial considère les interdépendances entre acteurs (Hardy et Hollinshead,
2011, p. 1634), entre ceux-ci et leur(s) environnement(s), comme des sphères d’action mêlées. Pour
Suire (2005), il est une condition du succès de l’innovation par les liens forts qu’il suppose, selon les capacités d’absorption et de diffusion des connaissances de
chaque région (Fitjar et Rodríguez-Pose, 2011, p. 557).
Pour répondre aux questionnements de notre
recherche et prenant en compte les éléments qui précèdent, une méthodologie mixte sera appliquée.
3. une méthodologie mixte, principalement qualitative
Quantitativement, les rapports chiffrés issus des
travaux du Conseil Régional, de la Chambre de Commerce et d’Industrie, de Bretagne Développement
Innovation, seront croisés avec ceux émanant de leurs
équivalents norvégiens. Ils serviront de socle à une
comparaison opérée à l’aide d’un questionnaire pour
juger de l’intensité de l’encastrement des acteurs
innovants; les entrepreneurs seront interrogés sur
6- Pour une description de l’évolution de leur pensée, vers la plus
grande prise en compte du changement, voir Krauss, 2014.
59
leurs coopérations avec des acteurs proches et plus
distants. Ceci situera leurs stratégies entre buzz et
pipeline7. Une analyse statistique en Composantes
Principales des réponses recueillies dévoilera les
modèles sous la surface, non reliés les uns aux autres
au premier chef, et influençant le processus de décision. Une variable relative à la diversité des sources
d’information qualifiera le fonctionnement de la triple
hélice propre à chacun des terrains. Fitjar et Rodríguez-Pose (2011, p. 564) par exemple, en ont repéré
14, pertinentes pour notre analyse sur la portée des
coopérations: fournisseurs, clients, universités, etc.
Pour Busca et Toutain (2009, p. 5) « l’analyse de la
réalité sociale ne peut se satisfaire de traitements statistiques multivariés et mérite d’être complétée par
des méthodes compréhensives d’investigation sociologique ».
L’approche qualitative reviendra à analyser la
parole recueillie d’acteurs des sphères politico-administrative, de recherche et privée, lors d’entretiens
semi-directifs. Sur une quarantaine d’entretiens envisagés pour chacune des deux régions, certains sont
déjà réalisés. Leur analyse déterminera si les innovateurs se situent ou pas à la marge de la communauté
régionale et technique, s’ils sont connectés aux acteurs
institutionnels régionaux. Quelle est la nature des ressources8 qui leur sont proposées? Parviennent-ils en
retour à influencer les institutions? Les acteurs pratiquent-ils entre eux la « coopétition »9 ? Pour quels
résultats?
7- Bathelt et al., (2004). La trajectoire du buzz correspond à une
approche locale dans le processus de création des connaissances, quand la seconde, globale, cherche ailleurs une connaissance parfois manquante à assimiler.
8- « Les institutions ont (…) des effets sur les ressources des
acteurs, directement parce qu’une position institutionnelle est
une ressource en soi, et indirectement parce que ces positions
permettent d’accéder à d’autres ressources (matérielles, juridiques et temporelles en particulier) » (Hassenteufel, 2011,
p. 148).
9- Le terme allie coopération et compétition.
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une approche comparée des politiques régionales d’innovation. les cas de la bretagne et du sør-trøndelag (norvège)
conclusion
Tabariés (2005, p. 6) note que les régions aident les
entreprises de manière diverse selon les ressources
dont elles disposent, selon leur histoire aussi, créant
nombre de configurations possibles. Ce sera un point
crucial à discuter en prenant appui sur les données
agrégées des deux terrains.
L’approche par les milieux innovateurs aborde « de
manière opérationnelle les problèmes de développement régional (…) (et) fournit des indications normatives permettant d’identifier les possibilités d’amélioration de la capacité innovatrice au niveau régional »
(Massard et al., 2004, p. 6). Elle nous aidera à formuler
les recommandations en direction des autorités régionales concernées.
Celles-ci utilisent des méthodes pour rendre
compte des phénomènes innovants démontrant une
volonté politique particulière, une appétence portée à
certaines activités, certains indicateurs, plutôt qu’à
d’autres. Il sera enrichissant de transposer la méthode
norvégienne précitée (Vareide et Nyborg Storm, 2012)
à l’étude de ce qui se passe en Bretagne. L’exercice
nécessitera de se méfier des quatre chausse-trappes
relevées par Patrick Hassenteufel (2005, pp. 117-118),
en particulier de la comparaison « factice », qu’il a
nommé ailleurs Canada-dry, en ce qu’elle en est, mais
pas tout à fait.
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ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde.
l’exemple du rajasthan
63
nicolas bautès(1)
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introDuction
L
a multiplicité des enjeux que révèlent les processus de production et de valorisation du
patrimoine matériel bâti, et plus généralement l’ambivalence de la question patrimoniale en
Inde peut être mise en évidence au travers de
l’exemple du Rajasthan. Cet État indien, constitué à
partir de l’annexion d’anciens royaumes indépendants, concentre en effet nombre d’édifices architecturaux, principalement des palais appartenant à d’anciens membres de la royauté et des demeures de
caractère — désignées havelis — habitées par d’importantes familles marchandes. Ces édifices sont
aujourd’hui inscrits dans les circuits nationaux et internationaux du tourisme urbain et sont peu à peu
concernés par un processus de conservation au titre
du patrimoine.
La question patrimoniale, dans le contexte de
l’Inde contemporaine qui a connu un profond mouvement d’ouverture et de décentralisation depuis les
réformes engagées dès la fin des années 1980,
concentre une multiplicité d’enjeux à la fois d’ordre
économique et politique. Elle s’avère particulièrement
centrale dans le contexte des anciennes cités royales
du Rajasthan, où l’activité touristique patrimoniale est
désormais largement concurrentielle à l’échelle des
États fédérés et des villes qui les composent.
La valorisation des nombreux édifices patrimoniaux du Rajasthan aujourd’hui jugés remarquables est
à la fois une manière, pour les institutions publiques
touristiques et patrimoniales, de mettre en valeur un
héritage susceptible de constituer une ressource économique et d’ainsi maintenir une activité, concurrencée par les nombreuses destinations émergentes
du marché indien du tourisme. Pour les propriétaires
de ces édifices, cette valorisation constitue à la fois
1-Chercheur associé au laboratoire Favela e Cidadania, Université Fédérale de Rio de Janeiro (Brésil) et au Centre d’Etudes de
l’Inde et de l’Asie du Sud, CEIAS-EHESS, Paris.
eso caen - cnrs
6590 - université caen
une activité lucrative et un moyen de maintenir, dans
le contexte postindépendance, leur position dominante au sein d’un système social dans lequel ils ont
historiquement occupé des fonctions dirigeantes.
C’est à l’échelle locale que les processus de conservation et de valorisation patrimoniale sont le plus
éclairants sur les logiques sociales et institutionnelles à
l’œuvre. Les conflits et, du point de vue institutionnel,
les paradoxes que suscite la valorisation de ces éléments patrimoniaux, s’inscrivent tant dans des
conceptions différentes de ce qui fait patrimoine que
dans des concurrences sociales et économiques qui se
traduisent dans la lente élaboration d’une politique en
matière de conservation et de valorisation du patrimoine. L’effort d’institutionnalisation dans ce domaine
est ainsi largement traversé d’intérêts individuels ou
familiaux, selon des logiques que cet article propose
d’éclairer. C’est dans l´articulation entre dynamiques
institutionnelles locales et nationales qu´il s´agit de
positionner la présente réflexion.
La question patrimoniale en Inde invite dès lors à
une lecture politique des interactions sociales, pour
lesquelles, quel que soit le cas indien considéré, le territoire, ici défini comme un espace produit par le jeu
des acteurs sociaux, dans ses formes matérielles et
symboliques, occupe une place centrale, à la fois
comme ressource économique et comme enjeu politique, de l’échelle locale à l’échelle fédérale.
Après avoir rapidement présenté, dans une première partie, le cadre institutionnel de la conservation
et de la valorisation du patrimoine bâti en Inde, il
conviendra d’observer, dans une deuxième partie, la
manière dont la mémoire de la royauté hindoue, qui a
longtemps dominé les anciennes cités du Rajasthan,
est soumise à une stratégie visant à maintenir la domination sociale des anciens représentants royaux, au
moyen de la valorisation patrimoniale des hauts-lieux
que sont les palais et les édifices architecturaux qui
occupent une place structurante dans l’organisation
spatiale des anciennes cités. La centralité historique
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
des anciennes cités royales se trouve alors réaffirmée,
alors même qu’elles ont, comme l’ensemble des villes
indiennes, connu un profond mouvement d’expansion
de leur aire urbaine dans la période récente qui a
contribué à en transformer les dynamiques (Swerts,
Pumain et Denis, 2014).
L’article se poursuit, dans sa troisième partie, par
l’analyse de cette stratégie à l’échelle d’une cité princière du Sud-Rajasthan, Udaipur, ancienne capitale du
royaume du Mewar, où le patrimoine et sa valorisation
engagent progressivement les membres de l’ancienne
noblesse à influer sur les sphères décisionnaires du
Gouvernement central en vue de l’institutionnalisation
de la conservation d’éléments architecturaux dont ils
sont à la fois les principaux représentants et les propriétaires. Ce processus met en évidence les paradoxes d’une gestion patrimoniale partiale, car opérant
au moyen de la production d’une politique publique
patrimoniale confrontée à des propriétés et à des intérêts d’ordre privé.
i- le caDre institutionnel De la conservation et De la
valorisation Patrimoniale en inDe
De la « culture » considérée au prisme du développement
La politique gouvernementale en matière de
conservation et de valorisation du patrimoine s’inscrit,
en Inde, dans des conceptions désormais globalisées
selon lesquelles la culture est un élément central du
développement des sociétés et des territoires. Cette
appréhension de la culture, qui conduit à conserver et
à valoriser ses éléments et expressions dans toute leur
diversité, est celle vers laquelle s’orientent de plus en
plus de pays du monde, soucieux de bénéficier d’une
visibilité accrue à l’échelle globale et de tirer un bénéfice économique des formes les plus diverses de valorisation patrimoniale. L’Unesco défend lui-même l’indivisibilité du couple culture et développement,
susceptible de produire de nouvelles richesses économiques et d’atteindre à « une existence intellectuelle,
émotionnelle, morale et spirituelle satisfaisante »2.
2- www.portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-
URL_ID=1140078&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
Position de recherche
Cette vision quelque peu idéaliste ou, du moins,
ambitieuse définit désormais la norme vers laquelle tend
la politique gouvernementale de l’Union indienne en la
matière. Selon le Gouvernement indien, citant un texte
publié par l’Unesco (Ibid.), la culture est « un élément primordial du développement des ressources humaines du
pays » (Ibid.). Un extrait du chapitre 2.12 du texte de la
Commission de Planification du Département de la Culture du Gouvernement central de New Delhi résume la
manière dont la culture est appréhendée par les pouvoirs
publics. Le texte souligne à la fois l’ancienneté, la spécificité et la diversité de la culture indienne ainsi que la
nécessité de la protéger et de la valoriser à des fins autant
identitaires qu’économiques:
« La culture de l’Inde est caractérisée par un ethos
unique pluraliste qui a évolué sur plus de 5000 ans.
En même temps, il évolue constamment au travers
d’un processus d’assimilation produisant des
expressions créatives, des systèmes de valeurs et de
patterns de croyance pour la société. De nos jours,
la culture n’est pas confinée à être seulement une
urgence d’auto expression pour les individus et les
communautés, mais est aussi un moyen de fournir
des opportunités d’emploi. Avec un nombre important de personnes dépendant des externalités de ce
secteur, sa promotion (…) est nécessaire pour stimuler la croissance économique, tout en renforçant
son rôle en tant qu’expression des urgences créatives de la population ».
Cet extrait montre toute l’ambition que suscitent
auprès des planificateurs indiens la conservation et la
valorisation de l’ensemble des éléments culturels et
patrimoniaux. En cela, il ouvre la voie vers un double
mouvement: l’élaboration d’un cadre légal et institutionnel structurant une politique en matière de patrimoine d’une part; d’autre part, l’intervention de plus en
plus marquée d’entrepreneurs privés dans la sphère
publique organisée autour de la conservation et la valorisation touristiques d’ensembles patrimoniaux qui,
pour partie, ne relèvent pas du domaine public.
la lente mise en œuvre d’une politique de conservation à l’échelle de l’état central
En Inde, le processus d’identification et de conservation du patrimoine avait été initié par les colons britanniques, soucieux de procéder à un inventaire ency-
ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
clopédique de ce vaste territoire très largement
inconnu et recèlant nombre d’éléments enrichissant
les savoirs scientifiques, techniques tout autant qu’esthétiques. À partir de l’Indépendance (1947), les tout
premiers plans quinquennaux définis par le Gouvernement central nouvellement désigné se sont attachés, à
partir de 1950, à mettre en place un dispositif institutionnel spécifique, constitué d’organismes chargés de
l’identification et de la préservation d’éléments
archéologiques, anthropologiques et ethnographiques. La création de ces institutions s’est accompagnée de celle de centres d’archives nationales, de
musées et d’académies visant à sauvegarder le patrimoine culturel dans toute sa diversité, et à mettre à
disposition du public cet ensemble de savoirs.
Ce n’est qu’à partir du VIe Plan (1978-1983) que le
Gouvernement central, sous l’influence internationale
et face à la nécessité de trouver de nouvelles opportunités économiques, prend conscience des bénéfices
susceptibles d’être générés de la valorisation des biens
culturels. Au cours du VIIe Plan (1980-1985), un effort
tout particulier est effectué en vue de soutenir la production artistique et la documentation dans le
domaine de la culture. De nouvelles idées sur la
conservation sont alors révélées, insistant sur l’importance de valoriser les différences culturelles constitutives de la « nation indienne ». Une série de programmes d’encouragement à la production artistique
conduit entre autres à la création d’académies nationales de performance des arts littéraires et visuels, à
l’adoption de mesures incitatives en matière artistique
par des prix et des bourses à la création.
la valorisation patrimoniale au carrefour d’initiatives
publiques et d’intérêts privés : vers une économie culturelle touristique
Une inflexion dans la structuration d’une politique
publique patrimoniale peut être observée à partir des
années 1980. Les plans quinquennaux couvrant la
période 1980-1990 (VIIe et VIIIe), mis en œuvre dans le
contexte de restrictions budgétaires liées à une conjoncture économique difficile, invitent en effet les institutions
publiques à s’appuyer sur des collaborations inédites avec
des organismes indépendants spécialisés dans le
domaine culturel. Ils préfigurent à ce titre une politique
de conservation et de valorisation des biens culturels
65
envisagée au travers d’une participation d’un nombre
toujours plus important d’organes issus de la sphère étatique, depuis le Gouvernement central jusqu’aux municipalités (Municipal Corporations) et, progressivement,
d’entrepreneurs privés et du monde associatif.
L’établissement, dans plusieurs États, de complexes culturels multi-usages (Multipurpose Cultural
Complexes) et de lieux spécialisés dans la formation
artistique des enfants compte parmi les principales
avancées. Parallèlement à cela, sept Zonal Cultural
Centres (Centres Culturels de Zone) sont créés dans le
pays en 1985. En plus d’organiser une série d’activités
dans les principaux centres urbains du pays et dans des
zones rurales où les institutions gouvernementales
sont jusqu’alors très peu présentes, ces structures collaborent avec des institutions relevant des États
fédérés et avec des ONG chargées de la préservation,
de la promotion et de la diffusion de formes artistiques
tribales et populaires (Tribal and Folk Art Forms), aux
échelles locale et régionale.
Cet élargissement du prisme selon lequel il s’agissait de valoriser le patrimoine de la nation, et les collaborations inter- et intragouvernementales créées, tendent à dessiner une politique culturelle considérée de
plus en plus comme devant répondre aux enjeux
locaux et régionaux. Ce mouvement vers ce qui pourrait s’apparenter à une politique territorialisée ne
relève pas tant d’un choix défini à l’échelle du Gouvernement central, que du constat des faiblesses de l’État
en matière de mise en œuvre d’orientation de politique générale. Les institutions publiques en charge de
la conservation, dont certaines préexistent à l’Indépendance, disposent en effet de moyens et de capacités d’intervention très limités. Parmi ces institutions
figure l’Archeological Survey of India, organisme en
charge de la gestion de 3562 monuments reconnus
d’intérêt archéologique et culturel national - incluant
16 monuments classés par l’Unesco au titre du Patrimoine mondial de l’Humanité -, charge qu’il ne peut
assurer seul tant au niveau logistique que financier.
Afin d’équilibrer ses comptes, il est engagé dans des
opérations de maîtrise d’ouvrage contractuelles en
coopération, à l’exemple de la conservation et la restauration d’une partie du complexe de temples
d’Angkor Vat au Cambodge, opération menée depuis
1986 et poursuivie jusqu’à aujourd’hui.
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ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
Même avec des moyens limités, l’activité de protection et de promotion culturelle et patrimoniale
demeure importante. Parmi les actions mises en
œuvre, tant dans le domaine de la protection des
archives nationales, que dans celui de la protection du
patrimoine anthropologique du pays (projet People of
India, initié par l’Anthropological Survey of India), dans
la valorisation du patrimoine écologique, ou dans l’organisation et le soutien à de nombreux festivals à travers le pays, aux exhibitions et foires artisanales figure
l’intervention des Zonal Cultural Centres. elle se caractérise par des séjours d’artistes et de chercheurs dans
le cadre de programmes d’échanges culturels
(National Cultural Exchange Programme) mis en place
de villages d’art et d’artisanat (Arts and crafts villages)
- à l’image de celui de Shilpgram, à Udaipur au Rajasthan, ou encore de Sargaalaya dans le Kerala. En imitant l’organisation et l’architecture de villages traditionnels l’objectif est de constituer une vitrine pour la
promotion touristique, et de fournir un lieu de valorisation des arts et artisanats du pays. Tournés vers les
touristes, qui en constituent les principales cibles commerciales, ces lieux sont la matérialisation de l’une des
plus importantes mesures gouvernementales en direction de la promotion d’un tourisme culturel dans les
territoires indiens liant institutions du tourisme et de la
culture dans une double logique de protection et de
valorisation économique du patrimoine culturel.
Encadré selon le Charitable Endowment Act de
1980, loi sur les donations, le National Culture Fund
(Fonds National pour la Culture, ci-après NCF), Trust,
créé en 1996 par le Gouvernement indien en vue de
préserver et promouvoir le patrimoine, confirme les
orientations progressivement engagées dans la
décennie 1980. Ce fonds, dont le Gouvernement central souligne qu’il doit fonctionner « en partenariat
avec la communauté et les corporations » (ASI, 2002),
prévoit l’exonération d’impôts sur le revenu pour les
donateurs, le plus souvent des familles fortunées du
pays. Organisé sous forme d’un forum de plusieurs
acteurs de la culture (gouvernementaux, corporations,
fondations privées et organisations non gouvernementales), ce dispositif est conçu comme un cadre
institutionnel permettant de répondre aux nouveaux
défis de conservation et de valorisation culturelle dans
le contexte d’une économie désormais libéralisée.
Position de recherche
L’Indian Oil Foundation (ci-après IOF), créée à l’initiative de la compagnie pétrolière du même nom, est
l’un des partenaires privés dont l’action s’inscrit dans
le cadre du NCF. Il joue un rôle prépondérant dans le
financement des projets de protection coordonnés par
l’ASI. La mise en place de cette fondation, au budget
assuré par une nébuleuse d’entreprises privées parmi
les plus dynamiques de l’économie indienne, associée
à certaines entreprises intégrant des capitaux étrangers (joint ventures), vise la protection et la valorisation des sites du patrimoine de l’ASI, et engage une
série de projets de développement dans les zones périphériques à ces sites, en vue « d’aider à enrichir la qualité de vie de la communauté et de préserver l’équilibre écologique et le patrimoine au travers d’une forte
conscience environnementale » (ASI, 2002). L’IOF
prend en charge une partie de la mise en valeur et de
l’entretien des sites, et en assure l’aménagement par
la mise en place de services et d’équipements touristiques de sites désormais reconnus comme patrimoniaux. Parallèlement à ces travaux de protection et
d’aménagement pris en charge par des partenaires
financiers privés, le projet souligne la nécessité de solliciter l’intervention d’organisations non gouvernementales pour diriger des activités communautaires
de développement (Community Development Activities) comme les projets relevant essentiellement des
secteurs de l’éducation et de l’alimentation en eau
potable de qualité.
Le IXe Plan, qui couvre la période 1997-2002, voit
une fois de plus le rôle des acteurs de la conservation
s’étendre, celui de l’ASI et des Zonal Cultural Centres
particulièrement, l’un dans le domaine de la conservation, l’autre dans celui de l’organisation d’événements
en collaboration avec les Tourism Development Corporation (Corporation de développement du tourisme),
principales instances gouvernementales présentes
dans chaque État de la fédération, et ayant en charge
l’activité touristique. Cette période est celle d’une collaboration de plus en plus importante entre les services chargés du tourisme et ceux de la culture, autour
du développement de ce qui est officiellement
reconnu comme une économie culturelle touristique
(Bautès N., 2004).
Afin d’assurer la coordination de ces acteurs, principal objectif du Xe plan, débuté en 2003, la Commis-
ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
sion de planification met en place le Steering Committee on Art & Culture (SCAC), organisme jouant le
rôle d’observatoire du secteur de la culture à l’échelle
du pays et de mise en œuvre de la politique définie
dans le cadre des orientations fédérales inscrites dans
les plans quinquennaux.
Ainsi, au cours des toutes dernières années, le
Département de la Culture a plus que jamais souligné
l’importance de préserver le patrimoine culturel en
s’appuyant sur l’action de toutes les institutions compétentes, organismes publics et institutions autonomes
confondues, incluant ONG et structures privées. Il mise
sur une collaboration accrue entre ces institutions liées
au tourisme et les acteurs de la gestion urbaine, afin de
disposer d’une approche globale des problèmes liés au
patrimoine culturel. Pour le IXe Plan (1997-2002), le
Département de la Culture avait alloué près de 92 041
crore roupies3 (soit 125 millions d’Euros) à la mise en
œuvre de sa politique. Pour les suivants (2003-2008 et
2009-2014), le SCAC avait recommandé un budget au
moins trois fois plus important. Quelle que soit la
somme allouée au budget de la culture à l’avenir, l’objectif est là encore d’impliquer de plus en plus les initiatives privées pour œuvrer à la préservation et la promotion du patrimoine culturel, dans le cadre d’un
développement voulu « durable ».
Néanmoins, et en dépit de l’élaboration d’un dispositif
désormais très élaboré à l’échelle du Gouvernement central, et d’orientations politiques stimulant les coopérations
d’acteurs institutionnels issus de sphères (publiques, privées, organisations non gouvernementales) et d’échelles
territoriales différentes, la traduction locale de ces mesures
semble obstruée par les enjeux que représentent la
conservation, mais surtout la valorisation culturelle et touristique d’éléments patrimoniaux qui semblent au cœur
des conflits sociaux qui structurent la société indienne.
C’est ce que le développement suivant propose de mettre
en évidence, à partir de l’exemple du Rajasthan, État considéré comme pionnier tant dans la mise en œuvre de dispositifs de reconnaissance et de conservation du patrimoine,
que dans leur valorisation à des fins économiques.
Ce qui rend le processus observé à l’échelle de cet
3- Le crore est une unité de mesure en vigueur en Inde. 1 crore =
10 000 000
67
État singulier relève de la main mise dont bénéficient les
membres de l’ancienne noblesse royale et de quelques
familles de riches marchands sur ces éléments matériels, dont ils sont à la fois les propriétaires et les principaux représentants. Il s’agira donc de considérer cet
exemple dans ses spécificités, et dans la manière dont,
sous l’influence dont disposent les membres de l’ancienne royauté auprès du Gouvernement central, la
dynamique s’est engagée, et tend à revêtir une dimension nationale. Ceci permettant ainsi d’expliquer en quoi
l’action publique en matière patrimoniale et touristique
est traversée d’intérêts privés qui entrent en résonance
avec la faiblesse de l’État dans les affaires locales.
ii-
la reconteXtualisation De la mémoire royale
Dans l’initiative Patrimoniale au raJastHan ou la
Force Des HéritaGes socioPolitiques
Du patrimoine envisagé comme ressource pour l’économie du rajasthan
La création du Rajasthan en 1948 met fin aux principautés hindoues du Nord-Ouest de l’Inde jusqu’alors
indépendantes. Avec cette décision s’ouvre une nouvelle période pour les anciens territoires princiers.
Outre les bouleversements politiques et administratifs consécutifs à l’intégration de ces territoires au sein
de l’Union indienne naissante, une grande part de la
population est confrontée à une situation dans
laquelle elle se voit contrainte, face à la destitution du
modèle d’administration féodale jusque-là prévalant,
de trouver de nouvelles ressources économiques.
C’est dans le cadre de l’établissement d’un secteur
économique de type moderne (Stern, 1992) qu’émerge dans les cités royales du Rajasthan une dynamique économique autour de la mobilisation du patrimoine bâti. Certains membres de l’ancienne noblesse
royale vont en effet transformer d’anciens palais ou
des havelis4, demeures historiquement cédées par le
Maharana (grand roi) à un thakur - noble en charge
4- Les havelis sont des demeures traditionnelles des marchands
du Rajasthan, organisées selon une architecture spécifique,
autour d’une cour centrale, et divisées en différents espaces destinés à séparer femmes et hommes, espaces privés et publics. Ce
terme est aujourd’hui souvent utilisé pour désigner l’ensemble
des demeures représentatives du Rajasthan, propriétés de différentes communautés dont les Rajputs.
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
de l’administration des territoires du royaume
contrôlés depuis Udaipur - en résidences hôtelières
(Bautès N., 2002, 2004, 2015 ; Cadène P., 2000, 2015 ;
Ramusack B., 1996, 1998) destinées à une clientèle
étrangère de luxe - britannique et américaine - pour
laquelle le Rajasthan devient, à partir du milieu des
années 1950, un lieu de séjour convoité. Ces propriétés royales tendent d’abord à constituer l’essentiel de l’offre touristique, une offre très spécialisée en
produits contenant de fortes références culturelles et
historiques.
ciation avec le Gouvernement indien à éviter la perte
de l’ensemble de leur patrimoine immobilier et foncier. Ce processus, qui débute dans les années 1960,
constitue pour une partie de l’élite râjput une opportunité lui permettant d’obtenir une rente financière
grâce à la valorisation économique de ses propriétés,
revenus ensuite mobilisés pour assurer la conservation d’une partie de leur patrimoine bâti. Ce processus permet en même temps d’envisager la permanence de la suprématie de la culture royale sur le
territoire de l’actuel État du Rajasthan.
Avec la mobilisation de ces “hauts lieux” du territoire royal en vue de leur valorisation économique,
débute ainsi un mouvement qui, tout en étant d’abord limité aux plus grandes cités royales du Rajasthan, principalement Jaipur, Jodhpur, Udaipur et Jaisalmer, est fortement médiatisé à l’étranger en raison
de liens privilégiés entretenus par les membres de la
royauté Râjput5 avec la Couronne britannique. Par
Cette série d’actions tend à réaffirmer et à recontextualiser une mémoire collective à l’échelle du
Rajasthan au sein de laquelle la royauté occupe une
place centrale sinon exclusive, à la fois matérialisée
dans l’organisation spatiale des cités royales et diffusée au travers des images, des discours et des représentations du Rajasthan dans son ensemble (Henderson et Weisgrau, 2007). La mémoire ainsi
renouvelée revêt la forme d’une stratégie politique
visant à « installer le souvenir dans le sacré » (Nora P.,
1991). À travers la valorisation des hauts lieux du
patrimoine qui matérialisent la domination royale,
elle « s’enracine dans le concret, dans l’espace, le
geste, l’image et l’objet » (Ibid.).
ailleurs, ce processus connaît un retentissement
important dans le pays, partie prenante des principaux bouleversements politiques inhérents à la construction de la nation indienne. Si les restrictions puis
la suppression des privilèges attribués aux princes6
s’accompagnent de la saisie d’un nombre important
de propriétés immobilières, nombreux sont cependant les Râjput à être parvenus à l’issue d’une négo-
5- En sanskrit, le mot Rajput signifie “Fils de roi”. Ce groupe, qui
a donné son nom au Rajputana (ancien nom de la province qui
couvre l’actuel Rajasthan) est composé majoritairement d’hindous de caste Ksatrya, correspondant à des fonctions de guerriers. Les Râjput sont divisés en plusieurs clans : Rathore, Kachchwaha, Chauhan et Sisodia. Si l’histoire de la région souligne leur
origine géographique floue, ils clament être les descendants des
Huns venus d’Asie centrale installés dans le Nord de l’Inde, ou
encore d’autres tribus parmi celles qui ont envahi ce territoire.
Leur pouvoir dans le contexte historique du Rajputana s’affirme
au cours du VIIe siècle. Ils deviennent les sujets de plus anciens
royaumes hindous, constituant une force déterminante face aux
troupes mogholes. Les princes hindous acceptent formellement
les Rajputs comme nobles, si bien qu’aujourd’hui princes et
nobles sont confondus dans le terme Rajput. Pendant la période
britannique, les Rajputs ont longtemps tenté de maintenir des
Etats indépendants au sein du Rajasthan.
6- Ces privilèges, appelés Prives Purses, correspondent à des
compensations aux anciennes familles royales. Ils s’effectuent
sous la forme de sommes d’argent accordées annuellement par
le Gouvernement central aux familles royales détenant le
royaume depuis la passation de pouvoir entre Rajput et Gouvernement indien. Ces privilèges sont calculés en fonction de la
taille du royaume. A Udaipur, ils étaient de l’ordre de 2,2 millions
de roupies par an. En 1971, Indira Gandhi, alors Premier Ministre
de l’Inde, abolit ce système par un amendement de la Constitution.
Position de recherche
Ces cités devenues des villes touristiques intégrées au circuit des capitales royales du Rajasthan,
« triangle d’or » du tourisme indien, existent avant
tout dans le cadre du modèle territorial (Lévy J. et Lussault M., 2003) construit par la dynastie Râjput locale
comme « un espace dogmatique, lieu de la vérité
jamais remise en question » (Barel Y., 1987). Elles restent aujourd’hui fortement marquées par l’empreinte
de ce modèle en raison de la capacité des Râjputs à
mobiliser l’histoire et à se l’approprier autant qu’à
intégrer l’ensemble des groupes sociaux et leurs
mémoires au sein du système qu’ils dominent
(Bautès, 2007).
Par ce biais, le groupe constitué par l’élite râjput
s’affirme ainsi de manière durable dans le Rajasthan,
se positionnant comme les pionniers du développement économique des anciennes cités royales et plaçant par ce biais le patrimoine au cœur des enjeux
sociaux urbains à l’échelle du pays.
ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
le patrimoine royal en scène : un mouvement pour la
reconnaissance institutionnelle des hauts-lieux de la
mémoire râjput
C’est véritablement à la fin des années 1980, suite
à une série de mesures autour de la reconnaissance de
la « culture » - sur lesquelles nous avons proposé un
bref panorama dans la première partie de ce travail que le terme Heritage (patrimoine) entre officiellement dans le vocabulaire des acteurs du tourisme
indien. Le Rajasthan fait alors figure de moteur de la
mise en exergue de cette ressource inédite pour le
développement dans les discours politiques et dans les
actions mises en œuvre en direction des édifices architecturaux qui singularisent les anciens États princiers
et leur culture. Le terme est d’abord exclusivement utilisé pour désigner une catégorie d’hôtels, principalement composée des anciens palais et demeures historiques mis en exergue par la royauté.
La formalisation d’une politique patrimoniale en
direction de ces établissements s’effectue sous l’action
de plusieurs membres de la noblesse Râjput désireux
de procéder à la reconnaissance de la qualité, de l’authenticité et de la singularité architecturales des propriétés royales. En dépit de fortes querelles de clans et
de familles, et malgré la prégnance de brutaux conflits
d’intérêt, à l’exemple de celui qui oppose depuis de
longues années les deux frères descendants de la
dynastie royale du Mewar, Mahendra et Arvind Singh,
plusieurs représentants d’anciennes familles royales
dirigeantes des royaumes du Mewar et du Marwar historiquement engagés dans des conflits fratricides, parviennent dans ce contexte nouveau à concilier leurs
intérêts. Ce rapprochement inédit se traduit par la
création d’une association de propriétaires d’Heritage
properties, (propriétés patrimoniales). L’ambition est
alors moins de s’associer pour profiter d’une visibilité
unique sur le marché touristique que de mener une
action conjointe permettant d’avoir plus de poids visà-vis des institutions gouvernementales. La compétition reste néanmoins très présente au sein même de
l’association nationale de protection du patrimoine
que ces Râjput contribuent à fonder en 1991, sous le
nom d’Indian Heritage Hotels Association (IHHA)7. Cet
7- http://indianheritagehotels.com/
69
organisme a pour objet, dans le contexte de la libéralisation de l’économie indienne, d’exercer un lobbying
sur le Gouvernement central afin que l’offre touristique de luxe puisse rester sous leur contrôle. L’IHHA a
pour ambition de faire modifier les règles de classification des hôtels de luxe, Five Star Hotels, afin de permettre aux propriétés patrimoniales d’être reconnues
à ce titre. Suite à de vives discussions avec des représentants du Gouvernement, une classification spécifique est décidée le 6 septembre 1990: les Heritage
Hotels sont officiellement répertoriés par le Governement indien parmi les éléments patrimoniaux faisant
l’objet d’une réglementation stricte en matière de bâti
(Taft, 2003). Dès lors, chaque projet de modification,
d’extension ou de réhabilitation doit être fait en
respect du style architectural et des techniques utilisées lors de la construction. Trois titres distinguent ces
hôtels, situés dans des havelis, des anciens abris de
chasse (hunting lodges), des forts (-garh), ou encore
des palais:
• Le titre d’Heritage property, qui désigne une propriété construite avant 19508 disposant d’un minimum
de cinq chambres. Le gouvernement oblige à ce que
« les caractéristiques générales et l’ambiance soient
conformes au concept générique d’héritage et de distinction architecturale » (Taft F., 2003).
• Le titre d’Heritage Classic Property, destiné aux
édifices ayant été construits avant 1935 et disposant
d’au moins 15 chambres. Outre le respect des règles
concernant le patrimoine et la distinction architecturale, ces hôtels doivent disposer d’au moins un équipement sportif (piscine, club de gymnastique, terrain
de tennis ou de squash),
• Enfin, le titre d’Heritage Grand, qui désigne une
propriété conforme aux mêmes règles que les deux
catégories précédentes, mais doit aussi suivre des
mesures très strictes en matière de décoration et d’apparence. Le règlement exige que « toutes les aires
publiques et privées, incluant les chambres, doivent
avoir une apparence et un décor supérieurs » (Ibid.) et
au moins la moitié des chambres doivent disposer de
systèmes d’air conditionné.
8- Il existe aujourd’hui une controverse sur l’attribution du titre
d’Heritage : certains propriétaires veulent modifier le statut, limitant l’accès à ce titre aux bâtiments construits avant 1900.
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ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
Ce procédé de classification, désormais en vigueur
à l’échelle nationale, soumet le demandeur à un
comité qui inclut des représentants du département
du tourisme du Gouvernement central et du Gouvernement de l’État dont relève le site; de l’Institute of
Hotel Management, de la Federation of the Hotel &
Restaurant Association of India (FHRAI), des représentants de la Travel Agents’ Association of India (TAAI), et
de l’IHHA. Il peut éventuellement faire appel à d’autres spécialistes si nécessaire, des architectes par
exemple. Au nombre de treize en 1990 dans toute
l’Inde, le nombre des propriétés reconnues sous cette
classification était de 87 en 2015 (Project Monitoring
information System, Government of India)9. Au cours
des toutes dernières années on a vu l’inscription de
plusieurs établissements situés dans des zones rurales
et dans de petits havelis situés en ville. En 2015, 39
hôtels classés étaient encore situés au Rajasthan, une
grande majorité d’entre eux appartenant à des
groupes dirigés par des familles râjput (dont HRH
Hotels, qui possède 15 d’entre elles). Le deuxième État
le plus représenté étant le Kerala, avec dix-neuf Heritage Hotels, suivi par l’Himachal Pradesh (sept établissements pour chacun), quatre pour le Gujarat et le
Tamil Nadu; Pondichéry, Goa et l’Uttaranchal disposant de deux hôtels reconnus, la dernière propriété
classée étant située au Sikkim.
Ce processus de reconnaissance et de valorisation
des propriétés patrimoniales, en même temps qu’il
met l’emphase sur la convergence entre tourisme et
patrimoine, singularise le cas indien par la force et la
prégnance d’un style reconnu, celui de l’art et de l’architecture de la royauté hindoue, et d’un groupe qui,
au titre de propriétaire autant que d’héritier légitime
assurant la transmission de ce patrimoine, œuvre à
l’institutionnalisation de la conservation-valorisation
de ses biens en vue d’optimiser ses propres conditions
de valorisation économique et de domination sociale.
L’idée de patrimoine est dans ce cas exclusivement
associée à la culture râjput, dont la domination tant
symbolique que politique est, par ce biais, reconnue
par les instances gouvernementales.
Relayant les efforts des membres de l’ancien pou-
9- http://tourismpmis.nic.in/Scripts/InterfaceReport/Hotel/ApprovedHotelsDate.aspx
Position de recherche
voir royal de voir leurs propriétés reconnues au travers
d’une politique touristique et patrimoniale portée par
le Gouvernement central, celui-ci tend ainsi à légitimer
l’influence des propriétaires de bâtiments remarquables du point de vue historique dans le champ du tourisme et du patrimoine. En cela, les instances fédérales
contribuent à asseoir la légitimité de cette élite sociale
à influer sur les affaires locales, ce que la suite du texte
s’attachera à montrer au travers d’un exemple localisé
dans l’ancienne cité princière d’Udaipur.
iii- l’emPreinte royale Dans la valorisation touristique Du Patrimoine Bâti : l’eXemPle D’uDaiPur
(raJastHan)
la permanence de l’héritage royal au cœur du projet
touristique
Les prémisses de l’activité touristique dans sa forme
moderne au Rajasthan, après l’Indépendance, s’appuient
largement sur l’initiative des membres de l’élite dirigeante ou économique des anciens royaumes. La valorisation touristique de leurs propriétés via l’hébergement
ouvre en effet la voie à l’expansion de domaines de production de biens et de services qui tendent, dans les
anciennes capitales royales de Jaipur, d’Udaipur, de
Jodhpur ou de Jaisalmer, à une véritable dynamique de
développement économique à l’échelle régionale
(Bautès N., 2004). Organisation d’événements, pratiques
sportives (polo, équitation, golf dans certains cas), ou
encore activités de plein air et tourisme écologique
contribuent ainsi à élargir une offre et à la concentrer
entre les mains des propriétaires des principaux centres
de l’activité patrimoniale: les anciens palais et demeures
de nobles.
Aussi, en dépit de l’émergence d’un secteur d’activité
désormais très large, rassemblant à la fois l’industrie de
l’hospitalité et l’artisanat notamment, et auquel contribuent des acteurs issus d’un large spectre de la société, ce
mouvement s’apparente à la stratégie d’un groupe pour
assurer, via le patrimoine et les principaux attributs matériels et symboliques de l’ancienne royauté, la main mise
sur un pan entier de l’économie. C’est bien la maîtrise des
hauts lieux du tourisme que sont les palais et demeures
de caractère qui figurent au cœur de cette stratégie, dont
nous avons étudié les contours en détail (Bautès, 2004).
ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
Dans ce contexte, les ambitions de conservation
sont ainsi avant tout subordonnées à la réussite individuelle ou familiale qui, bien que traversée par de
vifs conflits inter ou intra-familiaux, demeure le principal moteur de la dynamique patrimoniale. Les
acteurs engagés demeurent en effet ceux qui disposent à la fois des moyens les plus importants pour
pouvoir supporter financièrement le coût de travaux
de réhabilitation souvent très lourds et qui disposent
de la légitimité et des capitaux nécessaires pour
engager la reconnaissance patrimoniale de leurs propriétés et pour initier des partenariats d’envergure
avec de grandes firmes touristiques indiennes ou
étrangères, à l’exemple de celui qui lie le représentant de la dynastie d’Udaipur, Arvind Singh Mewar,
au Taj Group of Hotels filiale du groupe Tata. Dans un
contexte où l’offre touristique tend, à l’échelle du
pays, à se professionnaliser, s’appuyant peu à peu sur
des centres de formation aux métiers du tourisme
(près de 50 établissements, Hospitality and Tourism
management Colleges, sont présents dans le pays,
dont un seul est situé à Jaipur, au Rajasthan), les
entreprises familiales râjput continuent de mobiliser
une main-d’œuvre – souvent peu formée – dont la
majorité est issue de clans râjputs. Ce personnel, de
bas statut social et traditionnellement au service des
familles Râjput dominantes, est essentiellement
constitué de Râjput ruraux ayant longtemps été
« possesseurs d’un unique lopin de terre qui (leur)
permet(tent) tout juste de subsister (avec les leurs) »,
(Vidal D., 1995 : 57).
La permanence de cette pratique dans le contexte
d’une économie moderne est la garantie, la constance
de leur domination et leur permet de continuer à agir
comme les principaux agents d’insertion de populations Râjput issues d’un monde rural en déprise. Ainsi,
la majeure partie du personnel pour le tourisme est
non qualifiée, et employée temporairement dans l’entreprise touristique. Cette main-d’œuvre est en effet
régulièrement renouvelée selon les besoins des entrepreneurs. Après une durée à Udaipur limitée, elle
retourne travailler dans les campagnes, sur les terres
ou dans les propriétés que ces entrepreneurs ont le
plus souvent gardées dans les anciens territoires
contrôlés. La vigueur de ce système est toujours aussi
71
importante. Elle participe autant à fournir une expérience urbaine à des Râjput de bas statut, qu’à
disposer d’une main-d’œuvre peu onéreuse de
confiance. Ces actions définissent ainsi une tendance
réelle à la reproduction d’un système ancien hérité,
non pas « la morne litanie d’une organisation qui
survit parce qu’on oublie de la détruire, mais l’histoire
agitée d’une constante renaissance » (Barel Y., 1975 :
571361).
la valorisation patrimoniale au prisme d’une double
sélection sociale et spatiale
À ce constat d’une opération visant à affirmer le
pouvoir du groupe ayant longtemps dominé la scène
politico-économique des royaumes du Rajasthan, s’ajoute un processus patrimonial qui, lui aussi, est
dépendant des choix de ce qui mérite d’être, selon les
propriétaires, valorisé ou non. Concernant les choix de
conservation et valorisation patrimoniale, un travail
de terrain visant à étudier les usages actuels des
havelis, demeures anciennes susceptibles de faire
l’objet de procédures de conservation patrimoniale
dans la ville d’Udaipur et d’y trouver ainsi de nouveaux
usages par le tourisme, montre, qu’en dépit de l’importante signification de leur qualité architecturale
reconnue par les propriétaires et les institutions patrimoniales elles-mêmes, une très grande partie d’entre
elles semble véritablement écartée du double mouvement touristique et patrimonial.
En effet, selon les sources rassemblées pour identifier et localiser ces édifices (documents archivés du
royaume, ouvrages historiques) et informations
récoltées dans le cadre d’entretiens compréhensifs10
conduits avec des habitants du centre historique,
10- Cette étude, conduite dans le cadre d’une thèse de géographie intitulée « Le gout de l’héritage. Processus de production
d’un territoire touristique : Udaipur en Inde du Nord (Rajasthan
», a consisté à identifier et à localiser, dans les sources historiques et au travers d’un travail de terrain, les anciennes
demeures appartenant à d’anciens membres de la noblesse et à
des familles marchandes ayant acquis ces biens au moyen de
dons royaux. Ces éléments reconnus pour leurs singularités
architecturales et leur fonction historique, ont ensuite fait l’objet
d’une enquête auprès de près de 80 individus propriétaires, locataires ou voisins de ces édifices. Les entretiens visaient à questionner les statuts d’occupation, à collecter des éléments informant sur leurs usages anciens et actuels, et à observer ceux qui
avaient fait l’objet de procédures de restauration et de reconversion, en résidences hôtelières notamment.
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Udaipur comptait, à l’Indépendance, 86 havelis11. Sur
l’ensemble de ce qui a pu être identifié (72), seules
neuf possèdent à ce jour un usage hôtelier, une abrite
un musée et le Western Zone Cultural Centre, quand
plus de 20 sont louées par leurs propriétaires à des
locataires occupant ou à des entreprises de fabrication
ou de stockage de matériaux. Une partie (46) de ces
édifices est ainsi utilisée à des fins résidentielles, louée
après avoir au préalable été morcelée, les propriétaires appartenant à des lignées familiales Râjput occupant encore souvent une partie des lieux. Si quatre
étaient, en 2012, en cours de rénovation après avoir
été acquises, soit par des étrangers (un Français, un
Allemand), soit par des Indiens originaires d’autres
villes indiennes (2 appartenant à des Mumbaïte), à des
fins d’habitation, une vingtaine d’entre elles était en
état d’abandon fin 2014, certaines totalement
détruites si bien qu’il nous a été impossible de les localiser précisément en raison de profondes transformations dans le tissu bâti alentour. Cet exemple met en
évidence les limites d’une volonté, pourtant affichée
dans les sites touristiques et dans nombre de discours
portés par des membres de l’élite râjput, de protéger
et valoriser le patrimoine bâti de l’ancienne cité. En
dépit de la manne financière dont disposent le plus
souvent leurs propriétaires, la valorisation touristique
et/ou patrimoniale n’est envisagée que dans quelques
rares cas, l’essentiel de ce patrimoine demeurant
écarté de toute initiative de conservation.
Un tel phénomène, si marqué dans l’espace urbain
d’Udaipur, semble tout aussi observable dans la plus
grande partie des cités royales rajasthani, les plus
petites tout particulièrement, où le coût de la réhabilitation et l’incertitude de leur réussite en tant que résidence hôtelière rendent les propriétaires peu enclins à
assurer seuls les risques de l’entreprise (Cadène P.,
2000). Une même tendance est observable dans les
plus grandes cités touristiques comme dans tous les
lieux du Rajasthan, où les demeures patrimoniales
sont souvent en état de dégradation avancée et d’inoccupation, et ne peuvent correspondre qu’à une
11- Ce chiffre reste approximatif, eu égard à la diversité des définitions de cet élément urbain (nous avons pris en compte les
seuls bâtiments pour lesquels le nom spécifiait leur appartenance à cette catégorie). Au cours de nos enquêtes, nous avons
pu identifier et localiser dans la ville 72 d’entre eux.
Position de recherche
demande touristique marginale. À Udaipur et dans les
plus grandes cités, ce phénomène est d’autant plus
surprenant que c’est l’ensemble urbain dans lequel ces
hauts lieux sont inscrits qui est l’objet d’une attention
majeure de la part des institutions internationales
chargées de la conservation du patrimoine, l’Unesco
en particulier.
En dépit d’une intervention limitée et très partielle
dans la réhabilitation et la valorisation, les Râjputs
œuvrent au maintien de statut de principal référent
identitaire pour un patrimoine fortement médiatisé.
Le rôle ambivalent de ces acteurs, à la fois principaux
acteurs de la conservation et aux moyens d’action
limités car contenus à leurs seules propriétés, est ainsi
à la mesure de l’ambiguïté de la question patrimoniale.
Ceci souligne toute la difficulté de définir l’ensemble
de ces héritages urbains en vue d’une appropriation
collective, qui passe certainement par l’établissement
d’une législation efficace permettant d’enrayer la
dégradation ou l’abandon de ces propriétés. Un cadre
institutionnel existe pourtant, surtout mis en place
depuis les années 1990, avec une véritable campagne
nationale de promotion touristique (Incredible India)
mise en œuvre, et un cadre institutionnel précis dans
le domaine de la protection des formes et expressions
patrimoniales les plus diverses.
la main mise du projet patrimonial face aux enjeux
sociaux et urbains contemporains
Les objectifs de coopération avec la sphère privée,
définis par les pouvoirs publics, et la nécessité de
mener les affaires patrimoniales en conciliant les intérêts du plus grand nombre se confrontent à la complexité des dynamiques sociales structurées autour du
patrimoine. Cette complexité se traduit d’abord dans
la diversité des définitions de ce qui, pour les acteurs,
fait patrimoine et de ce qui à ce titre doit être conservé
et valorisé. Cette diversité rend difficile la coordination
entre des acteurs véhiculant des visions différentes. La
confrontation de ces visions et des actions qui en
découlent, s’apparente à des conflits entre acteurs
locaux, ou témoigne de la difficulté des pouvoirs
publics d’implémenter localement des projets planifiés
à l’échelle nationale ou à celle de l’État.
À l’échelle locale, les conceptions distinctes de ce
qui fait patrimoine et de son usage à la fois social et
ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
économique peuvent être illustrées dans plusieurs
initiatives récentes observées à Udaipur, où un groupe
historiquement idéologiquement opposé à la noblesse
Râjput, celui des marchands - principalement d’obédience religieuse Jaïn -, est à l’origine de la construction de nouveaux édifices imposants à des fins d’hôtellerie de luxe. L’envergure de ces établissements, la
qualité de leur confort et des services proposés en font
de véritables édifices se substituant au patrimoine
architectural dominant localement. Au travers de ce
processus, l’image royale est ainsi réappropriée,
instrumentalisée au service d’une offre hôtelière et
architecturale à laquelle est attribuée, par son adéquation aux formes anciennes, une « qualité patrimoniale » reconnue. Ces hôtels de luxe, à l’image de
l’Udai Vilas du groupe Oberoi s’apparentent ainsi à des
objets postmodernes, mêlant les signes du passé aux
tendances les plus actuelles de la consommation. Un
article publié dans le Times of India présente ces hôtels
comme « héroïques dans leur adhésion aux designs
architecturaux et paysagers indiens, et (…) glamour
par-delà les croyances ». Par l’organisation de mises en
scène nocturnes donnant vie au passé local au moyen
d’expressions artistiques, et à travers l’esthétique des
nouveaux hôtels émerge ainsi un mouvement de
mobilisation et de revitalisation du patrimoine local.
Ces établissements sont bien ancrés dans les signifiants principaux du territoire royal. Dans le même
temps, ils contribuent à redéfinir les attributs patrimoniaux et culturels, notamment en redynamisant l’offre
touristique par des références culturelles issues d’autres groupes sociaux, comme celles associées à l’art
tribal ou au folklore local, tout en l’articulant à l’image
luxueuse dont bénéficie le séjour dans un palais
Râjput.
Ces constructions ne rentrent pas dans les critères
définis par les instances officielles de reconnaissance
patrimoniale, en particulier celles de l’Indian Heritage
Hotel Association (IHHA). Néanmoins, et c’est là leur
spécificité, leur aspect architectural, la tradition
d’hospitalité revendiquée par leurs propriétaires, l’ensemble des artefacts qui sont disposés dans ces lieux
les font correspondre en tout point aux hôtels royaux.
La seule différence, et elle est évidemment majeure,
réside dans le contexte temporel de leur fondation et
dans l’origine sociale de leurs dirigeants. Ceux-ci sont
73
le plus souvent issus de riches familles marchandes.
Leur appartenance à une caste traditionnelle de marchands, tant par les spécialités, savoirs et savoir-faire
commerciaux que celle-ci représente que par son
dynamisme commercial, favorise son investissement
dans le tourisme et le développement d’activités particulièrement florissantes. Contrôlant plusieurs filières
de l’économie régionale et nationale, les castes marchandes sont aujourd’hui très présentes dans l’économie culturelle touristique, tout particulièrement
dans la bijouterie, certaines filières du textile (surtout
celles provenant du Gujarat, région de Kutch, entre
autres) et de divers produits manufacturés spécifiques
(sculptures en bronze ou en acier représentant des
dieux du panthéon hindou par exemple). Avec le développement rapide du tourisme domestique, ils sont de
plus en plus nombreux à s’être engagés dans l’hôtellerie. Le plus souvent initialement source secondaire
de revenus, l’activité touristique représente une
rapide diversification de leurs ressources économiques, si bien qu’ils viennent également concurrencer les râjput dans le domaine patrimonial. Leur
démarche d’investissement dans le tourisme, marquée d’imitation, révèle une tendance de plus en plus
observée au Rajasthan, où la question patrimoniale est
peu à peu inscrite dans des mouvements globaux tout
en fonctionnant selon des logiques sociales héritées,
largement empreintes de conflits au sein d’un système
social dominé par les descendants royaux et les
familles marchandes, auxquels sont associés les castes
brahmanes, ces trois composantes définissant l’ancienne société royale hindoue (Dumont, 1996 (1966)).
Du point de vue de la gestion de la ressource patrimoniale nécessitant, en raison de la multiplicité des
acteurs engagés, des actions concertées dans l’articulation entre niveaux national et local, il convient de
souligner les difficultés des pouvoirs publics à faire
converger leurs ambitions dans le cadre d’actions localisées. Celles-ci sont souvent liées au déficit de moyens
financiers et de dispositifs susceptibles de constituer
des avantages pour les acteurs privés. La volonté et la
flexibilité de l’action publique dans le domaine du
patrimoine, notamment des organes comme les Zonal
Cultural Centres et l’INTACH, semblent pourtant des
éléments permettant d’envisager de possibles parte-
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ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
nariats. Néanmoins, la mise en œuvre de projets
pensés en collaboration s’avère délicate à effectuer, à
la fois en raison d’un manque de moyens logistiques et
financiers des acteurs publics, et d’une difficulté de
mener des négociations susceptibles de répondre aux
intérêts de chacun des acteurs. Lorsque cette collaboration est possible, comme dans le cas du partenariat
récemment créé entre l’Unesco-India, la Maharana
Mewar Charitable Foundation (MMCF) et la Municipalité d’Udaipur (Municipal Corporation), la dynamique
institutionnelle est largement dominée par les intérêts
des propriétaires, dans ce cas représenté par le principal Trustee de la MMCF, le représentant de la
dynastie royale lui-même, Arvind Singh Mewar.
Lorsque ce type de collaboration est engagé dans le
cadre d’activités de coopération internationale,
comme c’est le cas du partenariat signé entre la ville
française de Strasbourg et Udaipur autour des enjeux
du développement urbain et, particulièrement, dans le
domaine de la mise en valeur du patrimoine, les partenaires (École nationale supérieure d’architecture de
Strasbourg et son homologue d’Udaipur, Buddha Institute, Urban Development Department, Government of Rajasthan, Ministère des affaires étrangères
français, Association nationale des villes et pays d’art
et d’histoire, Indian Heritage Cities Network Foundation) disposent de marges de manœuvres largement
dépendantes des décisions émanant du MMCF qui,
outre d’être propriétaire des édifices patrimoniaux les
plus remarquables, dispose d’une légitimité symbolique associée à une manne financière qui oriente les
décisions.
Ceci est tout particulièrement notable dans le
contexte actuel, marqué par l’incapacité des instances
publiques de traduire les objectifs politiques par des
actions concrètes au niveau local; ce qui induit donc
une situation selon laquelle les principaux gestionnaires du patrimoine restent ceux qui se sont imposés
à l’échelle des territoires locaux en mobilisant leurs
propres propriétés. À Udaipur, le descendant de la
dynastie locale s’est tout récemment attaché à la mise
en œuvre d’un projet d’envergure visant non seulement à protéger l’enceinte royale, qu’il administre par
l’intermédiaire de la MMCF, mais ayant aussi de
mettre en exergue cet espace en le considérant
comme une « Ville dans la ville » ou plutôt, pour
Position de recherche
reprendre l’intitulé du projet, The City within a city. La
ville dans une ville, telle est la vision défendue par
Arvind Singh Mewar, porteur, d’une vision patrimoniale resserrée, centrée sur l’ancienne cité royale,
lorsque ses partenaires s’inscrivent dans des préoccupations sociales (mobilité), fonctionnelles (désengorgement du centre) et environnementales (lutte contre
les pollutions) étendues à l’échelle de l’aire urbaine.
La diversité culturelle du Rajasthan, aujourd’hui
exprimée par la diffusion d’images et de formes culturelles très diverses: danses et expressions picturales
tribales, musiques folkloriques portées par des
groupes minoritaires (langas ou manganyars originaires de l’Ouest de l’État et présents dans toutes les
villes touristiques), ou encore savoirs et savoir-faire
artisanaux issus des couches les plus basses de la
société (impression textile, fabrication de bijoux, de
poteries terracotta…), reste en effet subordonnée à l’image dominante. Cette subordination est rendue possible par la diversité des individus et groupes porteurs
de savoirs et savoir-faire susceptibles d’être valorisés
par le tourisme, dans un contexte marqué par l’absence de règles en matière d’emploi et de salaire, par
une faiblesse du droit du travail - qui n’est cependant
pas spécifique au domaine de l’industrie culturelle.
Artistes et artisans sont le plus souvent employés de
manière précaire dans les grands hôtels, ou prêtent
des services peu rémunérés aux plus grands entrepreneurs touristiques. Ainsi, tout en valorisant de plus en
plus de formes patrimoniales conformément aux prérogatives de l’Unesco persiste la main mise des acteurs
les plus importants sur l’ensemble du patrimoine culturel. Ce phénomène témoigne de la faible influence
des pouvoirs publics dans la gestion des affaires patrimoniales telles qu’elles s’expriment au niveau des territoires locaux, ceci induisant la permanence d’un
modèle d’organisation sociale fondée sur une hiérarchie ancienne et sur une différence de statut qui justifie les discriminations et accentue les inégalités
sociales.
La valorisation patrimoniale est ainsi autant un
enjeu et une opportunité qu’elle apparaît comme un
nouveau moyen, pour les Râjput et pour les principaux
entrepreneurs touristiques, de réaffirmer un pouvoir
et un contrôle tant symbolique que matériel sur le ter-
ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
ritoire. À Udaipur, la capacité d’Arvind Singh Mewar à
maîtriser les outils de communication en vue de s’associer avec des acteurs internationaux de poids – l’Unesco en particulier - et son recours à des financeurs
étrangers, lui permet à la fois d’atteindre ses objectifs
de conservation et de faire fructifier ses propres
affaires économiques. À lui seul, il entend se substituer
à l’action publique en matière de gestion patrimoniale.
Le recours au patrimoine relève donc d’une stratégie
dominante à visée économique et politique tout à la
fois qui, tout en permettant de faire fonctionner un
système économique, conduit à obstruer la perspective d’un développement local au sein duquel l’ensemble de la population investie de manière active ou
par sa seule présence au sein d’un territoire fortement
esthétisé et valorisé par le regard touristique, participerait de la dynamique économique. Au lieu de cela, la
conservation est prétexte à diffuser un mode de gestion patrimoniale et territoriale conservatrice.
conclusion
En Inde, la nécessaire visibilité d’un patrimoine
diversifié, conservé et valorisé suscite une réorganisation des stratégies des acteurs qui tend à modifier ou
à réorienter les rapports de force locaux, obligeant
chacun à se positionner sur une conception précise visà-vis d’un ensemble d’éléments fortement valorisés
par le regard extérieur et pour lesquels il existe une
véritable pression visant à la conservation.
Cette pression induit des positionnements et des
mouvements très divers parfois difficilement conciliables dans la perspective d’une appréhension commune de ce qui, localement ou régionalement, doit
être conservé et de quelle manière. Dans la société
hindoue, les éléments structurants de l’identité
sociale ou religieuse, reconnus ou non explicitement
en tant que patrimoines, ne sont pas forcément
exclus du mouvement naturel aboutissant inexorablement à leur destruction. Dès lors, il n’existe aucun
paradoxe apparent à ne pas conserver en l’état des
éléments pourtant en état de dégradation avancée ou
à construire de toutes pièces des édifices qui, par les
attributs esthétiques et les références stylistiques
auxquels ils se réfèrent dans leurs formes, deviennent
du patrimoine.
75
Dans ce cadre caractérisé par la capacité de cette
société à produire un patrimoine national à partir de
l’appropriation d’éléments très disparates, qu’il s’agit
localement de trouver les moyens de coordonner. La
durabilité du patrimoine et sa capacité à induire des
tendances positives sur la société autant que sur les
économies locales relèvent alors de la manière dont
ces initiatives sont reconnues et dont s’exerce ou non
un soutien en leur direction. Les territoires indiens
souffrent d’un déficit de gestion publique qui obstrue
non seulement les perspectives de conservation et de
productions patrimoniales, mais plus largement
conduit à la dégradation des conditions de vie de nombreux espaces urbains. L’action patrimoniale ne peut
en effet s’effectuer que dans le cadre d’infrastructures
adéquates et de normes en matière de développement urbain et économique définies et respectées. La
production patrimoniale est bien inscrite au cœur des
problématiques de la gestion urbaine, une gestion
dans laquelle les pouvoirs publics ont du mal à jouer un
rôle incitatif et régulateur au regard de la force et de la
permanence des dynamiques sociales locales souvent
héritées de formes d’organisation anciennes, comme
c’est tout particulièrement le cas dans le Rajasthan. La
question des héritages sociaux et de leur permanence
englobe ainsi celle de leur pendant spatialisé, le patrimoine.
abréviations
ASI: Archeological Survey of India
FHRAI: Federation of the Hotel & Restaurant Association of India
IHM: Institute of Hotel Management
IHHA: Indian Heritage
IOF: Indian Oil Foundation
INTACH: Indian National Trust for Art and Cultural
Heritage
SCAC: Steering Committee on Art & Culture
TAAI: Travel Agents’ Association of India
WZCC: Western Zone Cultural Centre.
ZCC: Zonal Cultural Centre
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ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en inde. l’exemple du rajasthan
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ressources électroniques
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www.heritagehotels.com: site de l’IHHA.
www.indiaculture.org : site portail du Departement de la Culture du Gouvernement indien.
www.indiagov.org: site portail du Gouvernement
indien, regroupant des liens sur les autres sites
gouvernementaux.
www.indiatourism.org: site officiel du Ministère
indien du tourisme.
www.intach.org: site de l’INTACH.
www.investrajasthan.com: site de promotion du
Gouvernement du Rajasthan présentant les opportunités d’investissement économique dans l’État.
www.mewarindia.com : site du Mewar Group,
dirigé par le représentant de la dynastie royale d’Udaipur, Arvind Singh Mewar.
www.unescodelhi.nic.in: site de la représentation
Unesco en Inde.
77
dossier santé
dossier santé
dossier santé
dossier santé
dossier santé
dossier santé
dossier santé
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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une brève histoire de la santé dans les travaux de eso
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sébastien fleuret
umr
L
e 30 mars 2015 s’est tenu au sein de l’UMR
ESO, un séminaire consacré à la santé dans les
territoires. Le présent numéro de ESO Travaux et documents regroupe sous forme de dossier
une grande partie des travaux présentés ce jour-là et
montre la dynamique de cette thématique santé dans
l’unité de recherche. Cette dynamique se matérialise
dans les travaux des chercheurs mais aussi et peutêtre surtout, dans ceux des doctorants et étudiants de
Master 2 futurs doctorants qui, lors de ce séminaire,
sont venus donner encore plus d’épaisseur à un
ensemble de travaux déjà significatifs en augurant une
poursuite de la dynamique des études en santé dans
ESO durant les prochaines années.
Ce dossier thématique présente les travaux en
cours dans l’UMR à l’articulation entre santé et territoire.
Le premier texte, rédigé par Clélia Gasquet-Blanchard et Anne-Cécile Hoyez, propose quelques
réflexions sur les parcours et trajectoires dans le
domaine de la santé, issues de l’analyse d’entretiens
effectués auprès de femmes migrantes enceintes ou
ayant récemment accouché dans la ville de Rennes.
Une deuxième contribution présente les premiers
résultats du programme ANR Automed sur les pratiques
et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens envers l’automédication (Stéphanie LarramendyMagnin, Sébastien Fleuret, Laurent Brutus).
La troisième contribution expose le projet de
recherche de Léa Potin qui vise à créer un indicateur
composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires
Le texte suivant propose le projet de recherche de
Léa Potin qui vise à créer un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires.
La cinquième contribution analyse les dimensions
sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents à travers l’exemple du dispositif Maison des
Adolescents du Calvados (Métilde Havard).
eso angers - cnrs
6590 - université angers
Enfin, après une étude des pratiques spatiales dans
les espaces du quotidien des personnes souffrant de
troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à
domicile proposée par Sarah Painter, la dernière
contribution porte sur les immigrés en France au seuil
du grand âge (Aurélien Martineau).
Le texte ci-après a pour objectif de retracer l’évolution de la place de la santé en tant que thème de
recherche dans les travaux de l’UMR ESO depuis la fin
des années 1990. Il suit un plan chronologique au fil du
récit des initiatives prises par un ou des groupes de
chercheurs, au gré des publications et événements qui
ont ponctué le développement de ce champ de
recherche, qui constitue désormais une thématique
forte dans l’UMR
À l’origine, à la fin des années 1990, un ensemble
de personnes travaillait concomitamment sur des
questions de santé dans l’UMR:
• à Angers: un programme intitulé « ville-hôpital »
a impliqué de nombreux chercheurs du site et donné
lieu au financement de la thèse de Sébastien Fleuret
sur les espaces hospitaliers (2000); dans le même
temps Christian Pihet travaillait à l’étude du vieillissement, ce qui donnera lieu à la soutenance de son HDR
en 1998 (publiée aux PUR en 2003);
• à Caen: deux thèses portant directement sur la
santé ont été soutenues au début des années 2000
(Gwenaëlle Lerouvillois (2006) sur l’offre de soins en
Basse Normandie et Patricia Vinclet sur les infirmières
hospitalières). Dans le même temps, des chercheurs
travaillant sur des thèmes connexes ont inclu des
questions de santé dans leurs travaux: Benoît Raoulx
sur les programmes communautaires, la détresse
sociale confrontée aux enjeux de santé publique à
Vancouver (2002), Isabelle Dumont sur les sans-abris
et leurs problématiques sanitaires (2002)
• à Rennes: Raymonde Séchet travaillait sur les
questions de la pauvreté (1996) et commençait à s’in-
eso,
travaux & documents, n° 38, mars 2015
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une brève histoire de la santé dans les travaux de eso
téresser à la santé en tissant des collaborations avec le
département de médecine générale du CHU, par
exemple (Gwenola Levasseur) et avec l’ENSP – école
nationale de la santé publique (future EHESP-Ecole des
hautes études en santé publique);
• à Nantes: un premier Atlas de la santé du département de la Vendée et Machecoul a été publié en
1992 sous la responsabilité de N. Sztokmann,
D. Rapetti, J.-R. Bertrand et de C. Pihet. La même
équipe augmentée de M. Bigoteau et de L. Pourinet a
été sollicitée à nouveau par la DRASS pour la production d’un Atlas de la région des Pays de la Loire en
1993. Ce travail a été réalisé alors que le système de
santé français venait de connaître une réforme importante avec la création des SROS (schémas régionaux
d’organisation sanitaire) et que la Direction régionale
des affaires sanitaires et sociales (DRASS) était tenue
d’élaborer son premier schéma régional de santé. Il
s’agit là d’une illustration de l’utilité sociale des travaux
en géographie de la santé. Quelques années plus tard,
Valérie Jousseaume s’intéressera spécifiquement aux
recompositions de l’offre médicale en région (2002)
Dans ce contexte, un groupe de travail sur la santé
est créé en 1999 (intitulé POST: Population, santé, territoire) dont la première réunion, impulsée par Benoît
Raoulx à Caen, se tient dans la perspective du FIG de St
Dié les Vosges de 2000, dont le thème était justement
la santé. Cependant aucun des membres d’ESO n’a
communiqué lors de cet événement, ce qui aujourd’hui serait impensable. Une déclaration d’intention
est publiée en 2001 au sein de la revue de l’UMR, ESO
Travaux et documents, dans son n° 15.
Rapidement il est apparu aux yeux des chercheurs et
doctorant(e)s impliqués que pour faire perdurer ce
groupe de travail sur la
santé, il fallait se donner un
objectif: ce fut l’ouvrage
« la santé, les soins, les territoires », paru aux PUR en
2002 sous la direction de
Raymonde Séchet et de
Sébastien Fleuret (recruté
comme
chargé
de
recherche en 2001 sur la
problématique santé et
Dossier santé
territoires). Depuis lors, la santé est un champ de
recherche bien implanté dans ESO et va connaître des
périodes d’activité plus ou moins dense, une visibilité
plus ou moins grande jusqu’à aujourd’hui où les questions de santé occupent une place importante dans
l’unité et mobilisent un grand nombre de chercheurs
statutaires (DR, CR, MCF et PR) ainsi que des jeunes
chercheurs (Master 2, Doctorants et Post Doc), ce qui
a permis d’atteindre une taille critique qui ouvre de
belles perspectives.
La structuration actuelle des recherches en santé à
ESO est donc à replacer dans la continuité de ce qui
s’est fait depuis ce premier groupe de travail.
La continuité des recherches sur cette thématique
au sein de l’unité.
En 2003 sont initiés les premiers développements
vers le Canada à travers les travaux d’Alain Léobon sur
la communauté gay face au risque VIH Sida (programme ANRS) et de Sébastien Fleuret sur les centres
locaux de services communautaires (bourse Brec).
Cette même année, les analyses de la dimension
sociale de la surmortalité liée à la canicule en France
en 2002, proposées par R. Séchet, C. Pihet et S. Fleuret
ont mis en avant le fait que les décès semblaient
affecter plus spécifiquement les personnes socialement isolées et fragilisées. Mais faute de pouvoir
accéder aux données, ce chantier n’a pas été développé.
Les années 2003 et 2004 ont marqué les débuts
de nombreux partenariats avec des agences et collectivités diverses : Conseil général du Maine-etLoire, Agglomérations d’Angers, de Rennes, réseaux
d’associations (ex. médecins du monde), mutuelles
(ex. Mutuelles de Vendée, Mutuelle sociale agricole),
ARH – Agence régionale de l’hospitalisation, ARS –
Agence régionale de santé, etc. Les premiers travaux
en convention de recherche avec la DRASS des Pays
de la Loire portent sur le PRAPS (programme régional
d’accès à la prévention et aux soins) et, consécutivement au recrutement au CNRS de Djemila Zéneidi en
2003, sur l’accueil des sans-abris en CHRS-Centres
d’hébergement et de réinsertion sociale (contrat
piloté par S. Fleuret, Rapport publié en 2004).
Un premier événement est organisé en 2004 à
Angers, le Colloque « Peut-on prétendre à des espaces
une brève histoire de la santé dans les travaux de eso
de qualité et de bienêtre? », qui explore la
question du bien-être en
lien avec la définition de
la santé par l’OMS pour
qui la santé est « plus que
l’absence de maladie, un
état de bien-être complet, physique, mental et
social ». Les actes ont été
publiés aux Presses universitaires d’Angers en 2006.
En 2005, outre la poursuite des collaborations avec
la DRASS, s’engage un travail (impliquant M. Calvez,
R. Séchet et S. Fleuret) avec la CPAM du Loiret et le
bureau d’étude « Plénitudes » sur l’accès aux soins et
les inégalités de santé (cette recherche donnera lieu à
d’autres partenariats avec des CPAM dans d’autres
départements en 2012).
À partir de 2007, ESO s’élargit et le choix est fait
d’une organisation en transversalités, la santé disparaît en tant que thématique structurante pour s’inscrire dans les différents axes:
• Parcours de vie et santé: considérant que la prise
en charge en santé est le fait de différents acteurs qui
interviennent successivement ou simultanément
auprès de la personne, il paraît essentiel d’étudier les
parcours depuis une porte d’entrée (médecin, centre
de santé, hôpital) et à travers un cheminement parfois
complexe et pas toujours rationnellement organisé.
Une deuxième entrée dans cet axe est développée
par A.-C. Hoyez qui intègre ESO en 2012 comme chercheuse CNRS, après un premier passage en tant
qu’ATER (en 2007) et de nombreuses collaborations
alors qu’elle était affectée à l’unité CNRS Migrinter
(2008-2012). L’approche d’A.-C. Hoyez considère les
trajectoires de vie (notamment migratoires) et leur
impact sur la santé (cf. texte dans ce même numéro).
• Politiques et action publique en santé : on
retrouve dans cet axe les travaux portant sur l’organisation des soins, la construction locale de la santé, les
jeux d’acteurs avec les travaux de Sébastien Fleuret sur
les réseaux locaux et les jeux d’acteurs ou sur la santé
communautaire par exemple.
81
sur le plan de la recherche contractuelle, plusieurs
programmes continuent à être développés. Citons
notamment:
• Le programme ESCR Franco-Britannique co-piloté
par Sarah Curtis (Durham, UK) et Raymonde Séchet,
impliquant Anne-Cécile Hoyez et Sébastien Fleuret sur
le thème « migrations et santé ». Il s’agissait d’une
série de quatre ateliers internationaux visant à fédérer
un réseau de recherche et à comparer les sujets et
méthodologies d’étude. Ce travail a donné lieu à une
publication collective dans International journal of
migration, health and social care en 2009;
• Un programme d’étude sur le thème des pôles
d’excellence en santé (2007, Conseil de développement économique de l’agglomération d’Angers) piloté
par S. Fleuret a porté sur l’évaluation du potentiel de
développement économique local à partir des activités
en santé dans le Pays d’Angers;
• Une étude sur le vieillissement des personnes
handicapées (Conseil général du Maine-et-Loire, CNVA
et réseau associatif « CLH ») a été publiée sous forme
de rapport en 2009 et d’un article dans les Cahiers de
géographie du Québec (Fleuret, 2011);
• Un volet santé figurait dans le programme
ESSTER (économie sociale et territoires, financé par la
Diesess), il portait essentiellement sur l’étude du rôle
des associations de santé et des mutuelles (Thareau et
al., 2007);
• Plus récemment, un programme ANR sur l’automédication co-piloté par Sébastien Fleuret, Véronique
Guienne (Cens-Nantes) et Laurent Brutus (Médecine
générale, Nantes) étudie les effets de contexte dans
les variations d’usage et de perception des pratiques
de l’automédication. Anne-Cécile Hoyez est impliquée
dans ce programme. Les premiers résultats de cette
ANR font l’objet d’un texte spécifique dans ce dossier
(Fleuret S., Larramendy S., Brutus L.).
Plusieurs thèses ont été soutenues entre 2007
et 2013 dans le cadre d’ESO: Béatrice Chaudet (Handicap, vieillissement et accessibilité : Exemples en
France et au Québec, 2009); Sébastien Tusseau (La
prévention du VIH/SIDA au Mali: le travail des acteurs
de terrain, l’expérience des facteurs de transmission du
virus, et la construction de territoires sanitaires et
sociaux, 2013); Morgan Berger (L’accessibilité aux
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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une brève histoire de la santé dans les travaux de eso
soins des hémophiles en Bretagne, 2012); Erwan Le
Goff (Les Villes-Santé en Bretagne: quels choix de gestion et d’aménagement des espaces?, 2012); Mathilde
Plard (Vieillissement et care dans les familles transnationales indiennes: Expériences de vie de brahmanes à
Chennai et Coimbatore, 2012); Adeline Beyrie (Des
frontières du corps aux frontières de l’identité: l’expérience d’une vie au quotidien avec des incapacités
motrices majeures, 2013) et Ibrahima Dione (Polarisation des structures de soins de la Haute Casamance:
entre construction nationale des systèmes de santé et
recours aux soins transfrontalier, 2013).
Dans cette même période, deux ouvrages de référence ont été édités chez Économica Anthropos:
En 2007 sous la codirection de S. Fleuret et
J.-P. Thouez (Université
de Montréal) paraît :
Géographie de la santé,
un panorama. Ce livre
présente les principales
problématiques,
méthodes et orientations de recherche en
géographie de la santé.
C’est le premier ouvrage
complet et adossé à des travaux de recherche sur ce
sujet en français. Les ouvrages précédents étaient soit
orientés vers les questions d’économie de planification
et d’accès aux soins (par exemple le « Que sais-je? »
sur la géographie de la santé publié par Emmanuel
Vigneron et François Tonnelier en 1999), soit orientés
vers l’aménagement du territoire (par exemple l’ouvrage dirigé par Emmanuel Vigneron en 2002
aux éditions de l’AubeDatar), soit des Atlas
(Salem G., Rican S. Jougla
E., 2000 et 2006 avec
Marie France Kurzinger).
Suite à ce premier
ouvrage qui présentait
l’état de l’art dans les
pays occidentaux et
développait les sujets de
Dossier santé
recherche les plus courants, un deuxième volume est
publié en 2011. Il s’intéresse à des approches plus originales (études dans les
« Suds », approches non
conventionnelles en
santé...), à l’écart des
courants principaux,
voire inscrites dans une
logique critique. Il est
publié sous la co-direction
d’Anne-Cécile
Hoyez et de Sébastien
Fleuret toujours chez
Économica.
Auparavant, A.-C. Hoyez avait publié sa thèse
L’espace monde du yoga. De la santé aux paysages
thérapeutiques mondialisés, aux PUR (2005).
Plus récemment de nouveaux programmes avec
des partenaires locaux ou régionaux ont été développés:
• une étude sur la résorption des points noirs bruit
(PNB) pour le compte de l’ARH des Pays de Loire (B.
Chaudet et S. Fleuret, 2013) a montré l’importance des
perceptions et représentations de l’environnement
dans la façon dont les riverains de ces points noirs bruit
ressentent ou non l’amélioration apportée par la réalisation d‘un équipement antibruit et dans la façon dont
cela affecte leur santé (stress, sommeil...)
• La réalisation d’un observatoire participatif
santé-précarité pour la FNARS Bretagne (POPPS, en
ligne sur le site web de la FNARS) par S. Fleuret et C.
Cornelissen en 2014 (http://www.fnars.org/bretagnepopps)
• La poursuite des travaux sur migration en santé
dans le cadre du réseau des MSH notamment sur
l’accès aux soins des migrants (Hoyez, 2011)
• Un volet santé et bien-être dans l’enquête sur la
vie étudiante pilotée par J. Prugneau à Angers qui a fait
l’objet d’une publication dans le Geographical journal
en 2015, en co-écriture avec S. Fleuret
Des recrutements ont renforcé l’équipe et les nouvelles collègues qui apportent leurs thématiques et
programmes de recherche: Clélia Gasquet, MCF à l’EHESP, travaille sur les représentations de l’épidémie
une brève histoire de la santé dans les travaux de eso
liée au virus Ebola (thèse soutenue en 2011) et aussi
sur plusieurs dimensions socio-spatiales de la grossesse et de la maternité. Mathilde Plard, Chargée de
recherche CNRS à ESO Angers travaille sur le vieillissement et la fin de vie en relation avec les migrations
(voir son texte publié dans ESO travaux et documents
en 2013). ève Gardien, MCF en sociologie à Rennes travaille sur le handicap à travers la construction sociale
de l’évaluation du handicap, l’apprentissage du corps
après l’accident, ou encore les luttes politiques et
citoyennes par et pour les personnes handicapées.
Citons également Fatou Leity Mobdj, docteure en
sociologie qui a travaillé sur les patients atteints du VIH
au Sénégal et impliquée actuellement sur les trajectoires de soins des jeunes en Nouvelle Calédonie qui
est depuis 2015 chercheuse associée à ESO Angers.
Deux autres projets sont en cours et confèrent à
ESO une place centrale dans la structuration d’une
communauté francophone de géographie de la santé.
• Le premier est la création de la revue francophone
sur la santé et les territoires (rfst.hypotheses.org) dont les
premiers textes sont parus en avril 2015.
• Le second est l’organisation à Angers en 2017 de
l’International medical geography symposium, conférence mondiale bi-annuelle qui réunit l’ensemble de la
communauté des géographes de la santé de tous les
points du globe.
BiBlioGraPHie citée
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hémophiles en Bretagne, Thèse de géographie,
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Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé.
quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de
femmes migrantes enceintes ou ayant récemment accouché
dans la ville de rennes
85
clélia gasquet-blanchard
anne-cécile hoyez
umr
introDuction
D
ans cette contribution, nous proposons
une lecture des notions de « parcours et
trajectoires de soins » des migrants en prenant appui sur une recherche réalisée auprès de
femmes enceintes migrantes à Rennes. Nos travaux
sont ancrés dans un contexte pluridisciplinaire (équipe
en sciences humaines et sociales, notamment en géographie et en sociologie) et pluri-institutionnel dans le
cadre de collaborations avec des professionnels de la
santé, du médico-social et de l’interprétariat en santé.
Issus du programme de recherche MIGSAN1, les résultats présentés visent à articuler les dimensions spatiales et sociales de ces trajectoires qui constituent le
cœur de nos recherches: il existe un réel enjeu théorique et méthodologique à éclairer les modalités de
recours aux soins en prenant en compte les contextes
spatiaux (villes, quartiers, habitat, réseaux sociaux
dans lesquels ils prennent place). Aussi, deux grandes
questions de fond se posent pour nous. D’une part,
celle évoquée par Demazières et Samuel (2010) :
qu’est-ce qui, dans le parcours biographique, fait
contexte? Dans le cadre de nos réflexions, cela interroge en quoi le contexte participe à expliciter les états
de santé et les modalités d’accès aux soins pour les
migrants. D’autre part, nous cherchons à savoir comment articuler ce qui relève du parcours de soins, du
parcours migratoire et des trajectoires du soin pour
des populations dont les modalités d’accès aux soins
sont spécifiques et complexes. Pour cela, nous synthétiserons, dans une première partie, les éléments théoriques qui entrent dans le cadre d’analyse. Puis, nous
présenterons, dans une deuxième partie, des résultats
1- Projet de recherche financé par le Réseau National des MSH
(RN-MSH) de septembre 2012 à avril 2015. Le projet associait la
MSHB, la MSHS, la MSH Ange-Guépin ainsi qu’une unité non SHS
(le département de santé publique de l’Université Rennes 1).
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d’analyses sous forme de biographies synthétiques qui
permettent de mettre en lumière les ressources, ruptures et continuités telles qu’elles se jouent du point
de vue de femmes enceintes migrantes. Enfin, nous
discuterons des enjeux que soulève une telle
recherche, tant du point de vue de la recherche fondamentale que de la recherche appliquée. Nous avons
été confrontées à des (trajectoires de) femmes en
situation de précarité et/ou d’instabilité résidentielle.
L’éclairage que nous apportons vise à interroger les
cadres sociaux et spatiaux de leur quotidien de
femmes/migrantes/mères comme à donner des éléments de compréhension de leur contexte de vie aux
professionnels de la santé intervenant à leurs côtés.
eléments de contexte concernant la précarité
des femmes enceintes migrantes
Sur les 23000 femmes qui ont consulté dans les
missions Médecins du Monde dans 9 pays
européens (Médecins du Monde, 2015)
Concernant l’accès aux soins:
• 82 % des femmes n’ont pas de couverture
santé
• Plus de 50 % des femmes n’ont pas accès à
des consultations prénatales
• 58,2 % ont reçu des soins trop tardivement
Concernant les conditions de vie:
• 2/3 des femmes limitent leurs déplacements
quotidiens en raison de leur situation administrative et par peur d’être arrêtées
• 55 % vivent dans des hébergements temporaires
• 23 % considèrent que leurs conditions de
logement sont dangereuses pour leur santé et
celles de leurs enfants
• 50 % ont été séparées d’au moins un de leurs
enfants
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé.
quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes...
i. Parcours et traJectoires Dans le Domaine Du soin :
quelques Positionnements tHéoriques
La notion de « parcours » peut revêtir plusieurs
sens. La mobilisation d’une telle notion fait débat.
Dans le domaine des sciences médicales et de la santé
publique, la notion de « parcours » se rapporte aux
étapes liées à l’adressage administratif et répond à des
logiques institutionnelles; en ce sens, le « parcours »,
ainsi normé, ne permet pas de cerner la complexité
des enchevêtrements à l’œuvre dans les parcours de
vie et ne permet ni de rendre compte des logiques et
des choix effectués par les individus, ni des raisons de
ces choix (Séchet et Fleuret, 2006). En sciences
sociales, les travaux invitent à privilégier une approche
globale des relations entre individus et sociétés au
regard des orientations, choix, contraintes (en lien
avec leurs positions sociales) (Caradec, Ertul, Melchior,
2012). Également, il convient d’« interroger la dynamique contradictoire entre l’action des déterminismes
sociaux, familiaux, psychiques et le travail des individus sur leur propre histoire » (Bessin, 2009), de
prendre en compte les « bifurcations » qui illustrent
concomitamment les évolutions conjoncturelles, voire
structurelles qui « font contexte » pour ces trajectoires
(Bessin et al., 2010) et, enfin, de souligner les ré-agencements dans les dynamiques et les configurations des
trajectoires de vie (Bessin, 2009).
Dans nos travaux, nous avons été confrontées au
besoin impérieux de contextualisation des parcours de
soins de patients migrants primo-arrivants. En effet,
vis-à-vis de ceux-ci, l’analyse par « parcours de soins »
s’est vite révélée insuffisante: sans mise en perspective, ils n’indiquent que du non-recours, de la sur-utilisation et/ou de la sous-utilisation des services de
santé. Les parcours peuvent alors être qualifiés
d’« irrationnels » aux yeux de la santé publique, et par
effet de glissement de sens, on risque de voir émerger
la mise en place d’un discours culturaliste.
C’est la raison pour laquelle nous avons intégré la
notion de « trajectoire de soin » telle qu’elle a été
théorisée par A. Strauss (Strauss, 1978; Strauss et Baszanger, 1992). Celle-ci, mobilisée dans les processus de
soin (maladie, ou bien un événement comme la grossesse), met le contexte au cœur de la réflexion: elle
permet d’aborder comment le processus de maladie
Dossier santé
déclenche un travail spécifique chez les soignants et
les proches des patients, notamment par le passage de
« trajectoires de routine » à des « trajectoires problématiques » par exemple. Cette notion englobe le
caractère imprévisible des processus de maladie et de
la vie quotidienne (Bessin et al., 2010) et comporte
autant une dimension biographique que collective. La
notion de « trajectoire » donne ainsi un cadre théorique pour entrevoir les soins et l’accès aux soins dans
leur complexité, qui permet d’introduire les notions de
« rupture » et de « continuité » dans un même
ensemble d’analyse. Ce cadre fondamental associe
alors plusieurs dimensions spatiales, temporelles et
sociales qui nous permettent de prendre en compte
les liens entre acteurs (associations, patients, familles,
professionnels de santé et du social) mais également
entre acteurs et institutions (quel accès, quel fonctionnement?) selon différentes temporalités et spatialités
au sein de différents mondes sociaux.
ii. métHoDoloGie
Ces considérations théoriques comportent un défi
méthodologique: si les parcours sont régulièrement
étudiés en sciences sociales, on en mesure moins bien
les effets de contexte (Demazières et Samuel, 2010).
Nous avons interviewé 22 patientes enceintes suivant
une grille d’entretien conçue pour appréhender les
éléments contextuels. Ces femmes avaient consulté
pour un suivi pré et/ou post-natal ou accouché depuis
moins d’une semaine, au CHU de Rennes. Le point de
contact avec les femmes s’effectuait grâce à l’appui du
personnel médical (sages-femmes, aides-soignantes,
obstétricien.ne.s), partie prenante de cette recherche,
qui nous indiquait les femmes qui correspondaient à
nos critères d’inclusion. Nous demandions aux
femmes si elles acceptaient d’effectuer un entretien,
et, le cas échéant, celui-ci était réalisé par nos soins
dans une pièce à part, réservée pour les besoins de l’étude2.
Les entretiens ont été menés avec l’autorisation du
chef de service maternité gynéco-obstétrique, au ser-
2- Les entretiens, d’une durée de 25 minutes à 2h30, ont été
enregistrés puis retranscrits. Ils ont été anonymisés. Les prénoms
des femmes utilisés ici sont donc fictifs.
Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé.
quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes...
vice de consultation obstétrique ou dans les chambres
des patientes en maternité. Les entretiens ont été
conduits en français lorsque c’était possible, ou en
anglais, ou avec l’aide d’un.e interprète professionnel.le spécialisé.e en santé. Quelques entretiens
ont été réalisés avec un interprète « familial », comme
le mari; ils ont alors été considérés comme des entretiens « de couple » et non plus individuels; d’autres
ont été parasités par la forte intrusion dans l’interprétation des expériences de la grossesse par la personne
tierce; ils n’ont pas été intégrés à cette analyse.
Les femmes interrogées sont de différentes nationalités (marocaine, algérienne, serbe, congolaise, guinéenne, comorienne, cubaine, turque, hongroise,
équatorienne, tchétchène, géorgienne, malgache).
Certaines sont arrivées depuis quelques semaines en
France, d’autres y vivent depuis plusieurs années;
toutes sont nées à l’étranger et ont migré au cours de
leur vie; elles ont différents statuts au regard du droit
au séjour (demandeuses d’asile, différents titres de
séjour temporaires); certaines ont eu des grossesses
et accouchements dans leur pays d’origine.
iii. Présentation De BioGraPHies et traJectoires syntHétiques
synthèse « biographie et trajectoire » de noura
Cette jeune femme native des Comores arrive à Mayotte
avec ses parents quand elle est enfant. Elle y grandit et
tombe enceinte en 2005. Elle ne reste pas en lien avec le
père. Elle accouche à Mayotte prématurément. Son enfant
est transféré pour soins à la Réunion où elle ne peut pas l’accompagner. Elle est séparée de lui durant plusieurs
semaines. Les médecins de Mayotte l’informent que si des
problèmes de développement chez son enfant apparaissent,
ils seront mieux pris en charge en France métropolitaine.
Observant effectivement un retard de développement chez
son fils, la jeune femme choisi de migrer en France. Sa sœur
vit à Rennes, ce qui participe à son choix dans la destination.
Dans un premier temps, elle vient avec un visa d’étude qui lui
permet également de bénéficier d’une chambre en cité universitaire. Elle laisse son enfant à sa mère à Mayotte le temps
de s’installer en France pour pouvoir l’accueillir convenablement. Après 7 mois, elle le fait venir pour la mise en place de
soins adaptés. Il est suivi par une assistante sociale et en
Centre Médico-Psychologique (CMP). Au moment de l’entretien, elle vient d’obtenir un logement social de 4 pièces, et
consulte pour un suivi de grossesse coordonné par un
médecin généraliste et le service gynécologie et obstétrique
du CHU de Rennes.
87
synthèse « biographie et trajectoire » d’eva
La trajectoire de cette jeune femme serbe est marquée
initialement par une migration estudiantine. Elle arrive à 18
ans en France et décide par la suite d’y rester. Elle travaille
sans contrat dans une pâtisserie parisienne. Durant cette
période elle réside dans un centre social, puis est hébergée
chez une amie à Rennes. Son conjoint la rejoint en France,
mais il réside chez sa sœur à Tours, le couple ne peut alors
se rencontrer qu’occasionnellement. La jeune femme
obtient un emploi de baby-sitter à temps plein. Cependant,
la femme qui l’emploie la sous-paie et la situation de la
jeune femme s’apparente à de l’esclavage domestique. Elle
quitte cet emploi et trouve un hébergement dans un centre
social pour femmes et entame une procédure judiciaire à
l’encontre de son ex-patronne. Elle attend le jugement. En
fonction de l’issue et des indemnités éventuelles, le couple
réfléchit à un retour au pays et à l’ouverture d’un commerce. Elle tombe enceinte et, après son accouchement,
les services sociaux lui proposent une place dans un centre
d’hébergement « mère-enfant ». Elle refuse cette place car
elle préfère rester avec son conjoint et ne peut imaginer la
maternité sans l’aide quotidienne de son conjoint.
synthèse « biographie et trajectoire » d’omara
Cette jeune femme d’origine cubaine vit en France depuis
1998, suite à son mariage avec un Français. Elle obtient un
permis de résidente en 2003. Elle donne naissance à un premier enfant la même année. En 2004, son mari décède accidentellement juste avant la naissance de leur 2e enfant. Elle
se retrouve alors seule avec ses deux enfants sans famille en
France. Elle est prise en charge par les services sociaux, et
obtient un petit appartement à Rennes. En 2006, elle se
marie avec un autre Français et donne, la même année, naissance à un 3e enfant. Le couple divorce en 2008. Elle se
retrouve à nouveau seule avec trois enfants à charge et est
régulièrement aidée par les services sociaux. En 2009, elle
s’installe avec son partenaire actuel, un homme cubain.
Entre 2008 et 2011, elle subit 3 fausses-couches et affronte,
suite à cela, des complications de santé majeures, traitées à
Cuba lors de séjours temporaires. Quand nous l’avons rencontrée, elle venait juste de donner naissance à un 4e enfant.
Elle se décrit comme « hyperfertile » (elle a eu 7 grossesses
et 4 enfants) et a formulé une demande de ligature des
trompes. Cette intervention lui a été refusée au motif qu’elle
a moins de 30 ans (alors que la loi ne pose aucune limite
d’âge). Elle était très anxieuse au sujet de ses deux aînés, pris
en charge par l’ASE, et de son 3e enfant, placé sous la responsabilité de son 2e mari. Elle est très inquiète aussi pour le
devenir de son nourrisson et de son couple: la demande de
visa de résident pour son partenaire a été refusé, et il était
sur le point de tomber dans la catégorie des « sans-papiers ».
Aussi, en tant que mère de 3 enfants de nationalité française,
d’un enfant pour qui cette nationalité n’est pas acquise et
conjointe d’un homme susceptible d’être expulsé du territoire, elle se trouve prise au piège d’une situation administrative inextricable. Pour toutes ces raisons, elle développe
beaucoup d’angoisses notamment en raison des risques et
menaces d’origine administratifs plutôt que de ses conditions de vie ou de santé personnelles.
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé.
quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes...
Le cas de Noura a été choisi car il illustre une forme
de trajectoire ascendante et vécue positivement par la
femme: les repérages dont elle a fait l’objet par les services sociaux lui valent une prise en charge au plus près
de sa situation. Les cas d’Eva et Omara ont été choisis
car ils concernent des femmes qui se retrouvent dans
des situations de rupture, engendrées par des rapports
de force complexes voire conflictuels avec les services
sociaux, mais également avec les services d’immigration qui font peser une menace sur la stabilité de leur
famille.
Ces différents cas de figure mettent en avant un
fait constamment repéré dans nos entretiens: dans les
situations rencontrées, l’approche par trajectoire
permet de cerner les situations de ruptures et/ou de
leviers dans les prises en charge qui peuvent induire
des situations délétères pour la santé, et qui prennent
racine non seulement dans les expériences du soin
(ruptures de soins), mais aussi du social (prise en
charge sociale) et de la migration (obtention des titres
de séjour).
iv. quelques éléments De Discussion
Au regard d’une entrée par un état de santé (la
grossesse), les trajectoires établies dans ces entretiens
illustrent les imbrications et influences réciproques
que peuvent avoir les parcours de soins sur les parcours de vie, migratoires et inversement. Ces processus montrent que l’accès aux soins et à la santé ne
peut être pensé en dehors des parcours et des
contextes de vie des individus. Le cas de Noura nous
permet, grâce à la contextualisation de son parcours
de vie, de mieux cerner sa trajectoire migratoire
entamée par ses parents (des Comores vers Mayotte)
et poursuivie par elle (de Mayotte vers la France).
Cette trajectoire, guidée par le besoin de soins vitaux
pour son fils aîné, induit par deux fois une rupture dans
la relation avec son enfant (séparation à la naissance,
puis séparation lorsqu’elle part en France en vue de
s’établir avant de le faire venir). Dans le second cas, il
s’agit d’une séparation accompagnée par un réseau
familial très présent, puisque l’enfant est gardé par sa
grand-mère à Mayotte et que la mère est accueillie par
sa sœur en France. On voit donc bien ici comment les
différents mondes sociaux constituent un contexte
Dossier santé
complexe qu’il est opportun d’analyser en termes de
trajectoire. De cette façon, en développant une
approche globale qui prend en compte le travail et le
positionnement soignant, on aborde aussi le contexte
d’exercice du soin qui participe à mieux appréhender
les problématiques rencontrées dans les processus
institutionnels. Comment peuvent se positionner les
soignants dans certains cas de conflictualité avec leurs
patientes? Comment réagissent-ils par exemple face
au refus de certaines de leurs propositions (comme
avec Eva), ou, inversement, face à une demande qu’ils
considèrent comme inopportune (comme avec
Omara)? Au moment de l’entretien Eva nous explique
qu’elle a refusé la place en foyer mère-enfant que lui
ont proposé les services sociaux pour ne pas être
séparée de son conjoint. Elle souhaite un hébergement où celui-ci pourra leur rendre visite, voir résider
avec elle et le nouveau-né, ce qui n’est pas possible
dans le type de foyer proposé. En effet, au cours de la
grossesse, le conjoint n’est pas « absent » relationnellement du couple et de la grossesse, mais il est
contraint, par son emploi de routier, de vivre à Tours
chez sa sœur. Le contexte institutionnel dans le champ
médico-social en France implique de repérer les
femmes seules, ainsi que les femmes seules, surtout si
elles sont enceintes ou avec enfants en bas âge, et de
leur proposer, si possible, une prise en charge adaptée.
Quand c’est le cas, cela implique une négociation,
voire une mobilisation, entre des services sociaux et
médicaux débordés par les demandes, et qui se voient
contraints, du fait du caractère « spécifique » de l’action, de « sortir » du cœur de leur profession. Le refus
d’Eva a donc pu être perçu comme une opposition à
un dispositif « favorable » pour elle du point de vue du
corps médical et médico-social, et non comme l’expression de sa volonté d’être entourée, en sortie de
maternité, de son conjoint. Omara a émis plusieurs
demandes de stérilisation à visée contraceptive. Le
contexte de l’exercice de la médecine obstétricale provoque certains « blocages » dans la pratique de la stérilisation en France, qui s’illustre ici par le fait que la
demande d’Omara ne peut être entendue par les
médecins qui l’ont suivie au motif qu’elle serait trop
jeune. Sa demande aurait très certainement été
acceptée dans d’autres contextes nationaux (au Nord
comme au Sud). Ce contexte français participe à
Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé.
quelques réflexions issues de l’analyse d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes...
mettre en difficulté cette femme qui ne se sent pas
comprise des soignants qui la suivent et qui craint fortement les répercussions de ce refus sur sa vie familiale.
Les contextes médicaux, légaux et médico-sociaux
dans lesquels évoluent les soignants les placent en
situation d’émettre et de recevoir des injonctions
contradictoires de différentes sphères institutionnelles
et relationnelles et de devoir prendre des décisions qui
peuvent avoir des impacts importants dans la trajectoire des patientes qu’ils suivent. C’est la raison pour
laquelle, nous prenons en compte l’ensemble de ce
contexte médico-social, notamment car il participe à
influencer les trajectoires de vie de ces femmes. Nous
analysons tout le registre d’action dans ce domaine et
l’incluons comme déclencheur d’éléments biographiques (en termes de ruptures ou leviers) qui participent à l’accès et au recours aux soins et donnent lieu à
d’éventuelles nouvelles chaînes d’événements. La
notion de trajectoire permet ainsi d’établir les allersretours nécessaires entre les différents mondes
sociaux (professionnels, familiaux, institutionnels,
sanitaires) auxquels appartiennent les individus.
L’enjeu de notre recherche est donc d’approfondir les
connaissances sur les trajectoires de ces femmes en les
replaçant dans leurs dimensions spatiales, c’est-à-dire
en tenant compte de l’importance des contextes de
logement, des contraintes ou possibilités de mobilité,
de la mobilisation de réseaux sociaux, proches ou
dispersés.
89
BiBlioGraPHie
• Bessin M., 2009, « Parcours de vie et temporalité
biographiques: quelques éléments de problématique », CNAF, Informations sociales, 2009/6 -156:
12-21pp.
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l’événement, Paris, La Découverte.
• Demazière D., Samuel O., 2010, « Inscrire les parcours individuels dans leurs contextes », Temporalités: 11. Http://temporalites.revues.org/1167
• Caradec V., Ertul S., Melchior J.-P., 2012, Les
dynamiques des parcours sociaux : Temps, territoires, professions, Rennes, PUR
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de pouvoir et des inégalités : pour une géographie
sociale de la santé », in Séchet R., Veschambre V.,
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à une épistémologie de la géographie sociale,
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• Strauss A., Baszanger I., 1992, La trame de la
négociation, Sociologie qualitative et interactionnisme, L’Harmattan, 319 p.
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des
pharmaciens. étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
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sébastien fleuret
umr
eso angers - cnrs
6590 - université angers
stéphanie larramendy-magnin
laurent brutus
déPartement de médecine générale, université de nantes
S
ylvie Fainzang, anthropologue, définit l’automédication comme un acte de consommation d’un médicament, à l’initiative de l’usager, sans avoir consulté préalablement un
professionnel de santé (Fainzang, 2012). La problématique de l’automédication ouvre de nombreuses questions: l’usage des médicaments (Fainzang, 2012), les
relations médecin-patient (Fainzang, 2006), les enjeux
politiques autour du rôle et de la place du médecin
prescripteur et la remise en cause de certaines prérogatives professionnelles (Fainzang, 2012). Dans la
lignée de la loi du 4 mars 2002 qui mettait en avant les
notions de décision partagée ou co-décision entre
patient et médecin, l’automédication est aujourd’hui
reliée à la question de l’autonomie du patient (Gagnon
E., 1998, Fainzang, 2012) qui va de paire avec les
savoirs que celui-ci possède (Akrich, Meadel, 2009) et
la façon dont il va ou non échanger sur ce sujet avec un
professionnel de santé dans une confrontation savoir
professionnel/savoir profane (Jouet, Flora, 2010).
Cet article s’inscrit dans le contexte français, qui se
distingue par une faible importance du marché de l’automédication, en valeur comme en volume, par rapport à ses voisins européens (Coutinet, Abecassis,
2007,). Toutefois dans un souci de maîtrise des
dépenses publiques, les pouvoirs publics cherchent à
encourager ces pratiques d’auto-soins. La problématique de cet article se situe donc à l’articulation de l’autonomie du patient et celle de la santé publique. En
effet, si 68 % des Français se déclarent favorables à
l’automédication (Deloitte/Harris Interactive., 2013),
cette pratique n’est pourtant pas sans danger. Le
retard de diagnostic suite à une automédication prolongée et les risques iatrogènes sont les principales
sources d’accidents (Queneau, 2008,). Face à ce
risque, le « rapport Coulomb », commandité en 2007
par le Ministre de la Santé, désigne le médecin géné-
raliste et le pharmacien comme les garants du « bon
usage » des médicaments d’automédication et de la
« prévention de certains risques encourus par le
patient » (Coulomb, Baumelou, 2007). Le rapport précise le devoir du médecin de « vérifier, voire d’orienter
l’automédication du patient », spécifiant toutefois qu’il
ne pourrait « être tenu responsable du mésusage d’un
patient ». La place du pharmacien comme partie intégrante de l’offre de soins primaire et de proximité s’en
trouve renforcée.
La présente étude cherche à comprendre comment ces professionnels de santé perçoivent et intègrent cette mission de Santé publique dans leurs pratiques quotidiennes. Comment dans l’exercice de leur
profession, ils encouragent ou freinent l’automédication. Comment ils perçoivent les récentes politiques
publiques qui ouvrent le marché de l’auto-soin. La
façon dont les médecins s’accommodent de ces pratiques d’automédication est souvent abordée dans la
littérature scientifique mais très rarement comme
objet central de la recherche.
Les résultats obtenus par entretiens semi-directifs
auprès de médecins et pharmaciens des aires urbaines
de Nantes et Saint-Nazaire durant le premier semestre
2014, rendent compte de la diversité des pratiques et
mettent celles-ci en lien avec des effets de proximité
géographique et professionnelle (LarramendyMagnin, Fleuret, 2015).
i- matériel et métHoDe
La méthodologie s’est déroulée en deux temps: le
choix des communes pour réaliser nos entretiens puis
la construction des grilles d’entretien et l’organisation
des entretiens avec les professionnels.
L’étude a été menée dans le cadre du programme
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens.
étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
de recherche ANR « AUTOMED1 », « Automédication
choisie ou subie » 2013-2016, qui propose l’analyse
des déterminants sociaux, territoriaux et médicaux du
recours à l’automédication, dans les départements de
Loire-Atlantique et de Vendée. Ce programme interdisciplinaire combine les outils et méthodes de trois
disciplines : médecine générale (DMG de Nantes),
sociologie (CENS Nantes) et géographie (ESO-Angers et
ESO-Rennes). Les terrains retenus pour analyser les
positionnements des médecins généralistes, éclairés
par le point de vue des pharmaciens face à l’automédication, ont été choisis dans le périmètre de ce programme.
Deux enquêtes du programme AUTOMED ont été
utilisées, de façon exploratoire, pour sélectionner les
médecins et pharmaciens à rencontrer2.
La première interrogeait les pratiques d’automédication de patients enquêtés en salle d’attente de médecine générale. L’enquête a duré deux mois et reposait
sur des questionnaires anonymes et auto-administrés.
Cette enquête s’est répétée chaque année durant les
trois années du projet de recherche AUTOMED mais
seules les données quantitatives de la vague 1 de l’étude, réalisée de mai à juin 2013, étaient disponibles et
exploitables au moment de la réalisation de cet article.
La deuxième étude a été réalisée à partir d’observations directes de consultations de médecins généralistes, maîtres de stage universitaires, en Vendée et
Loire-Atlantique du 14 mai au 15 juin 2012 (Thay, 2013)
par des internes de médecine générale, dans le cadre
du stage « praticien » de niveau 1 du Diplôme d’études
spécialisées de médecine générale. Ce travail cherchait
à déterminer au travers des discussions entre le
médecin et son patient si la question de l’automédication était abordée lors de consultations pour des pathologies aiguës, qui initiait alors la discussion et si cette
discussion était prise en compte dans les prescriptions.
Les médecins, s’ils connaissaient la thématique générale de l’étude, n’étaient pas informés de l’objectif principal de cette étude afin de ne pas modifier leur comportement.
1- Programme porté conjointement par le Centre nantais de
sociologie (V. Guienne) ; le Département de médecine générale
de Nantes (L. Brutus) et ESO (S. Fleuret)
2- Pour plus d’information sur le programme AUTOMED,
consultez le carnet de recherche en ligne : http://automed.hypotheses.org/12
Dossier santé
À partir de ces deux études, il a été observé que les
taux d’automédication (étude 1) et la fréquence d’évocation, d’exploration et de prise en compte de l’automédication en consultation (étude 2) varient géographiquement. Les agglomérations nazairienne et
nantaise se singularisaient par des taux différents de la
moyenne territoriale, en limite de signification statistique (respectivement inférieur et supérieur). Ces
variations géographiques ont été étudiées en profondeur et font l’objet d’un article publié par ailleurs (Larramendy-Magnin S., Fleuret S. 2015). Dans le cadre du
présent travail, cette observation a déterminé le choix
de conduire des entretiens approfondis avec des
médecins et pharmaciens dans ces deux territoires
dont les rapports à l’automédication se différenciaient
significativement.
Dans les deux zones définies, les médecins généralistes ont été contactés en fonction de leur commune
et leur quartier d’exercice afin d’obtenir un échantillon
comprenant des contextes socio-économiques de pratiques variés. Les médecins généralistes ont été
contactés au hasard dans un premier temps sur les
communes identifiées à partir de la base de données
Ameli.fr pour limiter les biais de sélection. Dans un
deuxième temps, une tentative de redressement de
l’échantillon sur le sexe des praticiens a été effectuée
(la donnée « âge » n’était pas disponible). Pour compléter le point de vue des médecins, des pharmacies
ont été contactées dans un deuxième temps en fonction de leur proximité avec les cabinets médicaux
enquêtés ou de leur situation en zone de passage
(galeries marchandes).
Des grilles d’entretien spécifiques à chaque type de
professionnel ont été utilisées pour contextualiser les
propos (choix d’installation, données sociologiques,
patientèle...) et pour positionner le professionnel de
santé dans ses perceptions et ses pratiques vis-à-vis de
l’automédication (la définir, l’encourager ou la freiner,
positionnement par rapport aux politiques publiques,
réactions face à cette automédication...). La grille d’entretien visait à faire décrire leurs pratiques aux professionnels sans considération de justification de ces pratiques, et à livrer leurs perceptions à partir de leur
expérience individuelle. Les entretiens ont été menés
par un ingénieur de recherche bénéficiant de la double
compétence de géographe et de médecin.
automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens.
étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
Le travail de recherche portait en premier lieu sur
les médecins généralistes. Mais il semblait judicieux de
s’intéresser également aux pharmaciens. Ils sont positionnés immédiatement après la prescription dans la
délivrance du médicament et donc en continuité de ce
qui a pu se jouer en terme d’automédication dans la
consultation et sont témoins et acteurs des enjeux de
la prescription/non prescription. Ils portent également
un regard sur la relation médecin-patient. Hors l’une
des hypothèses de ce travail est que la nature de cette
relation conditionne le rapport à l’automédication. Par
conséquent, des entretiens ont été réalisés avec des
pharmaciens en complément des entretiens avec les
généralistes pour éclairer ces deux points.
Les entretiens enregistrés après accord ont ensuite
été intégralement retranscrits pour permettre une
analyse fine des discours. La quasi-totalité des entretiens a été réalisée par le même enquêteur pour ne
pas introduire de biais dans le questionnement des différents professionnels. L’analyse des discours s’est
effectuée à partir du logiciel Nvivo (QRS International).
Les différents thèmes apparus au cours des entretiens
ont été encodés puis analysés pour leur contenu, sans
comptage d’occurrence des mots.
ii- résultats
1. les professionnels enquêtés
49 professionnels de santé ont été enquêtés au
cours d’entretiens de 40 minutes en moyenne. Le taux
de refus était de 33 %.
2. interroger et prendre en compte l’automédication
« Abordez-vous le sujet de l’automédication durant
vos consultations? ». Un médecin homme sur deux
répond spontanément « non », ne se sentant ni vraiment concerné, ni vraiment préoccupé par cette problématique comme en témoigne ce médecin de 55
ans: « C’est plus eux qui en parlent éventuellement
parce qu’ils ont été, avant de nous voir justement, à la
pharmacie (...) et puis que ça n’a pas marché. Voilà je
ne développe pas plus que ça ».
93
Le sujet est tout de même parfois évoqué « à titre
informatif » comme l’évoque un médecin de 43 ans
« Je leur demande ce qu’ils ont pris (...) S’ils ont avalé
tout ce qu’ils avaient dans leur pharmacie ou s’ils n’ont
rien pris ça m’aide à quantifier le problème ».
Ceux qui répondent « oui », pour plus de la moitié,
se revendiquent d’une médecine lente, plus globale
(par exemple des acupuncteurs ou médecins exerçant
dans des cabinets issus du militantisme médical de la
fin des années 1970).
16 femmes médecins sur 18 répondent spontanément « oui », presque comme une évidence. Elles
interrogent les pratiques d’automédication pour:
• savoir où en est le patient dans la prise en charge
de ses symptômes;
• prévenir les risques et éviter les interactions ou
les redondances avant prescription;
• repréciser le bon usage des médicaments pris en
automédication.
« Avant de prescrire je leur demande si déjà ils ont
pris quelque chose, systématiquement, pour ne pas en
rajouter ou éviter un accident », témoigne une praticienne de 50 ans.
L’automédication reste principalement interrogée
au travers de la question: « Qu’avez-vous pris avant de
venir me voir? », ce qui cible une automédication prise
en réponse à un symptôme pour lequel le patient est
venu consulter. Ainsi formulé, ce questionnement
n’explore pas l’automédication qui pourrait intervenir
pour d’autres symptômes que le patient ne souhaiterait pas évoquer avec son médecin, soit par gène (laxatifs), soit parce qu’il pense que le médecin ne répondrait pas à son questionnement (fatigue chronique) ou
celle prise en prévention des maladies (vitamines, fortifiants). De même, cette façon d’interroger l’automédication se focalise essentiellement sur l’usage de produits et moins sur des pratiques de soins non
médicamenteuses.
L’automédication avec des médicaments non allopathiques est exceptionnellement interrogée. Or selon
Kesser, Hatz, Schär (2001), l’automédication devient
spécialement intéressante quand on la considère en
rapport avec l’utilisation de segments de deux médecines: médecine orthodoxe et médecine complémentaire. L’explication de cette faible interrogation de l’au-
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automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens.
étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
tomédication non allopathique réside probablement
dans le fait que ces médicaments (homéopathie, phytothérapie, aromathérapie) sont considérés comme de
la médecine douce, n’ayant que peu d’effets, présentant peu de risques, et par conséquent préoccupant
peu les médecins. Un médecin de 43 ans témoigne:
« je ne suis pas sûr qu’on me le dise tout le temps ce
genre d’automédication, (...) parce que je n’ai pas une
oreille très réceptive (...) je ne suis pas sûr d’y croire
beaucoup ».
La façon de questionner l’automédication est très
certainement liée à ce que les médecins envisagent de
faire de l’information recueillie. À travers l’analyse de
nos entretiens, deux types de médecins apparaissent.
Le premier, celui des sceptiques qui doutent de leur
capacité à encadrer les pratiques de leurs patients. Ils
estiment que ceux-ci sont peu observants et que quoi
qu’il arrive ils prendront en charge de multiples
façons leur santé en dehors de la médecine qu’ils leur
proposent.
Le deuxième type est composé de médecins plus
confiants sur l’efficience de leur prise en charge et
de leur éducation thérapeutique. Ainsi, ils pensent
parvenir à encadrer l’automédication de leurs
patients. « À la fin de la consultation je leur explique
des choses, je leur donne des consignes pour la prochaine fois dans la même situation, ça vous avez le
droit de le faire avant de venir me voir (...)» explique
un jeune médecin de 32 ans. La répartition des
médecins dans un type ou dans l’autre semble obéir
à une combinaison de facteurs : un effet de génération, de formation et de la représentation que se fait
le médecin de sa relation au patient, plus ou moins
paternaliste. Ainsi, le premier type plus empreint de
fatalisme et de renoncement semble aussi concerner
des médecins plutôt plus âgés ayant donc reçu une
formation différente de celle dispensée actuellement (abandon du modèle paternaliste au profit
d’une approche centrée sur le patient (Véluet,
2008,) et qui ont eu depuis une pratique professionnelle qui leur a apporté un certain pragmatisme.
C’est ce que rapporte ce médecin nantais « voilà 50
ans... on s’embête moins (rires) », autrement dit, on
ne se berce pas d’illusions sur la portée des recommandations formulées.
Dossier santé
3. une vision positive ou négative de l’automédication
Les professionnels étaient invités à définir l’automédication. De la définition littérale du mot au jugement de valeur, de la pratique à risque à l’autonomie
positive du patient, les visions sont très variées. Certains médecins qualifient l’automédication comme
une pratique « en dehors des bonnes pratiques »,
contraire au bon usage du médicament, contraire à
leur préconisation, « des gens qui prendraient par
exemple, des anti inflammatoires, des antibiotiques,
sans avis médical. Mais s’ils prennent un peu de doliprane ou soignent une plaie, pour moi ce n’est pas de
l’automédication ». Dans cet exemple, le médecin
s’oppose à la prise autonome d’anti-inflammatoires ou
d’antibiotiques issus de la pharmacie familiale, puisqu’il la juge inappropriée et la qualifie alors d’automédication. Il approuve par ailleurs l’utilisation de paracétamol qui ne peut s’apparenter dès lors à de
l’automédication.
Un autre médecin définit l’automédication comme
« un non-dit », suggérant un défaut de confiance entre
le patient et son médecin. Enfin, un médecin définit l’automédication comme « de la concurrence déloyale »
mettant en cause le rôle croissant des pharmaciens
dans la prise en charge médicale des patients. Il ne s’agit
pas là d’une vision économique mais d’une forme de
revendication d’un pré-carré lié aux savoirs acquis (ou
supposés) et aux actes y afférant. Les définitions à
consonances négatives émanent toutes de médecins de
plus de 50 ans, principalement des hommes. Il apparaît
au cours des entretiens avec ces praticiens qu’ils subissent l’automédication de leurs patients qu’ils vivent
comme une rupture de confiance au profit d’autres
interlocuteurs, dont le pharmacien.
La notion d’autonomie apparaît dans les définitions
de l’automédication à consonances positives. Elle est
présentée comme bénéfique, mais parfois restreinte à
la prise en charge des pathologies bénignes à l’instar
des préconisations gouvernementales, « le patient qui
est capable de traiter des petits soucis ponctuels de
santé ». Cette définition se retrouve plutôt chez de
jeunes médecins femmes confiantes dans leurs capacités ainsi que dans celles de leurs patients à avoir une
prise en charge raisonnée et raisonnable de la santé de
ces derniers. L’automédication est souvent définie
automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens.
étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
comme un acte volontaire « des patients qui veulent
gérer eux-mêmes leurs symptômes (...) des gens qui
veulent se soigner tout seuls ». Un médecin nazairien y
voit même « un geste spontané, naturel, sans prise de
risque épouvantable », soulignant au passage que nous
nous « automédiquons tous », lui, le premier. Des
médecins soulignent quelques avantages de ces pratiques: celui de « temporiser » le recours à la consultation, principalement dans le cas des viroses hivernales,
libérant ainsi des créneaux horaires pour des pathologies nécessitant rapidement un avis médical, ou de
faire avancer la prise en charge, notamment dans le cas
des douleurs, le patient ayant déjà testé l’efficacité
d’un premier traitement.
Les pharmaciens appellent eux communément les
médicaments d’automédication, tels que définis par
les pouvoirs publics, des « médicaments conseils ». Ils
définissent l’automédication souvent par rapport à
leur exercice, en fonction de la connotation positive ou
péjorative que le terme leur évoque:
• Une pratique en dehors de leur pratique « en ce
qui me concerne, l’automédication ne me concerne
pas » : le pharmacien positionne l’automédication
comme un acte autonome de l’usager, sans l’avis
d’aucun professionnel de santé, médecin ou pharmacien, « un patient qui a sa pharmacie à la maison et qui
prend ce dont il a besoin au moment où il en a besoin
(...). Parce que nous au comptoir on repositionne à
chaque fois le produit demandé »;
• L’automédication comme le cœur de leur métier,
« le conseil ». Certains pharmaciens estiment ainsi que
l’automédication est une des missions de santé
publique que le gouvernement leur a confiée, notamment par les politiques de déremboursement du médicament et qui les positionne comme acteurs de soins
primaires au même titre que le médecin: « je crois
bien que ça serait notre base de métier, au lieu d’aller
chez le médecin, les gens viennent nous voir ».
4. encourager ou freiner l’automédication, entre
situations médicales et représentations
Selon les cas, les médecins vont encourager ou
freiner l’automédication.
Leur position va être déterminée soit par une situation médicale particulière soit par des représentations
95
(parfois relevant de lieux communs). Au regard de
situations médicales, ils encourageront les pratiques
d’automédication:
• pour des pathologies bénignes chez l’adulte:
fièvre bien tolérée, douleurs légères, viroses hivernales;
• pour les maladies chroniques, chez les patients
qui connaissent bien leurs symptômes, pour qui le diagnostic a été établi par le médecin et qui ont appris
comment et quand utiliser leur traitement prescrit
alors en « si besoin »;
• en pédiatrie, après avoir éduqué les parents à
reconnaître les signes de gravité qui doivent les
conduire à consulter, pour les enfants de plus de 6
mois principalement et avec trois produits: le paracétamol, le sérum physiologique et le soluté de réhydratation;
• chez des patients identifiés par le médecin
comme en capacité de reconnaître leurs symptômes,
d’utiliser correctement les médicaments et de savoir
consulter en cas de besoin comme l’expose cette
femme médecin de 52 ans: « Les gens que je vois autonomes, capables de gérer, et de réfléchir, de prendre le
téléphone pour poser des questions, là je leur dis, oui
vous vous débrouillez tout seul, vous avez ça et ça vous
avez l’habitude de les prendre, après si vous avez des
problèmes, des questions vous m’appelez ».
Dans les cas ci-dessus, l’automédication encouragée est donc le fruit d’une éducation thérapeutique,
pour des symptômes identifiés au préalable avec le
médecin, avec un traitement défini par le praticien. Le
traitement est d’ailleurs souvent prescrit par ordonnance anticipée. Le paracétamol est identifié par tous
les médecins comme le médicament que les patients
peuvent utiliser de façon autonome après éducation.
Les médecins relèvent peu d’événements indésirables en lien avec les pratiques d’automédication. Ils restent toutefois méfiants des prises médicamenteuses
autonomes, surtout quand intervient le conseil « du
voisin » et que rentre en jeu la pharmacie familiale. Les
perceptions des praticiens sur les dangers que présentent certains médicaments sont influencées par les
mauvaises expériences vécues durant leur parcours professionnel. Ainsi, les anti-inflammatoires, accessibles
sans ordonnance, sont identifiés par une large majorité
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automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens.
étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
de médecins comme à risque pour leurs patients, polypathologiques (iatrogénie), femmes enceintes (risque
tératogène), enfants, et les patients présentant une
infection (risque de complications graves).
Les médecins sont également vigilants vis-à-vis des
psychotropes (anxyolitiques par exemple). Ce qui est
craint ici c’est la sur-consommation même si ces médicaments sont uniquement accessibles sur ordonnance.
Cette sur-consommation serait due à l’acquisition de
substances par échanges entre voisines. Derrière un
fait établi (les femmes sont majoritaires parmi les
consommateurs de psychotropes), se cache aussi une
représentation péjorative: le troc issu de la pharmacie
familiale serait le fait de patientes plus ou moins habilitées à s’automédiquer face aux effets secondaires de
ces médicaments et au fort risque de dépendance.
L’utilisation des antibiotiques en automédication a
été évoquée spontanément par 19 médecins sur 30.
Cette automédication n’est possible qu’à partir de
comprimés restant d’une prescription antérieure, ce
qui pose également le problème de l’observance de la
durée du traitement prescrit et du conditionnement
des boîtes de médicaments. Ici, ce n’est pas le risque
pour le patient qui est mis en avant mais le risque de
santé publique de résistances des bactéries aux antibiotiques liées à un mauvais emploi et une surconsommation de ces médicaments. Suite à la campagne
télévisuelle « les antibiotiques ce n’est pas automatique », selon les dires des praticiens, les patients sembleraient à la fois mieux accepter la non-prescription
d’antibiotiques et pratiqueraient désormais moins
cette automédication.
Le retard de diagnostic a également été cité comme
un des risques de l’automédication. Ce dernier apparaît
si l’automédication se substitue trop longtemps à une
consultation médicale. La durée est subjective puisqu’elle dépendra de la pathologie considérée.
5. Déremboursement et libre accès des médicaments
Le développement de l’automédication en France
est en partie lié à deux mesures introduites par les
politiques publiques pour l’encourager. La première
est le déremboursement de certains médicaments qui
a pour effet de ne plus rendre nécessaire la consultation pour y accéder. La deuxième est l’autorisation
depuis 2008 de vendre des médicaments en officine
Dossier santé
en libre-service ce qui peut avoir pour conséquences
de court-circuiter le conseil du pharmacien, l’acheteur
se saisissant du produit avant d’avoir reçu les recommandations du professionnel.
Concernant le déremboursement des médicaments, les avis sont nuancés. La plupart des médecins
estiment qu’un certain nombre de médicaments sont
inutiles, voire dangereux et que leur déremboursement leur donne un argument supplémentaire pour
ne plus les prescrire et pour dissuader leurs patients de
les prendre en automédication, « c’est bien parce que
ça nous permet d’appuyer dans l’idée des gens le fait
que ce n’est peut-être pas super-efficace et que c’est
peut-être pour ça que c’est déremboursé ». Des médecins et pharmaciens soulignent également l’intérêt de
la mesure pour préserver le système de soins français
en améliorant les finances de la sécurité sociale. A
contrario, certains pharmaciens évoquent fréquemment le discrédit qu’apporte le déremboursement sur
les médicaments, « ce n’est plus remboursé donc ce
n’est pas efficace » et la chute des ventes immédiate
qu’entraîne la mesure.
D’autres professionnels de santé, principalement
implantés dans les quartiers défavorisés mettent en
avant que les déremboursements des médicaments
dits « de confort » pénalisent les moins fortunés et
engendrent des inégalités de santé: se les procurer
engendrera une dépense supplémentaire et si cette
dépense est trop importante cela peut conduire au
renoncement aux soins. Or si ces médicaments ne sont
pas d’une grande efficacité, ce qui a justifié leur
déremboursement, certains peuvent soulager des
symptômes, apporter du confort à l’usager, ce qui, en
matière de santé, devrait pouvoir être accessible à
tous. L’exemple le plus fréquemment évoqué est celui
des hémorroïdes où tous les médicaments de première ligne ont été dé-remboursés. Un deuxième effet
négatif des déremboursements apparaît alors: des
prescriptions contraintes par les difficultés économiques des patients. Une autre conséquence est que
les médecins ne pouvant pas prescrire un traitement
non remboursé à leurs patients en incapacité financière de l’acquérir, leur prescrivent alors des traitements remboursés mais généralement utilisés en
deuxième intention (ex: anti-inflammatoires) et souvent plus à risque d’effets secondaires. Loin de
automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens.
étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
conduire à une automédication « gratuite » pour la
sécurité sociale, ces déremboursements peuvent finalement apparaître contre-productifs, ce que souligne
ce médecin « ça nous oblige parfois à prescrire des
médicaments qui sont bien plus chers et qui sont remboursés parce que les gens refuseront de le prendre
s’il n’est pas remboursé. Donc je trouve que ça à plus
l’effet inverse que l’effet escompté au final, de faire
des économies ».
Plusieurs médecins regrettent le déremboursement de médicaments peu actifs mais qui enrichissaient leur arsenal thérapeutique, surtout lorsque
l’effet recherché était l’effet placebo (prescription
pouvant psychologiquement sécuriser le patient pour
des pathologies ne requérant pas de médication selon
les recommandations). Là encore, devant l’importance
de la « prescription » pour certains patients, ces médecins craignent d’avoir à prescrire des molécules plus
actives, remboursées, chez des patients économiquement défavorisés.
Les médicaments en libre accès, ou OTC (« over
the counter ») sont des médicaments listés que les
pharmaciens peuvent disposer, depuis 2008, sur des
présentoirs dédiés proches des comptoirs, permettant aux clients de se servir directement. Même si les
pharmaciens interrogés disent ne pas constater
d’augmentation de leur chiffre d’affaires depuis la
mise en place dans leurs officines de ce nouveau
rayonnage, ils admettent toutefois que cette nouvelle disposition (médicaments situés dans les zones
d’attentes de passage en caisse) provoque des achats
spontanés.
Un peu plus de la moitié des médecins et pharmaciens interrogés estiment que mettre certains médicaments en libre accès en pharmacie représente un
danger pour les patients. Pourtant 15 pharmaciens sur
19 ont un rayon d’OTC. Plusieurs d’entre eux expliquent l’avoir mis en place plutôt par « obligation », fortement incités par leur groupement, mais n’adhèrent
pas forcément à ce mode de distribution. Cela renvoie
au paradoxe de la profession de pharmacien d’officine
pourvoyeur de médicaments d’un système public de
santé (régulation administrée) et commerçant d’un
système industriel à but lucratif (régulation de marché)
(Founier P, Lomba C., 2007).
97
Les arguments développés par les professionnels
de santé, médecins et pharmaciens confondus, contre
le libre accès sont les suivants:
• le médicament n’est pas un produit de consommation comme un autre. Cette mesure « banalise » le
médicament et l’automédication, les usagers sousestimant alors les risques encourus, minimisés par la
suppression de la « barrière symbolique » du pharmacien. Cette banalisation pourrait également induire
une sur-consommation, toujours selon les dires de certains des professionnels;
• les professionnels de santé constatent que les
usagers méconnaissent les médicaments d’usage courant (posologies inadaptées, confusion entre plusieurs
types de molécules) et craignent une mauvaise utilisation, ce qui renvoie à une représentation négative de
l’automédication;
• le conseil est plus difficile à délivrer par le pharmacien lorsque le patient arrive en caisse avec le médicament, « parce qu’ils se sont servis, c’est sousentendu, je connais le truc que j’ai pris »;
• certains pharmaciens redoutent que le libre
accès ne soit un argument supplémentaire pour que la
grande distribution obtienne l’autorisation de vente
des médicaments.
Les médecins qui « ne s’opposent pas » au libre
accès, plus qu’ils n’y sont favorables, font confiance au
pharmacien pour encadrer de la même manière les
achats de ces médicaments que ceux délivrés au
comptoir. Les arguments favorables au libre accès des
médicaments sont principalement développés par les
pharmaciens. Le principal est celui du patient autonome qui « s’implique dans sa prise en charge ». Le
libre accès permettrait ainsi de rapprocher l’usager du
médicament, lui donnant la possibilité dans l’exercice
de son choix, de lire les notices, comparer, s’intéresser.
Enfin, cette possibilité offerte au patient de sélectionner seul les traitements dont il estime avoir besoin,
peut lui permettre de contourner une gêne à évoquer
certains symptômes aux comptoirs.
6. médecins, pharmaciens : collaboration ou antagonisme ?
Un rapport du conseil de l’Ordre des médecins
(Pouillard J., 2001) en 2001 préconisait une attitude
déontologique commune aux médecins et aux phar-
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automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens.
étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
maciens, incluant les recommandations de bon usage
de médicaments, une formation continue pluridisciplinaire, une évaluation partagée de la consommation du
médicament et du comportement des patients en
automédication.
La question « Comment voyez-vous l’articulation
entre médecins et pharmaciens autour de la problématique de l’automédication? » fait ressortir les représentations de chaque profession l’une par rapport à
l’autre ainsi que les liens que ces professionnels de
santé entretiennent.
Deux cas de figures sont observés. Dans le premier
cas, les pharmacies sont situées à proximité d’un
cabinet médical et leur clientèle est principalement
constituée de patients avec ordonnance qui peuvent
éventuellement effectuer des achats complémentaires en automédication. Lorsqu’existe cette proximité entre médecins et pharmaciens, ils se connaissent et respectent le travail de chacun. L’articulation
entre les deux professions est alors perçue comme:
• une co-responsabilité: le pharmacien est un
niveau de contrôle supplémentaire à celui du
médecin;
• une complémentarité: le patient peut demander
conseil au pharmacien notamment pour les médecines
« douces » auxquelles le médecin n’a pas été formé,
inversement les pharmaciens peuvent adresser leurs
clients aux médecins quand ils estiment que la demande
dépasse leurs compétences. Dans ce premier cas les
échanges sont cordiaux et les interactions fréquentes.
Dans d’autres espaces, cette proximité est moins
évidente (centre-ville de Nantes et Saint-Nazaire) et les
perceptions peuvent être toute autre. Les pharmaciens
sont parfois perçus comme des commerçants, « des
vendeurs de médicaments », exerçant une « concurrence déloyale » puisqu’ils poussent à l’automédication.
Inversement, plusieurs pharmaciens de centre-ville
dénoncent l’ingérence du médecin dans le libre choix de
la pharmacie par le patient, ce qui fausserait la libre
concurrence dans le champ de l’automédication. « Je
vais dire que 90 % des médecins envoient leurs patients
nommément à la pharmacie X, je l’ai vu inscrit sur les
ordonnances. Parce que c’est pas cher. (...) Moi je ne dis
pas n’allez pas chez tel médecin vous allez avoir des
dépassements d’honoraire. Jamais, je me l’interdis »
évoque une pharmacienne de Nantes.
Dossier santé
iii- Discussion
1. le lien entre l’automédication et la relation
médecin patient
L’automédication, dans le cadre d’une relation de
confiance entre soignant et soigné, peut être vue
comme un élément de la consultation parmi tant
d’autre et va être abordée tout naturellement comme
l’exprime ce médecin « Ça ne me gêne pas, on peut en
parler. Ce n’est pas une atteinte à mon pouvoir de
médecin, pour moi de toute façon vous ne pouvez que
négocier avec les gens leur traitement, vous ne pouvez
pas l’imposer ». Inversement une rupture de confiance
entre soignant et soigné va générer une incompréhension et dans certains cas il sera moins naturel, voir
compliqué, d’évoquer l’automédication en consultation. Il semble que les médecins qui se situent dans le
deuxième cas de figure sont aussi ceux qui ont un a
priori négatif sur l’automédication. Nous sommes ici
dans la question de l’asymétrie des savoirs entre professionnels et profanes (Jouet E. & Flora L., op.cit), le
patient doit se sentir écouté et autorisé à parler librement de son automédication, le médecin ne doit pas
percevoir cette automédication comme une remise en
cause de son autorité d’éducateur thérapeutique. Or
seul un tiers des problèmes de santé sont portés à la
connaissance des médecins (White K, Williams T,
Greenberg B., 1961). Ce qui conduit ce médecin de
l’agglomération nazairienne à s’interroger à ce sujet
« Est-ce que les patients ont confiance vraiment en leur
médecin (...) est-ce qu’on est suffisamment réceptif
pour qu’ils nous accordent leur confiance ? ». En
résumé un modèle relationnel serein entre soignant et
soigné permettrait une meilleure prise en compte de
l’automédication. Inversement des expériences
déçues du patient avec son médecin (Fainzang S.,
2012, op cit), conduisent l’usager à recourir à d’autres
modalités de prise en charge, en d’autres termes à une
automédication déconnectée de la relation avec le
médecin traitant.
Des pharmaciens de la région nantaise corroborent
ce constat d’après les échanges avec leurs clients. Ils
relient le recours à l’automédication et aux médecines
alternatives avec le manque de disponibilité des médecins durant les consultations pour entendre les
plaintes des patients: « ils nous disent, « on n’est pas
automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens.
étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
écoutés » (...) il n’y a plus de prise en charge globale, il
y a une prise en charge spécifique ».
2. la coopération entre professionnels de santé
La proximité spatiale est un facteur favorable à la
coopération des pharmaciens et médecins pour la
prise en charge des patients. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce résultat. La proximité physique
permet aux professionnels, au mieux de se rencontrer,
au moins de connaître le lieu d’exercice de l’autre, ce
qui pourrait faciliter les échanges: identifiant un interlocuteur privilégié, ils sont plus à même de tisser des
liens (patients adressés par les pharmaciens aux médecins et médecins identifiant la pharmacie de proximité
comme celle qui délivrera les ordonnances de leurs
patients). Pharmaciens et médecins exercent dans un
même contexte territorial avec les mêmes problématiques locales (difficultés socio-économiques, isolement...), ce qui leur permet de mieux se comprendre
« Je vois les médecins généralistes à côté de chez moi,
ils ont des cernes jusque-là, ils commencent à 8 heures,
ils finissent à 21 heures, ils ont 10 minutes par patient
sinon ils se font engueuler parce que M. Machin n’a pas
eu le temps de passer (…) j’avoue qu’ils galèrent un
peu » rapporte un pharmacien dont l’officine est
située en face du cabinet médical.
3. la surreprésentation des femmes médecins dans
l’échantillon
Malgré nos efforts pour le redresser, les femmes
sont surreprésentées dans notre échantillon (6 sur 10)
En Loire-Atlantique seulement 46 % des médecins généralistes sont des femmes en 2012 (Romestaing P, Le
Breton-Lerouvillois G., 2012). Toutefois, nous n’avons
pas traité l’ensemble du département mais des communes ciblées en fonction de deux critères, le taux de
recours à l’automédication (Larramendy S., Fleuret S.,
2015) et le profil socio-résidentiel des populations. Or
dans certaines communes ainsi sélectionnées, le sexe
ratio diffère notablement de celui observé à l’échelle de
la Loire-Atlantique. Par exemple à Trignac, quatre
médecins sur cinq sont des femmes. Ce déséquilibre
dans le sexe ratio s’explique également par des différences de taux de refus entre hommes et femmes
médecins pour participer à l’étude. 47,8 % des hommes
contactés (N=23) ont refusé d’être enquêtés contre
99
25 % (N=24) de leurs homologues féminins. Cette
réalité, si elle a contraint la composition de notre échantillon, corrobore nos résultats sur le plus grand intérêt
porté par les femmes médecins pour la problématique
de l’automédication (cf. résultats sur « interroger l’automédication »). Le Baromètre santé INPES 2011 fait état
d’un plus grand investissement des femmes médecins
dans les questions d’éducation (Arnaud G., 2011). Or,
selon J. Godart dans un article paru en 2009 dans Santé
Publique, « la prévention est une attitude éminemment
transversale » qui « intègre les différents aspects du
mode de vie, des habitudes et comportements, privés ou
publics » du patient (Godard J., 2009). Ces dimensions
d’éducation, de prévention, sont fondamentales dans la
perspective d’encadrement de l’automédication des
patients. Elles se retrouvent dans la pratique d’une
« médecine globale ». Cette notion, particulièrement
développée au Canada, centre l’exercice médical non
pas sur la maladie mais sur le patient (McWhinney IR.,
1980). Cette approche de la médecine est apparue de
manière plus prégnante dans les milieux d’exercice
socio-économiquement défavorisés, là où les médecins
se sont installés pour un « choix de pratiques » (quartiers en zone urbaine sensible) et non pour un « un choix
de vie » (centre-ville, cadre de vie agréable). « On m’a
proposé de m’installer ici (...) c’est ce que je souhaitais
faire comme médecine, une médecine globale, mixte,
(...) avec pas mal de prise en charge psycho-sociale associée et que dans le quartier, sur une vaste région nazairienne c’est exactement ce qu’on peut faire » explique
un médecin installé en ZUS à Saint-Nazaire. Les travaux
d’Anne Véga, anthropologue de la santé soulignent que
les médecins installés par « choix de vie » le font souvent dans des conditions défavorables à l’écoute et la
négociation (Vega A., 2011), et que les hommes sont
surreprésentés dans cette catégorie. Dans notre échantillon, on constate que les médecins installés par choix
de pratique dans les milieux d’exercice socio-économiquement défavorisés sont majoritairement des
femmes. À notre connaissance il n’existe pas d’étude
approfondie sur la dimension géographique des choix
d’installation des femmes médecins, et la petite taille de
notre échantillon ainsi que le déséquilibre du sexe ratio
ne nous permettent que des suppositions. Ce point de
discussion est donc une invitation à approfondir les
recherches en ce sens.
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automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens.
étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
conclusion
Des variations apparaissent chez les médecins
généralistes dans la façon de considérer les pratiques
d’automédication de leurs patients. La prise en
compte de l’automédication s’inscrirait plus globalement dans une approche médicale qui tendrait à
considérer le patient dans son individualité et son
contexte de vie. Le sexe, l’âge, l’expérience professionnelle, la formation semblent également peser sur la
place et la prise en compte de l’automédication dans la
relation soignant, soigné.
Des effets de proximité et d’inter-connaissance
entre les professionnels, l’impact des politiques
publiques sont des facteurs influençant les variations
des perceptions et des pratiques des professionnels.
Si les médecins généralistes acceptent l’automédication dans un cadre borné et normé, cette étude a
montré que cette acceptation est disparate. Les
mesures gouvernementales tendant à encourager
l’automédication sont plutôt mal reçues par les médecins et le manque de recommandations claires sur l’encadrement des pratiques peut également expliquer
une grande variabilité de positionnement. Les pharmaciens développent eux, la part du « conseil » dans
leur activité dans le double objectif, parfois contradictoire, de renforcer leur position d’acteur du système
de soins et d’augmenter leur chiffre d’affaires sur
lequel ils se rémunèrent.
La prise en compte de l’automédication par les
professionnels de santé apparaît au final tributaire de
facteurs liés à la fois à la nature du colloque singulier
médecin-patient (relation de confiance intégrant l’automédication dans une prise en charge globale), à l’articulation entre le rôle du généraliste et le rôle du
pharmacien mais aussi au profil des médecins (effets
de sexe et de génération) qui conditionnent leur pratique et jusqu’au choix de leur lieu d’installation (ce qui
peut avoir des effets d’autocorrélation entre effets de
profil individuel et effets de contexte socio-territorial).
Dans un contexte de proximité et d’interactions, les
deux professions affichent une complémentarité et
une co-responsabilité qui lèvent au moins dans leurs
discours les craintes face au risque de santé publique
de l’automédication. Quand les médecins accusent les
pharmaciens de mercantilisme ou quand les pharmaciens disent répondre aux attentes déçues des
Dossier santé
patients, cette deuxième condition n’est pas réalisée.
Des temps de rencontres interprofessionnels pourraient permettre une meilleure prise en charge des
patients, les échanges de savoirs offrant à chacun de
progresser dans son exercice et de briser les représentations erronées des pratiques des uns et des autres.
automédication: pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens.
étude dans les agglomérations nazairienne et nantaise
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Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la
santé pour une typologie des territoires.
regards croisés en Pays de la loire et au québec
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léa Potin
eso angers
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introDuction
L
’objectif de ce texte est de présenter les
grandes lignes d’un projet de recherche en
Géographie de la Santé qui a pu être exposé
lors de la Journée ESO Santé & Bien-être du 30 mars
2015. Ce projet résulte d’un travail de préparation issu
de la mission recherche réalisée dans le cadre du
Master 2 Développement Entreprises et Territoires. Il
s’intègre au cœur des grandes réflexions qui agitent et
orientent les politiques de santé dans les territoires,
autour des concepts d’inégalités sociales de santé, de
leurs déterminants et leurs mesures.
Si l’objectif de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) visait en 1986 la santé pour tous en l’an 2000,
on constate qu’en 2015 la problématique des écarts de
santé entre pays ou au sein des pays est toujours d’actualité (Leclerc et al. 2000; Potvin L., Moquet M.-J.
2010; Organisation Mondiale de la Santé 2009). La
place des déterminants sociaux de la santé dans les
études ne cesse de s’accroître (Evans et al. 1996).
Leurs rôles et leurs fonctionnements font l’objet d’un
intérêt particulier puisqu’il s’agit de mieux les comprendre pour pouvoir agir sur le large sujet des inégalités sociales de santé. (Organisation Mondiale de la
Santé 2008; Ministère de la Santé et des Services
Sociaux 2012). Entre idéal de l’équité et de la santé
pour tous (Dahlgren & Whitehead 1991; Whitehead
1991; OMS 1981) et réalité de la persistance et de l’accentuation parfois des profondes inégalités (Leclerc et
al. 2000), les chercheurs, politiques, et acteurs du sanitaire et social tentent aujourd’hui de mieux comprendre les mécanismes sociaux et spatiaux (multiples) sous-jacents aux inégalités après des siècles de
domination de la réponse biologique et médicale.
(Contandiopoulos 1999; De Koninck & Fassin 2004;
Aïach & Fassin 2004; Leclerc et al. 2000). Jugées inacceptables, injustes, inéquitables et surtout potentiellement évitables, (Moleux et al. 2011), les inégalités
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6590 - université angers
sociales de santé viennent nuancer l’efficacité des systèmes de soins de santé et de soins médicaux. Les
inégalités sociales de santé naissent de la répercussion
des inégalités sociales sur la santé, sorte de « traduction dans les corps des inégalités sociales » (Aïach &
Fassin 2004). Elles diffèrent des inégalités de santé, qui
elles renseignent de l’inégalité de la santé des individus devant les facteurs biologiques et génétiques
(Institut National de Santé Publique du Québec 2014).
Sur le sujet de proximité et santé, il s’agit en s’intéressant à des territoires distincts, les Pays de la Loire,
et le Québec, de creuser les questions des inégalités de
santé et de les synthétiser. Le Québec, en matière de
santé, a fait le choix d’axer ses politiques publiques sur
une approche globale de la santé, en alliant sanitaire et
social, et en concentrant son action sur un système de
santé territorialisé (Fleuret 2009). Territoire moteur
dans la recherche sur les déterminants sociaux de la
santé, il constitue une source précieuse d’inspiration
pour tenter de réaliser des outils innovants dans la
réduction des inégalités sociales et territoriales et pour
viser une meilleure allocation des ressources en
France. Devant les nouveaux enjeux des Agences
Régionales de Santé1 (et en s’intéressant à la région
des Pays de la Loire), la territorialisation et l’approche
globale de la santé doivent devenir le nouveau référentiel en matière de politiques publiques de santé.
1- La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative
aux patients, à la santé et aux territoires crée, dans son article
118, les Agences Régionales de Santé.
voir aussi trois grands axes dans la présentation des Agences
Régionales de Santé : « Un service public de santé régional,
unifié et simplifié ; Une approche globale de la santé ; Des politiques de santé ancrées sur un territoire »,
http://www.ars.sante.fr/Presentation-generale.89790.0.html
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Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires
regards croisés en Pays de la loire et au québec
i- autour Des concePts De Justice sociale et D’inéGalités en santé, le nouveau reGarD De la GéoGraPHie
1. équité, égalité, justice sociale, concepts au cœur de
la recherche sur les inégalités sociales de santé et
leurs déterminants
Il convient de ne pas mélanger équité et égalité, car
si le cadre d’action tend vers plus d’équité en santé,
toutes les différences ne sauraient être des injustices.
« L’objectif d’équité en santé n’est pas le strict aplanissement des différences de santé entre les individus, et
toutes les inégalités mises en évidence ne sauraient
être perçues comme « injustes ». » (Rochaix & Tubeuf
2009) La dimension d’équité est un principe essentiel
qui motive nos sociétés modernes dans l’amélioration
des services de santé, mais qui ne saurait rendre les
individus totalement égaux devant la santé.
La santé est aujourd’hui considérée comme une
ressource positive, un potentiel que chacun doit avoir
la chance équitable de réaliser pleinement. En 1991,
Whitehead (Whitehead 1991) replace au centre de
l’attention la question « qu’est-ce que l’égalité devant
la santé »? Repartant de quelques exemples d’écarts
importants dans l’état sanitaire des populations (mortalité, morbidité, disparité de qualité de vie et de bienêtre), il s’agit pour l’auteur de ne pas assimiler tous les
écarts comme inéquitables. L’iniquité renvoie à « une
dimension éthique, désignant de fait les inégalités qui
sont « à la fois évitables et injustes ». L’enjeu du débat
égalité/équité réside dans la détermination de ce qui
est juste ou injuste dans une situation donnée, et cela
passe par l’étude de l’origine de cet état pour en juger
la valeur d’où l’importance des déterminants. À l’échelle des pays développés, la motivation de réduction
des écarts d’état de santé dans la population se fait
sous l’idéologie d’une certaine justice sociale. Les
inégalités ne renvoient pas au sens « mathématique »
de la notion d’égalité qui impliquerait une vision égalitariste pure et non d’équité.
depuis plusieurs décennies, visent une approche globale
pour l’étude des déterminants des états de santé, et l’étude du lieu au regard de la santé. Ils ont permis de lui
attribuer un rôle d’aide à la décision publique (Salem
1995; Ménard 2002). S’intéresser à la question de la
santé et du territoire, revient à considérer que le territoire ne se cantonne pas uniquement à l’espace géographique, à son caractère physique. « Le milieu ne se
borne pas aux conditions physiques et biologiques d’un
lieu mais comprend aussi ses caractéristiques sociales,
économiques, culturelles » (Picheral 1995). Il est bien un
construit social, en mouvement, (Fleuret 2003), où l’organisation des systèmes de santé nécessite d’intégrer
les lieux et les effets de lieux dans l’analyse. (Fleuret &
Apparicio 2011; Moon 1995).
Les avancées conceptuelles sur les déterminants
sociaux de la santé depuis ces dernières années se sont
doublées de la modernisation et de la volonté de
mesurer les inégalités et les mécanismes à l’œuvre.
Vaste domaine, tant les déterminants sont nombreux et
sujets à interprétations. La recherche en géographie a
notamment été précieuse dans la compréhension des
liens entre la santé et le lieu. En s’appuyant sur l’existence d’un gradient social, impliquant que les inégalités
en matière de santé sont liées à des différences systématiques de position sociale et de répartition socio-économique (associées aux effets des conditions de travail,
d’éducation, et de nombreux autres facteurs). La création d’indices et l’utilisation des outils statistiques et
géographiques ont permis d’identifier la position relative de la santé. Avec l’objectif de faire avancer la
recherche sur les disparités sociales de santé en France
et de se concentrer sur une typologie des espaces selon
qu’ils favorisent ou défavorisent la santé (sous toutes
ses dimensions), l’étude des déterminants sociaux de la
santé par la géographie apparaît incontournable.
ii2. la vision renouvelée de la santé par la géographie
de la santé, légitimité d’une discipline
La géographie de la santé a dû se confronter à des
difficultés de légitimité, par rapport « au clan biomédical » mais aussi par rapport à son propre clan (Ménard
2002). Les travaux, d’une géographie de la santé, initiés
Dossier santé
trouver les moyens De réDuire les inéGalités
sociales De santé en travaillant les questions Des
Déterminants sociauX De la santé
Les inégalités sociales de santé et les déterminants
sociaux de la santé sont intimement liés, ces derniers
ayant illustré l’ampleur des influences (de multiples
Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires
regards croisés en Pays de la loire et au québec
natures) sur la santé des populations (Bourque &
Quesnel-Vallée 2006) et interrogé les écarts existants.
1. Des déterminants multiples
Carey et Crammond (Carey & Crammond 2015)
reconnaissent que si les déterminants sociaux de la
santé ont fait l’objet d’une abondante documentation
ces 40 dernières années, l’action publique reste difficile puisque les mécanismes de causalités restent
flous. Les auteurs aujourd’hui, tendent à insister sur la
nécessaire coordination de la recherche avec les processus politiques.
Trouver des moyens de réduire les inégalités
sociales de santé nécessite de comprendre comment
elles naissent. L’approche des déterminants de santé,
née dans les années 1970, vient renforcer l’idée, que le
seul système de soins n’explique pas l’état de santé. La
santé de la population est liée à des facteurs médicaux,
mais pas uniquement. Des facteurs externes au sanitaire expliquent la santé et complexifient la détermination de l’état de santé. Cette approche apporte une
caractérisation sociale et économique, spatiale et environnementale dans l’explication de la santé des populations. (Couffinhal et al. 2004). L’étude des maladies
cardio-vasculaires et des moyens de prévention a, par
exemple, mis en avant l’importance des conditions
socio-économiques et de disparités territoriales
comme facteur de risques, en parallèle des risques
axés sur les comportements individuels. (Lang 2004)
2. la nécessaire mesure
« L’inégalité suppose une hiérarchie et sa traduction dans les corps nécessite une mesure » (Leclerc et
al. 2000). Le lien de cause à effet entre un déterminant
et l’état de santé d’un individu ou d’une population est
loin d’être simple et complexifie l’action publique.
(INSPQ 2014).
Dans le but de guider l’allocation des ressources
aux besoins, les indicateurs et indices de santé doivent
permettre de mesurer soit: divers aspects de la santé
d’une population, ou dans une logique de déterminants de la santé: la mesure des facteurs qui ont un
impact sur la santé. C’est un enjeu considérable dans
l’adéquation des réponses aux besoins des populations en matière de santé. Le territoire québécois est
un support-clé, il a été l’objet de différentes études
105
reconnues sur les inégalités de santé, notamment
grâce aux travaux de R. Pampalon, et à la création de
son indice de défavorisation matérielle et sociale pour
l’étude des inégalités de santé au Québec.(Gamache &
Pampalon 2010)
La mise en évidence des disparités passe par la
modernisation et le recours à des données de plus en
plus fiables. Au regard des outils et méthodes de la
géographie sociale, ce projet devra rendre compte
d’une typologie des espaces en tentant de dépasser
l’étude statistique et de la combiner par la suite, à une
approche qualitative. L’approche statistique inspirée
de l’indicateur de Pampalon notamment, permettra
une meilleure connaissance des phénomènes d’éloignement à la santé d’une population. Il s’agira sur
cette question des indicateurs de réaliser un travail de
fond pour déterminer à l’échelle de la région quels
déterminants sont pertinents et accompagnés de
quels indicateurs, sur quelles échelles et à quel niveau
de disponibilité? Associé, par la suite, à une approche
plus qualitative, sous forme d’entretiens et d’observations auprès des acteurs de la santé du territoire, ce
projet devra permettre d’élargir la connaissance des
rapports des individus et des populations à l’espace et
à la santé.
conclusion
Ce travail préparatoire est un élément incontournable permettant une mise en perspectives des raisonnements et des questions de recherches, et l’identification des limites et problématiques principales.
Suite aux échanges de la Journée ESO Santé et BienÊtre, il apparaît que la transversalité et les enjeux d’interdisciplinarité de la recherche en géographie sociale
sont un point essentiel. Cet enjeu fait d’ailleurs l’objet
de nombreux débats, questionnant notamment, la
frontière entre les approches sociologiques et les
approches géographiques, voire épidémiologiques en
ce qui concerne la santé.
Les travaux de recensement des indicateurs de
santé et de leur pertinence posent la question de
l’accès et de la validité des données. Cette limite posée
par l’accès aux données est cruciale et inhérente au
travail de recherche en géographie, tant les sources
sont nombreuses. Elle est d’ailleurs concomitante à
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Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une typologie des territoires
regards croisés en Pays de la loire et au québec
celle des jeux d’échelles. Entre l’individu et la population, entre le local et le national, quelle est l’échelle
adéquate? Quelle unité territoriale étudier? Quelles
données sont disponibles sur l’unité en question?
Cette problématique d’échelle est essentielle et
implique de comprendre « la relation entre l’échelle de
représentation et la structure hiérarchique des déterminants de la santé » (Philibert & Breton 2007). Ces
questions d’échelles amènent un degré de vigilance
important lorsqu’il s’agit de manipuler des données
statistiques relatives aux états de santé, entre effet de
contexte et effet de composition.
On assiste depuis quelques années à la multiplication des documents à visée politique (stratégies mondiales, nationales ou locales au-delà de l’unique secteur sanitaire pour réduire les inégalités sociales de
santé) ou scientifique (plus large prise en compte du
sujet par des chercheurs, amenés à travailler la question des déterminants sociaux de la santé de façon
interdisciplinaire) afin d’assurer la pertinence des
actions et l’adaptation des outils. L’enjeu étant que les
deux soient davantage en lien, afin d’alimenter l’articulation entre données scientifiques et actions
publiques, sur les thèmes aussi sensibles que la réduction des inégalités de santé, notamment en France sur
la connaissance statistique (Moleux et al. 2011). Cette
masse d’informations pose une limite de traitement et
d’assimilation de l’information. La pertinence de l’approche comparative entre Québec et France, pour ce
projet, permet alors de nourrir les réflexions par la
connaissance des deux systèmes, leurs enjeux, limites
et objectifs. « Vous savez que nous partageons avec le
Québec le fait d’avoir à la fois une espérance de vie
très élevée, parmi les plus élevées du monde, et, en
même temps, des écarts d’espérance de vie entre
catégories sociales extrêmement accentués » (Podeur
et al. 2007). Confronter le cas québécois à la situation
en Pays de la Loire permettra d’effectuer des comparaisons, de s’inspirer des méthodes et outils développés au Québec concernant la géographie de la
santé et la réduction des inégalités sociales de santé.
Dossier santé
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et
vieillissant à domicile : pratiques spatiales dans les espaces du quotidien
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sara Painter
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ette thèse de géographie sociale débutée en
septembre 2014 porte sur les personnes
souffrant de troubles psychiques depuis
longtemps et vieillissant à domicile. Elle vise à comprendre comment se (re)composent leurs pratiques
spatiales autour du logement lorsque le vieillissement
s’ajoute aux troubles psychiques. Financée par le
Conseil régional de Bretagne, elle est dirigée par Raymonde Séchet (Université Rennes 2, géographie
sociale) et Anne-Marie Séguin (Institut National de la
Recherche Scientifique, Montréal, études urbaines)1.
La première partie présente la population d’étude.
La deuxième partie expose la stratégie de recherche
envisagée. Elle consiste à examiner les processus d’inclusion et d’exclusion auxquels les personnes souffrant
de troubles psychiques vieillissantes sont confrontées
chaque jour, en s’intéressant particulièrement à la rencontre entre les politiques publiques et les pratiques
spatiales des individus, dans leur espace du quotidien.
i- la PoPulation D’étuDe
La désinstitutionalisation désigne la mise en place de
services ambulatoires de psychiatrie, c’est-à-dire de services hors des murs de l’hôpital. Menée en France et au
Québec à partir des années 1960, elle a eu des implications majeures sur la vie quotidienne des patients: autrefois enfermés en institution ou à l’hôpital, ils vivent
aujourd’hui pour la plupart en milieu ordinaire. Mais la
désinstitutionalisation est loin d’avoir été mise en œuvre
partout avec succès. Et vivre parmi les autres ne suffit pas
pour se sentir inclus. En France et au Québec, beaucoup
de personnes souffrant de troubles psychiques, bien que
vivant dans la communauté2, restent très isolées.
1- La thèse est également encadrée par un comité de thèse constitué de Clélia Gasquet-Blanchard (Maître de conférences en
géographie de la santé, EHESP), Eve Gardien (Maître de conférences en sociologie, Laboratoire ESO) et Charlène Le Neindre
(Chargée de recherche, IRDES).
2- L’expression désigne au Québec le fait pour les patients de la
psychiatrie de vivre en milieu ordinaire.
eso rennes - cnrs
6590 - université rennes 2
Les troubles psychiques cachent une grande
variété de situations et de symptômes dont rend
compte la diversité des classifications. Quoi qu’il en
soit de cette hétérogénéité, les troubles psychiques
causent tous des difficultés récurrentes au quotidien,
comme tisser et maintenir des relations sociales,
accomplir des tâches ordinaires, sortir, prendre soin de
soi, de son logement, planifier sa journée ou prendre
des décisions. Les personnes concernées sont nombreuses à avoir des difficultés à faire face aux changements ainsi qu’une hypersensibilité qui fait qu’elles
peuvent être particulièrement affectées par ce qui se
déroule autour d’elles.
Bien que les traitements permettent de diminuer
certains symptômes, ces difficultés d’ordre social restent présentes tout au long de la vie et font que les
personnes souffrant de troubles psychiques sont très
exposées aux processus d’exclusion. Les difficultés
qu’elles rencontrent sont liées non seulement à leur
pathologie, mais aussi à l’espace dans lequel elles s’inscrivent. Elles dépendent certes de la nature des troubles, mais aussi d’éléments contextuels comme l’organisation de la prise en charge, les conditions de
logement ou le contexte social.
Cette perspective invite à explorer la dimension
spatiale du vécu des troubles psychiques. Comment
les personnes en proie à ces troubles pratiquent-elles
l’espace? II s’agit de comprendre les processus d’exclusion dont les personnes font l’expérience, non pas
uniquement au prisme des pathologies, mais aussi
selon les contextes locaux. C’est pourquoi les troubles
psychiques sont abordés comme étant susceptibles de
provoquer une situation de handicap. Fougeyrollas
(2010) décrit la situation de handicap comme résultant
de l’interaction entre les facteurs personnels et l’environnement plus ou moins (in)capacitant dans lequel la
personne évolue. Ce cadre d’analyse permet de
penser le rapport entre la personne et l’espace dans
lequel elle vit. Ce rapport évolue à mesure que la per-
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile :
pratiques spatiales dans les espaces du quotidien
sonne souffrant de troubles psychiques vieillit, rendant le maintien à domicile plus difficile.
Auparavant, les personnes souffrant de troubles
psychiques vieillissaient et mourraient en institution
psychiatrique. Or, si les patients vivent désormais
majoritairement en milieu ouvert, ils y vieillissent
aussi. L’espérance de vie augmente. Les personnes
souffrant de troubles psychiques sont plus nombreuses à vivre plus longtemps. Les acteurs de la prise
en charge font ainsi face aujourd’hui à l’émergence de
besoins nouveaux, plus complexes du fait que le
vieillissement s’ajoute aux troubles psychiques.
ii- stratéGie De recHercHe envisaGée
La stratégie de recherche comporte deux axes, qui
correspondent à deux dimensions du sujet, intimement liées: la construction sociale et politique du
vieillissement dans le contexte des troubles psychiques d’une part (1), l’expérience quotidienne du
vieillissement par les personnes souffrant de troubles
psychiques d’autre part (2).
1. construction sociale et politique du vieillissement
des personnes souffrant de troubles psychiques
Cet axe vise à saisir les modalités de prise en
charge des personnes souffrant de troubles psychiques vieillissantes. Les difficultés sociales causées
par les troubles psychiques requièrent souvent la mise
en place d’un étayage diversifié de professionnels.
Grâce à ces intervenants des secteurs social, médicosocial et sanitaire, les personnes souffrant de troubles
psychiques parviennent de plus en plus à vivre en logement individuel. Leur prise en charge est donc
entendue selon une acception globale, c’est-à-dire
qu’elle ne se réduit pas à la psychiatrie.
Au fil de l’avancée en âge le maintien à domicile se
complique. La prise en charge doit répondre aux
besoins qu’introduit le vieillissement en plus des difficultés liées aux troubles psychiques (Massé et Veber,
2007). Les personnes sont ainsi susceptibles de relever
à la fois du secteur du handicap et de la personne
âgée. La difficile adéquation des services publics avec
les nouvelles réalités et besoins de cette population,
au Québec (Charpentier et al, 2010; Dallaire et al,
Dossier santé
2003) comme en France (De Berranger, 2003; Jovelet,
2010), renforce les situations de handicap et les
formes d’exclusion associées.
Plusieurs échelles sont à examiner pour comprendre comment s’organise la prise en charge des
personnes souffrant de troubles psychiques vieillissantes. Cette organisation s’inscrit dans des contextes
nationaux, France et Québec, qui conçoivent différemment la prise en charge de la vieillesse et des troubles
psychiques. Or, par les catégories qu’elles mobilisent
et les dispositifs qu’elles élaborent, les politiques
publiques inscrivent les individus dans des statuts, participant à la construction de vieillesses spécifiques
(Hummel et al, 2014). Ces constructions affectent le
quotidien des personnes, notamment en matière d’accompagnement et de ressources.
En matière de santé mentale, le fonctionnement
de la prise en charge est aussi hétérogène selon les
contextes locaux. Or, ceux-ci contribuent à forger des
expériences différenciées du vieillissement (Mallon, in
Hummel et al, 2014, Wittman, 2003). Une enquête
auprès d’acteurs de la prise en charge à plusieurs échelons (Région, Département, Ville…) et intervenant dans
différents domaines (logement, soin, vie sociale…) est
ainsi indispensable pour saisir les effets des contextes
locaux.
2. Géographies du quotidien
S’il est intéressant d’explorer comment les
contextes locaux façonnent le vieillissement des personnes, la façon dont elles s’adaptent à leur tour à
ceux-ci revêt aussi son importance. Cet axe propose
d’examiner particulièrement les processus d’inclusion
et d’exclusion vécus par chaque personne, par l’étude
de ses pratiques spatiales quotidiennes.
Les pratiques spatiales permettent de voir comment les personnes interagissent avec leur espace du
quotidien. Cette approche interpelle précisément l’interaction entre l’individu et son environnement. Les
personnes souffrant de troubles psychiques peuvent
percevoir certaines caractéristiques de l’environnement comme des obstacles, les amenant à adopter des
comportements d’évitement, de contournement. Les
pratiques révèlent ainsi les mécanismes d’adaptation
et de négociation que les personnes mettent en place
avec et dans l’espace. Plusieurs travaux ont montré la
les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile :
pratiques spatiales dans les espaces du quotidien
richesse dont elles font preuve pour exploiter l’espace
et tirer parti des ressources de la ville, afin de
contourner ou compenser leurs difficultés (Parr 2000,
2011). Face à un environnement qui leur est incapacitant, elles sont amenées à développer des stratégies,
des résistances pour faire avec les obstacles au quotidien. Les auteurs insistent sur l’importance que revêt
la présence de lieux qu’elles puissent investir malgré
leurs difficultés sociales (Pinfold, 2000), et qu’elles
aient la possibilité de construire, de s’approprier leur
propre espace dans la ville (Corin, 2002).
L’étude des pratiques dans le contexte du vieillissement introduit la question de la déprise, ce « processus de réaménagement de la vie qui se produit au
fur et à mesure que les personnes qui vieillissent sont
confrontées aux difficultés croissantes » (Caradec,
2012). Pour les personnes souffrant de troubles psychiques, ce processus intervient alors qu’elles rencontrent des difficultés importantes d’adaptation (Kilbourne et al, 2005) et qu’elles bénéficient de moins en
moins de ressources les aidant à faire face à ces changements, du fait de la disparition des proches, de la
perte de revenus (Charpentier et al, 2010) ou de la
perte accélérée de leur autonomie. C’est pourquoi,
lorsque le vieillissement s’ajoute aux troubles psychiques et qu’il complexifie davantage le rapport entre
la personne et son espace de vie, il est indispensable
de tenir compte des ressources qui sont accessibles ou
non à la personne. Il s’agit de voir si la personne souffrant de troubles psychiques qui avance en âge parvient à trouver dans son milieu de vie des possibilités
concrètes de garder prise.
Si les cadres dans lesquels s’inscrit le vieillissement,
les supports, les ressources et les opportunités dont
disposent les personnes déterminent en grande partie
la manière dont elles font l’expérience de l’avancée en
âge, les parcours individuels jouent aussi un rôle
important. Les politiques de prise en charge et la
société ont longtemps spécifié, et spécifient encore,
les lieux de vie des personnes souffrant de troubles
psychiques. Ce carcan a nourri certaines expériences
résidentielles (hôpital, rue, domicile parental), déterminant des rapports particuliers à l’espace privé intime
ou public, dont l’étude peut éclairer certaines pra-
111
tiques actuelles et les capacités des personnes à s’approprier des ressources. Ces pratiques spatiales peuvent être considérées en partie comme l’héritage d’expériences passées, au cours desquelles l’individu
acquiert et construit sa capacité à habiter et à pratiquer l’espace.
conclusion
Peu d’études sont menées en France sur les expériences d’inclusion et d’exclusion des personnes souffrant de troubles psychiques (Coldefy, 2010), encore
moins sous l’angle du vieillissement. L’articulation des
deux axes de la recherche réside d’une part dans l’impact des cadres politiques et sociaux et des modalités
de prise en charge sur la vie quotidienne des personnes (1); et d’autre part sur la capacité des personnes à s’insérer dans ce système, à s’adapter et à
composer avec ces cadres, voire à les dépasser (2). Il
s’agit de penser leurs géographies du quotidien, en
tant qu’elles sont construites par des transactions permanentes entre les personnes et les contextes dans
lesquels elles vivent. Outre les facteurs environnementaux et biographiques, les troubles et les traitements
construisent aussi le rapport à l’espace. La perte de
contact avec la réalité, le délire de persécution, ou bien
la lenteur et la prise de poids qu’occasionnent les
médicaments modifient les pratiques. Il faudra donc
cibler précisément la population d’étude.
La méthodologie est en cours d’élaboration. Faire
de la recherche auprès de personnes souffrant de
troubles psychiques requiert de la créativité, surtout
lorsqu’il s’agit de rendre compte de leur expérience et
de leur vécu. Les troubles psychiques affectent l’interaction, l’organisation de la pensée, la cohérence et la
véracité des propos, la concentration, la mémoire.
Face à cela, c’est au chercheur d’adapter et de croiser
ses méthodes pour développer une stratégie lui permettant de faire avec et de composer avec ces difficultés.
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les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile :
pratiques spatiales dans les espaces du quotidien
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pp. 107-128
étudier les ressorts et les formes
de l’action publique territorialisée en santé à Paris
113
béatrice georgelin
umr
C
e texte se veut une contribution au panorama des recherches doctorales en santé
au sein d’ESO. Il présente l’état des questionnements abordés dans le cadre d’une thèse qui a
débuté à l’automne 2014 et est consacrée à l’étude
des processus de territorialisation à l’œuvre dans l’action publique locale en santé à Paris.
L’objectif général de ce travail est de mieux comprendre quelles reconfigurations de l’action publique
locale en santé s’opèrent actuellement à l’échelle
d’une ville, Paris. En France, les politiques municipales
de santé ont pris plus d’ampleur depuis une vingtaine
d’années, à mesure de l’évolution des cadres législatifs1, de l’émergence de dispositifs donnant un cadre
d’action à la promotion de la santé, tels les Ateliers
Santé-Ville (ASV) ou plus récemment les contrats
locaux de santé liant collectivités locales et Agences
Régionales de Santé (ARS), et à mesure de l’intérêt
croissant que les élus locaux portent aux questions de
santé. Sous l’actuelle mandature, les acteurs politiques
parisiens réaffirment leur volonté de conduire une
politique de santé ambitieuse, avec pour fil rouge la
réduction des inégalités socio-territoriales de santé, et
pour méthode le partenariat et la concertation.
En quoi ces stratégies politiques locales renouvelées
contribuent-elles aux reconfigurations en cours de l’action publique locale en santé? En quoi les dispositifs
d’action en santé déjà en place, ainsi que les différentes
« constructions locales de santé » entre acteurs professionnels et associatifs des secteurs sanitaire, médicosocial et social (Fleuret, 2012) se développant dans de
nombreux champs de la santé y contribuent-ils égale-
1- La promotion des collectivités territoriales comme acteurs
légitimes sur les questions de santé s’est accrue en 2010 avec la
loi Hôpital Patients Santé Territoires, qui place désormais les
communes et les intercommunalités en position de co-construction des politiques locales de santé avec les ARS, mais dès la loi
du 29 juillet 1998 relative à la lutte des exclusions, la santé redevenait l’affaire des villes par son inscription dans le volet social
dans l’action municipale.
eso angers - cnrs
6590 - université angers
ment? En quoi les reconfigurations observées à Paris
résultent-elles d’articulations spécifiques entre ces différentes dynamiques?
En prenant comme cas d’étude Paris, l’objectif est
ici d’observer les singularités de ces recompositions
dans la capitale et d’en expliquer les ressorts, au
moment où plusieurs démarches commanditées par la
Mairie de Paris2 mobilisent les acteurs du champ de la
santé à se mobiliser pour réfléchir ensemble aux problématiques communes qu’ils rencontrent et au rôle
de chacun dans la politique locale de santé. Les éléments présentés dans ce texte s’appuient sur un premier recueil de matériaux effectué dans le cadre d’un
terrain exploratoire au printemps et à l’été 2015:
- en observation participante au sein des ateliers et
des débats des États Généraux de la Protection Maternelle et Infantile de Paris (PMI), organisés à l’occasion
des 70 ans du service départemental et,
- à partir d’entretiens menés auprès de personnes
intervenant soit directement dans le champ de la
santé de la mère et du jeune enfant3, ou des acteurs du
champ plus large de la santé qui sont leurs partenaires
ou leurs commanditaires.
i- conteXte et ProBlématiques
À Paris, les acteurs professionnels, institutionnels,
associatifs du champ de la santé, compris dans un sens
large4, sont nombreux à intervenir sur un territoire peu
étendu, la superficie de la commune ne dépassant pas
2- Parmi ces démarches on compte : l’organisation en 2015 d’Etats Généraux de la PMI de Paris, le déploiement durant la mandature d’ « instances locales de démocratie sanitaire », à l’échelle
des arrondissements, en favorisant la mise en place de Conseils
Locaux de Santé Mentale et de Conseils Locaux de Santé au
spectre plus large, la tenue d’Assises de la santé en 2016…
3- On désigne ainsi la santé périnatale et le suivi préventif des
mères, des naissances, et des jeunes enfants.
4- C’est-à-dire en incluant les acteurs professionnels de l’offre
publique et libérale de soins, les acteurs municipaux et associatifs
de la prévention et de la promotion de la santé, du secteur
médico-social, les acteurs politiques, leurs partenaires, etc.
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étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris
les 105 km2, mais marqué comme dans d’autres
métropoles par d’importantes inégalités socio-territoriales de santé5.
Les inégalités d’accès à l’offre de soins, notamment celle de premier recours et au tarif conventionné par la Sécurité Sociale, sont au cœur des préoccupations politiques. Toutefois, les enjeux liés à
l’organisation territoriale du champ de la santé parisien dépassent cette seule dimension. L’exécutif
parisien souhaite développer une « vraie » politique
territoriale de santé à l’échelle de l’ensemble du territoire parisien. Pour le sous-directeur à la santé de
la Ville de Paris, ce stade n’est pas encore atteint.
D’une part, si des dispositifs comme les Ateliers
Santé-Ville ou les Conseils Locaux de Santé Mentale
permettent effectivement l’appropriation des questions de santé à l’échelle d’un quartier politique de
la ville ou d’un arrondissement, et permettent l’animation du réseau des partenaires et du tissu associatif autour de projets locaux, ces dispositifs ne
couvrent pas l’ensemble de la ville. En retour, si le
maillage territorial de la commune par les services
sociaux et de santé de la Ville et du Département de
Paris est bon, cela ne garantit pas que ces services
soient en interaction très forte avec leurs territoires. La stratégie de la Mairie de Paris est alors de
déployer un maillage qualifié de « démocratie sanitaire », qui passe par la diffusion d’instances de
coordination et de concertation, dont le format est
laissé à l’appréciation des mairies d’arrondissements. Pour le sous-directeur à la santé, c’est l’intérêt d‘une collectivité qui est à la fois commune et
département comme la Ville de Paris, que de se
positionner ainsi « puisqu’elle est à même de favoriser cette articulation entre le sanitaire, le médicosocial et le social ».
5- Le contexte socio-sanitaire de la ville est marqué par d’importantes disparités, tant en ce qui concerne les états de santé, que
les inégalités dans l’accès aux soins, dans la distribution de l’offre
de soins de premier recours... Une représentation schématique
des disparités intra-parisiennes communément partagée
consiste à opposer le nord-est parisien, c’est-à-dire les 18e, 19e
et 20e arrondissements, plus précaires et où les problématiques
sociales et sanitaires sont plus fortes, au reste de la ville, mais les
diagnostics locaux conduits par différentes équipes de recherches montrent que ces disparités sont plus complexes, et les
inégalités socio-spatiales opèrent à plus grande échelle (voir,
Rican et al., 2011).
Dossier santé
Néanmoins, cette stratégie politique ne se
déploie pas sur un territoire parisien vide de tout
autre dynamique de territorialisation. Au contraire, il
y a cours d’autres processus, pluriels, selon les
échelles auxquelles on observe le nombre et le type
d’acteurs qui y participent ainsi que leurs interactions. Ces processus concernent notamment la coordination des professionnels du soin, et plus largement de la santé, qui mettent en place différents
réseaux : réseaux de coordination pluri-professionnels, réseaux thématiques liés à une pathologie,
réseaux Ville-Hôpital pour faire le lien entre suivi
hospitalier et prise en charge libérale… Ces coordinations sont pour certaines rattachées à l’un ou l’autre
des CHU parisiens, ou dépendent d’une initiative très
ancrée localement pour d’autres. Elles n’opèrent
donc pas toutes à la même échelle, du quartier à l’échelle métropolitaine, ni ne couvrent systématiquement tout Paris. En jeu, c’est la capacité de ces
réseaux et ces systèmes d’acteurs à mieux répondre
aux besoins de santé de toutes les populations présentes sur le territoire, à améliorer la prise en charge
des cas cliniques complexes comme des situations
individuelles difficiles6, etc. Cela passe par le décloisonnement des champs du soin, de la prévention et
de la promotion de la santé et du secteur médicosocial, l’amélioration de l’interconnaissance entre
acteurs, de la coordination et de la complémentarité
des actions conduites.
D’autres facteurs contribuent à l’hétérogénéité
territoriale de l’action publique en santé sur Paris. La
sectorisation7 récente des différents services sociaux
et de santé municipaux, dont la PMI, doit permettre
à ces services de travailler de façon plus étroite avec
les partenaires de terrain pertinents, secteur par secteur. Les synergies qui se créent localement dépendent en partie des personnes en poste sur chaque
secteur. On peut relever également le rôle des diffé-
6- La difficulté de certaines situations peut être liée à différentes
formes de précarité, à une instabilité familiale ou résidentielle (à
l’exemple de parcours de vie d’hôtels sociaux en centres d’hébergements ou d’autres situations locatives précaires qui créent
des ruptures dans le suivi des soins), à des parcours de vie plus
complexes, notamment liés à l’expérience migratoire…
7- Le principe d’organisation hiérarchique retenu pour assurer le
service repose sur la définition de territoires ad-hoc ou secteurs,
regroupant un ou plusieurs arrondissements, selon le nombre
d’équipements à superviser.
étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris
rents ASV parisiens, présents dans sept arrondissements8, qui ont pour spécificité d’être portés par des
associations, et non par les services municipaux
comme c’est le cas de l’écrasante majorité des ASV en
France. Conformément à leur mission de coordination
de projets et d’animation territoriale, chacun des ASV
mène une action et porte une dynamique locale, qui se
différencie selon l’expertise propre à chaque association porteuse et selon les ressources, humaines, associatives, budgétaires… présentes sur un territoire.
Enfin, la complexité de l’organisation politique de
la Ville de Paris est un facteur d’hétérogénéité supplémentaire. Les stratégies mises en place par les services
centraux de la Mairie de Paris sont dépendantes des
relais qu’il est possible de trouver « en local ». Or, « on
ne peut pas faire autrement que constater qu’actuellement, il y a quand même des élus locaux, quand je
dis ‘locaux’, c’est au niveau des arrondissements, dont
certains sont très impliqués sur ces questions [de
santé], et d’autres beaucoup moins », reconnaît-on à
la sous-direction de la santé de Paris.
ii- orientations métHoDoloGiques
Afin de comprendre les reconfigurations en cours
dans ce champ de la santé hétérogène, traversé par des
rapports de force et la recherche de complémentarités
entre acteurs, la méthodologie choisie est de recenser
les territorialités des différents acteurs de l’action
publique en santé à Paris (Gumuchian et al., 2003;
Vanier, 2009). Le but est d’identifier pour chaque acteur
quelles sont les formes de son inscription spatiale, à
quel(s) réseau(x) il appartient, quels sont ses référentiels
d’action, ses stratégies et ses représentations.
Il s’agira ensuite de montrer en quoi les territorialités propres à chacun des acteurs présents dans le
champ peuvent être des ressources dans la co-construction de réponses aux problématiques communes
et comment, en retour, dans l’interaction, ces territorialités peuvent être discutées, revues, enrichies.
8- Il s’agit du 13e et du 14e au sud de Paris, et des 10e, 11e, 18e,
19e et 20e arrondissements au nord-est. Ces ASV, peu nombreux
et circonscrits aux quartiers politique de la ville dans Paris, ne
couvrent pas tous le même nombre d’habitants, les résidents des
quartiers prioritaires étant plus nombreux dans les 18e, 19e et
20e arrondissements.
115
Enfin, il s’agit de mieux saisir les ressorts et les
effets des rapports de pouvoir et de coopération entre
acteurs dans lesquels se construisent les rôles respectifs de chacun, en portant une attention particulière au
rôle coordinateur que cherche à construire le pouvoir
municipal à Paris, à ses traductions stratégiques,
méthodologiques et interventionnels, notamment visà-vis d’autres dynamiques et dispositifs coordinations
pluri-professionnelles existants.
Pour ce faire, la méthode employée consiste en des
entretiens auprès des acteurs, l’analyse de leurs discours, et de l’observation participante aux instances de
concertation et aux démarches de « démocratie sanitaire » mises en place par la Ville de Paris. Face au
nombre important et à la pluralité des acteurs en santé
décrite précédemment, la stratégie méthodologique
retenue consiste à procéder par séquences d’enquête
successives: en étudiant d’abord un champ thématique,
celui de la santé de la mère et du jeune enfant, en généralisant ensuite à d’autres champs thématiques ensuite,
en observant enfin les modalités de la régulation politique de l’action publique en santé prise dans sa globalité. Comme annoncé en introduction, le propos de ce
texte se limite à la première séquence d’enquête.
iii- Premières oBservations : l’étuDe Du cHamP De la
santé De la mère et Du Jeune enFant
La préparation des États généraux de la PMI de
Paris qui se tiendront en séance plénière en
novembre 2015, par le biais de l’organisation d’ateliers de travail et de débats publics, constitue le premier terrain d’observation participante de cette
thèse. Cette observation, socle de la première
séquence d’enquête, a permis de se familiariser avec
le contexte parisien et ses acteurs, et de dresser des
premiers constats.
Les États Généraux de la PMI de Paris sont le fruit
d’une commande politique émanant directement du
9- Par exemple, l’association URACA (Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines) ancrée depuis 30 ans dans le
18e arrondissement y développait des approches en santé communautaire visant la prévention sanitaire et sociale globale. Elle
a put être l’association porteuse du premier ASV monté sur Paris
en 2008 et dont l’action a pu bénéficier des réseaux et des
méthodologies préexistantes de l’association.
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travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris
pouvoir exécutif parisien, qui souhaitait initier un travail de réflexion qui vise à repréciser le positionnement
de la PMI dans le dispositif de santé autour de la naissance et du suivi préventif du jeune enfant et vis-à-vis
de l’objectif de réduction des inégalités socio-territoriales de santé.
L’amélioration de la prise en charge globale de la
naissance et du suivi du développement du jeune
enfant est une préoccupation commune aux professionnels de la santé périnatale, aux professionnels de
la PMI, à leurs partenaires associatifs, du médicosocial… Les enjeux sont encore plus forts en ce qui
concerne les cas individuels les plus complexes, qu’il
s’agisse de grossesses pathologiques ou de situations
individuelles difficiles, en raison d’une grande vulnérabilité économique et sociale des familles par exemple,
demandant une meilleure prise en charge globale. Des
réseaux de santé attitrés existent d’ores et déjà à
Paris10. Leur mission est d’accompagner l’offre de soins
en santé périnatale et de coordonner la prise en
charge en ville des patientes et de leurs enfants. D’autres réseaux plus spécialisés existent, comme le réseau
de santé SOLIPAM (Solidarité Paris Maman) qui
accompagne les femmes enceintes en situation de
grande précarité. Plusieurs ASV parisiens se sont
emparés dès 2014 de la thématique de la périnatalité,
en mettant en place des groupes de travail, dont les
réseaux et les PMI étaient partenaires, et en réalisant
des annuaires sur leurs territoires.
Quant aux services de PMI, ils travaillaient à leur
organisation territoriale avant même la tenue des
États Généraux. La mise en place un schéma directeur
avait abouti en 2014 à une sectorisation en sept territoires de la PMI de Paris, qui s’était accompagnée
d’une refonte assez importante des encadrements. Le
sous-directeur de la planification, de la PMI et des
familles à la Ville de Paris fait le constat que les territoires d’action ainsi découpés le sont de façon pertinente vis-à-vis des besoins des familles les plus vulnérables. Il y a cohérence entre la répartition des centres
et donc de l’offre de service, plus dense dans le Nord10- La mise en place du premier réseau Ville-Hôpital en périnatalité autour de l’hôpital Bichat-Claude Bernard dans le 18e
arrondissement date d’il y a 10 ans. A ce réseau pionnier et généraliste en santé périnatale dans le Nord de Paris s’est ajouté un
réseau dans l’Est, puis un réseau dans le Sud, qui ont vocation
selon l’ARS d’Ile de France à fusionner un réseau parisien unique.
Dossier santé
est parisien, et celle des concentrations de populations
marquées par différents critères de vulnérabilité socioéconomique. Mais la question de l’inscription territoriale de chacun des centres de PMI vis-à-vis le réseau
local demeure. Les dynamiques de constructions
locales de systèmes d’acteurs en santé périnatale semblent donc avoir précédé la commande politique et
répondre d’abord à des enjeux organisationnels et
professionnels. Des enjeux demeurent, notamment
quant à l’amélioration des coordinations et des
moyens d’intervention en ce qui concerne les populations les plus en difficulté ou les plus éloignées. Cette
question a largement occupé les débats dédiés à l’organisation territoriale de la PMI de Paris lors des États
Généraux. Lors d’entretiens réalisés en complément
de l’observation auprès de professionnels de PMI ou
de professionnels de terrain partenaires (ASV, réseaux,
etc.), ces acteurs ont été nombreux à reconnaître que
la démarche des États Généraux a permis de mettre à
plat leurs difficultés communes, souvent déjà connues,
et de souligner la nécessité d’un plus fort portage politique de la question de la périnatalité. Mais, des
doutes sont aussi exprimés sur la portée réelle à en
attendre quant à la transformation des modes d’intervention, les États Généraux étant conduits à moyens
budgétaires constants.
suites et conclusions attenDues
La poursuite de ce travail de recherche visera d’abord à approfondir ces premiers résultats sur le champ
de la santé de la mère et du jeune enfant. Il s’agira
d’observer de façon plus fine quelles reconfigurations
s’opèrent, ou ne s’opèrent pas, à l’issue des États
Généraux. Il s’agira d’observer de façon systématique
si les coordinations locales se ressemblent ou se différencient. Il s’agira de préciser les leviers et les freins,
notamment budgétaires et professionnels, à l’aboutissement des dynamiques de coopérations locales. Il s’agira de préciser quelles logiques professionnelles et
organisationnelles, quelles logiques propres au service
public, quelles logiques politiques et quelles logiques
territoriales préexistantes, se croisent et se confrontent pour aboutir à ce paysage. Une séquence d’enquête ultérieure devra permettre de généraliser ces
étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris
résultats en comparant les résultats obtenus à ce qui
peut être observé dans d’autres champs thématiques
en santé.
Enfin, une séquence d’enquête transversale sera
consacrée aux élus parisiens, c’est-à-dire à l’adjoint à la
Maire de Paris en charge de la santé, mais également
aux élus en charge de la santé dans les arrondissements et de leurs conseillers. Il s’agira d’étudier comment ils s’approprient les questions de santé et comment ils donnent corps à une politique de santé à
l’échelle de leurs arrondissements. De quels relais
disposent-ils? S’emparent-ils des différentes instances
de concertation, dites participatives et de démocratie
sanitaire impulsées par la Mairie de Paris, et si oui,
comment et pour aborder quelles problématiques?
Quelle place y occupe la santé de la mère et du jeune
enfant?
Cette recherche visera ainsi à contribuer à l’analyse
des reconfigurations contemporaines de l’action
publique locale en santé, en montrant notamment:
• la persistance d’enjeux de pouvoirs et de compétence qui accompagnent le décloisonnement en cours
des politiques publiques locales de santé porté par des
enjeux d’amélioration de la prise en charge des habitants;
• le rôle particulier des acteurs associatifs quant à
la mise en œuvre concrète de ce décloisonnement des
politiques au niveau local et à la plus grande appropriation des questions de santé en ville;
• les rôles joués respectivement par les professionnels de terrain et les élus dans la construction de la
santé en tant qu’objet de politique publique locale.
117
BiBlioGraPHie
• Fleuret S., 2012, Construction locale de santé.
Attention primaire et santé communautaire, comparaisons internationales et expérimentation en
France, Habilitation à diriger des recherches, Université d’Angers
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2003, Les acteurs, ces oubliés du territoire, Paris,
France, Anthropos : Économica, 186 p.
• Rican S., Rey G., Lucas-Gabrielli V., Bard D., Zeitlin
J., Charreire H., Jougla E., Salem G., Vaillant Z.,
Combier É., Oppert J.-M., Hercberg S., Castetbon
K., Mejean C., Pampalon R., 2011, « Désavantages
locaux et santé  : construction d’indices pour l’analyse des inégalités sociales et territoriales de santé
en France et leurs évolutions », Environnement,
risques et santé, Vol. 10, n° 3, pp. 211-215
• Vanier M., 2009, Territoires, territorialité, territorialisation: controverses et perspectives, Rennes,
France, Presses Universitaires de Rennes (Entretiens de la Cité des Territoires), 228 p.
Enfin, il s’agira de re-situer les résultats produits
sur le cas d’étude choisi, et d’analyser si les spécificités
propres à Paris, en raison de son organisation administrative et politique et de sa situation métropolitaine,
produisent des effets eux aussi spécifiques quant aux
reconfigurations de l’action publique locale en santé.
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des
adolescents, l’exemple du dispositif maison des adolescents du calvados
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métilde havard
umr
L
e présent article fait suite à une communication présentée dans le cadre de la journée
« Santé et Bien-être », organisée par le laboratoire Espaces et Sociétés.
L’objet de cette intervention était de présenter la
recherche envisagée au prisme des réflexions menées
au sein de l’UMR-ESO 6590, notamment à partir de
l’axe thématique consacré aux « pratiques, expériences et représentations de l’espace » et de l’axe
transversal.
Dans un premier temps, il sera nécessaire de livrer
des éléments de contexte afin d’exposer la problématique retenue pour l’analyse des dimensions sociales
et spatiales des « parcours de soin » des adolescents à
partir de l’exemple fourni par la Maison des Adolescents du Calvados. Puis, il s’agira de présenter les choix
qui ont présidé à la construction l’objet d’étude. En
dernier lieu, le positionnement du chercheur en début
de thèse sera explicité.
conteXtualisation De la recHercHe
En 1999, la première structure extra-hospitalière
pour adolescents est ouverte dans le cœur de ville
du Havre. Cette expérience marque les prémices de
l’émergence du concept « Maison des Adolescents ».
En effet, le rapport du Défenseur des Enfants (2002)
puis la Conférence de la Famille (2004) concourent à la
légitimation de ce concept. En 2005, un cahier des
charges national est rédigé: les « Maisons des Adolescents » doivent œuvrer en direction des adolescents,
favoriser le décloisonnement institutionnel et la mise
en complémentarité fonctionnelle des structures
d’aide sociale, médico-sociale et sanitaire à l’échelle de
département. Dans le Calvados, une « Maison des
Adolescents » est ouverte à Caen, en 2006. Dix ans
après la rédaction du cahier des charges national, seuls
10 départements ne sont toujours pas pourvus d’une
« Maison des Adolescents ».
eso caen - cnrs
6590 - université de caen
La Maison des Adolescents du Calvados (MDA14)
est une association Loi 1901, dont la création résulte
de la rencontre d’une approche sociale, médicosociale portée par l’Association Calvadosienne de Sauvegarde de l’Enfant à l’Adulte (ACSEA) et d’une
approche sanitaire portée par l’Établissement Public
en Santé Mentale Caen (EPSM). L’Association des Amis
de Jean Bosco (AAJB) rejoint, par la suite, le projet.
Cette construction hybride se retrouve dans un type
original d’association qui développe une approche globale de l’adolescent.
Cette Maison a pour vocation d’accueillir les adolescents et leur entourage ainsi que les professionnels
travaillant avec ce public. Son équipe pluri-professionnelle remplit des missions d’écoute et d’évaluation des
situations adolescentes, oriente ceux qui le nécessitent vers des accompagnements adaptés et met en
place des suivis spécifiques. Les jeunes de 12 à 18 ans,
domiciliés dans le Calvados, peuvent intégrer le dispositif MDA14 de deux manières: de leur propre initiative ou à la suite d’une orientation par un professionnel (Éducation Nationale, médecin traitant,
assistante sociale…). Certains adolescents réalisent, au
sein du dispositif, de véritables « parcours de soin »: ils
passent de l’Espace Accueil, porte d’entrée généraliste, aux Espaces cliniques où des accompagnements
spécifiques sont mis en place (Espace Consultation,
Espace de Soin et de Médiation, Espace Hébergement
thérapeutique). À l’échelle du département, la Maison
des Adolescents représente « une sorte de carrefour
aux multiples entrées et sorties, une plate-forme
d’aide et d’orientation pour des demandes les plus
générales aux prises en charges les plus spécialisées »
[MDA14, 2011].
Si ce travail de thèse entend questionner les « parcours de soin » des adolescents dans le Calvados, c’est
pour mettre en lumière les tensions qui animent ce
dispositif, aux prises entre un paysage politique et
institutionnel marqué par la restructuration du système de santé et une légitimité reposant sur sa capa-
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents,
l’exemple du dispositif maison des adolescents du calvados
cité à accompagner le public adolescent dans des
« parcours de soin » personnalisés à l’échelle du département.
construire l’oBJet D’étuDe
Les premiers résultats tirés de l’enquête exploratoire montrent qu’en 2013, 54 adolescents sont
engagés dans un « parcours de soin », c’est-à-dire
qu’ils fréquentent au moins deux espaces cliniques de
la MDA14. Pour 23 d’entre eux, le « parcours de soin »
a été initié à la suite de leur passage à l’Espace Accueil,
pour les autres, il débute à la suite de leur orientation
vers un des Espaces cliniques de la MDA14 par un professionnel partenaire. Ce travail d’exploitation de la
base de données 2013, produite par la structure, s’est
vu complété par une série d’entretiens semi-directifs
menés auprès de professionnels de la Maison des Adolescents. Leurs discours ont ainsi pu être recueillis
quant aux accompagnements qu’ils mettent en place
et aux difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de
leurs missions. Parallèlement, une bibliographie sur la
notion de « parcours de soin » et sur le mouvement de
la restructuration du système de santé français a été
constituée (rapports officiels, de textes tirés de la littérature grise et académique).
Au regard des premiers résultats issus de l’enquête exploratoire, il convient, pour l’heure, de
retenir une acceptation large du soin, de sorte que
les accompagnements relevant du sanitaire, du
médico-social, du social, de l’éducatif, du pédagogique et du judiciaire soient partie intégrante des
« parcours de soin » étudiés. Les accompagnements
dispensés par MDA14 seront considérés au même
titre que ceux proposés par les partenaires dont le
territoire de compétence concerne le département
du Calvados.
C’est la loi « Hôpital, Patient, Santé, Territoire » du
21 juillet 2009 qui introduit la notion de parcours en
santé. Selon la Haute Autorité de Santé, « les parcours
de santé correspondent à la fois à la mise en œuvre
d’un programme de prévention adapté à la personne,
et à l’organisation appropriée des soins et des services
sociaux nécessaires aux différents moments d’une
prise en charge personnalisée » [Haute Autorité de
Santé, 2012].
Dossier santé
Au cours du travail de recherche, il s’agira d’analyser les dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents dans le Calvados à
partir de l’exemple fourni par le dispositif. Ces premières questions de recherche participent à la construction de l’objet d’étude: Quelles sont les caractéristiques des adolescents qui fréquentent la Maison?
Quels sont les accompagnements auxquels ils ont
recours? Quels sont les indicateurs qui permettent
d’apprécier la cohérence des « parcours de soin »
réalisés? Dans quelle mesure les temps d’élaboration,
de mise en œuvre et de suivi des « parcours de soin »
permettent-ils la confrontation des représentations et
des pratiques de chacun des acteurs engagés (professionnels, adolescents, entourage) ? Comment les
acteurs en présence se positionnent-ils les uns par rapport aux autres? Quelles sont les négociations possibles? Dans quelle mesure l’action de la MDA14 vientelle soutenir l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi
des « parcours de soin » pour les adolescents dans le
Calvados? Dans quelle mesure l’offre de soin coïncidet-elle avec les besoins de santé exprimés par les adolescents domiciliés dans le Calvados?
le Protocole D’enquête et le Parti Pris De la métHoDe
Un premier travail consistera à reconstituer les
« parcours de soin » des adolescents qui fréquentent,
ou qui ont fréquenté, le dispositif et ce, depuis son
ouverture. Des traitements statistiques seront appliqués aux données produites par la MDA14 dans le but
d’établir une typologie des profils adolescents et des
« parcours de soin » qu’ils effectuent. Une modélisation des « parcours de soin » pourra alors être proposée. Pour chaque idéal type mis en évidence, il
conviendra de recueillir auprès des acteurs1 engagés
dans des « parcours de soin » leurs représentations
quant à la santé des adolescents (entretiens semidirectifs et focus group) et d’identifier les pratiques de
santé qui y sont liées.
1- Les interviewés seront les adolescents, leurs parents ou représentants de l’autorité parentale, les professionnels de première
ligne, les gestionnaires d’établissements et de services
accueillant le public adolescent et les gestionnaires des politiques locales de santé et en faveur de la jeunesse. Un échantillonnage sera construit afin de mener des entretiens semidirectifs approfondis.
analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents,
l’exemple du dispositif maison des adolescents du calvados
Le travail de contextualisation de l’objet d’étude
passera par la mise en évidence des dynamiques structurantes du Calvados et s’effectuera en trois temps.
Tout d’abord, il s’agira de caractériser l’offre de
santé présente dans le département (recenser et localiser les établissements et services intervenant auprès
du public adolescent, préciser leurs modalités d’action
dans les différents champs de compétences que sont
le sanitaire, le médico-social, le social, l’éducatif, le
pédagogique et le judiciaire et leur territoire de compétence). Il conviendra, ensuite, d’étudier la répartition des populations selon leurs profils sociodémographiques et économiques en exploitant les bases de
données mises à disposition par des institutions
comme l’INSEE, le Conseil départemental, le Département de l’Enfance et de la Famille, etc. Pour compléter, il conviendra de s’intéresser à la distribution de
l’activité de cette Maison à l’échelle du Département
(cartographier ses bassins de patientèle) et d’identifier
les réseaux professionnels dynamiques organisés
autour des questions liées à l’adolescence. Ce travail
s’appuiera nécessairement sur un corpus bibliographique où seront analysées les politiques menées localement, en matière de santé et en faveur de la jeunesse, au regard des orientations nationales voire
supranationales.
Les effets d’accumulation de difficultés en des lieux
circonscrits seront alors interrogés. Quels sont les indicateurs qui permettent d’identifier le(s) risque(s)
potentiels pour le développement de l’adolescent? Il
s’agira de comprendre si des effets de contexte (structurels) peuvent apparaître comme favorables ou défavorables à l’état de santé des adolescents et si, sur un
territoire donné, ils peuvent encourager ou, au
contraire, contraindre les pratiques des acteurs
engagés.
L’association génère des bases de données, depuis
son ouverture en 2006, précieuses pour cette
recherche car elles rendent possible la réalisation
d’une étude longitudinale des « parcours de soin » des
adolescents. Pour saisir les dimensions sociales et spatiales de ces parcours, les conditions d’élaboration, de
mise en œuvre et de suivi des « parcours de soin »
seront étudiés à différentes échelles d’analyse et en
intégrant les points de vue des différents acteurs qui y
prennent part. La confrontation des résultats obtenus
121
permettra d’identifier les rapports de force à l’œuvre
au sein des processus de soin étudiés. Le traitement de
l’information recueillie se fera au moyen de techniques quantitatives et qualitatives de manière à ce
que l’interprétation des données qualitatives vienne
rétro-éclairer celles des données quantitatives. Ce travail monographique, réalisé à partir de cet exemple de
Maison, propose donc d’étudier le rapport entre les
dynamiques du contexte local, qui peuvent apparaître
tour à tour favorables ou défavorables à la santé des
adolescents, et les marges de manœuvre dégagées
collectivement par les acteurs impliqués dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des « parcours de
soin » des adolescents au bénéfice de l’amélioration
de l’état de santé de cette population.
conclusion
Le présent article pose les jalons du travail de
recherche envisagé. Il permet d’en cerner les attendus,
d’identifier les axes à approfondir et ceux, encore naissants, qui devront être articulés à la structure actuelle
du projet de thèse.
Ce travail de recherche s’attachera à produire de la
connaissance qui puisse être réinvestie aussi bien dans
le cadre de la pratique de la recherche qu’auprès des
acteurs engagés dans des « parcours de soin » d’adolescents. En ce sens, la thèse bénéfice du soutien académique de l’Unité ESO-UMR 6590, représenté par B.
Raoulx (ESO-Caen) et S. Fleuret (ESO-Angers), et du
soutien de la MDA14, représentée par le Dr P. Genvresse, qui s’engage aux côtés de la Région Basse-Normandie à financer ce travail.
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents,
l’exemple du dispositif maison des adolescents du calvados
quelques références bibliographiques
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santé et recours aux soins », Questions d’économie
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soins », Pour un accès plus égal et facilité à la santé
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dispositif « Maison des Adolescents » (MDA), Rapport
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social, Paris: Dunod, 224 p.
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Projet d’association réactualisé 2012-2017
• UNICEF, 2014, Adolescents en France: le grand
malaise, 60 p.
Dossier santé
les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge.
du cadre d’analyse socio-spatiale de la vulnérabilité des personnes âgées
à une recherche sur les personnes immigrées
123
aurélien martineau
eso angers
umr
I
l n’y a jamais eu autant de personnes âgées au
sein de nos sociétés occidentales qui arrivent à
un âge aussi avancé de la vie (Caradec, 2007). Le
nombre de personnes de 75 ans ou plus passera en
France de 5,2 millions en 2010 à 11,9 millions à l’horizon 2060 (Chardon, 2010). Sur le plan démographique, le XXIe siècle sera donc le siècle du vieillissement (Dumont, 2005) et l’augmentation de la
population vieillissante représente un enjeu de santé
publique pour garantir le bien-être de tous jusqu’à la
fin de sa vie. L’avancée des connaissances relatives aux
parcours de vieillissement est donc primordiale pour
anticiper et répondre aux enjeux gérontologiques présents et à venir. Dans ce contexte, cette contribution,
qui se veut une position de recherche préparatoire à
une thèse menée à l’université d’Angers, a pour objet
de proposer un cadre d’analyse sociospatiale de la vulnérabilité des personnes au grand âge. Il sera ici présenté à travers deux principales notions: les parcours
de vie durant la vieillesse et la vulnérabilité. L’objectif
est de démontrer en quoi ce cadre théorique peut être
pertinent pour analyser les parcours de vieillissement
et de fin de vie en France des migrants dans leurs territoires de résidence.
i-
étuDe Des cHanGements socio-sPatiauX au GranD
âGe
L’étude des conséquences sociospatiales de l’expérience du grand âge (Martineau 2015) fait référence
dans les parcours de vieillissement aux travaux du
sociologue V. Caradec (2008). Ce chercheur ne définit
pas le grand âge comme l’appartenance d’individus à
une classe d’âge (par exemple, les 80 ans et plus). Le
grand âge correspond d’après lui aux expériences nouvelles qui sont vécues par les personnes dans leur parcours de vieillissement, qui se caractérise par divers
changements expérimentés dans cette période de la
vie: connaître des limitations fonctionnelles, avoir
- cnrs
6590 - université angers
conscience de sa finitude, perdre ses contemporains,
etc. Pour résumer, une ou des épreuves qui marquent
le vieillissement en transformant le rapport de la personne âgée à soi, aux autres et au monde (Caradec, op
cit, p. 9).
Dans cette perspective, des récits biographiques
d’individus au grand âge habitant différents territoires
de vie du département de Maine-et-Loire ont été
menés en mars 2015 (territoires urbains et périurbains: agglomérations angevine et choletaise et en
milieu rural: communautés de communes Moine- etSèvre). Lors des entretiens, les phases de bifurcation/transition biographique (Mazade, 2011) de ces
personnes ont été analysées pour comprendre comment face à une difficulté, une expérience liée au
grand âge, elles ont agi et réagi. Comment se sont-elles
adaptées (ou non) aux conséquences sociales et spatiales générées par ces événements? Pour en saisir les
éléments, le recours à un cadre d’analyse systématique de leur situation a été primordial. Le modèle
théorique proposé a été construit autour de deux
concepts centraux: la vulnérabilité et les parcours de
vie durant la vieillesse. Ils ont permis d’analyser les
récits au grand âge en étudiant les changements au
sein des parcours et dans les territoires de vie des individus.
ii- la vulnéraBilité : le cHoiX D’un moDèle D’analyse
Du GranD âGe
Utilisée initialement en géographie, la notion de
vulnérabilité s’est progressivement intégrée au secteur gérontologique en complément de la notion de
fragilité (Martin, 2013). Une recension des écrits sur le
thème de la vulnérabilité a permis de retenir le cadre
d’analyse développé par E. Schröder Butterfill et R.
Marianti. Pour ces auteures, la vulnérabilité d’un indi-
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
E
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124
les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge...
vidu se définit comme « le produit d’un ensemble de
risques distincts, mais liés, à savoir le risque d’exposition à une menace, le risque de matérialisation d’une
menace et le risque d’absence de défense permettant
de gérer la menace » (Schröder-Butterfill, 2013,
p. 208).
Pour les deux gérontologues, les « menaces » correspondent à des événements capables d’amorcer la
progression de l’individu vers une « issue défavorable » dans la vieillesse, sauf si celui-ci dispose de ressources lui permettant de « faire face », de réagir à la
menace. Les menaces sont un ensemble de chocs, de
crises, d’aléas qui peuvent être très différents selon les
situations. Un accident vasculaire cérébral (AVC), un
deuil, une chute, etc. sont autant d’aléas qui peuvent
générer une situation de crise. Face à cela, l’individu
peut mobiliser un soutien pour éviter une évolution de
sa situation qui ne lui serait pas favorable.
Les auteures distinguent ensuite « l’exposition »
qui correspond aux états de l’individu. L’âge, le sexe, la
situation géographique, la classe sociale, etc. sont
autant de facteurs agissant sur la probabilité d’être
confronté à un aléa, un événement donné. L’exposition, aussi nommée facteur de risque, est primordiale
dans l’analyse des situations sans réduire la vulnérabilité d’une personne uniquement à des caractéristiques. Enfin, « le faire face », aussi nommé atout, résilience, stratégie d’adaptation correspond aux
capacités de faire face. C’est l’ensemble des « ressources et des relations à la disposition des personnes
pour les aider à se protéger contre les menaces, éviter
les évolutions défavorables et récupérer après une
crise » (ibidem, p. 212). Ces capacités ont un aspect
relationnel et dynamique, elles sont classées en trois
groupes. Premièrement, les capacités individuelles
correspondant aux ressources économiques, aux capitaux humains, à la résilience, aux capacités d’adaptation des personnes. Deuxième type, pour ces auteurs,
le réseau social à travers la famille, les amis, les voisins.
Tous les membres qui participent à l’épanouissement
et le bien-être de l’individu. Il faut garder à l’esprit
qu’ils peuvent également représenter parfois des
limites pour l’individu (en cas de conflits par exemple).
Enfin, dernières « capacités de faire face », le soutien
formel essentiel pour la compensation, les carences
des capacités individuelles et du réseau social. Il cor-
Dossier santé
respond aux services sociaux et de santé, et sociaux,
aux organismes de retraite, etc. Ce type de recours
pose l’enjeu de la fiabilité du soutien formel, de la qualité et de l’accessibilité des services et des prestations
mobilisées. Ce qui peut varier selon les situations et,
d’un territoire à un autre.
Ce cadre d’analyse développe au final un ensemble
d’évolutions face auxquelles les personnes âgées pourraient se sentir vulnérables. Par exemple, l’absence de
soin et de service d’accompagnement de qualité, une
exclusion de la vie sociale, l’institutionnalisation, la
solitude, etc. Ces exemples pouvant être enrichis, l’évaluation « des menaces » prend en effet sens dans la
vie de chaque individu et va varier selon les contextes.
Étudier les ressources et entrevoir les stratégies d’adaptation prend sens également dans l’espace, en
interrogeant les enjeux et les risques « spatiaux », les
disparités et les inégalités présentes à l’échelle des territoires de vie des personnes.
iii- Parcours De vie Durant la vieillesse : la Prise en
comPte De la Dimension temPorelle
Le vieillissement étant le produit des trajectoires
passées (Caradec, 1998, p. 2), étudier les parcours de
vie durant la vieillesse, c’est considérer l’ensemble de
la vie de l’individu. Pour S. Pin Le Corre (2009), cette
approche « appliquée au vieillissement et à la
vieillesse » relève d’un courant de recherche récent
qui a permis de prendre connaissance des multiples
situations de vieillesse et des trajectoires plurielles de
vieillissement. Ces travaux sont notamment centrés
sur les événements qui jalonnent les dernières étapes
de la vie et sur la façon dont « les individus vivent et
s’adaptent à ces changements » (Pin Le Corre, op cit,
p. 17).
Le parcours de vie des individus est composé
« d’un ensemble de trajectoires plus ou moins entrelacées et renvoyant aux différentes sphères dans lesquelles se déroule l’existence individuelle: scolaire,
professionnelle, familiale, etc. » (Cavalli, 2007, p. 57).
L’approche des parcours de vie saisit donc les interconnexions entre les expériences vécues à des instants
différents de la vie des personnes. Dans ce sens, cette
notion apparaît essentielle pour entrevoir l’ensemble
des trajectoires vécues par les individus au grand âge
les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge...
(événements, décisions, contraintes rencontrés par le
passé comme actuellement). Pour la géographe R.
Séchet, l’analyse des parcours de vie doit donc être
liée aux temporalités et aux espaces dans lesquels les
parcours se façonnent (Séchet, 2012).
L’hétérogénéité des parcours de vie durant la
vieillesse doit être mise en lumière par la multiplicité
des facteurs de vulnérabilité rencontrés au grand âge.
Sur l’ensemble des personnes âgées, il n’est en effet
pas possible de distinguer « celles qui sont vulnérables,
de celles qui sont solides en examinant simplement les
facteurs d’exposition et les menaces communes, car la
vulnérabilité découle des interactions entre les avantages/désavantages cumulés au fil de l’existence »
(Martin, 2013, pp. 28-29). Étudier les trajectoires de
vieillissement au grand âge, c’est tenter de comprendre ce qui peut caractériser leur vulnérabilité face
à un ou plusieurs risques. Cela nécessite de « prêter
attention aux conditions d’apparition et de répartition
dans le temps des facteurs d’exposition, mais aussi à la
manière dont les individus parviennent ou non à mobiliser des ressources sociales, matérielles et publiques
pour se protéger des effets négatifs » (ibidem). D’où
l’intérêt de proposer un cadre théorique mêlant l’approche des parcours de vie et l’étude de la vulnérabilité pour prendre en considération les dimensions agissant sur les expériences de vieillissement au grand âge.
iv- ProJet Doctoral - une lecture socio-sPatiale Des
Parcours De vie Des immiGrés au GranD âGe
En 2008, 890000 immigrés âgés de 65 ans et plus
résidaient en France qui représente 8 % de la population totale de cette tranche d’âge. Le nombre d’immigrés âgés est en constante augmentation et la diversité
des origines et des parcours migratoires font de ces
publics une catégorie d’étude singulière et complexe.
Durablement installée en France, une majorité d’entre
eux vont passer leurs retraites et leur fin de vie sur le
territoire national (Attias-Donfut, 2006). Actuellement,
nombre d’entre eux sont dans une période transitoire
où l’entrée en situation de dépendance et la fin de vie
sont des enjeux centraux (Attias-Donfut, 2012). La littérature scientifique dresse le constat qu’ils rencontrent des difficultés similaires au reste de la population
125
face au vieillissement. Une partie d’entre eux éprouve
cependant des difficultés supplémentaires (Samaoli,
2012) par rapport aux personnes non-immigrées :
conditions de vie moins avantageuses, barrière de la
langue, non-recours à certains droits sociaux, éloignement des proches restés au pays, dépendance précoce. Un travail de recension bibliographique a permis
de mettre en exergue les enjeux propres aux expériences de vieillissement de ces publics en France
(Plard, Martineau, & Fleuret, 2015).
Le cadre théorique présenté peut être adapté à l’analyse des parcours durant la vieillesse des immigrés
au grand âge. En effet, les approches se basant sur les
parcours de vie améliorent la mise en lumière de la
vulnérabilité des personnes âgées. Elles permettent
d’objectiver des facteurs d’exposition, des menaces,
qui trouvent leur origine dans des périodes antérieures de la vie. Concernant, les migrants âgés, l’étude
de leurs parcours migratoires et de vie en France, des
changements qui ont pu modifier leur culture,
façonner leur identité peuvent donner des indications
essentielles sur les facteurs de vulnérabilité éprouvés
au grand âge.
La mise en lien de ces deux concepts (parcours de
vie et vulnérabilité) offre une lecture des trajectoires
de vieillissement inscrite dans le temps et dans
l’espace au sein des territoires de vie des migrants.
Cette approche permettra de saisir les dimensions
temporelles et spatiales dans les récits biographiques
de ces populations ayant pu habiter au cours de leur
vie dans des pays, sur des espaces de vie très différents. La démarche favorisera ainsi l’analyse de la vulnérabilité vécue par les migrants âgés et l’étude des
issues de la vieillesse, la manière dont les immigrés
âgés font face aux menaces qu’ils rencontrent.
L’une des finalités de cette recherche doctorale
sera de spatialiser les expériences au grand âge des
migrants pour étudier les disparités existantes en fonction de leur territoire de vie. La recension bibliographique a dans ce sens démontré que la dimension spatiale était quasi-absente dans la littérature scientifique
et les enjeux spatiaux liés au vieillissement de ces
publics très peu abordés.
eso,
travaux & documents, n° 39, octobre 2015
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les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge...
réFérences BiBlioGraPHiques
• Attias-Donfut Claudine, 2006, L’Enracinement:
Enquête sur le vieillissement des immigrés en
France. Armand Colin, 358 p.
• Attias-Donfut Claudine, 2012, Dépendance des
immigrés âgés, une solitude accrue. Poche-Espace
éthique, pp. 458-471
• Caradec Vincent, 2007, « L’épreuve du grand
âge ». Retraite et société, n° 52, pp. 11-37
• Caradec Vincent, 2008, Sociologie de la vieillesse
et de vieillissement. Armand Colin, coll.128, 128 p.
• Caradec Vincent, « Les transitions biographiques,
étapes du vieillissement ». Prévenir, n° 35, pp. 131137
• Cavalli Stephano, 2007, « Modèle de parcours de
vie et individualisation ». Gérontologie et société,
n° 123, pp. 55-69
• Chardon Olivier, 2010, « Projections de population à l’horizon 2060, Un tiers de la population âgé
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• Dumont Gérard-François, 2005, « Le siècle du
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• Martin Claude, 2013, « Penser la vulnérabilité.
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• Martineau Aurélien, 2014, Les enjeux du vieillissement des personnes âgées immigrées en E.H.P.A.
Etude d’une nouvelle immigration dans la vieillesse,
Mémoire de Master 1 Dynamiques et Actions
Sociales Territoriales sous la direction de M. Plard,
CNRS, Université d’Angers, 66 p.
• Martineau Aurélien, 2015, Les épreuves du grand
âge, quelles conséquences socio-spatiales ?
Mémoire de Master 2 Interventions sociales sous
la dir. de M. Plard, CNRS, Université d’Angers,
p. 132
• Mazade Olivier, 2011, « La crise dans les parcours
biographiques: un régime temporel spécifique? »,
Temporalités, n° 13, pp. 2-15
• Pin Le Corre Stéphanie, 2009, « Parcours de
santé, parcours de vie durant la vieillesse ». La
santé de l’homme, n° 401, pp. 17-21
• Plard Mathilde, Martineau Aurélien et Fleuret
Sébastien, 2015, « Les immigrés au seuil du grand
Dossier santé
âge. Un questionnement à ancrer dans les territoires de vie ». Hommes & Migrations, n° 1309, pp.
31-39.
• Schröder-Butterfill Elisabeth, Marianti Rauth,
2006, « A framework for understanding old-age
vulnerabilities ». Ageing Society, n° 26, pp. 9-35
• Schröder-Butterfill Elisabeth, 2013, « Le concept
de vulnérabilité et sa relation à la fragilité », in
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des personnes âgées: Définitions, controverses et
perspectives d’action. Presses de L’EHESP, pp. 205228
• Séchet Raymonde, 2012, « Préface », in Vincent
Caradec et al. (dir.), Les dynamiques des parcours
sociaux temps, territoires, professions, Presses universitaires de Rennes, pp. 7-9
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travaux et documents
de l'unité
n° 39 - octobre 2015
mixtE dE rEchErchE
6590
ESpAcES ET SOcIETES
SOmmAIRE
colloques, séminaires
• « Le beau, le bon, le vrai » : Interroger les normes environnementales en sciences sociales,
Jean-Baptiste Bahers, emmanuelle Hellier, nadia Dupont, p. 7-16
• « Sexualités : des lieux et des liens », 3e biennale Masculins/Féminins, colloque international, compte rendu, Jean-marc Fournier, emmanuel Jaurand, p. 17-20
• « Tourisme et bien-être », colloque international, compte rendu, Xavier michel, p. 21-26
résumés De travauX
• L’efficacité environnementale des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale.
Echelle nationale et locale (le cas du Maine-et-Loire), Jean-Pierre Ducos, p. 29-40
• La ressource territoriale comme facteur-clé du développement durable local,
rose-marie Grenouillet, p. 41-50
Position De recHercHe
• Une approche comparée des politiques régionales d’innovation. Les cas de la Bretagne et du SørTrøndelag (Norvège), elena Dantec-Gernigon, p. 53-60
• Ambivalences de la gestion de la ressource patrimoniale en Inde. L’exemple du Rajasthan,
nicolas Bautès, p. 61-74
Dossier santé
• Une brève histoire de la santé dans les travaux de ESO, sébastien Fleuret, p. 77-82
• Parcours et trajectoires dans le domaine de la santé. Quelques réflexions issues de l’analyse
d’entretiens effectués auprès de femmes migrantes enceintes ou ayant récemment accouché dans la
ville de Rennes, anne-cécile Hoyez, clélia Gasquet-Blanchard, p. 83-87
• Automédication : pratiques et perceptions des médecins généralistes et des pharmaciens, Étude
dans les agglomérations nazairienne et nantaise,
sébastien Fleuret, stéphanie larramendy-magnin, laurent Brutus, p. 89-99
• Proximité et santé : réalisation d’un indicateur composite d’éloignement à la santé pour une
typologie des territoires. Regards croisés en Pays de la Loire, et au Québec, léa Potin, p. 101-105
• Les personnes souffrant de troubles psychiques depuis longtemps et vieillissant à domicile : pratiques
spatiales dans les espaces du quotidien, sarah Painter, p. 107-110
• Étudier les ressorts et les formes de l’action publique territorialisée en santé à Paris,
Béatrice Georgelin, p. 111-115
• Analyse des dimensions sociales et spatiales des « parcours de soin » des adolescents, l’exemple du
dispositif Maison des Adolescents du Calvados, métilde Havard, p. 117-120
• Les enjeux des parcours de vieillissement au grand âge. Du cadre d’analyse socio-spatiale de la
vulnérabilité des personnes âgées à une recherche sur les personnes immigrées,
aurélien martineau, p. 121-124

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