Le désir - WordPress.com

Transcription

Le désir - WordPress.com
Cours de philosophie de M.Basch
Le désir
I. Définition du désir
Tendance spontanée et consciente vers une fin connue ou imaginée. Le désir repose donc sur la tendance
dont il est un cas particulier et plus complexe. Il s’oppose d’autre part à la volonté. – Lalande
II) Le désir est l’essence de l’homme
a) Le désir est le moteur du vivant
Il est impossible de bien comprendre l’homme si l’on ne prend pas en considération le rôle essentiel joué
par le désir au cours de son existence.
Déjà Aristote disait :
Il n’y a qu’un seul principe moteur : la faculté désirante.
En effet, sans la faculté désirante, l’homme ne serait poussé vers rien ; il serait inerte et incapable d’agir. La
possibilité même de l’action humaine dépend donc de la présence en l’homme de désirs qui
provoquent des motifs d’action sans lesquels personne n’agirait. Avant de raisonner sur lui-même et
sur le monde extérieur, l’homme est donc avant tout un être qui cherche par tous les moyens le plaisir
procuré par la satisfaction de ses désirs ; la raison n’est jamais qu’un instrument au service du désir.
Différents auteurs ont exprimé à leur manière cette vérité : Spinoza en accordant un rôle majeur au conatus,
c’est-à-dire par l’effort vers la persévérance de l’être ; Schopenhauer fondant sa métaphysique sur le VouloirVivre (Wille zum Leben) ; Nietzsche en allant encore plus loin, puisqu’il suggère que la vie doit se
comprendre par la Volonté de puissance (Wille zur Macht).
Proposition VI. Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être. (Unaquaeque res,
quantum in se est, in suo esse perseverare conatur.)
Proposition VII. L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien à part
l’essence actuelle de cette chose.
Proposition VIII. L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’enveloppe pas un
temps fini mais indéfini.
Spinoza, L’éthique, Livre III
Chaque regard posé sur le monde, que le philosophe a pour tâche d'élucider, confirme et atteste que le
vouloir-vivre, bien loin d’être l’hypostase d'on ne sait quoi, ou même un mot vide, est la seule expression vraie
de la plus intime essence du monde. Tout aspire et s’efforce à l'existence, et si possible à l’existence organique,
c’est-à-dire la vie, et, une fois éclose, à son plus grand essor possible. On voit bien clairement dans la nature
animale que le vouloir-vivre est le trait fondamental de son existence, son unique propriété immuable et
inconditionnelle. Qu'on observe donc cet élan universel vers la vie, l’empressement infini, la facilité et la
complaisance avec lesquelles 1e vouloir-vivre, sous des millions de formes, partout et à chaque instant, par
fécondation et par germes, et là où ceux-ci manquent, par generatio aequivoca [génération spontanée], se rue
vers l'existence, saisissant toute occasion, s’emparant avidement de toute substance porteuse de vie; et qu’on
jette ensuite un regard sur l'épouvante et la panique qui s'emparent de lui, quand n'importe laquelle de ses
formes individuelles d'existence est en passe de perdre celle-ci, surtout quand il en a la claire conscience.
C'est alors comme si, dans cet unique spécimen, le monde entier allait être anéanti, et la vie entière de l’être
vivant ainsi menacée se transforme aussitôt en une guerre de résistance la plus désespérée contre la mort.
Qu'on observe, par exemple, la peur incroyable qui saisit un homme en danger de mort, l'immédiat et
profond intérêt de tous ceux qui en sont témoins et l'explosion de joie quand un sauvetage est réussi. Qu'on
observe l'effroi glacé qui suit la lecture d'une condamnation à mort, le sentiment d’horreur qu’inspire la vue
des préparatifs pour l'exécution et le sentiment déchirant de compassion lorsqu’elle a lieu sous nos yeux.
1
Cours de philosophie de M.Basch
C'est à croire qu'il s’agit là de bien autre chose que de la simple suppression de quelques années d'une
existence vide, triste, empoisonnée par des désagréments de toutes sortes et constamment incertaine.
Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation
Vivre, c’est essentiellement dépouiller, blesser, dominer ce qui est étranger et plus faible, l’opprimer, lui
imposer durement sa propre forme, l’englober et au moins, au mieux, l’exploiter. Tout corps devra être une
volonté de puissance, il voudra croître, s’étendre, accaparer, dominer, non pas par moralité ou immoralité,
mais parce qu’il vit et que la vie est volonté de puissance.
Nietzsche, Par-delà bien et mal
b) L’horreur de l’ennui et le besoin du divertissement
La preuve irréfutable que l’homme vit sous l’influence dominante du désir est qu’il ne supporte pas
l’ennui, c’est-à-dire le fait de ne se sentir animé par aucune force lui donnant un motif d’action.
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;
C'est l'Ennui ! - l'œil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, « Au lecteur »
Ainsi s’écoule toute notre vie. On cherche le repos en combattant quelques obstacles ; et si on les a
surmontés, le repos devient insupportable ; car, ou l’on pense aux misères qu’on a, ou à celles qui nous
menacent. Et quand on se verrait même assez à l’abri de toutes parts, l’ennui, de son autorité privée, ne
laisserait pas de sortir du fond du cœur, où il a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de son venin. –
Pascal (139)
III) L’objet du désir
a) Le désir du superflu
2
Cours de philosophie de M.Basch
Une caractéristique essentielle du désir est qu’il tend inexorablement à dépasser la sphère de nos besoins
naturels. Contrairement à la plupart des animaux, l’homme ne se contente pas de désirer le nécessaire
; il désire le superflu.
La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire.
L’homme est une création du désir, non pas une création du besoin. - Bachelard
Boire sans soif et faire l’amour en tout temps, Madame. Il n’y a que ça qui nous distingue des autres bêtes.
– Beaumarchais, Le mariage de Figaro
Toutefois, l’homme ne va pas jusqu’à désirer des choses complètement impossibles :
Car qui se trouve malheureux de n’être pas roi, sinon un roi dépossédé ? Trouvait-on Paul-Emile malheureux
de n’être plus consul ? Au contraire, tout le monde trouvait qu’il était heureux de l’avoir été, parce que sa
condition n’était pas de l’être toujours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n’être plus roi, parce que
sa condition était de l’être toujours, qu’on trouvait étrange de ce qu’il supportait la vie. Qui se trouve
malheureux de n’avoir qu’une bouche ? Et qui ne se trouvera malheureux de n’avoir qu’un œil ? On ne s’est
peut-être jamais avisé de s’affliger de n’avoir pas trois yeux ; mais on est inconsolable de n’en point avoir.
Pascal, Pensées (409)
b) Le désir mimétique
Une des sources les plus importantes des désirs peut se trouver dans l’instinct mimétique de l’homme,
c’est-à-dire sa tendance à imiter ses semblables. Des phénomènes sociaux tels que la mode, la célébrité
éphémère, ne peuvent s’expliquer que par l’envie, consciente ou inconsciente, qu’ont les hommes de se
comporter comme les autres.
L'homme désire toujours selon le désir de l'Autre. – René Girard
En observant les hommes autour de nous, on
s'aperçoit vite que le désir mimétique, ou
imitation désirante, domine aussi bien nos
gestes les plus infimes que l'essentiel de nos vies,
le choix d'une épouse, celui d'une carrière, le
sens que nous donnons à l'existence. Ce qu'on
nomme désir ou passion n'est pas mimétique,
imitatif accidentellement ou de temps à autre,
mais tout le temps. Loin d'être ce qu'il y a de
plus nôtre, notre désir vient d'autrui. Il est
éminemment social...
L'imitation joue un rôle important chez les
mammifères supérieurs, notamment chez nos plus proches parents, les grands singes ; elle se fait plus
puissante encore chez les hommes et c'est la raison principale pour laquelle nous sommes plus intelligents
et aussi plus combatifs, plus violents que tous les mammifères. L'imitation, c'est l'intelligence humaine dans
ce qu'elle a de plus dynamique ; c'est ce qui dépasse l'animalité, donc, mais c'est ce qui nous fait perdre
l'équilibre animal et peut nous faire tomber très au-dessous de ceux qu'on appelait naguère « nos frères
inférieurs ». Dès que nous désirons ce que désire un modèle assez proche de nous dans le temps et dans
l'espace, pour que l'objet convoité par lui passe à notre portée, nous nous efforçons de lui enlever cet objet
et la rivalité entre lui et nous est inévitable.
René Girard, Celui par qui le scandale arrive
c) Le désir de transgression
3
Cours de philosophie de M.Basch
Il y a une autre caractéristique fondamentale du désir, c’est qu’il se porte de préférence sur des objets qui
nous sont interdits. Il est commun de constater que le désir gagne en intensité lorsque le chemin
vers la satisfaction implique de transgresser des règles, au point que certaines personnes vont jusqu’à
sanctifier les interdits moraux qui s’opposent à nos désirs tout en leur donnant davantage d’ardeur et de
saveur :
Insensé, si ce n’est pas pour toi que tu surveilles ta femme, surveille-là du moins pour moi, afin de me la
faire désirer davantage. Ce qui est permis n’a pour nous aucun prix ; ce qui ne l’est pas ne fait qu’irriter notre
passion. – Ovide, Les amours
Mais ne vous flattez point, mes sœurs ; vous n’avez pas paru en ce monde
parfaites et armées. Vous fûtes humbles à votre origine. Vos aïeules du temps du
mammouth et du grand ours ne pouvaient point sur les chasseurs des cavernes
ce que vous pouvez sur nous. Vous étiez utiles alors, vous étiez nécessaires ; vous
n’étiez pas invincibles. A dire vrai, dans ces vieux âges, et pour longtemps encore,
il vous manquait le charme. Alors vous ressembliez aux hommes et les hommes
ressemblaient aux bêtes. Pour faire de vous la terrible merveille que vous êtes
aujourd’hui, pour devenir la cause indifférente et souveraine des sacrifices et des
crimes, il vous a fallu deux choses : la civilisation qui vous donna des voiles et la
religion qui nous donna des scrupules. Depuis lors, c’est parfait : vous êtes un
secret et vous êtes un péché. On rêve de vous et l’on se damne pour vous. Vous
inspirez le désir et la peur ; la folie d’amour est entrée dans le monde.
Anatole France, Le jardin d’Epicure
C’est en Italie et au dix-septième siècle qu’une princesse disait, en prenant une
glace avec délice le soir d’une journée fort chaude : « Quel dommage que ce ne
soit pas un péché ! » – Stendhal
d) Le désir de ce qui est bon
Même s’il est vrai une partie non négligeable de nos désirs ne s’expliquent pas par les qualités des objets
désirés, et que nous pouvons facilement être pris dans l’illusion consistant à surévaluer un bien et à se
tromper sur ses caractéristiques jusqu’au moment de la satisfaction (« Le désir fleurit, la possession flétrit
toutes choses » disait Proust), il faut également reconnaître, beaucoup plus simplement, que l’homme désire
aussi ce qui est objectivement bon pour lui.
Le désir de manger un bon chocolat vient essentiellement du fait que le chocolat a un bon goût et qu’il
procure une sensation incontestablement agréable au palais. Si certaines personnes aiment un film plutôt
qu’un autre, ce n’est pas forcément parce qu’ils sont snobs ou anticonformistes, c’est souvent simplement
parce que le film est réussi. On ne comprendrait pas la constance et l’universalité de certains objets
de désirs si ces objets n’étaient pas dotés d’un certain nombre de qualités objectives les rendant
dignes d’être poursuivis.
Pour le désir, il est évident que lorsqu’il procède d’une vraie connaissance, il ne peut être mauvais pourvu
qu’il ne soit point excessif et que cette connaissance le règle. – Descartes, Les passions de l’âme
IV) Les troubles de la concupiscence et la nécessité de la discipline rationnelle du désir
a) Le danger des mauvais désirs : la concupiscence
« Tout ce qui est au monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie »
(Saint Jean) : libido sentiendi, libido sciendi, libido dominandi. Malheureuse la terre de malédiction que
ces trois fleuves de feu embrasent plutôt qu’ils n’arrosent ! Heureux ceux qui, étant sur ces fleuves, non pas
plongés, non pas entraînés, mais immobiles, mais affermis sur ces fleuves ; non pas debout, mais assis dans
une assiette basse et sûre, d’où ils ne se relèvent pas avant la lumière. – Pascal, Pensées (458)
4
Cours de philosophie de M.Basch
b) La discipline rationnelle des désirs
Il y a deux oublis dangereux : oublier que l’homme doit avoir des désirs pour que son existence soit animée ;
oublier que l’homme doit se servir de sa raison pour mesurer et contrôler ses désirs. En effet, s’il n’est pas
orienté par la raison, le désir peut engendrer confusion, frustration et malheur. Schématiquement,
nous pouvons distinguer trois vices inhérents au désir non discipliné par la raison :
1) Les désirs indisciplinés sont contradictoires entre eux. Si nous ne sommes pas assez fort pour
accorder les désirs entre eux et les harmoniser en une volonté cohérente, on se trouve dans une situation
insupportable : animés par des désirs nous proposant des actions opposées, nous souffrons de la
contradiction au cœur de notre être.
2) Les désirs indisciplinés sont illimités. Nous ne sommes jamais entièrement satisfaits et comblés ; nous
voulons toujours plus ; et cette continuité infinie du désir, si elle n’est pas maîtrisée, ne peut que nous
apporter de l’angoisse ainsi qu’un désagréable sentiment de futilité. Dans cette spirale infinie du désir, non
seulement nous ne sommes jamais en repos, mais nous ressentons fréquemment un amer sentiment de
lassitude. « Post coitum animal triste » dit Ovide.
3) Les désirs indisciplinés engendrent de dangereuses illusions et déceptions. Le désir débridé
conduit l’individu à être entraîné par un flux incessant de désirs qui l’entraînent n’importe où, le conduisant
à faire n’importe quoi, parce que le désir est souvent aveugle (comme le dieu Eros dans la mythologie
grecque) et ne se fonde pas sur une idée adéquate du Bien.
À ces trois problèmes, nous pouvons trouver trois remèdes :
1) Pour lutter contre les désirs contradictoires, il faut dépasser les désirs par la volonté. Seule la
volonté permet de trancher entre la multiplicité contradictoire des désirs. Je désire ce macaron, mais je veux
maigrir : la volonté est plus forte que le désir, et permet de lutter contre les désirs qui s’écartent de notre
résolution. La volonté doit être déterminée et résolue ; si elle l’est, alors les multiples désirs que nous aurons
ne nous empêcheront pas de faire ce que nous voulons vraiment.
2) Pour lutter contre l’infinité des désirs, il faut parvenir à déterminer rationnellement des buts
suffisamment satisfaisants pour nous combler. Il n’y a pas que des objets de désirs futiles et lassants ; il
y a des satisfactions dont on ne se lasse pas, comme l’exercice de la vertu, l’amour véritable, une activité
aimée et digne d’être poursuivie pendant toute notre vie, ou bien… Dieu ?
3) Pour lutter contre les illusions et les déceptions du désir, il faut utiliser notre raison. Si nous
cultivons bien notre raison, nous ne nous laisserons pas abuser par nos désirs, et nous parviendrons à
discerner ceux qui élèveront notre être de ceux qui l’abaisseront. La raison, si elle est bien utilisée, nous
permet de savoir ce qu’il y a de meilleur pour nous. Notre désir est bien dirigé si nous désirons ce qui nous
aide à développer harmonieusement notre être, si nous épanouissons notre corps et notre esprit pour réaliser
ce qu’il y a de meilleur en nous. Chaque désir doit avoir une place précise au sein de notre cosmos individuel ;
l’équilibre intérieur apporte alors confiance et sérénité ; tout concourt à l’accroissement de notre puissance.
5

Documents pareils