itinéraire - Stripologie.com

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varenne
a
l
e
itinéraire
d’un
x
entretiens
avec LUC DUTHIL
libertin
4 e
Sommaire
Introduction la ligne chair 7
Avec les témoignages de Frédéric Bosser, Alexandre Dupouy, Henri Filippini
et Jacques de Loustal
Chapitre 1
des débuts très ‘agit-pop’
15
Abstraction tachiste • La révélation du pop art • En réaction contre les gros
nez • Des bandes engagées • Focus : culture Pop et nouvelle BD 28
Chapitre 2
Ardeur, un théâtre d’ombres 35
La BD de la dernière chance • Angoisses atomiques • La belle Ida • Les déçus
de la révolution • La famille du Square • Pas de goût pour les séries •
Focus : Les années Charlie 46
Chapitre 3
la comédie du pouvoir 53
La découverte de Mars • Un Suisse éduqué à mort • Interprétations
graphiques • La collaboration avec Daniel • La rupture • Focus :
Angoisses et colères d’un scénariste 64
Chapitre 4
eros en solo 71
Histoires vécues • Macho ou pas macho ? • Le pouvoir érotique de la BD •
Crepax, Manara et les autres… • Focus : Corps et décors 86
Chapitre 5
les inspiratrices 97
L’auteur mis à nu • Reporter du sexe • Un libertinage assumé • Figures de
l’époque et icônes de cinéma • Focus : Bandes débridées 108
Chapitre 6
un regard moderne 5
115
Pornographie et théâtralisation du sexe • Du bon usage de l’humour • Femmes
fortes et hommes dépassés • Tendances contemporaines • Rencontre avec
des femmes phénomènes • Le nouveau sexe virtuel • Focus : A chacun
selon ses fantasmes 130
Chapitre 7
gully traver : voyage au bout de la vie 145
Un chercheur d’absolu • Galerie de mortels • La femme hermétique •
Hommage au Caravage • Focus : La trame et le calque 152
Chapitre 8 en couleur 161
Couvertures d’albums • Portfolio • Sérigraphies • Affiches • Peintures
Chapitre 9
erma et lola 177
Ambivalence sexuelle • Erma la dure • Hymne à l’amour libre • Lola ou le
désordre amoureux • Amitiés érotiques • L’usage de la photo • Focus :
Repérages intimes 186
Chapitre 10
le tournant manga 199
L’opportunité japonaise • Kiro, manga et Parisiennes • Extrême-Orient : un
autre érotisme • La vengeance absolue de Carlotta • Retour à la peinture •
Focus : traits asiatiques 206
pour conclure…
229
BIBLIOGRAPHIE
234
6 ‘
A l’instar de la foi ou de la mort, l’érotisme est un mot
sanctuaire, un mot souverain, qui définit une manière
d’être en vie, un système de mise en scène des sexualités :
l’érotisme est un humanisme
’
Dictionnaire de la pornographie, article «Erotisme», PUF 2005
La ligne chair
D’
7
abord, il y a Ida. Ida sous le regard d’Ardeur qui la déshabille,
dans le demi-jour d’un appartement désert. Au cœur de
Berlin, dans ce monde d’après la bombe où ne compte plus
que la survie, ils se donnent l’un à l’autre comme s’il s’agissait de
leur dernière rencontre. Ida est une beauté absente, une apparition
improbable dans un univers de violence, et même dans l’étreinte ses
yeux sont ailleurs.
Et puis, il y a Erma. Sous les ors d’une villa italienne, au milieu d’une
foule de convives en costumes de la Rome antique, c’est sur une litière
qu’elle fait son entrée, portée comme en triomphe par de faux centurions. Le visage masqué mais le corps dévêtu, Erma s’offre dans une
posture sculpturale qui donne le signal de l’orgie.
Enfin, il y a Lola, au bord de la piscine. Sous la clarté de la lune, la
bretelle de sa robe noire descend, découvrant un petit sein rond. Les
cheveux épars, la voici allongée sur une table. Sous l’œil de son compagnon photographe, elle retrousse sa robe et commence à se caresser…
Ida, Erma, Lola : trois apparitions naviguant entre rêve et réalité, trois
figures marquantes dans l’univers d’Alex Varenne. La première a le
côté évanescent d’une star hollywoodienne, la seconde une androgynie
8 La ligne chair
troublante, la troisième le charme presque ordinaire d’une rencontre
au coin de la rue. Elles ont certainement séduit plus d’un lecteur lorsqu’elles ont traversé le paysage de la bande dessinée des années 80 et
90, d’abord dans les pages de Charlie Mensuel puis dans celles de L’Echo
des savanes. En une quinzaine d’années et une vingtaine d’albums
érotiques, leur créateur a inlassablement parcouru les états du désir et
donné corps à une riche galerie de figures féminines. Il a construit avec
élégance un hommage moderne à la féminité qui n’a guère d’équivalent
dans le neuvième art.
Varenne ne ressemble à rien, il vient d’un autre univers : celui de la
peinture et de la vie rêvée des fantasmes. Ses tableaux de genre n’ont
pas de filiation marquée avec d’autres auteurs de bande dessinée. On
y discerne surtout les influences mêlées de la peinture chinoise et des
estampes japonaises, de l’expressionnisme abstrait et du pop art, de
l’art classique aussi. Au fil des cases, les poses photographiques alternent
avec des compositions aux allures de statuaire bien vivante.
Et le censeur se rassure : c’est de l’art, monsieur, pas du cochon !
‘
Avec ses histoires sophistiquées pleines de références et de citations,
avec son trait moderne, pas forcément séduisant, qui peut paraître un
peu «difficile», avec ce choix intransigeant du noir et blanc, Varenne tient
une place à part dans l’univers de la BD érotique. Il ne fait aucune concession à
la vulgarité, il travaille pour un public d’esthètes. Cette exigence a son revers,
elle l’a empêché de toucher un large public. Mais il reste l’un des plus grands
auteurs du genre. Je le place parmi les cinq meilleurs dessinateurs érotiques de
bande dessinée, au même rang que Guido Crepax - avec lequel il partage ce goût
de la belle image sans concessions commerciales, Georges Pichard, Milo Manara et
Georges Lévis.
’
Henri Filippini,
auteur de l’Encyclopédie de la bande dessinée érotique (La Musardine 1997, rééd. 2006)
9
10 ‘
La ligne chair
Ce qui me plaît surtout chez Varenne, c’est sa démarche. Je le trouve attachant dans ce qu’il revendique au niveau de la sexualité. Dans ce domaine
si important, il y a tant de gens qui essaient d’imposer un point de vue
dogmatique et oppresseur que le discours libre d’Alex me plaît. Pour moi, il se
situe dans la droite ligne de la philosophie des libertins du XVIIIe siècle. Et ce
message-là, fait de tolérance pour toutes les pratiques sexuelles, qui élève les
plaisirs et la culture au rang d’art de vivre, il le fait si bien passer dans ses histoires.
Il ne se compromet pas, il a une pureté, une vérité que l’on retrouve rarement
chez les autres dessinateurs. Il a une humanité qui se perçoit dans ses albums. Il
ne montre pas un érotisme calibré avec des filles formatées, les siennes peuvent
avoir des gros ou des petits seins, être brunes ou blondes, peu importe, elles sont
bien vivantes. Et quand les filles de Varenne sont nues, c’est qu’elles doivent l’être
à ce moment-là du récit ! C’est en cela qu’il s’écarte des sentiers battus et qu’il va
au fond des choses…
’
Alexandre Dupouy, galerie Les Larmes d’Eros, Paris
Femmes ou hommes, les personnages de Varenne s’exposent dans la
crudité de leurs pulsions, leur langue est sans ambages, ils se mêlent
dans toutes les positions physiquement tenables et les territoires de
leurs jeux amoureux sont le plus souvent constitués par notre cadre de
vie quotidien. Tout peut se passer, n’importe où, jusqu’au bout et sans
tabous. C’est comme si la moindre porte cochère pouvait abriter une
étreinte furtive, comme si tout notre univers urbain se transformait
en une multiplicité de lieux érotiques. Chez Varenne, on fait rarement
l’amour sur des sofas, quelquefois dans de somptueuses villas très
design, plus souvent dans des décors interlopes comme les voitures,
les parkings, les aires d’autoroutes, voire les chantiers ou les ruines.
N’hésitant pas à se mettre lui-même en scène, le dessinateur a abondamment puisé dans son histoire et ses fantasmes personnels pour
nourrir ses récits. Cette démarche le place bel et bien en marge des
courants dominants d’une BD érotique qui a pour fâcheuse tendance
La ligne chair 11
de recycler des situations déjà explorées en littérature, avec une prédilection pour les univers sadiens, quand elle ne se contente pas d’en
adapter les romans célèbres (Histoire d’O, Emmanuelle…). Chez Varenne,
le temps d’une histoire courte, d’un album ou d’une série d’images
muettes, les héroïnes vivent des aventures qui se démarquent du toutvenant de l’érotisme en cases. On n’y croise pas de femmes esclaves ou
de dominatrices perverses, comme dans tant d’albums publiés chez
les éditeurs spécialisés, on n’y rencontre pas de «petites vicieuses» ni
de filles humiliées ou de nymphomanes qui écartent les cuisses dès la
première page. Ni putes ni soumises, on y voit au contraire des femmes
plutôt dominantes, en tout cas pleinement maîtresses de leurs pulsions
et de leurs actes. Le monde de Varenne n’est ni fétichiste ni enclin aux
perversions, on n’y rencontre pas les corps percés ou tatoués aujourd’hui
en vogue mais des anatomies au naturel, charnues et ondulantes, dans
la droite ligne de la sculpture de l’Antiquité ou du XIXe siècle.
En revanche, acteurs indispensables parfois réduits au rôle de figurants, on y croise des hommes qui doutent, qui sont désarmés face à la
puissance du désir féminin et le cachent parfois en se réfugiant dans des
attitudes de machos ridicules. On ne peut pas être plus contemporain…
‘
Ce qui me séduit le plus chez Varenne, c’est l’élégance et la qualité de son
style, qui se situe bien au-dessus de la bande dessinée érotique classique.
Tout en restant très gestuel, son trait est en fait très précis, il a quelque
chose de la calligraphie chinoise ou japonaise. Varenne a aussi une liberté dans
l’utilisation des aplats noirs et des gris, avec en même temps un grand sens de la
composition, de la mise en place des corps. Moi qui suis avant tout un coloriste,
cette maîtrise du noir et blanc m’impressionne. Dans des albums comme Ida Mauz
ou Berlin Strasse, il réussit à insuffler un mystère dans les ambiances nocturnes
et il introduit l’érotisme avec finesse. Il est parvenu à sortir des cadres du genre,
à dépasser les clichés de la BD érotique. Et puis, on voit qu’il aime les femmes et
c’est aussi ce qui nous rapproche !
’
Jacques de Loustal, dessinateur et peintre
12 La ligne chair
Enfin, on y découvre aussi une Erma Jaguar (encore elle !) qui renvoie
le lecteur à ses propres interrogations : être double, homme et femme
à la fois, elle fait figure de symbole en un temps où la différenciation
sexuelle s’atténue, où les codes vestimentaires s’inversent, où les
comportements transcendent les genres.
Décidément, sans avoir l’air d’y toucher,Varenne-le-voyeur observe son
époque avec un regard aigu. Et aussi une œillade rieuse car l’humour et
l’amour vont chez lui de pair, pour nous dire que tout cela n’est après
tout qu’un jeu, aussi important soit-il. Malin, il contourne les pesanteurs du genre érotique par le bon mot et le goût de la phrase cultivée.
Sans doute abuse-t-il de ce style laconique nourri de formules et de
références. Mais cette écriture est aussi le condiment de sa mécanique
amoureuse.
Autant que des situations et des dialogues, c’est du style même que
l’érotisme de Varenne se nourrit et tire sa sève, de ce trait moelleux,
tantôt lourd et tantôt aérien : sa ligne souple traite les corps et les
objets sur le même mode vibratoire. La rondeur d’une carrosserie,
l’arc esquissé d’une portière entrouverte ou le jeté d’un drap sur un
lit défait ont en eux-mêmes leur charge de sensualité. Les parkings
souterrains sont des bouches d’ombre qui vous avalent, la mer joue
les grandes eaux agitées, les rochers et les arbres forment une chair
vivante qui palpite autour des personnages. Le découpage décompose
les gestes, les élans, les fusions et les explosions, là où la production
érotique spécialisée se cantonne généralement dans les cadres classiques d’une bande dessinée au trait bien retenu. Toute l’originalité
de Varenne est justement dans cet art à la fois sexué et graphique.
C’est vraiment le «dessin qui bande», pour reprendre le jeu de mots
de Roland Barthes dans sa préface à Histoire d’O illustrée par Guido
Crepax 1. Le père de Valentina, précurseur de l’érotisme esthétisé en
1 «L’histoire d’O va, voyage, et voyage bien, savamment maintenue sur les rails d’une anecdote qui est racontée avec tout l’art explosif
de la bande dessinée (du dessin qui bande).» (éditions Franco-Maria Ricci, Milan,1975)
La ligne chair 13
BD, audacieux dans ses compositions comme dans ses scénarios, est
d’ailleurs celui dont Varenne se sent le plus proche, dans la démarche
sinon dans la manière.
A travers tous ces albums, ces contes pas pervers pour deux sous qui
offrent une réflexion amusée sur le sexe, Varenne s’est donc réellement
taillé une place à part dans le paysage de la BD érotisée. Sans avoir
l’air d’y toucher, il a égrené le chapelet des situations amoureuses
de la fin du XXe siècle. Pas en analyste des sentiments (ce n’est pas
son sujet) ni en gourou de la libération des sens, tout simplement en
hédoniste pour qui les plaisirs de la chair doivent être au centre d’une
vie pleinement réussie. En libertin moderne, comme il aime lui-même
à se définir…
‘
Autant je n’aimais pas tellement le côté frénésie sexuelle des bandes
dessinées d’Alex Varenne, autant, dans ses tableaux, je trouve que
la femme est vraiment magnifiée avec ce travail sur la plastique des
corps. Elle n’est plus un objet sexuel, elle devient une icône. Ses premières
toiles me paraissaient moins convaincantes : dans ce qu’il fait aujourd’hui,
je trouve un univers parfaitement maîtrisé. J’aime cet érotisme qui n’est
pas agressif, où l’on suggère plus qu’on ne montre, avec cette atmosphère
sereine qui est le signe de la maturité. Chaque tableau raconte une histoire
tout en restant très composé. Ce sont justement ces toiles les plus narratives que j’ai sélectionnées quand j’ai exposé Varenne dans ma galerie. Il y a
chez lui un mélange de modernité et de classicisme, une approche pop art
avec toute une culture de l’art Renaissance ou des peintres du XIXe siècle
comme Courbet ou Ingres…
’
Frédéric Bosser, galerie Bosser, Paris.

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