RACINES245 - juillet 2013

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RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire
Voici un train (entier) du réseau de l'État, en 1890.
Il a circulé sur le réseau de la Vendée et des Charentes.
Par Yvelise Richard
(Photos : Clive Lamming)
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Une histo
Historien des chemins de fer français mondialement reconnu,
Clive Lamming a écrit de nombreux ouvrages(1) sur le train et les réseaux
ferrés. Il nous raconte l’aventure particulière du rail en Vendée.
L’histoire du réseau
ferroviaire vendéen
est-elle particulière ?
Le réseau vendéen a
connu un développement
un peu à part parce qu’il
est la préfiguration de la
SNCF. Avant que la Société
Nationale des Chemins de
Fer ne voie le jour en 1938, il y avait
en France, de grandes sociétés privées, comme le chemin de fer ParisOrléans, le Paris-Lyon-Méditerranée
(PLM) ou celle du Midi, créées à partir des années 1840.
Mais à l’époque, aucun grand
réseau ne s’intéresse à la Vendée.
Ainsi le fameux Paris-Orléans (qui en
réalité allait de Paris à Bordeaux, en
passant par Orléans) ouvre une ligne
qui va à Nantes (la ligne de la Loire)
et une autre vers La
Rochelle. Entre les deux, il
n’y a rien. Le grand capitalisme qui finance ces compagnies ferroviaires n’y
trouve pas d’intérêt localement. Ce qui vexe ses habitants, qui vont se construire
un réseau, des petites lignes
départementales, qui ont malheureusement en commun d’être chroniquement déficitaires. Quand l’Empire est
défait, les Vendéens demandent à la
Troisième République de s’occuper de
leurs chemins de fer. D’une manière
étatique !
L’État va alors créer un réseau
public, à côté des grandes compagnies privées, qui part de la Vendée,
des Charentes et de l’Anjou. Baptisé
“Réseau de l’État”, il passe par toute
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cette région et forme une pointe vers
Paris (comme une portion de Vache
qui rit !), mais sans atteindre la capitale.
Quels sont les points forts de
ce chemin de fer ?
Ce réseau sera désormais la vitrine
de ce que l’État est capable de faire
en matière de chemin de fer. Cela
marque aussi l’opposition face aux
riches groupes privés. Les Vendéens
se sont alors retournés vers l’État en
disant : “assumez cette gestion !” Une
gestion si exemplaire que le réseau
public finit par grandir et même par
racheter, en 1909, le chemin de fer
de l’Ouest-Normandie-Bretagne, en
déconfiture. Désormais l’État possède
ses grandes entrées à Paris, par la
gare Saint-Lazare et la gare Montpar-
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nasse, propriétés de la compagnie
rachetée. L’État dispose alors d’un très
grand réseau ferré, qui prend ensuite
le nom de “Train de la mer”, car il
transportait les voyageurs vers les
plages de l’Atlantique et de Bretagne.
À partir de 1938, sous le Front
Populaire, le gouvernement crée la
SNCF : tous les chemins de fer privés
sont nationalisés. Couvrant l’Ouest et
le Sud-Ouest, le Réseau de l’État se
fond dans la SNCF. C’est aussi à ce
moment-là que l’on construit des colonies de vacances sur le littoral atlantique et que les règles de l’hygiénisme
s’imposent (air iodé, vie saine au
grand air…) : les villes comme SaintGilles-Croix-de-Vie ou Pornic en profitent.
Parallèlement, on trouvait aussi
dans le département un autre réseau,
appelé les Tramways de la Vendée.
Construits entre 1896 et 1900, ces
tortillards roulaient sur des voies
métriques(2) le long des routes (ou sur
l’accotement), se rendant notamment:
de L’Aiguillon-sur-Mer à Chantonnay,
de La Roche-sur-Yon aux Herbiers,
des Quatre-Chemins-de-l’Oie à Montaigu, des Sables-d’Olonne à ChampSaint-Père ou de Bourgneuf-en-Retz
à Beauvoir-sur-Mer… Il s’agissait de
trains avec des locomotives à vapeur,
des wagons à deux essieux et parmi
les voyageurs se mêlaient des messieurs en canotiers, des paysans en
blouse… Bref le transport rural de
l’époque. Il va disparaître à partir des
années 1930.
À l’instar du Train bleu qui
desservait la Côte d’Azur ou,
plus tard, du Capitole (Paris-Toulouse), y a-t-il eu un grand train
dans notre région ?
Eh bien oui ! À une époque chaque
réseau de chemin de fer avait son slogan : le Nord, c’était le charbon ; le
Paris- Lyon-Méditerranée, c’était le
ski, la neige, le soleil et la joie de
vivre… Quant au réseau de l’État, son
slogan à partir de 1909, c’est “le train
de la mer”. Puis dans les Années
Folles, il va exploiter la façade atlantique qui était un peu moins glamour
que la Côte d’Azur.
Trois trains lancés par le réseau de
l’État ont laissé des souvenirs marquants. Tout d’abord le Manche-
Une locomotive de type 120, qui a roulé
dans les années 1873 en Vendée.
Océan, qui allait de Dieppe jusqu’aux
plages vendéennes et jusqu’à Hendaye. Il transportait les touristes
anglais débarquant à Dieppe, sans
passer par Paris. Il comportait une
voiture buffet, des voitures de 3 e
classe… Ce train n’a pas survécu à
la guerre.
Il y avait également le rapide Côte
d’Émeraude-Pyrénées, partant de
Saint-Malo vers Dole, Rennes, Nantes,
La Roche-sur-Yon, Bordeaux, et filant
ensuite vers Hendaye et Irun. Ces
trains lourds, avec 2e et 3e classe, ne
seront pas remis en service après la
Libération.
Enfin, n’oublions pas le célèbre
Paris-Royan-Rapide, que l’on appe-
À lire entre les rails
Parmi les derniers ouvrages parus sur la vie et l’histoire des trains,
citons :
• Il était une fois le train, de Clive Lamming aux éditions Studio Canal, 128 pages. Livre collector + deux DVD de 90 minutes.
39,99 €. Le coffret de deux DVD : 19,99 €.
175 ans se sont écoulés depuis l’apparition des premières locomotives à vapeur. Aujourd’hui, nous sommes près de quatre millions de Français à utiliser le train quotidiennement. Pendant ces
deux siècles, le train n’a eu de cesse de modifier significativement
les paysages, le rapport au temps, l’organisation du travail, les
mentalités…
• L’Histoire des chemins de fer, développement des
locomotives, apogée des trains à grande vitesse, de
Clive Lamming aux éditions Lodi, octobre 2012, 447
pages, 19,90 €.
• Au bon temps des wagons-restaurants, d’Ève-Marie
Zizza-Lalu, aux éditions La Vie du Rail. 142 pages.
29 €. Jusqu’en 1994, la compagnie des Wagons-lits
réussit le tour de force de préparer des repas gastronomiques dans les plus petites cuisines du monde, celles
des trains de luxe (Orient-Express, Train bleu ou Mistral). S’appuyant sur une foule de témoignages et des
documents inédits, l’auteur refait revivre ces voyages.
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lait le “train des cocus”. C’était celui
que prenaient les maris qui accompagnaient leurs épouses et leurs
enfants dans une ville balnéaire et qui
remontaient ensuite travailler à Paris.
Ce très beau train partait de Paris
Montparnasse faisait halte à Chartres, Thouars, Niort, Royan. Il roulait
sur la “ligne dorsale” du réseau de
l’État (en concurrence directe avec le
chemin de fer privé, Paris-Orléans
reliant Paris à Bordeaux via Poitiers).
Avec la troisième semaine de
congés payés, accordée en 1956,
la fréquentation ferroviaire évolue-t-elle ?
Cette fréquentation s’essouffle car
elle souffre de la démocratisation de
l’avion. Dans les années 1950, l’avion
a plus vidé les grands trains internationaux que l’automobile, car avantguerre, un billet d’avion coûte une
fortune. À partir des années 1950, la
baisse des prix des vols attire les voyageurs, au détriment du train nécessitant plus de temps. Et puis, entre
La fin de la 3
e
1950-1960, les plages de l’Atlantique
passent un peu de mode : on ne
recherche plus que le soleil, la Côte
d’Azur…
Notre région a-t-elle fait l’objet d’expérimentations par la
SNCF ?
Des expérimentations non. Mais
entre La Rochelle et Bordeaux ont été
lancées les premières grandes locomotives diesel de ligne, dans les
années 1950. La traction diesel est
née à La Rochelle, car avant le choc
pétrolier on pensait qu’on ne pourrait
pas tout électrifier.
Comment vous est venue la
passion des trains et du chemin
de fer ?
J’ai 75 ans. Cette passion me vient
de l’enfance, car dans les années
1945-50, la chose la plus exceptionnelle que l’on pouvait voir, ce n’était
pas un avion ni un bateau, c’était la
locomotive, un engin magnifique et
terrifiant ! Quand on prenait le train,
on arrivait deux heures à l’avance,
parce qu’il fallait aller à la consigne,
réserver ses places… Tout un cérémonial ! Pendant ce temps-là, mes
parents m’emmenaient voir la locomotive, et le mécanicien me montrait
la machine. C’était un monde merveilleux, où comme Alice au pays des
Merveilles, on traverse un miroir… Le
chemin de fer a dû construire son
monde en entier, un monde technique
à côté du monde : gare, tunnels,
cabine d’aiguillages… avec ses règles,
ses lois… Le chemin de fer français,
organisé un peu de façon militaire,
reste encore une fierté nationale, et,
quoi qu’en pensent les Français, souvent râleurs, ce système marche bien.
(1) Son dernier opus, Il était une fois le train
accompagne et complète deux DVD, sortis en
décembre dernier. Par ailleurs, Clive Lamming
a été consultant technique sur le film Hugo
Cabret, de Martin Scorsese, pour la reconstruction de la gare, lieu de l’action du film.
(2) Cet écartement métrique, adapté aux
trains plus petits, existe encore sur le réseau
de chemin de fer corse.
classe
“C’est en 1956 que la SNCF
supprime le régime des trois classes
qui, depuis les origines du chemin
de fer en France, a régné sans partage sur l’ensemble du réseau. La
deuxième classe est visée : ni vraiment première, dont elle approche
le confort, ni troisième, dont elle
s’éloigne par le prix, elle est intermédiaire et représente une charge
de gestion qui ne correspond plus à
la réalité sociale des voyageurs. On
y voyage à six par compartiment,
comme en première, mais sans les
coussins et les dentelles.
Classe des gens qui ne veulent
pas “faire peuple”, mais pas assez
fortunés pour “voyager avec les
riches”, elle a longtemps accueilli les
fonctionnaires, les petits notables, les
familles bourgeoises moyennes. Au
lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, ces gens-là n’ont plus peur
des vulgaires qui saucissonnent en
troisième classe, entassés à
quatre par banquette de
moleskine. La troisième classe
disparaît, si l’on considère
que, désormais, il n’y a plus
qu’une première et une
deuxième classe. Dans la réalité, ce sont les voitures de
deuxième classe qui disparaissent, soit par surclassement en première classe pour
les plus confortables, soit par
déclassement en troisième
classe pour les autres, qui
reçoivent un aménagement à
huit places par compartiment
au lieu de six.”
RACINES
(Extrait du livre
Il était une fois le
train, de Clive Lamming
aux éditions
Studio Canal)
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Le confort très “rustique”
des voitures de 3e classe du début du XXE
siècle, notamment dans les trains
de banlieue ou les omnibus.
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