Les filles enfants-soldats
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Les filles enfants-soldats
Institut d’Études Politiques de Toulouse Mémoire de recherche présenté par Déborah Robert Directrice du mémoire : Clarisse Barthe-Gay Année universitaire 2011-2012 LES FILLES ENFANTS-SOLDATS : Réalités et protection en droit international Institut d’Études Politiques de Toulouse Mémoire de recherche présenté par Déborah Robert Directrice du mémoire : Clarisse Barthe-Gay Année universitaire 2011-2012 LES FILLES ENFANTS-SOLDATS : Réalités et protection en droit international Remerciements Je tiens tout d'abord à remercier Mme Clarisse Barthe-Gay pour avoir accepté de m'accompagner dans ce projet, et avoir su me guider tout au long de mon travail. Je souhaiterais par ailleurs remercier les personnes qui ont pris le temps de lire et corriger ce mémoire avec beaucoup d'attention. Et enfin, j’exprime ma gratitude à toutes les personnes qui m'ont soutenu au cours de la rédaction de ce mémoire. Avertissements L’Institut d’Études Politiques de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e). Abréviations AFRC - Armed Forces Revolutionay Council, Conseil révolutionnaire des forces armées AGNU – Assemblée Générale des Nations Unies BdP - Bureau du Procureur CAI - Conflit armé international CANI – Conflit armé non-international CDF- Civil défense forces, Forces de défense civile CICR - Comité International de la Croix-Rouge CG I/ II / III / IV - Conventions de Genève I / II / III / IV CPI - Cour Pénale Internationale CSNU - Conseil de Sécurité des Nations Unies DDR - Désarmement Démobilisation Réinsertion FRPI - Forces de Résistance Patriotique d'Ituri FPLC - Forces patriotiques pour la libération du Congo HCR - Haut-Commissariat aux Réfugiés IST - Infection sexuellement transmissible LRA - Lord Resistance Army, Armée de résistance du seigneur ONG - Organisation non gouvernementale ONU - Organisation des Nations Unies PA I - Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, sur les conflits armés internationaux PA II - Protocole Additionnel II aux Conventions de Genève, sur les conflits armés noninternationaux RCS - Résolution du Conseil de Sécurité RDC - République Démocratique du Congo RUF - Revolutionary Unit force, Front révolutionnaire Uni SGNU - Secrétaire Général des Nations Unie TPIR - Tribunal pénal international pour le Rwanda TPY - Tribunal Pénal international pour l'ex-Yougoslavie TSSL - Tribunal Spécial pour la Sierra Leone UPC - Union des Patriotes congolais Sommaire Introduction .......................................................................................................................................... 1 Chapitre Premier - Regards croisés sur deux minorités, penser les effets de la guerre en terme de genre ................................................................................................................................................... 19 Section 1 - L'évolution de la protection des femmes dans la guerre : changer de paradigme pour confronter la norme aux besoins du terrain .................................................................................... 20 Section 2 - La prise en considération de l'enfant comme soldat à l’épreuve du genre ................. 34 Chapitre second - Les lacunes quant à la prise en charge des filles-soldats - les victimes invisibles ............................................................................................................................................................ 56 Section 1 - La possible reconnaissance des violences spécifiques vécues par les filles-soldats à travers le prisme des violences de genre ........................................................................................ 57 Section 2 : Au-delà des armes, l’échec de la réintégration à la vie civile ...................................... 72 Conclusion ......................................................................................................................................... 90 Annexes .............................................................................................................................................. 92 Bibliographie .................................................................................................................................... 112 « Chakula cha wakubwa and guduria » « Les femmes soldats sont le repas des Afandes et la marmite à laquelle se servent tous les officiers. » China Keitetsi, La petite fille à la Kalachnikov : Ma vie d’enfant soldat Introduction Depuis la fin de la Guerre Froide, les pays européens dévastés par deux Guerres Mondiales font l'apprentissage d'un nouveau mode de régulation des relations internationales autour du paradigme de la promotion de la paix par le droit. Paradoxalement, les conflits dits « périphériques » se font de plus en plus nombreux et de plus en plus meurtriers. Comment appréhender ces conflits d'un genre nouveau alors que la principale clef de lecture des conflits internationaux, l'affrontement est/ouest, a perdu sa raison d’être avec l'effondrement du bloc de l'est? La résurgence de conflits enfouis ou la montée en puissance de conflits postcoloniaux particulièrement dévastateurs apparaît en premier lieu comme difficilement intelligible. Les démocraties occidentales, à travers la construction d'Organisations internationales, cherchent à délégitimer le recours à la violence armée. Et pourtant, des conflits de plus en plus violents et cruels voient le jour où les pertes humaines sont considérables, ce qui oblige à repenser la logique du droit international humanitaire. (1) L'émergence d'un droit international humanitaire et les changements contemporains affectant ce dernier Ces nouveaux types de conflits mettent à mal les théories classiques de la guerre, telles que pensées par les auteurs comme Clausewitz. Les lignes de front ont disparu, les conflits sont ultra-localisés et sévissent à l'intérieur même des frontières des États. Ces conflits n'impliquent donc pas uniquement des armées régulières et font appel à des techniques de guerre qui visent en premier lieu à atteindre la population civile. En effet, désormais 90% des victimes de guerre sont des civils, entre autres des femmes et des enfants, autrefois mis à l’écart de ces conflits qui demeuraient une affaire «d'hommes», et qui sont désormais pris dans les filets de la guerre.1 C'est pour cette raison que le droit dans la guerre, régi par les Conventions de Genève, s'est attaché à protéger de façon plus ferme les civils, premières victimes de la guerre, et certaines catégories de personnes considérées comme particulièrement vulnérables. D'après le Comité International de la Croix Rouge (CICR), le droit international humanitaire, appelé aussi jus in bello est un droit qui « s’applique uniquement en cas de conflit armé, légitime ou non. Il régit d’une part la conduite des hostilités et d’autre part la protection des victimes ». Il se différencie du jus ad bellum « qui 1 DEYRA Michel, Le droit dans la guerre, Master Pro, Gualino, Lextenso édition, 2009 1 a pour objet la licéité de la menace ou du recours à la force militaire », et qui est régie par la Charte de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et le droit dit de La Haye.2 Le socle du droit international humanitaire est soutenu par les Conventions de Genève de 1949 (CG). Rédigées à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, elles visent à établir un « cadre strict en vue de protéger efficacement les personnes qui, en temps de guerre, ne participent pas ou ont cessé de participer aux combats : ce sont surtout les civils, les blessés, les malades, les naufragés et les prisonniers de guerre. ».3 Les deux premières conventions traitent de l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne et sur mer, la troisième est relative aux prisonniers de guerre et la dernière aux civils affectés par le conflit. Ces conventions ont été largement complétées par deux Protocoles additionnels de 1977, le Protocole additionnel I relatif aux conflits armés internationaux (PA I), et le Protocole additionnel II (PA II) relatif aux conflits armés non internationaux. Ce PA II représente une première mutation considérable du droit international humanitaire, désormais les conflits armés non internationaux (CANI) sont régis par un instrument juridique propre. Auparavant, ces derniers n'étaient mentionnés uniquement à l'article 3 commun aux quatre CG de 1949. Il est donc également admis explicitement que les États, sujets premiers du droit international, ne sont plus les seuls à être tenus par les normes internationales puisque tous les groupes armés présents lors d'un conflit sont liés par ce PAII autant que les États eux-mêmes. La notion de conflit armé n'est définie dans aucune convention, c'est la jurisprudence qui donne la définition: « Un conflit armé existe chaque fois qu’il y a recours à la force armée entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes armés au sein d’un État».4 La distinction est faite entre conflit armé international (CAI), et conflit armé non international (CANI) appelé plus communément guerre civile. Le premier se caractérise par « des opérations de guerre entre deux ou plusieurs États souverains», alors que le deuxième «oppose les forces armées régulières à des forces armées dissidentes ou à des groupes armés non étatiques dans le contexte d’opérations militaires continues et concertées»5. 2 Comité International de la Croix Rouge, « ABC du Droit International Humanitaire », 2009 Ibid. 4 Ibid. 5 Ibid. 3 2 Ces CANI ont pris une ampleur considérable étant désormais le type de conflit le plus répandu au monde. De par la nature des États concernés, qui trop faibles institutionnellement ne peuvent contrôler ces conflits, ces derniers sont devenus un enjeu international. Bien que se déroulant généralement à l’intérieur des frontières d'un État des débordements compromettent la sécurité régionale, les répercussions peuvent également être ressenties à l’échelle du continent, et ces conflits ont malheureusement bien souvent des causes mondialisées. Mais ce changement n'est pas uniquement d'ordre sémantique, ceci implique une remise en cause des fondements traditionnels du droit humanitaire, au cœur de ses fondements, le principe de distinction. Ce dernier impose aux parties au conflit de faire la distinction entre la population civile et les combattants. Dès lors, les armes et méthodes militaires qui ne peuvent pas faire la distinction entre ces deux catégories et qui agissent de façon indiscriminée ne peuvent pas être utilisées.6 Il est donc nécessaire de savoir reconnaître qui est combattant, les CG de 1949 déterminent qui peut participer aux hostilités, donc qui est en droit de bénéficier du statut de combattant. Le combattant fait nécessairement partie d'un groupe armé. L’article 43 du PA I précise la définition du terme force armée, c’est «un groupe, tous les groupes et toutes les unités armées et organisées qui sont placées sous un commandement responsable de la conduite des subordonnés devant une partie au conflit ». Ce ne sont donc pas uniquement les forces armées régulières qui sont concernées, puisque les milices et corps volontaires sont considérés comme des forces armées, mais ils doivent répondre à des conditions strictes pour bénéficier du statut de combattant. Se voir conférer le statut de combattant est primordial puisque ce statut entraîne le respect de certaines obligations, mais les combattants bénéficient également de droits spécifiques.7 A l'inverse, les personnes non-combattantes sont considérées comme des personnes protégées, ce sont les prisonniers de guerre (définis par article 44 PAI), les blessés, malades et naufragés, et les civils (ils sont définis négativement par l'article 50 PAI).8 Les PA I et II sont encore venus étendre et renforcer les garanties octroyées aux civils en faisant bénéficier certaines catégories de civils de régimes spéciaux, les femmes; les 6 DEYRA Michel, Le droit dans la guerre, Master Pro, Gualino, Lextenso édition, 2009 Ibid. 8 L’article 50 du Protocole I de 1977 définit négativement les civils : « 1. Est considérée comme civile toute personne n'appartenant pas à l'une des catégories visées à l'article 4 A, 1), 2), 3), et 6) de la IIIe Convention et à l'article 43 du présent Protocole. En cas de doute, ladite personne sera considérée comme civile. 2. La population civile comprend toutes les personnes civiles. 3. La présence au sein de la population civile de personnes isolées ne répondant pas à la définition de personne civile ne prive pas cette population de sa qualité». 7 3 enfants; les réfugiés ; les journalistes ; les étrangers sur territoire national ; les apatrides, etc. Ces théories ne respectent pas vraiment la réalité du terrain, c'est une vision trop simple des conflits avec d'un côté ceux qui ont le droit d'attaquer et qui sont en même temps susceptibles de commettre des exactions sur les personnes civiles, et de l'autre des victimes passives qui seraient des réceptacles de la violence inhérente à la guerre. La réalité est beaucoup plus complexe, la division conceptuelle est évidente mais sur le terrain si les zones civiles et zones de combat se mêlent, la division perd de sa pertinence. Le CICR admet qu'un conflit, qu'importe sa nature, lorsqu'il se déroule au milieu des populations civiles tend forcément à bouleverser cette division essentielle mais faussée de civil/combattant. Le CICR a notamment travaillé autour de la notion de « civil participant activement/directement au conflit » et admet donc par-là que la réalité est plus difficile à faire transparaître dans les textes juridiques. Le CICR a publié un guide interprétatif sur la question en 2009 « des civils participent directement aux hostilités quand ils accomplissent des actes qui visent à soutenir une partie au conflit en causant directement préjudice à une autre partie (blessés, morts ou destructions, nuisance aux opérations de l’ennemi) ». Cette participation directe entraîne la perte de la protection contre les attaques directes. Au contraire, « la participation indirecte aux hostilités contribue à l’effort de guerre général d’une partie (comme la production d’armes par exemple) mais ne cause pas directement de préjudices », et par conséquent n’entraîne pas la perte de la protection contre les attaques directes. Mais bien au-delà des chamboulements dont est victime le droit international humanitaire, ces transformations relèvent du défi non seulement envers le droit international des droits de l'Homme, mais également envers notre façon d'appréhender la guerre. En effet, parmi les phénomènes contemporains venant particulièrement modifier notre façon de concevoir la guerre, a émergé le problème de l'utilisation massive d'enfants au sein des groupes armés. Ce phénomène intemporel et universel autrefois peu mis en lumière va permettre un retournement conceptuel de la notion de personne vulnérable. L'exemple des enfants-soldats est significatif du virage qu'a dû enclencher le droit international afin de répondre efficacement aux réalités du terrain. C'est un phénomène considérable, en Ouganda au sein de l'armée de résistance du seigneur (LRA) étaient dénombrés parmi les combattants 70 à 80% d'enfants-soldats.9 Selon l'UNICEF, plus d'enfants que de soldats meurent désormais 9 MAZURANA Dyan, MAC KAY Susan, Où sont les filles? Droit et Démocratie, 2004 4 en période de conflit armé. Très vulnérables, ils souffrent particulièrement de la guerre, au cours de la dernière décennie 2 millions d'enfants ont été tués, 6 millions ont été blessés, 14 millions de déplacés et 1 million se sont retrouvés orphelins ou séparés de leurs parents lors d’un conflit.10 Mais ils ne sont pas uniquement des victimes passives de la guerre, ils sont non seulement des cibles de guerre mais par ailleurs soldats à part entière. (2) Un nouvel enjeu international: la protection des enfants appartenant aux forces armées L'enfance est une construction sociale relativement moderne et impulsée par une vision très occidentalisée.11 Perçu comme vulnérable, l’enfant possède des droits spécifiques dus à l’immaturité physique et psychique qui le caractérise. Cependant ceci n'a pas toujours été le cas, pendant longtemps l'enfant a été considéré comme un « petit adulte » sans droit ni besoins particuliers, il ne représentait pas une catégorie distincte. Mais ce terme qui peut nous sembler tellement universel peut-il recouvrir une réalité unique ? Dans les pays à forte croissance démographique, où la mortalité est précoce, les enfants ou adolescents représentent le principal vivier de la population, l'avenir. Ainsi, si l'enfance s’achève juridiquement à 15, 16 ou 18 ans selon les pays, elle s’arrête en réalité bien avant lorsque les besoins de survie de la famille prévalent ou que la guerre vient perturber les habitudes familiales. De la sorte, si l'interdiction de travailler est édictée pour les enfants, accompagnée d'une obligation de leur fournir une éducation, dans bien des cas les besoins de subsistance font obstacle au bon respect des droits de l'enfant. L'enfant est arraché au monde de l'enfance et se doit d'assumer des responsabilités d'adulte. De plus, dans bien des sociétés, l'âge adulte est atteint au regard de considérations biologiques, chez les jeunes filles par exemple l'apparition des règles peut être un motif de passage à l'âge adulte, la majorité juridique n'étant qu'un artifice. Mais que dire des sociétés noyées dans un conflit armé ? Ce concept d'enfance est d'autant plus mis à mal. L'enfant, par définition vulnérable, qui vit par la guerre pour la guerre et de la guerre voit toute sa vie structurée autour du conflit, certains d'entre eux n'ayant d'ailleurs jamais connu la paix. Les enfants ne sont pas épargnés, à la lumière de ce qui a été 10 CARLSON Khristopher, MAZURANA Dyan, « The girl child and armed conflict: recognizing and addressing grave violations of girls’ human rights », United Nations Division for the Advancement of Women, 2006 11 CHAPLEAU Philippe, Enfants-Soldats : Victimes ou criminels de guerre ? Éditions du Rocher, 2007 5 dit précédemment, ils sont désormais plus touchés qu'auparavant. Nous pouvons même comprendre comment vivier d'un continent jeune, à la recherche d'une certaine sécurité que l’État ne peut leur fournir, privés d’éducation, quelques fois orphelins, ils forment désormais de façon massive les rangs des groupes armés. Car ils n'ont généralement connu que la guerre, car ils ont besoin d'une protection ou même parce qu'ils n'ont pas le choix, la réalité des enfants-soldats s'est faite de plus en plus oppressante pour la communauté internationale. En réponse à ce phénomène, il y a eu ces dernières décennies une augmentation significative de la prise en charge par la communauté internationale de la problématique des enfants impliqués dans les conflits armés, non plus seulement en tant que victimes mais également en tant que sujets actifs des conflits. Pourtant ce phénomène n'est pas nouveau, à Sparte des jeunes hommes n'ayant pas plus de 7 ans étaient amenés à prendre les armes, cet exemple se répète au cours de l'histoire et dans le monde entier.12 Cependant aujourd'hui, l'enfant construit comme personne vulnérable n'est plus apte à prendre part au conflit, ceci est interdit juridiquement mais est surtout moralement inacceptable. En 2009 l’UNICEF comptabilisait 300 000 enfants soldats, mais il est en vérité, difficile de trouver des chiffres exacts car ces enfants sont souvent impliqués dans des conflits ultra-localisés, ils sont de plus cachés par les forces armées.13 Ces derniers peuvent être « utilisés » indifféremment au sein de forces armées nationales, groupes paramilitaires ou groupes d’opposition armés. Les enfants-soldats participent à des crimes de guerre et sont en même temps victimes d'actes de barbarie commis sur leurs personnes. Plus fragiles et moins respectés, ils meurent et souffrent plus que les adultes de cette participation active aux conflits, mais plus corvéables et soumis, ils peuvent aussi être de terribles combattants fidèles et ayant soif de montrer la légitimité de leur place au sein du groupe armé. Il est devenu de plus en plus urgent de protéger ces individus et de donner les armes juridiques nécessaires à la résolution de ce problème. 12 13 KALONJI Anne, « La protection des enfants au cœur des premières poursuites intentées devant la Cour pénale internationale et le tribunal spécial pour la Sierra Leone », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°6, 2008 No Peace Without Justice, UNICEF Innocenti Research Center, « International Criminal Justice and Children», 09/2002 6 (3) Construction juridique du problème des enfants-soldats en droit international humanitaire Le thème de l'enfance a été pris compte dès le début du siècle par des acteurs internationaux étatiques et non étatiques. De la sorte, dès 1924 l'ONG Save The Children pose le problème des enfants impliqués dans des conflits armés en impulsant la Déclaration de Genève sur le droit des enfants. Ce texte reconnaît pour la première fois que les enfants ont des droits spécifiques dus à leur vulnérabilité. L'ONU pour sa part ne s'intéressa à la question qu’à partir de 1959 à travers la Résolution 1386 (xiv) de l'Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) dite « Déclaration des droits de l'enfant ». Dix principes sont énoncés, cette Déclaration rappelle dès son préambule la nécessité d'accorder une protection spéciale à l'enfant du fait de son manque de maturité physique et intellectuelle. A l'article 10 est mentionné le fait que « l'enfant (…) ne doit en aucun cas être astreint ou autorisé à prendre une occupation ou un emploi qui nuise à sa santé ou à son éducation, ou qui entrave son développement physique, mental ou moral ».14 Il n'est pas fait expressément référence aux enfants-soldats mais le thème est en quelque sorte approché. Le droit international humanitaire demeurera silencieux quant au problème des enfants-soldats jusqu'aux années 1970, les enfants étant uniquement considérés comme des civils, des victimes passives et seront à ce titre pris en considération par la CG IV. Le combattant n'est par définition pas limité par l'âge, toutefois les enfants demeurent protégés contre toute participation aux hostilités mais de façon indirecte, en tant que personnes protégées par l'article 51 de la CG IV. Cet article interdit « d'astreindre des personnes protégées à servir dans les forces armées ou auxiliaires ainsi que d'exercer toute pression ou propagande tendant à des engagements volontaires ». A partir de 1977 et l’apparition des PA I et II le changement s'opère, les enfants sont protégés non plus en tant que civils mais également en tant que soldats participant activement aux hostilités et intégrés aux forces armées. L’article 77-2 du PA I concernant les CAI, et l’article 4-3 du PA II relatif aux CANI, posent explicitement l’interdiction de faire participer les enfants de moins de 15 ans aux conflits. 14 Assemblée générale de l'ONU, résolution 1386 (XIV), « Déclaration des droits de l'enfant », 20 novembre 1959 7 L'article 77 PA I : « 2. Les Parties au conflit prendront toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants de moins de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités, notamment en s'abstenant de les recruter dans leurs forces armées. Lorsqu'elles incorporent des personnes de plus de quinze ans mais de moins de dix-huit ans, les Parties au conflit s'efforceront de donner priorité aux plus âgées. 3. Si, dans des cas exceptionnels et malgré les dispositions du paragraphe 2, des enfants qui n'ont pas quinze ans révolus participent directement aux hostilités et tombent au pouvoir d'une Partie adverse, ils continueront à bénéficier de la protection spéciale accordée par le présent article, qu'ils soient ou non prisonniers de guerre ». Nous le voyons cet article fixe l'âge du recrutement à 15 ans et demande aux États concernés de se conformer à une obligation négative, ne pas recruter des enfants dans les forces armées. Cet article protège donc tous les enfants d'une participation potentielle aux hostilités, cependant aucune interdiction n'est imposée quant aux activités annexes aux combats, c'est-à-dire l'espionnage, le rôle de garde du corps, etc.15 Ces activités annexes sont le plus souvent celles qui incombent aux enfants-soldats, toutefois ces tâches bien qu'annexes ne sont pas moins dangereuses. Il faut bien comprendre que dans le cadre des conflits armés comme ils peuvent se dérouler à l'heure actuelle toute sortie du village, du groupe, du clan dans un but quelconque, notamment le ravitaillement, est une menace potentielle à la vie. Cependant le CICR conserve sa ligne directrice en ne considérant que les « participations directes » aux hostilités. Contrairement au PA I, le PA II protégeant dans les conflits internes impose une obligation absolue de résultat et pas uniquement de moyens.16 C'est un instrument particulièrement intéressant puisque l'on considère que 70% des enfants-soldats appartiennent à des mouvements de libération, des groupes paramilitaires ou des milices mafieuses.17 Article 4 § 3 PAII : « Les enfants recevront les soins et l'aide dont ils ont besoin et, notamment: c) les enfants de moins de quinze ans ne devront pas être recrutés dans les forces ou groupes armés, ni autorisés à prendre part aux hostilités; 15 MAYSTRE Magali, Les enfants soldats en droit international, Pedone, 2010 Ibid. 17 CHAPLEAU Philippe, Enfants-Soldats : Victimes ou criminels de guerre ? Éditions du Rocher, 2007 16 8 d) la protection spéciale prévue par le présent article pour les enfants de moins de quinze ans leur restera applicable s'ils prennent directement part aux hostilités en dépit des dispositions de l'alinéa c et sont capturés ». A partir de l’adoption des PA I et II, une nouvelle impulsion sera donnée au niveau international en faveur d'une plus grande protection des enfants impliqués dans les conflits armés, et non pas exclusivement par le droit international humanitaire. (4) La protection accordée aux enfants-soldats en droit international des droits de l’Homme Le droit international des droits de l'Homme représente « l'ensemble des facultés et prérogatives considérées comme appartenant naturellement à tout être humain dont le droit public, notamment constitutionnel, s'attache à imposer à l’État le respect et la protection en conformité avec certains textes de portée universelle ».18 Le thème de l'enfance en général sera repris dans différentes conventions, le sujet sera activement traité par l’ONU notamment en 1989 avec la Convention relative aux droits de l’enfant (également appelée Convention de New-York). Il s'agit du premier texte international à proprement parler considérant l'enfant comme une personne à part entière, lui conférant un statut juridique propre, il est sujet de droit. Cette convention a été adoptée par 193 Etats, il s’agit donc du traité multilatéral ayant obtenu le plus de ratifications depuis sa création.19 Cette Convention va définir le terme d’enfant et d’enfant-soldat. L'enfant est « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». L'enfant-soldat est défini comme « tout mineur de moins de 18 ans enrôlé dans un groupe armée gouvernemental ou non gouvernemental, de manière forcée ou volontaire, qui prend une part active, directe ou indirecte au conflit ». L'article 38 alinéa 2 et 3 de cette Convention accorde une attention toute particulière aux enfants-soldats, « les États parties s'abstiennent d'enrôler dans leurs forces armées toute personne n'ayant pas atteint l'âge de quinze ans ». Bien que cette même 18 19 CRONU Gérard, Vocabulaire juridique, Pans PUF Quadrige, 7eme édition MAYSTRE Magali, Les enfants soldats en droit international, Pedone, 2010 9 convention considère comme enfant et enfant-soldat toute personne ayant moins de 18 ans, et que par conséquent tous ses articles s'appliquent pour tout être âgé de moins de 18 ans, elle fixe paradoxalement l'âge de l’enrôlement à 15 ans tout comme les CG. Ceci est regrettable puisque cette norme n'apporte pas de plus-value notable. De plus cette obligation est dirigée envers les États uniquement, « en ce qui concerne les conflits armés non internationaux la protection est donc plus faible que celle du droit international humanitaire existant puisqu'elle se base sur les dispositions du PA I qui prohibent uniquement la participation directe ».20 En 1996 une étape supérieure est franchie, le Secrétaire Général des Nations Unies (SGNU) Boutros-Boutros Ghali émet une note à l'attention de l'AGNU intitulée « promotion et protection des droits de l'enfant : Impact des conflits armés sur les enfants ». Le SGNU communique l’étude d’impact qui a été réalisé par Graça Machel, défenseur des droits des enfants et experte désignée en 1994 par la Résolution 48/157 de l’AGNU. Le SGNU urge d'exercer des pressions sur les gouvernements et les milices pour qu'ils s'abstiennent de recruter ou d'accepter les enfants au sein de leurs rangs. Pour la première fois, il s'agira donc de condamner directement et publiquement les États ne respectant pas les normes juridiques internationales. Le SGNU propose, conformément aux dispositions de Graça Machel, de porter l'âge minimum de l'enrôlement possible des enfants de 15 à 18 ans. En 1998, le poste de Représentant spécial des enfants affectés par les conflits armés auprès du SGNU est créé suite aux recommandations émises par Graça Machel. C'est l'AGNU qui sera chargé de désigné le représentant, Olara Otunnu remplira ce rôle pour la première fois et sera remplacée en 2007 par Radhika Coomaraswamy. En 1997, l’UNICEF et les ONG émettent le souhait de s’accorder sur une définition plus large de l’enfant-soldat. En effet, la notion de combattant fait référence en droit international humanitaire à une notion très précise, liée à un rôle déterminé. Ces acteurs souhaitent arrêter non seulement une limite d’âge, mais également les rôles qui sont assignés à ces soldats. Selon « les Principes du Cap et meilleures pratiques concernant la prévention du recrutement d’enfants dans les forces armées, la démobilisation et la réinsertion sociale des enfants soldats en Afrique » (ci-après les Principes du Cap) « un enfant soldat désigne toute personne âgée de moins de 18 ans quel que soit son sexe faisant ou ayant fait partie, régulièrement ou occasionnellement, de tous types de force armée ou de groupes armés, 20 MAYSTRE Magali, Les enfants soldats en droit international, Pedone, 2010 10 réguliers ou irréguliers, quelle que soit sa fonction et indépendamment du fait de porter des armes, qu’il existe ou non un conflit armé ». En effet, il s'agit « notamment mais pas exclusivement, de cuisiniers, porteurs, messagers, et toute personne accompagnant de tels groupes qui n’est pas un membre de leur famille ». Cette définition englobe les filles recrutées à des fins sexuelles et pour des mariages forcés. Elle ne concerne donc pas uniquement les enfants qui sont armés ou qui ont porté des armes. C’est une définition très large qui a été retenue, elle englobe donc tous types d’activités auxquelles peuvent être mêlés les enfants au sein du groupe armé, n’ayant pas nécessairement un lien direct avec le conflit tel qu'entendu par les CG. Il est plutôt mis en avant la notion « d'enfants associés aux groupes armés » qui est plus englobante que la notion d'enfants-soldats. Malencontreusement ce texte relève plus de la soft law mais a le mérite de définir clairement le concept d'enfant-soldat, et de façon inclusive. En 1999 c'est une autre Organisation internationale qui se penche sur le problème des enfants-soldats, l'Organisation Internationale du Travail (OIT) à travers la Convention 182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants. Parmi ces pires formes de travail figure à l'article 3-a « le travail forcé ou obligatoire, y compris le recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés » mais également « les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant ». Il est interdit de recruter des personnes de moins de 18 ans de façon forcée ou obligatoire en vue de les utiliser dans les conflits armés, l'enrôlement forcé est perçu comme une forme esclavage.21 Par ailleurs, cette même année la première résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) est adoptée. Cette instance exécutive de l'ONU est hautement symbolique, l'adoption d'une résolution par cette dernière démontre une réelle volonté d'en découdre avec ce problème puisque les résolutions du CSNU ont force contraignante. Il faut noter que le thème des enfants -soldats est le premier sujet de droits humains à être traité par le CSNU.22 Par la suite toute une série de résolutions a été adoptée par le CSNU, ce qui démontre l’intérêt des États pour cette question mais qui est en même temps un aveu de faiblesse puisque malgré la multiplication des instruments juridiques et des résolutions au plus 21 22 MAYSTRE Magali, Les enfants soldats en droit international, Pedone, 2010 Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 11 haut niveau de la hiérarchie internationale, le problème n'a pas disparu pour autant. De la sorte en 1999 est adoptée la résolution (RCS) 1261 sur l'utilisation d'enfants-soldats, suivie par les RCS 1314 (2000), 1379 (2001), 1460 (2003), 1539 (2004) et 1612 (2005), 1882 (2009) qui ont toutes condamnées de manière répétée l’utilisation et le recrutement illégal d’enfants par des parties aux conflits armés en violation du droit international, et ont appelé à y mettre un terme. Des innovations dans le traitement de la problématique des enfants-soldats sont à mettre en lumière. La RCS 1261 recommande la formation des troupes de maintien de la paix en matière de protection des enfants, et admet donc que les Casques Bleus ne sont pas totalement prêts à faire face à ce problème. La RCS 1314 demande la mise en place d'une « liste de la honte » citant les États qui recrutent et utilisent des enfants-soldats, cette liste sera de nouveau mentionnée dans la RCS 1379 face aux faibles impacts engendrés par les précédentes résolutions.23 Avec la RCS 1612 en 2005 il est atteint un point culminant puisque cette résolution demande la mise en place d'un mécanisme de surveillance et de communication de l'information, et met en œuvre un Groupe de travail au sein du CSNU chargé d'examiner les rapports produits. « Ce mécanisme de surveillance et de communication de l’information s'appuie sur des groupes de travail sur le terrain, et permet de brandir la menace de mesures ciblées contre les États ou les groupes récalcitrants ».24 La Convention de New York, instrument clef de la protection des droits de l’enfant, sera par la suite complétée en l'an 2000 par un Protocole additionnel sur la protection des enfants dans les conflits armés. Ce protocole, en vigueur en 2002, est nettement plus ambitieux puisqu'il relève à 18 ans l'âge de l’enrôlement. Le Protocole établit l'âge minimum du recrutement volontaire dans les forces armées d'un État à 15 ans et prévoit qu'aucune personne de moins de 18 ans ne peut faire l'objet d'un recrutement forcé (article 1 et 2). L'article 3, paragraphe 3 du Protocole demande que soient mises en place des garanties effectives pour assurer que tout recrutement volontaire effectué avant 18 ans soit réellement volontaire.25 23 24 25 No Peace Without Justice, UNICEF Innocenti Research Center, « International Criminal Justice and Children », 09/2002 Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 L'article 3-3 : « Les États Parties qui autorisent l'engagement volontaire dans leurs forces armées nationales avant l'âge de 18 ans mettent en place des garanties assurant, au minimum, que: 12 Seront adoptés en 2007, 10 ans après les Principes du Cap, les Engagements de Paris, en vue de protéger les enfants contre une utilisation ou un recrutement illégaux par des groupes ou des forces armées (Les Principes de Paris). Les Principes directeurs énoncent que les enfants ne seraient pas poursuivis pour les crimes commis, ce qui sera par la suite reconnu par les juridictions pénales internationales. Les États doivent, en outre, développer pour ces enfants des mécanismes de justice alternative respectant leurs besoins tout en reconnaissant les crimes qu’ils ont pu commettre. Il s'agit donc de faire appel à une justice réparatrice plus douce.26 Les définitions de Paris renvoient à la définition d'enfant de la Convention de NewYork et à la définition du Cap des enfants-soldats ou enfants associés à une force armée, ces principes regroupent un certain nombre de définitions très complètes que nous utiliserons par la suite.27 Par ailleurs, un certain nombre de conventions régionales concernant les enfantssoldats sont venues compléter cet arsenal particulièrement fourni. Les États africains se sont réunis pour élaborer une Charte des droits de l'enfant, la Charte africaine des droits et du bienêtre de l’enfant de 1999 qui stipule à l'article 22 qu'en cas « de situation de crise ou de conflit, il ne peut y avoir de conscription ni d'enrôlement d'enfants ». Contrairement à la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant et à ses Protocoles facultatifs, le recrutement d’enfants de moins de 18 ans à toutes les fins possibles est strictement interdit, la charte ne permet à aucun enfant de moins de 18 ans d’être recruté volontairement.28 Il faut préciser de plus, qu'un organe de contrôle est associé à la Charte (article 32).29 Mais il faut relever de même la Charte arabe des droits de l’Homme révisée qui interdit l’exploitation des enfants dans les conflits armés, la Déclaration de l’Association des Nations du sud-est asiatique sur les engagements en faveur des enfants dans le cadre de l’ASEAN de 2001, l'adoption des Orientations sur les enfants face aux conflits armés par l’Union européenne en 2003, et la 26 27 28 29 a) Cet engagement soit effectivement volontaire; b) Cet engagement ait lieu avec le consentement, en connaissance de cause, des parents ou gardiens légaux de l'intéressé; c) Les personnes engagées soient pleinement informées des devoirs qui s'attachent au service militaire national; d) Ces personnes fournissent une preuve fiable de leur âge avant d'être admises au service militaire ». Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 Annexe 1 Les Principes de Paris concernant les filles-soldats Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 GHERARIVOL Habib, « La Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant (note) », Études internationales, 22, n° 4, 1991, p. 735-751. 13 Résolution 1904 de 2002 de l’Organisation des États américains. La protection est particulièrement complète au niveau régional comme international, et à tous les niveaux de la hiérarchie internationale. (5) Le thème des enfants-soldats devant la justice pénale internationale Même si les différentes conventions engagent les États l’état des lieux reste grave, il y a eu utilisation massive d’enfants-soldats particulièrement par la LRA en Ouganda, par les différents groupes au cours de la guerre en République Démocratique du Congo (RDC), mais aussi dans les armées tchadiennes, du Mozambique, en Colombie ou encore au Népal, et la liste est encore longue. Aujourd'hui encore, de nombreux enfants sont présents dans les groupes armés. La récente polémique concernant la vidéo Kony 2012, montre que le problème est encore tout à fait d'actualité. Par ailleurs, il y a de nos jours une certaine sur-médiatisation de ce problème, pour cause quelques semaines après le coup d’État au Mali des images d'utilisation d'enfants-soldats par des rebelles ont déjà été diffusées.30 Les textes internationaux sont nombreux, certains relèvent plus de la hard law et sont accompagnés de structures de surveillance, d'autres sont très complets techniquement mais pour nombres d'entre eux laissent les États libres pour gérer la protection des enfants. Même si les rapports de Save The Children tendent à démontrer une amélioration des pratiques, des enfants-soldats sont encore et toujours utilisés dans des conflits armés, et cela en toute impunité.31 Sans une sanction pénale qui vient punir les coupables de telles exactions la portée normative réelle du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'Homme est limitée. C'est le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) qui va criminaliser en premier lieu le recours aux enfants-soldats au cours des hostilités. Charles Taylor, ex-Président du Liberia, et de nombreux autres accusés ont dû répondre devant les juges des crimes d’enrôlement, de conscription d'enfants-soldats ou de leur utilisation en vue de les faire participer activement aux hostilités. Chaque acte établit contre les accusés contient des accusations en vertu du droit international, et tous contiennent des accusations relatives aux enfants-soldats.32 Il faut également mettre en avant que le TSSL a compétence pour juger les 30 MALTERRE Ségolène, « Photo shows use of child soldiers by rebels in northern Mali », The observers, France 24, 09/04/2012 31 Save The Children, « Forgotten Casualties of War Girls in armed conflict », 2005 32 SIVAKUMARAN Sandesh, « War Crimes before the Special, Court for Sierra Leone Child Soldiers, Hostages, Peacekeepers and Collective Punishments », Journal of International Criminal Justice, 2010 14 enfants entre 15 et 18 ans. Toutefois le tribunal s'est résigné très tôt à exercer cette compétence. 33 David M. Crane, ancien Procureur général auprès du TSSL entre 2002 et 2005, explique « bien que le statut du Tribunal m’ait confié le mandat d’inculper un enfant qui avait commis un crime de guerre alors qu’il avait entre 15 et 18 ans, j’ai choisi de ne pas le faire parce que je sentais qu’aucun enfant n’avait la capacité mentale de commettre les crimes contre l’humanité les plus graves. Ils étaient de vraies victimes des chefs de guerre, tyrans et voyous cyniques qui exploitaient leur enfance pour leurs propres gains criminels… Les enfants qui se trouvent dans ces conflits armés sont autant des victimes que les victimes qu’ils maltraitent. Ce qu’il fallait faire, c’était tenir pour responsable les dirigeants qui avaient créé la politique de recrutement et d’enrôlement des enfants dès l’âge de 6 ans au sein de diverses milices».34 Les juges se sont donc accordés pour dire que l'élément mental fait défaut chez les personnes âgées de 15 à 18 ans et que celles-ci sont pleinement assimilées à des victimes. De plus, depuis l'entrée en vigueur du statut de Rome en 2002 instituant la Cour Pénale Internationale (CPI) cette incrimination est devenue pérenne. La CPI dispose d'un mandat plus large que le TSSL, son statut est beaucoup moins limité dans le temps et dans espace que celui du tribunal ad hoc. Le Statut de Rome inclut parmi les crimes de guerre à l’article 8-2 a et 8-3 e, le fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement à des hostilités. Cette criminalisation par la CPI a permis de juger Thomas Lubanga Dyilo, premier accusé à comparaître et à être jugé devant la CPI. C'est un choix hautement symbolique qui a été réalisé par le Procureur Ocampo-Moreno puisque Lubanga est le premier accusé à être jugé à La Haye pour des charges exclusivement relatives aux enfants-soldats. De surcroît, la CPI à l'inverse du TSSL sera le premier tribunal à limiter sa compétence rationa personae, à l'article 26 du Statut il est fait mention que la Cour est incompétente à l'égard des personnes âgées de moins de 18 ans, cristallisant ainsi la jurisprudence du TSSL.35 33 KALONJI Anne, « La protection des enfants au cœur des premières poursuites intentées devant la Cour pénale internationale et le tribunal spécial pour la Sierra Leone », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°6, 2008 34 Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 35 Article 26 : Incompétence à l'égard des personnes de moins de 18 ans « La Cour n'a pas compétence à l'égard d'une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment de la commission prétendue d'un crime». 15 Toutefois, lors de ce procès des critiques importantes ont été adressées au Bureau du Procureur (BdP) quant à sa gestion de l'affaire, notamment concernant les charges retenues contre Thomas Lubanga Dyilo, trop restrictives au goût de certains activistes des droits humains. Ces critiques étaient surtout relatives la prise en considération des questions de genre durant le procès. Rhadika Coomaraswamy représentante spéciale de l’ONU pour les enfants et amicae lors du procès Lubanga a suggéré dans une communication écrite adressée à la CPI en date du 17 mars 2008 que « la CPI réponde spécifiquement à la situation tragique des filles ayant servi dans la milice de l’UPC (Union des patriotes congolais), et en particulier aux agressions sexuelles qu’elles ont endurées». Selon elle, et comme pour de nombreuses ONG, il y a eu une trop faible prise en considération, d’une part de la présence, et d’autre part du rôle particulier qu'ont joué les filles-soldats dans les forces armées. Selon certaines ONG telles que Save The Children ou Human Right Watch, les filles associées aux groupes armés représenteraient entre 30 et 40% des enfants-soldats.36 Mais elles sont le plus souvent invisibles pour la communauté internationale sur le terrain, et elles ont été relativement absentes du procès emblématique censé rendre justice aux enfants-soldats du monde entier. (6) La neutralité des termes à l’épreuve du genre Les carcans idéologiques qui restent prégnants empêchent l’appréhension et la résolution du problème des filles intégrées dans les groupes armés. Le terme neutre « d’enfant » participe à leur invisibilité. Lorsque l’on évoque une fille-soldat, on se heurte donc à deux stéréotypes, celui de l’enfance et celui de la féminité qui représentent dans les sociétés patriarcales douceur et soumission. Il n'a pas été aisé de bousculer le premier carcan psychologique, celui qui se refuse à assimiler l'enfance à l'agressivité, au combat. Mais qu'en est-il du deuxième ? De la relation femme/soldat ? De nombreuses avancées ont été réalisées et l'ONU a décidé de faire de ce millénaire celui de la protection et de la promotion de la condition de la femme. Ceci est notamment démontré par la multiplication des instruments juridiques adoptés faisant référence aux de droits de la femme. Cette dernière commence également à être soutenue pour le rôle actif qu'elle joue dans la guerre comme en témoignent les Prix Nobel de la Paix 2011, femmes de pouvoirs, combattantes idéologiques, il ne s'agit pas d'un hasard mais bien d'une volonté politique, celle de montrer que les femmes ne sont pas uniquement les victimes passives de la guerre. 36 Save The Children, « Forgotten Casualties of War Girls in armed conflict », 2005 16 Mais qu'en est-il lorsque deux minorités, deux être faibles rassemblés en un seul croisent un des termes le plus associé à la virilité ? Les filles cachées derrière le nom commun masculin « enfant » souffrent encore beaucoup trop d'un manque de visibilité. Pourtant l’apparition de la guerre favorise le bouleversement de toute norme sociale préétablie, les femmes occupent un rôle important pour remplacer les hommes et prennent part aux hostilités. Les filles n’échappent pas à ce schéma, elles sont utilisées comme les garçons, elles participent à l’effort de guerre sur le champ de bataille. Mais elles ont des rôles multiples qui bien souvent combinent effort en tant que combattante et en même temps rôle sexuel.37 Toutefois, si le droit international a réussi à prendre en compte les réalités complexes d'un côté des enfants dans la guerre, et de l'autre des femmes, le croisement des deux variables s’avère encore difficile pour un droit, qui, sécrété par les hommes, reste donc le reflet des valeurs qu'ils portent et peine à s'émanciper des considérations patriarcales. Nous prendrons donc le parti de démontrer que si des efforts considérables sont réalisés, et que les évolutions du droit humanitaire permettent de mieux prendre en compte les réalités de terrain, les filles et jeunes femmes ne sont pas protégées de façon complètement satisfaisante. Ces dernières sont encore moins protégées lorsqu’elles prennent part aux conflits armés à cause de considérations de genre encore bien ancrées. Le genre représente « l'ensemble des rôles et de schémas comportementaux, valeurs et responsabilités que les hommes et les femmes ont appris ou finissent par jouer au sein de leur famille, communauté ou société en général ». Il s'agit d'une construction sociale, elle est donc susceptible de changer car elle dépend du contexte historique, culturel, politique et social.38 C'est ce que Françoise Héritier nomme « la valence différentielle des sexes », cette différence biologique qui va se muer en hiérarchie entre les sexes, et qui est le socle de la pensée humaine.39 Le genre est différent du sexe, qui n'est qu'une différence d'ordre biologique, mais le genre est construit à partir de celui-ci. Nous attacherons donc dans ce mémoire à évaluer la dimension sexo-spécifique des enfants-soldats afin de voir comment les différences socialement conçues et admises entre hommes et femmes, ici en particulier entre filles et garçons, empêchent une protection effective des filles dans les conflits armés. 37 Amnesty International, Les crimes commis contre les femmes lors de conflits armés, Chap. Femmes et Fillettes Soldats, 2004 38 Plan, « Parce que je suis une fille », La situation des filles dans le monde en 2008, Le point sur les filles dans l'ombre de la guerre, 2008 39 HERITIER Françoise, « Masculin/féminin. La pensée de la différence », Mots, septembre 1997, N°52. pp. 172-175. 17 Pourquoi focaliser sur femmes et enfants ? C'est bien la soumission au patriarcat qui les lient, pendant longtemps et encore aujourd'hui dans encore beaucoup de pays, la femme est considérée comme mineure n'ayant pas plus de droits que leurs enfants. Selon Nancy K. Miller, le patriarcat est le concept au sein duquel les femmes et les hommes les plus jeunes sont soumis et subordonnés au pouvoir des hommes plus âgés. Du fait de leur place dans la société ils sont considérés comme des personnes vulnérables, des personnes à protéger car particulièrement touchés par les effets de la guerre. De plus les techniques de guerre ayant changé, ils sont aussi désormais des cibles de guerre, la violence de genre et les tactiques délibérées d'attaque d’enfants sont utilisées pour déstabiliser la société entière. Normalement les filles devraient être deux fois plus protégées car elles sont à la fois soumises à la violence de genre et à la violence ciblant les enfants. Cependant malgré l'extension de la protection accordée aux femmes et aux enfants, nous pourrons voir dans le cas des enfants-soldats que la double-casquette est contradictoirement un handicap. La fille-soldat serait-elle donc accablée d'une « double peine », deux fois plus vulnérable, deux fois plus mineure ? Nous verrons dans un premier temps, comment les préjugés sur les femmes en période de conflit armé ont permis de forger un droit qui peine à accepter que les femmes aient une fonction active durant les conflits. (Chapitre Premier). Nous analyserons dans un second temps les problèmes concrets qu'affrontent les filles-soldats face au droit international pénal et face à la réalité du terrain (Chapitre Second). Sera considérée comme fille, toute personne de sexe féminin âgée de moins de 18 ans. Sera considérée comme jeune femme, toute personne de sexe féminin ayant entre 18 et 24 ans inclus. Sera considéré comme enfant, tout être âgé de moins de 18 ans, indifféremment de la législation qui lui est applicable. Sera considéré comme enfant-soldat, tout enfant répondant à la définition des principes du Cap. Les termes enfants-soldats, et enfants associés aux groupes armés, seront utilisés indifféremment. 18 Chapitre Premier - Regards croisés sur deux minorités, penser les effets de la guerre en terme de genre Par essence la femme n'est pas naturellement associée à la guerre, c'est Mars qui est le Dieu de la guerre. La guerre, et à travers elle la violence, représente l'activité la plus virile qui soit. Ce sont les hommes qui font la guerre, encore de nos jours on ne recense que 3% de femmes présentes dans les armées régulières dans le monde, et bien souvent les tâches qui leurs incombent sont souvent administratives.40 Quelques mythes comme celui de l'Amazone représentant la femme comme guerrière existent, mais ces mythes semblent également alimenter cette peur sociale de la femme violente, qui se confronte à la norme masculine et dont la guerre n’est pas le dessein naturel. Les hommes ont pris le monopole de l'utilisation de la violence, eux seuls ont vocation à l'utiliser et par conséquent eux seuls sont légitimes en guerre comme le souligne Paola Tabet. En Grèce antique les femmes qui ont recours à la violence sont considérées comme des hommes, « toute violence émanant de la femme est donc forcément d'ordre masculine ».41 Toutefois aux vues des considérations contemporaines déjà mentionnées, il n'est pas possible aujourd'hui de ne pas prendre en compte la place des femmes dans la guerre, elles sont tout comme les enfants au cœur des conflits. Bien évidemment c'est en tant que personne vulnérable que le droit international va s'atteler à prendre en considération ce que vivent la femme en période de guerre, en tant que victime. Nous verrons dans un premier temps comment à évoluer la prise en compte du rôle de la femme dans la guerre, à travers l'étude des différents instruments internationaux disponibles (Section 1). Nous analyserons par la suite, comment la prise en considération de la femme mineure comme combattante, à travers l'étude des enfants-soldats, a été mise de côté par la communauté internationale, notamment à cause des considérations de genre (Section 2). 40 41 PUECHGUIRBAL Nadine, Le genre entre guerre et paix Conflits armés, processus de paix et bouleversement des rapports sociaux de sexe, étude comparative de 3 situations en Erythrée, Somalie et Rwanda, Dalloz, 2007 GAGNE Julie, RIOUX Jean Sébastien, Femmes et conflits armés : réalité, leçon et avancement, Presses Université Laval, 2005, Collection politique étrangère et sécurité, 2005 19 Section 1 - L'évolution de la protection des femmes dans la guerre : changer de paradigme pour confronter la norme aux besoins du terrain Lors de la conférence organisée pour l'élaboration des CG de 1949 sur 240 représentants 13 seulement étaient des femmes.42 Pour Tamar Pitch le droit international humanitaire est un mode de régulation entre hommes avant tout, et non pas entre hommes et femmes. Évidemment on considérait à l'époque que très peu de femmes prenaient part au conflit et qu'elles étaient très peu concernées par les hostilités, mais la Seconde Guerre mondiale a, dans ce sens, représenté un tournant considérable avec une forte poussée du nombre de femmes dans les armées régulières. Cependant, même si la combattante pouvait participer aux hostilités elle n’apparaît jamais en tant que telle dans les CG de 1949. Le terme neutre de combattant est utilisé, censé représenter les deux sexes. Tout comme les enfants c'est à travers leur rôle de civil, victime du conflit qu'elles vont être protégées plus étroitement, elles sont principalement considérées comme des personnes protégées. Et pour cause, nous savons désormais que la violence de genre est particulièrement développée en temps de guerre. L'article 1 de la Déclaration sur l'élimination des violences à l'égard des femmes définit le concept de violence à l'égard des femmes qui désigne « tout acte de violence dirigé contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques y compris la menace de tels actes, la contrainte ou privation arbitraire de liberté que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ». Le comité pour élimination des violences vient compléter cette définition « la violence exercée contre une femme parce qu'elle est une femme ou qui touche spécialement une femme ».43 Auparavant, les violences de genre ou violence à l'égard des femmes, telles que les violences sexuelles, n'étaient pas mises en avant car elles étaient considérées comme inhérentes à la guerre. Cette violence est aujourd'hui très fortement condamnée. Il n'a été mis en lumière que tardivement les souffrances spécifiques que vivent les femmes pendant la guerre. Mais qu'en est-il de la combattante ? La femme ne semble pas profiter de la même évolution que les enfants, l'octroi d'un rôle de personne active dans la guerre n'est arrivé que très tard. 42 43 Amnesty International, Les crimes commis contre les femmes lors de conflits armés, Chap. Femmes et Fillettes Soldats, 2004 Ibid. 20 Dans un premier temps il sera étudié l’émergence spécifique de la protection des femmes dans la guerre, en tant que personnes vulnérables (1). Par la suite nous prendrons le parti de démontrer que cette protection s'est particulièrement intensifiée, demeurant toutefois timide quant au rôle actif des femmes en tant que combattantes (2). (1) L’émergence d'une protection spécifique des femmes en tant que personnes vulnérables La femme est particulièrement vulnérable en période de conflit, car plus pauvres, on estime en effet que 70% des personnes vivant sous le seuil de pauvreté sont des femmes.44 Elles sont des victimes privilégiées de la guerre à cause de leur vulnérabilité, elles sont moins formées et moins mobiles que les hommes. Elles sont par ailleurs dépendantes financièrement et des liens de sang, ce qui les rend encore plus vulnérables lorsqu’elles sont coupées de leur environnent social et familial.45 Le délitement des institutions précipite cette perte de pouvoir social. En outre, ayant intériorisé les normes sociales qui leurs proscrivent l'usage de la violence, on les dit moins aptes à se défendre physiquement. Leur vulnérabilité fait d’elles des cibles à part entière. En effet, il est prouvé que lorsque l'état de danger est généralisé, il est plus fréquent que la violence s'abatte en premier lieu sur les plus vulnérables. Ceci est notamment démontré par le fait que les viols augmentent en période pré-conflit.46 En appliquant ce phénomène aux conflits armés, nous comprenons pourquoi les femmes sont les victimes privilégiées de la guerre. La femme représente donc une cible particulière, attachée au foyer, « objet » de la maison, elles sont donc plus visées par la violence. De plus, toucher les personnes vulnérables cela permet également de toucher toute la société dans sa globalité, puisque l'on rappelle aux hommes leur incapacité à protéger les personnes vulnérables dont ils ont la charge. Mais cette réalité vue de façon exclusive peut empêcher de conférer un statut de combattante à la femme. 44 45 46 Amnesty International, Les crimes commis contre les femmes lors de conflits armés, Chap. Femmes et Fillettes Soldats, 2004 GARDAM Judith G., « Femmes, droits de l’homme et droit international humanitaire », 1998, Revue internationale de la Croix-Rouge, 831 Plan, « Parce que je suis une fille », La situation des filles dans le monde en 2008, Le point sur les filles dans l'ombre de la guerre, 2008 21 a) Femmes et vulnérabilité: le refus de prendre en compte la femme comme combattante Les premiers instruments juridiques mentionnant explicitement les femmes en période de conflit armé les protègent donc uniquement en tant que victime de guerre, personnes hors de combat, détachées de tout lien avec les hostilités. Toute référence au combattant est faite de façon neutre dans les CG. La Convention de Genève de 1864 pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne ou le Règlement annexé aux Conventions de La Haye de 1899 et 1907 sur les lois et coutumes de la guerre sur terre ne mentionnent pas explicitement la femme, et donnent le même statut aux femmes et aux hommes. Mais un changement s'opère avec la Seconde Guerre Mondiale, « en Angleterre à la fin de 1943, les unités féminines de l'armée comprenaient 450 000 femmes, représentant 9,39% du total des forces armées. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, on a dénombré parmi les unités féminines de l'armée: 624 tuées, 98 disparues, 744 blessées et 20 capturées ».47 Ce qui prouve qu'elles ne jouaient pas que des rôles secondaires de « soutien » à l’arrière. Nous savons également que c'est le bloc de l'est qui a le plus mobilisé ses femmes durant le conflit. Cependant rien de cela n'est retranscrit dans les CG de 1949. Quelques articles affirment que les malades ou prisonniers de guerre doivent être traités eut égard à leur sexe, en prenant en compte les différences homme/femme. Les CG de 1949 conserveront donc la conception minimaliste du début du siècle, le sexe des personnes doit être pris en considération, sans de plus amples recommandations. La femme est protégée surtout en tant que civile et en tant que mère. Les articles CG I, art. 12(4) et CG II, art. 12(4) stipulent que « les femmes seront traitées avec tous les égards particuliers dus à leur sexe ». En outre, l'article 3 commun aux quatre CG qui est applicable aux CANI reprend ces dispositions, le sexe des personnes doit donc être pris en compte en tout type de conflit, le PA II réaffirmera ce principe par la suite. La combattante est posée comme éventualité et non comme certitude, alors même que l'on savait qu'elle avait participé aux Grandes Guerres. En effet, les femmes comme les enfants ont toujours été au cœur des idéologies totalitaires, pour lesquelles la société dans sa globalité doit être mobilisée pour le pays. La 47 KRILL Françoise, « La protection de la femme dans le droit international humanitaire », 1985, Revue Internationale de la Croix Rouge, numéro 756 22 femme est particulièrement concernée, comme l'explique Simone de Beauvoir, elle représente la terre, la patrie, la femme va être particulièrement amenée à être intégrée aux forces armées car elle représente tout un symbole patriotique.48 Dans la CG III concernant les prisonniers de guerre, la femme appartenant aux forces armées est mentionnée, mais cela représente un cas isolé. L’article 88 : «En aucun cas, les prisonnières de guerre ne pourront être condamnées à une peine plus sévère ou pendant qu’elles subissent leur peine, traitées plus sévèrement qu’un homme membre des forces armées de la Puissance détentrice puni pour une infraction analogue». Toutefois, le statut de prisonnier de guerre est attribué assez largement, car très protecteur, si le ou la combattant(e) bénéficie en premier lieu au statut de prisonnier de guerre, cela ne signifie pas que tout prisonnier de guerre a été combattant.49 Le fait de ne pas mentionner explicitement la femme pourrait être vue comme une conception égalitariste entre hommes et femmes durant le conflit armé, toutefois, ceci participe à l'inverse à rendre leur rôle pendant les combats complètement invisible. Elles ne sont que peu présentes, donc elles ne sont pas mentionnées, et parce qu'elles ne sont pas mentionnées, on peine à prendre en considération la potentialité de leur participation. Et pourtant, il n'est plus à prouver aujourd'hui que les conflits armés sont vécus différemment selon le genre. Selon le CICR « le droit international humanitaire vise à prévenir et à alléger les souffrances humaines en temps de guerre, sans discrimination fondée sur le sexe. Il reconnaît cependant que pendant un conflit armé, les femmes sont exposées à des problèmes spécifiques, comme les violences sexuelles et des risques pour la santé ».50 Les deux PA de 1977 viennent surtout compléter ce qui a déjà été mis en lumière, c'est-à-dire le traitement différencié entre hommes et femmes, et vient par ailleurs répéter les conventions déjà existantes concernant les violences spécifiques de genre. Cependant pour un certain nombre de défenseurs des droits de la femme, les Protocoles sont décevants puisque les PA I et II n'impliquent rien de nouveau concernant les femmes, et n'enclenchent pas de tournant majeur comme engendré pour les enfants-soldats. De la sorte la femme est toujours protégée qu'en tant que civile victime, c'est la même conception qui sera suivie par le droit international des droits de l'Homme, qui va lui offrir une protection techniquement plus complète. 48 DE BEAUVOIR Simone, Le deuxième sexe, Les faits et les mythes, Folio, 1986 DEYRA Michel, Le droit dans la guerre, Master Pro, Gualino, Lextenso édition, 2009 50 Comité International de la Croix Rouge, « Les femmes et la guerre : la réponse du CICR », 02-03-2007 49 23 En 1974, l'AGNU adopte une Déclaration sur la protection des femmes et des enfants en période d'urgence et de conflit armé (Résolution 3318 - XXIX), cette déclaration vise à prendre en considération les personnes particulièrement vulnérables, victimes de la guerre. « Tenant compte de la nécessité de fournir une protection spéciale aux femmes et aux enfants appartenant à la population civile. ». La femme est considérée comme mineure dans la guerre, et doit être protégée au même titre que les enfants, ce qui relève un des traits qu'ils ont en commun, l'aspect inoffensif de leur personne. A partir de 1979 des instruments juridiques viennent traiter spécifiquement du rôle des femmes dans les conflits armés. La Convention sur toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes représente en quelque sorte le double de la Convention de New-York concernant les droits de l'enfant, cette convention a également été couronnée d'un grand succès comptabilisant pas moins de 155 participants. Cette convention traite de toutes les discriminations dont peuvent être victimes les femmes, entre autres lors des conflits armés, considérant que lorsque le conflit éclate la femme est particulièrement vulnérable, et plus particulièrement si son rôle ou statut dans sa communauté d'origine lui est défavorable. Par ailleurs, la Déclaration et le Programme d'action de Vienne, adoptés le 25 juin 1993 par la Conférence mondiale sur les droits de l'Homme, considèrent que les droits des femmes font partie des droits fondamentaux de la personne humaine. La déclaration réitère en affirmant une nouvelle fois que les femmes sont spécialement exposées aux conflits armés et qu'elles vivent, comme les enfants, une réalité différente lors du conflit. La protection féminine en temps de guerre est donc jusque-là relativement pauvre, mais s'est surtout considérablement étoffée concernant les violences sexuelles. b) La femme, victime première des violences sexuelles en période guerre En effet, pendant longtemps toute violence sexuelle était perçue comme inhérente aux rapports sociaux de sexe. Les violences sexuelles, déjà peu reconnues et punies en temps de paix, sont complètement oubliées en temps de guerre. Le viol étant considéré comme une dérive quasi normale de la guerre.51 Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'armée impériale japonaise a largement eu recours au viol contre les femmes civiles ou faisant partie du 51 GAGNE Julie, RIOUX Jean Sébastien, Femmes et conflits armés : réalité, leçon et avancement, Presses Université Laval, 2005, Collection politique étrangère et sécurité, 2005 24 personnel médical, ce qui a été poursuivi par le Tribunal de Tokyo dans la catégorie traitements inhumains et crime de guerre. Toutefois, le Tribunal de Tokyo n'a pas pris en considération le phénomène dit « des femmes de réconfort », c'est-à-dire des femmes contraintes de se prostituer, de servir d'esclave sexuel, qui ont été exploitées par les soldats en toute impunité.52 Et pour cause le viol est inhérent à la guerre, il n'a pas besoin d’être relevé puisque la guerre et la suprématie des codes masculins qui s'exaltent pendant un conflit armé dominent. Néanmoins, la guerre en ex-Yougoslavie a constitué un tournant particulièrement grave qui a entraîné une protection particulière de ces violences sur le plan pénal. Par essence, la femme représente la famille c'est la mère, celle qui donne la vie, c'est la raison pour laquelle la sexualité des femmes a toujours été extrêmement contrôlée, car la descendance « dépend d'elle ». Mais elle représente aussi, la terre fertile, la mère-patrie. S'attaquer à la femme, c'est s'attaquer indirectement à toute la société, à l'homme, c'est s'accaparer ses terres, l'enfanter par son ennemi. Le viol est considéré une arme de « communication » entre les belligérants qui cherchent à transmettre des messages de haine à l'autre groupe, « la femme devient le champ de bataille ».53 Le viol ne se fait pas contre femme mais contre une représentation de la femme, et cette atteinte à la représentation féminine vise à bouleverser toute la société. Toutefois le viol mène rarement poursuites judiciaires.54 Ainsi le viol a été utilisé massivement comme technique de guerre en exYougoslavie et au Rwanda, comme technique génocidaire afin de prévenir les naissances des groupes indésirables. Mais déjà des instruments avaient été mis en place pour répondre à ce problème, sans pour autant réussir à l'éradiquer, cette technique ayant connu son apogée au Rwanda ou en RDC, Kinshasa ayant été appelée un temps « la capitale mondiale du viol », où on estime à 1152 le nombre de viols par jour.55 Concernant la femme victime spécifique de guerre, la première mention explicite d'une protection des femmes contre les violences sexuelles se fait dans le Code Lieber de 1863, qui 52 Conférence International Criminal Court and Gender, Foreign Institute, Vrije Universiteit Brussel, 05/2012, Bruxelles 53 ZONGO Abdelaziz, Les femmes entre instrumentalisation et Victimisation dans les conflits armés, Les écoles Saint Cyr Coetquidan, 2008 54 PUECHGUIRBAL Nadine, Le genre entre guerre et paix Conflits armés, processus de paix et bouleversement des rapports sociaux de sexe, étude comparative de 3 situations en Erythrée, Somalie et Rwanda, Dalloz, 2007 55 The World’s Five most dangerous countries for the women, Thompson Reuter foundation service, disponible à http://www.trust.org/trustlaw/womens-rights/dangerpoll/ 25 est considéré comme le premier manuel de droit international humanitaire. C'est un code qui s'avérera par la suite très en avance sur son temps en prohibant dès 1863 le viol par les soldats envahisseurs (art 47). Même si cela semble naturel, c'est la première fois qu'il est fait explicitement mention de cette interdiction aux soldats. De nombreuses conventions traitent désormais des violences sexuelles faites aux femmes, c'est l'une des plus grosses avancées, les soumissions sexuelles ne sont plus vues comme propres à la nature féminine mais bien comme quelque chose de condamnable. Dès les CG de 1949 ce problème est pris en compte mais va être particulièrement développé par les PA de 1977, toutefois il faut absolument clarifier la portée de ces articles. La CG IV explicite à l'article. 27 que «les femmes seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur ». Ici, le viol est considéré comme une atteinte à l'honneur et non pas à l'intégrité physique, ce qui donne au viol une moindre importance en comparaison à la torture. La femme violée est déshonorée, tout comme sa famille, mais ce n'est pas une victime à proprement parler selon Magloire. Ce n'est pas une altération physique mais une atteinte à l'estime de soi.56 Le PA I par la suite modifiera quelque peu cette conception, à l'article 76 il est écrit « les femmes seront protégées notamment contre le viol, la contrainte à prostitution et toute autre forme d’attentat à la pudeur ». Le PA II lui mentionne à l'article 4§2 et à l'article 4§3 sous le titre « Garanties fondamentales: e) les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ». Le viol est considéré dans ce cas comme tout traitement humiliant et dégradant qui porte atteinte à la dignité, au respect que tout être humain mérite, mais il ne s'agit toujours pas d'une atteinte physique, d'un acte de torture. Le viol est plus considéré au regard d’éléments psychologiques que physiques. Il faudra attendre 1992 et la justice pénale internationale, pour que viol soit considéré comme traitement inhumain et dégradant.57 La protection des femmes victimes des affres de la guerre a donc été particulièrement développée sous le prisme des violences sexuelles ramenant la femme non uniquement à la simple victime de guerre, mais surtout à son rôle 56 57 PUECHGUIRBAL Nadine, Le genre entre guerre et paix Conflits armés, processus de paix et bouleversement des rapports sociaux de sexe, étude comparative de 3 situations en Erythrée, Somalie et Rwanda, Dalloz, 2007 GARDAM Judith G., « Femmes, droits de l’homme et droit international humanitaire », 1998, Revue internationale de la Croix-Rouge, 831 26 d'objet sexuel. Par ailleurs, comme pour les enfants-soldats, le SGNU a mis en place un rapporteur spécial chargé des violences à l’égard des femmes, et un rapporteur sur les viols systématiques et l’esclavage sexuel. La résolution 1888 demande à ce que le SGNU nomme un Représentant spécial sur la violence sexuelle contre les filles et les femmes en situation de conflit armé. « Cette attention accrue renforcera les cadres actuels et permettra de mieux appliquer les lois et les normes existantes ».58 Mais cette focalisation sur les violences sexuelles permet surtout de détourner l’attention de toute considération active de ces dernières dans les conflits armés. La question n'est pas de nier les violences qui sont faites aux femmes durant les conflits, mais de ne pas focaliser sur un aspect unique. Cela ne fait que renforcer la vision que l'on porte sur les femmes comme victimes. De plus, le viol ramène d'autant plus à une vision individualisée et passive de la femme qui fait appel au paternalisme international pour la protéger.59 La question désormais est de savoir si, comme pour les enfants, il est possible de changer le regard que l'on porte sur leur rôle dans la guerre. Et pourtant, on a reconnu à certaines femmes le rôle particulièrement horrible qu'elles ont pu jouer en période de conflit armé. De la sorte Pauline Nyiralasuhuko a été la première femme accusée de génocide, les charges retenues contre elle comprenant notamment le viol. Comme beaucoup de femmes politiques rwandaises, elle a participé au génocide. Elle a été reconnue coupable d'avoir incité les troupes à violer des femmes tutsis devant le Tribunal spécial pour le Rwanda (TPIR).60 Il est donc dangereux de s'attacher encore une fois à une vision trop binaire. Les plus grandes avancées en ce qui concerne la protection du droit des femmes dans la guerre relèvent plus du droit international des droits de l'Homme, que du droit international humanitaire. Le droit international humanitaire peine à considérer la femme autrement qu'en tant que civile, la plupart des textes du CICR parlant de la protection des femmes sous l'angle civil. C'est donc du côté de l'ONU qu'il faut se pencher pour trouver une évolution contemporaine du rôle des femmes dans la guerre. 58 59 60 Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 PITCH Tamar, « Femmes dans la droit, femmes hors du droit ? Justice sexuée, droit sexué », Déviance et société, 1992 - Vol. 16 - N°3. pp. 263-270. PUECHGUIRBAL Nadine, Le genre entre guerre et paix Conflits armés, processus de paix et bouleversement des rapports sociaux de sexe, étude comparative de 3 situations en Erythrée, Somalie et Rwanda, Dalloz, 2007 27 (2) La combattante à l’épreuve des carcans idéologiques « Les femmes et les filles ne sont pas uniquement des victimes passives des conflits armés, elles sont aussi des actrices actives et participantes aux conflits. Les efforts pour résoudre ces conflits et s'attaquer leurs causes profondes ne connaîtront pas de succès, à moins que nous ne donnions plus de pouvoir, celles et ceux qui ont souffert – y compris et en particulier les femmes. » Kofi Annan 61 Inconsciemment il est véhiculé l'idée que la femme porte la vie donc ne peut faire la guerre, faire couler le sang. La sociologue Badinter fait le parallèle entre la maternité et l'engagement combattant, un homme donne son sang alors que la femme donne son enfant. La femme est mise sur un piédestal au cœur des relations familiales puisqu'elle porte la vie.62 Comme bien souvent c'est au regard de considérations biologiques que son rôle est défini. Et pourtant, un certain nombre de non-sens sautent aux yeux, dans bien des pays comme sur le continent africain par exemple, les femmes ne sont pas officiellement les cheffes de famille, pourtant elles dirigent le foyer, s'occupent de la gestion, ce sont toujours elles qui portent les lourdes charges, etc. L'utilisation de la violence est donc plus une question d'honneur que de force selon Tabet. La passivité reste donc de mise lorsque l'on assimile les termes femme et guerre. Cependant comme relève Nadine Puechguirbal dans son ouvrage, beaucoup de femmes vont s'engager partout dans le monde, dans tout type de guerre, elles vont par exemple représenter 30% des membres du front sandiniste au Nicaragua.63 Par ailleurs, nous savons désormais que certains groupes politiques ciblent spécifiquement les femmes afin de les intégrer dans leur groupe, car avoir la population la plus représentative possible leur confère une certaine légitimité, mais également car la femme habituée à jouer de nombreux rôles peut accomplir de nombreuses tâches au sein du groupe. Des outils viennent peu à peu remettre question cette passivité légendaire de la femme dans la guerre en reconnaissant la nécessité d'associer les femmes au processus de paix. Face aux échecs de trop nombreux des accords de paix, les femmes sont mobilisées afin d'être 61 62 63 AYISSI Anatole, MAIA Catherine, « Les filles-soldats: les grandes oubliées du conflit en Afrique», Études 7/2004 (Tome 401), p. 19-29 PUECHGUIRBAL Nadine, Le genre entre guerre et paix Conflits armés, processus de paix et bouleversement des rapports sociaux de sexe, étude comparative de 3 situations en Erythrée, Somalie et Rwanda, Dalloz, 2007 ZONGO Abdelaziz, Les femmes entre instrumentalisation et Victimisation dans les conflits armés, Les écoles Saint Cyr Coetquidan, 2008 28 actrices du processus visant à rétablir une paix positive de long terme. Le problème est pris à l'envers, on considère que si la réalité du terrain est si peu prise en compte c'est bien parce que malgré le fait que les femmes jouent un rôle actif pendant les hostilités, une fois le conflit terminé elles disparaissent de la sphère publique. En effet, elles sont absentes des tables de négociations, de l'élaboration des traités de paix, la gestion d'un pays post conflit est complètement laissée aux mains des hommes. Seul le Liberia semble faire exception, Ellen Jonhson Sirleaf ayant été élue présidente de la République dans la période post conflit. Même s'il est accepté que lors du conflit les normes sociales soient bouleversées, et que par nécessité les femmes soient amenées à jouer des rôles de leaders, il ne faut pas se méprendre car la période post conflit représente généralement une période de retour à l'ordre. C'est une aspiration logique, celle de revenir à l’état normal des choses faisant du conflit une parenthèse malheureuse. Ceci explique en partie pourquoi les femmes sont exclues des tables de négociation, elles sont appelées à reprendre leurs rôles traditionnels. Il est assez rare que les hommes arrivent à porter la voix des femmes, alors si elles sont absentes au lendemain du conflit lorsque les modalités d'organisation de la paix et de la future société sont débattues, qui porte la voix des femmes ? Au Libéra, depuis l'élection de la présidente Johnson, ont été mis en place des programmes d'assistance aux femmes ex-combattantes et une législation anti-viol.64 L’ONU travaille activement afin de créer un sujet de droit féminin en temps de guerre afin de pallier les carences actuelles. a) Construire un sujet féminin en période de guerre Évidemment les femmes sont les premières « victimes » des carcans idéologiques qui les entourent, à la fois sujet et matière, elles ont dans bien des cas des difficultés à sortir des rôles qui leurs ont été inculqués, entre soumission et passivité. Il ne faut pas négliger le poids de « l'autocensure » qui ne fait que perpétuer sans cesse le cercle des stéréotypes. C'est pour cette raison que l'ONU a particulièrement travaillé sur l'empowerment féminin. Dans la Convention pour l’élimination de toutes formes de discriminations à l'égard des femmes, il était déjà pointé le fait que plus pauvres, elles ont tendance à être plus exclues des sphères décisionnelles. Mais cette volonté d'associer les femmes au processus de paix est un travail de 64 ITANO Nicole, « The Sisters-in-Arms of Liberia’s War », The Christian Science Monitor, 26/08/2003 29 longue haleine. Déjà la Plateforme de Beijing de 1995, élaborée lors de la Conférence mondiale sur les femmes, exprime la préoccupation de la communauté internationale pour les femmes présentes dans les conflits armés, il s'agit d'un des douze points traités dans le texte. Ce texte met en lumière l'ampleur de la violence à l'égard des femmes en tant que victimes civiles, affirmant également que les petites filles ont un statut social plus mauvais que celui des garçons à âge égal. Cet instrument pointe une nouvelle fois le problème de l'absence des femmes dans la reconstruction post conflit. Malheureusement la déclaration ne va pas au-delà des normes de droit humanitaire déjà établies et demande uniquement de faire respecter ce dernier tel qu'il existe. A l'article 28, le texte prend en considération le rôle actif des femmes, mais uniquement dans les mouvements pacifistes. L'ONU a fixé en l'an 2000 un certain nombre d'objectif pour le millénaire à venir, les Objectifs du Millénaire pour le Développement fixent l'égalité homme/femme comme objectif à atteindre d'ici à la fin du millénaire. Les considérations sexo-spécifiques font partie intégrante de tous les objectifs, au-delà d'un simple texte ceci démontre que la communauté internationale souhaite faire de ce millénaire celui de la femme et reconnaît son droit à l'émancipation. La victimisation des femmes dans la guerre se résorbe peu à peu, mais le tournant décisif pour les activistes des droits des femmes a été la résolution 1325 adoptée par le CSNU. Cette résolution d'octobre 2000 « Femmes, paix et sécurité » demande une plus grande protection et intégration des femmes dans le processus de consolidation de la paix, leur conférant un rôle dans la prévention des conflits et le processus de paix. Un important travail a été accompli afin d'assurer que les femmes participent activement à la prévention mais également au processus de paix, que leurs voix soient entendues. Il y a une forte volonté de sortir de l'image de la femme passive pendant le conflit et après le conflit, « la résolution a souligné l’importance de la participation égalitaire des femmes et de leur pleine implication dans les efforts pour maintenir et pour promouvoir la paix et la sécurité ».65 La résolution a souligné l’importance de répondre aux besoins spécifiques des femmes et des filles dans la reconstruction au lendemain d’un conflit, incluant les besoins spécifiques des combattantes qui diffèrent de ceux des combattants. Tous les acteurs sont invités à assurer la pleine participation des femmes aux processus de paix et à « incorporer une perspective fondée sur les sexes dans tous les efforts des Nations unies en matière de paix et de 65 Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 30 sécurité »66. La résolution interpelle le SGNU pour qu’il élargisse le rôle et la contribution des femmes dans les opérations de terrain de l’ONU. Le viol est définitivement considéré comme une souffrance de guerre, pas consubstantielle à celle-ci mais favorisée par cette dernière. Cette résolution est considérée comme une des plus importantes pour la reconnaissance des droits des femmes par les activistes des droits des femmes. En effet, c’est le premier véritable outil à proposer une solution de long terme, qui ne fait pas que condamner mais qui donne un rôle aux femmes, le droit et même le devoir de participer à la reconstruction de leur pays. Cette résolution tend dès lors à favoriser le droit des femmes en général en créant un sujet de droit féminin, qui ne sera pas uniquement considéré au regard des violences qu'elle subit de la part des hommes. Les résolutions 1820 de 2008 et 1899 de 2009 vont venir reprendre une vision plus traditionnelle, qui d'ailleurs n'était pas absente de la résolution 1325, sur les femmes, conflits et violences sexuelles. La première porte sur la situation des femmes dans les conflits armés, et reconnaît que les violences sexuelles sont de plus en plus utilisées en tant que méthode de guerre. La résolution a également lancé un appel pour que tout le personnel déployé par l’ONU soit formé sur ces questions, dû notamment aux nombreux viols rapportés commis par des membres du personnel humanitaire, les Casques Bleus ou par le personnel du HautCommissariat aux Réfugiés (HCR), sur les femmes qu'ils sont censés protéger. La résolution 1899 vient enrichir la résolution 1325 en analysant le rôle des femmes dans les processus de paix et au lendemain des conflits. Cette résolution pointe la sous-représentation des femmes à toutes les étapes des processus de paix, et leur marginalisation dans la vie publique au lendemain des conflits. Par la suite, l'ONU a mis en place des unités de maintien de la paix exclusivement féminines Women's Auxiliary Corps ou Women military commandos. Après avoir pris les armes au cours de la guerre, elles sont amenées à participer au processus de maintien de la paix. Ceci a été couronné de succès puisque les populations civiles avancent que ces dernières travaillent de façon plus « compassionnelle », les femmes sont plus facilement perçues plus comme fonctionnaires de l'ONU que comme des envahisseurs. Il y a eu un doublement des recrues féminines au sein des agents de police de l'ONU, le Liberia a été laboratoire de cette pratique. La multiplication des recrues féminines a permis de répondre aux problèmes des 66 Conseil de Sécurité, Résolution 1325 (2000) Adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4213e séance, le 31 octobre 2000 31 abus sexuels effectués par les Casques Bleus eux-mêmes.67 b) Un sujet dont les rôles demeurent encore trop limités Il est très difficile d'avoir un droit des femmes conforme aux réalités concrètes dans un monde ou le masculin est survalorisé, et où les femmes sont sous représentées dans les sphères d’influence. Pour Tamar Pitch, l'important est de créer un sujet de droit féminin, car jusqu'alors la différence à signifier l'inégalité. Il faut donner une autre clef de lecture que le masculin pour donner des droits aux femmes en tant que femmes et non compenser les affres que leur font subir les hommes.68 L'avantage de ces dernières Résolutions, est bien que même si elles ne traitent pas exclusivement de femmes combattantes, elles ne poursuivent pas la tendance qui était à l'infantilisation des femmes en période de conflit armé. Toutefois, il ne faut pas se méprendre car si les femmes sont mobilisées lors de la période post conflit, c'est bien que l'on reconnaît leurs « soi-disant » qualités de pacificatrices, leurs aptitudes maternelles. Même si ceci témoigne d'une avancée considérable, puisque la communauté internationale leur reconnaît un rôle moteur quant au déroulement des hostilités, ce rôle reste cloisonné à des préjugés bien ancrés. La femme, pacificatrice naturelle, natural peace maker69qui, portant la vie, ne peut tolérer qu'on lui porte atteinte. Derrière cette avancée se cachent des carcans encore bien enracinés, qui ne permettent pas de prendre en compte effectivement le rôle de la femme agressive, meurtrière, l'image d'une combattante qui tue pour survivre ou peut-être même pour le plaisir. Et pourtant, certaines vidéos relativement récentes montraient bien des soldates américaines torturant des détenus irakiens. Les femmes sont présentes dans les forces armées régulières et commettent les mêmes violences que les hommes. Déjà les expériences de la Deuxième Guerre mondiale ont montré que leur effectif représentait approximativement le dixième du total des forces armées. Cette dynamique n'a pas faibli, il a bien une place pour la femme dans les armées, cependant elle sera plus facilement perçue comme une sous-combattante, subalterne. Mais il y a toujours cette peur de les assimiler au combat. « L’État d'Israël, qui est le seul pays à connaître un 67 68 69 ITANO Nicole, « The Sisters-in-Arms of Liberia’s War », The Christian Science Monitor, 26/08/2003 PITCH Tamar, « Femmes dans la droit, femmes hors du droit ? Justice sexuée, droit sexué », Déviance et société, 1992 - Vol. 16 - N°3. pp. 263-270. PUECHGUIRBAL Nadine, Le genre entre guerre et paix Conflits armés, processus de paix et bouleversement des rapports sociaux de sexe, étude comparative de 3 situations en Erythrée, Somalie et Rwanda, Dalloz, 2007 32 service militaire obligatoire pour les femmes, ne les fait pas participer directement au combat. En cas de guerre, le personnel féminin des états-majors de bataillon et de brigade est retiré à l'arrière ».70 Ceci ne signifie pas qu’aucune femme ne participe jamais aux hostilités, ou qu'elles participent de façon ponctuelle. Tous les continents sont concernés, l’Amérique latine, l’Asie, et l’Afrique particulièrement, elles ont été amenées à se mobiliser en Érythrée, représentant 34% de certains groupes armés71. Bien souvent cette mobilisation est exceptionnelle, il faut reconnaître qu'après le conflit le nombre de femmes dans les armées régulières chute.72 Mais même lorsqu'elles participent, non seulement elles ne sont pas protégées efficacement en tant que combattantes, mais en plus de cela elles sont discriminées car elles ne sont pas dans leur élément naturel. Les femmes dans forces armées sont des victimes au sein même de leur groupe. Aux États-Unis, les femmes GI souffrent de ce manque de considération, elles sont victimes de violences dans le groupe, mais bien au-delà l’État lui-même à tendance à exacerber cette discrimination. Les combattantes GI ayant participé aux conflits, comme tout autre combattant, ne se voient pas reconnaître le statut de vétéran. De nombreux droits d'excombattant ne lui sont pas admis, alors qu'on comptabilise 25 000 femmes ayant participé aux conflits irakien et afghan.73 Paradoxalement, comme toute personne vulnérable, comme les enfants, elles souffrent au sein du groupe armé, mais peu d'outils juridiques viennent la protéger contre cela. De la sorte, nous avons vu que les femmes restent protégées en tant que victimes lors des conflits armés, même si désormais on admet qu'elles jouent un rôle actif notamment dans le processus de pacification. L'une des meilleures leçons à tirer, peu importe quel rôle est attribué aux femmes, est que le conflit armé est désormais intégralement pensé en terme de genre. La communauté internationale prend en compte les réalités que vivent les femmes lors des hostilités, mais nous voyons que malgré cela la combattante n'est pas pleinement prise en considération. Malgré cette sur-médiatisation et le sur-déploiement d'outils concernant les 70 71 72 73 KRILL Françoise, « La protection de la femme dans le droit international humanitaire », 1985, Revue Internationale de la Croix Rouge, numéro 756 PUECHGUIRBAL Nadine, Le genre entre guerre et paix Conflits armés, processus de paix et bouleversement des rapports sociaux de sexe, étude comparative de 3 situations en Erythrée, Somalie et Rwanda, Dalloz, 2007 ZONGO Abdelaziz, Les femmes entre instrumentalisation et Victimisation dans les conflits armés, Les écoles Saint Cyr Coetquidan, 2008 BRUNSWICK Mark, « Etats-Unis : Pas d’égards pour les anciennes combattantes », Courrier international, Numéro spécial femmes 6-12/01/2011 n°1053 p.30-32 33 droits des femmes, elles sont encore trop peu présentes dans les processus de médiation, et donc leurs besoins ne sont que peu pris en compte au niveau national. Il leur est encore et toujours refusé le rôle qui a été accordé aux enfants, à savoir la reconnaissance pleine et entière en tant que personnel des groupes armés. Et pourtant, comme eux elles souffrent particulièrement au sein du groupe armé. A travers l'exemple des enfants-soldats, nous voyons bien qu'une limite se dessine, la prise en compte des perspectives de genre est restreinte par des présupposés encore bien ancrés. La fille est encore trop enfermée dans son rôle de femme, naturellement passif, pacificatrice à qui on refuse le port des armes. Tous les enfants ne sont donc pas protégés de la même manière. En faisant appel au sens commun, la première image qui vient à l'esprit de n'importe qui lorsque l'on mentionne un enfant-soldat est bien celle d'un petit garçon portant une kalachnikov. Et il s’agit d'ailleurs généralement des images véhiculées par les ONG, ne représentant quasi exclusivement que des garçons armés d’AK-47. Les filles-soldats ne sont pas des enfants-soldats comme les autres, elles sont vues avant tout des êtres de sexe féminin.74 Malgré le fait que les enfants soient associés aux conflits armés, il faut bien comprendre que le genre empêche d'inclure les filles pleinement dans l'imaginaire collectif qui entoure les enfants-soldats. Et pourtant, un peu femme et un peu enfant, elles souffrent comme les femmes des violences de genre, mais sont à la fois des enfants en armes comme les autres. Nous allons donc maintenant nous attacher à expliciter comment les liens complexes entre femmes et guerre/violence établis plus haut ont permis de forger une image de l'enfant-soldat exclusivement masculine. Section 2 - La prise en considération de l'enfant comme soldat à l’épreuve du genre L'enfance a-t-elle un genre ? Si l'enfant, qu'importe le sexe, est soumis au patriarcat, nous pouvons vous demander en quoi est-il pertinent de faire la différence entre les garçons et les filles. La prise en considération plus grande des femmes dans la guerre inclue aussi les filles, la plupart des dernières résolutions portent une attention particulière aux deux, femmes et filles comme pour mettre l'accent sur le fait que ces dernières font bien partie avant tout de la « minorité féminine ». A l'inverse, les instruments juridiques relatifs aux enfants-soldats 74 Save The Children, « Forgotten Casualties of War Girls in armed conflict », 2005 34 n'ont que tardivement acceptés de mentionner explicitement les deux sexes. Malgré le fait que les filles participent au moins autant que les garçons, elles sont moins visibles. Femmes et enfants en même temps, elles vivent donc une double discrimination permanente. Radhika Coomaraswary explique que les filles sont touchées de cinq façons différentes par le conflit : elles sont victimes de violences de genre, victimes de guerre, d'enrôlement, elles font parties des réfugiés, elles sont soumises à des risques de traite et exploitation, mais elles sont souvent également orphelines à la tête d'une famille. Il faut considérer que toutes ces atteintes sont bien évidemment cumulables et non exclusives. Nous comprenons donc que les filles ne sont donc pas épargnées par l’enrôlement, elles sont également des cibles des groupes armés, qui cherchent à les intégrer. En effet Radhika Coomaraswary décrit les raisons de l'engagement des filles-soldats, dans bien des cas elles ont autant voire plus de raisons de s'engager que les garçons.75 Nous verrons par conséquent que le statut particulier des filles n'a pas su être traité efficacement par la communauté internationale, qui a peiné à assimiler les filles aux groupes enfant-soldat (1). Mais nous verrons également par la suite, comment ces filles soldats sont devenues un enjeu de définition notamment devant les tribunaux pénaux internationaux (2). (1) La fille soldat, un rôle ambigu et des instruments internationaux inadaptés Deux cents millions de filles vivaient en 2008 dans un pays en proie à un conflit 76 armé. Dyan Mazurana et Suzann Mac Kay se sont tout particulièrement penchées sur le rôle des filles et jeunes femmes dans les forces armées. Leurs travaux ont permis de remettre en cause les présupposés auxquels nous sommes confrontés et d'expliciter la souffrance de ces filles si peu prises en considération. Premièrement, les jeunes femmes et les filles sont présentes dans les forces armées, régulières ou non, au même titre que les garçons de leurs âges. Deuxièmement, les filles sont victimes d'un recrutement actif qui les cible particulièrement, ce qui signifie qu'elles ne sont pas prise « par défaut » si absence de garçons. Elles sont victimes comme les garçons d’enlèvement, cibles de pressions psychologiques pour 75 76 COOMARASWAMY Radhika, Représentante spéciale pour les enfants dans les conflits armés auprès de l'ONU, « Les filles en temps de guerre: esclave sexuelle, mère, aide domestique, soldat », Chronique ONU, 2009 Plan, « Parce que je suis une fille », La situation des filles dans le monde en 2008, Le point sur les filles dans l'ombre de la guerre, 2008 35 favoriser leur engagement. Le nombre concret d'enfants-soldats est difficile à déterminer, alors qu'en est-il du nombre de filles inclues dans les groupes armés ? Cependant selon Mazurana et Mac Kay, les filles représenteraient 120 000 d’enfants-soldats dans le monde. Elles seraient surtout présentes en Éthiopie, Sierra Leone, Ouganda, Pérou, El Salvador et particulièrement en Colombie. Ce sont en majorité les forces armées irrégulières qui les recrutent, les groupes d'opposition ayant un personnel moins fixe et une structure techniquement moins rigide. La difficulté d'appréhender la femme dans la guerre empêche d'autant plus de penser la fille dans la guerre, car elle est encore plus vulnérable que la femme. Et pourtant c'est une combattante comme un autre, elles ont les mêmes motivations que les garçons, parfois même plus de raisons de quitter le foyer qu'eux et de rejoindre les groupes armés. A la lumière de ce qui a été dit auparavant, nous pouvons même comprendre comment elles sont des cibles privilégiées des groupes qui recrutent des enfants. a) Pour quelles raisons les filles se retrouvent-elles au front ? De façon générale, les raisons pour lesquelles un enfant-soldat se retrouve dans les forces armées sont multiples. L'enfant est la cible d'enrôlement forcé ou de conscription obligatoire, notamment enlèvements par les forces armées qui les attaquent lorsqu'ils sont isolés, mais qui attaquent également délibérément des écoles. Ils s'engagent aussi volontairement, souvent pour des raisons économiques, car étant durement touchés par la pauvreté qui s'aggrave avec le conflit armé, ils vont être séduits par ces groupes qui arborent des signes extérieurs de richesse et qui leur promettent « une vie digne ». Par ailleurs, il ne faut pas minimiser le poids des idéologies pour ces esprits encore trop faibles. Bien souvent le désir de vengeance des siens est une motivation supplémentaire, ou même l'honneur d'être considéré comme un small soldier et de pouvoir arborer fièrement leurs armes comme les autres soldats.77 Cependant, la raison la plus évidente provient des conditions de vie de ces enfants qui cherchent une protection physique et matérielle au sein des groupes armés. Pour beaucoup d'orphelins ayant perdu leurs parents pendant la guerre, il est nécessaire pour survivre de chercher un autre « foyer », de fuir sa condition. 77 KOUROUMA Ahmadou, Allah n’est pas obligé, éditions du Seuil 2010 36 Au regard de ces raisons nous pouvons maintenant analyser en quoi l'engagement des filles au sein des forces armées n'est pas complètement illogique avec leur condition de femme, bien au contraire. Premièrement, les filles en période de guerre sont victimes de violences très fortes, notamment sexuelles dans et hors du foyer. Ceci n'est absolument pas en contradiction avec l'engagement dans les forces armées, car il ne faut pas oublier que c'est surtout au sein du foyer que la femme est la plus victime de violences.78 Appartenant à la sphère privée, c'est bien là qu'elles courent les plus gros risques. Des études démontrent qu'à l'inverse d'une agression masculine, dans la majorité des cas, la femme connaît la personne responsable de son agression. Ce sont des chiffres à mettre en balance en cas de conflit armé, et également car les recherches ont plutôt été effectuées en Europe. Mais leur condition au sein du foyer explique pourquoi les groupes armés représentent pour elles une alternative.79 En Erythrée par exemple, des filles de 12 ans s'engagent pour éviter le mariage forcé.80 Si l'on prend en considération toutes les atteintes que subissent les filles en temps normal : excision, repassage des seins, agression, etc., il est logique qu'elles cherchent à tout prix à fuir leurs foyers. L'enrôlement idéologique est en outre très important, notamment au regard de ce qui a déjà été mentionné plus haut, les femmes sont les cibles des groupes qui cherchent à les inclure afin de compter dans leurs rangs des personnes les plus représentatives de la population et recréer une microsociété. Ceci arrive bien souvent lorsque le groupe armé a des revendications politiques comme cela peut être le cas en Colombie ou au Nicaragua. Les Tigres Tamouls sri-lankais incitaient spécifiquement les femmes à s'engager dans le groupe armé au nom de la libération de la femme. Elles représentent un enjeu politique stratégique. Mais l'engagement est également un moyen de subsistance, le rapport Machel met en lumière le fait que de nombreuses filles se retrouvent à la tête de leur famille très jeunes, elles doivent remplacer les parents partis ou décédés. Au Rwanda, 65 000 foyers étaient dirigés par des enfants pendant la guerre, et 90% d'entre eux étaient des filles.81 Il est donc nécessaire pour elles de trouver des fonds pour subvenir aux besoins des frères et sœurs. Dans la biographie 78 JAQUIER Véronique et VUILLE Joëlle, Les femmes : jamais criminelles, toujours victimes ? N°59, Les éditions de L'Hèbe, 2009 79 Ibid. 80 PUECHGUIRBAL Nadine, Le genre entre guerre et paix Conflits armés, processus de paix et bouleversement des rapports sociaux de sexe, étude comparative de 3 situations en Erythrée, Somalie et Rwanda, Dalloz, 2007 81 ZONGO Abdelaziz, Les femmes entre instrumentalisation et Victimisation dans les conflits armés, Les écoles Saint Cyr Coetquidan, 2008 37 d'Ahmadou Kourouma Allah n'est pas obligé, l'auteur raconte sa vie d'enfant-soldat et met surtout en avant le besoin matériel qui guide ces enfants. En tant que protagoniste principal de son histoire, il raconte qu'il sera amené à changer plusieurs fois de groupe au cours de son enfance comme beaucoup d'enfants, il rechercha avant tout la sécurité. Mais cela peut également être pour les filles une opportunité pour l'avenir, un moyen d'avoir une certaine « porte de secours ». Les filles étant moins mobiles et ayant moins accès école, pour elles, entrer dans un groupe armé c'est aussi un moyen de s’émanciper. Certaines femmes arrivent à des niveaux relativement hauts de la hiérarchie militaire et ont des grades importants, ce qui leur confère une reconnaissance indiscutable au sein du groupe.82 Pour les plus jeunes orphelines, elles vont rechercher une nouvelle autorité qui va les protéger, le contrôle incessant qui guide les filles et les femmes toute leur vie les entraîne à chercher la protection d'un homme si elles sont amenées à se retrouver seules. Mais l'enfant peut également ne pas avoir du tout le choix, être enlever, kidnapper, être tout simplement né au sein des forces armées et ne peut avoir d'autres options que d'y vivre toute sa vie. Il peut également être forcé par l’État à prendre les armes ou même donné par ses parents pour diverses raisons. Nous pouvons comprendre pourquoi les filles s’enrôlent mais pourquoi cibler ces êtres « si faibles par nature » ? Elles sont choisies par les groupes armés pour leurs aptitudes spécifiques. Elles sont tout aussi corvéables que les garçons, et peut être même plus soumises car elles ont intériorisé les codes enfantins et féminins. Ainsi, à ce stade de la croissance rien ne prouve qu'elles soient plus faibles que les garçons. Elles sont bien au contraire des combattantes redoutables. Certains militaires mettent en avant la violence particulière des femmes lors des conflits. Peut-être cette violence est simplement plus remarquée car elle est inattendue, mais le fait est qu'en réalité les femmes sont souvent plus agressives lors des conflits, tout simplement dans le but de se montrer égale à l'homme.83 Elles vont plus souvent avoir tendance à effacer cette impression de candeur, tout comme les enfants qui sont connus pour être moins peureux n'ayant pas la même notion du danger que les adultes. Une plus grande agressivité, combinée avec une plus grande discrétion – puisqu'on ne s'attend pas à ce qu'elles portent les armes – 82 KEITETSI China, La petite fille à la Kalachnikov : Ma vie d’enfant soldat, Editions GRIP-Complexe, UnicefFrance, 2004 83 GAGNE Julie, RIOUX Jean Sébastien, Femmes et conflits armés : réalité, leçon et avancement, Presses Université Laval, 2005, Collection politique étrangère et sécurité, 2005 38 ceci fait d'elles des combattantes particulièrement intéressantes. Par ailleurs, lors des attentatssuicides on utilise des femmes ou des filles prêtent à se sacrifier car elles ont plus de chances de ne pas être repérées, et sont plus intrépides que leurs collègues masculins.84 La sociologue Mead explique que les femmes ont une plus grande propension à tuer dans les conflits armés, car elles gèrent moins bien le stress et qu'elles sont moins habituées à refréner leur agressivité latente.85 Mais Ahmadou Kourouma, ayant vécu lui-même la vie d'enfant-soldat et ayant vécu avec ces filles-soldats, met l'accent sur la plus grande brutalité des filles qui jure avec la grande vulnérabilité qui semble les définir. Mais en outre, il faut également se pencher sur ce qui a déjà été dit plus haut au regard de la relation femme et utilisation de la violence. Consciemment ou non, utiliser des femmes et surtout des filles comme combattantes face à des hommes, c'est aussi humilier les hommes rivaux.86 Par ailleurs, ces filles sont enrôlées car, en plus de leur rôle de combattante, elles remplissent d'autres rôles dits plus « traditionnels » incombant généralement à la femme. Dans la vie quotidienne la femme est plus encline à réaliser des activités diverses, elle est « multitâches » mêlant travail et fonctions domestiques. Si les femmes « savent faire plusieurs choses à la fois » c'est bien souvent qu'elles ont été éduquées comme cela : être épouse, s’occuper de la maison, éduquer les enfants, travailler, etc. Dans le groupe armé, la vie quotidienne est reproduite, elles sont espionnes et cuisinières le jour, esclaves sexuelles la nuit, et même soldates. Elles ont donc dans les forces armées des rôles qui combinent « rôles féminins » comme femme de ménage ou être un objet sexuel, mais aussi des rôles dits plus « masculins » comme aller au front. Leurs fonctions sont décrites par Mazurana et Carlson, sur un échantillon qu'ils ont interrogé : 41% des filles disent avoir rempli un rôle de combattantes, 25% porteurs, 13 % de cuisine, 18% étaient des camp followers, 21% espionnes et pour 28% elles ont prodigué des services sexuels.87 Le sexe n'est pas forcément un marqueur de rôle, certains groupes en Ethiopie interdissent le sexe entre hommes et femmes dans l’armée, l’énergie devant être 84 MAZURANA Dyan, MAC KAY Susan, Où sont les filles? Droit et Démocratie, 2004 ZONGO Abdelaziz, Les femmes entre instrumentalisation et Victimisation dans les conflits armés, Les écoles Saint Cyr Coetquidan, 2008 86 GAGNE Julie, RIOUX Jean Sébastien, Femmes et conflits armés : réalité, leçon et avancement, Presses Université Laval, 2005, Collection politique étrangère et sécurité, 2005 87 CARLSON Khristopher, MAZURANA Dyan, « The girl child and armed conflict: recognizing and addressing grave violations of girls’ human rights », United Nations Division for the Advancement of Women, 2006 85 39 concentrée sur les combats.88 Cependant, dans bien des cas le sexe fait complètement partie des causes du recrutement. Mais le fait de jouer ces rôles n'est pas exclusif, elles sont également combattantes à part entière. A part par autocensure émanant de ces filles ou des commandants, nous voyons bien qu'il n'y a pas de vraies raisons de ne pas les inclure dans au sein des armées. En outre, on considère que femmes plus âgées et les filles très jeunes sont celles qui peuvent quelques peut se détacher du patriarcat, on va tolérer des comportements chez la fille qui sont intolérables chez la femme. Penser que la fille ne sera pas recrutée justement parce qu'elle est une fille n'est pas très pertinent. Au cours du conflit sierra-léonais, il était recensé des small girls units, comprenant exclusivement des filles entre 6 et 15 ans.89 Tout comme les garçons elles commettent des exactions au front. Cette difficile acceptation de la violence des filles n'est pas propre aux groupes armés. En effet, dans le monde entier de façon générale nous avons tendance à réfuter toute violence provenant de la jeune fille. L'idée fausse est répandue que les jeunes filles n'ont pas recours à des actes pénalement incriminables. Les professionnels du droit alimentent cette croyance, mais en réalité Véronique Jaquier et Joëlle Vuille mettent en lumière que bien souvent les jeunes filles ne sont pas comptées dans les chiffres de la délinquance juvénile.90 Elles sont évincées des statistiques car on se refuse à les imaginer violentes et agressives, mais également parce que les juges, par paternalisme juridique, auront tendance à être plus cléments avec ces dernières. Ceci fausse notre vision et participe à la diffusion de cette idée erronée que les filles sont « incapables » de faire du mal. Dans le cas de la fille faisant partie du groupe armé, non seulement il s'agit d'une combattante invisible qui n'est pas reconnue comme combattante par les autorités en charge du problème, mais en plus c'est une combattante spécifique à la fois soldat et « épouse ». 88 89 90 GAGNE Julie, RIOUX Jean Sébastien, Femmes et conflits armés : réalité, leçon et avancement, Presses Université Laval, 2005, Collection politique étrangère et sécurité, 2005 CARLSON Khristopher, MAZURANA Dyan, « The girl child and armed conflict: recognizing and addressing grave violations of girls’ human rights », United Nations Division for the Advancement of Women, 2006 JAQUIER Véronique et VUILLE Joëlle, Les femmes : jamais criminelles, toujours victimes ? N°59, Les éditions de L'Hèbe, 2009 40 b) L’impossibilité de trouver des instruments juridiques adaptés à la complexité de leur rôle C'est souvent le travail domestique ou d'épouse de brousse, de bush wife, qui va primer. Elles auront plus facilement tendance à être assimilées à des esclaves sexuelles, des prisonnières ou des civiles obligées de suivre les troupes, ne mettant en avant que leur travail domestique ou sexuel. Ces filles se considèrent en réalité en premier lieu comme des combattantes lorsqu'elles parlent aux personnes de confiance chargées de leur réinsertion.91 Combattantes, mission suicide, porteuses, cuisine, camps followers, espionnes, pilleuses, services sexuels, voici quelle est la réalité des filles recrutées dans les forces armées. Même au sein des forces armées, le conflit est vécu différemment que l'enfant-soldat soit fille ou garçon. Elles ont donc un rôle très difficile à appréhender, et en particulier lorsque ces filles sont prises de forces par les commandants et deviennent des épouses de brousse.92 Ces femmes prises par force par les commandants ne sont pas forcément les plus mal loties, elles font quelques fois le « choix » d’être épouse de commandant car cela les met à l’abri du besoin matériel, et en même temps cela peut leur conférer un certain statut selon le grade de leur époux. Et par-dessus tout, cela les protège contre les viols des autres membres du groupe. Par ailleurs, dans plusieurs rapports il est relevé que « les femmes de » peuvent avoir un rôle important, notamment, bien qu'elles soient souvent mineures elles doivent s'occuper des autres enfants-soldats plus jeunes.93 Mais pour les autres qui n'ont pas ce statut la vie dans le camp est tout aussi difficile, particulièrement en ce qui concerne les violences sexuelles. En effet un rapport de Save The children a même démontré que le viol fait partie intégrante du processus de recrutement. Les filles sont formées au combat mais également violées afin d'être pleinement « intégrées » au groupe, une fois qu'elles ont été possédées sexuellement elles appartiennent complètement au groupe.94 Les autres enfants-soldats de sexe masculin sont même obligés de « prendre possession » des filles afin de leur donner plus de virilité et donc plus force.95 Ahmadou Kourouma explique de la sorte qu'un enfant cesse d'être enfant dans le groupe armé que lorsqu'il n'est plus puceau. Elles sont donc soumises à 91 HYDE Blanche, « Enfants ex-soldats en Sierra Leone », Sud/Nord, 2002 no 17, p. 131-140 KEITETSI China, La petite fille à la Kalachnikov : Ma vie d’enfant soldat, Editions GRIP-Complexe, UnicefFrance, 2004 93 Save The Children, « Forgotten Casualties of War Girls in armed conflict », 2005 94 Ibid. 95 IRWIN Rachel, « Les enfants soldats ordonnés de violer », Le Procès de Lubanga à la Cour Pénale Internationale, semaine 5, 27/05/ 2009 92 41 des viols stratégiques, techniques de guerre, mais aussi dans ce cas à des viols de confort liés à la sphère privée. Toutefois il faut émettre une précision sur ce point, le fait que l'on considère les filles comme particulièrement vulnérables aux sévices sexuels est une réalité, mais cela ne signifie en rien que cette pratique soit uniquement réservée aux filles. En effet, le viol est une pratique outre l’assouvissement sexuel qui vise à provoquer l'humiliation, les viols commis par les forces armées, dans et hors du groupe, sont aussi perpétués sur des hommes, enfants ou non. Des rapports relatent ces faits, néanmoins il est très difficile d’être informé sur ce sujet car les viols étant considérés comme honteux et par nature les victimes étant de sexe féminin, ces derniers sont très peu rapportés par les victimes et encore moins lorsque ce sont des hommes. Il faut noter que la plupart des instruments internationaux avancent que la femme sera particulièrement protégée contre le viol, pas forcément l'homme. Encore une fois ce sont les considérations de genre qui empêchent de prendre en compte de façon effective les réalités que vivent les enfants-soldats dans les groupes armés. Deux témoignages d'ex enfants-soldats attestent cette réalité, puisque dans les deux récits autobiographiques étudiés un petit garçon96 ou bien une fille-soldat habillée comme un garçon97 ont été soumis à des pressions sexuelles, voire à des attouchements. Dans les deux cas les « agresseurs » étaient en réalité des « agresseuses ». Cependant, nous pouvons tout de même relever qu'autant les deux sexes sont autant victimes, généralement chez les femmes ceci est une des raisons du recrutement. Durant le conflit qui a ravagé la Sierra Leone, on estimait à 64 000 le nombre de femmes et de filles qui ont été violées, 25 % d’entre elles avaient moins de 13 ans.98 Le rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la violence envers les femmes estime à des dizaines de milliers le nombre de femmes et d’enfants qui y ont été violés en RDC. Son rapport révèle que 55% de toutes les victimes sont âgées de 10 à 17 ans et que 10 % d’entreelles ont moins de 10 ans. Ces chiffres mêlent civils et soldates mais ceci donne un bon aperçu de l'étendue du problème des violences sexuelles que subissent les filles, car sein des groupes armés les recrues féminines sont à « libre disposition » des combattants. 96 KOUROUMA Ahmadou, Allah n’est pas obligé, éditions du Seuil 2010 KEITETSI China, La petite fille à la Kalachnikov : Ma vie d’enfant soldat, Editions GRIP-Complexe, Unicef-France, 2004 98 Plan, « Parce que je suis une fille », La situation des filles dans le monde en 2008, Le point sur les filles dans l'ombre de la guerre, 2008 97 42 En 1997 le rapport Machel sur l'impact des conflits armés sur les enfants est publié, il s'agit du premier document officiel qui affirme qu'un tiers des combattantes sont des jeunes femmes. Le rapport affirme que les filles jouent un rôle particulier au sein des groupes armés, et que le terme enfant-soldat recoupe non seulement les deux sexes, mais également plusieurs réalités. Mais pour reprendre le titre de l'ouvrage de Dyan Mazurana et Susan Mac Kay, il est pertinent de se demander « Où sont les filles ? ». Invisibles pour des raisons psychologiques, l’incapacité à les concevoir comme combattantes, et des raisons techniques, elles sont cachées par les commandants ou « disparaissent » après le conflit. Mais également car victimes de stigmatisation, elles préfèrent ne pas être considérées comme des enfants-soldats. Invisible physiquement mais aussi invisible théoriquement, ce n'est que tardivement que les instruments internationaux vont s'atteler à prendre en compte leur réalité. La RCS 1261 de 1999 souligne l’importance de prendre en considération les besoins spécifiques des filles sans toutefois émettre des recommandations précises. Cette résolution relaye cette vision unique sur les filles inclues dans les groupes armés pour des raisons sexuelles en priant instamment « toutes les parties à des conflits armés de prendre des mesures spéciales pour protéger les enfants, en particulier les petites filles, contre le viol et les autres formes de violences sexuelles et fondée sur le sexe dans les situations de conflit armé ». La résolution 1882, déjà mentionnée, fait de la violence sexuelle contre les enfants, filles ou garçons, un critère qui permet de noter le pays sur la liste des pays « honteux ». Ce critère faisant désormais du procédé de naming and shaming, et figurant dans les annexes du rapport du SGNU sur les enfants et les conflits armés. En 2009 le CSNU « demande donc à ce que les parties responsables de violence sexuelle contre les enfants et celles qui tuent ou mutilent des enfants en toute impunité figurent également sur la liste de la honte».99 A ce jour on peut considérer qu'un seul outil réellement complet considère tous les aspects des enfants-soldats et prend en compte efficacement les filles-soldats, et non uniquement sur l'aspect sexuel. Déjà un premier pas avait été amorcé avec la rédaction de la définition du Cap, qui inclut les filles recrutées à des fins sexuelles comme enfants-soldats à part entière, sans faire de distinction entre une enfant-soldat et une enfant associée aux groupes armés. Ce sont surtout les Principes de Paris de 2007 qui vont décrire les besoins des 99 Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 43 filles-soldats de façon particulièrement efficace.100 Cet instrument juridique prend en compte toutes les dimensions de genre, dès l'introduction, les rédacteurs se soient attachés à prendre en considération la sexo-spécificité des enfants-soldats en faisant que chaque article n'oublie pas de prendre en compte que sous le terme enfant se trouvent des garçons et des filles. En outre, cette convention retrace tous les aspects de la vie d'enfant-soldat : l’intégration, la vie dans le camp, la libération, le désarmement et la réintégration, chaque partie est constituée d'unesous-partie traitant spécifiquement des filles qui viennent compléter les principes directeurs concernant les filles. « On compte presque toujours un nombre important de filles parmi les enfants associés à des forces armées ou groupes armés. Toutefois, pour toute une série de raisons, ces filles bénéficient rarement d’une assistance. La situation et l’expérience des filles et des garçons présentent des points communs, mais la situation des filles peut être très différente en ce qui concerne les raisons et les modalités de leur association avec les forces armées ou groupes armés ; les possibilités de libération ; l’impact de cette association sur leur bien-être physique, social et affectif ». Le point 6 dénommé « Prévention du recrutement et de l’utilisation illégaux des filles », reconnaît que les filles s'engagent pour fuir la violence sexuelle, mais qu'en même temps elles sont admises comme épouses et subissent des violences sexuelles à l'intérieur du groupe. Elles doivent avoir les mêmes droits que les garçons, ce qui inclut le droit à l’éducation, et elles sont particulièrement exposées au recrutement forcé, notamment lorsque elles vont chercher de l'eau pour le foyer. Il s'agit d'un outil remarquable lorsque l'on sait que le Protocole additionnel à la Convention de New York ne dispose d'aucune perspective particulière de genre. Cette convention a été parrainée par l'UNICEF et le Représentant spécial pour les enfants impliqués dans les conflits armés, toutefois elle n'a connu qu'un succès modéré en comparaison a la Convention de New York, 76 pays en sont à l'initiative. A noter toutefois que sont partis à la Convention, la Colombie, la RDC, la Côte d'Ivoire, l'Ouganda le Soudan, le Népal et la Sierra Leone. Nous l'avons vu dans l'introduction, le combattant répond à une définition stricte en droit international humanitaire, qui fait référence à la définition restrictive de participation directe aux hostilités. En effet, même si l'on accepte que les filles fassent partie des forces armées, les englobant dans la définition du Cap, ceci ne relève que de la soft law. La 100 Annexe 1 – Les Principes de Paris concernant les filles-soldats 44 jurisprudence internationale, qui doit traiter de la problématique des enfants-soldats, va être amenée à donner sa propre définition du rôle que joue l'enfant-soldat dans les forces armées. Comme nous l'avons vu, les définitions données des enfants-soldats peuvent avoir des répercussions sur l'inclusion ou non des filles au sein du groupe, selon que l'on considère le rôle domestique que peuvent jouer ou non ces enfants. Dans le cas des filles, comment prouver leur participation active aux hostilités si de façon générale elles sont considérées comme enfant-soldat uniquement car elles sont esclaves sexuelles ou associées à des tâches domestiques ? Même si on accepte que les filles soient des enfants-soldats, elles ne sont toujours pas des enfants-soldats comme les autres, leur rôle ne rentre dans aucune « case ». Nous verrons donc comment les instruments juridiques, tout comme la jurisprudence internationale, prennent en compte spécifiquement le problème des filles enrôlées dans les forces armées. (2) La protection juridique des filles-soldats, un enjeu de définition La définition du Cap des enfants-soldats va mettre en lumière la réalité des fillessoldats en explicitant leur rôle sexuel sans pour autant refuser de leur donner le titre d'enfantsoldat, et nier leur implication dans les hostilités. Ceci est primordial, car le TSSL comme la CPI vont tous deux criminaliser les activités visant à enrôler, circonscrire, et à faire participer les enfants aux conflits. Les recruter et se servir d'eux est un crime, ils ont donc droit à une réparation, mais plus encore à une prise en charge complète de ces « ex-meurtriers ». Mais le fait que les filles soient exploitées comme esclaves ou comme femmes de commandants et recrutées à ces fins ne les empêchent pas d'avoir été des meurtrières, même si l'on accepte peu de les reconnaître comme telles. L’équilibre est difficile, il faut donc une définition des enfants-soldats la plus extensive possible afin de bien assimiler l'intégralité de leur rôle dans les groupes armés, sans pour autant leur donner un statut à part. Dans bien des cas, tous les outils juridiques mentionnés dans cette partie sont des outils essentiels pour les activistes, les professionnels de l'humanitaire. Mais qu'en est-il de leur effectivité ? Un pas considérable a été amorcé avec l’apparition du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie (TPY). Ce n'est pas la première fois que des auteurs de graves violations du droit international doivent répondre de leurs actes devant un tribunal, il a déjà eu le précédant de Nuremberg, mais désormais c'est une nouvelle dynamique qui régit le droit international.101 101 BADINTER Robert, « De Nuremberg à La Haye », érès, Revue internationale de droit pénal, 2004 Vol. 75, 45 a) L’apparition de la responsabilité pénale individuelle concernant les violences commises contre les enfants-soldats Les responsables de crimes sont désormais jugés par des organes judiciaires internationaux, la compétence n'est plus uniquement déléguée aux États ou au CSNU et ses organes associés pour gérer ce problème. Jusqu'alors, la communauté internationale s’était montrée incapable de faire appliquer les dispositions, parce que les États eux-mêmes ne pouvaient pas ou ne désiraient pas faire appliquer ces normes. Les Tribunaux internationaux et la CPI sont eux capables de faire appliquer les sanctions pour les personnes qui ne respectent pas les normes décrites dans les conventions. Ils ne s'attaquent non pas à l’État mais directement aux auteurs de ces exactions. Certains Tribunaux internationaux sont venus prendre en compte le problème de l'utilisation des enfants-soldats dans les hostilités, et d'autre part la dure réalité que vivent les femmes lors de conflits armés. Ces tribunaux sont apparus notamment à cause des carences des tribunaux nationaux pour rendre justice aux personnes vulnérables.102 L’enrôlement, la conscription et l’utilisation d'enfants-soldats constituent désormais pour le TSSL et la CPI des crimes de guerre. La prise en considération du rôle des enfants dans la guerre a relevé d'un travail important en rétablissant à travers la jurisprudence toutes les nuances du rôle des enfants-soldats, entre victimes et bourreaux. Mais la question était de savoir quel type de définition allait être retenu concernant les enfants-soldats. Le TSSL a été établi par la Résolution 1315 du CSNU le 14 septembre 2000, et est chargé de juger les principaux responsables de crimes contre l'humanité, crimes de guerre, et de certains crimes prévus par le droit sierra-léonais commis depuis le 30 novembre 1996. Le Statut stipule que les personnes, à titre individuel, peuvent être poursuivies pour crimes contre l'humanité, en violation de l'article 3 commun aux CG, violation grave du droit international humanitaire et du droit sierra-léonais. Le crime contre l'humanité est défini par le CICR, « les actes causant de grandes souffrances où des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale constituent des crimes contre l’humanité lorsqu’ils sont commis intentionnellement et dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population civile ». Le TSSL a été le fer de lance de la construction d'une jurisprudence internationale sur les enfantssoldats. Le statut du TSSL incrimine à l'article 4 c), sous le titre autres violations du droit 102 pages 699 à 707 ZONGO Abdelaziz, Les femmes entre instrumentalisation et Victimisation dans les conflits armés, Les écoles Saint Cyr Coetquidan, 2008 46 international humanitaire, la conscription, l’enrôlement ou l'utilisation des enfants-soldats ou leur participation active aux hostilités. « The Special Court shall have the power to prosecute persons who committed the following serious violations of international humanitarian law: c. Conscripting or enlisting children under the age of 15 years into armed forces or groups or using them to participate actively in hostilities ». Selon les juges cette incrimination est logique au regard des engagements internationaux auxquels s'était engagée la Sierra Leone. La Sierra Leone est signataire des CG, ainsi que des deux PA adoptés en 1977 qui font partie de la coutume internationale, et par ailleurs de la Convention des droits de l’enfant et de la Charte africaine des droits et bien-être de l'enfant. Mais bien au-delà de l'aspect symbolique de cette incrimination, le travail du TSSL a été considérables puisqu'il a fallu comprendre tous les abords techniques, décrypter le mandat qui a été laissé aux juges face aux griefs émis par les accusés. La Chambre d'appel du TSSL a immédiatement mis au clair le problème en réponse aux griefs émis par la défense de Samuel Hinga Norman, ancien homme politique sierra-léonais fondateur et leader du Civil organization forces, un groupe paramilitaire. La Chambre d'Appel s'est appuyée sur l'affaire Tadic devant le TPIY, qui répertoriait quatre conditions d'incrimination, soit: i) la violation doit porter atteinte à une règle du droit international humanitaire; ii) la règle doit être de caractère coutumier ou, si elle relève du droit conventionnel, les conditions requises doivent être remplies; iii) la violation doit être grave, c'est-à-dire qu'elle doit constituer une infraction aux règles protégeant des valeurs importantes et cette infraction doit entraîner de graves conséquences pour la victime. (...); iv) la violation de la règle doit entraîner, aux termes du droit international coutumier ou conventionnel, la responsabilité pénale individuelle de son auteur. 103 Sur la base des jurisprudences émises par le TPY et le TPIR la Chambre d'appel a conclu que « les violations de l'article 3 commun aux CG et de l'article 4 du PA II (....) depuis l'établissement des deux Tribunaux internationaux, ont été reconnues comme constituant des 103 TPIY, Le Procureur c/ Dusko Tadic, alias « Dule », Affaire n° IT-94-1-A, « Arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence », Chambre d'appel, 2 octobre 1995, §§ 86-137 s 47 violations du droit coutumier engageant la responsabilité pénale individuelle de l'accusé». La Chambre d'appel a considéré que l'interdiction de recruter des enfants-soldats s'apparente à d'autres violations de règles tout aussi fondamentales incriminées en droit international, et relève l'aspect coutumier du crime.104 C'est une décision très importante puisque, les interdictions relatives à la conscription, à l’enrôlement, et à l’utilisation des enfants dans les groupes armés ne restent pas lettre morte, les responsables devant répondre de leurs actes devant la justice internationale. Le recrutement d’enfants-soldats, devient un crime en vertu du droit international coutumier et entraîne la responsabilité pénale individuelle pour ce crime durant toute la période couverte par la compétence du Tribunal. Toutefois, un juge dissident a prétendu que l’interdiction relative au recrutement d’enfants-soldats était apparue plus tard, lors de l’entrée en vigueur du Statut de Rome de la CPI.105 La Chambre a conclu par ailleurs, que les crimes de conscription et enrôlement, tous deux incorporés sous le terme de recrutement, sont commis dès lors qu'un enfant de moins de 15 ans est incorporé dans une force ou un groupe armé ou qu'il en rejoint les rangs avec ou sans contrainte. De nature continue, ces infractions ne cessent d'être commises que lorsque l'enfant atteint 15 ans ou quitte la force ou le groupe concerné.106 Il faut noter que les dispositions établissent que seront condamnés la conscription et enrôlement dans les forces armées ou l'utilisation de ceux-ci pour une participation active aux hostilités. Dans ce cas de figure il est pertinent d'analyser les termes de l'article. Premièrement, la participation active aux hostilités peut-elle être définie telle que fixée par le CICR ? C'est-à-dire une activité qui aurait des conséquences directes sur le groupe ennemi. Ne voit-on pas dans ce terme comme une restriction, notamment pour les filles qui, si nous suivons ce qui a déjà été mentionné, sont plus facilement assimilées à des esclaves sexuelles ou épouse de brousse, et non pas comme des participantes actives aux hostilités. Deuxièmement, nous voyons l'utilisation du terme ou qui exclut le lien, et qui semble définir que le crime de recrutement et le crime de participation sont deux actes indépendants, et pareillement incriminables. La dénomination participation active aux hostilités n’étant pas 104 TPIY, Le Procureur c/ Dusko Tadic, alias « Dule », Affaire n° IT-94-1-A, « Arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence », Chambre d'appel, 2 octobre 1995, §§ 86-137 s 105 International Center for Transitional Justice, « Étude de cas de tribunaux hybrides, Le tribunal spécial pour la Sierra Leone sur la sellette », 5/03/2006 106 IRWIN Rachel, « Le procès Lubanga transformé par les victimes », Institute for war and Peace Reporting, 15/02/2010 48 exclusive, il semble que les rédacteurs du statut du TSSL aient choisi une définition large. Les dispositions ont tout de même mené à un dialogique intensif des juges. En effet, il y a une forte opposition des Chambres pour savoir si la conscription, l'enrôlement et la participation directe aux hostilités représentaient un seul et même crime déclinable en trois façons, ou s'il s'agit de crimes différents.107 Les juges ont finalement décidé que le terme recrutement comprenait l’enrôlement et la conscription, et qu'il s’agissant d'un crime distinct de la participation active. Donc, le recrutement et la participation sont des crimes distincts mais qui entraînent la responsabilité pénale dans les mêmes proportions. Cependant la participation active en elle-même peut constituer une preuve de l’enrôlement, qui est dans bien des cas très difficile à prouver. Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'un enfant participe aux hostilités qu'il est forcément enrôlé. Nous voyons que ce qui va être retenu comme définition est un enjeu primordial dans une perspective de genre, sachant que la fille est difficilement assimilée comme combattante, il est nécessaire de protéger le plus d'enfants possible en ayant une définition large comme élaborée par les principes du Cap. Ici, nous voyons que seul fait de les recruter est incriminable pour le TSSL. Cependant, en ce qui concerne le crime de participation, le TSSL a conclu aux termes de son jugement du 20 mai 2007 que la « participation active » n'était pas limitée au combat. Dans le cadre de la guerre civile sierra-léonaise, la Chambre de première instance II du TSSL a également reconnu que l'utilisation d'un enfant pour garder une mine de diamants est une mise en danger suffisante pour constituer une utilisation illégale au regard de l'article 4 (c) du Statut du TSSL. Et à ajouter que la présence d'enfants aux endroits où des crimes étaient massivement commis était illégale, quelques soit les activités incombant à l'enfant.108 Le TSSL dans la décision de la Chambre de première instance pour l'affaire AFRC (Armed Forces Revolutionary Council) de juin 2007 explique que « le fait d’utiliser des enfants à participer activement aux hostilités comprend le fait de mettre directement leur vie en danger au combat, etc. Toute tâche ou soutien qui facilite ou contribue à la poursuite d’opérations dans un conflit constitue une participation active. » « De plus sous le terme participation sera pris en compte l'utilisation et participation, ce qui couvre donc la participation directe au 107 SIVAKUMARAN Sandesh, « War Crimes before the Special, Court for Sierra Leone Child Soldiers, Hostages, Peacekeepers and Collective Punishments », Journal of International Criminal Justice, 2010 108 TSSL, Le Procureur c/ Alex Tamba Brima, Brima Bazzy Kamara, Santigie Borbor Kanu, Affaire n° SCSL2004-16-T, Chambre de première instance, Jugement, 20 juin 2007, p. 228, §§ 737 49 combat et la participation aux activités militaires ce qui est moins restrictif (patrouille, garde militaire, espions, bouclier humain, surveillance) ». Cependant, ceci exclut tout ce qui relève de l'aspect domestique du camp. Toute extension ou diminution du champ de la définition des enfants-soldats peut avoir des conséquences énormes sur les filles. Si elles sont cachées et qu'il n'y pas de preuve de leur participation active aux hostilités ou aux activités militaires elles vont être mises de côté. Audelà des témoignages des autres enfants-soldats, si les filles ne se manifestent pas il relève du défi de prouver qu'elles ont bien fait partie du groupe. Le TSSL marque sa différence avec les jurisprudences déjà établies auparavant, notamment les conclusions établies par la première affaire du TPY de novembre 1996, l'affaire Tadic. Les juges lors de ce procès ont distingué également la participation directe « aux hostilités » et « à l'effort de guerre » pour ne retenir que la première proposition de façon plus restrictive. La première série d’actes d’accusation a été émise en mars 2003, touchant les commandants en chef des trois principales factions du conflit : le Revolutionnary Unit Front RUF (Foday Sankoh et Issa Sesay), l’Armed Force Revolutionnary Council - AFRC (Johnny Paul Koroma), la Civil Defence Force - CDF (Sam Hinga Norman), et Charles Taylor. En 2009, le Procureur du TSSL avait lancé un total de 13 inculpations. Tous les accusés ont été inculpés par rapport à l'article 4. Alex Tamba Brima, Brima Bazzy Kamara, Santigie Borbor Kanu ont été reconnus coupables le 20 juin 2007. Le cas de Charles Taylor est sans doute le plus connu car c'est la première fois qu'un ex-chef d'Etat est accusé et reconnu coupable par la justice pénale internationale.109 Charles Taylor a parrainé le RUF sierra-léonais, mouvement rebelle qui a fait preuve de violence extrême. Il a été président du Liberia de 1997 à 2003, son procès a été ouvert le 4 juin 2007. Sa nature de chef d’État n'est pas considérée comme un obstacle à la tenue de son jugement, il a donc été reconnu coupable en avril 2012. 109 Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 50 b) Les enfants-soldats devant la première juridiction pénale internationale permanente, et la notion de « participation active » La CPI est un Tribunal permanent régi par le Statut de Rome, 119 État ont aujourd'hui adhéré ou ratifié le traité. La CPI est chargée de juger les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, et de génocide. Sont considérés comme crimes de génocide « les actes visant à détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Il peut s’agir notamment : de meurtre ; d’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale ; de mesures visant à empêcher les naissances ou à entraîner la destruction physique du groupe ; et du transfert forcé d’enfants du groupe à un autre ». Constituent des crimes de guerre « les infractions graves aux dispositions des CG de 1949, protégeant des personnes ou des biens ainsi que les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux ou non internationaux ».110 L'article 8 du Statut de Rome concerne les crimes de guerre, il interdit explicitement le fait d'avoir recours aux enfants soldats. Au paragraphe 2. (b) (xxvi), il est inscrit « le fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement à des hostilités », à la lettre (e) « les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux CANI, (vii) le fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées ou dans des groupes armés ou de les faire participer activement à des hostilités ». La CPI reprend la dénomination ou, ce qui laisse à penser en suivant la logique du TSSL qu'il s'agit de crimes différents. Parmi les individus arrêtés suite à l’émission de mandats d’arrêt de la part de la CPI figurent, Germain Katanga, ancien chef de la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI), et Thomas Lubanga Dyilo pour avoir conscrit, enrôlé et utilisé des enfants de moins de 15 ans lors des hostilités. Ce dernier a été le premier à être reconnu coupable des chefs d'accusation émis contre lui. Lubanga est sous la garde de la CPI depuis le 17 mars 2006, il était présumé ancien président de l’Union des patriotes congolais (UPC) et commandant en chef des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). De plus, la CPI a émis des mandats d’arrêt contre cinq membres de la Lord’s Resistance Army (LRA) en Ouganda. Dans tous ces mandats 110 Comité International de la Croix Rouge, « ABC du Droit International Humanitaire », 2009 51 figurent des charges pour crimes de conscription, d’enrôlement et d’utilisation forcés d’enfants de moins de 15 ans ou leur utilisation en vue d'une participation active aux hostilités.111 Encore une fois la question s'est posée de l'interprétation du terme « participation active aux hostilités ». Radhika Coomaraswamy va mettre ce problème en avant, spécifiquement sur le cas des filles. Elle va émettre un commentaire au cours du procès Lubanga qui va porter sur la question primordiale des filles et du risque de leur exclusion du crime de participation. Selon elle « la Chambre de pré-instruction a essayé d'établir une frontière visible entre les enfants qui auraient effectué ces activités (combat militaire, espionnage, éclaireurs, sabotage, servant de leurre ou de gardes du corps) qui leur permettraient d'être perçus comme étant forcés à participer aux hostilités et ceux dont les activités les excluraient de cette catégorie, parce qu'ils étaient manifestement sans rapport avec les hostilités ». D'après elle, toute tentative pour établir cette « frontière visible » « était vouée à l'échec et menace d'exclure un grand nombre d'enfants-soldats - en particulier les petites filles-soldats dans le cadre du crime d'utilisation».112 Dans un rapport que Radhika Coomaraswamy avait rédigé pour les juges, elle précisait que le fait de déterminer si un enfant a « participé activement aux hostilités » devait se faire sur base du cas par cas, en s’éloignant de « la définition rigide des enfants-soldats comme des combattants armés exclusivement ».113 Le Comité préparatoire pour la création de la CPI avait précisé dans son rapport que «les mots utilisation et participation sont employés de manière à couvrir à la fois la participation directe au combat et la participation active à des activités en rapport avec le combat, telles que la reconnaissance, l'espionnage, le sabotage, ainsi que l'utilisation d'enfants comme leurres, comme messagers (...), l'emploi d'enfants comme porteurs pour approvisionner le front ou à toutes autres activités sur le front même est couvert par cette terminologie». La Chambre préliminaire va reprendre cette conception, le fait de « participer activement » à des hostilités signifie non seulement une participation directe aux hostilités, c'est-à-dire aux combats, mais également l'espionnage, le sabotage, ainsi que l'utilisation 111 La Cour Pénale Internationale, situations et affaires, disponible à : http://www.icc-cpi.int/Menus/ICC/Situations+and+Cases/Cases/ 112 IRWIN Rachel, « Les enfants soldats ordonnés de violer », Le Procès de Lubanga à la Cour Pénale Internationale, semaine 5, 27/05/ 2009 113 GOUBY Mélanie, IRWIN Rachel, « Les juges exhortés à revoir la définition des enfants soldats », Institute for War and Peace Reporting, 15/01/2010 52 d'enfants comme leurres ou messagers ou leur utilisation aux postes de contrôle militaire.114 L'avantage de cette notion utilisée par le TSSL et la CPI, est qu'elle est plus large que la notion élaborée par les premières juridictions internationales, toutefois elle ne recoupe toujours pas la définition des enfants-soldats telle que décrite par les principes du Cap. Les principes du Cap se délestent de cette considération de participation active/directe en incluant dans la définition de l'enfant-soldat les filles recrutées à des fins sexuelles. Le seul fait de faire partie du groupe armé fait d'eux des enfants-soldats. On voit donc que la CPI va moins loin en se focalisant sur la définition de participation direct/active aux hostilités, et non pas en définissant ce qu'est un enfant-soldat en tant que tel. Cette définition tente d'être le plus inclusive possible mais nous allons le voir peut s'avérer limitative, et ne retient pas les violences sexuelles qui sont traitées séparément, non pas au titre du rôle incombant aux enfants-soldats. L'équilibre est périlleux et cela démontre bien l'incapacité à adapter les outils juridiques au concept de genre, les instruments juridiques ayant du mal à prendre en considération que les conflits peuvent être vécus différemment tout en faisant face en apparence à une même réalité, celle de la présence d'enfants au sein des groupes armés. Bien que le recrutement et la conscription soient des charges distinctes de la participation, on voit que défini comme tel le crime de participation ne prend absolument pas en compte l'esclavage domestique et les souffrances sexuelles que vivent les enfants durant le conflit. Cependant, il ne faut pas perdre de vue quelque chose de fondamental, si l'on criminalise le recours aux enfants-soldats c'est bien car cela représente une menace pour eux, ce sont des victimes admises comme telles au sein du groupe. Quel est donc l’intérêt de restreindre la notion de participation active aux hostilités si le fait même de participer à la vie du camp peut s'avérer être une atteinte à leur vie. Le recrutement est considéré comme un crime mais demeure en lui-même très difficile à prouver. En outre, que l'enfant participe ou pas directement au front ces souffrances ne seront pas moins grandes. La juge Odio Bénito, ayant émis une opinion dissidente lors du rendu du jugement Lubanga démontre bien que cette restriction est peu pertinente. Elle affirme « children are protected from child recruitment not only because they can be at risk 114 CPI, « Le Procureur c/Thomas Lubanga Dyilo », 29 janvier 2007 53 for being a potential target to the 'enemy' but also because they will be at risk from their 'own' armed group who has recruited them and will subject these children to brutal trainings, torture and ill-treatment, sexual violence and other activities and living conditions that are incompatible and in violation to these children's fundamental rights. The risk for children who are enlisted, conscripted or used by an armed group inevitably also comes from within the same armed group ».115 Ainsi, nous comprenons bien, notamment à travers l’étude du droit international et des instruments juridiques sécrétés par la communauté internationale, que le rôle de la femme n'a été que tardivement pris en considération dans la guerre. Son rapport à la guerre n'est pas naturel, il a été construit petit à petit. Aujourd’hui il est plus facilement reconnu que les femmes ont un rôle à jouer notamment dans le processus de paix, elles sont des interlocuteurs privilégiés. Mais à ce jour les femmes restent principalement associées aux personnes hors de combat, nous le voyons à travers l'exemple des enfants-soldats même lorsque l’on considère ces enfants comme victimes de guerre, en écartant leur responsabilité, les filles sont encore trop peu reconnues comme enfant-soldats. Accepter que les enfants soient actifs durant le conflit empêche l'inclusion des filles au sein de leur groupe, pour les filles cette participation active aux hostilités va être niée, et il y aura une plus grande focalisation sur les tâches périphériques et surtout domestiques qu'elles remplissent. La définition du rôle des filles est très difficile à concevoir puisqu'elles sont recrutées pour aller au combat mais aussi pour leur rôle de « fille », pourtant on ne peut ni se refuser à voir les sévices sexuels qu'elles subissent, ni même les écarter du groupe enfants-soldats. Il faut donc se demander comment la jurisprudence internationale va pouvoir prendre fidèlement en compte le rôle des filles dans les armées afin de leur garantir une réparation effective. A travers le procès Lubanga, la justice internationale a été exposée à des critiques, on craint que les filles-soldats ne soient pas justement prises en considération, et à travers cela que la justice ne leur soit pas convenablement rendue. Mais au-delà des aspects « techniques » et quelque peu « lointains » des procès internationaux une limite bien réelle existe sur le terrain. Après une vie au sein des forces armées, leur vie est comme celle de tout enfant ayant « joué » aux atrocités de la guerre, bouleversée, mais bien plus que ce que peuvent vivre leurs camarades masculins. Stigmatisées dans et hors du camp, une fois sorties des armées leurs 115 Women’s Initiative Gender for Justice, « DRC: Trial Chamber I issues first trial Judgement of the ICC Analysis of sexual violence in the Judgement », Legal Eye on the ICC eLetter May 2012, 30/05/ 2012 54 vies peuvent s’avérer être encore bien pires. Nous verrons donc par la suite, les lacunes de la prise en charge de filles-soldats que cela soit sur le plan juridique, comme au cours de leur réinsertion à la vie civile. 55 Chapitre second - Les lacunes quant à la prise en charge des filles-soldats, les victimes invisibles Nous nous baserons principalement ici sur livre écrit par Dyan Mazurana et Susan Mac Kay, nous reprendrons un des questionnements qui émergent de leurs recherches et qui est particulièrement pertinent pour notre étude. Il est nécessaire de se demander ce que représentent réellement ces filles afin de bien comprendre comment les protéger. Les filles soldats sont-elles des esclaves considérées comme telles par les armées mais déguisées en soldats ? Ou bien sont-elles des soldats particulièrement asservis ? Les poursuites pénales établies par les Tribunaux internationaux n'ont pas évolué seulement sur la question des enfants-soldats. En effet, ces Tribunaux pénaux ont considérablement étoffé la protection accordée aux femmes affectées par les conflits armés, ce qui peut constituer un outil pour mieux rendre compte des réalités que souffrent les filles, particulièrement lorsqu'elles sont recrutées dans les groupes armés. Comme déjà mentionné, femmes et conflits armés sont souvent uniquement liés en termes de violences sexuelles. Malencontreusement, nous nous heurtons à une sorte d'enfermement logique car si l’on veut apporter réparation aux filles-soldats il faut se pencher du côté des violences sexuelles, ce qui est, si traité de façon exclusive, indéniablement réducteur. La question de savoir, puisque leurs rôles « périphériques » domestiques, d'épouses soumises à des violences sexuelles, des viols, à l'esclavage, à l'esclavage sexuel, ou bien la nudité forcée, ne sont pas pris en compte dans le crime de participation, y-a-t-il d'autres outils qui les protègent contre cela ? Dans quelles mesures sont- elles protégées en tant que filles, mais surtout en tant que filles intégrées aux forces armées ? Mais il faut bien se rendre compte que bien au-delà de la complexité de ces conceptions très théoriques, ceci n'est rien face à la dure réalité qu'elles affrontent une fois qu'elles reviennent à la vie civile. La prise en charge des filles-soldats est difficile juridiquement mais également sur le terrain, que cela soit face aux programmes de démobilisation ou au sein de la communauté d'origine. Nous verrons tout d’abord que malgré l'apparition de nouveaux crimes sexuels, permettant de répondre assez fidèlement aux réalités que vivent les filles-soldats, les variables crimes sexuels et enfants-soldats ont encore bien du mal à se croiser (Section 1). Nous verrons par la suite, que la prise en charge concrète de ces filles est lacunaire, laissant leur souffrance invisible (section 2). 56 Section 1 - La possible reconnaissance des violences spécifiques vécues par les filles-soldats à travers le prisme des violences de genre Les violences de genre ont particulièrement été prises en considération par la communauté internationale, mais ce sont une nouvelle fois les Tribunaux internationaux qui ont assuré l'effectivité de la règle de droit face à la recrudescence de viols. De nouveaux crimes tels que le mariage forcé ont été admis devant le TSSL, ce qui pourrait permettre de pallier aux carences quant à la protection des filles-soldats (1). Toutefois, ces avancées devront être mises en balance quant au choix effectués par le Procureur Luis Ocampo Moreno face aux charges retenues contre Thomas Lubanga Dyilo lors de son procès devant la CPI (2). (1) La reconnaissance de leur participation à travers le prisme des violences sexuelles et des mariages forcés Les crimes basés sur le genre tendent à être de plus en plus reconnus, les femmes vont être particulièrement protégées contre les atteintes à leur intégrité physique et sexuelle. Ces atteintes basées sur le genre vont être dans un premier temps considérées comme des crimes contre l'humanité. Selon Dianne Luping il est nécessaire de faire une distinction entre les crimes basés sur le genre et les crimes sexuels et reproductifs.116 Les crimes de genre ont été reconnus comme une violation des droits humains par le Tribunal de Tokyo après la Seconde Guerre mondiale, notamment les crimes commis contre les sud-coréennes, mais les crimes reproductifs ont uniquement été reconnus dans les années 1990 après les atrocités commises contre les femmes au Rwanda et en ex-Yougoslavie. Les Tribunaux pénaux internationaux ont réalisé un travail considérable en matière de crimes sexuels et de genre, la protection conférée sera plus importante et plus conforme à la réalité du terrain. Mais au-delà des viols comme actes isolés, la tendance a été à la criminalisation de toutes les techniques utilisées en période de conflit ayant pour but l'asservissement de la femme. Lorsque l'on met en parallèle ceci avec les conditions de « détention » des filles-soldats, il est intéressant de voir que même si elles peuvent être exclus du concept de l'utilisation stricto sensu, elles sont protégées à bien égard par d'autres moyens. 116 LUPING Dianne, intervention lors de la Conférence « International Criminal Court and Gender, Foreign Institute, Vrije Universiteit Brussel, 05/2012, Bruxelles 57 Le viol va peu à peu être considéré comme crime contre l’humanité et comme crime de guerre. Mais d'autres aspects vont émerger, le viol étant une facette réductrice car les réalités sont bien plus complexes, les femmes et les filles font aussi face à l'esclavage sexuel, prostitution forcée ou encore à des grossesses forcées. a) Un spectre étendu de crimes concernant les violences sexuelles Le TPY a été mis en place afin de condamner les responsables des purifications ethniques effectuées en ex-Yougoslavie. Ce Tribunal a été mis en place par les Résolutions 808 et 827 du CSNU en 1993. Le TPY est compétent pour juger les crimes contre humanité, crime de génocide, violation lois et coutumes de la guerre commis en ex-Yougoslavie à partir du 1er janvier 1991. La première audience s'est déroulée le 8 novembre 1994, 161 personnes ont été mises en accusation depuis lors. Au cours du procès concernant le camp Čelebići, pour lequel a été mis en accusation Hazim Delic, Z. Mucic, E. Landzo et Z. Delalic. La Chambre de première instance a retenu la conclusion selon laquelle le viol s’assimile dans certains cas à la torture au regard du droit international.117 Par ailleurs, cette affirmation sera reprise dans la jurisprudence Furundžija, assimilant le viol à un crime de guerre. La définition retenue par les juges au cours de l'affaire Furundžija sera une définition relativement large, puisque le viol «…s’analyse comme la pénétration sexuelle, fût-elle légère, du vagin ou de l’anus de la victime par le pénis ou tout autre objet utilisé par le violeur; ou de la bouche de la victime par le pénis du violeur; par l’emploi de la force, de la menace ou de la contrainte contre la victime ou une tierce personne». 118 Anto Furundžija était un commandant présumé de l'unité spécial de la police militaire du Conseil de défense croate, il a dû répondre du chef d’accusation d’infraction grave aux Conventions de Genève, et des chefs d’accusation de violations des lois ou coutumes de la guerre dont torture et atteinte à la dignité des personnes, y compris le viol. Pour sa part, le TPIR est créé en novembre 1994 par la Résolution 955 du CSNU. Ce Tribunal est en charge de juger les personnes responsables d'actes de génocide, et d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, ou 117 BIHANIC Diane, Le viol comme arme de guerre, Sciences Po Toulouse, 2010 TACHOU-SIPOWO Alain-Guy, « Le Conseil de sécurité et les femmes en situation de conflit armé: entre renforcement de la protection humanitaire et implication dans la consolidation de la paix », International Review of the Red Cross, Vol. 92, N° 877, mars 2010, pp. 197-219. 118 58 par des citoyens rwandais sur le territoire d'États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Le cas Akayesu a été le premier de l'histoire à considérer le viol comme instrument génocidaire et crime contre l'humanité. Son procès a eu lieu entre janvier 1997 et mars 1998. Jean-Paul Akayesu a été condamné à la prison à vie pour le massacre de 2000 Tutsi, l'incitation à des viols collectifs et publics, ainsi que pour sa participation directe dans plusieurs assassinats.119 Le Tribunal a aussi reconnu pour la première fois le viol comme crime de génocide, dans la mesure où ils étaient commis dans l'intention de détruire en tout ou en partie un groupe particulier ciblé comme tel, il est donc légitimé comme arme de guerre. Il y un changement remarquable, le viol est assimilé à une violation au même titre que la torture ce qui va pailler les carences du droit international qui considérait jusqu’alors le viol comme une atteinte à la dignité humaine. Il est reconnu que ces violations sont exacerbées par la guerre, et ne sont donc pas une conséquence de cette dernière. Mais le TPY va amorcer une autre tendance reprise par la suite le TSSL, la criminalisation des mariages forcés et de l'esclavage sexuel, ce qui est particulièrement intéressant dans le cas des filles-soldats. Le TSSL est le premier Tribunal international à criminaliser le recours aux enfants-soldats comme déjà indiqué, il est donc spécialement pertinent de voir comment les différentes charges de nature sexuelle retenues permettent de mieux appréhender le rôle des filles-soldats. Le Statut du TSSL condamne à l'article 2 les crimes contre l'humanité : « Le Tribunal spécial est habilité à poursuivre les personnes accusées d'avoir commis les crimes dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique dirigée contre les populations civiles: dont le viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée et toute autre forme de violence sexuelle ». Nous voyons d'ores et déjà que le spectre des violences de genre établi par le TSSL est particulièrement large, et que toutes les violences sexuelles ne sont pas toutes considérées de la même manière. Outre le fait que les filles-soldats sont dans la majorité des cas violées, elles remplissent aussi le soir un rôle d'esclave sexuelle, ce qui constitue selon le statut du TSSL un crime à part entière, différent du viol. Toutefois, le TSSL n'inclut pas dans son statut d'incrimination concernant le recours au bush wifes, aux femmes de brousses, épouses forcées de commandants. Le TPIR a reconnu en premier le recours au mariage forcé, mais ne considère pas qu'il s'agit d'un crime distinct de 119 BIHANIC Diane, Le viol comme arme de guerre, Sciences Po Toulouse, 2010 59 celui des autres violences sexuelles.120 Par ailleurs, le TPIY dans l'affaire Kvočka et consorts précise : « La violence sexuelle comprend également des crimes tels que les mutilations sexuelles, les mariages forcés et les avortements forcés, ainsi que les crimes liés à une distinction de sexe ».121 Il importe de même de souligner que le Comité contre la torture a établi que le mariage précoce «s’apparente (…) à une forme de violence à l’encontre des filles concernées, ainsi qu’à une forme de traitement inhumain ou dégradant, et constitue donc une violation de la Convention (contre la torture) ».122 Les épouses de brousse sont donc bien protégées contre ces recrutements un peu particuliers, assimilables à un acte de torture, même ceci n'est pas considéré comme un crime à part entière. Néanmoins les filles et fillettes sont particulièrement protégées par le statut du TSSL qui reprend des crimes appartenant au droit national sierra-léonais. L'article 5 stipule que « Le Tribunal spécial sera habilité à juger les personnes accusées d'avoir commis les crimes ciaprès au regard du droit sierra-léonais : a) Sévices à l'encontre de fillettes selon la loi relative à la prévention de la cruauté, à l'encontre d'enfants (chap. 31, loi de 1926 relative à la prévention de la cruauté à l'encontre des enfants) i Sévices à l'encontre de fillettes de moins de 13 ans, en violation de l'article 6 ii Sévices à l'encontre de fillettes âgées de 13 ou 14 ans, en violation de l'article 7 iii Enlèvement de fillettes à des fins immorales, en violation de l'article 12 Le Statut du TSSL est particulièrement protecteur des mineures. Comme le relève l’organisation Physicians for Human Rights, plus de la moitié des femmes entrées en contact direct avec le RUF ont subi une forme ou l’autre de violence sexuelle. « Les accusations portées contre toutes les factions font état de viols de fillettes et femmes de tous âges et d’esclavage sexuel, où les femmes étaient forcées de se déplacer avec les factions armées, de subir de fréquents viols et de porter, par euphémisme, le surnom de bush wife ». On estime par 120 ALTHAUS Anne, « Le mariage forcé enfin reconnu comme crime contre l’humanité », Journal de TRIAL n° 16, 06/2008, pp. 10-11 29/06/2008 121 TACHOU-SIPOWO Alain-Guy, « Le Conseil de sécurité et les femmes en situation de conflit armé: entre renforcement de la protection humanitaire et implication dans la consolidation de la paix », International Review of the Red Cross, Vol. 92, N° 877, mars 2010, pp. 197-219. 122 IRWIN Rachel, « Les enfants soldats ordonnés de violer », Le Procès de Lubanga à la Cour Pénale Internationale, semaine 5, 27/05/ 2009 60 ailleurs à 7 000 le nombre d’enfants qui auraient combattu durant cette guerre».123 b) Les mariages forcés, un crime à part entière Le phénomène des bush wifes n'est évidemment pas propre à la Sierra Leone et concerne de nombreux conflits, mais c'est le TSSL qui va donner une clef de lecture afin comprendre comment le droit pénal international va se saisir de cette question. Ceci est pertinent dans le cadre de notre analyse car on considère qu'en Ouganda 72% des fillessoldats ont porté les armes et ont suivi un entraînement militaire, mais que 51% d'entre elles ont également eu un rôle secondaire d’épouse.124 Le 22 février 2008 la Chambre d'appel du TSSL, au cours du procès le Procureur contre Birma Kamara et Kanu dans l'affaire de l'AFRC, a considéré que le mariage forcé s'assimile à un crime contre l'humanité qui diffère du crime d'esclavage sexuel. En effet, le viol, la prostitution forcée, l'esclavage sexuel sont perpétués dans un but stratégique celle de diffuser la terreur ou démobiliser l'ennemi, ce qui n'est pas le cas des mariages forcés pour les juges. Il s'agit là d'une révolution car dans l'affaire Akayesu du TPIR les juges n'avaient pas relevé de différences notables avec les autres crimes à caractère sexuel. Le 7 mai 2004 la Chambre de 1er instance accepte la motion du procureur visant à ajouter des nouvelles charges à celles déjà existantes, le chef d'accusation de mariage forcé est ajouté sous l'article 2 – i du statut « autres actes inhumains ». Le 20 juin 2007 la Chambre considère que l'article 2 ne prend en compte que des crimes à caractère non sexuel, et donc exclut toutes formes de violences sexuelles car elles sont déjà prises en considération sous l'article 2 – g «toute autre forme de violences sexuelles ». Selon la Chambre il n'y a pas de preuves que le mariage forcé ait un caractère non sexuel, il est donc préférable de l'inclure parmi les charges d'esclavage sexuel car pour la Cour la femme est considérée comme une possession, et surtout une possession sexuelle, ce n'est pas un statut marital. Et pourtant, nous l'avons déjà démontré les deux statuts ne sont pas totalement assimilables, particulièrement dans le cas des filles-soldats. Même certaines associations féministes étaient contre l'ajout de ces nouvelles charges de mariage forcé car 123 International Center for Transitional Justice, « Étude de cas de tribunaux hybrides, Le tribunal spécial pour la Sierra Leone sur la sellette », 5/03/2006 124 MAZURANA Dyan, MAC KAY Susan, Où sont les filles? Droit et Démocratie, 2004 61 elles considéraient qu'elles ne différaient pas vraiment des crimes sexuels déjà établis. Le Procureur se justifia en affirmant qu'il a fait ce choix en concertation avec des femmes victimes.125 Par conséquent, le Procureur fera appel de la décision, en date du 22 février 2008 la Cour d'Appel réfute le raisonnement précédant. Les crimes sexuels ne sont pas à exclure de l'article 2, en effet cet article doit être considéré comme « une porte ouverte » afin de ne pas faire de restrictions quant aux violations qui ont été commises, et aux charges susceptibles d’être portées devant le juge. Mais le mariage forcé relève d'une réalité plus complexe, ceci induit des relations sexuelles mais pas forcément selon les juges. Les répercussions d'une telle association sur les femmes sont surtout des travaux domestiques réguliers à accomplir, des grossesses forcées et dangereuses pour la santé, surtout si la fille est très jeune, mais pardessus tout une loyauté totale envers le mari car la femme se doit absolument de démontrer amour et affection. On admet donc qu'elle est également prisonnière émotionnellement, et c'est ce qui va primer face aux considérations sexuelles. Les relations sexuelles ne sont pas une incidence automatique des mariages forcés pour les juges, en effet le mariage forcé se définit avant tout comme «association forcée conjugale par l'auteur sur la victime», et non pas par son caractère sexuel. Mais les mariages forcés répondent aussi à un échange car l'homme fournit sécurité à sa femme, notamment contre les autres hommes, un logement, subvient à ces besoins alimentaires et généralement de première nécessité. Cependant, ceci ne dénote pas forcément d'une relation plus confortable, puisque tout manquement au devoir peut également entraîner la mort de la compagne qui ne remplit pas ses devoirs conjugaux.126 Les deux actes, l’esclavage et le mariage forcé, bien que différents sont tout autant criminels. Nous l'avons dit, ceci correspond bien aux conditions de certaines filles-soldats également « femmes de brousse » qui jouissent d'une protection, tout en étant complètement à la merci de leur époux commandant. Les conséquences au retour vont par ailleurs être désastreuses pour ces femmes de commandant, elles vont être encore plus rejetées par la communauté qui va avoir peur de leur époux rebelle. Mais la femme est aussi mère d'un bâtard puisque ces mariages ne font pas foi au-delà de la brousse. A l'ostracisme vont s'ajouter 125 126 SIVAKUMARAN Sandesh, « War Crimes before the Special, Court for Sierra Leone Child Soldiers, Hostages, Peacekeepers and Collective Punishments », Journal of International Criminal Justice, 2010 ALTHAUS Anne, « Le mariage forcé enfin reconnu comme crime contre l’humanité », Journal de TRIAL n° 16, 06/2008, pp. 10-11 29/06/2008 62 des lésions physiques profondes liées à des relations sexuelles nombreuses ou forcées et à des grossesses prématurées qui seront discutées plus loin.127 Le mariage forcé sera donc défini par le TSSL, il s'agit « d'une situation où l'auteur par ses mots ou sa conduite oblige une personne par la force, la menace de la force ou la contrainte à être sa partenaire conjugale, engendrant une souffrance sévère ou un dommage à la santé physique mentale ou psychologique ». Considérés différemment de l'esclavage sexuel, les mariages forcés des « femmes de brousse » sont pris en compte par le TSSL, comme une violence psychologique et physique, et vont donc être reconnus comme des crimes contre l’humanité.128 Nous voyons donc que le spectre des protections concernant les violences sexuelles s'étend, et n'exclut pas une prise en considération des filles et des femmes dans les forces armées. On admet qu'elles sont utilisées par les armées, intégrées, bien que cela soit exclusivement pour des considérations sexuelles ou domestiques. Ces avancées participent tout de même à faire sortir les thématiques des violences sexuelles du domaine de la sphère « privée », et donc à mettre fin à l'impunité en matière de violence de genre. Mais encore une fois, il a une focalisation sur le rôle uniquement sexuel que peuvent jouer les femmes. Nonobstant, la CPI ne reprendra pas dans son statut le crime de mariage forcé qui restera donc malheureusement une exception sierra-léonaise. Malgré le fait que le TSSL ait déjà jugé des personnes pour les crimes de conscription, enrôlement d'enfants-soldats et d'utilisation active de ces derniers aux hostilités, le procès symbolique des enfants-soldats devant la CPI a été particulièrement attendu. En effet, la CPI est la première juridiction pénale permanente au monde. Ce procès a également été spécialement attendu car la CPI se différencie de ses « petites sœurs » en associant très étroitement les victimes au procès afin d'assurer une réparation plus effective. Ceci va considérablement modifier le procès techniquement mais aussi symboliquement car les victimes vont se retrouver au cœur du procès. Pourtant, ce procès va particulièrement décevoir sur l'aspect des violences de genre, et le cas très particulier des filles-soldats. 127 128 COOMARASWAMY Radhika, Représentante spéciale pour les enfants dans les conflits armés auprès de l'ONU, « Les filles en temps de guerre: esclave sexuelle, mère, aide domestique, soldat », Chronique ONU, 2009 International Center for Transitional Justice, « Étude de cas de tribunaux hybrides, Le tribunal spécial pour la Sierra Leone sur la sellette », 5/03/2006 63 (2) La déception des charges retenues au cours du procès Lubanga face au problème des filles-soldats La CPI est une institution qui a été particulièrement attendue, scrutée par des militants du monde entier. La mise en place d'une juridiction pénale internationale permanente représente une révolution juridique, même si bien des faits affaiblissent considérablement son travail, notamment l'absence notable de pays tels que la Russie, l'Inde ou même les États-Unis comme États parties.129 La Cour a souvent été très critiquée pour de nombreuses raisons, dû notamment à des problèmes de fonctionnement, en cause la longueur des jugements. En effet, il aura fallu 10 ans à la Cour pour rendre son premier jugement, celui de Thomas Lubanga Dyilo alors que les charges qui ont pesé contre lui étaient relativement réduites. Ce procès est particulièrement symbolique car non seulement c'est le premier réalisé par la CPI, mais surtout parce qu'il concerne la RDC, ce conflit ayant fait environ 5,4 millions de morts depuis août 1998, ce qui en fait le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre Mondiale. Par ailleurs, la symbolique tient également aux charges retenues contre Lubanga qui était présumé avoir commis les crimes continus de conscription et d'enrôlement d'enfants-soldats, mais également de l'utilisation de ces derniers en vue de les faire participer activement aux hostilités. De nombreux enfants-soldats ont été mobilisés afin de participer au procès en tant que victimes, leurs témoignages ont quelque peu modifié la portée du procès. a) Reconnecter le procès à la réalité du terrain: la participation des victimes devant la Cour Pénale Internationale L'un des premiers grands bouleversements induit par la CPI est bien le fait que les victimes sont invitées à participer au procès, les victimes ont des droits devant la Cour. Ceci a évidemment été mis en place afin de répondre à une plus grande volonté de justice, et de transparence. La justice pénale est souvent lointaine pour les victimes, et d'autant plus lorsqu'il s'agit de Tribunaux internationaux alors même que sont traitées des exactions de masse. Les autres Tribunaux internationaux ont été critiqué car ils sont difficilement accessibles aux victimes, mais dans le cas précis de la CPI, la Cour est par ailleurs lointaine physiquement, ce tribunal étant situé à La Haye bien loin de Kinshasa. Dans le statut le droit 129 La Cour Pénale Internationale http://www.icc-cpi.int/Menus/ICC/About+the+Court/ 64 des victimes est régi par l'article 68, les juges sont intervenus afin de préciser quels étaient les droits et les devoirs des victimes devant la Cour, en combinant le droit de participation pour les victimes et le droit à un procès équitable pour l'accusé.130 La Cour a mis en place une Division d’aide aux victimes et aux témoins afin de garantir la participation des enfantssoldats au procès et de faire valoir leur condition de victime. Le 11 juillet 2008 au cours du procès Lubanga, la Chambre d'appel pose trois conditions à la participation des victimes. Premièrement, les victimes sont admises à participer dans le cadre de l'affaire, et donc à produire des éléments de preuve. Les victimes pouvant être directes comme indirectes mais doivent prouver qu'elles ont un intérêt. Dans ce cas précis il s'agit surtout d'autoriser les preuves issues des parents des enfants-soldats. Deuxièmement, les victimes admises à participer sont uniquement les victimes des crimes retenus contre les accusés. Et enfin, les victimes ne doivent pas forcément démontrer un préjudice direct mais un préjudice personnel, elles doivent être affectées, souffrir le préjudice. Ceci va à l'encontre de ce qui avait été décidé par la Chambre de Première Instance qui avait jugé le 18 janvier 2008, qu’une victime pour participer n’avait pas besoin de démontrer qu’elle avait subi un préjudice résultant des charges spécifiquement retenues contre l’accusé. La Chambre d’Appel a rappelé que le droit de produire des éléments de preuve touchant à la culpabilité ou à l’innocence de l’accusé au cours du procès appartient en premier lieu aux parties, l’Accusation et la Défense. Cependant, la Chambre d’Appel a confirmé qu’une telle possibilité pourrait également être donnée aux victimes participantes.131 C'est un choix très critiquable pour certains, car en effet le droit des victimes agirait presque comme le rôle d'un Procureur bis.132 Ce statut de victime octroyé par la CPI est sans précédent en droit pénal international, et la possibilité d’accès au statut de victime est très large, ceci sera particulièrement intéressant dans le cas des filles-soldats. Par ailleurs, ceci est en conformité avec les normes internationales, la Convention de New-York à l’article 12.2 130 Article 68 : Protection et participation au procès des victimes et des témoins 3. « Lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées et examinées, à des stades de la procédure qu'elle estime appropriés et d'une manière qui n'est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense et aux exigences d'un procès équitable et impartial. Ces vues et préoccupations peuvent être exposées par les représentants légaux des victimes lorsque la Cour l'estime approprié, conformément au Règlement de procédure et de preuve ». 131 Bulletin du Groupe de travail pour le droit des victimes, « Le droit des victimes devant la CPI », été/automne 2008 132 Conférence International Criminal Court and Gender, Foreign Institute, Vrije Universiteit Brussel, 05/2012, Bruxelles 65 stipule que les enfants ont le droit de participer aux procès qui les affectent et de faire valoir leurs opinions. C'est un pas considérable, lors du procès Lubanga ont été entendus les témoignages de 10 anciens enfants-soldats. Au total, ce seront 129 personnes, 34 femmes et 95 hommes, qui ont été autorisées à participer au procès en qualité de victimes, à travers la représentation de leurs représentants légaux.133 La plus grosse critique émise contre le Procureur dans le traitement de l’enquête est entièrement liée à la problématique des filles-soldats. En effet Lubanga a été exclusivement accusé d’enrôlement et conscription d'enfants-soldats et de leur participation active aux hostilités. Malgré les témoignages attestant la présence de filles dans les rangs du FPLC, et des témoignages relatant leurs mauvais traitements, aucun chef d'accusation basé sur le genre n'a été émis contre Lubanga. Selon de nombreuses associations, outre les témoignages, d'autres preuves étaient disponibles et démontraient la présence toute particulière de filles au sein de la FLPC : filles combattantes mais qui ont souffert très fortement de violences sexuelles. « Une ancienne enfant-soldat a expliqué qu’elle avait été violée à plusieurs reprises. D’autres ont dit que les filles étaient utilisées comme esclaves sexuels, et que celles qui tombaient enceintes étaient forcées à avorter en utilisant des herbes cultivées localement. Les témoins ont souligné que toutes les filles recrues avaient aussi été entraînées à combattre et qu’elles travaillaient comme gardes du corps au côté des soldats masculins ».134 Au moins 21 des 25 personnes qui ont témoigné lors de la présentation de la thèse du Procureur en 2009 ont fait état de la présence des filles-soldats au sein de l’UPC. Le rapport Machel datant de 1996 fait explicitement référence aux violences que vivent les filles-soldats, ce texte manifeste sa préoccupation envers les filles et les femmes intégrées dans les forces armées et soumises à des violences sexuelles « les soldats ont la responsabilité de protéger les enfants dans les conflits armés. Les petites filles devraient bénéficier d'une protection spéciale parce qu'elles sont souvent les victimes de sévices sexuels. Lorsque des enfants sont blessés ou maltraités par des soldats, les dirigeants portent une responsabilité spéciale parce que ce sont eux qui donnent les ordres ». Ce rapport demande donc d’établir la responsabilité effective des commandants ayant recruté des enfants 133 La Chambre de Première Instance I, Situation en république démocratique du Congo, Affaire le procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Résumé du jugement, 14/03/2012 134 IRWIN Rachel, « Le procès Lubanga transformé par les victimes », Institute for war and Peace Reporting, 15/02/2010 66 et qui ont abusé tout particulièrement des filles-soldats. Toutefois, la ligne suivie par le BdP a été quelque peu ambiguë. « Le seul fait de dire, nous n’allons pas donner à ces filles la protection accordée aux enfants-soldats parce que tout ce qu’elles ont fait a été d’avoir des relations sexuelles c’est inacceptable » a déclaré Mme Le Frapper, responsable de la Division de la Complémentarité et la coopération entre les juridictions, qui fait partie du BdP.135 «Les filles étaient des soldats tout en étant les femmes des commandants» a déclaré un ex-enfantsoldat. Il a ajouté « les filles belles n’étaient pas traitées de la même manière que les garçons. Mais les autres filles étaient traitées comme les garçons. Les jolies filles devaient également apprendre le maniement des armes et devenir des soldats ».136 Au premier jour du procès le Procureur Luis Ocampo-Moreno déclare « Des filles-soldats âgées quelquefois de 12 ans étaient utilisées comme cuisinières ou combattantes, comme femmes de ménage, espionnes, comme des esclaves sexuelles ou des éclaireurs. Une minute, elles portaient une arme, la minute suivante elles servaient les repas aux commandants, et la minute (d’après) les commandants les violaient. Elles étaient tuées si elles refusaient d'être violées». Le Procureur a donc été logiquement interpellé par la Juge Odio Bénito sur l'incohérence de ces propos puisque qu'aucune mention de violences sexuelles n'est incluse dans les charges. Alors même que ces exactions commises sur les filles apparaissent dans le mémoire de clôture, et les conclusions, ces mentions sont absentes des documents de mise en accusation. b) L’impossibilité d’associer le rôle de combattant(e) et violences sexuelles Et pourtant, trois ans se sont écoulés entre la détention de Lubanga et le début du procès, sans qu'aucune charge relative au genre ne soit ajoutée. Le BdP mentionnera que les preuves n'étaient pas suffisantes au moment de la clôture des charges. Toutefois, sans pour autant l'inclure dans les charges à l'encontre de Lubanga, le BdP a à de nombreuses reprises mentionné les violences sexuelles perpétrées au sein de la milice. « Toutes filles recrutées pouvaient s'attendre à être victime de violences sexuelles. Dès que la poitrine des filles commençait à se développer, les commandants de Lubanga les sélectionnaient comme étant leurs épouses forcées (…) il s'agissait d'esclaves sexuelles ». Les Conclusions finales du BdP 135 136 IRWIN Rachel, WAKABI Wairagala, « La défense de Lubanga avertit que l’ajout de nouvelles charges menacerait le procès », 29/06/ 2009 WAKABI Wairagala, « Procès Lubanga : des victimes racontent la brutalité de l’UPC et demandent réparation », Le Procès Lubanga à la Cour Pénale Internationale, 15/01/ 2010 67 tendent à expliquer que les filles ont réalisé les mêmes tâches que les garçons et ont été objet d'abus particulier. Cependant, face aux pressions des activistes, notamment de l'association Women's Initiative for Gender Justice, le 22 mai 2009, les représentants légaux des victimes ont tenté d'inclure les violences sexuelles aux charges pesant contre Lubanga. Ils ont demandé à la Chambre de première instance d’envisager de modifier la qualification juridique des faits pour ajouter les traitements inhumains et l’esclavage sexuel aux charges existantes, conformément au règlement 55. Les activistes plaident depuis 2006 en faveur d'ajout de charges. Après la saisine, en juillet 2009, la Chambre de 1ere instance accepte l'inclusion de nouvelles charges. « Une majorité des juges de la Chambre avait décidé le 14 juillet qu’il était possible d’ajouter de nouveaux chefs et avait, de manière controversée, décidé que les nouveaux chefs d’accusation devraient être basés sur de nouvelles preuves, et non pas des faits déjà existants ».137 La Chambre d'Appel va abandonner cette approche, pour la Chambre les références aux violences de genre ne peuvent pas être accompagnées de nouvelles charges car cela compromettrait le droit au procès équitable et impartial. « Le règlement 55 (2) et (3) du Règlement de la Cour ne peut pas être utilisé pour dépasser les faits et circonstances décrits» conformément à l'article 74 (2) du Statut de Rome.138 La Chambre d'appel a également souligné qu'il n'y a que le Procureur qui peut demander d'ajouter de nouveaux faits et circonstances en vertu de l'article 61 (9), auquel cas une audience doit avoir lieu afin de déterminer si les charges peuvent être modifiées.139 La déception a été énorme, notamment pour les associations féministes et de lourdes critiques se sont abattues sur le Procureur Ocampo concernant le choix limité effectué pour les actes d'accusation. 137 IRWIN Rachel, « Le procès Lubanga transformé par les victimes », Institute for war and Peace Reporting, 15/02/2010 138 Article 74 (2) du Statut de Rome : « La Chambre de première instance fonde sa décision sur son appréciation des preuves et sur l'ensemble des procédures. Sa décision ne peut aller au-delà des faits et des circonstances décrits dans les charges et les modifications apportées à celles-ci. Elle est fondée exclusivement sur les preuves produites et examinées au procès ». 139 Article 61 (9) du Statut de Rome : « Après confirmation des charges et avant que le procès ne commence, le Procureur peut modifier les charges avec l'autorisation de la Chambre préliminaire et après que l'accusé en a été avisé. Si le Procureur entend ajouter des charges supplémentaires ou substituer aux charges des charges plus graves, une audience doit se tenir conformément au présent article pour confirmer les charges nouvelles. Après l'ouverture du procès, le Procureur peut retirer les charges avec l'autorisation de première instance ». 68 Radhika Coomaraswamy, ancienne représentante spéciale pour les enfants et les conflits armés a également fourni un témoignage en tant que témoin expert, elle a été la première personne à témoigner. « Celles qui sont esclaves sexuelles font aussi des travaux militaires. » Elle a affirmé que ces filles étaient souvent soumises à « des viols répétés et des mariages forcés dans les camps d’entraînement militaires, alors que d’autres vivaient dans un état de nudité forcée ».140 Malgré le refus d'ajouter de nouvelles charges, le Procureur va donc tout de même continuer à assumer sa position sur les violences de genre en affirmant que le processus de conscription était basé sur des dimensions de genre. Moreno-Ocampo a indiqué qu’il relevait de sa « mission » de montrer que Lubanga était pénalement responsable pour les « atrocités commises contre ces jeunes filles-soldats ». 141 Selon le BdP, les violences sexuelles ne sont pas détachables du rôle d'enfant-soldat, les viols perpétués faisaient partie du recrutement, les filles étaient violées afin d’être intégrées et les jeunes garçons forcés de violer et ceci durant tout le temps qu'à durer leur vie au sein des forces armées.142 Des ordres étaient donnés d'enlever, d'utiliser ou de réduire en esclavage les filles dans le cadre de l'utilisation des enfants. Le représentant des victimes recommande donc, à la suite de ce refus de la Chambre d'Appel, de considérer crimes commis contre les filles comme circonstances aggravantes au crime d’enrôlement, conscription et participation active. Son approche est critiquée car le spectre des charges retenues contre Lubanga ne répond pas aux réalités des crimes qu'il a commis, mais elle a le mérite d’élargir la définition d’enfant-soldat en incluant les violences sexuelles comme faisant partie du rôle d'enfantsoldat. Dans un sens c'est une réelle déception, car nous savons que des violations ont été perpétrées, sexuelles, des traitements inhumains et dégradants, esclavage, mariages forcés, et pourtant ces crimes restent impunis car ils sont recouverts par aucune charge. En même temps, ce débat a permis de faire réellement émerger le problème des filles et des violences sexuelles perpétrées au sein des groupes armées. Premièrement, un vrai débat sur le rôle et la place des filles dans les groupes armées a été posé. Deuxièmement à inclure deux types d'actes d'accusation, un basé sur le recrutement et l'utilisation des enfants-soldats et un basée sur les violences sexuelles, cela n'aurait-il pas créé une dichotomie évidente ? Celle qui régit 140 GOUBY Mélanie, IRWIN Rachel, « Les juges exhortés à revoir la définition des enfants soldats », Institute for War and Peace Reporting, 15/01/2010 141 CLIFFORD Lisa, « Ocampo déçoit dans un procès historique », Institute for war and Peace Reporting, 03/02/2009 142 IRWIN Rachel, « Les enfants soldats ordonnés de violer », Le Procès de Lubanga à la Cour Pénale Internationale, semaine 5, 27/05/ 2009 69 la logique actuellement, c'est-à-dire à assimiler que les filles doivent être protégées contre les violences sexuelles qu'elles ont subies, et que les garçons doivent être protégés pour leur rôle de petit guerrier. Nous aurions pu retomber dans les préjugés de toujours, mais cela ne signifie pas que les violences sexuelles doivent être niées, au contraire, elles doivent faire partie intégrante du crime « de participation» afin de mieux se conformer à la réalité, les enfants, filles et garçons, sont recrutés à deux fins non exclusives, le combat et les services sexuels. Le jugement final reconnaît Lubanga coupable de conscription et d’enrôlement d'enfants-soldats et de leur utilisation active en RDC, Iturie entre septembre 2002 et septembre 2003. De plus il est responsable, en qualité de coauteur des chefs d’enrôlement et de conscription d'enfants de moins de 15 ans dans les FPLC et du fait de les avoir fait participer activement aux hostilités, au sens de l'article 8-2-b-xxvi et 25-3-a du Statut, de début septembre 2002 au 2 juin 2003.143 Toutefois, au rendu du jugement, des signes dans le sens d'une prise en compte des violences sexuelles ont été émises. L’enrôlement et conscription d'enfants de moins de 15 ans incluraient implicitement des accusations de violences sexuelles. Au cours du rendue du jugement la juge Odio Benito a émis une opinion dissidente, pour elles les violences sexuelles étaient un aspect intrinsèque au concept de participation active aux hostilités, et l'incapacité à inclure ces crimes sous le concept d'utilisation rend ces crimes invisibles, alors même qu’il s’agit de crimes inhérents au rôle d'enfant-soldat. « Sexual violence committed against children in armed groups causes irreparable harm and is a direct and inherent consequence to their involvement with the armed group ».144 La sentence prononcée contre Thomas Lubanga le condamne à 14 ans de prisons pour les trois crimes commis. Malheureusement, mais de façon logique, les juges ayant décidé que les violences sexuelles ne faisant pas parties des charges pesant contre Thomas Lubanga, elles de pouvaient pas être un facteur aggravant de la peine. Ceci démontrerait une nouvelle fois la difficulté pour les femmes d'obtenir justice et réparation, et ce même devant la justice pénale internationale ? Car cette justice à défaut d'être préventive se doit au moins d’être dissuasive. 143 144 Article 25- 3 du statut de Rome, Conformément à la résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010 (en incluant le paragraphe 3 bis). Aux termes du présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence de la Cour si : a) Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par l'intermédiaire d'une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable. Women’s Initiative Gender for Justice, « DRC: Trial Chamber I issues first trial Judgement of the ICC Analysis of sexual violence in the Judgement », Legal Eye on the ICC eLetter May 2012, 30/05/ 2012 70 Ceci est d'autant plus dommageable que la CPI a beaucoup travaillé sur le respect des sexospécificités qui doivent impérativement être prises en compte devant la Cour. Le respect des victimes de leur sexo-spécificité est prévu par le Statut de Rome. Par ailleurs, les articles 36, 42 et 54 du Statut mettent en lumière les devoirs qui incombent au Procureur et aux juges de la Cour quant à l’élection de spécialistes dans les domaines des questions liées aux femmes et aux enfants afin de garantir une meilleure protection et prise en considération des différents intérêts. Contrairement au procès Le Procureur contre Lubanga, Charles Taylor a été accusé de charges plus nombreuses, mêlant les crimes concernant enfants-soldats et crimes sexuels. Onze chefs d'accusation sont retenus contre l'accusé, cinq sont considérés comme crimes contre l'humanité punis par l’article 2 du statut du TSSL dont le viol, esclavage sexuel, et réduction en esclavage, et cinq sont des crimes de guerre dont atteinte à la dignité humaine, traitement cruel, enrôlement et conscription d'enfants-soldats et leur utilisation.145 Cependant en ce qui concerne les charges de conscription et d’enrôlement d'enfants-soldats, il n'est fait aucune référence aux filles. Les mentions faisant explicitement référence aux filles sont uniquement les charges liées aux violences sexuelles et au viol, mais surtout en tant que civiles.146 Non seulement soldat mais aussi objet sexuel, le statut est difficilement définissable. Cela démontre une certaine méconnaissance du rôle des filles dans les armées, mais plus particulièrement du rôle des enfants-soldats dans ces armées. Nous l'avons vu, l'approche du Procureur Ocampo et des juges laisse de nombreux crimes impunis, la question est de savoir qu'en est-il des réparations ? Car une fois hors des armées, sur le terrain les problèmes subsistent pour les filles-soldats. En effet, cette approche trop sexuée de la fille-soldat, vue comme épouse ou objet sexuel, est pénalisante et les empêche de jouir d'une réintégration efficace. Elles profitent rarement des programmes de démobilisation et réintégration, leur retour à la vie civile est entravé par tous les acteurs, communauté internationale, ONG, mais également par les communautés traditionnelles. Outre les discriminations qu'elles subissent au 145 146 Special Court of Sierra Leone, Trail Chamber II, Prosecutor vs. Charles Ghankay Taylor, judgement summary, 26 April 2011 « The Trial Chamber finds that the Prosecution has proved beyond reasonable doubt that members of the RUF, AFRC, AFRC/RUF Junta or alliance and Liberian fighters committed widespread acts of outrages upon the personal dignity of civilian women and girls by acts such as forcing them to undress in public and by raping them and committing other acts of sexual abuse sometimes in full view of the public, and in full view of family members, in various locations » 71 sein du groupe armé, le retour à la vie civile n'est qu'une continuité d'épreuves pour ces filles. Elles ont du mal à obtenir réparation devant les juridictions pénales, mais ceci n'est rien face à ce qu'elles endurent sur le terrain. Section 2 : Au-delà des armes, l’échec de la réintégration à la vie civile En Ouganda, on considère qu'un cinquième des enfants enlevés sont morts ou présumés morts.147 Nombre d’entre eux rentrent néanmoins après le conflit, ou arrivent à s'échapper au cours de celui-ci. Mais on ne ressort pas indemne d'une guerre, lorsque l'on a été combattant, et encore moins lorsque l'on est encore qu'un enfant. Leur rôle dans les forces armées a forcément laissé des marques indélébiles, qu'elles soient physiques et plus encore psychologiques. La communauté internationale a reconnu le besoin immédiat de prendre en charge ces enfants, premièrement en les sortant des groupes armés, mais également en les réadaptant à la vie civile. Ceci est plus connu sous le nom programme DDR, désarmement, démobilisation et réinsertion. Cette tâche n'est pas facile puisque pour qu'un enfant soit démobilisé il faut que le chef de guerre accepte ou que l'enfant décide de s'enfuir et de participer à ce programme. Mais nous verrons que le plus grand défi ne vient peut-être pas de l'enfant, mais de l'environnement dans lequel ce dernier devra être réintégré, et le fait de leur retirer les armes n'est un acte suffisant pour faciliter une réintégration réussie. Nous analyserons donc dans cette partie qu'il est biaisé de penser que le problème des enfantssoldats s’arrête au moment où la guerre se finit ou bien lorsqu'ils quittent le groupe. Pour les filles, avoir été enfants-soldats non seulement cela signifie avoir été combattante et avoir vécus des sévices sexuels, mais cela signifie surtout un avenir beaucoup plus compromis que celui des garçons. Comme déjà démontré, le statut de soldat ne leur est forcément pas reconnu, elles sont donc exclues des processus de DDR, ce processus qui donne une chance aux enfants de quitter leurs mauvaises habitudes de brousse et d’être pris en charge (1). Deuxièmement ces filles ayant été à l'encontre des normes sociales de genre en commettant des actes de grande brutalité vont être stigmatisées par leurs paires (2). 147 CARLSON Khristopher, MAZURANA Dyan, « The girl child and armed conflict: recognizing and addressing grave violations of girls’ human rights », United Nations Division for the Advancement of Women, 2006 72 (1) Des combattantes exclues du processus de désarmement, démobilisation et réintégration Tous les instruments juridiques traitant des enfants-soldats vont demander la mise en place de structure de DDR. Le but est d'enlever les habitudes de brousse à ces enfants qui ont vécu dans un climat de grande brutalité, car cette jeunesse gâchée et aussi par ailleurs l'avenir du pays. Nous voyons bien le danger qui se dessine à avoir une nouvelle génération entièrement formatée par la guerre, pour qui celle-ci est devenue la norme. Leur ôter leurs mauvaises manies de violence est également un gage pour la sécurité future du pays, car ces enfants représentent un vrai danger pouvant être les rebelles de demain. De nombreux outils juridiques traitant du processus DDR sont disponibles. L’étude sur l’impact des conflits armés sur les enfants pointe le besoin urgent d'adapter les structures de DDR aux besoins des enfants, une vraie réadaptation à la vie civile devant être fournie à ces enfants qui ont vécu des traumatismes très importants et afin de prévenir un nouveau recrutement. Les enfants mal réadaptés à la vie civile, mal accompagnés lors de leur retour à la communauté, peuvent se sentir stigmatisés, voire même rejetés et n'ont alors d'autre choix que de retourner « auprès des leurs » dans la brousse. Par ailleurs, pour des enfants parfois très jeunes qui dès l'âge de 8 ans ont été enlevés à leur famille, ils ont pu retrouver parmi leur « famille de brousse » des liens forts, il ne faut nier cet attachement psychologique aux « frères d'armes ». Durant les séances d'intégration, les enfants pouvaient avoir à attaquer leur communauté d'origine, voire même à tuer, mutiler, des membres de leur famille, afin de rompre de lien et qu'ils ne puissent jamais revenir au sein de leur communauté.148 D’où l’intérêt primordial d'avoir une politique de réinsertion orientée spécifiquement vers les enfants. Malencontreusement tous les enfants ne profitent pas de la même façon de ce processus. Les Principes du Cap vont s'atteler à examiner de façon complète les processus de DDR afin d'en comprendre les lacunes. Ces principes seront en partie repris par les principes de Paris de façon très complète. Nous reprendrons ici les définitions posées par les Principes de Paris. Par le « processus officiel de DDR on entend la libération officielle et contrôlée des combattants actifs de forces armées ou d’autres groupes armés. La première étape de la 148 HYDE Blanche, « Enfants ex-soldats en Sierra Leone », Sud/Nord, 2002 no 17, p. 131-140 73 démobilisation peut s’étendre du traitement des combattants dans des centres temporaires jusqu’à la concentration de troupes dans des camps désignés à cette fin. La deuxième étape de la démobilisation comprend la fourniture de moyens d’appui aux démobilisés, que l’on appelle la réinsertion ». « Le “désarmement” est la collecte, la documentation, le contrôle et l’élimination des armes de petit calibre, des munitions, des explosifs et des armes légères et lourdes des combattants et souvent également, de la population civile. Le désarmement comprend également l’élaboration de programmes de gestion responsable des armes ». « La réinsertion de l’enfant est le processus permettant aux enfants d’opérer leur transition vers la vie civile en assumant un rôle positif et une identité civile acceptés par leur famille et leur communauté dans le cadre d’une réconciliation locale et nationale. La réinsertion est durable lorsque les conditions politiques, juridiques, économiques et sociales dont dépendent la survie, la subsistance et la dignité des enfants sont réunies. Ce processus vise à garantir aux enfants la possibilité d’exercer leurs droits, parmi lesquels l’éducation formelle et non formelle, l’unité de la famille, les moyens d’une existence digne et le droit d’être à l’abri du danger ». 149 Les enfants-soldats peuvent désirer quitter la vie militaire volontairement et s'enfuir, certaines ONG prennent notamment en charge cette démobilisation en ayant un dialogue direct avec les autorités militaires. Les organisations gouvernementales et non gouvernementales travaillent sur trois secteurs d'activité la prévention du recrutement (surveillance), la démobilisation et le retrait, et le soutien à la réintégration. 150 Le processus officiel de DDR est géré par Département des opérations de maintien de la paix des nations unies151. En théorie lorsqu'un enfant souhaite ou doit être démobilisé il doit passer par un centre DDR. Mais lorsque l'on se penche quelque peu sur ces programmes, nous voyons qu'une catégorie de population manque : les filles. D'après l'ONU 6 000 des 76 000 combattants désarmés et démobilisés entre 1998 et 2003 en Sierra Leone étaient des enfants et pour la moitié des filles.152 Mais cette tendance ne se retrouve pas partout, en RDC sur 2000 149 Engagements de Paris en vue de protéger les enfants contre une utilisation ou un recrutement illégaux par des groupes ou des forces armées, Paris- Février 2007 et Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés 150 BODINEAU Sylvie, Figures d’enfants soldats. Vulnérabilité et puissance d’agir, Département d'anthropologie Faculté des sciences sociales Université Laval Québec, 2011 151 Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 152 AYISSI Anatole, MAIA Catherine, « Les filles-soldats: les grandes oubliées du conflit en Afrique», Études 7/2004 (Tome 401), p. 19-29 74 enfants admis au processus DDR, deux filles uniquement étaient présentes.153 a) Le difficile accès au centre de réintégration pour les anciennes combattantes Pour quelles raisons sont telles absentes des processus officiels? Ceci tient à différents facteurs, et premièrement le facteur militaire. Les chefs de guerre sont très peu enclins à révéler qu'ils utilisent des enfants dans les forces armées car ceci est passible d'une condamnation pénale. Mais lorsqu'ils décident de libérer les enfants, ils vont avoir tendance à cacher le recrutement des filles, tout simplement car ceci contrevient aux normes naturelles. Comme déjà mentionné les filles sont utilisées comme outil politique, il est d'autant plus stigmatisant d'avoir des filles au sein des troupes. Elles vont donc être cachées par les commandants, généralement les armées régulières stigmatisent l'utilisation de filles par les armées non régulières afin de les délégitimer aux yeux de la population.154 Par ailleurs, si elles sont épouses de brousse ou esclaves sexuelles, elles vont d'autant plus être considérées comme la propriété du commandant ou de leur mari, et pas forcément la propriété du groupe. Si ces mariages n'ont pas de valeurs légales, ni même de signification pour les familles des victimes, pour les maris ces mariages ont bien souvent une valeur même au-delà de la brousse. Nous voyons donc bien que les filles sont deux fois plus attachées au groupe armé. Deuxièmement cet attachement marital va être accepté non seulement par les groupes armés, mais aussi par le personnel en charge de la démobilisation des filles. Elles seront pensées avant tout comme épouses ou esclaves sexuelles, donc à ce titre elles ne doivent pas être prises en charge par le processus officiel de DDR car c'est une aide attribuée aux combattants. C'est peut-être le plus regrettable, les structures DDR elles-mêmes sont à l’origine de cette discrimination. En effet, il a bien été mis en avant qu'aucune condition ne devrait être demandée à un enfant-soldat pour avoir le droit d'être démobilisé, et que les filles avaient pleinement droit à être démobilisées. Ceci est repris dans les principes Paris, « les définitions figurant dans le présent document doivent servir à établir les critères permettant de déterminer les cas où un enfant est ou a été associé à des forces armées ou à un groupe armé. Ces critères doivent être clairement définis et communiqués à tous ceux qui participent à la sélection des personnes à libérer, et ils doivent inclure expressément les filles ; les forces 153 Plan, « Parce que je suis une fille », La situation des filles dans le monde en 2008, Le point sur les filles dans l'ombre de la guerre, 2008 154 MAZURANA Dyan, MAC KAY Susan, Où sont les filles? Droit et Démocratie, 2004 75 armées et les groupes armés doivent comprendre que les filles, quels que soient les rôles qu’elles ont assumé, sont libérables et doivent intégrer les processus de libération officiels ou non. Les programmes de libération doivent être abordé de sorte que les activités qu'ils prévoient aillent dans le sens d'un accord politique concernant l'inclusion des filles ». Et pourtant, le manque de moyens financiers oblige à faire une sélection des enfantssoldats, en choisissant ceux qui sont admissibles et ceux qui ne le sont pas. Ce qui signifie que bien souvent pour pouvoir entrer dans un centre DDR, les enfants doivent ou montrer un certificat de recrutement (ce qui est pratiquement impossible à obtenir et encore plus pour les filles) ou bien être en possession d'une arme et pouvoir démontrer qu’ils sont capables de s'en servir.155 Et c'est à cette étape décisive que la discrimination se créait, bien souvent pour les plus jeunes enfants, les moins gradés, et pour les filles, les armes ont été confisquées, ils n'ont donc aucun moyen de prouver qu'ils ont été combattants. Par ailleurs, l'un des reproches émis est que le processus DDR a été confié à des ONG mais aussi à des militaires professionnels qui se sont chargés du désarmement. Ces derniers vont dans la période du désarmement opérer une première distinction et avoir tendance à privilégier les garçons qui correspondent mieux à leur « éthique militaire », à un soldat authentique. Les filles-épouses vont dans ce cas de figure être automatiquement évincées.156 Mais les filles elles-mêmes vont se refuser à bénéficier de ce droit, puisqu'elles seront obligatoirement considérées comme combattantes et donc stigmatisées. Elles vont préférer revenir directement à la vie civile de façon « discrète ». Même lorsque les filles connaissent les centres de DDR, ce qui est rarement le cas, elles pensent ne pas pouvoir y avoir accès, et à juste titre qu'il est dangereux pour elles d'y accéder car les centres de démobilisation uniquement réservés aux filles n'existent quasiment pas. Elles doivent donc être mêlées aux garçons ce qui est un problème pour leur sécurité. Quelques fois les centres mélangent même différents groupes, factions ce qui indéniablement dangereux pour les enfants qui sentent encore une forte appartenance pour leur groupe. 155 MAZURANA Dyan, MCKAY Susan, « Girls in Militaries, Paramilitaries, and Armed Opposition Groups », Winnipeg, 2000 156 PUECHGUIRBAL Nadine, Le genre entre guerre et paix Conflits armés, processus de paix et bouleversement des rapports sociaux de sexe, étude comparative de 3 situations en Erythrée, Somalie et Rwanda, Dalloz, 2007 76 De plus, lorsque les enfants sont pris très jeunes ils voient leurs chefs de guerre comme « omniscient et tout-puissant »157, l’emprise des chefs est très forte sur les enfants. Les fillessoldats qui sont également épouses de combattant vont être particulièrement soumises à cette pression psychologique. Elles sont beaucoup plus attachées au groupe, lorsque la fille a été mariée de force ou a eu un enfant avec un membre des forces armées, elle se sent d'autant plus liée et va se refuser à être démobilisée. Dans le cas particulier des épouses de brousse, elles seront plus favorables au fait de rester avec leurs conjoints qui peuvent apporter sécurité physique et matérielle, et ce même en dehors du camp et surtout s'ils ont eu un enfant ensemble. La discrimination continue donc hors du camp puisque les filles disparaissent complètement et sont livrées à elles-mêmes après le conflit. Selon les Principes de Paris, qui comme déjà explicité sont des principes très attachés à la sexo-spécificité, « dès le stade de la planification, les conditions à remplir pour pouvoir bénéficier des programmes de libération et de réinsertion et intégrer les processus de libération non officiels, ainsi que les procédures de sélection y relatives doivent toujours tenir compte du fait que les filles risquent d’être invisibles». Cette invisibilité est aujourd'hui reconnue, et des outils tentent de résorber cette carence des processus DDR. Mais ceci est difficile car il faut non seulement travailler sur les mentalités des acteurs humanitaires, des différentes forces armées engagées dans le processus DDR, comme sur des groupes recrutant les enfants mais également sur les enfants eux-mêmes. b) Quand les discriminations continuent, des centres inadaptés aux combattantes Ce n'est pas la première fois que les acteurs humanitaires sont accusés par le processus de sélection d'évincer involontairement les filles, ceci peut également être le cas dans le cadre de dons de nourriture.158 Les conditions demandées, bien qu'elles cherchent à garantir une certaines sécurité, vont de façon inconsciente promouvoir une norme masculine. Grâce aux outils mis en place, et notamment l'impulsion donnée par l'ONU pour une meilleure prise en compte des sexo-spécificités dans tous les aspects de l'assistance humanitaire, les ONG tentent de résoudre ce problème. Toutefois le manque de moyens financiers fait que bien souvent ils sont incapables de pallier cette carence. 157 BATAILLON Gilles, « Enfants guérilleros du Nicaragua, Les pichirules miskitus 1981-1987 », Vingtième siècle, revue d'histoire, Presses de Sciences Po, Paris, 1984 158 GAGNE Julie, RIOUX Jean Sébastien, Femmes et conflits armés : réalité, leçon et avancement, Presses Université Laval, 2005, Collection politique étrangère et sécurité, 2005 77 En effet le JRS (Service Jésuites de Réfugiés) était en charge d'un camp DDR et met en exergue dans son rapport le problème des filles. Ils affirment que 100 % des enfants ayant transité par leur camp étaient des garçons, mais que ce chiffre n'était absolument pas significatif des réalités militaires car ils savent que les filles sont bien présentes dans les armées. Ils ne peuvent recevoir ces filles au regard de ce qui a été décrit plus haut, car ils n'ont pas les moyens financiers et donc matériels d'accueillir les filles efficacement. Il est impossible pour eux de garantir des locaux séparés pour elles, ou même de garantir la présence de personnels féminins pour s'occuper d'elles.159 Toutefois, ceci n'est pas nécessairement la norme, des filles arrivent à intégrer les centres de DDR, mais leur traitement à l'intérieur laisse quelques fois à désirer. Le problème de la réintégration des filles est d'autant plus complexe, car non seulement elles sont attachées psychologiquement au groupe auquel elles ont appartenu, mais elles ressentent de plus une double culpabilité celle d'avoir été combattante et celle de revenir avec un enfant de l'ennemi ou en étant femme de l'ennemi. Il est nécessaire de redonner à ces enfants la confiance en un adulte responsable et les respectant, pour les filles redonner confiance en un homme adulte responsable est absolument nécessaire. Comment assurer ceci efficacement alors que hors du centre les discriminations à l'égard des filles persistent ? Comment les réintégrer et leur redonner une estime d'elles-mêmes sans pour autant en faire des intouchables, trop indépendantes à leur retour chez elles. Les enfants sortant des groupes armés sont évidemment dotés d'une forte agressivité car ils ont vécu dans une communauté violente agressive, sans règles, ni lois.160 Leur fusil leur a ouvert toutes portes donc il faut leur inculquer de nouveau la valeur travail, de mérite. On ne peut les laisser revenir dans la communauté sans leur donner les moyens de vivre car ils ne doivent pas être une charge pour leurs parents, ni pour la communauté qui a bien souvent déjà du mal à s'en sortir, ils risqueraient d’être stigmatisés, de s'enfuir et d’être recrutés à nouveau. Il faut savoir que les enfants sortis de la brousse ne vont pas forcément trouver un avantage à se réinsérer à la vie civile, le sentiment d'agressivité manifesté va provenir du sentiment d'injustice qu'ils vont ressentir dans le centre. Dans la brousse, ils étaient complètement libres, régulés par la loi du chacun pour soi, sans adultes qui commandent mais qui au contraire abusent d'eux.161 159 JRS (Service Jésuite de Réfugiés), « Comprendre le phénomène des enfants soldats », février 2007 HYDE Blanche, « Enfants ex-soldats en Sierra Leone », Sud/Nord, 2002 no 17, p. 131-140 161 Ibid. 160 78 Ils vont revenir frustrés, car ils vont retourner dans une société régulée où ils n'ont plus leur rang, car bien souvent pour motiver les enfants on leur donnait des avancements symboliques, des grades de commandant très jeunes. Les filles en revenant dans la communauté vont perdre de leur pouvoir social et symbolique, et vont être tentées de reprendre les armes. Mais leur identité de rebelle leur colle à la peau, ces centres sont au cœur de la réadaptation psychologique qui permettra une démobilisation de long terme. Les filles pour leur part, peuvent en plus arriver au centre de démobilisation accompagnées, en effet elles ont pu devenir mères dans le camp, et la prise en charge sanitaire et nutritionnelle de leur enfant n'est pas forcément assurée au sein du centre. En ce qui concerne la prise en charge sanitaire, les violences sexuelles répétées ont bien souvent entraîné des lésions vaginales sévères qui nécessitent un suivi gynécologique adéquat, ce qui n'est pas nécessairement prodigué dans ce genre de centre. Les filles ayant souffert de grossesses prématurées très jeunes ont des séquelles qui mènent quelques fois à la mort. Le corps des jeunes filles n'est pas apte à subir des grossesses prématurées, et parfois répétées, les violences sexuelles sont une torture comme une autre dont les séquelles se ressentent à long terme. 162 Certains exemples démontrent que les filles ne sont absolument pas « attendues » dans les centres DDR. Certaines filles rapportent que les paquets donnés dans les centres ne contenaient que des vêtements masculins, ou bien que l'argent reçu était le même pour tous les soldats, alors même que certaines filles avaient des enfants à charge.163 Par ailleurs, il est difficile de s'assurer que l'argent fourni aux filles leur reviendra effectivement, il peut être pris par leurs parents ou pire par leur époux de brousse. Non seulement les filles ne sont que rarement présentes dans ces centres, mais en plus de cela les centres ne sont généralement ni formés, ni aptes à les prendre en charge efficacement selon le principe de sexo-spécificité, et vont donc perpétuer la discrimination dont elles sont constamment victimes. Dès 1996 la note du SGNU concernant les programmes pour prévenir le recrutement, démobiliser, soutenir la réintégration en Angola, au Mozambique, au Soudan, au Sierra 162 Amnesty International, « Les crimes commis contre les femmes lors de conflits armés », Chap. Femmes et Fillettes Soldats, 2004 163 Plan, « Parce que je suis une fille », La situation des filles dans le monde en 2008, Le point sur les filles dans l'ombre de la guerre, 2008 79 Leone, au Liberia, au Salvador, au Guatemala, aux Philippines, au Sri Lanka affirme que « dans les situations de conflit armé, et même en temps de paix, les femmes et les filles déplacées et réfugiées ont des besoins spécifiques de soins génésiques, obstétriques et gynécologiques et d'assistance socio-psychologique qui sont liés aux effets des viols et abus sexuels, aux complications de la grossesse et de l'accouchement, aux mauvaises conditions d'hygiène dans les camps et à la perte des systèmes traditionnels d'entraide communautaire. L'éducation sanitaire, les soins préventifs et l'assistance socio-psychologique sont particulièrement importants pour les femmes et les filles qui ont été violées, qui ont subi une mutilation sexuelle ou qui ont été forcées à se prostituer et qui sont plus vulnérables aux maladies sexuellement transmissibles et au VIH/SIDA ». Il faut remarquer que sont expressément rapportées les femmes et filles déplacées ou réfugiées, nous voyons qu'à cette époque on établit ce qui sera par la suite la « norme naturelle», c'est-à- dire associer les garçons au processus de DDR et les filles au HCR. Encore aujourd'hui involontairement, on accepte plus facilement d'associer les filles au HCR qui serait la structure naturelle pour les accueillir, alors que le statut de réfugié ne correspond pas à ce qu'elles ont vécu et par conséquent ne fournit pas le soutien psychologique dont elles ont besoin en tant qu'ex-enfantsoldat. Le Groupe de travail inter-agences des Nations Unies sur le DDR été créé en mars 2005, avec le mandat d’améliorer la performance des Nations unies dans le domaine du DDR. Il compte 15 départements, agences, fonds et programmes onusiens parmi ses membres.164 En 2006, le lancement des Normes intégrées en désarmement, démobilisation et réinsertion par le groupe de travail, visent à établir un cadre de « bonnes pratiques » et a permis d’obtenir un ensemble détaillé de politiques, de lignes directrices et de règles de procédure. Il s’agit d’une compilation des meilleures pratiques en matière de DDR. Les normes permettent aussi de traiter de questions communes, comme celle des femmes et du DDR et du VIH/sida et du DDR. Le VIH et autres IST sont des problèmes majeurs puisqu'on considère que 70 à 90% des filles violées en Sierra Leone ont une IST. 165 C'est encore un défi auquel il faut faire face au niveau sanitaire. 164 165 Bureau international du droit des enfants, « Les enfants et les conflits armés, un guide en matière de droit international humanitaire et de droit international des droits de la personne », 2010 MAZURANA Dyan, MAC KAY Susan, Où sont les filles? Droit et Démocratie, 2004 80 Il est malheureux de se rendre compte encore une fois que deux fois plus discriminées, elles seront tout de même les grandes sacrifiées. C'est un non-sens car même si aujourd'hui les acteurs de la communauté internationale ont conscience de ce problème, la parité dans l’accès humanitaire n'est toujours pas assurée. Ce problème fait écho à ce qui a été vu plus haut, le manque d'intégration des femmes au processus de paix, elles n’organisent pas la paix, elles sont donc peu prises en considération au moment de réparer les troubles de la guerre. Toutefois, afin de nuancer les propos, il faut remarquer que la tendance va vers une plus grande prise en charge des filles dans le processus DDR. La RCS 1325, déjà citée pour son aspect particulièrement novateur, a mis en avant cette nécessité d'intégrer les anciennes combattantes au processus DDR. Le CSNU « engage tous ceux qui participent à la planification des opérations de DDR à prendre en considération les besoins différents des femmes et des hommes ex-combattants et à tenir compte des personnes à leur charge ». Ceci a particulièrement été mis en œuvre au Liberia, mais également le programme de DDR mis en place en 2004 en Côte-d’Ivoire prévoyait « la prise en compte des filles et femmes excombattantes parmi les 30 000 personnes à désarmer et à réintégrer dans ce pays ».166 Si les filles sont moins facilement admises aux centres DDR cela signifie qu'elles ont donc moins de chances de réintégration sociale. Il faut bien comprendre comment ces filles sont accueillies à leur retour, pour voir que le passage par le centre est primordial. Le minimum d'accompagnement qui peut être fourni peut les sortir de bien des problèmes postérieurs comme le ré-enrôlement, mais surtout leur éviter de tomber dans le cercle de la prostitution. Elles vont encore une fois être moins bien traitées que les garçons à leur retour et vont être obligées de fuir une à nouveau. Nous allons désormais voir que la sortie du groupe armé ne permet pas d’améliorer leurs conditions de vie, bien au contraire, pour elles l'enfer va continuer. (2) La difficile réintégration communautaire « Dans ma communauté je ne suis plus considérée comme un être humain (…) J'étais un être humain mais j'ai été traitée comme un animal (…) Avant ces événements j'étais une femme avec sa dignité. » Pulchérie Mankiandakama 166 AYISSI Anatole, MAIA Catherine, « Les filles-soldats: les grandes oubliées du conflit en Afrique», Études 7/2004 (Tome 401), p. 19-29 81 Pulchérie Makiandakama, a été violée par les soldats supposés appartenir à l'armée privée de Jean-Pierre Bemba. Il s'agit de la première victime à témoigner au cours procès Bemba actuellement en cours à la CPI. Pulchérie est une des rares victimes qui refuse de témoigner avec des mesures de protection habituelle visant à préserver son identité, car elle souhaite être reconnue comme une victime auprès de sa communauté et non pas comme coupable.167 Les acteurs humanitaires le savent ce processus DDR n'est pas une fin en soi, la famille et la communauté sont au cœur du processus de réintégration. Tout processus DDR vise en premier lieu à faire que les enfants soient ré-accepter par leurs paires ce qui ne va pas de soi quand on sait que bien souvent ils ont commis des exactions au sein même de leur groupe primaire. Quelquefois pas directement, ce sont d'autres membres du groupe auquel ils appartiennent qui ont agi, mais cela est suffisant pour les rendre responsables des souffrances qu'ont vécues les populations victimes. a) La difficulté pour l’ex fille-soldat de se faire accepter auprès des siens Pour les parents et la communauté en général ce sont leurs enfants, mais ils sont aussi et surtout les responsables des atrocités qu'ils ont pu vivre, des coupables, et en même temps des potentiels futurs fauteurs de troubles. Plus l'enfant a passé du temps au sein du groupe armé, plus cette inquiétude s’accroît. L'enfant qu'on ne connaît plus rentre, il peut même être devenu adulte. Cette génération d'enfants-soldats est souvent considérée comme une génération perdue qui n'a connu que la guerre, et qui de plus à jouer un rôle actif dans les hostilités. Ainsi, il y a une différence notable entre la manière dont les enfants-soldats sont perçus au niveau international et comment ils sont perçus par leur communauté d'origine. Si les conventions internationales et les Tribunaux internationaux ont permis de construire une image de victime, il n'en est pas de même pour les populations locales. Ceci pointe à juste titre le problème de la culture de la guerre présente chez les jeunes générations, ils risquent de reproduire ce qui a été pour eux la norme au cours de leur développement physique et intellectuel. 167 Bulletin du Groupe de travail pour le droit des victimes, « Le droit des victimes devant la CPI », été/automne 2008 82 La prise en charge ne peut être effectuée qu'au niveau du centre DDR, c'est une réinsertion de longue durée dans la communauté qui peut permettre à ces enfants de s'en sortir. En Afrique, Asie ou en Amérique latine, il faut au-delà de la réhabilitation individuelle surtout penser à l'articulation entre la communauté et l'individu. La Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant démontre bien cette tendance, bien que la conception occidentale impulse une vision individualisée des droits, la Charte africaine contrairement aux instruments juridiques internationaux, dits universels, met particulièrement l'accent sur l'essence du groupe plus que sur l'individu.168 Une réinsertion réussie doit inclure une réinsertion physique mais aussi dans un espace relationnel et affectif, ce qui est évidemment très difficile lorsque l'on sait le conflit a détruit le tissu social. Le stress, la dépression, l'anxiété, l'endurcissement des enfants dans la brousse, plus sauvage et plus indépendants sont d'autant de phénomènes qui vont compromettre la réinsertion des enfants-soldats et qui vont agir sur le bien-être de la communauté.169 Le fait que ces enfants vont être discriminés à leur retour, car ils représentent à eux seuls toute la violence du conflit, ne va pas simplifier la réinsertion. Premièrement car ils ont commis des atrocités, ont pris part activement au conflit, mais par ailleurs car ils ont été en contact avec ceux qui mettent le pays à feu et à sang. Ils reviennent avec des attitudes de brousses, non compatibles avec la vie civile. Deuxièmement, ces enfants représentent également une honte, celle qui rappelle à tous qu'ils sont vulnérables, attaquables. C'est bien pour cela que l'on cible les enfants, pour affaiblir la communauté, le retour de ces enfants rappelle à la communauté qu'elle n'a pas été capable de se protéger, de les protéger. Toutes ces considérations ne sont bien sûr pas automatiques, le retour des enfants étant très attendu parfois, mais bien souvent ces enfants vont être fortement stigmatisés. Les communautés doivent elles aussi être formées à réintégrer ses enfants, les accepter avec leur passé. Pour les communautés traditionnelles, la fille sera allée à l'encontre des rôles usuels et sera fortement stigmatisée pour cela. Mais de plus, il lui sera demandé de rentrer dans un rôle stéréotypé que la fille n'arrive plus à jouer, car elle a vécu hors des codes sociaux dans la brousse. Les communautés traditionnelles, contrairement à la communauté internationale, intègrent pleinement le fait qu'elles aient été combattantes. Elles vont donc être fortement 168 GHERARIVOL Habib, « La Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant (note) », Études internationales, 22, n° 4, 1991, p. 735-751. 169 HYDE Blanche, « Enfants ex-soldats en Sierra Leone », Sud/Nord, 2002 no 17, p. 131-140 83 stigmatisées pour leurs mauvaises manières, les attitudes de sauvage sont gênantes si elles viennent d’un garçon, mais elles deviennent inadmissibles pour une fille. De plus, les filles sont deux fois plus des « hontes », elles reviennent enceintes ou mères d’enfants de rebelles qui sont aux yeux de la communauté les rebelles de demain.170 Lorsque l'on connaît le statut particulier des filles dans les communautés traditionnelles avant même qu'elles n'entrent en guerre, il n'est pas étonnant que la stigmatisation qu'elles subissent en temps de guerre soit encore plus forte. Si elles ont été soumises à des violences sexuelles, elles seront une honte pour la communauté, comme déjà expliqué le viol est perpétré afin de torturer physiquement et psychologiquement faisant naître une honte chez la victime et son entourage. Elle sera souillée par l'ennemi, mais si elle a été épouse de brousse le traitement qu'elle recevra sera encore pire. Et c'est bien là que l'on comprend tout l’intérêt pour le TSSL d'en faire un crime à part entière. Il sera admis par la communauté que ces épouses ont accepté leur statut marital, ou même qu'elles ont accepté de coucher avec un homme sans être réellement mariées, ce qui fera d'elles des traînées, un déshonneur pour la famille qui ne pourra plus leur trouver de maris. Et sans un mari, sans éducation, et donc sans travail, elles deviennent une charge pour la famille. Huit des dix pays où le taux de fécondité est le plus élevé chez les adolescentes sont des pays en conflit, en compte parmi eux la RDC, le Liberia, la Sierra Leone, l'Ouganda, et le Tchad.171 Celles qui reviennent enceintes vont être tentées de pratiquer des IVG à risque, de fuir ou même de tuer leurs enfants nés de l'ennemi afin d'éviter la stigmatisation.172 « Les filles, en particulier, sont souvent montrées du doigt, voire rejetées par leur communauté si celle-ci sait qu’elles ont été employées par une force armée ou un groupe armé et le rejet de leurs enfants peut être encore plus complet ».173 Elles deviennent par ailleurs une menace pour la communauté, rien ne peut garantir que le « mari » ou le père de l'enfant ne revienne chercher les siens, mettant alors toute la communauté en danger. Tant que cette menace planera la fille sera considérée comme un danger pour le groupe. Il en va de même si 170 THEBAUD Françoise, Commentaire Stéphane Audoin-Rouzeau, L'Enfant de l'ennemi, « Le temps des jeunes filles », Histoire, femmes et sociétés, CLIO, Numéro 4,1996 171 Plan, « Parce que je suis une fille », La situation des filles dans le monde en 2008, Le point sur les filles dans l'ombre de la guerre, 2008 172 THEBAUD Françoise, Commentaire Stéphane Audoin-Rouzeau, L'Enfant de l'ennemi, « Le temps des jeunes filles », Histoire, femmes et sociétés, CLIO, Numéro 4,1996 173 Engagements de Paris en vue de protéger les enfants contre une utilisation ou un recrutement illégaux par des groupes ou des forces armées, Paris- Février 2007 et Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés 84 elles reviennent avec un handicap physique, ou bien atteinte d'une IST, elles ne seront pas capables de retrouver un mari et ayant un retard certain en matière de scolarisation, elles ne seront pas capables de trouver un emploi les permettant de s'émanciper. Pour les femmes contrairement aux hommes les mutilations et blessures de guerre sont une honte, alors que pour les hommes c'est un sujet de vantardise. C'est justement pour toutes ces raisons qu'elles vont décider de rester avec leur époux de brousse, qui leurs assurent la sécurité même après la vie dans le camp. Mais elles ont également des sentiments ambigus envers leur ravisseurmari, en effet dans des sociétés où le mariage forcé ou par arrangement est encore pratiqué largement, il n'est pas difficile pour les filles d'accepter leur condition de femme de ravisseur. Elles n'auraient de toute façon peut-être pas eu le choix. Le retour à la communauté ne leur assure, de plus, généralement pas le soutien sanitaire dont elles nécessitent, elles vont être d'autant plus une charge pour leur famille en rentrant malade. En effet, elles souffrent généralement de lésions génitales importantes, en outre nous savons que 80% des filles qui sont retenues en captivité pendant une longue période reviennent infectées, elles sont infectées par le SIDA ou autres IST par des soldats ayant diverses partenaires forcées.174 Cette tendance s'étend aux filles de plus en jeunes car certaines fausses croyances sont répandues, notamment le fait que la maladie sexuelle peut être soignée si l'on a une relation sexuelle avec une personne très jeune, vierge, et donc non infectée. Cette transmission serait en fait comme une passation. A cause de facteurs biologiques, les femmes sont plus enclines à être infectées, en effet 61% des adultes séropositifs en Afrique subsaharienne sont des femmes.175 Mais il faut aussi prendre en considération tous les problèmes liés à la santé reproductive, elles ont souvent vécu des accouchements au milieu de la brousse dans des conditions insalubres et sans assistance. Mais de façon générale, au-delà des infections d’ordre gynécologiques ou liées à des grossesses, les enfants-soldats qui ont vécu une hygiène de vie déplorable pendant leur période de captivité reviennent avec des problèmes de malnutrition, choléra, et autres infections multiples. S'ajoute à cela une forte addiction à la drogue qui peut être un fléau sanitaire comme financier. Pour toutes ces raisons le retour va 174 Amnesty International, « Les crimes commis contre les femmes lors de conflits armés », Chap. Femmes et Fillettes Soldats, 2004 175 Plan, « Parce que je suis une fille », La situation des filles dans le monde en 2008, Le point sur les filles dans l'ombre de la guerre, 2008 85 s'avérer souvent très dur pour les anciennes combattantes. De plus, à la culpabilité de survivre à la guerre, qui se manifeste souvent par un refus de grandir chez ces enfants, s'ajoute la culpabilité pour les filles de ne pas avoir respecté les schémas dictés par les valeurs traditionnelles. La communauté doit accepter les violences qu'ont subies ces filles, mais en plus le groupe, et les hommes en particulier, doivent être informés des changements liés aux comportements des filles, et accepter cette nouvelle forme émancipation car bien souvent les programmes de DDR proposent des formations aux filles, des solutions alternatives de réinsertion par le travail. Ceci peut être vécu comme une perte de pouvoir symbolique par les hommes de la communauté d'où la nécessité de les préparer au retour de ces filles. Les filles subissent des conséquences bien spécifiques de la période qu’elles ont passée au sein des forces armées ou des groupes armés, justement parce qu'elles sont des filles. La réprobation dont elles font l’objet est d’une nature foncièrement différente, elle dure beaucoup plus longtemps, elle est nettement plus difficile à combattre et est plus marquée.176 Essentiellement, les populations considéreront que de nombreuses filles ont perdu leur « valeur », mais sont également vues comme porteuses de désordre social car elles risquent de compromettre les autres filles et de les entraîner à avoir des mauvaises manières. Il faut comprendre que ces filles sont moins aptes à se soumettre aux règles patriarcales. Il faut donc encourager un sentiment de responsabilité collective auprès de ces enfants.177 Il faut donc faire un travail de conscientisation et de sensibilisation car la honte n'est pas individualisée, mais elle touche toute la communauté.178 Les filles qui ont réussi à s'échapper, bien conscientes de la stigmatisation qu'elles vont vivre à leur retour, humiliées et honteuses, décideront d'elles-mêmes de ne pas rentrer chez elles et vont directement tomber dans le cercle de la prostitution. Elles n'ont donc d'autres choix que de repartir dans les grandes villes, généralement pour se prostituer. C'est le seul moyen qu'elles ont de subvenir à leurs besoins et ceux de leurs enfants. En effet on enregistre un regain considérable de la prostitution pendant et après les conflits armés.179 Les filles sont donc à la sortie du groupe armée susceptibles d’être victimes de trafics et d'exploitation 176 MAZURANA Dyan, MAC KAY Susan, Où sont les filles? Droit et Démocratie, 2004 Ibid. 178 Ibid. 179 ZONGO Abdelaziz, Les femmes entre instrumentalisation et Victimisation dans les conflits armés, Les écoles Saint Cyr Coetquidan, 2008 177 86 sexuelle, mais « choisissent » dans bien des cas cette solution afin de répondre à leurs besoins de survie. Les filles qui reviennent directement dans la communauté, ou qui fuient sans passer par le processus officiel de DRR, ne bénéficient pas du soutien nécessaire et s'enferment alors dans une spirale qui n'est qu'une longue atteinte à leurs droits. b) La question des réparations, un enjeu pour une justice réparatrice et transformatrice Rappelons que la Convention de New York exige à l’article 39 que « soient prises en charges toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique de tout enfant qui a été victime d'un conflit armé ». Tant que les discriminations que les filles-soldats ont subies dans les forces armées ne seront pas effectivement réparées, les mêmes discriminations se répéteront au sein même de la communauté.180 Ces considérations de terrains sont primordiales au niveau du droit pénal international, car la vie réelle de ces victimes et ce qui se passe à La Haye ne sont pas déconnectés. Ces filles se refusent généralement à participer aux procès pénaux internationaux, ou à dénoncer ces violations car elles ont peur d’être stigmatisées par la suite par les communautés locales. Dans certaines circonstances, elles pourraient être vues comme responsables des crimes et non comme victime ce qui va empêcher leurs témoignages.181 C'est un cercle vicieux, car elles n'auront par conséquent pas ou peu accès aux réparations. Mais par ailleurs, la justice pénale internationale en incluant des charges concernant les violences de genre permet, ne serait-ce que symboliquement, de mettre fin à la stigmatisation incessante qu'elles vivent en affirmant au plus haut niveau que ce sont bien des victimes et qu'à ce titre elles ont droit à être considérées comme telles. Mais la question des réparations accordées est également primordiale, en effet la CPI a reconnu un droit sans précédent aux victimes de participer au procès, mais ces victimes ont à juste titre un droit à la réparation. Le type de réparation peut avoir une influence considérable 180 Plan, « Parce que je suis une fille », La situation des filles dans le monde en 2008, Le point sur les filles dans l'ombre de la guerre, 2008 181 Conférence International Criminal Court and Gender, Foreign Institute, Vrije Universiteit Brussels, 05/2012, Bruxelles 87 sur les filles. La question importante est de savoir sur quelles bases vont se faire les réparations. Les réparations peuvent se faire sur une base individuelle, bien que justifié, ce type de réparation pourrait en réalité accroître la stigmatisation des enfants, surtout s'il s'agit d'une réparation pécuniaire. La réparation peut par ailleurs être collective, ce qui semble le plus logique sachant que l'atteinte a été perçue de manière collective. Cette réparation collective peut inclure la construction d'une école pour le village entier, des centres de soutien médicaux, ou des accès facilités au microcrédit. Une réparation qui bénéficierait à la communauté entière permettrait une meilleure acceptation des enfants. Certaines victimes demandent des réparations symboliques, comme le pardon ou des activités de sensibilisation auprès des populations locales sur ce qu'ils ont vécu. Cependant ces réparations doivent par ailleurs prendre en compte les violences sexuelles subis par les enfants. « Dans leurs rapports respectifs à la Chambre déposé en Septembre 2011, le Greffe et le Fond d'affectation spéciale au profit des victimes ont également reconnu explicitement la violence sexuelle comme motif de réparation, tout en soulignant l'importance des réparations collectives. Le Fond a également reconnu la prévalence de crimes sexistes contre les enfants-soldats dans son premier rapport sur les réparations, dans lequel elle a noté que la violence sexuelle a été perpétrée largement contre les filles et les garçons soldats au cours de leur conscription, enrôlement et/ou participation ».182 Au cours des entrevues menées par le Fond en 2010 avec d'anciens enfantssoldats bénéficiaires de projets d'assistance, plus de 48% des anciens enfants-soldats (dont 66,7% étaient des filles et des garçons 32,2%) ont indiqué qu'ils avaient fait l'objet de violences sexuelles et 35% d'anciens enfants-soldats garçons ont indiqué qu'ils avaient été forcés de commettre des violences sexuelles ».183 D'après les recommandations émises par Women's Initiative Gender for Justice, les réparations si elles se veulent effectives ne doivent pas seulement être réparatrices mais également transformatrices afin d'accompagner un changement durable. Par ailleurs, elles doivent aborder les inégalités de genre existant au sein de la communauté et doivent contribuer à la promotion de l'égalité entre les sexes à travers les types de programmes financés et le type de soutien apporté aux communautés victimes.184 182 Trust fund for victims observations on reparations in response to the scheduling order of 14 mars 2012, 25 avril, ICC 183 Women’s Initiative Gender for Justice, « DRC: Trial Chamber I issues first trial Judgement of the ICC Analysis of sexual violence in the Judgement », Legal Eye on the ICC eLetter May 2012, 30/05/ 2012 184 Women's Initiative Gender for Justice, « DRC: Women's Initiatives granted leave to participate in reparations proceedings in Lubanga case », Legal Eye on the ICC eLetter May, 30/05/2012 88 Selon BdP, toutes les victimes des attaques perpétrées par l'UPC pourraient demander réparation. Le Greffe soutient également que des critères moins restrictifs que ceux demandés pour la participation à l'affaire pourraient satisfaire. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'à l’article 74(2) du Statut de Rome est prévu que le jugement « ne devra pas aller au-delà des faits et des circonstances décrits dans les charges ». On estime que 2900 le nombre d'enfants ayant été associés à l'UPC, la réparation pourrait prendre une ampleur considérable surtout si elle est effectuée sur une base individuelle. Le fait d'obtenir des réparations pour les victimes est un droit mais il ne faut pas que ceci compromette encore une fois le droit des filles. Un autre problème se pose avec les compensations pécuniaires, les femmes auront-elles réellement un pouvoir sur argent qu'elles reçoivent ? Ce qui ressort des volontés des victimes c'est le désir de bénéficier de compensations financières, mais ils et elles demandent par ailleurs des campagnes de sensibilisation, en particulier sur les enfants-soldats et les violences de genre.185 185 Bulletin du Groupe de travail pour le droit des victimes, « Le droit des victimes devant la CPI », été/automne 2008 89 Conclusion Nous avons essayé de comprendre dans ce mémoire toute l'ampleur du phénomène des filles-soldats, que cela soit sous les aspects sociologiques comme juridiques, mais surtout en essayant de décrypter les interconnexions entre les différents niveaux, l’international et le local. Nous avons pu aborder toute la complexité du rôle des filles et des femmes en général dans la guerre, mais bien au-delà nous avons vu à quel point il est difficile de prendre en considération les différences de genre dans le cadre d'un conflit armé. Cette période guerrière étant particulièrement propice la diffusion des stéréotypes de genre, les mentalités militaristes ayant tendance à accentuer le sexisme déjà très présent. Même si au niveau international l'arsenal juridique qui protège les femmes est considérable, que cela soit en droit international humanitaire ou en droit international des droits de l'Homme, le traitement des sexo-spécificités dans toutes les dimensions du conflit demeure un vrai problème. La communauté internationale a réussi à prendre en compte efficacement le phénomène des enfants impliqués dans les conflits armés, en développant des instruments juridiques particulièrement complets, et par ailleurs, une jurisprudence qui assure une sanction pénale efficace afin de mettre fin à l'impunité. Toutefois, le traitement des filles dans la guerre n'a pas pris ce même tournant décisif. Les femmes et les filles étant encore bien trop souvent considérées comme passives demeurent enfermées dans des clichés qui vont nuire à la réelle prise en charge de leurs problèmes. Ceci est d'autant plus vrai pour les filles et jeunes femmes qui représentent une double minorité, cumulant l'effet sexe et l'effet génération. Elles seront à bien des égards exclues d'une protection efficace. Accepter que ces filles combattantes existent, accepter qu'elles représentent pratiquement un tiers des forces armées, définir leurs besoins, prendre en considération la réalité de leur souffrance est un véritable défi, et même si aujourd'hui ces lacunes sont de plus en plus instamment montrées du doigt, des efforts considérables restent à faire pour rétablir une véritable égalité entre les sexes. L'important est surtout ne pas créer un droit qui reproduirait ces inégalités. Bien trop souvent les préjugés établis empêchent de résoudre les problèmes de genre, et peuvent même dans bien des cas favoriser leur persistance. Comme il a pu être démontré, la focalisation sur les considérations passives de la femme vont forcément entraîner le renforcement des 90 stéréotypes. Le droit peut être un formidable outil transformateur qui impulse une nouvelle vision de la société, mais peut tout autant renforcer les préjugés. L’intérêt est donc bien de créer des instruments juridiques adéquats, qui doivent confronter la réalité telle qu'elle est conçue par les instruments juridiques, à la réalité telle qu'elle est vécue par les personnes concernées. Le défi dans le cas des filles-soldats est d’admettre qu'elles sont combattantes à part entière, et non pas uniquement esclaves sexuelles ou épouses forcées comme il est facile de le penser. Mais à travers le problème des violences sexuelles nous voyons un autre défi se dessiner, il faut repenser totalement la façon de gérer les problèmes. Si la communauté internationale accepte de les prendre en compte en tant que combattantes, cela ne remet pas en considération le fait que la norme reste le masculin. Le but n'est pas de créer une dichotomie entre ceux qui seraient passifs et ceux qui seraient actifs, et faire entrer les filles dans le clan des « actifs », ceux qui combattent. Mais le défi est bien de comprendre qu'elles sont tour à tour les deux, et que les cadres tels qu'ils sont établis aujourd'hui ne permettent pas cette double appartenance. Soit civil, soit combattant, soit victime, soit bourreaux, dans le cas de ces enfants-soldats ce cadre n'a aucune pertinence. Bouleverser le cadre de penser pour prendre en compte toute la complexité du problème permettrait de protéger et réhabiliter pleinement ces filles, mais bien au-delà peut-être aussi comprendre le rôle des garçons qui ne sont pas à l'abri des préjugés. A travers le traitement réservé par la jurisprudence internationale aux enfants-soldats, nous sommes face à deux défis. Premièrement le fait d'assimiler les filles pleinement à des enfants-soldats ne permet pas de prendre totalement en compte toute la dimension sexuelle de leur rôle. Mais par ailleurs, accepter de condamner les violences sexuelles risque de les exclure, ne serait-ce qu’indirectement du groupe enfant-soldats. Cela ne permet pas de remettre en cause les idéologies dominantes, qui assimilent la fille au viol et le garçon au front. Ni l'une ni l'autre des réalités réductrices n’est satisfaisante, nous l'avons vu en rentrant chez elles les filles sont doublement discriminées, pour avoir été des meurtrières et pour être des traînées. Bien plus que le phénomène des filles-soldats, c'est le problème du paternalisme juridique qu’il faut revoir, afin que la norme ne soit pas uniquement celle perçue par l'homme pour l'homme, mais par les Hommes pour les Hommes. Ce droit véhicule des images 91 stéréotypées et retranscrit les idéologies patriarcales renforcées en période de conflit armé. Les différences socio-culturelles entre les sexes sont enracinées dans les institutions publiques et privées qui interviennent pendant et après les conflits, y compris la justice, favorisant et renforçant les conceptions de genre, d'appartenance à un sexe social, et par conséquent le déséquilibre de pouvoir. Ceci empire lorsqu'il y a une défaillance des institutions globales et locales. Même si de nombreuses critiques sont émises en ce qui concerne le traitement des filles au niveau international, il faut bien se rendre compte que malgré cela le niveau international reste le niveau le plus pertinent pour impulser un changement. Au niveau local, il est très difficile de rendre justice aux femmes et aux enfants qui sont, en tant que personnes vulnérables, les premiers exclus des systèmes administratifs et juridiques. Malheureusement, les filles sont victimes de préjugés bien ancrés qui sont fatals en période guerre mais évidemment ces préjugés nuisent en tout temps. En période de conflit, la tendance est à l'exacerbation des discriminations et des préjugés établis et maintenus en temps de paix. Si la femme n'est pas respectée en temps de guerre, c'est parce que les différences sont cristallisées en temps de paix, et que rien n'est vraiment promu pour changer leur condition. En espérant que la peine de 14 ans de prison infligée à Thomas Lubanga soit assez dissuasive, même si nous ne pouvons que regretter que les violences sexuelles subies par les enfants-soldats, filles et garçons, n’aient pas été des facteurs aggravant dans le prononcé de la peine.186 La Chambre ayant conclu que la violence sexuelle, dans le contexte des accusations, n'a pas été établie hors de tout doute raisonnable. La Chambre de première instance a indiqué que sur la base des éléments de preuve présentés par l'Accusation, elle n'était pas en mesure de conclure que la violence sexuelle contre les enfants recrutés était suffisamment répandue. Elle n’a par ailleurs pas pu conclure que les actes de violence sexuelle pouvaient être attribués à Thomas Lubanga dans une manière qui reflète sa culpabilité personnelle.187 Cette décision est indéniablement une grande déception, démontrant bien que la bataille pour une meilleure prise en considération des filles-soldats est plus que jamais d’actualité. 186 187 Annexe 5 –Sentence Lubanga 10/07/2012, section concernant les violences sexuelles INDER Brigid, « First Sentencing Judgement by the ICC The Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo », Women’s Intiative for Gender Justice, 11/07/2012 92 Mais il ne faut pas oublier que le véritable impact sur la communauté découlera de l’issu de la décision sur les réparations. « In a separate Decision, the Chamber will assess whether this factor (sexual violence) is relevant to the issue of reparations. ». En espérant que ces dernières viendront effectivement corriger les effets de crimes qui sont restés jusqu’alors impunis. 93 Annexes 1. Principes de Paris concernant les filles-soldats (Principes faisant explicitement référence au traitement des filles) 2007 2. Tableaux de synthèse les filles-soldats dans les groupes armés « Où sont les filles? » Dyan Mazurana et Susan Mac Kay, 2004 3. Jugement Lubanga – 14/03/2012 Responsabilité personnelle 4. Opinion dissidente juge Odio Benito - Référence au terme « use » 5. Sentence Lubanga – 10/07/2012 Paragraphe « violences sexuelles » 94 (1) Principes de Paris concernant les filles-soldats (Principes faisant explicitement référence au traitement des filles), 2007 Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés (Extraits sélectionnés) 4. Principes directeurs concernant spécifiquement les filles 4.0 On compte presque toujours un nombre important de filles parmi les enfants associés à des forces armées ou groupes armés. Toutefois, pour toute une série de raisons, ces filles bénéficient rarement d’une assistance. La situation et l’expérience des filles et des garçons présentent des points communs, mais la situation des filles peut être très différente en ce qui concerne les raisons et les modalités de leur association avec les forces armées ou groupes armés ; les possibilités de libération ; l’impact de cette association sur leur bien-être physique, social et affectif ; et les conséquences qu’elle peut avoir sur leur capacité d’adaptation à la vie civile ou de réinsertion dans la vie familiale et communautaire après leur libération. 4.1 Depuis la phase de planification et celle de l’élaboration des critères à remplir et des procédures de sélection en vue de l’inclusion dans les programmes de libération et de réinsertion et les processus informels de libération jusqu’à celle de la programmation de la réinsertion, de la surveillance et du suivi, les acteurs doivent avoir conscience que les filles courent le risque d’être ‘invisibles’ et prendre des mesures pour faire en sorte qu’elles soient incluses dans les programmes et que les problèmes que cela pose soient abordés à toutes les étapes du processus. Il importe que les différences entre les expériences des filles et des garçons soient comprises et prises en considération par tous les acteurs et que la programmation en faveur des enfants qui sont ou ont été associés à des forces armées ou à des groupes armés cadre expressément avec la situation particulière des filles et des garçons. 4.2 Les acteurs doivent mettre en place les moyens de partager et d’exploiter leurs expériences et compétences respectives, notamment les conclusions d’études et les résultats de programmes pilotes concernant les filles associées à des forces armées ou à des groupes armés. 4.3 Les Principes directeurs examinent de bout en bout les questions concernant 95 particulièrement ou spécifiquement les filles. 6 .Prévention du recrutement et de l’utilisation illégaux Prévention du recrutement et de l’utilisation illégaux des filles 6.28 Les stratégies générales de prévention s’appliquent aux filles de la même façon qu’aux garçons. Les filles doivent être associées à la conception des programmes comme à leur suivi et à leur évaluation pour que les interventions soient utiles et efficaces. 6.29 Il arrive que les filles rejoignent les rangs des forces armées ou des groupes armés pour échapper à la violence sexuelle et sexiste, au mariage précoce ou à d’autres pratiques nocives et à l’exploitation. Les programmes doivent se pencher sur ces questions aux niveaux national et local. Ils doivent viser à promouvoir l’égalité des sexes et la liberté de choix pour les filles conformément aux normes internationales relatives aux droits de l’Homme. Il importe d’élaborer des programmes qui offrent aux filles des possibilités d’acquérir des compétences et de gagner leur vie dans des cadres d’où l’exploitation est bannie. 6.30 S’agissant de prévenir l’association des filles avec les forces armées ou les groupes armés, on fera un sort particulier aux questions ci-après : 6.30.1 Le dialogue avec les forces armées ou les groupes armés doit servir à souligner que l’utilisation de filles comme “épouses” ou à d’autres fins de relations sexuelles forcées, le mariage forcé lui-même et l’utilisation des filles aux fins du travail domestique ou de l’appui logistique dans les conflits armés constituent des actes de recrutement ou d’utilisation et portent de ce fait atteinte aux droits fondamentaux de la personne et au droit et aux normes humanitaires, quand ils ne sont pas contraires également au droit interne ; 6.30.2. Les filles ont le même droit que les garçons à l’éducation quel que soit leur statut de mère ou d’épouse, et il convient de remédier à l’absence d’accès à l’éducation pour les filles ; 6.30.3 Les filles peuvent être particulièrement exposées au recrutement forcé ou à l’utilisation par des forces armées ou des groupes armés si elles ne bénéficient pas d’une protection suffisante, ce qui est le cas lorsqu’elles doivent aller chercher de l’eau sans escorte dans les 96 zones de conflit. On prendra toutes les mesures possibles pour fournir une protection efficace dans ces cas et dans d’autres. 7. Le processus de libération Les filles et le processus de libération 7.23 Dès le stade de la planification, les conditions à remplir pour pouvoir bénéficier des programmes de libération et de réinsertion et intégrer les processus de libération non officiels, ainsi que les procédures de sélection y relatives doivent toujours tenir compte du fait que les filles risquent d’être ‘invisibles’. Il arrive souvent que les filles demeurent au sein des forces armées ou des groupes armés tandis que les garçons sont libérés, ce qui tient dans de nombreux cas à l’opinion selon laquelle, en tant qu’“épouses” ou de par leurs autres fonctions domestiques, elles n’appartiennent pas à la même catégorie d’“enfants soldats” que les garçons. Cela doit constituer un point essentiel à examiner dans le cadre de toute négociation conduite avec les parties à un conflit au sujet de la libération des enfants. 7.24 Si les conditions existant d’un bout à l’autre du processus de libération ne font pas clairement une place aux besoins spécifiques des filles, celles-ci éviteront d’intégrer les processus de libération officiels, les quitteront prématurément pour rejoindre directement leur communauté ou retourneront auprès de la force armée ou du groupe armé qui les avaient recrutées. Pour augmenter les chances de voir les filles associées à des forces armées ou à des groupes armés, y compris celles qui sont enceintes ou filles mères, accéder aux programmes de libération et pour garantir qu’il sera satisfait à leurs besoins, les programmes de libération des enfants doivent toujours prévoir les éléments ci-après [19] 7.24.0 La présence d’un bout à l’autre du processus d’employées de sexe féminin disponibles; 7.24.1 Logement sûr et privé lorsqu’un logement est requis, sur les sites de cantonnement, de transit ou de soins temporaires ou de tout site à usage d’habitation, avec des services de santé spécifiques, y compris pour les soins de santé en matière de procréation, et des installations sanitaires séparées, des trousses d’hygiène personnelle adaptées et des trousses d’accouchement stériles ; 97 7.24.2 Des mesures garantissant la sécurité et la protection des filles en milieu privé, telles que la réglementation de l’accès des ex-combattants de sexe masculin aux sites, un éclairage adapté et une surveillance et des patrouilles effectuées régulièrement par les forces de sécurité au sein desquelles les femmes sont majoritaires lorsque cela est possible et, en tout état de cause, dans les zones réservées aux filles ; 7.24.3 Prise en charge nutritionnelle et sanitaire des nourrissons et des jeunes enfants le cas échéant et appui aux filles mères pour leur permettre de s’occuper de leurs enfants, lorsque cela est possible; 7.24.4 Apprentissage des responsabilités de parent et formation à la santé maternelle et infantile pour les filles mères ou les filles enceintes ; les options concernant leur avenir doivent leur être présentées dans un cadre dans lequel elles se sentent soutenues ; 7.24.5 Des moyens d’éducation et de formation professionnelle qui soient sans rapport avec la situation des filles en matière de procréation et soient rendus accessibles à toutes les filles, qu’elles soient ou non enceintes ou mères. La réinsertion des filles 7.59 Les filles subissent des conséquences spécifiques de la période qu’elles ont passée au sein des forces armées ou des groupes armés. La réprobation dont elles sont l’objet est d’une nature foncièrement différente : elle dure beaucoup plus longtemps, est nettement plus difficile à combattre et est plus marquée. Essentiellement, de nombreuses filles auront perdu leur “valeur” telle que la conçoit leur communauté, y compris en ce qui concerne le mariage. Les programmes doivent s’employer à faire recouvrer aux filles leur valeur aux yeux de leur communauté et de leur famille. Par ailleurs, une fille doit souvent gérer des liens ou des sentiments résiduels pour son ravisseur, qui peut être à la fois son “mari” et le père de son ou de ses enfants. Dans des circonstances appropriées, les filles devraient être consultées et conseillées sur le fait qu’elles souhaitent reconnaître ou rejeter la relation qu’elles avaient avec un membre d’une force armée ou d’un groupe armé. 7.60 Les programmes d’aide aux filles associées à des forces armées ou à des groupes armés doivent assurer un juste équilibre entre la nécessité de les recenser afin qu’il soit répondu à 98 leurs besoins particuliers et celle de ne pas aggraver la réprobation dont elles sont l’objet. La clef du succès de toute intervention est de s’en remettre aux intéressées : un grand nombre des suggestions ci-après ont été présentées par des filles associées à des forces armées ou à des groupes armés. [21] 7.61 La réinsertion des filles repose sur la médiation de la communauté et une concertation poussée avec elle. Le principal message à faire passer est que les filles, en particulier celles qui sont enceintes ou les filles mères, ont besoin du soutien de leur famille et de leur communauté. Pour les faire accepter, il faut prévoir des mesures telles que la pratique des rituels traditionnels, les réparations, la fourniture de soins médicaux et l’aide à la recherche d’un gagne-pain, et l’instauration de liens avec les groupes féminins. 7.62 Certaines filles associées à des forces armées ou à des groupes armés et, en particulier, les filles mères, peuvent avoir besoin d’une période de soutien intensif, complémentaire ou de plus longue durée au cours de la réinsertion. Une minorité seulement d’entre elles peut avoir besoin de soins en établissement, mais la plupart tireront profit d’un soutien familial ou communautaire aux fins d’apaisement et d’ajustement, de soins médicaux, de l’apprentissage du métier de parent et de la formation professionnelle, et de la constitution de réseaux de soutien communautaire. 7.63 Les filles peuvent être considérées par leur famille comme une charge supplémentaire, dépourvue de surcroît de valeur sur le plan des perspectives de mariage. Sans véritable espoir de gagner leur vie et n’ayant pratiquement aucune chance de participer à des programmes d’éducation et de formation professionnelle sans soutien financier ou moyen de faire garder leurs enfants, ces filles peuvent sombrer dans la dépression et s’isoler des enfants du même âge et de l’ensemble de la communauté. Il importe de définir des mesures spécialisées et culturellement appropriées en faveur des filles dépressives ou même suicidaires. Un soutien à long terme pourra devoir leur être apporté. 7.64 Les familles peuvent attendre des filles qu’elles apportent un revenu, ce qui peut entraîner leur exploitation sexuelle. Les filles doivent être protégées contre cette exploitation par une action de sensibilisation menée auprès des communautés, des programmes d’éducation et de formation professionnelle et la formulation de stratégies économiques de substitution. 99 7.65 Il importe de nouer des liens avec les groupes féminins existants et de les maintenir, car les activités sociales réduisent l’isolement des filles et améliorent leur bien-être. 7.66 Il pourra s’avérer nécessaire d’aider les communautés à s’habituer aux filles qui ont acquis des compétences non traditionnelles et ont à présent des aspirations non traditionnelles. 7.67 Toutes les filles ne souhaitent pas retourner dans la communauté où elles vivaient auparavant. Les filles qui préfèrent vivre en ville afin de ne pas se faire remarquer et de gagner leur vie doivent recevoir un appui si l’on veut les voir faire des choix conformes à leur intérêt supérieur tout en conservant la possibilité de faire des études et de suivre une formation professionnelle. 100 (2) Tableaux de synthèse les filles-soldats dans les groupes armés « Où sont les filles? » Dyan Mazurana et Susan Mac Kay, 2004 101 102 103 104 (3) Jugement Lubanga 14/03/2012– section responsabilité personnelle L. Constatations relatives à la responsabilité pénale individuelle de Thomas Lubanga Les éléments de preuve confirment que l’accusé a convenu avec ses coauteurs d’un plan commun et qu’ils ont participé à la mise en œuvre de ce plan pour mettre sur pied une armée dans le but de prendre et conserver le contrôle de l’Ituri, aussi bien politiquement que militairement. Dans le cours normal des événements, ce plan a eu pour conséquence la conscription et l’enrôlement de garçons et de filles de moins de 15 ans, et leur utilisation pour les faire participer activement à des hostilités. La Chambre a conclu qu’à partir de la fin de l’année 2000, Thomas Lubanga a agi de concert avec ses coauteurs, parmi lesquels on peut citer Floribert Kisembo, Bosco Ntaganda, le chef Kahwa et les chefs militaires Tchaligonza, Bagonza et Kasangaki. L’implication de Thomas Lubanga dans l’envoi de soldats (dont de jeunes enfants) en Ouganda, où ils suivaient des formations, revêt une certaine importance. Bien que ces événements échappent à la période couverte par les charges et à la compétence temporelle de la Cour, ils constituent des preuves relatives aux activités de ce groupe, et contribuent à établir l’existence du plan commun avant la période correspondant aux charges et tout au long de celle-ci. L’accusé est entré en conflit avec Mbusa Nyamwisi et le Rassemblement congolais pour la démocratie – Mouvement de libération (RCD-ML) à partir d’avril 2002 au moins. Il a pris la tête d’un groupe qui s’efforçait de modifier la situation politique en Ituri, notamment en provoquant le départ de Mbusa Nyamwisi, si nécessaire par la force. Alors qu’il était en détention pendant l’été 2002, l’accusé a conservé le contrôle de son groupe en déléguant son autorité, et il a envoyé le chef Kahwa et Beiza se procurer des armes au Rwanda. Durant cette période, Floribert Kisembo, Bosco Ntaganda et le chef Kahwa, trois des principaux coauteurs présumés de l’accusé, ont assumé la responsabilité générale du recrutement et de la formation des soldats, dont des garçons et des filles de moins de 15 ans. L’accusé et au moins certains de ses coauteurs étaient impliqués dans la prise de Bunia en août 2002. En tant qu’autorité la plus haute de l’UPC/FPLC, Thomas Lubanga a nommé le chef Kahwa, Floribert Kisembo et Bosco Ntaganda à des postes élevés dans la hiérarchie de ce groupe. Les éléments de preuve montrent que durant cette période, les dirigeants de l’UPC/FPLC, dont le chef Kahwa et Bosco Ntaganda, et des sages de la communauté hema, tels que Eloy Mafuta, se sont montrés particulièrement actifs dans le cadre des campagnes de 105 mobilisation et de recrutement visant à convaincre les familles hema d’envoyer leurs enfants grossir les rangs de l’UPC/FPLC. Les enfants recrutés avant la création formelle de la FPLC ont été incorporés à ce groupe et plusieurs autres camps de formation militaire se sont ajoutés au premier camp ouvert à Mandro. La Chambre a constaté qu’entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003, un grand nombre de responsables de haut rang et de membres de l’UPC/FPLC avaient mené à grande échelle une campagne visant à recruter des jeunes, dont des enfants de moins de 15 ans, volontairement ou par la contrainte. La Chambre est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que la mise en œuvre du plan commun tendant à mettre sur pied une armée dans le but de prendre et conserver le contrôle de l’Ituri, aussi bien politiquement que militairement, a abouti à la conscription et à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans au sein de l’UPC/FPLC entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003. De même, la Chambre est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que l’UPC/FPLC a fait participer activement des enfants de moins de 15 ans à des hostilités, notamment au cours de batailles. Durant la période visée, ces enfants ont été utilisés comme soldats et comme gardes du corps de hauts responsables, dont l’accusé. Thomas Lubanga était le Président de l’UPC/FPLC et les éléments de preuve montrent qu’il exerçait en même temps le commandement en chef de l’armée et sa direction politique. Il assurait la coordination globale des activités de l’UPC/FPLC. Il était en permanence tenu informé de la substance des opérations menées par la FPLC. Il participait à la planification des opérations militaires et tenait un rôle crucial en matière d’appui logistique, notamment en ce qui concerne la fourniture d’armes, de munitions, de nourriture, d’uniformes, de rations militaires et d’autres produits généralement destinés à approvisionner les troupes de la FPLC. Il participait de près à la prise des décisions relatives aux politiques de recrutement et il apportait un appui actif aux campagnes de recrutement, par exemple en prononçant des discours devant la population locale et les recrues. Au cours de l’allocution qu’il a prononcée au camp militaire de Rwampara, il a encouragé des enfants, y compris ceux qui avaient moins de 15 ans, à rejoindre les rangs de l’armée et à assurer la sécurité de la population après leur déploiement sur le terrain à l’issue de leur formation militaire. En outre, il a personnellement utilisé des enfants de moins de 15 ans comme gardes du corps et voyait régulièrement de tels enfants assurer la garde d’autres membres de l’UPC/FPLC. La Chambre a conclu que considérées ensemble, ces contributions de Thomas Lubanga étaient essentielles au regard d’un plan commun qui a abouti à la conscription et à l’enrôlement de garçons et de filles de moins de 15 ans dans l’UPC/FPLC, et à leur utilisation pour les faire participer activement à des hostilités. 106 La Chambre est convaincue au‐delà de tout doute raisonnable que, comme indiqué plus tôt, Thomas Lubanga a agi avec l’intention et la connaissance requises — l’élément psychologique prévu à l’article 30 — pour que les charges soient considérées comme prouvées. Il avait connaissance des circonstances de fait établissant l’existence du conflit armé. En outre, il avait connaissance du lien qui existait entre ces circonstances et son propre comportement, qui a abouti à la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans pour les faire participer activement à des hostilités. M. Conclusion de la Chambre Bien que les juges Odio Benito et Fulford joignent au jugement des opinions individuelles et dissidentes concernant certaines questions particulières, la Chambre a pris sa décision à l’unanimité. La Chambre conclut que l’Accusation a prouvé au-delà de tout doute raisonnable que Thomas Lubanga Dyilo est coupable des crimes d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans dans la FPLC et du fait de les avoir fait participer activement à des hostilités au sens des articles 8-2-e-vii et 25-3-a du Statut, de début septembre 2002 au 13 août 2003. Fait en anglais et en français, la version anglaise faisant foi. /signé/ M. le juge Adrian Fulford /signé/ /signé/ Mme la juge Elizabeth Odio Benito Fait le 14 mars 2012 À La Haye (Pays-Bas) N° ICC-01/04-01/06 Traduction officielle de la Cour 16/16 107 M. le juge René Blattmann 14 mars2012 (4) Opinion dissidente juge Odio Benito - Référence au terme « use » ICC-01/04-01/06-2842 14-03-2012 613/624 SL T Towards a comprehensive legal definition of “use to participate actively in the hostilities” 15. I respectfully disagree with the Majority’s decision that declines to enter a legal definition of the concept of “use to participate actively in the hostilities”, but instead leaves it to a case-by-case determination, which ultimately will be evidence-based and thus limited by the charges and evidence brought by the prosecution against the accused. Additionally, this case-by-case determination can produce a limited and potentially discriminatory assessment of the risks and harms suffered by the child. The Chamber has the responsibility to define the crimes based on the applicable law, and not limited to the charges brought by the prosecution against the accused. 16. Although the Majority of the Chamber recognises that sexual violence has been referred to in this case, it seems to confuse the factual allegations of this case with the legal concept of the crime, which are independent. By failing to deliberately include within the legal concept of “use to participate actively in the hostilities” the sexual violence and other ill-treatment suffered by girls and boys, the Majority of the Chamber is making this critical aspect of the crime invisible. Invisibility of sexual violence in the legal concept leads to discrimination against the victims of enlistment, conscription and use who systematically suffer from this crime as an intrinsic part of the involvement with the armed group. 108 17. I thus consider it necessary and a duty of the Chamber to include sexual violence within the legal concept of “use to participate actively in the hostilities”, regardless of the impediment of the Chamber to base its decision pursuant to Article 74(2) of the Statute. 18. It is also important to state that although I agree with the Majority when it concludes that the decisive factor, in deciding if an “indirect” role is to be treated as active participation in hostilities is whether the support provided by the child to the combatants exposed him or her to real danger as a potential target, it is crucial to determine that, regardless of the specific task carried out by that child, he or she can suffer harm inflicted by the armed group that recruited the child illegally (for example, for the purposes of supporting the combatants through the use of their bodies for sexual violence). 19. Children are protected from child recruitment not only because they can be at risk for being a potential target to the “enemy” but also because they will be at risk from their “own” armed group who has recruited them and will subject these children to brutal trainings, torture and ill-treatment, sexual violence and other activities and living conditions that are incompatible and in violation to these children’s fundamental rights. The risk for children who are enlisted, conscripted or used by an armed group inevitably also comes from within the same armed group. 20. Sexual violence committed against children in the armed groups causes irreparable harm and is a direct and inherent consequence to 109 their involvement with the armed group. Sexual violence is an intrinsic element of the criminal conduct of “use to participate actively in the hostilities”. Girls who are used as sex slaves or “wives” of commanders or other members of the armed group provide essential support to the armed groups. Sexual assault in all its manifestations produces considerable damage and it demonstrates a failure in the protection of the life and integrity of its victim. There is additionally a gender-specific potential consequence of unwanted pregnancies for girls that often lead to maternal or infant’s deaths, disease, HIV, psychological traumatisation and social isolation. It must be clarified, however, that although sexual violence is an element of the legal definition of the crimes of enlistment, conscription and use of children under the age of 15 to participate actively in hostilities, crimes of sexual violence are distinct and separate crimes that could have been evaluated separately by this Chamber if the Prosecutor would have presented charges against these criminal conducts. 21. In other words, sexual violence or enslavement are illegal acts and in this case a harm directly caused by the illegality of the war crime of enlisting, conscripting and the use of children under the age of 15 in support of the combatants. Sexual violence and enslavement are in the main crimes committed against girls and their illegal recruitment is often intended for that purpose (nevertheless they also often participate in direct combat.) If the war crimes considered in this case are directed at securing their physical and psychological well being, then we must recognize sexual violence as a failure to afford this protection and sexual violence as acts embedded in the enlisting, conscription and use of children under 15 in hostilities. It is discriminatory to exclude sexual violence which shows a clear gender differential impact 110 from being a bodyguard or porter which is mainly a task given to young boys. The use of young girls and boys bodies by combatants within or outside the group is a war crime and as such encoded in the charges against the accused. B. Dual Status Victims/Witnesses 22. I respectfully dissent with the manner in which the Majority of the Chamber dealt with witnesses who have the dual status of victims, when evaluating their status as victims participating in this case. 111 (5) Sentence Lubanga – 10/07/2012 Paragraphe « violences sexuelles » b) Sexual Violence 60. The Chamber strongly deprecates the attitude of the former Prosecutor in relation to the issue of sexual violence. He advanced extensive submissions as regards sexual violence in his opening and dosing submissions at trial, and in his arguments on sentence he contended that sexual violence is an aggravating factor that should be reflected by the Chamber?) However, flot only did the former Prosecutor fail to apply to include sexual violence or sexual slavery at any stage during these proceedings, including in the original charges, but he actively opposed taking this step during the trial when he submitted that it would cause unfairness to the accused if he was convicted on this basis.'°1 Notwithstanding this stance on his part throughout these proceedings, he suggested that sexual violence ought to be considered for the purposes of sentencing. 61. The prosecution suggests that although the Chamber did flot base its Article 74(2) decision on evidence relating to sexual violence and rape, the evidence of the witnesses on this issue was credible and reliable and it may "assist as regards sentence".102 On this basis, the prosecution submits that the sexual violence and rape to which some girl soldiers were subjected demonstrates that the crimes of conscription, enlistment and use of children were committed with marked cruelty, and they were directed at victims who were particularly defenceless, within the meaning of Rule 145(2)(b)(iii) of the Rules.1°3 62. The prosecution argues that the evidence supports the conclusion that sexual violence was routinely inflicted upon female child soldiers by the UPC/FPLC trainers and commanders,104 and that the evidence of 112 sexual violence and rape should be treated as an aggravating factor for the purposes of sentencing.105 It is submitted that this would flot be prejudicial to the convicted person as the defence was on notice of this evidence and the accused cross-examined witnesses on this material during the trial.106 63. During the sentencing hearing, the defence argued against the prosecution's oral submission that "[dl the girls recruited finto the UPC/FPLC] as soldiers would be raped", in that it is contended that there was no evidence introduced during the trial to support this suggestion.le 64. In its written and oral submissions, the defence advances a number of arguments against the prosecution's position as regards sexual violence. It submits that the sexual violence alleged by the Prosecutor ought flot to be invoked as an aggravating circumstance at the sentencing stage, given MT Lubanga was flot charged with or convicted of any crime of sexual violence, and it is suggested that the Confirmation Decision did flot include any findings in this regard.108 It is submitted that it would be unfair to take these matters into consideration at this stage because Mr Lubanga did flot address them during the tria1.109 65. The defence further argues that the evidence presented at trial was contradictory in this regard, given there was support for the suggestion that sexual abuse was formally prohibited.11° 113 68. Finally, it is submitted that even if sexual violence occurred, it cannot be attributed to Mr Lubanga,1" given the absence of evidence that Mr Lubanga ordered or encouraged behaviour of this kind or that he was aware of it; moreover, it is suggested that there is no evidence to support the allegation that sexual violence occurred "in the ordinary course" of the recruitment for which Mr Lubanga was convicted. Therefore, even if sexual violence occurred in the context of the crimes of which Mr Lubanga has been convicted, it is argued this does flot provide a proper basis for attributing responsibility to Mr Lubanga as an aggravating circumstance." 69. The prosecution's failure to charge Mr Lubanga with rape and other forms of sexual violence as separate crimes within the jurisdiction of the Court is not determinative of the question of whether that activity is a relevant factor in the determination of the sentence. The Chamber is entitled to consider sexual violence under Rule 145(l)(c) of the Rules as part of: (i) the harm suffered by the victims; (ii) the nature of the unlawful behaviour; and (iii) the circumstances of manner in which the crime was committed; additionally, this can be considered under Rule 145(2)(b)(iv) as showing the crime was committed with particular cruelty. The prosecution's failure to charge Mr Lubanga with rape and other forms of sexual violence as separate crimes within the jurisdiction of the Court is not determinative of the question of whether that activity is a relevant factor in the determination of the sentence. The Chamber is entitled to consider sexual violence under Rule 145(1)(c) of the Rules as part of: (i) the harm suffered by the victims; (ii) the nature of the 114 unlawful behaviour; and (iii) the circumstances of manner in which the crime was committed; additionally, this can be considered under Rule 145(2)(b)(iv) as showing the crime was committed with particular cruelty. 70. For the reasons set out above in the section establishing the procedure to be adopted at this stage,113 the Chamber is entitled to consider sexual violence in determining the sentence that is to be passed, notwithstanding the fact that it did not form part of the Confirmation Decision. Given the procedural safeguards, there will be no consequential unfairness if the Chamber decides that sexual violence is a relevant factor. 71. However, that said, it remains necessary for the Chamber to be satisfied beyond reasonable doubt that: (i) child soldiers under 15 were subjected to sexual violence; and (ii) this can be attributed to Mr Lubanga in a mariner that reflects his culpability, pursuant to Rule 145(1)(a) of the Rules. 72. P-0046 testified that the girls she interviewed informed her of incidents of sexual violence that occurred as a result of children having been integrated into the FPLC. The girls P-0046 interviewed indicated that they had been sexually abused and raped by commanders and other soldiers, the youngest of whom was 12 years old.16 73. P-0016 suggested that female recruits at Mandro were raped, irrespective of their age and notwithstanding a strict prohibition in this 115 regard.117 However, P-0016 also said that it was difficult to determine the age of the recruits who were raped from their appearance."' 74. P-0055 gave evidence that when he visited the camps he received complaints "along those lines" that there was sexual violence against girl soldiers, sexual slavery and forced impregnation, although he indicated these events were infrequent. 73. P-0038 testified that the commanders in particular treated the girls as if they were their "women" or their wives and he gave evidence about a girl under the age of 15, in his view, who was with Commander Abelanga for a considerable period of time in Mongbwalu and Bunia, and whose resistance and cries could be heard during the night.12' 74. On the basis of the totality of the evidence introduced during the trial on this issue, the Majority is unable to conclude that sexual violence against the children who were recruited was sufficiently widespread that it could be characterised as occurring in the ordinary course of the implementation of the common plan for which Mr Lubanga is responsible. Moreover, nothing suggests that Mr Lubanga ordered or encouraged sexual violence, that he was aware of it or that it could otherwise be attributed to him in a way that reflects his culpability. 75. Although the former Prosecutor was entitled to introduce evidence on this issue during the sentencing hearing, he failed to take this step or to refer to any relevant evidence that had been given during the trial. As a result, in the view of the Majority, the link between Mr Lubanga and sexual violence, in the context of the charges, has not been established beyond reasonable doubt. Therefore, this factor 116 cannot properly form part of the assessment of his culpability for the purposes of sentence. 76. In a separate Decision, the Chamber will assess whether this factor is relevant to the issue of reparations. 117 Bibliographie Ouvrages CHAPLEAU Philippe, Enfants-Soldats : Victimes ou criminels de guerre ? 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Regards croisés sur deux minorités, penser les effets de la guerre en terme de genre .................................................................................................................................... 19 Section 1 - L'évolution de la protection des femmes dans la guerre : changer de paradigme pour confronter la norme aux besoins du terrain .................................................................. 20 (1) L’émergence d'une protection spécifique des femmes en tant que personnes vulnérables ....................................................................................................................... 21 a) Femmes et vulnérabilité: le refus de prendre en compte la femme comme combattante en droit international ................................................................................. 22 b) La femme, victime première des violences sexuelles en période guerre ............... 24 (2) a) La combattante à l’épreuve des carcans idéologiques ........................................... 28 Construire un sujet féminin en période de guerre .................................................. 29 b) Un sujet dont les rôles demeurent encore trop limités ........................................... 32 Section 2 - La prise en considération de l'enfant comme soldat à l’épreuve du genre........ 34 (1) a) La fille soldat, un rôle ambigu et des instruments internationaux inadaptés ......... 35 Pour quelles raisons les filles se retrouvent-elles au front ? .................................. 36 b) L’impossibilité de trouver des instruments juridiques adaptés à la complexité de leur rôle ......................................................................................................................... 41 (2) La protection juridique des filles-soldats, un enjeu de définition .......................... 45 128 a) L’apparition de la responsabilité pénale individuelle concernant les violences commises contre les enfants-soldats ............................................................................. 46 b) Les enfants-soldats devant la première juridiction pénale internationale permanente, et la notion de « participation active » ...................................................... 51 Chapitre second - Les lacunes quant à la prise en charge des filles-soldats, les victimes invisibles................................................................................................................................... 56 Section 1 - La possible reconnaissance des violences spécifiques vécues par les fillessoldats à travers le prisme des violences de genre ............................................................... 57 (1) La reconnaissance de leur participation à travers le prisme des violences sexuelles et des mariages forcés ...................................................................................................... 57 a) Un spectre étendu de crimes concernant les violences sexuelles........................... 58 b) Les mariages forcés, un crime à part entière .......................................................... 61 (2) La déception des charges retenues au cours procès Lubanga face au problème des filles-soldats ..................................................................................................................... 64 a) Reconnecter le procès à la réalité du terrain: la participation des victimes devant la Cour Pénale Internationale ............................................................................................ 64 b) L’impossibilité d’associer le rôle de combattant(e) et violences sexuelles ........... 67 Section 2 : Au-delà des armes, l’échec de la réintégration à la vie civile ............................ 72 (1) Des combattantes exclues du processus de désarmement, démobilisation et réintégration ..................................................................................................................... 73 a) Le difficile accès au centre de réintégration pour les anciennes combattantes ...... 75 b) Quand les discriminations continuent, des centres inadaptés aux combattantes ... 77 (2) a) La difficile réintégration communautaire .............................................................. 81 La difficulté pour l’ex fille-soldat de se faire accepter auprès des siens ............... 82 b) La question des réparations, un enjeu pour une justice réparatrice et transformatrice .............................................................................................................. 87 Conclusion ................................................................................................................................ 90 Annexes .................................................................................................................................... 92 (1) Principes de Paris concernant les filles-soldats (Principes faisant explicitement référence au traitement des filles), 2007 .......................................................................... 95 (2) Tableaux de synthèses les filles-soldats dans les groupes armés « Où sont les filles? » Dyan Mazurana et Susan Mac Kay, 2004......................................................... 101 129 (3) Jugement Lubanga – 14/03/2012 section responsabilité personnelle ................. 105 (4) Opinion dissidente juge Odio Benito - Référence au terme « use » .................. 108 (5) Sentence Lubanga – 10/07/2012 Paragraphe « violences sexuelles » ................. 112 Bibliographie .......................................................................................................................... 118 130 4ème de Couverture Le problème de l’utilisation des enfants-soldats dans les conflits armés a largement été médiatisé à la suite du procès historique contre Thomas Lubanga Dyilo à la Cour Pénale Internationale. Malgré cela, le terme enfant-soldat évoque toujours dans l’inconscient collectif un jeune garçon avec des habits de combattant trop grands pour lui, un AK-47 à la main. Ces images sont généralement celles les plus diffusées et elles répondent en outre à des normes intériorisées : l'enfant-soldat sera forcément de sexe masculin car la violence est intrinsèquement masculine. Et pourtant, on considère que 30 à 40% des enfants-soldats sont des filles, elles représentent dans certains groupes armés la moitié des effectifs des enfants. Les carcans idéologiques qui restent prégnants empêchent l’appréhension et la résolution du problème des filles intégrées dans les armées. Le terme neutre d’enfant participe à leur invisibilité. Pourtant, les filles sont utilisées comme combattantes, elles participent à l’effort de guerre sur le champ de bataille. Mais elles jouent par ailleurs des rôles multiples, au-delà du front, elles sont également épouses forcées ou esclaves sexuelles. Au sein des armées, elles sont des cibles toutes particulières, soumises à la violence de genre. Combinant effet genre et effet génération, elles sont deux fois plus vulnérables et donc deux fois plus discriminées. Ces filles sont pourtant peu visibles sur la scène internationale à la fin des conflits, elles profitent très peu des programmes de démobilisation et ont du mal à être admises comme combattantes. Le fait qu'elles soient épouses de soldat ou esclaves sexuelles fait que leur implication active au combat est souvent niée. Leur statut est inconcevable, leurs rôles incompréhensibles, pour ces raisons elles ne bénéficient pas de la protection qu'elles méritent que cela soit sur le terrain, comme sur le plan pénal. Ces filles ne rentrent dans aucune case : ni uniquement combattantes, ni exclusivement objets sexuels. Un peu tout à la fois, elles en deviennent surtout rien. Mots-clefs : enfant-soldat, fille, vulnérabilité, genre, violence sexuelle, droit international, crime de guerre, Lubanga. 131