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La finance « solidaire » ou l’éthique au service du marketing financier ?
Yann GAUTHIER, Damien LECLERCQ
Les « produits solidaires », qui ont pris une grande ampleur ces dernières années, revendiquent une
démarche alternative : celle de réconcilier finance et notions d’éthique, de solidarité et de
développement durable. L’analyse du secteur permet d’identifier des pratiques très différentes, dont
bon nombre n’ont qu’un lointain rapport avec l’éthique.
Au sujet des fonds éthiques, la faible différence dans la composition de leurs portefeuilles avec les
fonds traditionnels amène à penser que les critères de sélection définis par les cabinets de rating
social sont peu contraignants, permettant ainsi à la majorité des entreprises cotées d’être éligibles
aux fonds éthiques. L’éthique, notion malléable dans l’univers de la finance, semble être un concept
marketing donnant une justification « politiquement correcte » à des choix purement financiers.
Au contraire, le caractère socialement responsable des fonds de partage et autres produits solidaires
est peu contestable : leur objet est de participer au financement d’actions sociales ou humanitaires en
renonçant à une partie des revenus générés. Mais les faibles montants mobilisés par ces produits
incite à relativiser leur portée : le principal bénéfice retiré n’est-il pas surtout en terme d’image pour
les promoteurs des produits ?
On retrouve communément regroupés sous l’appellation « placements éthiques » les fonds éthiques,
les fonds de partage et les produits financiers solidaires. En effet, ces trois catégories de produits
financiers se distinguent des produits traditionnels par leur préoccupation affichée de réconcilier
l’univers de la finance avec ceux de l’éthique, de la solidarité et du développement durable. Bien
souvent présentés comme un mode de gestion alternatif, que recouvrent-ils en réalité ?
La présente étude s’attache à différencier ces trois types de produits, et surtout d’isoler les fonds
éthiques des autres produits solidaires. Malgré les fréquents rapprochements qui sont faits, ceux-ci ne
sont qu’une façade, car l’essence et les finalités des différents types de produits financiers divergent
profondément. Les problématiques associées à chacune des deux catégories de produits financiers sont
de nature très différente.
- Pour les fonds éthiques, c’est le concept même « d’éthique » qui est à interroger. La détermination
du caractère éthique d’une entreprise est en soi problématique, et implique d’analyser les critères
mobilisés par les cabinets de rating social, chargés de sélectionner les entreprises éthiques. Au
regard de leur approche, on peut légitimement s’interroger sur les vraies finalités recherchées par
les promoteurs et les gérants des fonds éthiques.
- Pour les fonds de partage et les produits financiers solidaires, l’orientation de ces produits vers des
finalités de « développement durable » n’est pas remis en question. Le problème est plutôt celui
des montants collectés et l’objet des dons. Les produits solidaires semblent en effet connaître un
succès mitigé au regard des efforts déployés, dont il s’agit de comprendre les raisons.
Les fonds éthiques entre solidarité et marketing ?
L’éthique serait-elle devenue la grande affaire du monde de la finance ? Lorsqu’on examine la
floraison actuelle des fonds « éthiques », on constate que la finance dite « socialement responsable » a
pris, depuis quelques années, une ampleur impressionnante en France et en Europe. Ces placements
financiers revendiquent une démarche alternative : celle de réconcilier l’univers de la finance avec
ceux de l’éthique, de la solidarité et du développement durable. Devant la quasi-unanimité affichée par
ses promoteurs du bien-fondé de « l’éthiquement correct », il importe de bien discerner les
mécanismes et les finalités de la finance éthique.
Le grand enjeu actuel, dans des marchés financiers saturés par l’offre, c’est de parvenir à drainer les
montants gigantesques issus de l’épargne salariale, et peut-être bientôt ceux des fonds de pension. Or,
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les fonds éthiques semblent à même de séduire des populations traditionnellement réticentes à investir
dans des fonds en actions et/ou obligations.
Aussi, en quoi consiste réellement la différence revendiquée par ces fonds ? Il est nécessaire de
s’interroger sur ce concept «d’éthique », par essence complexe et problématique, et d’analyser la
manière dont il est apprécié et utilisé par les principaux acteurs de la finance éthique.
Des « fonds d’exclusion » aux « fonds d’investissement socialement responsables » : l’ouverture
progressive des fonds éthiques au grand public
Les fonds éthiques fonctionnent selon les mêmes principes financiers que n'importe quel autre fonds
investi en actions : l’objectif est la recherche d’une rentabilité au moins équivalente à celles des
principaux indices boursiers. La particularité des fonds éthiques réside dans le fait que la sélection des
entreprises composant le fonds, ne s’effectue non seulement en fonction de critères de rentabilité
financière, mais également en fonction de critères dits « éthiques ». Il permet ainsi à l'épargnant de ne
pas investir d'argent dans des titres d'entreprises dont il réprouve les objectifs et les méthodes.
L'origine des fonds éthiques est marquée par la volonté, notamment de certaines congrégations
religieuses, de ne pas investir dans des sin stocks ou « valeurs du péché » (des entreprises d'armement,
des fabricants de tabacs ou d'alcools, des valeurs de sociétés dont l'activité repose sur les jeux
d'argent). Les premiers fonds éthiques sont tout d’abord des fonds d’exclusion, marqués par une forte
connotation morale et religieuse, et animés par des populations militantes et radicales. En France, c’est
en effet une congrégation religieuse qui est à l’origine du premier fonds éthique : Nouvelle Stratégie
50, créé en 1983 par la société de gestion Meeschaert sous l’impulsion de Sœur Nicole Reille. Mais
leur nature même en limite la portée : seule une quinzaine de fonds obéissant strictement à cette
logique de l’exclusion apparaissent en France dans les années 1980 et le début des années 1990.
Un glissement notable s’opère, à partir de 1999, avec l’apparition des « fonds d’investissement
socialement responsables » : ces fonds ne sont plus uniquement caractérisés par l'exclusion, mais par
des critères d’éligibilité, qui assouplissent la rigueur dans la sélection des entreprises, s'attachant
désormais à la responsabilité sociale des entreprises et à leur pratique en terme de développement
durable. Un portefeuille de fonds éthique sélectionne donc les entreprises s'engageant à adopter un
comportement respectueux envers leurs salariés, leurs actionnaires et l'environnement. Les critères de
sélection dans la politique d’investissement des sociétés de gestion prennent donc en compte, outre la
rentabilité, des paramètres extra-financiers. Des agences de notations sociales et environnementales
(ou agences de rating social) se développent afin de fournir une évaluation des entreprises sur ces
critères.
Ces fonds d’investissement dits socialement responsables s’ouvrent alors à une population plus large,
principalement composée d’investisseurs institutionnels et d’entreprises. Ainsi, l’assouplissement des
critères et la sollicitation d’un public moins militant permet aux fonds éthiques de fortement se
développer : alors qu’un seul nouveau fonds éthique était créé chaque année entre 1983 et 1997, deux
voient le jour en 1998, sept en 1999, et plus d’une vingtaine de fonds éthiques sont créés entre 2000 et
2001. A présent, plus de la moitié des SICAV et FCP éthiques offerts actuellement en France ont
moins de deux ans d’existence.
La présente étude identifie à ce jour 48 fonds éthiques disponibles sur le marché en France, qui
représentent au total plus de 900 millions € d’encours (5,25 milliards de francs), soit 0,06% de la
capitalisation boursière en France. Selon des prévisions de la CDC (Caisse des Dépôts et
Consignations), les fonds éthiques devraient représenter près de 6% du total du marché des OPCVM
en 2004. Ce marché est encore bien prudent par rapport aux Etats-Unis, où les fonds éthiques
représentent aujourd’hui un encours de 2000 milliards de dollars, soit 13% des actifs gérés
professionnellement. Toutefois, les chiffres américains se dégonflent singulièrement lorsque l’on retire
les fonds se contentant d’exclure les seules valeurs liées au tabac et qui constituent le gros du bataillon
des produits éthiques américains.
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Les fonds éthiques en France : un secteur financier spécifique ?
Présentés comme une initiative novatrice dans l’univers de la finance, les fonds éthiques en
constituent-ils pour autant une branche à part ? L’analyse de la composition de leurs portefeuilles ainsi
que des gérants de fonds qui les proposent montre que leurs règles de fonctionnement sont peu
éloignées des fonds traditionnels.
De grandes disparités dans la taille des actifs des fonds éthiques en France
Cette étude a permis de répertorier 48 fonds éthiques en France à la fin 2001. Certaines estimations
avancent le chiffre de 54. Mais plusieurs fonds sont encore en cours de création et ne sont pas pris en
compte ici.
Les fonds éthiques présentent de grandes disparités quant à la taille de l’actif géré : cinq fonds
représentent à eux seuls près de la moitié des encours en fonds éthiques disponibles en France.
Les deux principaux fonds éthiques en terme d’encours sont la SICAV Nord-Sud Développement
(CDC Ixis), qui représente 140 millions € d’encours, et le fonds Ecureuil 1, 2, 3 futur (Ecureuil
gestion), qui représente 121 millions € d’encours. Suivent les fonds Insertion emplois (CDC Ixis),
avec un actif de 100 millions €, la SICAV Eurosociétale (ABF, encours de 78 millions €), Hymnos
(Crédit Lyonnais asset management, encours de 71 millions €). La majeure partie des autres fonds
éthiques disponibles en France comptent entre 5 et 15 millions € d’actifs.
Une offre de fonds éthiques assurée par des établissements financiers généralistes
Il n’existe pas, en France, d’établissements financiers strictement spécialisés dans la gestion de fonds
éthiques. L’offre de fonds éthiques n’est pas cantonnée à une frange restreinte de l’économie
solidaire : en fait, l’ensemble des gérants de fonds répertoriés proposent déjà une gamme de produits
(SICAV, FCP), dans laquelle s’insèrent les fonds éthiques. Ces derniers ne constituent donc pas un
marché à part entière, mais une déclinaison particulière de l’offre de produits financiers déjà existants.
Les fonds éthiques sont totalement intégrés dans l’univers de la finance et ne constituent pas une
tentative vraiment alternative ni marginale. L’offre de fonds éthiques s’apparente donc à une simple
tentative de compléter une gamme de produits.
Nom de la société de gestion
Nombre de fonds
éthiques proposés
4
3
asset
3
Nom de la société de gestion
CDC Ixis
Banque Vernes Artesia
Crédit
Lyonnais
management
Groupe Crédit Mutuel
(Crédit Mutuel Finance, Crédit
Mutuel du Nord et Crédit Mutuel
de Bretagne)
Storebrand
Apogé
BNP-Paribas
Crédit coopératif
Dexia
Nombre de fonds
éthiques proposés
2
2
2
3
Macif Gestion
2
3
2
Meeschaert
Autres établissements ne
proposant qu’un seul fonds
(Crédit agricole, Société
Générale, HSBC, Fortis, Ecureuil
Gestion, ING…)
2
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Un univers d’investissement proche des fonds traditionnels et très homogène entre les fonds
éthiques
L’analyse des sociétés composant les portefeuilles éthiques est essentielle pour comprendre tant ce que
recouvre le concept de finance éthique que l’objectif recherché par les gérants de ces fonds. Cette liste
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des sociétés françaises et européennes les plus fréquemment présentes dans les portefeuilles des
actions éthiques apporte un premier élément de réponse. On ne retient ici que les sociétés représentant
plus de 2% d’un fonds.
Nom de l’entreprise
L’Oréal
Aventis
Vivendi Universal
Carrefour
France Telecom
BNP Paribas
Suez
Sanofi-Synthelabo
Lafarge
Danone
TotalFinaElf
Renault
LVMH
Nombre de fonds éthiques où l’entreprise
est présente
12
11
10
8
8
8
7
5
5
5
4
4
3
Les fonds éthiques sélectionnent, de manière privilégiée, les sociétés françaises. Toutefois, de
nombreuses entreprises de la zone euro sont également représentées dans les fonds. Voici la liste des
entreprises étrangères les plus fréquemment citées :
Nom de l’entreprise
Nokia
ING
Allianz
Royal Dutch
Deutsche Bank
Glaxo
BVBA
Deutsche Telekom
Bristol Mayers
Telefonica
Nombre de fonds éthiques où l’entreprise
est présente
8
7
7
5
5
4
3
3
3
3
L’analyse de la composition des fonds éthiques répertoriés en France permet de mettre en valeur la
présence importante des grandes sociétés du CAC 40, SBF 120 et Euro Stoxx 50. 45 fonds éthiques
déclarent ne sélectionner les sociétés que parmi ces marchés et seuls 3 fonds éthiques sélectionnent à
partir du SBF 250, Second marché et Marché libre. De manière générale, la composition des fonds
éthiques est marquée par une grande ressemblance avec celle des fonds « traditionnels », en ce qui
concerne la sélection des entreprises : les entreprises les plus représentées dans les fonds traditionnels
le sont aussi dans les fonds éthiques. S’agissant de la composition de leurs lignes de fonds, la
spécificité des actions éthiques est donc fortement à relativiser.
En outre, on peut constater une grande homogénéité dans la composition des portefeuilles de titres des
fonds éthiques. En effet, on retrouve toujours plus ou moins les mêmes sociétés dans les fonds
répertoriés en France. Par exemple, L’Oréal, société la plus citée, est présente dans 25% des fonds
éthiques proposés en France. De même, les sociétés Aventis et Vivendi Universal sont représentées
dans plus de 20% des fonds éthiques français. Parmi les entreprises étrangères, la société Nokia est
présente dans 16% des fonds éthiques répertoriés en France.
Cette première analyse des fonds éthiques en France permet donc de mettre en valeur deux
phénomènes :
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-
La grande proximité entre les fonds déclarés «éthiques » et les fonds «traditionnels », en
terme de composition de leurs portefeuilles d’actifs.
La grande homogénéité, voire le « mimétisme » entre les fonds éthiques eux-mêmes, dans la
sélection des entreprises.
La distinction entre fonds éthiques et fonds traditionnels semble assez ténue : ainsi, la plupart des
entreprises du CAC 40 semble respecter les principes de l’entreprise «éthique » ou « socialement
responsable », et notamment les grandes entreprises dont les activités et les pratiques sont pourtant
régulièrement contestées. Cela incite donc à s’interroger sur la pertinence du concept « d’entreprise
éthique » : en effet, s’il permet d’inclure la quasi-totalité des sociétés, que recouvre t-il réellement ?
De même, si toutes les sociétés sont éthiques ou presque, à quoi bon créer des fonds spécifiques ?
L’analyse du processus de sélection des entreprises apporte un éclairage sur le concept d’éthique en
matière de finance
Processus de sélection des entreprises : les critères mouvants de s cabinets de rating social
Comment les entreprises sont-elles sélectionnées pour composer un fonds éthique ? Intervient ici un
acteur de poids dans l’univers de la finance éthique : le cabinet de rating social. La fonction de celui-ci
est de noter le caractère éthique des sociétés, afin d’en proposer une liste aux gérants de fonds qui
procèdent alors à leur sélection. Mais comment les cabinets de notation s’y prennent-ils pour évaluer
l’éthique dans l’entreprise ? Une méthodologie a été mise en place par les cabinets, qu’il s’agit de
présenter et d’analyser.
Plusieurs cabinets de rating social existent en Europe : Ethibel en Belgique, Sustainable Asset
Management (SAM) en Suisse, Eiris en Angleterre, Imug en Allemagne. Mais actuellement, un seul
cabinet domine le marché en France : le cabinet Arèse, créé en 1997 sous l’impulsion de la CDC et de
la Caisse d’épargne, présents à hauteur de 25% dans son capital.
Les cabinets de rating social, et principalement Arèse, ont développé toute une méthodologie
d’enquête des entreprises afin d’en évaluer le caractère « éthique ». L’encadré ci-joint présente la la
méthodologie mise en place par Arèse. Ce cabinet effectue des notations auprès de nombreuses
entreprises françaises, et réalise des bilans, plusieurs fois par an, sur leurs pratiques environnementales
et sociales.
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LA
METHODOLOGIE
ARESE
–
AGENCE
ENVIRONNEMENTAL SUR LES ENTREPRISES
DE
RATING
SOCIAL
ET
Arese a bâti un modèle d’évaluation et de notation multicritères et à multiples entrées permettant
d’analyser et de comparer les stratégies et les pratiques des entreprises sur une base sectorielle. Arese
se veut le leader européen du rating du « Développement Durable » et fonde sa notation sur l’approche
des « stakeholders » (parties prenantes de l’entreprise).
Une méthodologie basée sur l’analyse de cinq grands critères :
- Les ressources humaines : emploi, gestion des carrières, formation et développement des
compétences, conditions de travail, politique de rémunération, cohésion sociale et relations avec
les partenaires sociaux...
- La santé, la sécurité et l’environnement : management environnemental, respect des normes de
sécurité et d’hygiène, réduction des pollutions et des nuisances, certifications, prévention des
risques et des gestion des crises, écoproduits...
- Les clients et les fournisseurs : partenariats mis en place, contrôle social et éthique des
fournisseurs et des sous-traitants, certifications, satisfaction des consommateurs, management par
la qualité total (TQM), recherche et développement...
- Les actionnaires : respect des règles du gouvernement d’entreprise, communicaiton et
transparence, fonctionnement du conseil d’administration, indépendance et professionnalisation
des administrateurs, droits des actionnaires,...
- La société civile : partenariats avec la société civile, lutte contre l’exclusion, développement du
tissu économique local, transfert de savoir-faire, respect des droits de l’homme, mécenat...
Une méthodologie caractérisée par une analyse sectorielle :
- Des comparaisons sectorielles
- L’accès au plus grand nombre de bases de données disponibles
- Le dialogue constructif avec les entreprises et les parties prenantes
- La détermination pour chaque secteur d’activité d’enjeux et de risques spécifiques
- Une évaluation systémique en trois étapes : Leadership, Déploiement et Résultats
- Plus de 300 indicateurs qualitatifs et quantitatifs.
Une notation sur une échelle de cinq degrés qui se traduit par une score ASPI (Arese Sustainable
Performance indices).
Note ++ : entreprises « pionnières » = Score ASPI : 4
Note + : entreprises « en avance » = Score ASPI : 3
Note = : entreprises « dans la moyenne » = Score ASPI : 2
Note - : entreprises « en retard » = Score ASPI : 1
Note -- : entreprises « peu concernées » = Score ASPI : 0
Chaque entreprise se voit attribuer une note finale, moyenne géométrique des 5 notes par critère.
Toute entreprise ayant au moins une notation - - se voit exclue de l’ASPI.
Une démarche en quatre étapes :
- La constitution d’une Data Room : les documents de la Data Room (rapports/accords
d’entreprise...) permettant de dresser le profil Développement Durable/
- La rencontre des responsables de l’entreprise : Ces entretiens visent à compléter et enrichir les
informations de la première étape de la mission et valider les premières hypothèses.
- La prise d’informations auprès de grands témoins : les hypothèses préalablement établies sont
testées auprès d’un panel de grands témoins, observateurs avertis des problématiques du
Développement Durables et des enjeux qui concernents l’entreprise observée.
- La détermination de l’évaluation : Les facteurs de performances à conforter et les facteurs de
risques identifiés permettent de déterminer l’évaluation de l’entreprise
La Rédaction
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Deux principales caractéristiques résument la démarche adoptée par le cabinet :
1) Analyse d’une entreprise par rapport au secteur d’activités dans lequel elle s’insère
permettant ensuite de réaliser des comparaisons avec les autres entreprises du secteur. De manière
concrète, le cabinet Arèse établit tout d’abord une moyenne sectorielle du comportement des
entreprises à partir d’études macroéconomiques et d’indicateurs statistiques comme les normes ISO
14000 et SA 8000 (ressources humaines et fournisseurs). L’entreprise évaluée est ensuite classée en
fonction d’une analyse quantitative, de bilans sociaux et d’entretiens. Par ce moyen, le cabinet de
rating social peut situer l’entreprise dans son secteur d’activités, et déterminer si celle-ci est en avance,
dans la moyenne, ou en retard avec les pratiques éthiques et de développement durable existant dans
son secteur d’activité.
Le choix méthodologique d’une évaluation par secteur d’activités se justifie par le fait que certains
secteurs sont par nature plus susceptibles que d’autres de porter atteinte aux principes « d’éthique » et
de « développement durable ». Par exemple, les industries lourdes encourent plus le risque de porter
atteinte à l’environnement que les sociétés de services. Par ce moyen, le cabinet Arèse a souhaité ne
pas défavoriser les entreprises appartenant à des secteurs d’activité plus exposés que d’autres. Cette
méthodologie se justifie par la conviction du cabinet qu’une entreprise n’a pas un comportement
« éthique » en soi, mais par rapport à ce qui est fait au niveau de son secteur d’activité. C’est une
approche relativiste, qui comporte l’avantage de « racheter » des entreprises appartenant à des secteurs
contestés : la démarche est donc en rupture totale avec la pratique des fonds d’exclusion, qui rejetaient
catégoriquement des sociétés sur la seule base de leur secteur d’activités. Toutefois ce relativisme
n’est pas sans poser question : par exemple, une entreprise d’armement qui fabrique des mines antipersonnelles [anti-personnel], tout en assurant une politique de ressources humaines plus avantageuse
à ses salariés que ce qui se pratique en moyenne dans son secteur d’activité est-elle pour autant une
entreprise éthique ? De même, si la moyenne « éthique » d’un secteur d’activités donné est exécrable,
une société peut-elle être néanmoins éligible à un fonds d’investissement socialement responsable sur
le seul principe qu’au « royaume des aveugles, les borgnes sont rois » ? Autrement dit, l’approche
relativiste choisie par le cabinet de rating social ne permet-elle pas finalement de considérer toute
entreprise comme éthique, dans la mesure où « l’éthique » serait une notion changeante selon le
secteur d’activités auquel elle s’applique ? Que signifie ainsi ce terme, si la rigueur de sa définition est
modifiée au gré de chaque entreprise évaluée ? Une première analyse permet donc d’éprouver la réelle
teneur du concept, tel que l’entendent les cabinets de rating social. On comprend mieux également
pourquoi la quasi-totalité des entreprises du CAC 40 sont éligibles dans la composition des fonds
éthiques.
2) Approche selon une série de critères permettant d’identifier des pratiques éthiques ou non au
sein de l’entreprise. Cet aspect de la méthodologie permet donc apparemment d’atténuer les effets
pernicieux d’un relativisme de la notation, tels qu’évoqués ci-dessus.
Arèse s’appuie principalement sur trois catégories d’information :
- Les rapports et bilans annuels de l’entreprise
- Un questionnaire adressé par le cabinet de notation aux dirigeants de l’entreprise (5
questionnaires par an)
- Un recueil d’informations « à la source » auprès des responsables de l’entreprise, des
représentants syndicaux, de partenaires de l’entreprise…
Il est à noter que les deux premières catégories d’information sont entièrement détenues par les
dirigeants de l’entreprise. Et s’agissant de la troisième catégorie, sans doute la plus pertinente, car
permettant d’apporter la contradiction, il n’a pas été possible de savoir si le recours à l’opinion des
représentants syndicaux était systématique, mais, selon une étude suédoise portant sur les agences de
rating social, publiée à la fin 2001, il semble que les instances représentatives du personnel n’avaient
pas été associées au processus de notation
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Pourtant, en dépit de l’apparente rigueur des critères mis en place par Arèse, plusieurs gérants de fonds
interrogés ont une opinion défavorable sur la méthodologie mise en place. . En fait, les principaux
reproches formulés à l’égard de la méthodologie de notation d’Arèse sont le manque total de
transparence ainsi que l’aspect « fourre-tout » des critères, ce qui permet de laisser dans l’ombre un
aspect négatif pour faire ressortir un aspect positif, et finalement atténuer la portée de tout jugement
négatif envers les pratiques d’une entreprise. Le responsable de la méthodologie chez Arèse reconnaît
lui-même que le « processus de notation est une boîte noire. Nos secrets de fabrication sont difficiles à
percer ». Le problème est que cette myriade de critères mobilisés permet une analyse « à géométrie
variable » des sociétés, ce qui, ajouté au principe de relativisme décrit précédemment, ne fait que
limiter la rigueur de l’évaluation.
Le manque de transparence dans les critères et le processus de notation ont donc pour effet de limiter
le caractère de sanction des évaluations des cabinets de rating social. De fait, peu de sociétés évaluées
sont mal notées, et très peu d’entre elles sont réellement sujettes à être exclues des portefeuilles des
fonds éthiques. Le manque de transparence permet finalement une complaisance importante dans
l’évaluation des entreprises par les cabinets de rating social. Complaisance plus forte d’ailleurs avec
les grandes capitalisations boursières qu’avec les plus petites. Cette complaisance peut s’expliquer de
deux manières :
- D’une part, par le fait que la notion d’entreprise éthique est encore bien vague et mouvante, ce qui
incite les cabinets de rating social à une extrême prudence.
- D’autre part, par le fait que ces cabinets ne sont pas forcément indépendants à l’égard des
entreprises qu’ils évaluent. Parmi les actionnaires d’Arèse se trouvent des établissements
financiers proposant des fonds éthiques : on peut s’interroger sur la neutralité et l’indépendance
des évaluations, dans la mesure où les gérants de fonds éthiques ont tout intérêt à ce que le cabinet
de rating social leur recommande comme « valeurs éthiques » des sociétés dont les perspectives
économiques et financières sont attrayantes. De même, l’agence belge de rating social Ethibel a
noué une collaboration étroite avec le gérant de fonds Storebrand Asset Management : on peut
s’interroger sur la neutralité et l’indépendance des évaluations, dans la mesure où les gérants de
fonds éthiques ont tout intérêt à ce que le cabinet de rating social leur recommande comme
« valeurs éthiques » des sociétés dont les perspectives économiques et financières sont attrayantes.
On peut enfin relever la contradiction qui existe entre le manque de transparence dans la méthodologie
d’évaluation et le discours de transparence qui accompagne nécessairement toute pratique éthique :
comment des cabinets de rating social peuvent-ils donc prétendre évaluer le caractère éthique d’une
société alors qu’eux-mêmes n’en respectent pas les principes fondamentaux ?
Compte tenu du manque de transparence et des liens financiers existant entre entreprises et agences de
rating social, on peut se demander si celles-ci ne sont finalement pas de simples prestataires de service
des gérants de fonds éthiques, dont la fonction serait de donner une justification éthique à des choix
strictement financiers.
Finalement, l’analyse de l’activité des cabinets de rating social n’éclaire pas le concept d’éthique dans
l’entreprise, car les critères mobilisés dans les évaluations ne permettent pas d’identifier clairement ce
qu’est une pratique éthique dans une entreprise.
Les gérants de fonds et l’aménagement des critères des cabinets de rating social
L’activité des cabinets de rating social est toutefois devenue essentielle dans l’univers de la finance
éthique, car ils occupent une place éminemment stratégique : d’une part, ils sont courtisés par les
entreprises à la recherche d’un label éthique. D’autre part, pour les établissements financiers ou les
sociétés de gestion qui proposent des fonds éthiques, les appréciations des cabinets sont largement
prises en compte lors de la sélection des sociétés composant le fonds. En effet, la grande majorité des
gérants de fonds éthiques répertoriés en France reprennent les notations des cabinets : plus des deux
tiers d’entre eux déclarent utiliser les évaluations d’un cabinet de notation français ou européen pour
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établir la liste des entreprises sélectionnées, et la moitié d’entre eux ont recours aux notations du seul
cabinet Arèse.
Toutefois, les notations des cabinets de rating social ne sont pas le critère exclusif de sélection des
entreprises : les gérants des fonds éthiques ne s’en contentent pas, et édictent souvent eux-mêmes les
critères d’éligibilité. Certains d’entre eux choisissent de resserrer encore les exigences, d’autres au
contraire les relâchent. Mais dans la plupart des cas, la tendance est à l’assouplissement des critères. Et
dans tous les cas, les gérants de fonds introduisent des paramètres de rentabilité financière dans les
critères d’éligibilité des sociétés.
Les notations des cabinets de rating social ne constituent donc qu’un premier niveau de sélection, déjà
bien souvent complaisant avec les entreprises évaluées. Les gérants de fonds atténuent ensuite la
portée des évaluations des cabinets, en procédant à une sélection selon différents critères que l’on a pu
isoler. On peut classer ces différents modes de sélection en trois catégories :
1) Certains gérants ont recours au principe d’exclusion a priori de sociétés selon leurs secteurs
d’activité, pour marquer une sanction à l’encontre de ces sin funds (principe des « fonds
d’exclusion »).. Treize fonds éthiques sur les 48 répertoriés dans l’étude sont basés sur ce principe
(soit plus d’un quart d’entre eux), mais le niveau d’exclusion diffère selon chaque fonds : par exemple,
le fonds encouragement au développement durable proposé par ING investissement exclut les sociétés
qui réalisent plus de 5% de leur chiffre d’affaires dans l’armement ; le fonds génération éthique de
BFT a fixé le seuil d’exclusion à 50% du chiffre d’affaires réalisé dans l’armement.
Outre les fonds en actions, les fonds éthiques en obligations peuvent aussi avoir recours à ce principe
d’exclusion. On peut relever deux approches différentes au sein des fonds obligations :
- Une approche de « discrimination positive » : par exemple, les fonds éthiques proposés par Dexia
ont fait le choix de privilégier les obligations émises par les pays les moins riches de la zone euro,
ainsi que celles émises par les institutions supra-nationales d’aide au développement.
- Une approche de « sanction » de certains Etats : par exemple, le fonds UBAM génération offert
par UBI exclut de sa liste les Etats disposant de l’arme nucléaire.
2) Degré différent d’exigence dans la sélection. Reprenant les conclusions du cabinet sur le caractère
éthique des entreprises évaluées, les gérants de fonds éthiques procèdent alors à la sélection des
entreprises pour leurs fonds. Mais deux stratégies existent, traduisant un degré d’exigence plus ou
moins grand dans la sélection :
- Certains gérants de fonds n’excluent que les sociétés notées négativement, c’est-à-dire jugées en
deçà de la moyenne de leur secteur d’activités, retenant ainsi celles qui se situent au-dessus et dans
la moyenne. Par exemple, le fonds HSBC sélection valeurs responsables n’exclut finalement que
30 sociétés dans la liste du SBF 120.
- Les gérants de fonds les plus exigeants n’incluent que des entreprises notées positivement, c’est-àdire au-dessus de la moyenne de leur secteur d’activités. En fait, seuls trois fonds éthiques ont fait
le choix de ne retenir que les entreprises jugées « pionnières » par Arèse en matière d’éthique : il
s’agit des fonds épargne éthique action (Crédit Coopératif), federal action éthique (Crédit Mutuel
Bretagne) et MACIF gestion (MACIF), soit trois fonds initiés par des établissements mutualistes.
3) Aménagement des critères des cabinets de rating social par un processus de pondération des
critères. Nombre de gérants de fonds éthiques aménagent les notations, en choisissant de privilégier
un ou plusieurs critères au détriment d’autres : sur les 24 fonds éthiques s’appuyant sur les
appréciations d’Arèse, 10 ont en effet mis en place un système de pondération des critères.
-
Les critères les plus souvent favorisés par les gérants de fonds sont la politique de l’emploi et les
ressources humaines dans l’entreprise : 7 fonds éthiques privilégient cet aspect en lui attribuant
50% de la note finale.
10
-
Deux fonds éthiques privilégient le critère du respect et de la protection de l’environnement :
CLAM Euro développement durable (Crédit Lyonnais), et Ecureuil 1, 2, 3 Futur (Ecureuil
Gestion), et lui attribuent 50% de la note finale.
-
Enfin, deux fonds éthiques n’ont décidé de retenir que le critère de la relation de la société avec
ses clients et ses fournisseurs : il s’agit de la SICAV Eurosociétale (ABF) et de Branics éthique
(Branics). Les critères de l’environnement et de la politique de ressources humaines n’entrent
chacun que pour 5% de la note finale.
-
Par ailleurs, deux fonds éthiques se sont démarqués des cinq critères de notation dégagés par les
principaux cabinets de rating social, pour privilégier celui de la création d’emplois : il s’agit de
Capital emploi (Fortis) et de CMN entreprise emploi (Crédit Mutuel du Nord), qui tous deux
sélectionnent des entreprises du SBF 120 et du second marché qui ont créé le plus d’emplois
durant les cinq dernières années. Toutefois, on peut se demander en quoi le phénomène de création
d’emplois traduit le caractère éthique d’une entreprise. Il semble plutôt être simplement l’indice
d’une forte croissance de l’entreprise, ou bien sa forte consommation de main d’œuvre, ou bien
encore le fort taux de turn-over au sein de l’établissement.
4) L’introduction des paramètres financiers. Les SICAV et FCP éthiques sont, avant tout, animés
par la recherche d’une performance au moins égale aux principaux indices du marché. Leur finalité ne
diffère pas des produits de placement traditionnels : c’est pourquoi des critères de rentabilité financière
sont également largement mobilisés par les gérants de fonds pour sélectionner les entreprises.
L’analyse des paramètres financiers mobilisés permet de sentir la forte proximité des fonds éthiques
avec les fonds traditionnels.
En effet, les sociétés sélectionnées par les fonds éthiques en actions françaises, sont, dans leur
immense majorité des sociétés françaises cotées au SBF 120 et des grandes sociétés de la zone Euro
(indice Eurostoxx 50). Seuls trois fonds parmi les 48 répertoriés se distinguent dans leur choix du
« réservoir » de sociétés à sélectionner :
- Le fonds Branics éthique (Branics) fait le choix d’investir dans des sociétés cotées au SBF 250, au
second marché et au marché libre.
- Le fonds Capital emploi (Fortis) investit dans les sociétés cotées au SBF 250 et au second marché.
Le fonds Euro mid caps expansion durable (Expertise asset management) investit dans les petites et
moyennes capitalisations sur le marché européen, inférieures à 3,7 milliards € (soit environ 25
milliards de francs).
Le portefeuille de ces fonds éthiques ne diffèrent en rien de celui des SICAV et FCP traditionnels et
[je souhaiterais conserver la phrase qui précède, en ôtant le terme « absolument »] ne tirent pas leur
caractère « éthique » de la nature des sociétés dans lesquelles ils investissent.
Par ailleurs, quelques fonds éthiques ont choisi d’atténuer les contraintes imposées par les critères
d’éthique, incluant avant tout des paramètres guidés par la recherche d’une performance importante.
Parfois, les concessions faites peuvent apparaître comme vidant ces fonds de tout caractère
« éthique » :
- Le fonds Atout valeur (Crédit agricole) se réserve le droit d’investir, à titre exceptionnel, dans des
titres de sociétés mal notées par les cabinets de rating social, si les cours de ces titres connaissent
une période de très forte croissance.
- Le fonds Génération éthique (BFT gestion) s’accorde le droit d’investir jusqu’à 10% de ses actifs
dans des sociétés mal notées, si celles-ci contribuent à augmenter le cours du fonds.
- Le fonds France expansion durable (Expertise asset management) se réserve le droit d’investir
jusqu’à 10% du fonds dans des sociétés notées négativement également.
5) L’éthique, un concept malléable dans l’univers de la finance
Une multitude de fonds financiers se retrouvent donc sous une même appellation : « fonds éthiques »,
ou encore « fonds socialement responsables ».. Mais, il n’existe aucune autorité indépendante qui
11
décerne et puisse interdire l’usage abusif du terme « éthique », ce qui autorise toute société de gestion
à gérer un fonds estampillé éthique. Ceci aboutit, comme on l’a montré précédemment, à un
éclatement des critères d’évaluation, et à l’imprécision totale du concept « d’éthique dans
l’entreprise ». Le travail des cabinets de rating social ne fait que mettre en valeur, voire renforcer le
caractère malléable et sans cesse changeant du concept qui s’adapte à chaque entreprise et à chaque
situation particulière selon les besoins, à tel point qu’il finit par ne plus rien signifier
En fait, la méthodologie des critères définissant une entreprise éthique reste suffisamment large pour
ne fâcher personne, au point que des valeurs peuvent se retrouver à la fois dans les fonds éthiques et
les sin funds. Au plan financier, le concept « éthique » est donc un concept générique qui peut tout
qualifier. On peut parler d’une « éthique souple ». Pour ne prendre qu’un exemple, la SICAV
Eurosociétale (ABF) contient pratiquement toutes les valeurs du CAC 40. Où se situe la différence
avec une SICAV traditionnelle ? On a vu que les répartitions sectorielles à l’intérieur d’un fonds
éthique sont très proches de celles des fonds classiques.
Au sein de l’agitation actuelle autour des produits financiers éthiques, il semble que tout peut être
éthique en matière de finance : les exemples donnés ci-dessus prouvent bien que la préoccupation des
fonds éthiques n’est pas la recherche de l’éthique, mais bien la recherche du profit, sous une modalité
nouvelle, originale et attirante. D’ailleurs, les fonds éthiques ne représentent pas un secteur à part dans
les marchés financiers. Ils sont simplement un nouveau concept marketing permettant, dans un marché
déjà saturé, pour les grandes sociétés cotées, de communiquer autour de leur prétendus
« comportements éthiques », et pour les gérants de fonds, d’attirer toute une population sensible à ces
thèmes.
Car, et là réside l’enjeu des fonds éthiques, le marché est potentiellement important, notamment depuis
le vote d’une récente loi sur l’épargne salariale, et avec les débats en cours sur les fonds de pension
pour les retraites. La création « frénétique » de fonds éthiques durant les trois dernières années
s’explique, non pas par une préoccupation nouvelle et subite pour le développement durable, mais par
l’anticipation d’investissements massifs des organismes collecteurs de l’épargne salariale, et peut-être,
des caisses de retraite, dans ce type de fonds. Par exemple, l’organisation syndicale CFDT a créé
conjointement avec la Caisse d’épargne un fonds pour lutter contre l’exclusion : le FCP Insertion
Emploi (CDC Ixis) a collecté 51 millions € (soit 320 millions de francs), dont un tiers investi par
l’épargne salariale drainée par la Fongepar, filiale de la Caisse d’épargne, pour la seule année 2000.
Enfin les Comités d’Entreprise sont aussi un public cible en croissance, depuis que nombre d’entre eux
ne rejettent plus a priori le fait de gérer leur trésorerie en investissant sur les marchés financiers. Les
fonds éthiques, avec leur vernis de responsabilité sociale, « donnent bonne conscience aux CE »,
souligne un gérant de fonds interrogé, permettant de justifier auprès des salariés des investissements
en bourse.
« l’éthique » au service du marketing financier
Le concept d’éthique en matière de finance ne revêt donc aucune réalité : concept mouvant et
changeant sans cesse au gré des évaluations des cabinets de rating social, il ne constitue actuellement
pas de fondement légitime pour les fonds éthiques. Les fonds éthiques n’ont donc pas ce caractère
novateur et alternatif qu’ils prétendent posséder. Dès lors, à quoi ces fonds peuvent-ils bien servir ?
Basés sur un concept particulièrement mouvant en matière de finances et sujet à bien des
aménagements et des concessions, les fonds éthiques sont avant tout l’expression d’une opération de
marketing pour les gérants de fonds, qui voient là un moyen d’attirer une population sensibilisée à la
thématique de « l’entreprise responsable ». L’investissement éthique est bien l’expression d’une
stratégie marketing de différenciation, avec l’objectif de détourner, et surtout de créer une nouvelle
clientèle. C’est un marketing « de niche », d’autant plus efficace qu’il satisfait toutes les parties
prenantes :
12
-
pour les entreprises : les fonds éthiques représentent un outil de communication externe pour les
grandes sociétés à la recherche d’une image honorable, outil d’autant plus efficace qu’il est
rentable. Le label éthique est un vecteur de communication à forte visibilité et peu coûteux.
pour les cabinets de rating social : la notation éthique est un marché encore ouvert et à développer,
et dont gérants de fonds et entreprises sont particulièrement friands, dans la mesure où les critères
définissant le caractère éthique d’une société sont modelables à souhait.
enfin, pour les investisseurs institutionnels, les Comités d’entreprise et les petits porteurs qui
investissent dans ce type de fonds, le concept d’éthique est un alibi confortable à leur recherche de
rémunération financière, une justification qui prend la forme d’un « minimum moral ».
Toutefois, de par la nature même des fonds éthiques, et si l’univers de la finance éthique ne s’attache
pas à donner à ce concept un contenu intangible et rigoureux, cette part de marché vit en ce moment
son âge d’or. La prise en compte de fausses préoccupations morales n’est soutenable que tant que
l’investissement éthique reste marginal. Aujourd’hui, les gérants de fonds éthiques peuvent se
permettre de ne sélectionner que les entreprises les plus performantes et habiller leur choix de critères
éthiques ; et c’est pourquoi les fonds éthiques connaissent actuellement une croissance heureuse. Mais
si ce secteur entend se généraliser, il devra compter de plus en plus avec les entreprises éthiques à
rentabilité décroissante, du fait du tarissement mécanique du gisement des entreprises éthiques
rentables. Les fonds éthiques ne sont donc rien d’autre qu’une modalité de gestion financière
opportuniste qui s’est parée d’oripeaux moraux.
Les produits financiers solidaires : un succès mitigé
Echaudé par le caractère marketing et illusoire des fonds éthiques, l’investisseur souhaitant financer le
développement durable, ou tout au moins respecter quelques principes moraux peut a priori concevoir
quelques réticences à l’égard des « fonds de partage » et « produits financiers solidaires », ceux-ci
étant en effet très souvent associés aux fonds éthiques. Ils diffèrent néanmoins fondamentalement par
leur essence : le caractère « éthique » de ces placements ne tient pas tant à la manière de les gérer (ce
qui est la seule préoccupation des fonds éthiques), mais à l’objet final de leur création. Ces placements
n’ont pas qu’une fin en soi, contrairement aux fonds éthiques, mais un objectif qui leur est extérieur et
dont la nature est caritative, humanitaire ou d’insertion sociale.
Le principal problème auquel sont confrontés les fonds solidaires semble être leur difficulté pour
attirer des souscripteurs et mobiliser des fonds. On peut s’interroger sur l’efficience de ces produits,
notamment dans le rapport entre les montants dégagés pour l’action humanitaire et sociale et les coûts
de gestion que cela implique.
Quelles sont donc la réalité et les perspectives d’avenir des produits solidaires ? Pour tenter d’y
répondre, ce chapitre présente les produits, leurs modalités de fonctionnement, et les causes qu’ils
contribuent à financer. Il tente également d’analyser le rôle de l’association Finansol dans
l’organisation d’un marché de la finance solidaire.
Points communs et distinctions entre fonds de partage et produits solidaires
On a fait le choix de regrouper sous un même chapitre les fonds de partage et les produits financiers
solidaires, pour la principale raison que leur finalité est assez commune : il s’agit, pour le souscripteur
d’un de ces produits, de participer au financement d’une action sociale ou humanitaire, et pour cela
d’accepter de renoncer à une partie des revenus générés. La démarche de renonciation à une partie des
profits est commune aux deux catégories de produits, et les distingue fortement des fonds éthiques,
exception faite des 3 fonds éthiques présentés dans le paragraphe 5 du premier chapitre. Toutefois, une
importante différence traverse les deux types de produits financiers : elle tient à la manière dont sont
affectés les montants reversés aux associations et aux ONG.
En effet, les fonds de partage, qui prennent exclusivement la forme de FCP (à l’exception de la
SICAV Eurco solidarité ), privilégient les dons, alors que les montants affectés par les produits
13
financiers solidaires prennent plutôt la forme d’investissements. La nature de la distinction peut donc
se résumer ainsi : les fonds de partage revêtent la forme d’une démarche caritative, alors que les
produits solidaires se veulent une démarche d’aide à l’insertion et au développement sur le long terme.
Les fonds de partage sont une catégorie d’OPCVM investis essentiellement en produits obligataires ou
monétaires. Lorsqu’il souscrit un fonds de partage, l’investisseur renonce à une partie des revenus du
placement, reversés à une association caritative ou à un organisme humanitaire préalablement définis.
Selon les fonds, il s’agit d’organismes dédiés par exemple à la lutte contre l’exclusion, à la création
d’emplois ou au développement dans les pays du Sud. Le souscripteur bénéficie en contrepartie d’une
réduction d’impôts, ce qui en fait l’intérêt principal pour l’investisseur.
La plupart des fonds de partage investissent sur des obligations émises par les grands organismes
internationaux. La notion de « placement éthique » rentre assez peu en ligne de compte dans la
sélection des valeurs : le fonds de partage recherche avant tout un rendement régulier et sécurisé. Mais
la chute des taux d’intérêt durant les dernières années a pesé sur la rentabilité des fonds de partage, et
donc sur le montant des sommes reversées sous forme de dons.
Le versement des sommes aux ONG ou aux associations caritatives s’effectuent de plusieurs
manières :
- Par versement volontaire de tout ou partie des intérêts perçus.
- Par la mise à disposition de la trésorerie pour une association.
- Parfois, la participation est indirecte, car c’est le gérant du fonds de partage qui reverse une partie
des frais d’entrée et de gestion.
Mais c’est surtout la première modalité qui est privilégiée. Elle donne un caractère de « don » à la
démarche du souscripteur, qui renonce définitivement à jouir d’une somme qui lui appartient. Mais
dans ce renoncement, le souscripteur se détache définitivement de la somme ainsi que de l’utilisation
qui peut en être faite, même si un rapport est régulièrement envoyé par l’association ou ONG
bénéficiaires. En outre, ce don est ponctuel, isolé dans le temps. En versant un don, il se désengage de
l’action sociale ou humanitaire.
La démarche qui anime les produits financiers solidaires est toute autre. Certes, on y retrouve une
même volonté de participer au financement d’une action de solidarité. Mais alors que pour les fonds de
partage, l’action est temporaire, limitée dans le temps, l’aide financière apportée par le produit
solidaire est plus pérenne : ce n’est pas un « don », mais une participation, un soutien financier, et
c’est pourquoi le produit solidaire s’inscrit dans une démarche d’insertion, de développement durable.
Alors que le fonds de partage permet au souscripteur de se désengager de l’action sociale ou
humanitaire, le produit solidaire l’engage au contraire fortement dans l’action.
Créés à l'initiative de banques coopératives et d'établissements de crédit, les produits financiers
solidaires permettent aux petits épargnants d'apporter un soutien financier à des projets de petite taille
(entreprises de moins de dix salariés, associations coopératives) et peu, voire pas rentables. Rarement
financées par les organismes bancaires traditionnels (hormis des structures spécialisées comme le
Crédit Coopératif), ces actions visent principalement à faciliter la réinsertion des personnes par le
travail ou encore à soutenir des démarches écologiques alternatives, loger des personnes en difficulté,
réinsérer des territoires, soutenir des associations caritatives, etc.
Les produits financiers solidaires peuvent prendre de multiples formes : comptes chèques, comptes à
terme, Codevi et surtout prises de participation dans le capital d’établissements financiers, qui à leur
tour prennent des participations dans des petites entreprises. Cette dernière forme, qui s’apparente à du
capital-risque, constitue la modalité de produits solidaires la plus répandue actuellement.
Enfin, pour mériter l’estampille « solidaire », un produit d’épargne doit impérativement remplir ces
deux critères :
- les fonds doivent être alloués au financement d’activités solidaires.
- la gestion des produits doit être transparente pour le souscripteur.
14
L'association Finansol, qui regroupe les organismes et personnalités qualifiés des finances solidaires,
attribue, depuis 1997, le label « Finansol », qui distingue les produits financiers solidaires d’après ces
deux critères de transparence et de solidarité.
Etat des lieux des fonds de partage en France
Douze fonds de partage existent en France à la fin de l’année 2001, représentant un total d’encours de
100 millions € environ (650 millions de francs), soit environ 11% des encours mobilisés par les fonds
éthiques.
Trois fonds de partage représentent, à eux seuls, 80% du marché en France, en terme d’encours
mobilisés :
- Le FCP de partage Faim et Développement (Crédit Coopératif) représente 41 millions € (268
millions de francs), soit 40% du total des encours des fonds de partage en France.
- La SICAV Eurco solidarité (Crédit Lyonnais) représente 32 millions € (200 millions de francs),
soit un tiers du total des encours des fonds de partage en France.
- Le FCP Pacte vert Tiers monde (Crédit agricole) représente 9,6 millions € (60 millions de francs),
soit environ 10% du total des encours des fonds de partage en France.
- Les 10 autres FCP répertoriés à la fin de l’année 2001 (à l’exclusion du FCP Téléthon Poste de la
Poste, actuellement en cours d’aménagement) ont un encours se situant entre 3 et 10 millions €.
L’étude des sociétés de gestion proposant des fonds de partage permet de tirer les mêmes
enseignements que pour les fonds éthiques, à savoir qu’il ne s’agit pas de gérants de fonds spécialisés
dans la finance éthique, mais de grands établissements financiers généralistes, à la tête desquels on
retrouve le Crédit Lyonnais (2 FCP et 1 SICAV de partage proposés par le CLAM, soit 25% de l’offre
en France). Ces établissements financiers souhaitent vraisemblablement posséder une gamme large et
diversifiée de produits, afin de toucher l’ensemble des cibles potentielles. La promotion des fonds de
partage semble donc relever, de la part des gérants de fonds, d’une stratégie marketing de niche, bien
plus que d’une démarche de solidarité.
Liste des sociétés de gestion proposant des fonds de partage :
Nom de la société de gestion
Crédit Lyonnais asset
management (CLAM)
Crédit coopératif
Crédit Mutuel
Crédit Agricole
GPK Finance
La Poste
Meeschaert
Société Générale asset
management (SGAM)
Nombre de fonds de partage
proposés
3
2
1
2
1
1
1
1
Typologie des investissements par fonds de partage :
A la différence des fonds éthiques qui privilégient les fonds en actions, les marchés obligataires et
monétaires sont les principaux univers d’investissement des fonds de partage, afin d’assurer un
placement sécurisé. Les gérants de fonds justifient ces types de placement par le fait que les
populations ciblées (principalement les Comités d’entreprise et les associations) ne peuvent pas courir
le risque de perdre de l’argent sur leurs investissements.
-
Fonds en actions :
15
-
-
- Actions sud (Crédit Lyonnais ) avec une part de 10% investie en obligations.
Fonds mixtes actions et obligations :
- Avenir partage (Société Générale)
- Faim et développement équilibre (Crédit Coopératif),
Fonds en obligations européennes et internationales :
- Epargne solidaire (Crédit Coopératif)
- Epargne solidarité habitat (Crédit Lyonnais)
- Eurco solidarité (Crédit Lyonnais)
- Investissement et partage (Meeschaert)
- Pacte Vert Tiers Monde (Crédit Agricole)
- Pacte solidarité logement (Crédit Agricole)
Fonds mixtes obligataires et monétaires :
- Humanis Investissement (GPK Finance)
Fonds monétaires :
- France emploi (Crédit Mutuel)
Part des sommes reversées par les fonds de partage :
Il existe une assez grande disparité entre les modalités choisies par les gérants de fonds pour composer
le don à verser aux associations ou ONG bénéficiaires. La majorité d’entre eux choisissent d’affecter
une partie du produit généré des placements ; mais la part de ce produit diffère. D’autres fonds de
partage choisissent plutôt d’affecter une partie des frais de gestion ou de droits d’entrée. Dans ce cas,
l’effort du don n’est porté que par les gérants de fonds, et non par les souscripteurs. En outre, cette
dernière modalité de composition du don ne permet de dégager que de très faibles montants. On peut
donc vraiment relativiser le caractère solidaire de ce dernier type de placement. D’ailleurs, le label
finansol n’est décerné qu’à sept fonds de partage (voir partie 5 pour plus de précisions).
Nom du fonds
Gérant du fonds
Modalités de composition du don
France emploi
CMF
50% de la performance annuelle
Investissement et partage
Meeschaert
50% de la performance annuelle
Eurco solidarité
CLAM
50% de la performance annuelle
Pacte vert Tiers Monde
Crédit Agricole
50% de la performance annuelle
Pacte solidarité logement
Crédit Agricole
50% de la performance annuelle
Epargne solidaire
Crédit Coopératif
50% de la performance annuelle
Faim et développement
Crédit Coopératif
50% de la performance annuelle
Action sud
CLAM
15% de la performance annuelle
Avenir partage
Société Générale
2% de la performance annuelle
Epargne solidarité habitat
CLAM
- 25% de la performance annuelle
équilibre
- 50% des frais de gestion
- 80% des droits d’entrée
Humanis Investissement
GPK finance
50% des frais de gestion
Tentative d’estimation des sommes reversées en dons par les fonds de partage
Il n’existe pas d’estimation officielle des sommes reversées par les fonds de partage. Seule
l’association Finansol s’est efforcée d’évaluer le montant des dons versés aux associations
bénéficiaires, mais uniquement pour les sept FCP de partage et le fonds éthique à qui elle a décerné le
16
label « Finansol » (voir la liste plus loin). Elle chiffre à 1,7 millions € (soit 11 millions de francs) les
dons générés. Or, dans la mesure où les 3 fonds de partage les plus importants sur le marché actuel
(Insertion emploi, Eurco solidarité et Pacte Vert tiers Monde) sont aussi labellisés par Finansol, et
donc inclus dans les calculs de l’association, et dans la mesure où ceux-ci représentent 80% des
encours des fonds de partage en France, on peut supposer qu’ils représentent également la majeure
partie des dons générés. Dans l’hypothèse non absurde où ils représenteraient également 80% des dons
générés, on pourrait extrapoler un montant global de dons à 2,125 millions € (soit 14 millions de
francs). Enfin, si l’on rapporte cette hypothèse du montant de dons générés à l’encours global des
fonds de partage (environ 100 millions €), la part de l’encours transformé en dons peut être estimé à
2,1%.
Etat des lieux des produits financiers solidaires en France.
On identifie à ce jour 17 produits financiers solidaires (fonds de partage exclus). A la différence des
fonds éthiques et des fonds de partage, les produits financiers solidaires sont exclusivement émis par
des établissements financiers spécialisés dans la finance solidaire.
Les produits financiers prennent différentes formes :
Nature du produit
Nombre de produits
solidaires répertoriés
Prises de participation dans des entreprises ou dans les organismes
8
émetteurs des produits financiers solidaires
Comptes à terme et livrets d’épargne
5
Comptes chèques et comptes-courants
2
Codevi
1
Contrats assurance vie
1
Présentation des produits financiers et leur encours à la fin 2000 :
- 5 produits solidaires émis par la Nef :
- Deux comptes épargne (Compte épargne insertion et Compte épargne nature) représentant à fin 2000
un encours total de 8,7 millions € (57 millions de francs)
- Un compte-chèques représentant à fin 2000 un encours de 6,5 millions € (43 millions de francs).
- Un compte sur livret représentant à fin 2000 un encours total de 14,5 millions € (95 millions de
francs), sur lequel la Nef possède un droit de tirage de 90% des sommes déposées.
- La possibilité de prendre des parts sociales dans le capital de la société financière de la Nef : les
prises de participation dans le capital s’élèvent, à fin 2000, à 4,1 millions € (soit 27,2 millions de
francs) répartis entre 4 000 sociétaires.
L’encours total des produits solidaires proposés par cet établissement financier s’élève, à fin 2000, à
33,8 millions € (soit 222 millions de francs).
- 1 produit solidaire émis par le Crédit Coopératif : livret Codesol.
- 1 produit solidaire émis par la foncière Habitat et Humanisme , qui participe au rachat et à la
rénovation de logements à destination de personnes en difficulté. Ce produit solidaire prend la forme
d’une assurance vie, dont l’épargne collectée est réinvestie à hauteur d’au moins 10% des encours
dans l’achat et la réhabilitation de logements pour des personnes défavorisées.
- 1 produit solidaire émis par la Caisse solidaire du Nord Pas de Calais : les dépôts du livret
solidaire sont affectés au financement à la création d’entreprises et d’associations. 300 prêts ont été
accordés depuis 1999. L’épargne collectée a atteint 3,8 millions € (soit 25 millions de francs) à fin
2001.
17
- 1 produit solidaire émis par Cofides Nord-Sud, structure financière créée par l’ONG Terre des
Hommes. Son capital et les comptes-courants solidaires alimentent des fonds de garantie auprès de
projets de développement locaux en Afrique sub-saharienne. Ses ressources s’élèvent à 49 000 € en
parts sociales (soit 320 000 francs) et 67 000 € en comptes-courants (soit 440 000 francs).
- 1 produit solidaire émis par Prevair, filiale de la Banque Populaire du Haut-Rhin spécialisée dans
la finance environnementale. Le produit solidaire est un livret d’épargne, dont l’encours est investi
dans des projets à vocation environnementale. Ce produit solidaire ne bénéficie pas du label Finansol.
- 1 produit solidaire émis par l’association Oïkocrédit. Les dépôts sur son livret solidaire, s’élèvent,
à fin 2000, à 150 millions € (soit 985 millions de francs) répartis en 19 000 sociétaires (églises,
organisations ecclésiastiques, associations…) sont intégralement investis en actions dans le capital
d’Oïko-crédit, et placés à 100% dans le financement, par des micro-crédits, de projets économiques.
- 1 produit solidaire émis par l’association SIDI, affiliée au CCFD, son actionnaire fondateur : les
dépôts provenant de la CCFD à hauteur de 50% et de l’association « Epargne Solidarité
Développement » pour 35%, sont intégralement investis en actions dans le capital de la SIDI : leur
encours représentent 3,81millions € (soit 25 millions de francs) à fin 2000.
- 1 produit solidaire émis par les clubs Cigales : 100% de l’encours sont investis dans des projets
solidaires. En 2000, pour l’ensemble des 111 clubs existant en France, 142 000 € (soit 930 000 francs)
ont été investis dans 36 entreprises, contribuant à la création ou au maintien de 109 emplois.
- 1 produit solidaire émis par la Fédération nationale des associations « Love money pour
l’emploi » : le produit permet le financement de petites sociétés par actions en création ou en
difficulté, par le biais de prises de participation minoritaires dans ces entreprises. Depuis 1998, 6
entreprises ont bénéficié de ces prises de participation pour un montant total de 1,07 millions € (soit 7
millions de francs) et 550 souscripteurs.
- 1 produit solidaire émis par Garrigue : le produit consiste en des prises de participation dans des
entreprises en création ou en développement. Depuis 1985, l’association est intervenue auprès d’une
cinquantaine d’entreprises. A fin 2000, l’association Garrigue a réparti 335 000 € (soit 2,2 millions de
francs) dans 23 entreprises.
- 1 produit solidaire émis par Autonomie et solidarité finances : le produit consiste en des prises de
participation minoritaires ou d’apports en compte courant dans des petites entreprises cotées ou non,
en création ou en développement, qui s’engagent à offrir une part significative de leurs emplois à des
personnes en situation difficile au regard de l’emploi. Depuis sa création en 1990, 100 entreprises ont
été financées et 1 500 créées ou maintenues, pour un total de 1,6 millions € (soit 10,5 millions de
francs) à la fin 2000.
- 1 produit solidaire émis par Initiatives pour une économie solidaire : les dépôts sont
intégralement investis en actions dans le capital d’IES, soit 34 000 € (225 000 francs) investis dans 5
entreprises pour 2001. L’association prend des participations dans les entreprises soutenues.
Tentatives d’estimation de l’encours global détenu par les produits solidaires en France
Selon notre estimation, le total des encours détenus par les produits financiers solidaires s’élève, pour
2001, à 194 millions € (soit 1,25 milliards de francs). Un organisme, Oïko-crédit, en détient 150
millions € (soit 77% du total). Ce total ne prend pas en compte les produits solidaires suivants :
Codesol (Crédit Coopératif), assurance vie Habitat et Humanisme (Habitat et Humanisme) ainsi que le
livret d’épargne offert par Prevair, pour lesquels il n’a pas été possible de déterminer les niveaux
d’encours actuels.
18
Il s’agit néanmoins de reconnaître l’imprécision de cette estimation chiffrée, dans la mesure où les
éléments communiqués par les gérants de produits solidaires sont assez approximatifs. Il n’existe à
vrai dire pas d’estimation officielle du poids réel de la finance solidaire en France.
Une estimation effectuée à la fin de l’année 2000 par l’association Finansol à partir des produits
labellisés « Finansol », chiffre à 220 millions € (soit 1,446 milliards de francs) l’encours global des
produits solidaires. L’écart dans les deux estimations tient principalement à deux raisons :
- Sept FCP de partage et un fonds éthique sont inclus dans le calcul de Finansol, et représentent
72% de l’encours global (158 millions €). Nos calculs ne les ont pas intégré.
- L’encours de l’association Oïko-crédit (de droit néerlandais) n’est pris en compte que pour ses
activités françaises. Nos calculs n’ont pu distinguer les activités françaises des activités à
l’étranger.
Ces précisions méthodologiques faites, l’association Finansol estime donc l’encours global des
produits solidaires en France à environ 65 millions € (soit 430 millions de francs), ce qui n’est pas très
éloigné de notre propre estimation (soit 45 millions €, réserve faite du cas d’Oïko-crédit
Enfin, l’association Finansol estime à 23 500 le nombre de souscripteurs à des produits financiers
solidaires. Toutefois, des réserves méthodologiques peuvent être encore apportées :
- Cette estimation ne distingue pas les personnes physiques des personnes morales.
- Cette estimation ne prend pas en compte le fait qu’une seule personne peut détenir plusieurs
produits solidaires en même temps.
Ces quelques tentatives d’estimation ont finalement comme mérite principal de mettre en valeur le peu
de transparence existant actuellement autour du poids réel de la finance solidaire.
Financements des causes par les fonds de partage et les produits solidaires.
S’agissant des sommes versées par les fonds de partage, une dizaine d’ONG et d’associations
caritatives se sont partagées, en 2000, environ 2 millions € (soit 13 millions de francs).
A elle seule, l’association CCFD a bénéficié de plus de 1 millions € en 2000 (soit 6,7 millions de
francs), versés par les fonds de partage Eurco solidarité (Crédit Lyonnais) et Faim et développement
(Crédit coopératif), soit la moitié des sommes versées par les fonds de partage en France.
Les tableaux qui suivent présentent les principales associations bénéficiaires de dons, les fonds de
partage concernés, ainsi que les montants versés.
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Liste des principales causes financées par les fonds de partage.
ONG ou association bénéficiaire
Nom du fonds de partage concerné
Actions sud
Action contre la faim (ACF)
Actions de développement : nutrition, santé, eau, sécurité (Crédit Lyonnais)
alimentaire
Humanis Investissement
Aide médicale internationale (AMI)
Actions humanitaire
(GPK Finance)
Eurco solidarité
Comité Catholique contre la Faim (CCFD)
Fonds versés par Eurco et Faim et Développement
(Crédit Lyonnais)
affectés à des actions d’insertion par l’économique en
France et en Europe de l’est et orientale.
Faim et développement
(Crédit coopératif)
Sommes versées
70 000 € versés en 2000
40 000 € versés en 2000 (1% du budget de l’ONG)
540 000 € versés en 2000 (soit 1,5% des recettes du
CCFD en 2000)
17 millions € versés depuis 1983 par le fonds du
Crédit Coopératif
470 000 € versés en 2000 (soit 1,4% des recettes du
CCFD en 2000)
Fondations Alliances
Investissement et partage (Meeschaert)
60 000 € versés en 2000
Fondation de l’avenir
Recherche médicale
Avenir partage
(Société Générale)
ND
Crédit Mutuel France emploi
France active
Actions de réinsertion : garanties de prêts et financements (Crédit Mutuel Finance)
solidaires pour la création d’entreprises.
Créée sous l’égide de la CDC et du Crédit Coopératif
Epargne solidaire
(Crédit Coopératif)
Eurco solidarité
(Crédit Lyonnais)
305 000 € par le CMF depuis 1994. 120 000 € versés
en 2001, soit 3,6% des recettes
125 000 € par le Crédit Coopératif depuis 1988, soit,
en moyenne, 0,4% des recettes.
43 000 € versés en 2001, soit 1,3% des recettes.
96 000€ versés en 2001, soit 2,9% des recettes.
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Habitat et Humanisme
Insertion par le logement de personnes en difficulté
Œuvre pontificale missionnaire
Missions évangéliques de l’Eglise
Téléthon
Epargne solidarité Habitat
(Crédit Lyonnais)
Epargne solidaire
(Crédit Coopératif)
Téléthon Poste
(La Poste)
1,1 millions € versés depuis 1991
(152 000 € versés en 2000)
125 000 € versés par le Crédit Coopératif depuis 1987
Faibles montants
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On peut noter la rareté des actions menées dans le domaine du financement d’opérations de
développement Nord-Sud, avec le fruit des dons générés par les fonds de partage. La priorité est
donnée aux actions d’insertion en France et à la recherche médicale. Une raison peut expliquer ce
choix : selon les membres de l’association France Active interrogés, il est fréquent que les
représentants des Comités d’entreprise et des associations ayant souscrit dans un fonds de partage
émettent le souhait de voir leurs dons affectés au financement de projets locaux. Ils insistent sur la
nécessité pour eux de l’existence d’un lien étroit entre le don et l’action menée par l’association
bénéficiaire. Enfin, les Comités d’entreprise sont plus sensibles aux thèmes de l’emploi et de
l’insertion de populations en difficulté, et sont plus à même de souscrire à des fonds de partage dont
les bénéficiaires des dons financent ce type de projets.
Quelles actions les revenus tirés des produits solidaires permettent-ils de financer ?
Les domaines d’intervention des bénéficiaires des encours générés par les produits financiers
solidaires sont assez proches de ceux privilégiés par les fonds de partage. Néanmoins, la part
consacrée à des actions dans les pays en développement est plus importante. Cela tient en partie à la
nature des concours financiers, qui prennent principalement la forme de capital-risque ou de
cautionnement de prêts pour des micro-entrepreneurs. Voici la répartition des domaines d’action
financés par les produits solidaires :
- 3 produits solidaires sont consacrés à des actions de prêts pour la création et le développement
d’entreprises d’insertion en France :
- Compte chèques Crédit Coopératif/La Nef.
- Compte d’épargne de la Caisse solidaire Nord Pas de Calais.
- Compte à terme solidarité de la Nef.
S’agissant de la Nef, l’encours de crédits est de 12,5 millions € (82 millions de francs) en 2000, soit
plus d’un tiers de son encours de dépôts (33,8 millions €, soit 222 millions de francs). Il s’agit
principalement d’activités de prêts à la création et au développement d’entreprises :
- 41% des crédits ont été accordés dans le domaine de l’action sociale (principalement activités
d’insertion par l’économie, de logement social et de santé) ;
- 38% des crédits ont été accordés dans le domaine de l’environnement. (principalement activités
d’agriculture biologique et projets liés aux énergies renouvelables) ;
- 21% des crédits ont été accordés dans le domaine de la culture.
Les principales régions bénéficiaires des crédits accordés par la Nef sont L’Ile de France, la région
PACA, la région Rhône Alpes, le Languedoc-Roussillon et le Midi Toulousain.
- 5 produits solidaires sont consacrés à du capital-risque auprès de petites entreprises en création
ou en difficulté économique, et dont l’objet de l’activité est tourné vers l’insertion, ou qui
embauche des personnes en difficulté sur le marché du travail :
- Parts sociales de l’association Autonomie et Solidarité.
- Parts sociales dans le capital de l’association Garrigue.
- Parts sociales dans le capital de Love money pour l’emploi.
- Parts sociales dans le capital de IES.
- Parts sociales des clubs Cigales.
- 2 produits solidaires sont consacrés à des actions de relogement de personnes défavorisées en
France :
- Assurance vie Habitat et Humanisme.
- Compte épargne insertion de la Nef.
- 3 produits solidaires sont consacrés à l’octroi de prêts pour des actions en faveur de
l’environnement :
- Compte épargne nature de la Nef.
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-
Parts sociales dans le capital de la Nef.
Livret d’épargne de Prevair.
- 2 produits solidaires sont consacrés à des associations d’aide à la création et au développement de
micro et petites entreprises dans les pays en développement, notamment par l’apport de cautions et
de garanties lors d’une demande de prêt :
- Parts sociales dans le capital d’Oïkocrédit.
- Compte courant de Cofides.
S’agissant de l’organisme Cofides Nord-Sud, deux projets sont en cours en 2001. Le premier
au Mali, en partenariat avec la Bank of Mali, et le second au Burkina Faso, en partenariat avec la
Caisse nationale de Crédit Agricole. Un des objectifs de la Cofides Nord-Sud est d’inciter le secteur
financier local à accorder des prêts à des acteurs locaux ; c’est pourquoi elle conclut avec chaque
établissement financier une convention de garantie contractualisée.
- 1 produit solidaire est destiné à un appui financier et technique à des structures financières de
pays en développement pour financer des petits projets d’entrepreneurs urbains et ruraux :
- Parts sociales dans le capital de la SIDI (Société d’Investissement et de Développement
International)
- 1 produit solidaire est consacré à l’octroi de crédits à vocation sociale :
- Codesol du Crédit Coopératif.
On peut donc recenser 3 produits solidaires dont les fonds sont destinés à des actions de
développement dans le cadre de relations Nord-Sud. Si l’on exclut les activités de l’organisme Oïkocrédit, pour lequel il est difficile d’obtenir des informations fiables, le montant des encours dégagés
par les deux autres produits solidaires (Compte courant de la Cofides et parts sociales investies dans la
SIDI) s’élèvent en 2000 à environ 4 millions € (soit 26 millions de francs).
Finansol : « l’Arèse » de la finance solidaire ?
Créée en 1995 par un groupement d’institutions financières solidaires, l’association Finansol a
progressivement élargi ses domaines d’activité. Ses deux missions d’origine étaient de développer le
circuit de la finance solidaire et de décerner un label à des produits financiers solidaires. Actuellement
seul collectif de représentation du secteur des finances solidaires existant en France, l’association se
charge également de la promotion du secteur de la finance solidaire, notamment auprès des pouvoirs
publics, afin d’obtenir un cadre législatif et réglementaire plus avantageux.
Le label Finansol a pour principal objectif d’éclairer les souscripteurs dans l’univers des produits dits
solidaires, et de distinguer ceux dont la garantie éthique, de transparence et de solidarité est réelle.
Cinq critères ont donc été déterminés pour évaluer les produits :
-
-
Le produit doit être conforme à l’un des deux critères de solidarité suivants:
- Les encours d'épargne doivent être placés de manière solidaire (concerne les produits
bancaires). Au moins 10% de l’épargne collectée doit être destinée au financement
d’activités solidaires. Le reste de l’épargne est investie dans des titres éthiques.
- Les revenus des placements doivent être affectés de façon solidaire (concerne les
OPCVM). La totalité des placements est investie dans des fonds éthiques. Au moins 25%
du revenu de cette épargne est destinée au financement d’activités solidaires.
Le produit doit être conforme aux trois critères de transparence suivants :
- Les épargnants doivent disposer d'un dossier de présentation du produit.
- Les documents d'information sur les actions conduites doivent être largement diffusés.
L’organisme gestionnaire assure une information des souscripteurs à travers des
documents permanents et une lettre annuelle.
- Les textes fiscaux de référence doivent être fournis aux souscripteurs, afin de les informer
de quel régime fiscal ils peuvent bénéficier.
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Les produits sont évalués chaque année. Le Comité du label effectue enfin un contrôle annuel sur
l’utilisation des fonds versés aux associations bénéficiaires. Le label Finansol a d’abord été décerné
par l’association elle-même, ce qui pose des problèmes d’indépendance : en effet, les membres de son
Conseil d’administration sont également, dans une large majorité, les organismes de gestion
bénéficiant du label Finansol . Aussi, à partir de 1998, l’association a décidé de mettre en place un
Comité indépendant chargé de l’attribution du label, composé de représentants de l'économie sociale,
de syndicalistes, de journalistes et de banquiers.
Composition du Conseil d’administration de l’association Finansol :
Le Conseil d’administration est réparti en trois collèges :
- Le premier collège rassemble des institutions financières solidaires : associations, fondations,
sociétés de capital-risque, sociétés financières, clubs d’investisseurs, sociétés foncières…
- Le deuxième collège rassemble des établissements financiers, banques et compagnies d’assurance
engagés dans une démarche de solidarité :
- Le troisième collège rassemble des institutions et personnalités qualifiées soutenant les buts de
l’association :
Toutefois, on peut noter que l’ensemble des institutions financières membres du Conseil
d’Administration de Finansol sont bénéficiaires du label attribué par l’association. Aussi, bien que le
Comité décernant le label soit formellement indépendant, on peut s’interroger sur la réelle neutralité
du CA sur l’activité du Comité de label. L’action de l’association est certes louable dans sa volonté de
promouvoir l’économie solidaire et la démarche de « labellisation » des produits solidaires l’est
également. Mais le danger est que cet organisme soit à la fois juge et partie, dépendant justement des
institutions qu’elle doit évaluer, ce qui peut porter le discrédit sur l’objectivité de ses appréciations, et
de ce fait, sur tout le secteur de la finance solidaire.
La finance éthique et solidaire encore peu transparente
Il convient de relativiser le poids de ces derniers, s’agissant notamment des fonds de partage, eu égard
aux sommes dégagées par ces produits pour les associations bénéficiaires.
En effet, une estimation des montants générés par les fonds solidaires a permis de déterminer de
manière approximative :
- Un montant de dons annuels d’environ 2 millions € pour les fonds de partage.
- Un encours global compris entre 45 et 65 millions € pour les produits bancaires solidaires.
Ces fonds dégagés sont affectés principalement à des activités d’aide sociale et d’insertion par
l’économique, notamment par l’aide à la création d’entreprises. Le financement d’actions de
développement Nord-Sud est très marginal.

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