L`ouverture du secteur des hydrocarbures en Algérie : les
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L`ouverture du secteur des hydrocarbures en Algérie : les
La nouvelle loi algérienne sur les hydrocarbures : les enjeux d’une libéralisation Dossier, 21 avril 2005 Auteur: Muhammad Hachemaoui Coordination: Andrea Bertolini, Ermete Mariani Sommaire Présentation.................................................................................................................................. 3 Les dispositions de « Loi Khelil ».............................................................................................. 5 SONATRACH échappe à la tutelle de l’Etat : un pas vers l’ouverture de son capital...... 6 Les changements du nouveau régime des contrats................................................................. 9 Le nouveau régime fiscal .......................................................................................................... 12 L’Etat rentier : changements dans la continuité ? ................................................................. 14 (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 2 Présentation Le 20 mars 2005 est une date qui entrera assurément dans l’histoire -économique autant que politique- de l’Algérie indépendante, tant il est vrai qu’elle tourne la page de la nationalisation des hydrocarbures décrétée par le raïs Houari Boumediene trente quatre ans plus tôt. « De fortes pressions étrangères nous ont imposé cette Loi » devait justifier le président de la République Abdelaziz Bouteflika dans un discours prononcé au siège de la Centrale syndicale à l’occasion de la fête nationale de la nationalisation du pétrole et du gaz, le 23 février 2005 ! Signe des temps : c’est une Assemblée, dont la majorité absolue des membres est composée des députés nationalistes du Front de Libération Nationale (FLN), qui a adopté, tel quel, le projet de loi du ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil. Quels sont les enjeux de cette refonte libérale que l’Administration américaine de Georges W. Bush appuie quasi officiellement depuis que le ministre algérien de l’Energie, Chakib Khelil –expert en questions pétrolières à la Banque mondiale de 1980 (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 3 à 1999-, l’a présentée en 2001 ? Quels changements significatifs apporte-t-elle au régime juridique en cours depuis la nationalisation des hydrocarbures le 23 février 1971 ? Prépare-t-elle la privatisation de SONATRACH1 -onzième compagnie pétrolière mondiale avec un chiffre d’affaires à l’exportation de $31,5 milliards en 2004- dont l’Etat algérien est l’actionnaire exclusif ? En dépit de l’importance toute stratégique du secteur des hydrocarbures qui procure 60% du budget de l’Etat rentier algérien et 96% de ses revenus extérieurs, seuls 54 députés –parmi les 389- étaient pourtant présents dans l’hémicycle de la chambre basse du Parlement lors de l’unique journée de discussion du projet de loi, le 19 mars 2005. A l’inverse de cette désaffection, les observateurs étrangers, eux, suivent de près la libéralisation du secteur algérien des hydrocarbures. Les raisons de cet intérêt ne manquent pas : l’Algérie produit 1 350 000 barils/jour de pétrole - dont 850 000 par SONATRACH- et détient la cinquième réserve mondiale prouvée en gaz naturel ; elle est le quatrième exportateur mondial de gaz –derrière Gazprom, Shell et Exxon- et le deuxième en GNL (gaz naturel liquéfié) ; elle alimente -via ses gazoducs avec l’Italie et l’Espagne- 25% des besoins gaziers de l’Europe. En 2001, elle enregistrait la moyenne mondiale la plus élevée d’attraction des investissements directs étrangers dans le secteur. Le pays compte par ailleurs 30 opérateurs pétroliers dont le géant anglo-américain BPAMOCO, l’italien ENI (premier client gazier de l’Algérie) ou Halliburton, la firme que dirigeait Dick Cheney avant son accession à la Maison Blanche. 1 Société Nationale pour la Recherche, la Production, le Transport, la Transformation et la Commercialisation des Hydrocarbures. Elle a été créée par l’Etat algérien indépendant en décembre 1963, un an et demi après l’indépendance du pays. (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 4 Les dispositions de « Loi Khelil » La nouvelle Loi algérienne sur les hydrocarbures présentée par Chakib Khelil2 est prête depuis quatre ans déjà. Les fortes protestations syndicales et politiques soulevées par la publication en septembre 2001 de l’avant-projet de loi ont amené le président Bouteflika à reporter son adoption en Conseil des ministres. Candidat à sa propre succession en (avril) 2004, par calcul politique, Bouteflika a préféré « geler » le projet de loi de son ministre pour marchander l’appui électoral de l’UGTA3 et ne pas apparaître comme le fossoyeur de la souveraineté économique nationale -au moment où le secrétaire général du FLN, Ali Benflis, son ancien chef du gouvernent, apparaissait comme le candidat favori de l’Armée. Six mois après sa réélection le 8 avril 2004 avec 84% des voix dès le premier tour, voilà qu’il ressort la « réforme Khelil » pour l’imposer au « syndicat » comme à la « classe politique ». Le rapport de forces au sein du régime algérien ayant basculé depuis en faveur du président Bouteflika, plus personne ne pouvait empêcher le passage du projet de loi sur les hydrocarbures, règne du clientélisme et effacement du politique oblige. Lourde de 115 articles, la nouvelle Loi algérienne sur les hydrocarbures s’est donnée pour objet de « définir le régime juridique des activités de recherche, d’exploitation, de transport, de canalisation, de raffinage, de transformation des hydrocarbures, de commercialisation, de stockage, de distribution des produits pétroliers ainsi que des ouvrages et installations permettant leur exercice. » [article 1]. Les Ami de longue de date du Chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika. Après de longues études aux Etats-Unis, Chakib Khelil obtient en 1968 son Ph. D en ingénierie pétrolière à Texas University. Expert à la Banque mondiale dans les années 1980 et 1990. Après son ascension à la Présidence en avril 1999, Bouteflika fait appel à lui et le nomme ministre de l’Energie et des Mines dans le premier gouvernement qu’il formera en décembre 1999. Il occupe ce poste clé à ce jour. Dans sa volonté de prendre le contrôle sur le secteur rentier, Bouteflika lui confie la direction générale de SONATRACH, poste qu’il occupera -parallèlement à son porte-feuille ministériel- entre 2001 et 2003. 3 Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA). Syndicat unique qui revendique un million d’adhérents. 2 (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 5 nouvelles dispositions introduites dans la réforme Khelil sont nombreuses. Les plus importantes d’entre elles sont les suivantes : désengagement de l’Etat de SONATRACH ; abandon du système de partage de production ; mise en place d’un nouveau régime de contrats ; mise en concession du transport par canalisation ; adoption d’un nouveau système fiscal. SONATRACH échappe à la tutelle de l’Etat : un pas vers l’ouverture de son capital La nouvelle loi algérienne sur les hydrocarbures instaure une « séparation nette » entre les missions de l’Etat et celles de SONATRACH. Pour « décharger » la compagnie pétrolière algérienne de ses fonctions de puissance publique, la loi a créé dans son article 13 deux nouvelles structures : l’« Autorité de Régulation des Hydrocarbures » et l’« Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures » (ALNAFT). Parmi les fonctions assignées à l’Autorité de Régulation des Hydrocarbures, on peut citer : la réglementation relative à l’application des tarifs et du principe de libre accès des tiers aux infrastructures de transport par canalisation ; la réglementation en matière d’hygiène, de sécurité industrielle et d’environnement ; le cahier des charges de la construction des infrastructures de transport par canalisation et de stockage ; l’application des amendes payables au Trésor public. L’Autorité de Régulation des Hydrocarbures est tenue par ailleurs d’étudier les demandes d’attribution de concession de transport par canalisation, de soumettre des recommandations au ministre de l’Energie et des Mines et de gérer la caisse de péréquation et de compensation des tarifs de transport des hydrocarbures. (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 6 L’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (ALNAFT) est chargée quant à elle des missions suivantes (article 14) : promouvoir l’investissement dans la recherche et l’exploitation des hydrocarbures ; délivrer les autorisations de prospection ; suivre et contrôler l’exécution des contrats de recherche et/ou d’exploitation ; déterminer et prélever les redevances fiscales pour le compte du Trésor public. Pour Chakib Khelil, la création de ces deux agences étatiques s’inscrit dans une perspective de « modernisation » qui vise à « décharger » SONATRACH de son rôle de puissance publique –qu’elle a exercée depuis sa création- pour lui permettre de se consacrer exclusivement à ses fonctions -techniques et commerciales- d’opérateur économique. Le ton néo-libéral est désormais donné dans l’exposé des motifs du projet de loi : L’Etat n’obligera plus SONATRACH à investir là où les bonnes règles de la commercialité et l’intérêt financier de l’entreprise sont absentes4. Les opposants à cette Loi, à l’instar de Sid Ahmed Ghozali (PDG de SONATRACH de 1963 à 1977 et Chef du Gouvernement de juin 1991 à juillet 1992, auteur de la loi de 1991 sur les hydrocarbures dite de « partage de la production ») ou du porte-parole du Parti des Travailleurs, la trotskiste Louisa Hanoune, voient dans cette mesure une « privatisation » sinon une « dénationalisation » de la compagnie pétrolière algérienne. La crainte des opposants à la « loi Khelil » réside dans la perte à terme du contrôle de SONATRACH sur les hydrocarbures produits en Algérie. Cette inquiétude est d’autant plus accentuée que, dans un entretien accordé au Financial Times, le ministre de l’Energie et des Mines, a déclaré que « d’ici 2015, 30% de la production de 4 République Algérienne Démocratique et Populaire. Ministère de l’Energie et des Mines, « Exposé des motifs du projet de loi relative aux hydrocarbures [février 2005]», p. 7. (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 7 SONATRACH sera en dehors de l’Algérie »5. Selon le journal économique londonien, la compagnie algérienne d’hydrocarbures a pris, en 2003, des intérêts dans un gisement gazier au Pérou6, et projette d’augmenter sa production en Mauritanie et au Nigeria. Selon la revue spécialisé Energy Inteligence7, SONATRACH détiendrait par ailleurs des parts de capitaux dans certaines compagnies américaines : 6% dans celui de la firme pétrolière ANADARCO et 5% dans la société d’électricité Duck Energy8. Avec la « dés-étatisation » de SONATRACH, ces investissements sont perçus par les opposants de la « réforme » comme des risques qui peuvent s’avérer coûteux pour l’économie algérienne qui reste plus que jamais dépendante de la rente énergétique. Ce pas franchi par la nouvelle Loi sur les hydrocarbures est interprété par certains experts comme un prélude à la privatisation partielle de SONATRACH. Tel est l’avis de Mohamed Aïssaoui, chercheur à l’Institute for Energetic Studies of Oxford et ancien membre du conseil des gouverneurs de l’OPEP : « La réforme du secteur des hydrocarbures vise à mettre fin au monopole de la SONATRACH [sur le marché algérien des hydrocarbures] […] Cette démarche va donc la soumettre à une compétition accrue qui risque de limiter ses opportunités de croissance en Algérie, et la conduire à privilégier une stratégie d’expansion internationale […] La solution de moindre coût est de recourir au marché international des capitaux où la SONATRACH devra mobiliser des fonds en son nom propre et faire la preuve de sa capacité à améliorer ses performances opérationnelles et financières […] Le désengagement de l’Etat est un premier pas dans ce sens. L’étape suivante pourra conduire à une Cf. Financial Times, 20 janvier 2005. Ibid. 7 Cité par le premier journal algérien, El Khabar du 21 mars 2005. 8 Ibid. 5 6 (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 8 restructuration de son actif, qui pourrait prendre la forme d’une ouverture partielle de son capital »9. Les changements du nouveau régime des contrats L’autre disposition de taille apportée par la « réforme Khelil » concerne le régime des contrats. « Chaque Contrat de Recherche et d’Exploitation contiendra une clause qui ouvrira à SONATRACH s.p.a, quand elle n’est pas Contractant, une option de participation à l’Exploitation pouvant atteindre trente pour cent (30%) sans être inférieure à vingt pour cent (20%) ». Lors de la présentation de l’avant-projet de loi en 2001/2002 par Chakib Khelil, cette disposition de l’article 48 de la nouvelle loi sur les hydrocarbures avait soulevé un tollé général : c’est que dans la loi précédente (91-21) de 1991 –élaborée par l’ancien Chef du Gouvernement Sid Ahmed Ghozali-, le droit de préemption de SONATRACH était de 51%. Cette baisse de la prise de participation de SONATRACH dans la production est perçu par les adversaires de loi comme un retour au régime des concessions. D’autant que l’article 35 de la « loi Khelil » installe le « Contractant » sur son « Périmètre d’Exploitation » en tout propriété10 pour une durée de 32 ans. Pour le Parti des Travailleurs (PT) -dont le groupe parlementaire a voté contre le projet de loi à l’Assemblée populaire nationale-, il s’agit là d’un « transfert de propriété » et d’une violation de la souveraineté nationale –consacrée dans la lettre et l’esprit de la Constitution. « Une fois que l’on aura installé en toute propriété des majors pétroliers sur les périmètres du Sahara pendant 32 ans, comment voulez-vous changer quoi que ce Lire l’interview de Mohamed Aïssaoui sur http://www.algeria-interface.com L’article 25 de la « Loi Khelil » stipule que « les Hydrocarbures extraits, dans le cadre d’un Contrat de Recherche et/OU D4Exploitation, sont propriétés du Contractant au Point de mesure et soumis à une redevance selon les termes et conditions établis par ledit Contrat. » 9 10 (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 9 soit après ? […] C’est vraiment là que l’on ressemblera à l’Irak », s’insurge le député (PT) Abderrahmane Arfoutni11. Dans une tribune libre, le concepteur de la loi de 1991 dite de « partage de la production », Sid Ahmed Ghozali, qualifie cette clause de « violence juridique »12. Chakib Khelil réfute cet argument. Pour le ministre de l’Energie et des Mines, « l’Etat reste, en toute circonstance, propriétaire du domaine minier. [Et que] Seules les quantités d’hydrocarbures extraites et les droits liés aux titres miniers, de recherche et d’exploitation de ces produits ont un caractère commercial. »13 Pour tenter d’apaiser les inquiétudes et repousser le spectre de la perte de souveraineté de l’Etat sur les richesses minières du pays, l’auteur de la Loi rappelle que SONATRACH contrôle actuellement 65% des hydrocarbures produits en Algérie -exclusion faite de la part qui lui revient dans les contrats d’association- et 43% des superficies du domaine minier national14. La question est toutefois de savoir si elle pourra encore exercer ce contrôle à moyen terme. La durée de 32 ans accordée aux opérateurs pour chaque contrat de recherche et d’exploitation, et la substitution du droit de préemption de SONATRACH fixé par la loi précédente à 51% par une option de participation pouvant atteindre 30% sans être inférieure à 20%, sont des mesures d’inspiration très libérale qui visent -selon ses défenseurs- à rendre le marché algérien des hydrocarbures plus attractif de l’investissement direct étranger qu’il ne l’est actuellement. Parmi les mesures controversées contenues dans la « Loi Khelil », il y a également celle qui concerne l’ouverture de l’amont pétrolier à la concession. En effet, dans ses articles 68 à 71, la loi relative aux hydrocarbures autorise la concession des transports Cité par El Watan Economie, semaine du 14 au 20 mars, p. 3. Sid Ahmed Ghozali, « La dénationalisation rampante des hydrocarbures. Economie de marché ou économie de bazardage ? », El Watan, 18-19 mars 2005, p. 15. 13 « Exposé des motifs du projet de loi relative aux hydrocarbures », loc. cit., p. 4. 14 Ibid. 11 12 (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 10 par canalisation, et fixe celle-ci pour une durée de 50 ans. L’économiste algérien Amor Khelif ne voit pas cette mesure d’un bon oeil : « Avec l’abandon du partage de production, nous [passons] d’une logique de contrôle du produit et des volumes à une logique de rétribution financière. »15 Et le professeur de s’interroger : pourquoi retourner à ce système contractuel qui a fait preuve par le passé de sa voracité ?16 Pour Chakib Khelil, le régime de partage de la production s’est « essoufflé » et ne permet plus, dans un marché mondial de plus en plus concurrentiel, d’attirer l’investissement étranger. Il en veut pour preuve que l’Algérie n’a pu conclure que 10 contrats pétroliers entre 1997 et 2000, contre 25 entre 1992 et 1996. Et l’ancien expert à la Banque mondiale d’ajouter en guise d’appui à son argumentaire : « même l’Indonésie, l’inventeur du contrat de partage de production, que nous appliquons chez nous, se réforme tardivement en abandonnant ce type de contrat »17. La nouvelle loi algérienne sur les hydrocarbures introduit un ultime dispositif libéral : l’instauration de la procédure d’appels à la concurrence comme seul mode d’attribution des contrats. Ce dernier point, inscrit à l’article 32, est de toute importance : jusque-là l’Algérie était un des rares -sinon le seul- pays pétrolier à ne pas recourir à l’appel à la concurrence dans l’attribution des contrats d’hydrocarbures !18 Ce n’est que depuis la nomination de Chakib Khelil à la tête du ministère de l’Energie et des Mines en décembre 1999, que l’Algérie a introduit ce mode d’attribution des contrats dans un secteur qui lui procure pourtant 96% de ses revenus extérieurs. Grâce à cette procédure, le pays est parvenu à conclure 10 contrats au cours de la seule année 2001, réalisant ainsi l’investissement direct étranger le plus élevé au monde dans le secteur des Cité par El Watan Economie, loc. cit., p. 3. Ibid. 17 « Exposé des motifs du projet de loi relative aux hydrocarbures », loc. cit., p. 1. 18 Cf. « Algérie : Chakib Khelil progresse sur la voie de profondes réformes du secteur énergétique », Le Pétrole et le Gaz arabes, n° 758, 16 octobre 2000. 15 16 (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 11 hydrocarbures. Le « Rapport sur le développement économique international 2005 » élaboré par la Banque mondiale révèle que le coût de la corruption « représente en moyenne 6% du chiffre d’affaires des entreprises en Algérie »19. Conjugué aux difficultés de la réglementation et d’exécution des contrats, les montants de la corruption, note le rapport de l’institution de Bretton Woods, représentent parfois plus de 25% du chiffre d’affaires des entreprises étrangères exerçant dans le pays20. Depuis l’introduction -par anticipation à la nouvelle loi sur les hydrocarbures- de l’appel à la concurrence, l’Algérie a conclu 23 contrats pétroliers entre 2000 et 2003 (soit 10 contrats par an en moyenne) contre 45 entre 1986 et 2000 (soit 3 contrats par an en moyenne)21… Le nouveau régime fiscal Le système fiscal se veut le point fort de la loi sur les hydrocarbures. Par son biais, le ministre de l’Energie et des Mines ambitionne d’attirer de nouveaux investisseurs et d’augmenter les revenus fiscaux de l’Etat tout à la fois. « Ce nouveau régime fiscal a la particularité de garantir la majeure partie des profits à l’Etat tout en assurant aux compagnies un retour sur investissement attractif. Il est applicable sans discrimination à tous les opérateurs, y compris SONATRACH, pour les nouveaux contrats qui seront octroyés dans le cadre de ce projet de loi », a expliqué le ministre de l’Energie et des Mines lors de sa plaidoirie en faveur de son texte à l’Assemblée populaire nationale, le 19 mars 2005. Le nouvelle réglementation fiscale (titre VII, articles 83 à 99 de la loi) comprend plusieurs innovations. Dans le régime précédent, SONATRACH était à la Cité par El Watan du 30 septembre 2004. Ibid. 21 Chiffres communiqués par M. Mohamed Meziane, PDG de SONATRACH, lors d’une conférencebilan tenue au siège du journal gouvernemental, El Moudjahid, le 5 janvier 2004. Cf. El Watan, 6 janvier 2004. 19 20 (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 12 fois un sujet fiscal de l’Etat algérien et un agent chargé par celui-ci de collecter l’impôt auprès des compagnies pétrolières étrangères exerçant dans le pays. Dans la nouvelle loi, SONATRACH se voit déchargée de la collecte de l’impôt au profit de l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en hydrocarbures (ALNAFT). Les firmes étrangères deviennent par conséquent des sujets fiscaux au même titre que la compagnie nationale. L’autre nouveauté concerne le mode de perception : alors que dans la loi précédente, la fiscalité était calculée sur le résultat global, dans la l’actuelle, elle sera désormais calculée par site. Le nouveau régime fiscal applicable aux activités de Recherche et/ou d’Exploitation prévoit notamment : - une taxe superficiaire non déductible payable annuellement au Trésor public ; - une redevance payable mensuellement à l’ALNAFT ; - une taxe sur le revenu pétrolier (T.R.P) payable mensuellement au Trésor public ; - un impôt complémentaire sur le résultat (I.C.R) payable annuellement au Trésor public ; - un impôt foncier sur les biens autres que les biens d’Exploitation. Le paiement d’une taxe superficiaire progressive dans le temps est calculé en dinar (DA)/km2 en fonction de la superficie occupée, du type de zone22 et de la durée. A la différence de cette taxe, la T.R.P est invariable. L’uniformisation de cet impôt viserait, selon l’exposé des motifs du projet de loi, à « préserver les revenus de l’Etat au moins à leur niveau actuel ». L’impôt complémentaire sur le résultat (I.C.R) est applicable quant à L’article 19 de la loi sur les hydrocarbures délimite l’espace minier national en quatre zones (A, B, C, D), allant de la plus difficile (A) à la plus facile (D). L’indice fiscal est inversement proportionnel à la difficulté de la zone. L’objectif recherché à travers cette mesure étant, d’une part, l’encouragement à l’investissement dans les zones difficiles non encore explorées, et d’autre part, l’incitation aux opérateurs à ne pas occuper des périmètres inutilement. 22 (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 13 lui sur le résultat brut au taux de l’impôt sur le bénéfice de la société (I.B.S). Or pour inciter le contractant à investir ses bénéfices, sur place, dans l’aval pétrolier (génération d’électricité, pétrochimie, etc.,), l’article 88 de la loi prévoit le calcul de l’I.C.R sur la base d’un taux de l’I.B.S réduit. Enfin, la taxe sur le revenu pétrolier et la redevance sont calculées par périmètre d’exploitation. Contrairement à l’assurance de Chakib Khelil, certains experts émettent des doutes quant aux capacités de ce nouveau dispositif à générer des revenus fiscaux plus importants pour l’Etat rentier que ceux que lui procurait le régime antérieur de partage de production. Ali Aïssaoui, ancien conseiller au ministère de l’Energie et des Mines est de ceux-là. Pour l’auteur de Algeria : the Political Economy of Oil and Gas (Oxford Institut for Energetic Studies, 2001), le compte n’y est pas : « [mes] simulations montrent qu’en l’état des propositions, la rente revenant à l’Etat est moindre que dans le système […] de partage de production. Le manque à gagner correspond au prix à payer quand on fait assumer plus de risques aux investisseurs privés et quand, de surcroît, on leur délègue l’entière responsabilité en matière de gestion. »23 L’Etat rentier : changements dans la continuité ? N’était la grève de deux jours lancée par la Centrale syndicale en 2002 en protestation de l’avant-projet de loi sur les hydrocarbures, une autre mesure consacrant l’orientation néo-libérale du projet aurait été prise par Chakib Khelil : la libéralisation des prix de vente des hydrocarbures en Algérie. En effet, l’ancienne « copie » -rendue public en septembre 2001- stipulait dans son article 7 que le « prix de vente des Hydrocarbures et des Produits pétroliers sur le marché algérien est libre » [nous 23 Lire l’interview de Ali Aïssaoui sur http://www. Algeria-interface.com (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 14 soulignons]. Dans la dernière mouture adoptée par les députés algériens le 20 mars 2005, cette clause a disparu. L’article 9 de la loi stipule désormais que « les modalités et procédures que doit appliquer l’Autorité de Régulation des Hydrocarbures pour déterminer, au début de chaque année civile, le prix de vente, non compris les taxes, des produits pétroliers pour ladite année civile, sont définies par voie réglementaire ». Une autre mesure « étatiste » a été introduite au projet de loi sur les hydrocarbures : le statut de l’Autorité de Régulation des Hydrocarbures et l’Agence nationale pour la valorisation des ressources en Hydrocarbures (ALNAFT) nouvellement crées. En effet, alors que l’article 9 de l’ancienne mouture leur accordait « l’autonomie de gestion », l’article 12 de la présente loi est revenu sur cette clause en précisant a contrario qu’« elles sont soumises au contrôle de l’Etat conformément à la réglementation en vigueur ».[Nous soulignons] Dans le même esprit, une clause, inexistante dans le « draft » de septembre 2001, touchant au contrôle du mouvement des capitaux a été ajoutée au texte de la loi approuvé en Conseil des ministres en février 2005 -et que l’Assemblée populaire nationale a adoptée à une large majorité le 20 mars 2005. Il s’agit de l’article 55 qui énonce que « toute Personne24 résidente est cependant tenue au préalable d’importer en Algérie et céder à la Banque d’Algérie les devises convertibles nécessaires pour faire face à ses dépenses de développement […] ainsi que les montants nécessaires pour le paiement de la redevance et des impôts et taxes dus […] Toute Personne résidente est tenue de rapatrier et céder à la Banque d’Algérie le produit de ses exportations d’Hydrocarbures conformément à la réglementation des changes en vigueur. Elle pourra effectuer librement le transfert à l’étranger des dividendes revenant à ses L’article 5 définit « Personne » : « toutes personne morale étrangère, ainsi que toute personne morale privée ou publique algérienne, disposant des capacités financières et/ou techniques requises par la présente loi et par les taxes réglementaires pris pour son application. Pour les activités de vente en détail, la notion de Personne inclut les personnes physique. » 24 (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 15 associés non-résidents. Toute Personne résidente peut également effectuer après accord du Conseil de la Monnaie et du Crédit25 tout transfert lui permettant d’exercer, à l’étranger, des activités objets de la présente loi. » [nous soulignons]. Echaudé par le scandale de la fuite des capitaux opéré par l’établissement bancaire privé, Khalifa Bank, entre 1998 et 2002 –estimée par la justice française à 689 millions d’euros26-, la Présidence algérienne a vraisemblablement voulu à travers ces clauses éviter qu’un scénario semblable ne survienne à nouveau. Si l’Etat est passé du système de partage de la production à un régime de rétribution fiscale, il n’en demeure pas moins qu’il reste rentier. 25 26 Haute autorité monétaire algérienne. « La justice française détaille les pratiques douteuses du groupe Khalifa », Le Monde, 8 février 2005. (c) 2004 Giuseppe Marra Communications - tutti i diritti riservati 16