Le Niger - La Seine en Partage

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Le Niger - La Seine en Partage
les grands fleuVes du monde
Seine
Au fil de la
LE
NIGER,
FLEUVE-ROI
DU DÉSERT
MA LI
TOMBOUCTOU
SÉGOU
BAMAKO
GU IN E E
MOPTI
N IG E R
GAO
B U R K IN A FA SO
NIAMEY
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UN CADEA MAUDIT
QUI SEMBLE
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Au fil de la Seine n°52
A
les grands fleuVes du monde
L
e Niger, fleuve mythique s’il en est, perdu dans le désert comme
un mirage incertain, a toujours fait rêver.
D’abord sous l’antiquité, parce que si l’on savait qu’il existait on
ignorait d’où il venait et où il allait. Les Romains, penchés sur leurs
premières cartes aux nombreuses « terres inconnues », pensaient
tantôt qu’il était un affluent du Sénégal, tantôt qu’il se jetait dans
le Nil. Ils se trompaient. Mais ils avaient déjà deviné qu’il était immense et, surtout, ils avaient compris qu’il séparait ce que Pline
l’Ancien appelait « l’Afrique de l’Ethiopie », c’est-à-dire l’Afrique
du nord de l’Afrique noire. Un fleuve mystérieux au cœur du pire
des déserts et séparant deux mondes. Il l’est demeuré, deux millénaires plus tard.
Puis, l’Europe apprit que ce fleuve baignait une ville qui s’appelait
du joli nom de Tombouctou. Les caravaniers « venus de nulle part »
et arrivant sur les bords de la Méditerranée, avaient raconté la citadelle, à la fois sainte et richissime, envahie de fidèles et de marchands, et, mieux encore, regorgeant d’or avec ses étonnantes
maisons de pisé, tapissées des plus belles soieries du monde.
Il fallut quelques siècles et beaucoup d’aventuriers pour qu’un
blanc, René Caillé, puisse, en 1828, revenir vivant de Tombouctou,
les yeux encore éblouis.
Et il fallut davantage encore de temps pour qu’on découvre que ce
fleuve prenait sa source du côté du Fouta-Djalou, dans le mont
Loma qui fait partie des monts Tingi, au fin fond de la Guinée, à
deux pas de la frontière de la Sierra Léone, et qu’après 4.200 km
de rocailles, de déserts, de changements de direction et de forêt
vierge il se jette finalement dans l’Atlantique.
Le Niger continua à faire rêver. Non plus les explorateurs à la recherche de toutes les sources du monde mais les agronomes, les
géologues, les économistes, les politiques, tous les gens sérieux
et tous les rêveurs des temps modernes qui savent que, si le désert
est l’ennemi de l’homme, l’eau, ce cadeau des Dieux, permet de
faire tous les miracles et de transformer en potagers les terres les
plus arides.
Le Niger, cet immense fleuve en plein désert qui traverse la Guinée,
le Mali, le Niger, le Bénin et le Nigéria, autant de pays dévastés par
la sécheresse, semblait bel et bien ce cadeau des Dieux faisant
rêver tous les hommes. En 1932, l’Empire colonial français qui dominait alors la plupart de ces pays du bassin du Niger créa « l’Office
du Niger », avec pour vocation de faire sortir tout ce cœur de
l’Afrique des sables maléfiques du désert.
Quatre-vingts ans plus tard -et même si, entre temps, tous ces
pays ont accédé à l’indépendance et créé, en 1980, une « Autorité
du Bassin du Niger », puis signé, en 2004, une « Déclaration sur
les principes de bonne gouvernance pour un développement partagé du Niger » et, en 2008, une « Charte de l’eau du Niger »- il
faut bien constater que, pour la plupart, ces pays riverains du grand
fleuve sombrent dans la misère,
que le désert gagne
chaque année du terrain et que le Niger
continue à somno-
ler, totalement inutile, au milieu de
l’enfer de toutes
les sécheresses.
Pire que ce fleuve
si précieux est
désormais menacé, beaucoup
plus que d’autres et
par tous les maux de
notre planète..
A croire que ce fleuve est
maudit. A moins que
toutes les organisations internationales, avec leurs
réunions de chefs d’Etat,
leurs conférences, leurs symposiums, leurs commissions, leurs kyrielles de fonctionnaires et leurs
déclarations d’intention, ne soient qu’un jeu
pour permettre à une toute petite pseudo élite de publier des plaquettes sur papier glacé, voire de détourner, non pas les eaux du
fleuve, mais les fonds considérables de l’aide internationale, fonds
qui ont disparu comme les eaux d’un orage dans les dunes…
Mais la malédiction ne s’arrête pas là. Comme l’avait écrit Pline
l’Ancien, le Niger est une frontière entre deux mondes. Le monde
arabe, au nord, et le monde noir, au sud. Du temps des caravanes,
cette « rencontre » faisait la richesse de Tombouctou, de toutes les
oasis de l’Empire du Mali et des royaumes florissants de la région,
riverains du fleuve. Hélas, depuis quelques décennies cette frontière, jadis si perméable, est devenue une ligne de front, d’affrontement entre l’Islam du nord et les animistes souvent christianisés
du sud.
Aujourd’hui, quand on parle du Niger, c’est pour évoquer des
guerres civiles, des guerres tribales, des guerres de religion et Tombouctou-la-Belle, classée au Patrimoine de l’Humanité par
l’UNESCO, n’est plus qu’un champ de ruines fumantes envahi de
pauvres silhouettes qui ont fui la sécheresse, la famine, la guerre.
Et pourtant ! La descente du Niger est, sans doute, l’une des plus
belles « croisières fluviales » qu’on puisse imaginer. Le Niger n’est
pas qu’un fleuve tranquille au milieu des sables. On voit des montagnes, des rapides, des plaines inondées, des lacs avec leurs îles,
de nouveau des rapides et puis la forêt avant de retrouver l’océan.
Plus de 4.000 km qui permettent de traverser l’Afrique de l’Ouest
et l’histoire du Continent, avec tous ses peuples si variés, ici les
Bozos, pêcheurs du fleuve, là les Peuls, éleveurs nomades, ailleurs
les Markas, riziculteurs, mille autres encore, à la démarche, aux
coutumes, à la culture si différentes les unes des autres.
Et puis, surtout, on a la chance de découvrir, au fil du fleuve lentement descendu, posées comme des oiseaux élégants sur la rive,
des villes aux noms enchanteurs, Kouroussa, Bamako, Koulikoro,
Diafarabé, Tombouctou, Gao, Niamey, Onitsha…
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Au fil de la
Seine
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NIGER
FLEUVE-ROI DU DÉSERT
Bamako, le marigot du caïman
On ne remonte guère jusqu’à la source, dans les monts escarpés de
la Guinée profonde, peu hospitaliers. La « visite » ne commence qu’à
Kouroussa, « charmante bourgade », comme disent les guides, typique de la Haute Guinée, totalement abandonnée mais qui a gardé
quelques souvenirs de sa grandeur passée quand, au début du
XXème siècle, elle était un centre important à la fois du caoutchouc
et de l’administration coloniale française.
Au milieu de la pauvre place, un monument délabré rend encore
hommage à René Caillé, passé par Kouroussa sur sa route vers Tombouctou. Tout autour, on aperçoit quelques maisons coloniales qui
tiennent encore debout. C’est sur cette place écrasée de chaleur
qu’on peut rencontrer les vieux griots du bourg qui, pour une piécette
ou un paquet de cigarettes, vous racontent les légendes locales et
notamment l’épopée du grand empereur Samory, celui-là même qui
résista –en vain- aux hommes du colonel Archinard, premier français
à avoir hissé le drapeau tricolore dans ce coin perdu d’Afrique.
Le Niger est (un peu) navigable de Kouroussa jusqu’à Bamako. C’est
plus un bief qu’un fleuve.
Avouons que Bamako est un peu décevante. D’abord, parce que la
capitale du Mali est davantage une ville de marigots que la ville d’un
fleuve. Bamako veut d’ailleurs dire « le marigot du caïman » en
langue Bambara. Le caïman est toujours l’emblème de la ville, même
si la vieille tradition des Sarakoles de donner, chaque année, une
vierge à un caïman et que raconta Albert Londres dans un de ses reportages exotiques a disparu depuis longtemps. Mais les marigots
sont toujours là.
E
MAISON COLONIAL
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Le « drame » de Bamako tient en deux chiffres. En 1960, le jour de
l’Indépendance, la grosse « bourgade » comptait 100.000 âmes.
Aujourd’hui, la capitale du pays déborde avec plus de… 2,5 millions
d’habitants, des gens venus de tout le pays, fuyant la sécheresse,
la misère et, ces derniers temps, la dictature des Islamistes qui
avaient conquis le nord du pays avant d’en être chassés.
Alors pourtant que toutes les capitales du Continent ont connu des
arrivées massives de ruraux affamés, aucune autre ville africaine
n’a eu à faire face à une telle augmentation de sa population. Bamako a souvent l’air, maintenant, de ressembler à un gigantesque
camp de réfugiés, sans argent, sans travail et sans autre espoir que
d’obtenir, un jour, un visa pour la France. On ne le sait pas toujours
mais Montreuil, dans la banlieue parisienne, est aujourd’hui, après
Bamako, la ville au monde qui compte le plus de Maliens…
Les trois ponts de Bamako qui enjambent le Niger ont des noms révélateurs. Le « Pont des Martyrs » rend hommage aux victimes non
pas du colonialisme (une fois n’est pas coutume) mais de Moussa
Traoré, l’un des nombreux dictateurs maliens qui se sont succédé
au palais de Koulouba, l’ancienne résidence des gouverneurs français du Soudan (nom du Mali d’alors) construite en1908 et désormais palais présidentiel. Le « Pont du roi Fahd » remercie l’Arabie
saoudite pour l’aide (considérable) qu’elle a apportée, au nom de la
solidarité musulmane, au Mali.
les grands fleuVes du monde
Le « Pont de l’Amitié Sino-malienne »
rend grâce aux Chinois qui ont financé
et construit ce pont.
A cause des barres de grès du plateau
Mandingue et des rapides de Sotuba, le
Niger n’est plus navigable à la sortie de Bamako. Il ne le redevient qu’à Koulikoro.
Peu de touristes s’arrêtent à Koulikoro (43.000
habitants) et on les comprend. Pourtant cette
grosse bourgade est entrée dans l’histoire à deux
reprises. D’abord, en 1235, car c’est ici même que
le roi du Mandé, Sundjata Keïta, a écrasé, au cours
d’une bataille demeurée célèbre, son rival le roi de Sosso,
Soumaoro Kanté, ce qui lui a permis de devenir empereur
du Mali. Nous connaissons parfois assez mal l’histoire africaine.
Ensuite, en 1904, quand les Français inaugurèrent la ligne de chemin de fer Dakar-Fleuve Niger et qu’ils choisirent Koulikoro pour en
faire le terminus.
Pendant une bonne partie du XXème siècle, Koulikoro prospéra en
étant à la fois le terminus de la voie ferrée venant de Dakar et le port
de départ des bateaux qui descendaient le Niger jusqu’à Gao, du
moins pendant la saison des hautes eaux, du mois d’août à fin novembre.
On se laisse reprendre par le bercement du fleuve et on arrive à
Segou (130.000 habitants). Segou fut, du XVIIème siècle à la fin du
XIXème, la capitale du grand empire Bambara qui domina par moments tout le Mali. Agriculteurs et animistes, pratiquant aujourd’hui
encore le culte des ancêtres, les Bambaras surent créer une puissante armée avec même une marine sur le fleuve, et une administration étonnante. On ne le dit plus, bien sûr, mais comme d’autres
empires de la région, ils firent fortune avec le trafic des esclaves.
Aujourd’hui, Segou est célèbre pour ses poteries, faites par les
femmes avec la glaise recueillie dans le fleuve.
OASIS
Le miracle du Delta
intérieur
IÉ
PONT DE L’AMIT
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SINO-M
La croisière continue et le touriste est soudain estomaqué, émerveillé.
Il ne comprend plus rien. On lui avait raconté qu’il allait traverser
le pire des déserts et le voilà, brusquement, au milieu d’une immense plaine inondée, presque une mer intérieure, des marais à
perte de vue.
Le Niger a débordé de tous les côtés, abreuvant le désert jusqu’à
plus soif, s’étalant sur 35.000 km2, donnant à profusion de l’eau,
des poissons et du limon à tous –à plus d’un million de Maliens
heureux qui vivent dans cette région.
C’est ce qu’on appelle « le Delta intérieur », comme si, déjà fatigué
de sa course lente, le fleuve voulait soudain en finir et faisait mine
de croire qu’il était arrivé au terme de son voyage et qu’il pouvait
se disperser dans ces sables comme dans un océan.
Bien sûr, le miracle ne dure que quelques mois. De juillet à novembre. Mais il suffit si ce n’est pour faire la fortune du moins pour assurer la survie des villes qu’on aperçoit au loin, Djenne, Mopti,
Niafunke.
Djenné (ce qui veut dire « le génie des eaux » en langue bozo),
32.000 habitants, est une île quatre à cinq mois de l’année par an.
La saison des pluies, les flots du Niger et ceux de son affluent la
Bani qui arrive de Côte d’Ivoire, ont inondé toute la région.
Et c’est une île enchanteresse, du moins dans ses quartiers anciens, avec ses ruelles étroites, ses innombrables maisons de
brique séchée aux toits en terrasse surmontés d’autant de pointes
qu’il y a d’enfants dans la famille. La Grande mosquée est l’une
des plus connues de la région. Elle ne date que de 1906 mais les
Français l’avaient construite à l’identique de celle de 1819, laquelle
avait reproduit celle édifiée en 1280 par le roi Komboro quand il
s’était converti à l’Islam.
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NIGER
FLEUVE-ROI DU DÉSERT
MOSQUÉE
À TOMBOUCTOU
Comme les autres villes du fleuve, Djenné a fait fortune pendant
quelques siècles en vendant le sel (du Sahara) vers le sud, l’or (de la
Volta) vers le nord et les esclaves vers le nord et vers le sud. Et
comme les autres villes, Djenné a connu tous les avatars de cette
région aux siècles mouvementés. Conquise par les Touaregs en
1443, par l’empire SonghaI en 1470, par les Marocains en 1591,
par les Bambaras de Ségou en 1670, par les Peuls en 1819, par
les Toucouleurs en 1862, par Archinard en 1893, elle a su rester,
à travers les siècles et sa décadence, une ville bozo, celle des pêcheurs et des mariniers « maitres du fleuve ».
Mopti (120.000 habitants), qui n’est aussi qu’une île pendant la
saison des hautes eaux du Delta intérieur n’a longtemps été qu’un
petit village pris entre Djenné et Tombouctou et sa grande mosquée
n’est rien d’autre qu’une pâle réplique de celle de Djenné. Mais ici
les gens cultivent le riz… aquatique, un riz rouge et délicieux qui
pousse dans les eaux du fleuve et qu’on peut déguster dans le restaurant au nom étonnant : « le Y a pas de problème !», ce qui est
un peu présomptueux. C’est de Mopti que les touristes partaient
(car ils ne sont plus très nombreux aujourd’hui) pour visiter la réserve des éléphants de Douentza et surtout le pays Dogon.
La perle du désert devenue ville
martyre
Et on arrive enfin à Tombouctou, « la perle du désert », « la ville
aux 333 saints » qu’on est, hélas, aujourd’hui obligé d’appeler « la
ville martyre ».
Qui n’a pas rêvé de découvrir, un jour, cette ville dont le nom seul
fait sourire les enfants et qui fut, au XVème et XVIème siècle, au
cœur de l’Afrique, en plein désert, sur les bords du Niger, l’une des
capitales intellectuelles les plus importantes du monde musulman ?
Tout a commencé dans la nuit des temps quand une poignée de
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Touaregs s’installèrent ici, autour d’un
puits. Le campement devint village et,
comme toute la région passa d’une domination à une autre, l’empire Songhai, les Peuls, les Saadiens de
Marrakech, les Alaouites du Maroc,
de nouveau les Touaregs, continuellement balloté entre les Touaregs, les Noirs et les Arabes.
Zone, nous le disions, frontalière et donc d’affrontement. Ce
qui fut longtemps sa chance pour tous les commerces,
du sel, de l’or, des esclaves mais aussi des idées et
des cultures mais qui fut aussi, comme on l’a vu récemment, sa malédiction.
En fait, tout n’avait vraiment commencé qu’au XIVème siècle quand l’empereur du Mandé, Mansa Moussa, construisit la
mosquée Djingareyber. Le bourg des marchands d’esclaves et
des pilleurs de caravanes devenait une ville sainte. Un siècle plus
tard, Tombouctou construisait la mosquée de Sankoré, gigantesque, aux dimensions de la Kaaba de La Mecque, avec tout autour une université coranique.
Au XVème siècle, Tombouctou comptait 100.000 habitants dont
25.000 étudiants qui écoutaient les plus grands sages de l’Islam
et se penchaient sur 100.000 manuscrits précieux, ce qui n’empêchait pas tous les trafiquants de continuer à faire fortune à
l’ombre des minarets, tout en honorant leurs « saints » (interdits
par l’Islam) en élevant pour eux des mausolées toujours plus
beaux.
Et puis, les Européens développant le commerce côtier, les trafics
transsahariens ont périclité et, du coup, Allah a un peu oublié Tombouctou qui, comme une belle au désert dormant, s’est assoupie
dans la poussière des sables brûlants et les souvenirs de son âge
d’or. De 100.000 habitants, la ville n’en compte plus que 30.000 et
l’on n’entend plus guère les étudiants de
Sankoré psalmodier les versets du
Coran.
Mais tout avait été précieusement sauvegardé, les deux
superbes mosquées, les
mausolées des saints,
les maisons fabuleuses de
pisé ressemblant à des
châteaux de sable, les fameux
manuscrits. Jusqu’au jour où
des Touaregs et des Arabes,
fanatisés par l’islamiste le
plus rigoureux, sont repartis
en guerre sainte
contre les noirs et
« les impies »,
saccageant
les grands fleuVes du monde
les mausolées, incendiant les manuscrits, massacrant la ville sainte
et persécutant la population.
Aujourd’hui, la ville est blessée, meurtrie et il faudra longtemps
pour panser ces plaies.
Gao a connu le même sort. Comme d’ailleurs elle avait connu, elle
aussi, depuis sa création au VIIème siècle, les invasions et la domination de tous les conquérants du continent, l’empire Songhai,
l’empire du Mali, les Marocains, le colonialisme français et l’effondrement du commerce des caravanes. Mais les marchands s’en
sortent souvent mieux que les docteurs de la foi.
Gao, avec ses 90.000 habitants, oubliera plus vite que Tombouctou
la Charia que les Islamistes ont voulu lui imposer pendant quelques
mois et les fanatiques ont, ici, épargné le tombeau des Askias
(1495), seul vrai monument touristique de la ville.
Après Goa, le fleuve n’est, de nouveau, plus navigable et il entre
au Niger après avoir franchi des seuils rocheux, réduit la largeur
de son lit et formé des chapelets d’îlots.
Un cri d’ alarme o1ue personne
n’ écoute
On le retrouve à Niamey. Disons-le franchement, si Bamako est
décevante, Niamey n’a strictement aucun intérêt mis à part, bien
sûr, le paysage du fleuve. La capitale de l’Etat du Niger (1,3 millions
d’habitants aujourd’hui) n’existait pas avant l’arrivée des Français
à la fin du XIX siècle. Les caravanes ne passaient pas par là. C’était
Zinder la grande ville de la région et qui fut d’ailleurs la capitale
du Niger jusqu’en 1926. C’est le gouverneur français qui déplaça
la capitale à Niamey, sans doute, pour éviter la trop grande influence du sultan de Zinder, sûrement pour se rapprocher du fleuve.
On continue donc et on entre rapidement au Nigéria, « l’éléphant
de l’Afrique » (170 millions d’habitants et du pétrole à profusion).
Notre fleuve va alors zigzaguer comme s’il ne s’y reconnaissait pas
dans ce pays qui lui présente, d’abord, un peu de ce désert qu’il
connait bien avec des sultanats islamistes comme il en a déjà rencontrés, mais rapidement de la savane puis des forêts équatoriales.
Alors, il finit par éclater dans tous les sens, formant un immense
delta, cette fois un vrai, qui, après Onitsha, une ville qui avait été
martyrisée pendant la guerre (oubliée) du Biafra, dans les années
60, se jette dans l’Atlantique aux environs de Port-Harcourt, la
grande ville pétrolière du Nigéria. Le voyage se termine mais ce
n’était déjà plus « le vrai Niger du désert ».
Mais attention ! Aujourd’hui, le grand problème n’est pas de savoir
si les touristes qui commençaient à représenter une chance économique importante pour toutes les villes et toutes les bourgades
riveraines du Niger vont revenir quand ils seront rassurés par une
situation politique qui se sera stabilisée. Ils reviendront sans doute,
tant les paysages et les peuples qu’on découvre au fil de ce fleuve
sont beaux et passionnants.
Le problème (dramatique) est ailleurs et autrement plus important.
Il s’agit tout simplement de la survie du fleuve, c’est-à-dire de tout
l’équilibre précaire d’une grande partie de cette Afrique qui est déjà
bien fragile.
Les climatologues se querellent entre eux. Mais il est évident que
la terre se réchauffe, que l’eau se fait de plus en plus rare, que le
désert avance. Personne ne conteste qu’en un demi-siècle le Lac
Tchad soit passé de 25.000 km2 à 2.500 km2 et on ne peut pas
nier qu’aujourd’hui le Niger soit malade., gravement.
Il serait donc grand temps d’écouter ceux qui lancent, depuis longtemps déjà, un cri d’alarme. Au-delà de toutes ses beautés, « le
grand fleuve du désert » souffre de la sécheresse, de l’ensablement, de l’avancée inexorable de sable, de l’érosion, de toutes les
pollutions industrielles et même de l’envahissement des jacinthes
d’eau.
Si personne ne fait rien, il va s’épuiser et, un jour, peut-être prochain, disparaitre. Ce serait sans doute la plus grande catastrophe écologique de la terre. Tout le monde en convient.
Personne ne fait rien.
Pascale Dugat
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