MODELISATION EN REACTEUR DISCONTINU DE LA TEINTURE
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MODELISATION EN REACTEUR DISCONTINU DE LA TEINTURE
MODELISATION EN REACTEUR DISCONTINU DE LA TEINTURE EN COLORANTS REACTIFS : Epuisement primaire V. Ventenat1 , J.L. Houzelot2 , M.A. Latifi2 , H. Charrette2 1 Institut Français du textile de l’habillement, 185 rue de l’Illberg, 68100 MULHOUSE 2 Laboratoire des Sciences du Génie Chimique, CNRS – ENSIC, 1 rue Grandville, BP 451, 54001 NANCY Cedex, France Résumé. L’objet de cet article est de présenter une application du génie chimique à la teinture des fibres cellulosiques avec des colorants réactifs dans un réacteur discontinu de type autoclave vertical. La complexité du procédé sera exposée dans sa généralité. Comme le procédé comporte plusieurs étapes, seule la première étape du procédé, dite d’épuisement primaire, sera considérée. La modélisation du transfert de matière en milieu poreux de colorants réactifs dans le tissu tient compte à la fois des contraintes hydrodynamiques (convection forcée en milieu poreux) et chimiques (adsorption, diffusion). Les démarches de résolution et de validation du modèle sont présentées pour aboutir à la simulation du comportement du colorant durant la phase d’épuisement primaire en fonction des conditions opératoires. INTRODUCTION La Division de Recherche de Mulhouse de L’Institut Français du Textile et de l’Habillement (IFTH) est spécialisée dans l’ennoblissement du textile. Cette activité consiste à apporter une valeur ajoutée sur un article textile écru selon différents procédés tels que la préparation, la teinture, l’impression, les apprêts. Parmi ces procédés, la teinture discontinue est de plus en plus convoitée compte tenu des contraintes économiques qui tendent à réduire la production de grands métrages (en une seule fois). Lorsqu’on ajoute à ces contraintes les priorités de respect de la qualité et des délais, il devient impératif d’avoir une maîtrise complète des procédés. Le procédé de teinture du coton en autoclave avec des colorants réactifs est assez particulier car il comporte deux étapes [1-3]: • la première consiste à gérer la cinétique d’adsorption du colorant par ajout d’un électrolyte. Cette étape réversible consiste à répartir le colorant le plus uniformément possible sur le tissu tout en épuisant suffisamment de colorant sur la fibre avant fixation. • la seconde étape consiste à fixer les molécules de colorant réactif sur la fibre en formant des liaisons covalentes. L’« activation » des sites de la fibre est réalisée par l’ajout d’un agent alcalin dans le bain. Les molécules de colorant adsorbées durant la première phase du procédé peuvent désormais se fixer sur la fibre. En plus de cette réaction recherchée, plusieurs réactions compétitives non recherchées coexistent : § l’agent alcalin, en activant les sites de la fibre (fonctions alcools) active en même temps les ions hydroxyles de l’eau. Les molécules de colorant peuvent réagir soit avec la fibre soit avec l’eau. Lorsque les molécules réagissent avec l’eau elles s’hydrolysent et ne peuvent plus participer à la fixation. § le colorant, lorsqu’il est fixé peut tout de même s’hydrolyser, § le colorant hydrolysé peut s’adsorber et/ou se désorber de la fibre. CONDITIONS OPERATOIRES Le tissu est enroulé sur un support cylindrique perforé (ensouple). Cette ensouple est introduite verticalement au centre du réacteur également cylindrique (Figure 1). Le bain circule à l’aide d’une pompe de débit variable, en circuit fermé, de l’intérieur de l’ensouple vers l’extérieur en traversant les différentes épaisseurs de couche du tissu. La tension d’enroulement du tissu est un facteur important pour la qualité de la teinture tant au niveau de la reproductibilité que de l’uniformité du coloris à obtenir (passages préférentiels) Autoclave Pores du tissu Bain de teinture Tissu à teindre Pompe de circulation Molècules de colorant Sens d'écoulement du bain imposé par la pompe Figure 1. Schéma général de l’installation expérimentale Une teinture débute par l’introduction de l’eau et du tissu dans l’autoclave. Pendant quelques minutes, le bain circule pour homogénéiser le milieu et parfaitement mouiller le tissu. Les colorants sont ensuite ajoutés. Au bout de quelques minutes d’homogénéisation, l’électrolyte (NaCl) est introduit selon une fonction du temps, le plus souvent au niveau industriel, une fonction par doses de quantités progressives. La température du procédé est constante et fixée à 60°C. Lorsque l’équilibre est atteint, l’agent alcalin est introduit. Le procédé se termine par un savonnage et par plusieurs rinçages à l’eau chaude et froide (Figure 2). Ces dernières étapes sont indispensables pour éliminer tout le colorant hydrolysé adsorbé sur le tissu. L’éliminer permet donc d’améliorer la qualité finale du produit avant commercialisation. Teinture par épuisement du colorant Savonnage Epuisement théorique Degré d'épuisement (%) Colorant fixé et colorant hydrolysé adsorbé sur la fibre 100 80 Colorant adsorbé sur la fibre 60 40 20 Colorant fixé sur la fibre Phase d'épuisement Conduite du procédé Colorant éliminé lors du lavage Phase de fixation Ecart entre colorant fixé et non fixé réduit au maximum pour améliorer la qualité de la teinture Phase de savonnage Temps de teinture Température (°C) 80 60 40 20 Ajout de l'électrolyte Ajout de l'agent alcalin Temps de teinture Figure 2. Exemple expérimental du déroulement d’une teinture MODELISATION DU SYSTEME 1. Equations du modèle Pour modéliser cette phase d’épuisement primaire, nous avons, compte tenu des différentes symétries axiales et angulaires, réduit le problème à une dimension correspondant au sens d’écoulement du bain de teinture dans l’ensouple (intérieur vers extérieur). Pour modéliser le procédé de convection-diffusion, nous avons tenu compte de la nature poreuse du tissu et des principaux phénomènes physicochimiques existants [4-5]. Le transfert de matière du colorant du bain de teinture vers la fibre est en grande partie dû à la convection forcée. Le bilan massique du colorant dans le tissu est donc couplé aux équations de la mécanique des fluides. Comme l’hétérogénéité du tissu est caractérisée par sa porosité ε, des équations classiques de la mécanique des fluides (équation de continuité et de conservation de la quantité de mouvement), nous avons, moyennant des hypothèses présentées ciaprès, utilisé l’équation de continuité et la loi de Darcy. Pour le bilan massique, deux types de molécules coexistent dans le tissu : les molécules libres ou non adsorbées de colorants (C) circulant dans les pores et les molécules de colorant adsorbées dans le tissu (Cµ) [6]. Tenant compte de toutes ces informations, le système final d’équations différentielles à résoudre s’écrit: ε.∂C +(1−ε).∂Cµ +ε.U(r).∂C = 1 ∂ (Dapp .r ∂C ) ∂t ∂t ∂r r ∂r ∂r ∂Cµ =kadsorption.C(S −Cµ )−kdésorption.Cµ ∂t ∂ρ + 1 ∂ (ρ rU )=0 ∂t r ∂r → (1) (2) (3) → U =−k Darcy.Gr a d(p) (4) La d iffusion est représentée par un coefficient de diffusion apparent, Dapp, englobant la diffusion dans les pores et à la surface du tissu. 2. Hypothèses La concentration C en molécules mobiles dans le tissu et Cµ en molécules adsorbées suit une loi de type isotherme de Langmuir [7]. Nous faisons l’hypothèse que l’équilibre d’adsorption est instantané. La variation de la concentration en colorant adsorbée sur le tissu en fonction du temps est nulle, d’où la nouvelle forme de l’équation (2) : (i) Cµ = K.S C 1+K.C (5) § K étant le rapport des constantes cinétiques d’adsorption et de désorption § S étant le nombre de sites maximum de la fibre permettant d’adsorber les molécules de colorant (saturation de la fibre en mole/m3 ). (ii) (iii) (iv) Le coefficient de diffusion apparent Dapp est considéré constant. Le bain de teinture est idéal (pas de viscosité et donc pas de tenseur des contraintes). Le bain de teinture est un fluide incompressible (sa masse volumique est constante) et nous observons l’écoulement en régime permanent. 3. Méthode de résolution La résolution de ce système non linéaire d’équations différentielles partielles passe par une discrétisation dans l’espace et dans le temps [8-10]. Toutefois, comme la concentration limite pour le rayon interne de l’ensouple est variable dans le temps, la méthode des éléments frontières a été utilisée. Elle permet, contrairement à la méthode des éléments finis, de positionner les points de la discrétisation où nous le souhaitons, par exemple dans les zones du tissu présentant un intérêt particulier pour le teinturier telle que la partie interne du tissu sur l’ensouple. Cette méthode permet de calculer également les valeurs de concentrations et des gradients de concentration en même temps alors que pour la méthode des éléments finis, le gradient de concentration est calculé à posteriori [11]. 3.1 Distribution des vitesses dans le tissu Compte tenu de la géométrie du problème, la distribution de la vitesse dans le tissu peut être calculée indépendamment de la recherche du profil de concentration dans le tissu. Si l’on tient compte des deux conditions limites ci-dessous, nous obtenons pour une circulation du bain de l’intérieur vers l’extérieur de l’ensouple : • Pour r=ri : p=pi > pe • Pour r=re : p=pe p( r)= pe − pi r ln( )+ pi ln( re ) ri r U (r ) = k Darcy . pi − pe 1 . re r ln( ) r (6) (7) Désormais, pour la résolution du bilan massique du colorant dans le tissu, le terme U(r) de la convection est connu en tout point et chaque instant. 3.2 Profil de concentration dans le tissu Les hypothèses précédentes (§2) conduisent à la résolution du système suivant, les équations (1) et (5) étant regroupées désormais sous l’équation (8): 1−ε ) ∂C +εU( r) ∂C = Dapp ∂ ( r ∂C ) 2 ∂r r ∂r ∂r (1+ K.C) ∂t Cµ = K.S C 1+K.C ( ε +K.S avec les conditions aux limites suivantes : (8) (9) * r=ri : c = c r =ri avec : [ c r = ri = cT − A ε < c > + (1 − ε) < cµ > ] * r=re : ∂c ∂r =0 r = re Cette dernière condition caractérise un parfait mélange à la frontière externe entre le tissu et le bain. Conditions initiales (t=0): Cb = CT , concentration initiale du bain, <C>0 = 0, pas de colorant dans le tissu en début de teinture. EXEMPLE DE SIMULATION Pour valider ce modèle théorique et toutes ses hypothèses, un programme a été développé sous Matlab [12]. Les valeurs théoriques résultant des différentes simulations, sont comparables aux valeurs expérimentales de nombreuses teintures qui ont été réalisées. Pour comparer les courbes d’épuisement théorique et les courbes expérimentales, un système de mesure de l'épuisement du colorant à la continue a entièrement été développé. (combinaison d’un spectrophotomètre pour l’acquisition en ligne des spectres visibles du bain de teinture pour des valeurs de temps fixées et exploitation des résultats sous MATLAB). Les courbes ci-dessous sont le résultat de différentes teintures pour lesquelles la quantité de sel ajoutée varie de 10 à 30 g/l. 80 70 60 50 40 30 20 10 0 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 110 120 Temps (min) dosage liquide du sel (RdB 1-10) 10 g/l NaCl dosage liquide du sel (RdB 1-10) 20 g/l NaCl dosage liquide du sel (RdB 1-10) 30 g/l NaCl Figure 3. Influence de la concentration en sel sur l’épuisement primaire Le mode d’ajout peut être linéaire ou par palier. Sur les courbes expérimentales ci-dessus, l’ajout est linéaire ; il débute au bout de 10 minutes et dure 30 minutes (Figure 3). Les courbes de simulation ci-dessous (Figure 4) traduisent l’influence théorique du mode d’ajout par paliers (escaliers) pour les même conditions d’ajout que pour l’ajout linéaire et une concentration en colorant initiale de 2%. Figure 4. Influence théorique de la concentration en sel sur l’épuisement primaire Nous pouvons constater que les tendances sont identiques : l’épuisement du colorant est conditionné par l’ajout de sel. Les ordres de grandeurs des différentes valeurs sont comparables mais la validation finale du modèle reste à terminer pour différentes concentrations (détermination de plusieurs constantes telles que la porosité, perméabilité du tissu, constantes cinétiques de réactions, coefficient de diffusion ). CONCLUSIONS PERSPECTIVES Cette démarche doit être étendue pour la seconde étape du procédé dite d’épuisement secondaire. Pour cette étape aussi, il faudra valider le modèle. Lorsque ces validations seront réalisées, le mo dèle final permettra de porter un regard objectif sur la conduite du procédé afin de l’optimiser et de proposer aux industriels des outils de conduite du procédé directement sur leur matériel. Par exemple, pour le suivi des paramètres procédé responsables de la qualité finale, un système d’acquisition de données pourrait permettre de réaliser une commande prédictive du procédé et d’avertir les opérateurs en cours de conduite pour éviter le dérives. Nomenclature A <C> : : <Cµ > VT Vb VTissu : : : : rapport du volume du tissu et du volume de bain introduit Concentration moyenne des molécules de colorant libres contenues dans le liquide situé dans le volume poreux de l’ensouple de tissu (mole/m3) Concentration moyenne des molécules de colorant adsorbées dans le tissu (mole/m 3 ) Volume total de bain dans l’autoclave (m3 ) Volume total de bain dans l’autoclave moins le volume du tissu (m3 ) Volume total du tissu enroulé sur l’ensouple (m3 ) Bibliographie [1] Notice technique d’utilisation des colorants Cibacron C : Colorant réactifs, bases fondamentales, Ciba, Bâle, Suisse (1987) [2]Burdett B.C., Giles C., Ingamells C.H., Johnson A., Jones F., Rys P., Summer H.H., Zollinger H., The theory of coloration of Textile, Society of Dyers and Colourists, Alan Johnson (1989) [3] Sasa,E., Kumazawa, H., Kinetics Aspects of dyeing process, Journal of applied polymer Science 27, 2987-2966 (1982) [4] Scheidegger, A.E., The physics of flow through porous media (third edition), University of Toronto press (1974) [5]R ; Byron Bird, Waren E. ; Stewart, Edwin N ; Lightfoot, Transport phenomena, John Wiley & sons (1960) [6] DO Duang D., Adsorption Analysis : Equilibria and Kinetics, Imperial College Press (1998) [7] Vickerstaff, T., The physical chemestry of dyeing, Imperial Chemical Industries Ltd, Oliver & Boyd (1954) [8] Crank, J., The mathematics of diffusion, At the Clarendon Press (1956) [9] Ramirez, W.F., Computational Methods for process simulation, (2nd edition), Butterworth Heinemann (1997) [10] Villadsen, J., Michelsen, M.L., Solution of differential equation models by polynomial approximation, Prentice Hall (1978) [11] Ramachandran, P.A., A numerical solution method for boundary value problems containing an undetermined parameter, Journal of Computational Physics 102, 63 – 71 (1992). [12] Moktari, Mesbah, Apprendre et maîtriser Matlab, Springer (1997)