En faisons-nous assez
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En faisons-nous assez
Forum Jacques Garello “Plus que nous tous, la jeunesse a besoin de foi” assez En faisons-nous pour la jeunesse? Jeunesse délinquante, jeunesse ignorante, jeunesse exclue, mais aussi jeunesse ardente, jeunesse ouverte, jeunesse généreuse… Pouvons-nous lui apporter ce dont elle manque, ce qu’elle cherche ? e tableau est contrasté. Naguère la jeunesse était source d’espoir, symbole de vigueur et de progrès. Aujourd’hui, elle peut nous désespérer, voire nous révolter. La mode du jeunisme a disparu, mais pour autant nous ne saurions être injustes avec les jeunes. L leurs performances scolaires (PISA - Performance in studies accomplishments), et qu’un écolier sur trois entre en sixième sans savoir lire, écrire et compter à la fois. Les statistiques inquiètent Je crois pour commencer qu’il faut se départir d’une approche trop globale, dont les sociologues et les statisticiens font leur régal. Il n’y a pas une jeunesse, il y a des jeunes, autant d’êtres humains différents, “uniques et irremplaçables”. Il est vrai que si l’on s’en tenait aux données courantes, il y aurait de quoi s’inquiéter. Actuellement un criminel - en entendant par là une personne dont les actes sont théoriquement châtiés par une peine criminelle - sur trois a moins de 18 ans. Sur les 180000 suicides annuels, 60 % concernent des gens de moins de 25 ans. C’est dans cette tranche d’âge qu’il y a le plus fort chômage: un quart de jeunes à la recherche d’emplois, la proportion est de 50 % dans les “zones sensibles”. Le classement des élèves européens fait apparaître que les Français sont en 18e position pour Mais les jeunes restent jeunes Toutefois ces mauvaises nouvelles quotidiennement diffusées ne font pas oublier que les jeunes demeurent toujours “le sel de la terre”. Ce sont les jeunes qui donnent le signal de la révolution contre les dictatures: jadis à Budapest, à Prague, aujourd’hui à Tunis ou au Caire. Ce sont des millions de jeunes qui partagent un élan commun et reconstruisent la famille humaine avec les Journées mondiales de la jeunesse. Ce sont des dizaines de millions qui voyagent, échangent. Ce sont eux qui servent, dans les ruines d’Haïti ou sous les eaux de Louisiane. C’est cette ambivalence de la jeunesse qui rend le problème si difficile aujourd’hui. La difficulté tient encore à ce que chaque étape de la jeunesse a ses caractéristiques: on n’aborde pas les enfants des écoles avec les mêmes méthodes qu’avec les ados, on ne peut traiter de la même façon les jeunes des banlieues et ceux des campagnes, ceux qui vivent à la maison et 48 Lion n° 632 mars 2011 ceux qui traînent dans les rues, ceux dont la famille est présente et ceux qui ont été abandonnés, partiellement ou totalement. Des recettes éprouvées Il existe pourtant des recettes qui aident les jeunes, tous les jeunes, à mieux se préparer à l’âge adulte, à mieux entrer dans la vie. Par exemple - et sans vouloir être exhaustif - une bonne santé, une bonne éducation, une ouverture sur les autres, une information. La santé est la meilleure protection et la meilleure promotion pour les jeunes. Bill Gates voulait doter tous les enfants africains d’ordinateurs gratuits ; encore faut-il que les enfants soient en état physique d’aller à l’école. Bill Gates a renoncé à son projet pour mettre en place avec sa fondation une campagne mondiale de vaccination contre la rougeole, l’ennemie numéro un des enfants. On a procédé de même en éradiquant la cécité des rivières (onchocercose) qui rendait aveugles dix millions d’enfants d’Amérique latine, et le même travail se fait maintenant en Afrique. La santé ne va pas non plus sans l’éducation : apprendre des règles élémentaires de la vie, c’est constituer un capital humain qui contient des éléments de savoir autant que de santé. Gary Becker, prix Nobel d’économie, a démontré que ce sont les pays qui ont le plus investi dans l’éducation des enfants qui ont réussi à émerger. La Corée, sans ressource naturelle, a 80 % de ses jeunes en université, au Brésil au sous-sol richissime il y en a moins de 5 %. La Corée a un niveau de revenu par tête huit fois supérieur à celui du Brésil. C’est la qualité des hommes qui prépare le futur : “Il n’est de richesse que d’homme.” (Jean Bodin) Les enfants de Harlem étaient des graines de voyous et traînaient dans les rues, leurs parents estimant que l’école ne sert à rien; ils vivaient des secours publics grassement accordés par la ville de New York. Que le maire Giuliani coupe les indemnités et crée des centaines d’écoles, qu’il cesse de distribuer des logements sociaux tout de suite saccagés, et les enfants de Harlem vont eux aussi à l’université, et les taudis se transforment en cités accueillantes. Enfants du monde À travers les moyens actuels de communication, les jeunes ont enfin une ouverture au monde entier. Ils voyagent beaucoup (à ce que l’on dit un quart des enfants de la planète a visité un pays étranger). Il y a des échanges internationaux de jeunes, des camps et des centres culturels internationaux. Il y a des concours mondiaux, d’affiches pour la paix, de musique. Il y a des formations universitaires. Parallèlement la découverte des métiers, l’éclosion des vocations peuvent éclairer les choix de ceux qui entreront dans la vie active: métiéramas, stages en entreprises, juniors entreprise, etc. Cette ouverture et cette information peuvent être aussi l’occasion pour les jeunes d’apprendre à servir : clubs service, pionniers et scouts forgent les bénévoles de demain. Après cette énumération, je serais presque tenté de “ Jeunes gens, dans ce temps où un douloureux scepticisme semble être l’effet et le châtiment de l’anarchie des idées, je m’estimerais heureux si la lecture de ce livre faisait apparaître sur vos lèvres ce mot qui n’est pas seulement un refuge, mais une force, puisqu’on a pu dire de lui qu’il remue les montagnes, ce mot qui ouvre le symbole des Chrétiens : je crois. Lion n° 632 mars 2011 “ Frédéric Bastiat, économiste français (1801-1850). En introduction de son ouvrage Harmonies économiques. 49 Forum Jacques Garello dire: on en fait trop! Et il est vrai que l’on peut avoir parfois une impression de dispersion, d’accumulation. Il est encore plus vrai que ceux qui s’intéressent à la jeunesse ne le font pas assez savoir: on communique aujourd’hui plus facilement sur les désastres, les maladies, les handicaps et les misères tous fléaux qu’il faut bien sûr combattre avec la dernière énergie - que sur l’éveil à la vie, et l’apprentissage de l’âge adulte. On en fait beaucoup, mais on ne le fait pas assez savoir. La jeunesse en désarroi Je voudrais relativiser la portée de ce que des hommes et des femmes de bonne volonté font pour la jeunesse en insistant sur ce qu’ils ne font pas, ou pas assez, ou pas encore assez. Heureux ces jeunes qui sont accompagnés par tous ces soins, toutes ces attentions, toutes ces initiatives que je viens d’évoquer. Mais n’en demeure-t-il pas moins, chez d’autres, et peut-être même chez eux aussi, un manque à savoir, un manque à comprendre, un manque à croire ? J’appartiens, comme sans doute quelques-uns de mes lecteurs, à ces générations heureuses qui ont pu compter sur une école et une famille qui leur ont transmis les repaires essentiels. J’ai appris les fables de La Fontaine et les tables de multiplication. Une morale élémentaire, des méthodes simples. Des maîtres et des parents patients, présents, savants à leur façon. Faut-il les ressusciter ? Il faut en tout cas admettre que beaucoup de jeunes sont issus d’un système éducatif en explosion, qui ne leur dit rien de l’histoire, de la culture, et leur donne une vision déformée de la vie. J’ai rencontré récemment un jeune ingénieur qui me disait avec quelle sévérité il jugeait ceux qui au collège, puis au lycée, puis dans son école, lui ont présenté une image aussi mensongère, aussi négative, de la vie économique et de l’entreprise; voulaient-ils allumer en lui le feu de la révolte de classe? Quant à la famille, à laquelle j’ai également consacré plusieurs forums, elle a eu du mal à survivre et à assumer son rôle éducatif - Jules Ferry disait : “Nous donnons une instruction publique à des enfants élevés par les familles”, on est loin du compte, et au lieu d’unir ce qui leur reste de forces, maîtres et parents s’affrontent. Ce qu’on peut offrir aux jeunes Voici précisément le domaine à explorer pour aller au-devant des interrogations de la jeunesse: lui permettre de se préparer à la vie en lui offrant ce que maîtres et parents ne lui apportent plus, ou plus assez, ou plus pour tous. 50 Lion n° 632 mars 2011 Offrir aux jeunes les repères intellectuels, moraux et spirituels, dont ils auront besoin pour faire leur chemin personnel dans la vie. Il ne s’agit pas de les prendre par la main, de les guider. Il est question de les amener à se poser la question: quel sens vaisje donner à ma vie? Si possible, on peut indiquer le bon sens, c’est-à-dire toutes ces valeurs “de l’Occident” que j’évoquais récemment : l’épanouissement personnel par le jeu de la liberté et de la responsabilité, la participation à la vie commune et le sens du partage, le respect des règles d’harmonie sociale et de justice. Développer la personnalité, donner l’espoir Je veux ici souligner l’importance d’une éducation précoce à la personnalité, et d’un accompagnement permanent dans l’épanouissement de chaque individu. Voici un vrai service à rendre aux jeunes. Ce travail peut se faire à travers des programmes de préparation à la vie, dans les cadres scolaire et familial. Ils sont pratiqués maintenant dans près de soixante pays au monde. Ils unissent établissements, familles et maîtres autour de l’enfant, le plus tôt possible dans sa scolarité, puis jusqu’à l’adolescence. Mais ce travail peut se faire aussi par l’exemplarité, la communication, et tous les canaux qui portent le message d’un monde meilleur auquel nous demandons aux jeunes de travailler. Quant aux adolescents, nous devrions les persuader que le passage de la scolarisation à la vie active est une étape décisive mais exaltante. Certes, un préalable est la suppression de toutes les contraintes réglementaires qui leur ferment aujourd’hui l’accès au premier emploi. Mais il faut leur faire prendre confiance en eux, et démonter les excès voire les mensonges à propos de la précarité, de la pénibilité, etc. La jeunesse aujourd’hui est l’otage des marchands de peurs, qui décrivent un futur de plus en plus noir, de plus en plus pollué, dévasté, épuisé. Sachons rompre avec ce scepticisme, ce nihilisme quand nous parlons aux jeunes. Comme nous tous, mais plus que nous tous, la jeunesse a besoin de foi. C’est ce que Frédéric Bastiat écrivait dans son Discours à la jeunesse française en introduction de son ouvrage sur les Harmonies économiques: “Jeunes gens, dans ce temps où un douloureux scepticisme semble être l’effet et le châtiment de l’anarchie des idées, je m’estimerais heureux si la lecture de ce livre faisait apparaître sur vos lèvres ce mot qui n’est pas seulement un refuge, mais une force, puisqu’on a pu dire de lui qu’il remue les montagnes, ce mot qui ouvre le symbole des Chrétiens: je crois.”