Janvier

Transcription

Janvier
“La Lettre du Principal
Réflexions
par Bob Ruud
Janvier 2014
Un point Montessori : renouveau, résolutions, rires, stupidité, contraires, et se soucier d’autrui.
La notion de renouveau, de repartir à zéro au début d’une nouvelle année est stimulante. C’est
une bonne raison pour la prescience et pour se réjouir des jours à venir. Une de mes résolutions
pour l’année qui débute est de beaucoup rire en 2014. J’ai d’ailleurs bien commencé.
Peter Gebhardt-Seele, un de mes formateurs AMI, nous faisait rire de temps en temps pendant les
stages de formation. La plupart du temps, la formation AMI est une affaire sérieuse : il y a
beaucoup à faire dans un court laps de temps, et il n’y a guère de place pour la plaisanterie. Peter
présentait une leçon type sur la racine cubique. Le rôle de l’élève modèle était tenu par Greg
McDonald. A l’époque, ce dernier était formateur et suivait le stage. Il est maintenant l’un des
principaux formateurs AMI primaire au niveau mondial. Il est aussi Directeur de la formation des
trois stages se déroulant en été à Nyon et auxquels deux de nos enseignants participent. Peter
avait par inadvertance, lors de sa présentation, omis une étape et « l’enfant » Greg a exprimé son
incompréhension. Peter lui a alors répliqué : « enfant stupide !»
Curieusement, l’humour peut être bizarre. Quelquefois, par sa nature il ne réside pas tant dans
l’intelligence, l’esprit ou le jeu mais davantage dans le pur effet de surprise, dans la contradiction
des attentes, l’exact inverse de ce à quoi on s’attendait et dans le caractère étrange de ce qui a été
dit. Peter n’était pas et n’est pas quelqu’un pouvant considérer un enfant comme étant stupide.
Qui plus est, il ne lui est pas possible de décrire un enfant de manière aussi désobligeante et
méprisante. De sa propre charmante et humble manière, Peter nous faisait remarquer son erreur
et nous prenait nous, les stagiaires, totalement au dépourvu par cette peu fréquente et donc
d’autant plus inestimable utilisation du comique : en disant exactement l’inverse de ce que nous
attendions, quelque chose se situant totalement à l’opposé de la réalité de la méthode que nous
étions activement en train d’assimiler. Emergeant pendant un court instant, du stress de
l’apprentissage de toutes les informations dispensées et de la montagne de détails infimes qui
font partie de la formation, nous avons ressenti profondément, à la puissance 100, cette brève
minute de catharsis. Nous étions écroulés de rire.
L’analyse peut parfois enlever l’humour de l’humour mais, en revanche, aucune plaisanterie n’est
drôle à moins d’être comprise. J’ai beaucoup repensé à la remarque hilarante de Peter et je pense
que je suis parvenu à comprendre pourquoi elle m’a fait si forte impression. C’est parce que par le
biais de ce petit aparté incongru Peter a exprimé un truisme de notre approche : dans l’éducation
Montessori nous ne critiquons jamais l’enfant. Je pense que cette déclaration de l’absolu vaut la
peine d’être répétée : nous ne considérons jamais que l’enfant soit fautif. Il est responsable,
certes, mais pas fautif. Les enfants commettent rarement des crimes atroces mais quand cela se
produit il faut évidemment appliquer les sanctions qui s’imposent. Toutefois, quand on l’examine
en profondeur, même un comportement sérieusement inacceptable chez un enfant ne surgit pas
de « nulle part » : son origine se situe dans l’expérience antérieure de l’enfant et peut, en majeure
partie, s’interpréter dans le contexte de la situation.
Au cas où cela ne serait pas évident, je veux vous assurer qu’en aucune façon je ne suggère qu’un
mauvais comportement (c'est-à-dire blessant, offensant, négligent, etc.) – soit toléré, ignoré ou de
quelque façon autorisé ou même observé sans discernement. J’espère que cette lettre dans son
ensemble établit cela clairement.
Dans la pratique, dans le cadre de l’enseignement Montessori, l’état d’esprit de l’adulte
considérant l’enfant comme non-fautif se manifeste de façon prévisible. Le meilleur exemple de
cela en est la leçon infructueuse. Si un enfant a assisté à une leçon et qu’ensuite il ne comprend
pas comment effectuer le travail qui a été présenté, l’enseignant(e) n’en conclut pas que c’est
parce que l’enfant est stupide. C’est parce que la leçon n’était pas claire. C’est soit cela ou c’est
peut-être parce que l’enfant a reçu par erreur une leçon qui était trop difficile pour lui/elle, ou qui
était au-delà de son niveau. Que faire alors ? Critiquer l’enfant ? Conclure que l’enfant est stupide
? C’est cela qui serait stupide. Au lieu de cela, la leçon est présentée à nouveau, de façon plus
claire ou l’on présente une leçon différente à l’enfant – une qui soit à un niveau approprié.
Dans le cadre de l’éducation Montessori, l’enfant a toujours le choix. Je vous l’accorde, certaines
des choses que l’enfant doit faire, comme apprendre à lire et écrire et faire des maths, sont, dans
l’enseignement Montessori, présentées de manière tellement invitante et attirante que l’enfant
choisira invariablement de les faire plutôt que d’être forcé à les faire. Toutefois, si un enfant ne
fait pas un choix judicieux, l’hypothèse de l’enseignant(e) n’est pas que l’enfant est stupide.
L’hypothèse est que l’enfant est un être humain qui acquiert de plus en plus d’expérience et de
connaissances à propos de la façon de mener une vie productive et paisible en société. Quand, lors
d’une sortie au centre commercial avec sa mère, un enfant de deux ans voit quelque chose qu’il
veut, qu’il fixe son attention sur cette chose au point de devenir une obsession mais qu’on lui
déclare de manière très claire qu’il ne peut l’avoir et que suite à cela il ne contrôle plus ses
émotions et se met à hurler, taper du pied et s’agiter par terre, l’hypothèse n’est pas que l’enfant
est stupide. L’hypothèse n’est pas non plus que le comportement est adéquat. L’hypothèse est
que l’enfant grandit et qu’il apprend, traumatisme à la clé, que la vie sur terre et en société
implique qu’il y a des limites.
Certaines personnes pourraient avoir pitié de l’enfant et s’exclamer « pauvre petit !». Cependant,
ce n’est pas réellement de pitié dont l’enfant a besoin. D’autres pourraient avoir pitié de la mère.
Assurément, nous, parents, pouvons compatir avec la difficulté éprouvée par le parent d’un enfant
faisant un caprice. Un signe de tête compatissant à l’attention de la mère serait tout à fait indiqué
dans un tel cas.
Faut-il se comporter fermement avec les enfants parfois ? Bien sûr qu’il le faut. Peut-on faire
preuve de compréhension envers les parents quand ils perdent parfois patience avec leur enfant ?
Bien entendu. Toutefois, généralement, est-ce que les enfants ne grandiront pas plus centrés, plus
empathiques, plus sociables, plus intelligents, plus en phase avec leur potentielle humanité s’ils
sont éduqués au contact d’adultes qui ne leur font pas de reproches mais interagissent avec eux
avec patience, compréhension, détermination et espoir, et confiants en la capacité de chaque
enfant d’apprendre et de développer son potentiel tout en recherchant en permanence à vivre
une vie productive pacifique ? Ce doit être la vérité sinon nous perdons tous notre temps.
Un aspect fondamental de l’éducation Montessori est justement le droit de choisir. Dans un sens
très réel et très profond, nous avons toujours le choix (en dépit du vieil adage affirmant que nous
n’avons pas le choix à propos de deux choses : la mort et les impôts). Nous pouvons décider de
donner le choix à l’enfant et de constamment nous éloigner du besoin de contrôler l’enfant pour
au contraire soutenir le développement du contrôle autonome par l’enfant. En pratiquant ce type
d’éducation, nous n’agissons pas en techniciens vêtus de blouses blanches, munis de blocs-notes
cochant nos observations prévisibles quand nous les remarquons. Nous sommes aussi des êtres
humains et nous vivons nos relations avec les autres avec de réelles émotions humaines. Nous
nous abstenons de blâmer, d’attribuer la faute à l’enfant, non pas par manque d’investissement
émotionnel envers l’enfant – au contraire, nous assumons notre responsabilité qui est de faciliter
l’éducation de l’enfant parce que nous nous soucions de l’enfant et parce que nous percevons
dans chaque enfant l’espoir pour l’avenir de l’humanité.
Nous sommes exactement à l’encontre de Mose Allison qui, faisant avec consternation une
rétrospective, avait imaginé la disparition du monde et faisait remarquer avec ironie : « c’est bien
que la fin du monde soit arrivée, nous n’aurions pas pu en supporter davantage. »
Bonne année à tous et puissions nous rire beaucoup cette année !
Comme l’a dit John Dewey: « L’éducation n’est pas une préparation à la vie, l’éducation c’est la vie
elle-même. » Nous devons aller à l’école … ou vivre une vie – ou serait-ce le contraire, je ne sais
plus !
Bob