Au Colisée, un chemin de croix jalonné des

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Au Colisée, un chemin de croix jalonné des
Au Colisée, un chemin de croix jalonné des douleurs
sociales
VINCENZO PINTO / AFP
Chemin de croix du vendredi saint 18 avril au Colisée (Rome), avec le pape François
La crise économique, la surpopulation carcérale, l’exploitation des femmes mais aussi la déprime ont été concrètement
dépeintes au fil des stations du chemin de croix présidé le 18 avril devant le Colisée de Rome par le pape François.
Auparavant, l’homélie de la messe de la Passion a aussi marqué par sa tonalité sociale.
Au Vendredi Saint, le pape reste taiseux. Il laisse d’autres prononcer l’homélie sur la Passion du Christ et méditer le
chemin de croix. Il a seulement pris brièvement la parole pour rappeler la miséricorde de Dieu face à la « monstruosité de
l’homme » dans la croix au terme de la via crucis, qui s’est déroulée au Colisée selon l’antique tradition reprise par Paul VI
il y a cinquante ans. Arrivé dans sa Ford Focus bleue habituelle, enveloppé dans un manteau blanc face à la fraîcheur du
soir, le pape est resté grave et recueilli, les yeux parfois fermés, comme lors de la messe de la Passion célébrée plus tôt
dans la basilique Saint-Pierre. Installé en hauteur pour le chemin de croix, il en a suivi en silence les quatorze stations,
dont il avait confié la méditation cette année à Mgr. Gioncarlo Maria Bregantini, archevêque italien de 66 ans connu pour
son long combat anti-mafia dans le Sud de la Péninsule.
« Suicides des entrepreneurs »
Les douleurs sociales ont d’emblée dominé un texte suivi par une foule dense mais elle aussi recueillie, bougie et livret en
main, entourant le Colisée illuminé à l’intérieur duquel a démarré le chemin de croix. Première station, première douleur,
celle de se retrouver injustement et hâtivement condamné, « avec les lettres anonymes et les horribles calomnies ».
Ouvriers et entrepreneurs ont ensuite porté la croix pour symboliser le poids d’une autre souffrance, celui « de toutes les
injustices qui ont provoqué la crise économique ». Ses conséquences ont été énumérées, y compris « les suicides des
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entrepreneurs, la corruption et l’usure, avec les entreprises qui abandonnent leur propre pays ». Des mots
particulièrement évocateurs en Italie, où le chômage reste très élevé et la crise palpable, en particulier au Mezzogiorno.
Le « lourd bois de la crise »
À cette station sur le « lourd bois de la crise », le texte de Mgr Bregantini s’en est pris aussi à « l’argent qui gouverne au
lieu de servir, la spéculation financière ». La dernière station dénoncera de nouveau cet « attachement à l’argent ». Des
propos en écho avec l’homélie prononcée plus tôt pour la messe de la Passion. Le père capucin (de la famille
franciscaine), Raniero Cantalamessa, prédicateur de la maison pontificale depuis 1980 et qui prêche chaque semaine,
pendant l’Avent et le Carême, avait centré son sermon sur la figure de Judas et le rôle de l’argent: « Qu’y a-t-il derrière le
commerce de la drogue qui détruit tant de vies humaines, l’exploitation de la prostitution, le phénomène des différentes
mafias, la corruption politique, la fabrication et le commerce des armes, voire même – chose horrible à se dire – derrière
la vente d’organes humains enlevés à des enfants? Et la crise financière que le monde a traversée et que ce pays
traverse encore, n’est-elle pas due en bonne partie à cette 'exécrable avidité d’argent', l’ aurisacra fames, de la part de
quelques-uns? », avait-il interrogé: « Cela ne dit-il rien à certains administrateurs de l’argent public? Mais sans penser à
ces moyens criminels pour accumuler de l’argent, n’est-il déjà pas un scandale que certains perçoivent des salaires et des
retraites cinquante ou cent fois supérieurs aux salaires et retraites de ceux qui travaillent à leurs dépendances et qu’ils
élèvent la voix dès que se profile l’éventualité de devoir renoncer à quelque chose, en vue d’une plus grande justice
sociale? »
Les larmes des mères
Au chemin de croix, les méditations de Mgr Bregantini ont traité d’autres symptômes que financiers mais avec toujours
une forte coloration sociale et des mots concrets pour en parler. Ainsi, lorsque à la troisième station, la croix a été portée
par deux immigrés, ce fut pour demander à mieux savoir les accueillir tandis que l’Italie en particulier, via Lampedusa, et
l’Europe en général sont défiés par des arrivées de réfugiés. À la quatrième station, la douleur partagée était celle des
mères qui pleurent pour leurs enfants-soldats démolis par la guerre ou « pour les jeunes emportés par la précarité ou
engloutis par la drogue et l’alcool, surtout les samedis soirs ».
« Surpopulation carcérale » et exploitation des femmes
Deux sans-abri ont porté la croix pour la Ve station saluant, comme Symon de Cyrène portant la croix de Jésus, « les
multiples gestes du volontariat: une nuit à l’hôpital, un prêt sans intérêts, une larme essuyée en famille, la gratuité
sincère… ». Rare tonalité plus positive dans un texte sinon sombre. Deux prisonniers ont pris la croix pour incarner la
méditation sur les peines aggravées par « la surpopulation carcérale ». Un drame dans de nombreux pays, y compris
riches. Dans ce passage, plus long que les autres, le texte de Mgr Bregantini, qui fut aumônier de prison, a évoqué aussi
la difficulté de rester, même sorti de prison, encore considéré comme un « ex-détenu ».
La douleur des femmes exploitées fut au cœur de la VIIIe station. Une préoccupation chère au pape François, qui a lancé
une concertation interreligieuse contre le trafic d’êtres humains. Symboliquement, à ce moment, deux femmes ont porté à
leur tour la croix.
La « mauvaise nostalgie »
Au loin, une grande croix de flammes se dressait comme une vigile nocturne. Aux stations suivantes, jalonnées chaque
fois d’une prière, d’une récitation du Notre Père en latin et d’un chant, le chemin de croix se poursuivra pour prier pour les
malades « cloués au lit », pour « la dignité violée de tous les innocents, spécialement des petits ».
Moins violente, plus diffuse mais rarement traitée dans un chemin de croix, fut la douleur de la « mauvaise nostalgie », à
la IXe station, celle où Jésus tombe pour la troisième fois: « Savoir vaincre les enfermements que la peur du lendemain
imprime dans notre cœur, surtout en ce temps de crise. Dépassons la mauvaise nostalgie du passé, le confort de
l’immobilisme, du 'on a toujours fait ainsi!' » À une station plus loin, le texte de Mgr Bregantini a également évoqué celui
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qui souffre « dans son esprit dépressif, dans son âme désespérée ». De fait, la presse italienne a récemment rendu
compte que les Italiens exprimaient une moindre joie de vivre qu’auparavant. Un symptôme de la crise économique et
sociale qui aura habité ce chemin de croix 2014.
Sébastien Maillard (à Rome)
http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Au-Colisee-un-chemin-de-croix-jalonne-des-douleurs-sociales-2014-04-19-1138658
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