bioraffinerie 2030 - NEOMA Business School
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bioraffinerie 2030 - NEOMA Business School
BIORAFFINERIE 2030 UNE QUESTION D’AVENIR Pierre-Alain Schieb Honorine Lescieux-Katir Maryline Thénot Barbara Clément-Larosière Publication attendue le 29 septembre 2014 Editions l’Harmattan http://www.editions-harmattan.fr RESUME GENERAL « Faisons nos affaires nous-mêmes » Gustave de Bohan (1849-1928) UNE ETUDE PIONNIERE Cette étude de la bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle, une bioraffinerie intégrée de la région de Reims, Champagne, en France, est destinée à mettre en exergue le potentiel de la bioéconomie industrielle à réaliser une substitution de ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz naturels) par des ressources tirées de la biomasse (agro-ressources principalement) dans des conditions plus durables tout en étant performantes sur le plan économique et social. Un enjeu majeur du 21éme siècle. Selon certains rapports (OCDE, US Presidency, European Commission), la bioéconomie industrielle est la branche la plus prometteuse de la bioéconomie à l’horizon 2030-2050 : une possible mutation industrielle résultant de la mise en œuvre à grande échelle des découvertes des sciences de la vie et de l’ingénierie dans les domaines de la santé, de l’agriculture, de l‘industrie et des ressources marines. La bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle, également connue sous le nom d’Institut Européen de la Bioraffinerie (IEB), le résultat de 70 ans d’initiatives continues, est la première réalisation complète d’une bioraffinerie intégrée comportant des installations industrielles et des productions variées, une plateforme d’innovation ainsi que la mise en œuvre d’une véritable économie de la connaissance. Le site de Bazancourt-Pomacle pèse, aujourd’hui, près de 1200 salariés (permanents et saisonniers) et 600 emplois indirects travaillant 24 heures sur 24 pour transformer 3 millions de tonnes de biomasse diversifiée (betteraves et blé principalement, ainsi que de la luzerne) sur un site de plus de 160 ha. 1 Figure 1. Vue panoramique de la plateforme de Bazancourt-Pomacle Deux groupes coopératifs agroindustriels d’importance mondiale sont fortement présents sur le site : Vivescia et Cristal Union (actionnaires de Cristanol, Chamtor, ARD, etc.). Leur présence a permis de mobiliser au fil du temps près de un milliard d’Euros d’investissement et assure un dynamisme industriel avec plus de 20 millions d’euros investis annuellement et une vision stratégique de portée mondiale. UN SITE EXCEPTIONNEL La bioraffinerie de Bazancourt Pomacle représente la capacité la plus puissante en Europe, parmi le top 5 des bioraffineries intégrées, pour permettre de passer du laboratoire (l’éprouvette) à l’échelle industrielle grâce à ses pilotes et démonstrateurs industriels : un passage reconnu aujourd’hui par la plupart des experts, industriels et investisseurs comme incontournable. Il était donc pleinement justifié que l’étude de Bazancourt-Pomacle sous des angles historiques, économiques, managériaux, institutionnels et écologiques, ainsi que pour ses perspectives d’avenir soit une étude pionnière. Les auteurs ont donc considéré que l’étude de Bazancourt-Pomacle s’avére in fine l’étude d’un « précurseur » possible de la bioéconomie industrielle, dont bien sûr, il est impossible de prédire le succès, tant les conditions de son avènement sont nombreuses et difficiles à aligner. Néanmoins, il serait parfaitement concevable de cibler tant pour les Etats Unis que pour l’Europe la construction de 400 bioraffineries dans un horizon de 20 à 25 ans (10 fois la capacité actuelle de l’Europe) pour atteindre 10% de la production chimique et pétrochimique sous forme de produits biosourcés. DES PERSPECTIVES D’AVENIR PROMETTEUSES (CHAPITRE 4) En effet, dans le cas particulier de Bazancourt-Pomacle, des perspectives d’avenir à 2030 se dessinent à la faveur notamment de trois événements locaux mais d’envergure mondiale survenus au premier semestre 2014. Ces événements valident les prémices d’une véritable économie de la connaissance : la cession de SOLIANCE 1 à un 1 Producteur d’ingrédients cosmétiques 2 groupe mondial (GIVAUDAN), la capacité du démonstrateur BIODEMO 2 (ARD) d’attirer des jeunes pousses parmi les plus prometteuses au plan mondial (Global Bioénergies), la réussite du pilote industriel de biocarburant de seconde génération FUTUROL 3 au-delà des espérances initiales de ses grands actionnaires. Pour que cette économie de la connaissance et ce réseau de compétences locales exceptionnelles puisse prospérer il faut bien sûr que le nouveau Centre d’Excellence en Biotechnologies Blanches, composé de trois Chaires académiques et de l’Université de Reims Champagne Ardenne trouve sa vitesse de croisière, une véritable intégration avec les industriels et les Ecoles d’origine, mette en œuvre une forte dose de pluridisciplinarité, suscite un sentiment d’appartenance et trouve la bonne gouvernance. Il faut aussi que la gouvernance de l’ensemble (bioraffinerie intégrée, acteurs locaux) s’ajuste aux nouvelles dimensions en se donnant des moyens structurés sur la veille stratégique, les décisions d’investissement ou de non-investissement, la valorisation des savoirs et savoir-faire, l’accompagnement des jeunes pousses, l’ingénierie financière, le rayonnement hors des murs. Parmi des perspectives d’avenir plus classiques, les auteurs de l’étude et les acteurs locaux ont identifiés des pistes très concrètes en amont et en aval de la bioraffinerie. En amont de la bioraffinerie, la possibilité de créer une ferme expérimentale à proximité (sur le terrain d’une base aérienne désaffectée, la BA 112), donnerait des opportunités d’améliorer les variétés culturales dont la bioraffinerie mais aussi les agriculteurs ont besoin. Cette ferme contribuerait également à attirer une nouvelle couche d’industriels, d’équipementiers, de sociétés d’ingénierie et de services en complément de ceux de l’IEB. En aval, un nouveau parc d’activité de 60 hectares (Sohettes Val des Bois) à proximité immédiate de la bioraffinerie permettra aux coopératives et industriels déjà engagées comme à d’autres industriels en aval de la chaine de valeur de venir se greffer sur la bioraffinerie existante et de bénéficier eux aussi de certaines synergies et coproduits. Figure 2. BA 112 : réserve foncière agricole de 160 ha utilisables pour une ferme expérimentale 2 3 Démonstrateur Pilote industriel d’éthanol de seconde génération 3 Figure 3. Vue globale du parc d’activités Sohettes-Val des Bois au terme de son aménagement et situation par rapport à la bioraffinerie existante Ce nouveau stade de l’intégration amont-aval répond parfaitement aux recommandations des rapports de l’OCDE qui préconisent cet « emboitement » de la bioéconomie verte (l’agriculture) et de la bioéconomie blanche (la bioéconomie industrielle) comme facteur multiplicatif d’efficacité. Un facteur important de succès pour l’avenir serait de conserver ou régénérer certaines vertus du modèle coopératif (mutualité, réactivité, patience, prise de risque) qui LA BIORAFFINERIE INTEGREE : UN MODELE ECONOMIQUE D’AVENIR (CHAPITRE 2) La bioraffinerie, envisagée comme une même entité industrielle, prend toute sa pertinence économique quand la réunion sur un même site d’industries de nature différentes compose un écosystème industriel où les entreprises se fournissent les unes les autres en produit intermédiaires, en énergie, en services. Les économies d'échelles ou de diversification permises par la proximité des acteurs, deviennent des facteurs clés de la compétitivité. La bioraffinerie peut ainsi optimiser son approvisionnement et ses productions en fonction des marchés, en amont et en aval de ses activités. Cette optimisation économique peut s'accompagner d'une optimisation environnementale, incluant une minimisation des rejets, des consommations d'énergies et d'autres intrants. Si l’on avance souvent que le bien commun, le bon sens et l’esprit de coopération ont présidé à la mise en place des différentes dynamiques qui ont permis la constitution du site et son originalité, d’autres facteurs qui sont entrés en jeu doivent être mis en avant. Ces facteurs sont liés à l’environnement dans lequel ont évolué les coopératives. Ils sont à la fois exogènes comme l’évolution de la PAC et de la règlementation de l’OMC mais aussi endogènes comme l’accroissement des besoins financiers, les essais et les erreurs stratégiques ou industrielles commises par les acteurs considérés. Ainsi, l’étude montre que la situation actuelle de la bioraffinerie intégrée de Bazancourt-Pomacle est en grande partie la résultante de stratégies mises en place pour répondre à des problématiques concurrentielles, règlementaires, financières et organisationnelles. Les recours à la diversification, à l’intégration d’activités en amont et en aval de la chaîne de valeur, à des montages financiers de plus en plus complexes, à la construction d’un démonstrateur industriel, à la mise en place des synergies pour permettre de tirer profit de rendements d’échelle, sont autant de stratégies « réponses » pour pérenniser et développer les activités 4 Figure 4. Diversification croissante des entreprises de la plaque de Bazancourt-Pomacle sur la chaîne de valeur des industries agro-alimentaires Dans le chapitre 2, les auteurs se posent la question de savoir si la bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle dispose de suffisamment d’atouts pour poursuivre sa croissance. Pour cela, le rapport propose une analyse atouts/faiblesses/opportunités/menaces avec deux applications : celle de la menace de voir certains acteurs quitter le site et celle de l’atout de l’économie circulaire que permet la bioraffinerie. L’ECOLOGIE OU SYMBIOSE INDUSTRIELLE : UN AVANTAGE CLE (CHAPITRE 3) L’écologie industrielle ou symbiose industrielle concerne les synergies qui se produisent entre acteurs d’une même bioraffinerie intégrée. Ces synergies se traduisent principalement par des échanges marchands de coproduits à l’intérieur d’un phénomène de cascade industrielle qui voit le produit de l’un des industriels (un output) devenir un entrant (input) pour un second industriel, et cette chaîne peut se poursuivre ainsi sur plusieurs échelons dans la cadre d’une d’intégration verticale. Certains échanges se portent également sur des services (R&D, maintenance, restaurant d’entreprise partagés, achats en commun, louage de personnel..). L’étude systématique des symbioses industrielles est relativement récente (1989) et reçoit un intérêt croissant des Etats, des investisseurs et analystes pour ses avantages en terme de promotion d’un développement durable et d’une économie circulaire. Ces études sont cependant difficiles à mener du fait de la confidentialité attachée à des activités de nature concurrentielles. L’étude de la symbiose industrielle de la bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle est une première. Elle montre que dès le début des années 1990, par la création de la société mutualisée de R&D, ARD, l’écologie industrielle est un élément central de la stratégie de la bioraffinerie. Au départ, un « agrosystème » réalisé par la conjonction des efforts des agriculteurs, des raffineurs et de la bioraffinerie, devient progressivement un district industriel, puis une plateforme d’innovation, pour lesquels la symbiose est un élément clé : que ce soit au sein de la filière betterave ou au sein de la filière céréalière (blé) des échanges de jus vert, sirop de sucre, glucose, alcool, C02 se développent dans les différentes directions. 5 Figure 5. Flux de produits, coproduits et de services entre les entreprises de la bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle, Champagne-Ardenne Deux ressources de support et un mécanisme de partage sont également notables: l’eau et l’énergie sous forme de vapeur, de même que la gestion commune des effluents et leur épandage, sont en effet des éléments décisifs de la symbiose locale. Sur la base de la sucrerie historique de CRISTAL UNION (le moteur initial) et à partir de la création de CHAMTOR (amidonnerie-glucoserie), des entreprises de haute technologie sont mis en place sur le fondement de la synergie : SOLIANCE pour les molécules à visée cosmétique, BIOAMBER pour l’acide succinique, CRISTANOL pour le bioéthanol, l’atelier de récupération et de traitement de d’Air Liquide pour le CO2, WHEATOLEO pour les détergents. Les outils des pilotes et démonstrateurs (BIODEMO et le projet FUTUROL) en bénéficient également. Cette recherche des synergies est continue dans le sens ou l’optimisation des procédés est constante, la diversification des coproduits se poursuit, les économies de ressources sont en permanence à l’ordre du jour. Le souci de traiter la plante entière, de minimiser les nuisances et l’empreinte environnementale, de retourner aux agriculteurs les éléments organiques dont ils ont besoin, se font sentir chez tous les acteurs interrogés de la bioraffinerie. Des pistes de progrès pour l’avenir sont évoquées dans le chapitre 3, notamment pour l’énergie. Enfin le chapitre 3 vérifie que l’écologie industrielle n’est pas seulement une mode ou un moyen de satisfaire des obligations réglementaires : elle obéit bien également à des motivations de rationalité économique, de valorisation marchande, de stratégie compétitive, de juste retour de la R&D. LA DIMENSION HISTORIQUE : UN ELEMENT INDISPENSABLE DE LA COMPREHENSION (CHAPITRE 1) La Champagne Ardenne était au départ une région agricole très handicapée par ses caractéristiques géologiques. Elle est aujourd’hui considérée comme très performante grâce à la détermination des hommes, à leur capacité à intégrer les progrès techniques, à se regrouper pour s’adapter aux évolutions environnementales. La dynamique de la coopération agricole a été déterminante dans ce développement et l’avènement du site de Bazancourt-Pomacle ne peut être compris sans un détour historique. Ce détour historique permet de mettre en exergue les différents critères qui ont permis la construction de la plaque de Bazancourt-Pomacle telle que nous la connaissons aujourd’hui : - La bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle est le résultat d’un processus incrémental et non planifié. - La bioraffinerie est l’aboutissement d’un processus intergénérationnel (70 ans) 6 - La bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle est le résultat d’un long processus qui illustre parfaitement les processus d’innovation, par lesquels un point faible peut devenir un point fort par le jeu des circonstances. - La bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle est l’exemple d’un processus Ricardien de capitalisation sur l’avantage comparatif local - La bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle a connu une croissance endogène grâce à l’existence de leaders d’opinion et de « meneurs ». Tous ces éléments réunis ont permis d’amener les agriculteurs ainsi que les dirigeants de la profession à penser la plante autrement et à se lancer dans de nouvelles aventures industrielles souvent liées à la recherche dont le site de Bazancourt-Pomacle est maintenant l’exemple vivant. Une histoire et des leçons que l’on retrouve dans d’autres études de grappes ou de districts industriels. QUELQUES PISTES POUR L’ACTION (CONCLUSION GENERALE DE L’ETUDE) Pour que la bioéconomie industrielle s’épanouisse et que 400 bioraffineries voient le jour aux Etats-Unis, en Europe et dans d’autres continents, de nombreuses conditions et circonstances favorables devraient converger, ce qui est plausible mais loin d’être certain. Trois pistes indicatives peuvent être mentionnées. Le développement de la recherche sur le secteur économique lui–même : sa définition, ses indicateurs et la construction de ses bases de données (le préalable du « connais-toi toi-même ») sans lesquels pas de dialogue ni d’analyses possibles (quelle identité pour la bioéconomie industrielle ?). La mise en mouvement du secteur privé par des partenariats public-privé, des plateformes de partages de technologies, des recherches de masses-critiques, l’intégration des infrastructures en amont et aval, un dialogue engagé avec la société, mais sous condition de politiques publiques beaucoup plus assertives. Des gouvernements qui offrent un rôle de catalyseur entre les parties prenantes, tout en restant neutres sur les choix technologiques, mais qui doivent assurer un cadre réglementaire prévisible et surtout des conditions de concurrence « équivalentes « (level playing field) avec les technologies et filières existantes i.e compenser les avantages acquis (externalités non prises en compte) et les subventions massives directes ou indirectes aux industries établies (détaxations, régimes fiscaux privilégiés). 7 LES AUTEURS Pierre-Alain SCHIEB Pierre-Alain Schieb est le titulaire de la Chaire de Bioéconomie Industrielle. Il est expert dans le domaine de la prospective stratégique, des nouvelles technologies et de l'innovation. Il a occupé différentes fonctions de directions telles que Directeur de Sup de Co Rouen, Directeur des Affaires Internationales (groupe de distribution), Chef des Projets de l'OCDE sur l'avenir. Honorine LESCIEUX-KATIR Honorine Lescieux-Katir est ingénieure de recherche à la Chaire de Bioéconomie Industrielle de NEOMA Business School. Elle est docteur Sciences Economiques de l’Université Paris 2. Ses champs de recherche s’inscrivent dans l’économie politique, la gouvernance et la bioéconomie. Elle s’intéresse notamment au concept de bioraffinerie et à leurs modèles économiques et d’affaires. Maryline THENOT Maryline Thénot possède une longue expérience de conseil en Cabinet, dans des entreprises de dimension internationale ainsi qu’en qualité d’enseignant-chercheur. Elle est Responsable du département Finance de NEOMA Business School. Ses champs de recherche s’inscrivent dans le changement institutionnel, le modèle coopératif, la gouvernance et les stratégies notamment industrielles des grands groupes coopératifs agricoles. Barbara CLEMENT-LAROSIERE Barbara Clément-Larosière était ingénieur de recherche à la Chaire de Bioéconomie Industrielle de NEOMA Business School au moment de la rédaction de cette étude. Dorénavant, elle est ingénieure en Recherche et Développement au sein de l’industrie agroalimentaire et docteur en Sciences pour l’Ingénieur de l’Ecole Centrale Paris, spécialisée dans les biotechnologies et plus particulièrement les applications liées aux microalgues. Les financeurs : Et avec le soutien de : CONTACTS : Pierre-Alain SCHIEB [email protected] Honorine LESCIEUX-KATIR [email protected] 8