Langues d`oc, langues de France

Transcription

Langues d`oc, langues de France
Conservatoire du patrimoine de Gascogne
Institut Béarnais et Gascon – Unioun Prouvençalo
Langues d’oc,
langues de France
Aspects politiques et juridiques,
linguistiques et sociolinguistiques.
2006
AVIS IMPORTANT
Le Conservatoire du patrimoine de Gascogne, l’Institut
Béarnais et Gascon et l’Unioun Prouvençalo, associations
signataires du présent ouvrage, et Jean Lafitte, son principal
rédacteur, se réservent le droit exclusif de diffuser son édition
électronique (.doc ou .pdf), pour les besoins de leur action en
faveur de leur langue de France respective.
Toute diffusion opérée en violation de leurs droits exposerait
son auteur aux sanctions pénales et civiles prévues par le Code
de la Propriété intellectuelle.
Il est rappelé qu’une version papier peut être commandée à :
– l’Institut Béarnais et Gascon, 29 rue Émile Guichenné,
64000 Pau – [email protected]
– à l’Unioun Prouvençalo, les Iscles, 04800 Gréoux-les-Bains –
unioun.prouvenç[email protected]
– et aux Éditions Pyrémonde-Princi Negue, Quartier Loupien,
64360 Monein – editions.pyremonde @wanadoo.fr
Unioun Prouvençalo
Institut Béarnais et Gascon
Conservatoire du patrimoine de Gascogne
LANGUES D’OC,
LANGUES DE FRANCE
Édition publique du mémoire présenté le 4 avril 2005 par
le Cercle Terre d’Auvergne, le Conservatoire du patrimoine de
Gascogne, l’Institut Béarnais et Gascon
et l’Unioun prouvençalo
à M. Xavier North,
Délégué général à la langue française et aux langues de France,
au Ministère de la culture et de la communication
La version papier a paru en Juin 2006;
la présente version électronique en format .pdf est d’avril 2008
Texte rédigé par Jean Lafitte*, d’abord sur le gascon, puis étendu au
début de 2005 à l’auvergnat avec le concours de Serge Soupel,
professeur à l’Université de Paris III - Sorbonne Nouvelle, et au
provençal avec le concours d’Henri Féraud, président délégué de
l’Union Provençale.
* Jean Lafitte est commissaire colonel de l’armée de l’air en retraite; il
a terminé sa carrière active à la tête du service juridique de l’Office
national d’études et recherches aérospatiales. Membre du Félibrige,
de l’Institut Béarnais & Gascon, du Conservatoire du Patrimoine de
Gascogne et de plusieurs autres associations de défense des langues
d’oc, il enseigne le gascon à Paris depuis plus de quinze ans. Il est
l’auteur de plusieurs études juridiques publiées dans des revues
spécialisées et de nombreuses études linguistiques centrées sur le
gascon. En octobre 2005, il a été reçu docteur en sciences du langage
pour une thèse intitulée Situation sociolinguistique et écriture du
gascon aujourd’hui.
N.B. - Hormis dans les citations, l’auteur s’est attaché à appliquer les
rectifications orthographiques adoptées par l’Académie française en
1990. Donc, notamment, règlementaire, connaitre, bruler etc.
Résumé
Le 7 mai 1999 la France a signé la Charte européenne des
langues régionales ou minoritaires, entrainant de nombreux
débats sur le parti que les langues de France pourraient en tirer.
Mais en constatant, par sa décision du 15 juin, que cette Charte
contenait des dispositions contraires à notre Constitution, le
Conseil constitutionnel a arrêté tout le processus, car le
Gouvernement a renoncé à modifier la Constitution pour en
écarter les obstacles. Et l’échec récent de la tentative de plusieurs
députés de modifier la Constitution sur ce point maintient le
statu quo.
C’est donc dans l’ordre interne qu’il convient de trouver les
moyens d’aider ces langues à se perpétuer. Or le droit en vigueur
contient plusieurs dispositions en leur faveur, principalement
dans le domaine de l’enseignement. Et pour ce qui concerne les
langues romanes du Midi de la France, il s’avère qu’en un demisiècle, l’Éducation nationale a développé un ensemble de textes
bien orientés en vue de les respecter dans leur complexe réalité.
Mais cela ne s’est pas fait sans heurts, le mouvement
occitaniste qui avait œuvré pour la mention de la « langue
occitane » dans la loi de base du 11 janvier 1951 s’est toujours
opposé à la reconnaissance officielle de la pluralité de fait de
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Langues d’oc, langues de France
cette « langue » : les parlers réels n’en seraient que des
« variétés », des « dialectes » insusceptibles de reconnaissance
individuelle.
Une réflexion sur l’esprit des mesures prises au plan
international et au plan interne montre dans quel sens peut être
orientée une action législative et règlementaire en droit interne.
Mais pour ce qui touche les langues d’oc, le discours qui les
entoure est entaché d’une grande confusion, souvent entretenue
volontairement, notamment en passant sous silence tous les avis
scientifiques qui y mettraient de l’ordre. Une étude historique de
la question et l’appel au témoignage des linguistes
“politiquement” neutres tentent d’y porter remède.
C’est alors qu’apparait la manœuvre de l’occitanisme,
organisée selon des objectifs politiques faciles à montrer à
travers les actions, déclarations et slogans des tenants de ce
courant; la langue en étant le prétexte, l’unité du mouvement
exige l’unicité de la langue, avec pour première étape l’unicité
du système orthographique, le tout au bénéfice de la langue
“centrale”, le languedocien.
Dans les régions, ceux qui veulent conserver la langue
ancestrale du pays, même enrôlés un jour dans l’occitanisme,
protestent publiquement; et ceux qui ont eu le courage de rompre
avec ce mouvement s’organisent pour éviter à leur langue
l’étouffement “fraternel” par le languedocien promu au rang
d’« occitan standard ».
Ils mettent donc leurs espoirs dans la lucidité des
responsables de la République pour que les décisions prises se
fassent en faveur de ces langues multiples, qui veulent vivre sans
mettre en péril l’unité nationale.
Langues d’oc, langues de France
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Une reconnaissance légale de chacune des langues d’oc sous
son nom multiséculaire est donc souhaitée, et en attendant, une
reconnaissance explicite dans le Code de l’Éducation, comme un
aboutissement formel de ce qui se fait déjà au ministère de
l’Éducation nationale. Avec sans doute une réorganisation du
CAPES, qui ajouterait à un fond commun des mentions
d’aptitude effective à l’enseignement d’une ou plusieurs de ces
langues.
Et un appel est lancé aux élus et aux vrais amis des langues
d’oc pour qu’ils fassent preuve de la même lucidité et
soutiennent ceux qui luttent vraiment pour leur authentique
conservation.
Avant-propos
Le 7 mai 1999 la France a signé la Charte européenne des
langues régionales ou minoritaires en s’engageant sur 39 des
mesures proposées par ce texte. Mais l’affaire a débouché sur
une impasse lorsque, consulté par le Président de la République,
le Conseil constitutionnel a estimé, le 15 juin, que la Charte ellemême contient des déclarations de principe et des dispositions
qui contreviennent à la Constitution, même si nos 39
engagements y sont conformes. Comme le Président de la
République n’a pas souhaité prendre l’initiative d’une révision
de la Constitution, le Gouvernement a décidé de s’en tenir à
l’application de ces 39 engagements dans l’ordre interne
(déclaration du Premier ministre, le 16 novembre 1999).
Par ailleurs, dans le cadre de l’activité normale de
l’administration qui tend à organiser en codes ses textes
juridiques fondamentaux, une ordonnance du 15 juin 2000 allait
instituer un Code de l’éducation, partie Législative, en abrogeant
notamment la loi du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement
des langues et dialectes locaux, ou « loi Deixonne »; ainsi s’est
trouvé sensiblement modifié le cadre législatif de l’enseignement
de ces langues.
Et tout dernièrement, les langues régionales de France ont
refait une brève apparition dans l’actualité avec la tentative de
plusieurs députés de toutes les familles politiques d’amender la
Constitution pour permettre un jour d’adopter la Charte
européenne.
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Langues d’oc, langues de France
Ces diverses péripéties de la “cause” des langues régionales
ont amené Jean Lafitte, Gascon et Béarnais attaché à la langue
de ses pères, à rédiger plusieurs études et articles qui abordaient
les aspects juridiques, linguistiques et sociolinguistiques de ces
questions; et cela, bien entendu, d’abord sous l’angle de la
défense et illustration du gascon.
Mais comme les difficultés rencontrées par cette langue sont
aussi celles que rencontrent les autres langues d’oc, des contacts
d’abord occasionnels, puis de plus en plus suivis, avec les
défenseurs de l’auvergnat et du provençal ont fait apparaitre
l’intérêt d’un texte commun sur ces sujets.
Partant de ses études antérieures, J. Lafitte a donc préparé un
texte aussi complet que possible à partir de ses connaissances
personnelles et de ses entretiens avec ses amis auvergnats et
provençaux. Ceux-ci lui ont suggéré quelques retouches et
surtout proposé des compléments d’un grand intérêt. De tout cela
résulte cette centaine de pages, où le gascon tient donc une place
relativement importante, mais sans nuire le moins du monde aux
deux autres langues d’oc qu’on entend défendre dans leur
authenticité. Et sans renoncer aux concours qui viendraient
d’autres pays d’oc.
Hommes politiques du Parlement et du Gouvernement,
responsables de la haute administration, élus des régions,
départements et communes qui ont à connaitre de ces questions,
et finalement, tous les vrais amis des langues d’oc, sont donc
invités à prendre connaissance de ces pages qui, nous l’espérons,
leur apporteront d’utiles informations, sûres et vérifiables.
PREMIERE PARTIE
Le droit des langues
1 – Les textes internationaux
On ne saurait aborder le droit des langues sans faire mention
des textes internationaux en la matière. Certes, ils ne sont
applicables à un état souverain que s’il les a signés et ratifiés
selon ses propres règles constitutionnelles, mais du fait qu’ils
existent, on en parle, qu’on les invoque ou qu’on les rejette. Et
dans la mesure où la France se veut un pays des Droits de
l’homme, un mot de leurs intentions et de leurs traits principaux
ne peut qu’aider à traiter du problème proprement français du
sort réservé à ses langues historiques.
1-1 – Au niveau mondial
Citons d’abord le Pacte international relatif aux droits civils
et politiques des Nations Unies qui considère comme
imprescriptible le droit de pratiquer une langue régionale ou
minoritaire dans la vie privée et publique.
De la même façon ont été reconnus des Droits de l’Enfant,
comprenant celui d’être scolarisé dans sa langue maternelle.
1-2 – En Europe : la Charte européenne
On sait que cette Charte fut adoptée après la chute du Mur de
Berlin « pour protéger les minorités ethnico-linguistiques des
États multi-nationaux » (H. Portelli, La Croix, 24 juin 1999); ce
n’est sans doute pas le cas de la France, telle que la voit
l’immense majorité des citoyens.
Quoi qu’il en soit, il est d’un grand intérêt de savoir comment
la Charte définit en son article 1er ce qu’est pour elle une
“langue régionale ou minoritaire” : selon les paragraphes a et
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Langues d’oc, langues de France
b, c’est une langue différente de la (des) langue(s) officielle(s)
de l’État, pratiquée traditionnellement sur un territoire de
l’État dans lequel elle est le mode d’expression d’un groupe de
ressortissants de l’État numériquement inférieur au reste de la
population mais suffisant pour justifier l’adoption des
différentes mesures de protection et de promotion prévues par la
Charte; et elle exclut notamment « les langues des migrants ».
Toutefois, un paragraphe c définit en outre les “langues
dépourvues de territoire”, qui bénéficieront de mesures
adaptées de celles prévues pour les premières, sans autre détail.
Mais comme celles-ci, elles doivent être « traditionnellement
pratiquées sur le territoire de l’État [sans pouvoir ] être
rattachées à une aire géographique particulière de celui-ci. »
Les mesures prévues sont au nombre de 98, et tout État qui
ratifie la Charte doit déclarer en adopter au moins 35. De fait, la
France en avait ainsi choisi 39; par décision du 15 juin 1999, le
Conseil constitutionnel devait déclarer ces choix compatibles
avec la Constitution, et notamment avec son article 2 auquel la
ratification du traité de Maastrich en 1992 a donné l’occasion
d’ajouter la phrase suivante : « La langue de la République est
le français. ».
Mais le Préambule de la Charte considère « que le droit de
pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée
et publique constitue un droit imprescriptible » et plus encore,
sa IIème partie impose aux États signataires de fonder leur
politique, leur législation et leur pratique sur neuf objectifs et
principes dont celui de faciliter et/ou encourager « l’usage oral et
écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique
et dans la vie privée […] dans les territoires dans lesquels ces
langues sont pratiquées et selon la situation de chaque langue. »
Langues d’oc, langues de France
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C’est tout à fait incompatible avec la phrase de l’article 2 de
notre Constitution, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel
dans la même décision du 15 juin 1999, mettant fin au processus
qui allait mener à la ratification de la Charte par la France.
Mais ce que le pouvoir constituant a fait en 1992 peut être
modifié par ce même pouvoir. C’est ce qu’ont tenté des députés
de toutes les familles politiques à l’occasion de la révision
constitutionnelle rendue nécessaire par l’adoption envisagée de
la Constitution européenne (Assemblée nationale, 2ème séance
du mercredi 26 janvier 2005). Les amendements présentés ont
donné lieu à un débat assez long, frappant par la force de
conviction de leurs partisans et la dignité de leurs propos.
Ainsi, M. François Bayrou (UDF) :
« Ce n’est pas parce qu’une langue est minoritaire qu’elle est
moins digne d’intérêt, et les langues que nous défendons ici ont
une syntaxe, une longue histoire. Le béarnais était langue de
droit bien avant que le français n’existe... […] Au Japon, le
japonais est classé trésor national; nous nous honorerions à
classer nos propres langues comme trésors nationaux […] ».
Et Mme Marylise Lebranchu (PS) :
« Les langues que nous avons reçues en héritage ne doivent
pas être abandonnées. […] Même si la IIIe République a souvent
eu raison, ceux qui ont été privés de leur langue régionale ont
ressenti un sentiment d’humiliation. En bons républicains, nous
ne devons pas tolérer l’humiliation, qui constitue la première
cause de violence. »
Mais il faut aussi mentionner les réserves de M. Jacques
Brunhes (PC), réserves qui ne se comprennent bien que
lorsqu’on sait qu’en vue de la ratification de la Charte, le Pr. B.
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Langues d’oc, langues de France
Cerquiglini a compté l’arabe dialectal et le berbère parmi les
langues de France (cf. § 5-7, p. 62) :
« Le groupe communiste a toujours défendu les langues
régionales; nous avons déposé depuis plus de vingt ans de
nombreuses propositions de lois pour les défendre, car nous
pensons qu’elles doivent être respectées. En revanche, nous
avons toujours eu une hésitation au sujet de la charte, car c’est
une charte des langues régionales « et minoritaires ». Il faut bien
voir ce que signifierait dans notre pays, et particulièrement dans
nos banlieues, l’adoption de certains articles de la Charte, et
quelles conséquences s’ensuivraient si le français n’était plus la
langue commune pour la justice et l’éducation. »
A fortiori, ceux qui n’ont pas une langue régionale en
héritage culturel ont été surtout sensibles aux menaces qu’un
détournement de la Charte pourrait faire peser sur l’unité de la
République.
Ainsi M. Pascal Clément, président et rapporteur de la
commission des lois; après avoir rappelé que le Conseil
constitutionnel a déclaré inconstitutionnel l’usage d’une langue
régionale dans la vie publique :
« …un tel droit serait contraire aux principes d’indivisibilité
de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple
français, dans la mesure où il reviendrait à conférer des droits
spécifiques à certains groupes linguistiques à l’intérieur du
territoire. C’est là le point du débat : les quatre cinquièmes de la
charte sont déjà appliqués, mais reconnaître des droits
particuliers à certains groupes reviendrait à accepter que de
pseudo pays se constituent à l’intérieur de nos frontières. »
Au nom du gouvernement, M. Dominique Perben, garde des
sceaux, ministre de la justice allait rappeler à son tour que « La
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Constitution autorise la reconnaissance culturelle des langues
régionales […], permet parfaitement l’expression culturelle à
travers la pratique des langues régionales [et que l’avis du
Conseil constitutionnel] reconnaît même la possibilité, pour la
puissance publique, de favoriser l’enseignement de ces langues à
condition toutefois que celui-ci demeure facultatif. » Et de
conclure au statu quo constitutionnel.
De fait, le vote des députés rejeta les amendements proposés.
2 – Les cadres juridiques français
Les langues de France n’en sont pas démunies pour autant,
car notre droit leur a depuis longtemps fait une place, pour
modeste qu’elle soit. C’est ce que nous allons voir maintenant,
comme une invite à progresser dans la voie déjà ouverte.
2-1 – Le décret “Sadi Carnot” du 12 janvier 1894
Ce décret, fort peu connu, organise le service du télégraphe.
Or son article 17 relatif aux « télégrammes en langage clair »
définit ainsi ce langage :
« Le langage clair est celui qui offre un sens compréhensible dans
l’une quelconque des langues autorisées pour la correspondance
télégraphique internationale (tableau n° 3), ou dans l’un des idiomes
basque, breton, gascon et provençal. »
Ces dispositions devaient demeurer en vigueur tant que vécut le
service des télégrammes, passant de décret en décret jusqu’au
Code des postes et télécommunications de 1962 (art. D. 113 et
son Annexe). Nous n’avons aucune information sur l’usage qui
en fut fait, mais il est hautement vraisemblable que chacun de
ces idiomes inclut toutes ses variantes, navarro-labourdin et
souletin pour le basque, les trois ou quatre dialectes bretons, le
béarnais et autres dialectes gascons, le provençal proprement dit,
le provençal alpin, le niçois, le languedocien, le limousin, et
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Langues d’oc, langues de France
l’auvergnat pour le provençal, entendu alors au sens large; nous
y reviendrons (§ 4-11, p. 32).
2-2 – La loi n° 51-46 du 11 janvier 1951 dite loi
“Deixonne”
Cette loi relative à l’enseignement des langues et dialectes
locaux est semble-t-il le premier texte législatif à faire état de ces
langues et dialectes, en leur ouvrant les différents niveaux de
l’enseignement public.
Cependant, la désignation de “langues” ou “dialectes” ne
figurait qu’aux articles 10 et 11 comme dispositions transitoires
relatives à l’entrée en vigueur des articles 2 à 9. L’article 10
visait ainsi les « zones d’influence du breton, du basque, du
catalan et de la langue occitane. » Par rapport au décret de 1894,
le gascon avait donc disparu au profit du catalan, tandis que le
provençal au sens large faisait place à l’expression “langue
occitane”; mais on sait que cette loi fut adoptée sans débat, et
c’est sans doute à la faveur de cette absence de débat sur un texte
d’initiative parlementaire que les occitanistes y firent inscrire la
« langue occitane » sans autre précision. Quant à l’art. 11, il
semblait cousu du fil blanc d’arrières-pensées, voire de
manœuvres politiques : s’il donnait à chaque langue citée d’une
à quatre universités où elle serait enseignée, c’est avec ce
paradoxe que le catalan, qui n’est parlé que dans une fraction de
département, devait l’être à Montpellier, Toulouse, Paris et
Bordeaux, tandis que le gascon, parlé sur neuf départements,
n’était prévu nulle part, lui que les linguistes traitent toujours à
l’égal du catalan ! (cf. § 4-2, p. 36).
Cependant, à la différence du décret de 1894 dont
l’énumération ne pouvait être que limitative, cette loi n’excluait
pas l’addition d’autres idiomes qui seraient reconnus comme
« langues et dialectes locaux […] en usage » dans d’autres
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régions, selon les termes mêmes de son article 1er. Or une telle
mesure allait bientôt relever du domaine réglementaire selon
l’art. 37 de la Constitution de 1958; c’est donc par trois décrets
calqués sur l’article 10 que l’application des articles 2 à 9 avait
été étendue au corse (D. 74-33 du 16.1.74), au tahitien (D. 81553 du 12.5.81) et aux « langues mélanésiennes pour ce qui
concerne l’ajië, le drehu, le nengone et le paicî » (D. 92-1162 du
20.10.92).
Mais on sait que la loi elle-même appartient maintenant au
passé, du fait de son abrogation lors de l’institution du Code de
l’éducation, partie Législative, étudié au § 2-6, p. 24.
2-3 – L’article 12 de la loi n° 75-620 du 11 juillet 1975
dite loi “Haby”
Dans le cadre d’une loi de “réforme” proposée par le ministre
de l’éducation nationale René Haby, cet article devait réaffirmer
plus nettement encore la place, tout au long de la scolarité, de
l’enseignement des langues dites désormais régionales, mais
aussi des cultures régionales.
2-4 – La circulaire “Haby” du 29 mars 1976 et l’arrêt du
Conseil d’État du 7 octobre 1977 : les langueS d’oc
2-41 – L’état du droit
Pour l’application de cet article 12, le ministre adressa aux
Recteurs une importante circulaire (n° 76-123 du 29 mars 1976)
sur la « Prise en compte dans l’enseignement des patrimoines
culturels et linguistiques français ». Dépassant le cadre formel
de la loi Deixonne qui n’envisageait que les « langues et
dialectes locaux », le préambule dégageait le “régional” de
l’« acception administrative » du mot “région” et le patrimoine
culturel propre, de tout lien nécessaire avec l’existence d’une
langue locale.
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Langues d’oc, langues de France
Pour les langues, il en prévoyait l’enseignement « dans les
aires où la langue correspondante est traditionnellement
pratiquée et dans de grands centres accueillant un nombre
important d’élèves de ces régions », se détachant encore du cadre
de la région administrative. Et de rappeler « que les langues
reconnues par la réglementation en vigueur sont : le breton, le
basque, le catalan, les langues d’oc et le corse. » Quant au
contenu de l’enseignement, le ministre entendait le faire coller à
la langue effectivement pratiquée localement en précisant :
« Chaque fois qu’une langue est pratiquée sous forme de dialectes
différenciés, c’est le dialecte correspondant au lieu où l’enseignement est
dispensé et la graphie la plus appropriée à ce dialecte qui seront utilisés. »
La référence appuyée à la langue parlée localement, comme
le voulait expressément la loi Deixonne, et l’expression
« langues d’oc » substituée à « langue occitane » de l’article 10
de cette loi écartaient donc par principe l’enseignement d’un
occitan unifié à travers toute la « zone d’influence de la langue
occitane ».
C’était inacceptable pour les occitanistes qui comptaient sur
cet occitan unifié pour justifier une « Occitanie » politique (cf. §
5-2, pp. 45-49). Ils crurent y voir la main des Provençaux déjà
réfractaires à leur graphie unifiée, en ignorant que, par exemple,
un manuel comme l’Initiation au latin 5e de MM. Cousteix,
Hinard et Weinberg (Paris, SOCODEL, 1975) mentionnait déjà
« les langues d’oc ou langues occitanes » (p. 56), tout en
donnant comme exemples des mots provençaux notés en graphie
occitane unifiée… Par son secrétaire général M. Carbonne, la
Fédération de l’enseignement occitan exerça donc un recours,
d’abord “gracieux” auprès du ministre, le 10 mai 1976, puis
contentieux devant le Conseil d’État, le 19 octobre.
Entre temps, l’I.E.O. (§ 4-13, p. 35) avait protesté le 20 juin
1976 dans un communiqué grandiloquent :
Langues d’oc, langues de France
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« Ces circulaires [sic, au pluriel] pulvérisent la langue occitane dans
une multitude de parlers locaux et enferment une culture vécue par un
peuple depuis un millénaire et de rayonnement universel dans un
folklorisme de clocher ».
Et tandis que l’affaire était pendante, l’universitaire Henri
Giordan fit un plaidoyer idéologique, Occitan vs Langues d’oc,
… (Giordan, 1977) (1). Mais faute d’arguments linguistiques
décisifs, il plaçait résolument (et honnêtement) le problème sur
le terrain de la lutte des classes :
« […] Ce n’est pas, en effet, parce que des linguistes ont défini des
critères unissant les dialectes d’oc dans un ensemble unitaire, l’occitan,
[…] que la référence à d’éventuelles langues d’oc est nulle et non
recevable. À ce compte-là, la revendication culturelle corse serait à
renvoyer aux poubelles d’une histoire dirigée par les linguistes. Donner
la préférence à une vision des choses qui privilégie les facteurs d’unité
par rapport aux facteurs d’opposition est un choix imposé par la volonté
de substituer un discours construisant une culture alternative en France à
un discours dont le rôle est de maintenir en place la culture hégémonique
de la bourgeoisie dans ce pays. »
Au Conseil d’État, cependant, la procédure avançait; M.
Denoix de Saint Marc, magistrat exerçant les fonctions de
« commissaire du Gouvernement », préparait la décision de la
juridiction par des « conclusions » où il devait exprimer
librement son opinion sur l’affaire. Elles s’ouvrent par un
premier alinéa qui évoque le Félibrige du XIXe s., avec ses
manifestations naïves et passéistes en « patois », favorisées par
des « hobereaux » et des curés de village, et réprouvées par « les
esprits affranchis de l’ancienne tutelle du châtelain et du curé »;
comme il est peu probable que cette peinture ait été puisée dans
les arguments des requérants ou dans les observations de
l’administration, il y a fort à penser que son auteur s’est fondé
sur ses propres connaissances. Or ce rappel du passé n’a,
1
Ce type d’indication (Giordan, 1977) renvoie à la Bibliographie, p. 101.
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Langues d’oc, langues de France
semble-t-il, d’autre but que de marquer le contraste avec la
situation présente :
« Les temps ont bien changé. Le patois est devenu la langue
d’oc, ce qui est d’ailleurs une bien meilleure et plus exacte
appellation. Mais, surtout, des idéologues venus d’horizons
diamétralement opposés à ceux des traditionalistes de naguère
ont inventé l’Occitanie et s’acharnent à affirmer, notamment,
l’unité de la langue occitane de la Gascogne à la Provence, en
passant par le Limousin, l’Auvergne, le Quercy, le Rouergue et
le Languedoc. »
M. Denoix de Saint Marc avait-il eu connaissance de l’article
d’Henri Giordan ? Toujours est-il que cette façon de situer
l’action en justice montre que dans les hautes sphères de l’État,
on n’est pas dupe de la démarche « culturelle » des occitanistes.
Néanmoins, cela n’a rien à voir en fait avec la démonstration
juridique qui va conduire au rejet de la requête : le commissaire
du Gouvernement montre en effet que tout l’esprit de la loi
Deixonne est « de favoriser l’étude des langues et dialectes
locaux dans les régions où ils sont en usage » (art. 1er), et que
rien ne permet de dire que par le singulier « langue occitane » de
l’article 10, le législateur ait entendu « poser en règle de droit
l’unité de la langue d’oc ». Bien au contraire…
« Si les dictionnaires et encyclopédies du XIXème siècle ignorent
“l’occitan”, les ouvrages contemporains (notamment le Grand Larousse
encyclopédique et l’Encyclopedia Universalis), le définissent comme
l’ensemble des dialectes de langue d’oc ou précisent qu’il présente trois
inflexions dialectales spécifiques : le nord occitan, l’occitan moyen et le gascon.
Par conséquent, en mentionnant la langue occitane, le législateur ne nous
semble pas avoir voulu affirmer une unité qui n’existe pas en fait, il a
simplement employé un terme qui, selon une acception communément admise,
recouvre divers dialectes. »
On voit que M. Denoix de Saint Marc ne s’embarrasse pas de
subtiles — et contestées — distinctions entre langues et
Langues d’oc, langues de France
21
dialectes : dans les faits, ce sont des idiomes suffisamment
distincts pour ne pouvoir être enseignés qu’avec des grammaires
et dictionnaires différents, et langues ou dialectes, leur pluralité
ne fait aucun doute; les professeurs de latin cités plus haut
l’avaient déjà écrit.
Finalement, le Conseil d’État allait rendre son arrêt le 7
octobre 1977, en accord avec les conclusions de M. Denoix de
Saint Marc : la requête était rejetée, et donc la mention des
« langues d’oc » au pluriel, déclarée légale comme « purement
interprétative » :
« Considérant qu’en utilisant dans sa circulaire du 29 mars 1976 […]
l’expression “les langues d’oc”, le ministre de l’Éducation s’est borné à
rappeler que, conformément à la loi du 11 janvier 1951 qui, aux termes
de ses articles 1er et 10, a pour but “de favoriser l’étude des langues et
dialectes locaux dans les régions où ils sont en usage” et notamment
dans les zones d’influence de la langue occitane, cet enseignement devait
être dispensé en se référant à la pratique en usage dans chaque région;
que, par suite, la requête susvisée qui ne conteste que l’emploi de cette
expression purement interprétative, n’est pas recevable; »
Ainsi, aux requérants qui souhaitaient une application à la
lettre — et, osons le mot, centralisatrice et “jacobine” — des
mots “langue occitane” de l’article 10 de 1951, le Conseil d’État
opposait l’esprit de la loi selon son article premier et, approuvant
l’interprétation du ministre, validait l’expression « les langues
d’oc ». C’était logique, dans une politique de conservation
patrimoniale.
Et au même moment, l’occitaniste “historique” René Nelli
approuvait à son tour (voir § 6-1, p. 63).
2-42 – Une étrange amnésie
Pourtant, vingt-six ans plus tard, un ouvrage collectif officiel
dirigé par Bernard Cerquiglini, Délégué général pour la langue
française et les langues de France, et réuni par ses deux
22
Langues d’oc, langues de France
collaborateurs J. Sibille et M. Alessio, allait affirmer, sous la
plume du premier :
« L’emploi du terme langues d’oc (au pluriel) est relativement nouveau et
très minoritaire, mais il tend à être mis en avant par des minorités agissantes ou
des individus isolés qui, pour des raisons plus idéologiques que scientifiques,
voudraient voir reconnaître autant de langues que de régions ou anciennes
provinces. » (Les langues de France, 2003, p. 179).
Le « relativement nouveau » montre les limites —
excusables, certes — des lectures de l’auteur, puisque, en se
limitant au domaine gascon, l’expression critiquée se lit à la une
des Reclams de Biarn e Gascougne de Juin 1906 : sous le titre
Un bel exemple, le Majoral Jean-Victor Lalanne, secrétaire
général de l’Escole Gastou Febus — école félibréenne comme
on sait —, et son futur capdau (président) (1919-1923), fait
l’éloge du Provençal Jules Ronjat qui vient de verser une
cotisation à vie de 200 francs or; et d’ajouter « Avec la plus jolie
facilité, il écrit et parle toutes les langues d’Oc…» (toutes las
loéngues d’O). Par la suite, ce pluriel reviendra sans doute plus
d’une fois chez les auteurs gascons. Par exemple, le professeur
agrégé René Cuzacq (1950, pp. 5, 7, 11 etc.); ou encore chez les
responsables de l’Escole; comme le capdau Denis PaluLaboureu, professeur de lycée, dans son discours de l’assemblée
générale du 1er mai 1977 : « tous ceux qui travaillent à maintenir
et faire fleurir le gascon et toutes les autres langues d’Oc. »
(Reclams, 7/8-1977, p. 101); et l’année suivante, à la Ste-Estelle
d’Avignon, Micheline Turon, “reine” du Félibrige, achève son
toast par ces mots : « je lève [la Coupe Sante] au Félibrige et à la
vie des langues d’Oc. » (Reclams, 9/10-1978, p. 133). En 1985,
enfin, ces mêmes Reclams, dirigés par Jean Salles-Loustau,
publiaient dans leur n° 3/4-1985, p. 45, une intéressante étude de
R. Saint-Guilhem, L’influence du français sur le gascon, qui
Langues d’oc, langues de France
23
s’ouvrait par ces mots : « La langue gasconne appartient au
groupe des langues d’oc ».
Même les occitanistes de Béarn ont sous-entendu la pluralité
des langues occitanes en parlant sans ambages de « langue
béarnaise » : ainsi, avant l’Édit d’union du Béarn à la France de
1620, « la langue Béarnaise connut un sort particulier dans
l’ensemble Occitan » (Per noste, n° 46 de 1-2/1975, p. 1); ou
encore, s’adressant aux conseillers généraux des PyrénéesAtlantiques, le président Roger Lapassade mettait en avant les
activités de l’Association Per Noste « en faveur de la langue
béarnaise » et demandait leur appui « pour que le Béarnais, notre
langue d’origine, soit enseigné dans toutes les écoles du premier
degré. » (ib. n° 56 de 9-10/1976, p. 3). Et pour justifier les titres
de deux dictionnaires « français-occitan (Béarn) » (1984) et
« français-occitan (gascon) » (2003), le très “orthodoxe” M.
Grosclaude écrivait : « l’occitan parlé en Béarn est un occitan à
part entière et non pas une variante plus ou moins marginale »;
et pour le second, « l’occitan parlé en Gascogne etc. »; venant
d’un professeur de philosophie, donc de logique, dont le français
était la langue maternelle, cela supposait qu’il y a autant
d’« occitans à part entière » — ou de langues d’oc — que de
grandes régions linguistiques...
On appréciera en outre l’aimable qualification de ceux qui
emploient ce pluriel quand on aura rappelé que l’un d’eux est le
linguiste internationalement connu Claude Hagège, professeur au
Collège de France (cf. sa conférence lors du colloque Albert
Dauzat de Thiers, le jeudi 5 novembre 1998, La Montagne du 7,
p. 9; les protestations des organisateurs ne le firent pas changer
de langage…).
24
Langues d’oc, langues de France
2-5 – Les lois des iles
Pour satisfaire aux revendications identitaires des grandes iles
de la République, plusieurs lois allaient en reconnaitre les
langues vernaculaires, la marche étant ouverte par la loi n° 82659 du 30 juillet 1989 relative à la Corse; on devait ensuite
reconnaitre la langue tahitienne et les autres langues
polynésiennes (art. 115 de la loi organique n° 96-312 du 12 avril
1996) et les langues kanakes (art. 215 de la loi organique n° 99209 du 19 mars 1999).
Par ailleurs, l’article 34 de la loi n° 2000-1207 d’orientation
pour l’outre-mer du 13 décembre 2000 devait aussi traiter des
langues communément appelées créoles :
« Les langues régionales en usage dans les départements d’outre-mer font
partie du patrimoine linguistique de la nation. Elles bénéficient du renforcement
des politiques en faveur des langues régionales afin d’en faciliter l’usage. La loi
n° 51-46 du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes
locaux leur est applicable. »
2-6 – Le Code de l’éducation
Entretemps cependant, ce que le législateur de décembre
2000 avait perdu de vue, l’institution d’un Code de l’éducation,
partie Législative, par ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000,
avait conduit à l’abrogation de la loi Deixonne, parmi les
nombreux textes législatifs incorporés au Code. Une présentation
synoptique va nous permettre de mieux voir le changement
opéré :
Textes législatifs codifiés
Code de l’éducation
L. 75-620 “Haby”, art. 12. – Un
enseignement des langues et
cultures régionales peut être
dispensé tout au long de la
scolarité.
Art. L 312-10. – Un enseignement de langues et cultures
régionales peut être dispensé tout
au long de la scolarité.
Langues d’oc, langues de France
L. 51-46 “Deixonne”
Art. 1er. — Le conseil supérieur de l’éducation nationale sera
chargé, dans le cadre et dès la
promulgation de la présente loi,
de rechercher les meilleurs
moyens de favoriser l’étude des
langues et dialectes locaux dans
les régions où ils sont en usage.
Art. 2 — Des instructions pédagogiques seront adressées aux
recteurs en vue d’autoriser les
maîtres à recourir aux parlers
locaux dans les écoles primaires
et maternelles chaque fois qu’ils
pourront en tirer profit pour leur
enseignement, notamment pour
l’étude de la langue française.
25
Le Conseil supérieur de l’ éducation est consulté, conformément
aux attributions qui lui sont
conférées par l’article L. 231-1,
sur les moyens de favoriser
l’étude des langues et cultures
régionales dans les régions où ces
langues sont en usage.
Art. L 312-11. – Les maîtres
sont autorisés à recourir aux langues régionales dans les écoles
primaires et maternelles chaque
fois qu’ils peuvent en tirer profit
pour leur enseignement, notamment pour l’étude de la langue
française.
Formellement, donc, seuls subsistent l’article 12 de la loi
Haby et les deux premiers de la loi Deixonne, tandis que ses
articles 3, 4 et 9, de valeur réglementaire, sont maintenus en
vigueur jusqu’à la promulgation de la partie réglementaire du
même code.
Sur le fond même du droit, on observera que disparaissent à
la fois la référence au fait local, essentielle pour la loi Deixonne,
et le terme même de « dialecte » : on passe de « langues et
dialectes locaux » dans la loi à « langues et cultures régionales »
dans le Code selon l’expression introduite par la loi Haby de
1975, retenue par la Charte européenne et généralisée par les
médias.
Est maintenu par ailleurs, comme article L 311-2, l’article 8
de la loi Haby selon lequel « le contenu des formations [est
défini par] arrêtés du ministre de l’éducation. »
26
Langues d’oc, langues de France
2-7 – Les arrêtés des 6 janvier 2003, 13 janvier et 31
décembre 2004
C’est ainsi qu’a été pris l’arrêté du 6 janvier 2003 (J. O. du
15, p. 856) dont l’article 1er est ainsi rédigé : « Les épreuves
portant sur les langues énumérées ci-après : arabe littéral,
arménien, cambodgien, […], langue d’oc auvergnat, langue
d’oc gascon, langue d’oc languedocien, langue d’oc limousin,
langue d’oc nissart, langue d’oc provençal, langue d’oc vivaroalpin, pourront être subies à la session 2003 […] », ce qui
consacre la pluralité des langues d’oc. Ces dispositions ont été
reconduites pour 2004 (arrêté du 13 janvier 2004, J.O. du 22, p.
1653) et pour 2005 (arrêté du 31 décembre 2004, J.O. du 12
janvier 2005, p. 489).
Mais au delà des mots, il convient de réfléchir sur l’esprit de
ces lois.
3 – L’esprit des lois
3-1 – Les buts politiques
Un survol des cadres juridiques que nous venons d’évoquer
fait pressentir la diversité des buts poursuivis par leurs auteurs :
– pour les Nations Unies, pour le Conseil de l’Europe, on se
situe dans le domaine des droits de l’homme, et on affirme
comme imprescriptible le droit de pratiquer une langue
régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique;
– mais le Conseil de l’Europe place avant cet aspect le besoin
de « maintenir et (de) développer les traditions et la richesse
culturelles de l’Europe » auquel contribue « la protection des
langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe, dont
certaines risquent, au fil du temps, de disparaître »; autrement
dit, il s’agit de préserver un patrimoine culturel en danger de
disparition; c’est aussi l’un des buts poursuivis par nos députés
F. Bayrou et Marylise Lebranchu (cf. p.5);
Langues d’oc, langues de France
27
– en reprenant les termes de la loi Deixonne, le Code de
l’éducation est muet sur le but de l’étude des langues et cultures
régionales qu’il entend favoriser; plus politique, l’article 34 de la
loi sur l’outre-mer du 13 décembre 2000 n’hésite pas à déclarer :
« Les langues régionales en usage dans les départements d’outremer font partie du patrimoine linguistique de la nation. » et fait
état « du renforcement des politiques en faveur des langues
régionales afin d’en faciliter l’usage. »;
– enfin, comme pour calmer les craintes des adversaires des
« patois », et toujours d’après la loi Deixonne, le Code autorise
le recours « aux langues régionales dans les écoles primaires et
maternelles chaque fois qu’ils peuvent en tirer profit pour leur
enseignement, notamment pour l’étude de la langue française.
En résumé, trois buts politiques s’affichent dans ces textes :
le respect d’un droit de l’homme, la conservation d’un
patrimoine culturel et l’aide à la pédagogie, notamment au profit
de la langue officielle de l’État. Mais qu’en est-il en réalité pour
les langues de France, et spécialement pour les langues d’oc ?
3-2 – Leur validité en France
En ce début de XXIème siècle, il n’y a probablement plus un
Français de souche qui ne s’exprime sans peine en français dans
toutes les circonstances de la vie publique ou tout simplement
dans la rue. Et de ceux qui ont eu une langue régionale pour
langue maternelle, il n’y a sans doute qu’une infime minorité,
travaillée par certaines propagandes, qui demande le droit,
évoqué au § 1-2, p. 12, d’utiliser cette langue dans la vie
publique.
En revanche, la conservation d’un patrimoine culturel
correspond beaucoup mieux à la situation des langues régionales
de France, dont la perte d’usage par les populations autochtones
et la non-transmission familiale feront bientôt des langues
28
Langues d’oc, langues de France
mortes. Or cette conservation joue en faveur de la diversité
culturelle et linguistique, condamnant ainsi toutes les manœuvres
qui tendraient à uniformiser les parlers sur de vastes territoires,
selon le vœu des indépendantistes.
Enfin, l’intérêt pédagogique des langues régionales visé par
l’article L 312-11 du Code n’a de sens que si les jeunes écoliers
connaissent leur langue régionale au moins aussi bien que le
français qui leur est enseigné. Les cas doivent être
malheureusement de plus en plus rares de nos jours. Mais cette
disposition s’inscrit dans la même ligne que la conservation du
patrimoine, en confirmant que tout parler effectivement
pratiqué en un lieu est une « langue régionale » au regard de
la loi, sans égard à tous les discours normalisateurs déjà évoqués.
3-3 – Leur application à l’Éducation nationale
Dans l’esprit de la loi “Deixonne” de 1951, la circulaire
“Haby” de 1976 avait privilégié l’usage local pour la
détermination des langues de France à enseigner dans le cadre du
service public.
Douze ans après, c’est dans le même l’esprit que sera défini
l’objectif de l’enseignement dans les lycées : il « visera, au
premier chef, à une compréhension et une pratique correctes de
la langue vivante sous sa forme usuelle locale. » (Arrêté
ministériel du 15 avril 1988, J.O. du 30 et B.O.-E.N. pour les
annexes); ou encore, en 1995, dans les collèges, dont l’enseignement doit « mettre les élèves à même de comprendre, parler, lire
et écrire à un niveau simple la langue authentique de la
communauté qui la pratique » (Circulaire “Darcos”du 12
avril 1995, le Béarnais et béarnophone F. Bayrou étant ministre
de l’éducation nationale).
Sous le régime du Code de l’éducation, cette circulaire sera
reprise et abrogée par une circulaire plus générale, n° 2001-166
Langues d’oc, langues de France
29
du 9 septembre 2001, B.O. n° 33 du 13. La référence à l’usage
de la langue est évidemment maintenue, et dès « l’école
maternelle, les enseignants veilleront à inscrire l’apprentissage
ou l’approfondissement de la pratique de la langue et les
activités en langue régionale si possible dans une continuité
entre l’école et le milieu familial. » Même souci dans la
circulaire n° 2001-167 du même jour sur l’enseignement
bilingue à parité horaire : « Le but de l’enseignement bilingue est
d’amener progressivement les élèves à utiliser la langue
régionale […] dans le milieu familial et social. » Cela n’est
évidemment possible que si la langue est enseignée sous sa
forme locale.
Donc, a priori, les textes législatifs que nous venons de
rappeler peuvent d’ores et déjà servir de base à une
règlementation respectueuse des réalités linguistiques et
sociolinguistiques et mettre sur la voie d’une législation interne
plus générale sur les langues régionales. Mais dans les faits, la
confusion des concepts relatifs aux langues romanes du Midi
risque de nuire à la protection qu’elles pourraient espérer d’une
telle législation.
DEUXIEME PARTIE
Les langues romanes
du Midi de la France
4 – L’imbroglio des appellations
4-1 – Quand le flou facilite les confusions…
L’histoire explique bien des choses, mais le fil d’Ariane pour
ne pas s’y perdre pourrait être la vision moderne que les
linguistes ont des langues du Midi. Disons donc d’emblée que le
latin apporté dans le sud de la Gaule et l’est de l’Espagne s’est
mué au cours du premier millénaire en un grand nombre de
parlers présentant, au-delà d’une bonne part de vocabulaire
commun issu du latin, un assez grand nombre de traits
phonétiques ou morphologiques qui tantôt les opposent, tantôt
les apparentent plus ou moins; ils forment l’ensemble
linguistique “gallo-roman d’oc”, intermédiaire entre le “galloroman français” du nord de la Gaule et l’ibéro-roman des autres
langues péninsulaires; géographiquement, ce sont les Païses
d’Òc représentés en Annexe I, p. 79.
4-11 – Des noms changeants et parfois défectueux…
Rendue célèbre par Dante, l’appellation la plus ancienne de
cet ensemble est langue d’oc, d’après la façon de dire “oui” dans
ces parlers, ainsi opposés à ceux du “gallo-roman français” qui
forment la langue d’oïl et à ceux de l’ibéro-roman et de l’italoroman, langues du si. Mais le prestige des troubadours limousins
fit aussi nommer l’ensemble du nom de limousin. En revanche,
en un temps où les notions de langue et de nation étaient
32
Langues d’oc, langues de France
pratiquement confondues, l’organisation de l’Ordre des chevaliers de Malte, continuateurs des Hospitaliers de St-Jean de
Jérusalem, distinguait par exemple la langue d’Auvergne de la
langue de Provence; aujourd’hui encore, la cathédrale St-Jean à
La Valette, édifiée par les chevaliers, nomme par les langues ses
chapelles latérales : chapelle de la langue de France, ou de saint
Paul, chapelle de la langue de Provence ou de saint Michel,
chapelle de la langue d’Auvergne ou de saint Sébastien, etc. Plus
tard, la montée à Paris d’Henri IV à la tête de troupes gasconnes
fit confondre l’ensemble d’oc sous le nom de gascon.
Cependant, c’est provençal qui devait s’imposer au XIXème
s., désignant, même chez les linguistes de tous pays, à la fois
l’ensemble des parlers d’oc et le seul parler de Provence : d’où
une regrettable confusion. C’est lui que Mistral préféra pour le
titre de son monumental « Dictionnaire Provençal-Français
embrassant les divers dialectes de la langue d’oc moderne »
achevé en 1888. Songeait-il à étendre à tout le Midi son propre
parler ? Il ne le semble pas quand on considère son respect de
chaque variété. Mais il est sûr que certains de ses admirateurs y
songèrent…
En même temps commençait à se répandre le nom savant
d’occitan, issu de l’expression latine lingua occitana —
Languedoc en français — par laquelle la chancellerie royale
désignait, dès le XIVème s., les provinces méridionales que la
Croisade albigeoise avait ramenées dans la stricte dépendance du
Roi. Ces terres, qui ne comprenaient évidemment ni l’Aquitaine
ni la Provence, étaient en effet soumises à un même régime
fiscal et militaire, et leur nom n’était qu’une désignation
administrative, comme l’actuel Languedoc-Roussillon, bientôt
peut-être Septimanie.
Langues d’oc, langues de France
33
4-12 – …pour un concept mal défini
La place à part que les linguistes reconnaissent aujourd’hui
au catalan et au gascon (cf. § 4-2, p. 36, et Annexe II, p. 80) n’a
pas manqué d’apparaitre très tôt.
Déjà, le catalan présentait une anomalie dans l’ensemble
d’oc puisqu’il disait si et non o(c) pour “oui” depuis le XVIe s.;
de plus, son appartenance au royaume d’Espagne l’éloignait de
plus en plus de son premier voisin le languedocien. Mais sa lutte
pour la survie le rapprochait sentimentalement des parlers d’oc
français. Aussi le Félibrige, mouvement de renaissance de la
langue d’oc lancé en 1854 par Frédéric Mistral et ses amis, le
considérait-il comme un dialecte d’oc. Mais la place prépondérante que ce mouvement donnait au provençal de Mistral ne
devait pas être du gout des Catalans : dès 1876, ils signifièrent
leur rejet d’« une institution qui […] privilégie et généralise une
dénomination par-dessus toutes , comme ce serait le cas de la
langue d’Oc, incluant le Provençal et le Catalan » (Antoni de
Bofarull, Renuncia de majoral dels felibres, La Renaixença, 31
maig 1878, p. 393-396, cité par Lou Felibrige, n° 222, ÒutobreNouv.-Des. 1996, p. 47). Sociolinguiste avant la lettre dans son
Dictionnaire Provençal-Français, Mistral ne compta donc pas le
catalan au nombre des dialectes de la « langue d’oc » (v°
DIALÈITE) et le présenta ainsi : « L’idiome catalan, branche de
l’ancienne langue d’Oc vivant aujourd’hui de sa vie propre et
s’étendant sur l’est de l’Espagne, les îles Baléares et le
Roussillon. » (v°CATALAN).
D’un autre côté, voulant codifier la bonne langue du « gai
savoir », les grammairiens toulousains du XIVème s. en
excluaient le gascon, « lengatge estranh », langue étrangère
comme le français, l’anglais, l’espagnol, le lombard etc. Ils ne
faisaient cependant que formaliser ce que le troubadour
Raimbaut de Vaqueiras († vers 1210) exprimait dans un
34
Langues d’oc, langues de France
“descort” dont chaque strophe était dans une langue différente :
roman commun, génois, langue d’oïl, gascon et galicien.
De nos jours, encore, le Languedocien entend mal le gascon,
comme en témoigne cet extrait d’un roman de l’instituteur
occitan Jean Boudou (1920-1973), Lo libre de Catòia, 1966
(Obras complètas 6, I.E.O.-A tots, 1978, p. 165) :
« Et elle me parlait. Ses yeux me souriaient, couleur de noisette. Sa
voix était chaude, pure. J’avais beau l’écouter, je ne la comprenais pas.
« Je reconnaissais comme nôtre, pourtant, la musique de sa parole.
Mais pourquoi ces sons étranges ? Les eth, les ei, les he, les arro, qu’elle
allait chercher profond. Je regardais chaque fois frémir la peau vive de sa
gorge.
« Et je voulus lui parler aussi. Avec les mots de mon pays [Aveyron].
Elle sembla mieux comprendre, elle. Elle fit la moue :
« – Je suis Gasconne ! dit-elle.
Puis elle ajouta :
« – Il vaut mieux que nous parlions français… [en français dans le
texte] ».
Mais bien qu’il en eût exclu le catalan, Mistral allait inclure
le gascon dans son Dictionnaire Provençal-Français.
À la même époque, cependant, le professeur Achille Luchaire
lançait à la Faculté de lettres de Bordeaux les études linguistiques sur le gascon; il devait y voir une langue distincte de la
langue d’oc (voir en Annexe II, p. 80, son « témoignage » de
1879). En 1892, même avis d’Édouard Bourciez, également
professeur à Bordeaux, dans La langue gasconne à Bordeaux,
pp. 5-6, texte qu’il devait reprendre pour le fond en 1922 (voir
également en Annexe II).
On a vu au § 2-1, p. 15, comment le décret “Sadi Carnot” de
1894 en avait pris acte en reconnaissant le gascon à part du
“provençal”, ce dernier entendu au sens large de tous les autres
parlers d’oc.
Langues d’oc, langues de France
35
4-13 – Querelles et confusions qui perdurent
Mais le domaine des langues est aussi celui des passions, et
les excès des uns appellent les réactions des autres…
Ainsi, la place prépondérante faite au provençal par Mistral,
et peut-être plus encore par des successeurs qui n’avaient pas son
envergure, apparaissait aux Languedociens comme une sorte
d’« impérialisme ». Privilégiant par réaction le terme occitan, un
mouvement concurrent du Félibrige allait donc désormais se
développer pour aboutir, en 1930, à la création à Toulouse de la
Société d’Études occitanes (S.E.O.), relayée en 1945 par
l’Institut d’Études occitanes (I.E.O.), tandis que le mouvement
lui-même était désigné sous le nom d’occitanisme.
Et curieusement, fascinés sans doute par la vitalité
linguistique et le patriotisme des Catalans, les occitanistes
allaient réintégrer le catalan dans leur concept de langue d’oc ou
d’occitan. Ainsi par exemple, en 1932, Catalonha etValencia
entraient dans la Carta dels Paises d’Oc reproduite ici en
Annexe I, p. 79; il est vrai qu’on n’y lisait ni “langue d’oc” au
singulier, ni “occitan”…
Pourtant, il fallait s’y attendre, les Catalans allaient encore
réagir : renouvelant leur prise de position de 1876 à l’égard du
Félibrige, un groupe important d’intellectuels, dont le
réformateur Pompeu Fabra, Pere Coromines et son fils Joan (qui
devait devenir un des plus grands romanistes contemporains – †
1997), avaient signé en mai 1934, un Manifest proclamant
l’indépendance du catalan face à l’occitan. Il leur importait de ne
plus être dits “occitans” car l’intercompréhension (plus ou moins
réelle) n’est pas un critère déterminant de l’unité de la “langue
d’oc” tandis que la renaissance de la langue et de l’identité
nationale catalanes ne pourrait se faire que sous leur nom propre
36
Langues d’oc, langues de France
de catalan (2); elle seule correspondait à la réalité des langues et
au besoin de la leur de s’afficher sous son nom pour s’affirmer et
revivre pleinement. N’y pouvant mais, le linguiste occitaniste le
plus en vue Louis Alibert (3) devait l’accepter officiellement.
L’année suivante, pourtant, obstiné (ou publiant sans les
revoir des textes rédigés avant le Manifest), Alibert invitait les
Languedociens à remplacer leurs gallicismes par des emprunts
« aux autres dialectes occitans, catalan compris » (Gramatica, p.
XXXVI de l’Introduccion) et affirmait sans ambages « La
langue d’Oc moderne présente trois systèmes de graphie : celui
de Mistral […], celui qu’ont employé Perbosc et Estieu dans
leurs œuvres, et, enfin, celui de l’Institut d’Études Catalanes…»
(p. 7).
Mais il notait aussi « Dans le groupe linguistique occitanoroman, dès les origines, le gascon et le catalan apparaissent
nettement différenciés. » (p. XIV p. de l’Introduccion) et
lorsqu’à la p. XVI, il comparait le languedocien « avec les autres
dialectes ou langues qui l’entourent », ces langues au pluriel ne
pouvaient être que le catalan et le gascon, le plus souvent
associés en d’autres passages du même ouvrage. C’était en fait le
reflet de l’opinion des linguistes les plus en vue.
4-2 – Pour les linguistes : 3 grands ensembles, gascon,
occitan et catalan
Nous utiliserons ici la présentation très classique du domaine
d’oc selon le Mémento grammatical du gascon (Birabent et
2
Aujourd’hui encore, cependant, des Valenciens voient dans le concept
large de “langue d’oc” un moyen d’échapper à l’hégémonie pesante du
Principat (région de Barcelonne); cf. L’Occitan n° 138, 1/2-99, p. 6.
3
Pharmacien audois (1884-1959) et linguiste amateur mais reconnu pour la
qualité de ses œuvres, auteur notamment d’une Gramatica occitana (Alibèrt,
1935) qui demeure l’ouvrage de référence du mouvement occitaniste.
Langues d’oc, langues de France
37
Salles-Loustau, 1989, p. 13); c’est nous qui avons marqué les
passages en gras) :
« Le gascon est avec l’occitan moyen et le catalan l’une des trois grandes
variétés de l’ensemble linguistique occitano-roman (les pays de langue d’oc)
qui s’étend approximativement de Bayonne à Monaco et d’Alicante à Limoges.
La Catalogne ayant connu à l’époque moderne une évolution particulière, ce
sont des considérations extra-linguistiques qui font actuellement réserver le nom
d’occitan à la langue des pays qui s’étendent de l’Atlantique aux Alpes et des
Pyrénées au Massif Central. En fait, par rapport à l’occitan commun (à base
languedocienne) l’originalité du gascon est au moins aussi marquée que celle
de la variété catalane (voir le « Que sais-je » de Pierre Bec : La Langue
occitane). […]
« Le gascon fut langue d’état jusqu’en 1620 […]. Il devait rester jusqu’à
la Révolution la langue des délibérations des États de Béarn et la langue des
Fors […], des coutumes, etc... […].
« C’est à partir du XVIe que le gascon devient une langue littéraire à
part entière […] ce qu’il est resté sans discontinuité jusqu’à nos jours. »
Pour ce qui est du catalan, les « considérations extralinguistiques » auxquelles il est fait allusion sont sans doute
celles que les Catalans exposaient dans leur Manifest évoqué
plus haut (§ 4-13, pp. 35-36). Le moins qu’on puisse dire est que
ces motifs ne sont pas tellement “extra-linguistiques”.
De fait, une étude comparative de 37 traits phonétiques,
morphologiques et même syntaxiques entre le gascon (représenté
par le béarnais classique), l’occitan (représenté par le
languedocien standard) et le catalan a permis de compter 31
traits qui opposent le gascon à l’occitan et seulement 27 au
catalan (cf. Lafitte, 1996, 1999). Pour l’intercompréhension entre
langues romanes, le Pr. Anthony Lodge (2002) considère que du
temps où les langues d’oc étaient d’usage généralisé, il existait
un continuum hiérarchisé en « zones d’intercompréhension
dégressive » : mettant le catalan, l’italien et l’occitan au centre
de son schéma — l’organisation du colloque par le Félibrige
justifiait ce point de vue — ce professeur renvoyait le gascon
38
Langues d’oc, langues de France
dans une première couronne, avec l’espagnol et le francoprovençal.
Aussi, pour tous les romanistes qui depuis plus de 120 ans se
sont intéressés au gascon, cet idiome a des traits si particuliers
qu’il doit être considéré comme un ensemble linguistique
distinct de l’occitan; on s’en convaincra facilement par les
citations de C. Chabaneau, A. Luchaire, J. Anglade, E. Bourciez,
C. Appel, G. Rohlfs, K. Baldinger, P. Bec, T. Buesa Oliver, J.
Allières, H. Walter, A. Martinet…(Annexe II).
Particulièrement significative est à cet égard la position prise
dans ce sens par P. Bec, Président de l’I.E.O. de 1962 à 1980,
lorsqu’il s’agit d’orienter la recherche occitaniste vers une
langue de référence; constatant, après J. Anglade (Annexe II, p.
80), que le gascon était trop différent pour qu’on pût l’inclure
dans cette recherche, il admit expressément qu’il constituait
« une langue très proche, certes, mais spécifique (et ce dès les
origines), au moins autant que le catalan » (Rapport approuvé
en 1972 par l’assemblée générale de l’I.E.O., et Bec 1973, p.
26). Mais il ne faisait que reprendre sous une autre forme ce
qu’il avait écrit dans le Que sais-je ? n° 1059 cité plus haut, et
notamment p. 8 : le « gallo-roman “occitan” (ou d’oc) ou
occitano-roman » est ainsi divisé :
«!occitan classique
«!gascon ) vers l’ibéro-roman!»
«!catalan )
Et encore, p. 46 et 52, où il reprend les termes de G.
Rohlfs en 1935 (cf. Annexe II) :
« Le gascon constitue, dans l’ensemble occitano-roman, une entité
ethnique et linguistique tout à fait originale, au moins autant, sinon
davantage, que le catalan ».
« Il est difficile […] de séparer le catalan de l’occitan si l’on
n’accorde pas le même sort au gascon […]. Il semblerait même que le
Langues d’oc, langues de France
39
catalan (littéraire du moins) soit plus directement accessible à un Occitan
moyen que certains parlers gascons comme ceux des Landes ou des
Pyrénées ».
Mais s’en tenir au seul avis des linguistes risque de faire une
trop grande place à l’abstraction savante, alors qu’une langue est
d’abord le moyen de communication d’une communauté
humaine. D’où l’importance de la sociolinguistique qui donne la
parole à cette communauté.
4-3 – Le point de vue sociolinguistique
On a vu au § 2-4, p. 19, que le pluriel « les langues d’oc » de
la circulaire Haby avait donné à l’occitaniste H. Giordan
l’occasion d’écrire que l’avis des linguistes ne suffisait pas pour
dire « que la référence à d’éventuelles langues d’oc est nulle et
non recevable. » Et de se référer au cas du corse, qui n’existerait
pas si l’on n’écoutait que les linguistes. Plus récemment le Pr.
Robert Lafont, bien connu comme sociolinguiste et occitaniste
affirmé, revenait sur ce thème (Lafont, 2000) : les Corses se
moquaient bien de l’avis des linguistes quand ils voulaient une
langue corse, et c’est eux qui avaient raison : « le linguiste doit
toujours s’incliner devant le socio-linguiste, et celui-ci devant la
décision des usagers ».
Or pour ce que le Pr. Bec appelle curieusement l’« occitan
classique », l’histoire a façonné le sentiment des populations
intéressées et limité de fait leur « conscience identitaire » à
l’étendue de leur vieille province; de telle sorte que lorsqu’ils
n’appellent pas leur langue autochtone « patois », ils la nomment
d’après le nom de cette province : auvergnat, limousin,
provençal, mais jamais « occitan ».
Le § 4-13, pp. 35-36, a montré l’insistance des Catalans pour
appeler leur langue sous son nom propre; il en est de même des
quelque 5 000 locuteurs du Val d’Aran qui appellent aranais
leur dialecte gascon. Et en 1989, J.-M. Sarpoulet, aujourd’hui
40
Langues d’oc, langues de France
responsable des langues régionales au Rectorat de Bordeaux,
pouvait écrire dans la revue occitaniste Amiras (n° 20, p. 52) :
« si nous sommes plus Ossalois ou Aspois que Béarnais, nous
sommes plus Béarnais que Gascons… (De toute façon,
l’Occitan, lui, est inconnu comme point du schéma
ethnique) ». En négatif, au terme de son contrat, le premier
directeur de l’Institut Occitan de Pau reconnaissait que sous ce
nom, l’Institut était ressenti comme étranger par les Béarnais et
Gascons (Sud-Ouest, 7 août 2003). C’est dire que rien ne
remplace une telle marque identitaire pour attacher une
population à sa langue héréditaire.
Pour ce qui est du béarnais, l’Annexe III, p. 86, montre qu’un
usage bien établi depuis plusieurs siècles et toujours vivant
légitime son nom, sans aller jusqu’à l’isoler du gascon.
Pour les autres langues d’oc, que peut nous dicter la
démarche sociolinguistique ? Nous pouvons partir des deux
listes en cours dans l’administration, celle, règlementaire, des
arrêtés “Éducation nationale” du 15 avril 1988, puis 6 janvier
2003, 13 janvier et 31 décembre 2004 (cf. § 2-7, p. 26) et celle,
simplement indicative, du rapport de B. Cerquiglini de 1999, sur
lequel nous reviendrons plus loin (§ 5-7, p. 59); hormis gascon
et catalan, cela donne :
Éducation nationale
B. Cerquiglini
(CNRS, puis Culture)
langue d’oc auvergnat
auvergnat-limousin
langue d’oc languedocien
languedocien
langue d’oc limousin
langue d’oc nissart
langue d’oc provençal
provençal
langue d’oc vivaro-alpin
alpin-dauphinois
Ces listes s’accordent sur languedocien et provençal, sauf à
alléger la première du préfixe « langue d’oc », car on ne dit ni
« germanique alsacien » ni « celtique breton ».
Langues d’oc, langues de France
41
Mais en groupant auvergnat et limousin, B. Cerquiglini se
réfère à la proximité des parlers qui en relèvent; pourtant, on
imagine mal qu’un locuteur dise « je parle auvergnatlimousin »…
Pire encore sans doute serait l’appellation niveleuse de
« nord-occitan » que d’aucuns voudraient imposer, non sans
arrière-pensées politiques. Certes, ces deux langues vivent en
assez bonne intelligence (la partie est de la Creuse est de langue
auvergnate). Mais si des parentés proches ont existé jadis, elles
se sont distendues et les deux langues ont divergé : le limousin
est tourné vers l’ouest et le sud-ouest, alors que l’auvergnat
regarde vers le nord et vers l’est. C’est dire que ces deux langues
se tournent le dos à cause surtout de leur cadre géographique.
Plus généralement, l’étude attentive du lexique et de la
phonétique singulière de l’auvergnat montre que pour peut-être
les trois quarts, l’auvergnat diffère passablement des autres
langues d’oc.
Un trait sociolinguistique important qui l’oppose fortement à
son voisin du sud le languedocien, c’est en effet d’avoir été
continument au long des siècles en première ligne face à la
pénétration de la langue française en direction du sud. Aux
portes septentrionales de l’Auvergne, cette langue a englouti peu
à peu le Berry et une bonne partie du Bourbonnais dont les
parlers d’origine étaient plus proches des langues d’oc que de
celles d’oïl. Il existe en effet un vaste secteur central en France
où l’on identifie sans peine, grâce aux noms de lieux sur les
cartes, un domaine linguistique plus ou moins assimilable à ce
qu’est l’auvergnat d’aujourd’hui. À ce titre, l’auvergnat peut être
considéré à la fois comme survivant là où d’autres, ses cousins
très proches du nord, ont péri, et comme résistant.
Pour bien résister et survivre, cette langue a donc dû
composer avec un intrus, le français, pressant et envahissant.
42
Langues d’oc, langues de France
Elle lui a emprunté au besoin de nombreux traits, qu’elle a
acclimatés avec souplesse, et elle a emprunté de même au
franco-provençal avec qui il lui a fallu aussi cohabiter à l’est. Il
n’est pas douteux que la morphologie de l’auvergnat autant que
sa prononciation singulièrement relâchée en ont fait un bon
instrument d’assimilation. Souplesse et robustesse ont assuré le
succès d’une résistance qui fut paradoxalement source
d’enrichissement.
Langue résistante, l’auvergnat est de fait une langue de
transition, langue-charnière entre les versants oïl et oc; au point
qu’on aurait de bonnes raisons de le considérer sous le jour
d’une langue métisse — ou métissée — qui a su faire son miel
d’apports divers, tout en conservant un fond à la fois solide,
réceptif et élastique, propre à porter à la réussite toutes les
adoptions.
On doit donc conserver la distinction entre auvergnat et
limousin.
Du vivaro-alpin et nissart de l’Éducation nationale et de
l’alpin-dauphinois de B. Cerquiglini, l’étude présentée en
Annexe IV, p. 92, nous conduit à penser que ce sont des
subdivisions du provençal “classique” et qu’il vaut mieux s’en
tenir au seul provençal, déclaré “polynomique”.
Cependant, tout le monde n’est pas linguiste ou
sociolinguiste, et les expressions unitaires courantes de « langue
d’oc » ou « occitan » vont permettre une véritable entreprise
d’élimination sournoise de toutes les variétés autres qu’un certain « occitan standard » défini à partir du languedocien : c’est
toute l’équivoque de l’occitanisme, la manœuvre occitaniste.
Langues d’oc, langues de France
43
5 – La manœuvre occitaniste
5-1 – Le credo occitaniste : prime à l’idéologie
La conception linguistique tripartite du domaine occitanoroman est (ou a été) celle de linguistes occitanistes notoires —
dont le “maitre” Alibert lui-même, suivi par P. Bec et J. SallesLoustau, cf. § 4-2, p. 36 — et dans une certaine mesure celle de
J. Sibille, président de l’I.E.O.-Paris, qui admettait en 1992 le
principe d’une norme d’écriture « auto-centrée » pour le gascon
(Guillorel et Sibille, 1993, p. 296); elle a même été rappelée plus
d’une fois dans des courriers de lecteurs de la revue occitaniste
de Béarn-Gascogne, Per noste. Mais elle a l’immense
inconvénient de priver de son fondement linguistique l’unité du
territoire de l’Occitanie rêvée (cf. § 5-2, pp. 45-49).
Aussi, en 1996, l’exposé de cette conception dans la brochure
Le gascon, langue à part entière… (Lafitte, 1996) a suscité,
outre quelques anathèmes, une série d’échanges courtois publiés
par Estudis occitans, revue d’études de l’I.E.O. dirigée par M.
Sibille (J. Sibille, 1996; J. Lafitte, D. Sumien et J. Sibille, n° 22 2nd sem. 1997, pp. 15-38).
Grâce au critère de l’intercompréhension, notamment, D.
Sumien compte treize langues romanes dont l’occitano-catalan
— les Catalans peuvent apprécier… —, tandis que, pour J.
Sibille,
« vu que l’intercompréhension ne peut pas être un critère objectif, il
n’y a aucune raison de dire que le gascon est ou n’est pas un dialecte de
l’occitan. Dire que le gascon n’est pas un dialecte occitan est une prise
de position idéologique, dire le contraire en est une aussi. Et de même
pour le catalan ».
M. Sibille est donc logique avec lui-même lorsqu’il entend
clore le débat par cette phrase lapidaire que nous jugeons inutile
de traduire :
44
Langues d’oc, langues de France
« LO GASCON ES UN DIALECTE OCCITAN
PERQUÉ LOS GASCONS SON OCCITANS »
La boucle est donc bouclée :
• parce qu’il y a intercompréhension, la langue est unique;
• parce que la langue est unique, tous ceux qui la parlent (ou
vivent sur un territoire où elle est/était parlée) sont des Occitans;
• mais finalement, peu importe qu’ils se comprennent ou
non : parce qu’ils sont Occitans, leur langue est de l’occitan.
Mais le sociologue Pierre Bourdieu (1982, p. 140) avait déjà
dénoncé cette manipulation :
« Le fait d’appeler “occitan” 5 la langue que parlent ceux que l’on
appelle les “Occitans” parce qu’ils parlent cette langue (que personne ne
parle à proprement parler puisqu’elle n’est que la somme d’un très grand
nombre de parlers différents) et de nommer “Occitanie”, prétendant ainsi
à la faire exister comme “région” ou comme “nation” (avec toutes les
implications historiquement constituées que ces notions enferment au
moment considéré), la région (au sens d’espace physique) où cette
langue est parlée, n’est pas une fiction sans effet 6.
« 5 L’adjectif “occitan”, et, a fortiori, le substantif “Occitanie” sont des
mots savants et récents (forgés par la latinisation de langue d’oc en lingua
occitana), destinés à désigner des réalités savantes qui, pour le moment au
moins, n’existent que sur le papier.
« 6 En fait, cette langue est elle-même un artefact social, inventé au prix
d’une indifférence décisoire aux différences, qui reproduit au niveau de la
“région” l’imposition arbitraire d’une norme unique contre laquelle se dresse le
régionalisme et qui ne pourrait devenir le principe réel des pratiques
linguistiques qu’au prix d’une inculcation systématique analogue à celle qui a
imposé l’usage généralisé du français. »
De même, dans la perspective de la reconnaissance du seul
occitan pour le Midi roman de la France, l’historien Jean Favier,
de l’Institut, devait écrire (Le Figaro, 17 septembre 1999,
Opinions) :
« …c’est oublier que l’occitan est une construction politique, et que
d’Arles à Limoges et Bordeaux en passant par Toulouse, vingt parlers
d’Oc à la riche histoire font pendant aux parlers d’Oil que sont le
Bourguignon, le Picard ou le Normand. »
Langues d’oc, langues de France
45
Que des personnes intelligentes et instruites se prêtent à une
telle manipulation a de quoi surprendre; à moins de considérer,
avec le Pr. J.-P. Chambon, directeur du Centre d’études et de
recherches d’oc de la Sorbonne (C.E.R.Oc), que la linguistique
occitaniste a cette particularité unique dans la discipline d’être
marquée par une sorte « de porosité ou de coalescence […] entre
le champ militant et le champ scientifique. Les connaissances
scientifiques sur l’occitan courent donc le risque d’être
brouillées ou déviées par les préjugés qui se produisent et qui se
reproduisent sans cesse sur le terrain du renaissantisme. »
(Chambon, 2003, p. 5).
Il convient donc d’éclairer cet aspect militant, et, disons-le
avec Jean Favier, politique.
5-2 – Les aspirations politiques de l’occitanisme
La renaissance catalane, linguistique d’abord, politique
ensuite avec un paroxysme sous la République (1931-1936) a
toujours fasciné les défenseurs de la langue d’oc (ici au singulier
et incluant le catalan), même Frédéric Mistral et les Félibres. Peu
importe que 500 ans séparent la suppression des privilèges
catalans par le premier Bourbon Philippe V de la chute de
Toulouse aux mains des Croisés du nord; peu importe que
Madrid n’ait jamais eu sur la riche Barcelone la prépondérance
de Paris sur Toulouse et toutes les villes de France; peu importe
que la tradition centralisatrice de la France rende improbable
l’avènement d’une constitution fédérale dans un avenir
envisageable : le fédéralisme semble le minimum de ce que
souhaitent nombre de ceux qui sont engagés dans le mouvement
occitaniste, le maximum étant tout simplement une Occitanie
séparée de la France (du nord), par exemple dans le cadre d’une
future Europe fédérale.
46
Langues d’oc, langues de France
L’un des thèmes favoris de la propagande occitaniste consiste
justement à affirmer la « dimension européenne » de
l’« Occitanie », et à discréditer de ce fait toute division du
domaine d’oc selon chacune des langues qui le composent : il
n’y a qu’un seul occitan, l’« Occitanie » est « une et indivisible »
comme la République française, et ceux qui demandent la
reconnaissance des langues d’oc sont des passéistes repliés sur
leur « dialecte local », leur « folklorisme de clocher » (cf. § 2-4,
p. 19).
C’est pourtant ignorer, ou feindre d’ignorer que bien des
« régions » d’Europe ont des superficies très inférieures à celles
des cinq “païses d’òc” français de la carte occitaniste de 1932
(cf. Annexe I, p. 79), domaines des cinq langues d’oc dénombrées plus haut au § 4-3, pp. 39-42. Par exemple, la Gascogne
linguistique couvre quelque 42 500 km2, alors que le domaine
catalan (“Principat” de Catalogne, Andorre, Baléares, est
aragonais et Roussillon français) en compte un peu moins, avec
41 500 km2; l’aire provençale est du même ordre, et la
languedocienne doit en faire quelque 60 000; et si Auvergne et
Limousin sont plus petits, la carte montre qu’ils le sont moins
que le pays valencien. Quant aux régions considérées en dehors
de toute référence linguistique, celles que l’Histoire a dessinées
dans les quatre grands États de l’Europe continentale de l’ouest
s’échelonnent selon des éventails variés, de la plus petite à la
plus grande : en France même, des 8 280 km2 de l’Alsace aux
45 348 de Midi-Pyrénées; en Allemagne, des 2 750 km2 de la
Sarre aux 70 456 de la Bavière; en Espagne, des 5 034 km2 de la
Rioja aux 87 268 de l’Andalousie, la plus grande région
européenne; en Italie enfin, des 3 262 km2 de la Vallée d’Aoste
aux 27 708 de la Sicile.
Au demeurant, le breton ne s’étend que sur 27 000 km2, le
basque, sur 20 500, partie espagnole comprise, et le corse, sur à
Langues d’oc, langues de France
47
peine 8 680. N’est-ce pas mépriser ces langues et leurs locuteurs
que de faire accroire qu’une langue n’aura un domaine d’échelle
européenne que s’il atteint les quelque 190 000 km2 de la
prétendue « Occitanie » ?
Dans les faits, d’ailleurs, cette grande « Occitanie » d’est en
ouest est sérieusement compromise par l’alliance économique
qui vient de lier, à la fin de décembre 2004, ses deux régions
“centrales” de France, Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées,
aux régions nord-est de l’Espagne, Catalogne et Aragon. Là
aussi, on parle de grande région européenne, mais les autres
régions d’oc sont implicitement invitées à chercher ailleurs leurs
partenaires.
En tout cas, nombreuses sont les cartes qui affichent
l’« Occitanie » rêvée, comme celle publiée à la une d’Aquò
d’Aquí de mai 1998 (voir Annexe V, p. 99) : au nord d’une ligne
sinueuse Bordeaux-Grenoble, les Français; au sud, les Occitans,
les Basques et les Catalans.
Cette carte et les articles qui l’accompagnaient semblent
d’ailleurs n’être qu’une des manifestations d’une sorte de fièvre
occitaniste provoquée par l’intérêt que le Gouvernement portait
alors aux langues régionales et à la Charte.
De même, des militants allaient orner les murs de Pau
d’affichettes disant en anglais, en espagnol et peut-être d’autres
langues « Ici, ce n’est pas la France, c’est l’Occitanie ». On en
voyait encore au début d’Avril 1999… Étrange façon de
marquer, dans la ville d’Henri IV, le quatrième centenaire de
l’Édit de Nantes qui établit la paix religieuse et refit l’unité du
Royaume !
Ou encore, après avoir constaté que cette « Occitanie », non
moins “évidente” que l’occitan qui la sous-tend, n’a jamais
existé politiquement (sa réunion actuelle sous un même
drapeau — celui de la France — étant l’œuvre patiente de nos
48
Langues d’oc, langues de France
Rois, puis de Napoléon III pour Nice), le Pr. Patrick Sauzet
concluait ainsi un éditorial du Bulletin de l’Institut occitan de
Pau (octobre 1998) : « C’est parce qu’il n’y a jamais eu
d’Occitanie qu’il est intéressant de la faire. »
Et si le franchissement de la frontière italienne par le provençal nous incite à jeter un coup d’œil chez nos voisins, il y a de
quoi s’inquiéter sur l’idéologie de l’« Occitanie » promise. On
sait en effet que le Parlement italien a adopté le 25 novembre
1999 une loi nationale relative aux langues minoritaires (n°
482/99) et que c’est “l’occitan” et non le “provençal” qui a été
retenu.
La raison en serait qu’après enquête auprès d’associations
culturelles, “langue occitane” représente la modernité tandis que
“langue provençale” représente le passéisme. Soit ! Il serait vain
en effet de discuter les appréciations subjectives qui font trouver
l’« occitan » moderne, avec sa graphie médiévale complexe et
anachronique, et passéiste le provençal dont la graphie moderne
est directement accessible aux locuteurs, comme on le verra plus
loin (§ 5-3, p. 49)
Toujours est-il qu’un an après, stimulés par cette
reconnaissance législative, les occitanistes italiens obtenaient de
l’Assessorat à la culture de la région Piémont la publication d’un
manuel intitulé Valadas Occitanas e Occitània granda et diffusé
gratuitement dans les écoles des vallées provençales. Sous une
présentation attractive, c’est une apologie de l’ethnisme de
François Fontan (p. 89), Français fondateur du Parti nationaliste
occitan, décédé dans ces vallées en 1979 : il y a une « langue
occitane » et « c’est pour cela qu’on peut parler de peuple et de
nation occitane. » (p. 41). Et en 2001 à Roccavione, à la 2ème
“Fête occitane de la loi”, le Pr. « Robert Lafont, icône du réveil
occitan contemporain, [par] son “Merci François Fontan”,
philosophe des théories ethnistes […] a recueilli les
Langues d’oc, langues de France
49
applaudissements du public [au souvenir] de ce farouche
rebelle… » (compte-rendu de la fête in Quaderni della Regione
Piemonte, Montagna n° 26).
Sur invitation de l’Union Provençale Transalpine, le Pr.
Philippe Blanchet a donc fait une étude critique du manuel des
Vallées, étude largement diffusée aux autorités publiques
italiennes et françaises. Il y montre les multiples travestissements
de l’histoire : ainsi, Vercingétorix y est « le premier martyr de la
résistance occitane » (alors que l’« occitan » est né de la
conquête romaine !) et Blaise Pascal, un philosophe occitan, etc.
Et de dénoncer un manuel qui « contribue à diffuser de façon
insidieuse des références idéologiques et des idées politiques
inadmissibles. »
Cela montre en tout cas qu’avec de tels objectifs politiques,
les occitanistes acheminent, consciemment ou non, l’enseignement de l’occitan multiple vers un occitan unique.
5-3 – De la normalisation orthographique à la normalisation
linguistique
À l’origine, certes, l’occitanisme était essentiellement culturel
et reconnaissait pleinement la diversité des “dialectes d’oc”; en
témoigne la carte de 1932 (Annexe I, p. 79). La seule unification
mise en œuvre était celle du système orthographique à partir de
celui qu’Alibert avait préconisé pour le languedocien — toujours
lui —, suivant en cela l’exemple donné par l’ingénieur Pompeu
Fabra pour le catalan (cf. § 4-13, p. 35).
C’était parfaitement admissible, et même souhaitable, dans la
mesure où ce système serait adapté à la phonologie propre des
divers parlers, de telle sorte que le code orthographique ait « les
deux qualités que l’on peut [en] exiger : son exactitude (la forme
écrite de la langue doit permettre de restituer sa forme orale
naturelle sans se tromper) et sa simplicité (l’opération
50
Langues d’oc, langues de France
d’encodage-décodage ne doit pas être trop lourde). » (Pr. R.
Lafont, 1971, p. 11). Mais une telle fidélité aux langues parlées
se heurterait vite à l’orientation donnée par Alibert dès 1935
(Gramatica, p. XXXIV) :
« Aujourd’hui, l’évolution du Félibrige vers un occitanisme plus
efficace met en évidence la nécessité d’unifier tous les dialectes pour
rendre possible l’enseignement dans les écoles et la vie d’une littérature
nationale occitane. »
Et cette orientation était toujours d’actualité en 1990, quand
Patrick Sauzet (1990, p. 39), déjà cité, écrivait en insistant :
« …la graphie n’est pas, contrairement à ce que pensent certains,
indépendante de l’entreprise totale de normalisation linguistique.
« J’affirme donc d’emblée la thèse suivante : la graphie occitane
s’intègre à un projet global de normalisation linguistique. »
On comprend alors que l’adaptation de l’écrit à la langue
parlée n’ait pas été le souci premier des grammairiens
occitanistes. Certes, selon le second des « principes […] intangibles […] sur lesquels se base […] le système » orthographique
de l’I.E.O., « Cette orthographe sera en principe phonétique pour
les mots de formation populaire » (La réforme linguistique…,
1950, p. 2). Mais c’est une “phonétique” qui fait appel aux
« notations empruntées en grande partie à notre ancienne
langue » (premier principe, ib.). On pense inévitablement au
programme orthographique de la jeune Académie française,
selon les Cahiers de Mézeray : « La Compagnie déclare qu’elle
désire suivre l’ancienne orthographe qui distingue les gens de
lettres d’avec les ignorans et les simples femmes… » (cité par
Nina Catach, 1988, p. 32).
Or pour répondre aux exigences de simplicité justement
formulées par R. Lafont, de telles “notations” à l’ancienne
supposent que l’« ancienne langue » se prononçait comme celle
d’aujourd’hui. Mais « l’évolution [des langues] est un universel
Langues d’oc, langues de France
51
[et donc] la langue occitane ne peut avoir la propriété
merveilleuse de se maintenir » (J.-P. Chambon, 2003, p. 3).
Il en résulte que même en languedocien, pour lequel pourtant
a été établi le système de l’I.E.O., la restitution de l’oral à la
lecture demande déjà un sérieux apprentissage, hérissé de listes
d’exceptions à apprendre, comme celles données par L’occitan
modèrne de J. Taupiac (2001, pp. 101-109).
Pour le gascon, l’étude historique de sa phonologie montre
que sa prononciation a nettement évolué dans le temps, et que si
les graphies médiévales différaient des graphies modernes, ce
n’est pas parce qu’elles étaient indépendantes du français
(repoussoir), mais parce qu’elles reflétaient une prononciation
différente de l’actuelle (cf. Lafitte, 2003-3). Ainsi, une erreur de
linguistique diachronique oblige à apprendre un code complexe
de lecture moderne de graphèmes médiévaux; c’est rigoureusement contraire à toute saine pédagogie.
Pratiquement, donc, on en arrive à ceci, que, sur ses 55
numéros de 1993 à 2002, la revue occitaniste Per Noste-Païs
gascons n’a publié que 19 éditoriaux en gascon contre 34 en
français, sans doute pour être plus sûre d’être lue et comprise par
les abonnés; à la fin de sa vie, le poète Roger Lapassade (†
1999), fondateur de cette revue, en était réduit à traduire en
français ses poèmes béarnais écrits en graphie occitane pour les
rendre lisibles aux locuteurs naturels; et la complexité
orthographique n’est probablement pas étrangère au fait qu’une
professeur des écoles, enseignante en “occitan” dans quatre
établissements privés de Pau, déclare que les cours de troisquarts d’heure hebdomadaires par classe « se déroulent sur un
mode ludique et exclusivement oral » (« Portar la bona
paraula », rencontre avec Marthe Laulhé, La République des
Pyrénées, 3 mars 2005) : ou l’on se perd dans l’enseignement
52
Langues d’oc, langues de France
d’une graphie savante et anachronique, ou l’on retombe dans le
“tout oral”, comme le bon vieux “patois” si décrié.
Au nord du domaine d’oc, les problèmes ne sont pas
moindres, notamment du fait que le système languedocien n’a
jamais été adapté à l’auvergnat; alors, faute de norme officielle,
l’Auvergnat occitaniste écrit comme il sent pouvoir transposer la
norme, voire la simple pratique languedocienne. Ainsi, rendant
compte du livre de Joan-Pèire Baldit Les parlers creusois (I.E.O.
& F.O.L. de Creuse, 1980, 43 p.) dans la revue plutôt occitaniste
Aicí e ara (n° 9, novembre 1980, p. 60), un certain Carles
Delalenga faisait la remarque suivante :
« Ici, cependant, nous sommes bien forcés de constater (et Baldit n’y
est pour rien) que les règles alibertines ne se plient pas du tout à la réalité
du nord-occitan, et du marchois encore moins ! Pour preuve les
exemples qu’il cite : “aiga”, “paire”, “chamin”, “plaça”, “laissar”, “eu
estàia” (lang. : èra), “eu aimerà”, et qui se prononcent : èg (ou èdj), pèr,
shmin (avec nasale), piaç, iessà, ò etai, ò eimër.
« Le problème est plus grave qu’il ne semble : les Auvergnats,
Limousins et Marchois, quand ils écrivent, changent de dialecte en
adoptant une norme sud-occitane. Il serait plus clair de le dire en toutes
lettres, plutôt que d’essayer de faire croire que “chacun doit prononcer
selon son parler coutumier” : cela ne se peut pas.
« Il semble pourtant que le respect des règles essentielles de
l’orthographe “normalisée” pourrait s’accompagner du respect des
caractéristiques phonétiques de base des parlers nord-occitans. Cela ne
plairait pas aux centralistes languedociens (et il y en a !), mais aiderait
grandement à la renaissance occitane dans des pays où le culte de la
norme sudiste l’a un peu entravée jusqu’ici. Il s’agit simplement de
trouver le point d’équilibre entre l’affirmation de l’unité de la langue et
le respect des dialectes ».
De toute façon, l’incompétence, voire la cuistrerie, de
quelques-uns fait souvent passer subrepticement de la normalisation orthographique à la normalisation linguistique. En un mot,
pour reprendre une plaisanterie courante, on écrit vasistas et on
doit lire fénestroun.
Langues d’oc, langues de France
53
5-4 – Premier pas : un “occitan standard” ajouté aux
“dialectes”
Or au moins depuis 1968, cette tendance à l’institution d’un
occitan standard à base de languedocien semble s’être
radicalisée, probablement par suite d’un durcissement de
l’orientation politique. Dans un premier temps, cependant, le
linguiste occitaniste J. Taupiac (1977, p. 14) se bornait à
souhaiter que Gascons et Auvergnats apprennent l’occitan
standard en plus de leur parler propre; on voit l’utopie, quand
on sait à quel point il est déjà difficile de bien apprendre ce
parler. De fait, lors d’un récent colloque, Nicolas Quint
(LLACAN-CNRS) pouvait dire (2000, p. 65) :
« J’ai personnellement rencontré plusieurs intellectuels nonlanguedociens (Gascons, Limousins, Alpins) qui avaient même fait
l’effort d’apprendre à parler et à écrire cet OLL [Occitan Languedocien
Littéraire], qui est aujourd’hui de fait la principale koinè pan-occitane. »
« plusieurs intellectuels », ce n’est pas un peuple de
locuteurs, et le théoricien du gascon à l’occitane, M. Grosclaude,
pouvait donc écrire de bonne foi, en 1979 :
« Faut-il […] ériger ce Languedocien central en dialecte privilégié
qui progressivement supplanterait les autres dialectes et viser une langue
occitane unifiée et uniformisée ? Je ne pense pas qu’il existe beaucoup
de gens dans le mouvement occitaniste pour soutenir ce point de vue. »
(E se disèvam : “pro !”, Per noste n° 72, 5/6-79, p. 5).
5-5 – Le but final : l’occitan unique
Mais le “centralisme languedocien” va s’affirmer de plus en
plus, comme le constate Henri Jeanjean (1992), professeur dans
une université australienne, membre de l’Association internationale d’études occitanes :
« A partir du phénomène du vignoble languedocien, nous avons vu
qu’il y avait une réduction des problèmes politiques et sociaux de
l’Occitanie à la seule région Languedoc. Ce que certains ont appelé le
centralisme ou même “l’impérialisme languedocien” en matière politique
54
Langues d’oc, langues de France
se retrouve dans le secteur culturel et, là aussi, de nombreuses erreurs ont
été commises qui ont aliéné de nombreux occitanistes et ont contribué à
un éclatement de l’action culturelle et donc à une perte de son impact
possible. […]
« On va se moquer des accents et des particularismes gascons ou
auvergnats. “Il n’est bon bec qu’à Paris” se retrouve transformé en “il
n’est bon bec qu’à Béziers, ou à Montpellier. »
« À vouloir à tout prix créer une Occitanie une et indivisible sur le
modèle français, par ailleurs tant décrié, les différences culturelles
régionales ont été artificiellement gommées. »
Et les faits confirment :
Le Parti occitan, essentiellement languedocien, affiche le
slogan « Une langue, un peuple, un pays »; pas de peuple unique,
pas de pays, sans langue unique.
Dans l’hebdomadaire La Setmana (n° 188, 14 janvier 1999, p.
6), un journaliste anonyme s’insurgeait, en occitan standard,
contre le rappel par le Ministère de l’Éducation nationale de
l’obligation pour les candidats au baccalauréat de mentionner,
pour l’épreuve facultative d’occitan, le dialecte choisi parmi les
sept de l’arrêté de 1988 : « L’enfermement institutionnalisé !
Une volonté évidente d’émietter la langue occitane. […] Nous
revenons à la préhistoire […]. » (4) Et d’ajouter au procès
d’intention un amalgame avec les thèses du Front national
(qu’on ne nomme pas, mais qu’on laisse deviner au lecteur) et
l’injuste mise en cause d’un Ministre qui avait fort
chaleureusement exprimé sa faveur pour l’occitan dans le
Bulletin de l’Institut occitan de Pau, février 1998.
Au plan concret, M. Taupiac déjà cité, responsable linguistique de l’I.E.O. et naguère vice-président de feue l’association
Conseil de la langue occitane, n’hésitait pas à consacrer une de
4
Paradoxalement, pour répondre à l’attente de son public, l’éditeur de cet
hebdomadaire publie une revue pour enfants, Plumalhon, en trois versions,
gasconne, languedocienne et provençale.
Langues d’oc, langues de France
55
ses chroniques « L’occitan blos » (L’occitan pur) au rejet d’un
tour syntaxique gascon « minjar carn » (mot à mot, “manger
viande”) : en cela, le gascon fonctionne comme le latin, le
catalan et le castillan, mais non comme l’occitan standard et le
provençal « manjar de carn ». Et de conclure :
« L’occitan-standard n’est pas un occitan meilleur que le gascon, le
limousin ou l’auvergnat. Mais c’est un indispensable occitan moderne et
fonctionnel qu’on ne peut forger sur un autre dialecte que le
languedocien. Il faut choisir : en occitan de Gascogne Que mingi pan; en
occitan-standard Mangi de pan. » (L’Occitan n° 145, mars-abril 2000;
traduit de l’occitan).
Les Gascons sont donc sommés de choisir, et bien entendu,
de le faire comme M. Taupiac lui-même, Gascon de souche, qui
ne s’exprime plus qu’en occitan, même pour semoncer les
Gascons… Mais il a au moins le mérite de la franchise.
Bien plus dangereuse sans doute est la subversion insidieuse
des parlers non-languedociens par l’envahissement d’ouvrages
didactiques occitans, rédigés en occitan standard, et que les
jeunes non-languedociens sont appelés à utiliser dans le cursus
scolaire d’« occitan ». Particulièrement éclairant est le
témoignage de M. Éric Astié, professeur certifié d’occitan à
Langon :
« Après 6 ans d’enseignement en collège et lycée, j’aimerais faire un
constat. Les étudiants ont besoin d’un dictionnaire fr/oc, référence qui
les guide et les rassure. À Langon, j’en exige un, les lycéens le savent et
celui qu’ils utilisent le plus spontanément est la Palanqueta (CRDP
Toulouse, [occitan languedocien (standard)] double sens version et
thème, 120 F). Quelques uns se servent de la Civada (Per noste, fr-oc
gascon, 60 F) et d’autres du Lauç (I.EO 81, fr-oc languedocien). […]
« Le constat est l’apparition d’une forme d’occitan évolutive : ces
générations qui découvrent la langue sur les bancs des écoles mêlent tout
cela joyeusement. Leur écrit est le fruit d’une union gasconlanguedocienne, décomplexée. Même s’ils savent que leur pays est
gascon, ils s’élaborent un gascon original.
56
Langues d’oc, langues de France
« Autoriser, interdire, tolérer, encourager l’usage de tel ou tel
dictionnaire, telle ou telle forme de langue ? » (Lenga e Païs d’oc, revue
pédagogique officielle du C.R.D.P. de Montpellier, n° 35, 1999, p. 43;
traduit du gascon).
Adieu donc à la langue effectivement pratiquée !
Ainsi s’est révélé au grand jour le but de l’occitanisme,
longtemps plus ou moins occulté par un discours qui se voulait
rassurant. Si quelqu’un en doute encore, qu’il nous suffise de
citer la présentation par le mensuel occitaniste de Provence Aquò
d’Aquí de juin 2001 d’un long et vigoureux article du Pr. Robert
Lafont :
« Le message adressé aux Provençaux par le plus grand écrivain provençal
vivant est en occitan “futuriste”, c’est à dire en languedocien : une page se
tourne ! […] En ce début du 21ème siècle, la France est morte : Vive
l’Europe et l’Occitanie ! »
5-6 – Retour au vieux péché de l’École : éliminer les
“patois” ?
Or il va se trouver une certaine École publique, oublieuse de
la loi Deixonne relative à l’enseignement des langues et
dialectes locaux, pour être l’instrument de cette subversion
linguistique, aggravée de francisation par rejet de la langue
parlée; ainsi, un militant oppose un jeune locuteur qui a su se
mettre à l’écoute des anciens à un enseignant qui, parti d’une
langue bien enracinée, a trouvé à l’université et dans son métier
une nouvelle langue prononcée à la française et polluée du
calque linguistique de toutes les expressions françaises à la mode
(L’Occitan, n° 139, 3/4 1999).
Formée à l’idéologie française d’une langue unique et
régentée par l’Académie, cette École ne peut accepter la
diversité dialectale; ainsi, M.-J. Verny, professeur au lycée de la
Camargue de Nîmes et chargée de cours à l’université Paul
Valéry à Montpellier, syndicaliste SNES, Una experiéncia
Langues d’oc, langues de France
57
d’ensenhament de l’occitan dins l’acadèmia de Montpelhièr,
Reclams 1995 - 4/5/6, p. 75 :
« Que peut penser un responsable syndical national – ou un
technicien employé par le ministère ! – quand il se trouve face à des
interlocuteurs revendiquant des particularismes locaux, de graphies
spécifiques à tel ou tel parler ? »
Cela peut expliquer que M. Salles-Loustau, devenu chargé de
mission pour la culture occitane, puis pour les langues régionales
au ministère de l’Éducation nationale et promu inspecteur
général, abandonne en quelque sorte le gascon ancestral, objet de
son Mémento grammatical de 1989 (cf. § 4-2, p. 36) pour ne plus
promouvoir que l’occitan languedocien standard. Ainsi, dans une
interview donnée ès-qualité à Pau en mars 1995, il joue
remarquablement sur les mots : pour compter 6 millions (5) de
personnes qui « comprennent l’occitan » et justifier l’importance
de l’affaire qu’il défend, l’occitan couvre tous les parlers d’oc;
mais quand il s’agit de ce que l’on va enseigner dans les classes
bilingues, la langue parlée en Béarn n’est plus qu’un patois, en
voie de disparition parce que les mères ne le transmettent plus à
leurs enfants; or à l’école, « On n’est pas là pour enseigner le
patois, le patois est mort, c’est l’occitan qui reste ». Mais cela
dit, qui sera demandeur d’un tel enseignement ? Pas ceux qui
savent encore ce qu’est la langue du Béarn, mais des parents de
« catégories socio-professionnelles [nouvelles] : ingénieurs,
cadres supérieurs, professions libérales, pour la plupart d’entre
eux. Et c’est grâce à ces catégories sociales que l’occitan est en
train de gagner ses lettres de noblesse ».
Et lorsque la pression populaire aboutit à la création par le
département des Pyrénées-Atlantiques d’un centre culturel qui
sera à Pau le pendant de l’Institut culturel basque de Bayonne,
5
Chiffre mythique en la matière, nous a-t-on dit, car c’est celui des Catalans
comme des Danois, par exemple, dont nul ne conteste les langues…
58
Langues d’oc, langues de France
M. Salles-Loustau réussit à en faire un Institut occitan dont il est
élu Président. Il y confirme son orientation, publiant notamment
un Bulletin qui ne parlait que d’occitan et paraissait en deux
éditions, française et occitane (presque exclusivement en occitan
standard). Outre que c’est frustrant pour les contribuables du
département dont bien peu se croient “occitans” (cf. § 4-3, pp.
39-40), c’est la parfaite démonstration de l’inanité des thèses
occitanistes : d’une part, l’intercompréhension, ciment de la
langue d’oc unique ou occitan, n’existe pas, puisque les Occitans
(les vrais occitanophones) que l’on veut toucher ne comprendraient pas des articles écrits en gascon de Pau ou d’ailleurs,
mais seulement l’occitan convenu entre eux, le languedocien
standard; d’autre part, on n’a cure de faire vivre la langue
ancestrale du Béarn, ravalée au rang de patois.
Le 8 juin 1999, J. Lafitte a loyalement communiqué ces
critiques à M. Salles-Loustau pour lui permettre de lui porter
contradiction ou demander des amendements. Il n’en a pas eu de
réponse écrite, mais a cru en voir une implicite dans son
intervention publique à la table ronde terminant, le samedi 12, le
Colloque Langues et cultures “régionales” de France organisé
en Sorbonne. S’agissant de l’enseignement de ces langues et
parlant ès qualités, M. Salles-Loustau a réaffirmé sa position,
disant en substance : avec la Charte européenne, on passe des
langues et dialectes locaux [que visait la loi Deixonne] à des
langues régionales pour des régions de dimension européenne
comme l’« Occitanie »; il faut donc en faire des langues de
communication moderne, large, et non pas fermées sur le passé,
des langues de culture (d’après des notes prises en séance, les
actes de ce colloque — L’Harmattan, 1999 — ne disant rien de
cette intervention).
Certes, la Charte ne devait être déclarée contraire à la
Constitution que trois jours après, mais un inspecteur général a-t-
Langues d’oc, langues de France
59
il pour rôle d’anticiper des lois que le Parlement de la
République n’a pas votées ?
5-7 – Le Professeur B. Cerquiglini sous influence ?
Malheureusement, tout cela semble avoir échappé au Pr.
Bernard Cerquiglini dans la préparation du rapport sur les
langues de France dont l’avaient chargé, à la fin de 1998, les
ministres de l’Éducation nationale (Claude Allègre) et de la
Culture (Catherine Trautmann) en prévision de la ratification de
la Charte européenne des langues régionales. Publié en avril
1999, ce rapport n’a aucune valeur juridique mais semble la
Bible de certains fonctionnaires du ministère de la Culture.
Du point de vue linguistique qui est le nôtre, ce rapport nous
parait avoir souffert de l’insuffisance notoire du petit mois
accordé à son auteur pour traiter d’un sujet dont il n’est pas un
spécialiste et sur lequel même les spécialistes manquent
d’informations d’ensemble récentes et fiables : héritage d’un
passé de mépris à l’égard de ces langues, lacune regrettée par M.
Cerquiglini qui achève ainsi son rapport :
« En tant que linguiste, le rapporteur ne peut s’empêcher de noter
combien faible est notre connaissance de nombreuses langues que
parlent des citoyens français. Il se permet de suggérer que la France se
donne l’intention et les moyens d’une description scientifique de ses
langues, aboutissant à une publication de synthèse. La dernière grande
enquête sur le patrimoine linguistique de la République, menée il est vrai
dans un esprit assez différent, est celle de l’abbé Grégoire (1790-1792). »
C’est ainsi qu’il a limité ses consultations à douze
personnalités, dont les directeurs de recherches au C.N.R.S.
Mme Marie-Rose Simoni pour les langues d’oïl et M. JeanPhilippe Dalbéra pour l’« occitan », plus l’inspecteur général
Salles-Loustau dont on a rappelé les positions. Il a reconduit la
pluralité des langues d’oïl déjà admise par Henri Giordan dans
son rapport au Ministre de la culture (Giordan, 1982, p. 56), et
60
Langues d’oc, langues de France
comme lui, inscrit l’occitan seul comme langue régionale d’oc;
mais il l’a fait suivre d’une parenthèse énumérant ses “variétés” :
« occitan (gascon, languedocien, provençal, auvergnatlimousin, alpin-dauphinois) »
Ainsi, parmi les 75 langues dénombrées, l’« occitan » est la
seule langue dont les “variétés” sont citées, ce qui suscite déjà
interrogation et qui aurait été inopérant en droit, puisque la
Charte ne connait et protège que des langues, et la loi française
de même (cf. § 2-6, p. 25); la désignation du seul « occitan » ne
prive-t-elle pas ses 5 “variétés” de toute garantie contre la
tentation de les faire disparaitre au profit du languedocien
devenu occitan standard, tout à l’opposé du but de conservation
patrimoniale ?
La réponse nous est peut-être donnée par la présentation
générale des « Langues régionales et “trans-régionales” de
France » qu’affichait le site internet de la D.G.L.F. consulté le 5
janvier 2003. Signé par Charles de Lespinay et daté du 20
janvier 1999, ce texte contenait une déclaration d’une honnêteté
exemplaire :
« Le fait que l’on parle aujourd’hui de langues d’oïl (au pluriel) et de
dialectes d’oc, mais de langue occitane (au singulier), est un choix
politique et non scientifique, répondant aux enjeux du moment. »
Or janvier 1999, c’est le « moment » où M. Cerquiglini
préparait hâtivement son rapport; il est alors difficile de ne pas
voir la relation étroite de cet avis avec la conclusion du rapport
sur ce point, essentiel pour l’ensemble linguistique le plus
important de France après le français.
Mais quels étaient les « enjeux du moment » auxquels était
censé répondre ce « choix politique et non scientifique » ? On ne
peut faire que des conjectures, mais il n’est pas exclu qu’ait été
prise en compte la thèse occitaniste qui combat par tous moyens
le pluriel de « langues d’oc ». Pourtant, ce pluriel n’aurait été
Langues d’oc, langues de France
61
que la réciproque de ce qu’énonçait le linguiste occitaniste Roger
Teulat après la circulaire Haby du 29 mars 1976 : « les langues
d’oïl […] correspond exactement à les langues d’oc. » (Teulat,
1976). Cela confirme du moins que le rejet de la pluralité des
langues d’oc ne s’appuie pas sur des données scientifiques,
comme l’avait reconnu H. Giordan en 1977 (cf. § 2-4, p. 19).
C’est sans doute ce qu’ont compris certains occitanistes, qui
n’ont pas applaudi M. Cerquiglini. À notre connaissance, le
premier à protester fut l’écrivain Pierre Pessemesse dans un
billet en provençal de Lo Lugarn, organe du Parti nationaliste
occitan (n° 73, Automne 2000, p. 8); sous le titre « Document ou
provocation ? », il allait stigmatiser avec truculence cette liste à
laquelle il reproche d’abord de ne pas avoir distingué les langues
métropolitaines, souvent dotées d’une écriture et d’une littérature
depuis des siècles, des langues d’outre-mer, exclusivement
orales jusqu’il y a peu; probablement parce que l’« occitan » lui
parait un peu seul en face de soixante-quatorze autres « langues
de France », dont vingt-huit pour la seule Nouvelle-Calédonie, et
autant de créoles que de territoires; il écrit ensuite :
« La grande erreur a été de faire des dialectes de la langue d’oïl des
langues à part entière (berrichon, poitevin, picard, morvandiau, etc.)
alors que la langue d’oc est mentionnée correctement “occitan qui
comprend les dialectes suivants…”. Cela pose une petite énigme car
l’auteur du texte aurait dû ignorer également l’occitan et ne mentionner
que le provençal, le gascon, le rouergat, etc… Moi, je fais l’hypothèse
que dans les bureaux moquettés de la haute administration le linguiste de
pacotille qui nous a fait cette bévue était “collègue” [au sens provençal
d’ami] d’un de ses pairs, occitaniste de conviction et de carrière, et que
celui-ci est judicieusement intervenu. Mais quand même, cet homme de
l’ombre aurait dû nous corriger l’erreur des langues de la famille d’oïl.
[…] En outre, je constate que depuis des mois que ce document
extravagant et foufou est paru, il n’y aura pas une seule voix occitane
pour le contester et le critiquer. Et à ce propos, je ferai une seconde
62
Langues d’oc, langues de France
hypothèse encore plus terrible que la première. Ne serait-ce pas l’un des
nôtres l’auteur de la nomenclature ? »
Plus mesuré mais aussi net, le linguiste occitaniste Fritz Peter
Kirsch (2004, p. 105) trouve cette liste grosse de « conséquences
désastreuses ». Et sans la nommer, le Pr. Patrick Sauzet (2004, p.
281) dont on a vu les choix idéologiques en condamne le fond :
« …la langue d’oïl (mais curieusement pas le français, alors que
les deux termes sont supposés synonymes) est pluralisée en
langues multiples (picard, angevin, morvandiau…) et en écho la
pluralisation de la langue d’oc tente ceux que la prise en compte
globale de l’espace occitan déroute, dépasse ou effraie. ».
En outre, en faisant une large place aux langues de
l’immigration comme l’« arabe dialectal dans ses diverses
variétés parlées en France », B. Cerquiglini est non seulement
sorti du cadre de la Charte dont son rapport devait préparer la
ratification, mais a probablement contribué à l’inquiétude des
adversaires de la Charte, dont témoigne le débat parlementaire
du 26 janvier 2005 évoqué au § 1-2, p. 14).
Pour l’avenir, du moins, on ose espérer que les « choix
politiques » de 1999 seront bientôt révisés selon la volonté
affichée de M. Cerquiglini (2002) :
« La volonté de la délégation générale à la langue française et aux
langues de France, est de fonder les politiques linguistiques non pas sur
des impressions, des sentiments, voire des ressentiments, mais sur des
savoirs scientifiques et sur les pratiques linguistiques réelles. »
De fait, hirondelle annonçant peut-être leur printemps, les
langues d’oc étaient bel et bien détaillées dans la liste des
langues de France placée en arrière-plan des documents diffusés
par la Délégation générale avant et après les 1ères Assises des
langues de France du 4 octobre 2003.
Au demeurant, ces Assises permirent justement aux autorités
de constater que malgré une présence ostentatoire des
Langues d’oc, langues de France
63
occitanistes — nous y reviendrons au § 6-2, p. 68 —, leurs
thèses étaient loin de faire l’unanimité parmi les défenseurs des
parlers d’oc.
6 – Réticences et résistance en pays d’Oc
6-1 – Tous les occitanistes ne sont pas d’accord
Sans doute faut-il mentionner en premier le Languedocien
René Nelli (1906-1982), professeur de lettres et de philosophie
au lycée de Carcassonne, puis à la Faculté de lettres de Toulouse,
président de la Société d’études occitanes (1943-1944), un des
fondateurs de l’I.E.O. (1945). Atteint d’un cancer qui devait
l’emporter, il publia en 1978 un livre qui lui valut l’inimitié de
beaucoup de ses compagnons occitanistes, Mais enfin qu’est-ce
que l’Occitanie ?. C’est avant tout une réflexion critique et sans
concession sur l’occitanisme, dont il stigmatise les nombreuses
erreurs, la mythologie (pp. 15, 17), voire l’imposture (p. 187), le
terrorisme intellectuel (pp. 18, 168). En particulier, de deux
confusions qu’il dénonce…
« La deuxième confusion consiste à traiter l’occitan comme un
langage existant en tant que tel. En réalité, il est partout et nulle part.
Personne n’écrit en occitan, mais en provençal, en languedocien, en
gascon… Les circulaires ministérielles ont donc raison de parler de
l’enseignement des « langues d’oc » et non pas de l’occitan. Reconnaitre que chacune des langues est occitane ne change rien au fond du
problème. Ce n’est pas parce que le Provençal, l’Espagnol et l’Italien
sont trois langues « néo-romanes » que le Néo-roman existe. Le provençal est de l’occitan, mais l’occitan n’est pas le provençal !
« Sans doute les différences entre les divers dialectes sont-elles
moins grandes qu’entre chacun d’eux et le français, mais elles demeurent
fort importantes (surtout entre le Gascon et le Provençal). [Nelli se
demande alors quelle serait la langue d’une Occitanie accédant à
l’autonomie.] Étant donné la dictature morale que Montpellier exerce
sur l’ensemble de l’Occitanie, on peut penser que ce serait l’occitan
montpelliérain ! […] Mais, dans ce cas, nous retomberions sur des
64
Langues d’oc, langues de France
difficultés insurmontables. Si, comme je le pense, c’est le Particularisme
absolu qui est à la base des revendications ethniques et linguistiques, les
divers dialectes s’estimeraient — avec raison — brimés autant par
l’occitan que par le français. L’auvergnat, le gascon n’accepteraient
pas facilement un langage occitan fabriqué par l’Université de
Montpellier, […]. » (p. 31).
Au demeurant, les faits sont là pour donner raison au
visionnaire de Carcassonne. Parmi les occitanistes nonlanguedociens, en effet, nombreux sont ceux qui ne peuvent se
satisfaire de l’élimination programmée de leur vraie langue à
laquelle ils sont sincèrement attachés.
Tout d’abord, dès 1979, l’occitaniste de Béarn M.
Grosclaude, professeur de philosophie lui aussi, reprenait “avec
des fleurs” les propos de R. Nelli sur l’occitan qui n’existe pas
en tant que tel :
« “langue occitane” ou “occitan” n’est que l’appellation commune
(le concept général) qui regroupe ces variétés [locales]. Exactement
comme le mot “fleur” est l’appellation de la rose, de la marguerite ou du
camélia… Mais pas plus que la fleur n’existe en soi et en dehors des
roses, violettes ou camélias, pas plus l’Occitan n’existe en soi et en
dehors de ses variétés réelles. » (E se disèvam : “pro !” déjà cité au § 54, p. 53).
On observera cependant que la comparaison est boiteuse :
aucune fleur n’est une « variété » du concept de fleur; mais à la
différence de son collègue de Carcassonne, plus clairvoyant sans
doute, M. Grosclaude donnait le nom de « langue » à une
abstraction et le refusait aux « variétés réelles ».
Non moins clairvoyant était Roger Lapassade († octobre
1999), fondateur de la section béarnaise de l’I.E.O.; comme en
écho à Nelli constatant la « dictature morale » de Montpellier, il
devait bientôt exalter en ces termes le poète gascon Pey de
Garros (v. 1525-1583) :
Langues d’oc, langues de France
65
« Le premier, il dégagea la langue gasconne de sa timidité, de sa
honteuse retenue devant Paris, Toulouse ou Montpellier. » (Exposition
Pèir de Garròs et son temps, Auch, 1980)
Dans la même ligne, on peut encore citer Bernard Manciet,
que ses œuvres publiées en français et en gascon de la Grande
Lande ont rendu célèbre jusque dans les cercles parisiens : dans
son grand poème L’enterrament a Sabres, (1989, p. 48 et
réédition ultérieure) il lâche ce cri, ici dans la traduction
française de l’auteur :
— Ce qu’il y a de pire maintenant — l’Occitanie
vis d’Archimède à vide — ils t’auront, Gascogne
abâtardie.
Et le même Roger Lapassade ouvrait son dernier recueil de
poèmes La cadena (La chaine, 1997) par Drapèus arlats
(Drapeaux mités) : dans sa vie, il a mêlé trois drapeaux pour une
seule patrie; deux l’ont trompé, le sang et or (occitaniste à la
croix de Toulouse) et le tricolore; « seul le carré béarnais en haut
d’un château [la tour Moncade, de Fébus, proche de sa maison],
et ses deux vaches rouges dans l’or du blé mûr, m’ont réjoui le
cœur » (1994).
Tout dernièrement, retraçant l’itinéraire “occitaniste” de son
ami Michel Grosclaude († 2002), Gilbert Narioo pouvait écrire :
« Il est en relation permanente avec les linguistes occitans de toute
l’Occitanie. Mais il se tient à l’écart, pourtant, de ce monde […], surtout
de ceux qui manipulent continuellement la langue pour en faire un
occitan transgénique, un jargon qu’on ne parle nulle part. Ce monde, le
gascon, c’est sûr, les embarrasse. Tant pis ! » (País gascons, 1-2/2005, p.
14).
Encore en 1997, le président de l’association occitaniste de
Dordogne affiliée à l’I.E.O. se plaignait du mépris dont souffre
le limousin, qui fut pourtant langue des premiers troubadours et
qui est demeuré très pur (traduit du limousin - des extraits en
66
Langues d’oc, langues de France
furent publiés par l’I.E.O. au titre des contributions à une
assemblée générale) :
« À la première Université occitane d’été (U.O.E.), j’ai entendu un
universitaire (provençal) assurer que le limousin et l’auvergnat étaient
quasiment du français vêtu de quelques phonèmes occitans et encore…
J’ai vu un groupe de jeunes limousins quitter son cours et s’en aller.
Nous ne les avons jamais revus. Il n’y eut plus jamais autant de
Limousins à une U.O.E. ni non plus à une École occitane d’été.
« J’ai dans mes archives l’original de la fameuse lettre d’une
fameuse occitaniste à un poète limousin pour lui expliquer qu’un pays
vert n’est pas l’Occitanie, que l’Occitanie est le pays de la vigne et non
celui “de l’eau et de l’arbre”.
« J’ai la lettre d’un secrétaire général de l’I.E.O. qui me dit que nous
avons tort de ne pas écrire en languedocien, que jamais nous ne
trouverons un public pour nos “patoiseries”.
« J’ai le souvenir de toutes les tentatives que nous faisions pour
entrer au secteur linguistique de l’I.E.O. et de la phrase que me dit
Taupiac en 1979 : “Ton parler est plus étranger, plus éloigné de l’occitan
référentiel que ne l’est le catalan de Majorque.” Et comme le catalan de
Majorque n’est pas de l’occitan… […]
« En conséquence, la création limousine est considérée comme
provinciale, localiste, patoisante pour la simple raison qu’elle ne peut pas
être autre (sous-occitans, nous sommes des sous-créateurs). Nous voyons
ainsi que seuls languedocien et provençal sont publiés (je veux dire
facture payée par l’éditeur) et que tout ce qui est limousin est abandonné
à l’artisanat de sections et groupes locaux dont la seule fonction est de
boucher un trou sur la carte (bien grande, vous voyez…) de l’Occitanie.
« Côté diffusion, les livres languedociens sont accessibles partout en
Limousin. Les livres limousins ne se trouvent pas en dehors. Ils sont
catalogués “d’intérêt local” (6). […].
« Au même moment, il ne paraissait pas de méthode, lexique,
grammaire, dictionnaire “languedociens”. Ils étaient “Occitans”, point.
6
Même qualificatif, selon le témoignage d’enseignants des Hautes-Pyrénées,
pour une pièce de théâtre en gascon qui “marche” très bien en Bigorre, mais
qu’on ne saurait diffuser en “Occitanie”.
Langues d’oc, langues de France
67
Pour nous démarquer, nous pouvions être “limousins” et entrer dans le
jeu du particularisme. »
Même plainte d’un occitaniste provençal du Vaucluse en vue
de l’assemblée générale de l’I.E.O. de novembre 1998 (numéro
spécial d’Occitans !, p. 13). Deux mondes de locuteurs
s’opposent et ne se comprennent pas : les locuteurs naturels, qui
parlent “patois” entre eux, pas dans la vie publique, ruraux âgés
qui bientôt ne seront plus, et quelques militants urbains qui
pratiquent l’“occitan”, langue « militante, volontaire, revendicative, intellectuelle, souvent apprise ». Le gouffre qui les sépare
est si large et si profond que la plupart des activités associatives
pour faire vivre la langue les ignorent presque complètement :
« la littérature demeure le monopole d’une minorité savante, sachant
et voulant lire la langue (cela, sans parler de la diffusion confidentielle
de ces œuvres); un théâtre anémique qui reste urbain; une presse qui
malgré son ouverture demeure militante dans sa thématique.
« L’École est aussi responsable de ce fait : les universités et les
I.U.F.M. forment les capessiens avec une langue centrale que les
locuteurs naturels ne reconnaissent pas : l’Éducation nationale n’est pas
gênée d’envoyer un Gascon (7) en Périgord ou que l’on fasse du
languedocien centralo-standard à Nîmes (8). »
Et sur l’histoire, travestie par l’occitanisme, un autre
Provençal (ibid, p. 16) :
« Nous avons eu, me semble-t-il, tout ce qui menait au racisme dans
une “histoire de France” officielle, le “Saint” Louis, les croisades, les
colonisations, etc. Nous n’avons pas à écrire une contre-histoire occitane
[…] et si nous devons laisser à d’autres “nos ancêtres les Gaulois”, nous
n’avons pas à enseigner en Provence “nos ancêtres les Cathares” ».
7
Ce “Gascon” est une Gasconne qui, avons-nous lu, s’est très bien mise au
limousin pour la satisfaction des gens du lieu; c’est tout à son honneur…
mais on ne peut trouver normale cette situation.
8
Bien qu’à l’ouest du Rhône, Nîmes parle provençal (cf. Annexe IV, p. 98).
68
Langues d’oc, langues de France
Ce même mois de novembre 1998, lors du Colloque Albert
Dauzat à Thiers déjà mentionné, on a pu entendre une occitaniste
s’excuser de ne pouvoir s’exprimer en auvergnat, qu’elle allait le
faire en occitan; il est vrai qu’elle a aussitôt corrigé ce lapsus
linguae révélateur de la part d’une personne incontestablement
cultivée.
6-2 – À plus forte raison les non-occitanistes
On a évoqué plus haut (§ 5-7 in fine, p. 62) la « présence
ostentatoire » des occitanistes aux 1ères Assises des langues de
France du 4 octobre 2003; en effet, alors que l’« occitan » n’est
que l’une de ces 75 langues, on vit dès les premières minutes un
enseignant occitaniste s’avancer effrontément sur la tribune où
siégeaient deux ministres et y placer un drapeau occitaniste à la
croix de Toulouse, celui-la même qui a trompé Roger Lapassade;
de discrètes “négociations” entre organisateurs et meneurs
occitanistes présents dans la salle aboutirent à son retrait non
moins discret.
Les occitanistes sont en effet très habiles pour occuper le
devant de la scène et faire croire à bien des politiques et aux
médias “dans le vent” qu’ils sont les seuls défenseurs
authentiques et efficaces des langues du Midi appelées
« occitan ». Ainsi alla-t-on jusqu’à vouloir faire de l’I.E.O. un
interlocuteur privilégié des pouvoirs publics pour la culture
occitane; mais malgré un engagement occitaniste personnel
attesté, H. Giordan (1982, p. 82) chargé d’étudier la question s’y
opposa énergiquement : « Une telle démarche serait en
contradiction flagrante avec la nécessité d’assurer l’écoute de
toutes les tendances de chaque culture minoritaire avec un
maximum d’impartialité. »
Mais l’« écoute de toutes les tendances » n’est pas du gout
des meneurs occitanistes, et faute de pouvoir s’y opposer par des
Langues d’oc, langues de France
69
arguments rationnels, ils préfèrent discréditer leurs adversaires
par tous les moyens à leur portée. En particulier, autant ils sont
attentifs à proclamer que la condamnation pour collaboration, en
1945, de leur linguiste phare Alibert n’invalide en rien ses
travaux scientifiques et n’implique pas davantage l’orientation
politique de ceux qui s’y réfèrent, autant ils sont prompts à tenter
de discréditer les conclusions linguistiques différentes des leurs à
raison des opinions politiques, réelles ou supposées, de ceux qui
les professent.
Et comme, malgré la vertueuse position d’H. Giordan, on
trouve des occitanistes notoires à des postes clés de l’Éducation
nationale ou de la Culture, on imagine ce qui se passe si ces
fonctionnaires oublient leur devoir de neutralité. En témoigne,
dans une publication occitaniste hors norme de fin 1994, la
déclaration suivante d’un enseignant gascon interviewé : « Je
comprends et je partage la colère d’un Pierre Bonnaud, le
géographe auvergnat, devant le terrorisme intellectuel ambiant. »
Dès lors, on peut penser que la provocation des occitanistes
aux 1ères Assises ne leur a pas acquis beaucoup de sympathies
chez les représentants des autres langues de France. Encore
moins bien sûr chez les tenants de l’autonomie des langues d’oc,
car il existe de forts courants populaires, souvent soutenus par
des personnalités politiques, qui ne se reconnaissent pas dans le
discours et encore moins dans la manœuvre des occitanistes, et
aussi des enseignants qui résistent courageusement à leur
« terrorisme ».
Le courant le plus en vue est celui qui se manifeste en
Provence, le prestige de Frédéric Mistral ayant permis le
maintien d’une conscience provençale forte, se traduisant
notamment par la conservation du système orthographique du
maitre dans les publications et les nombreux panneaux de
signalisation qui fleurissent dans le pays. Adapté aux parlers de
70
Langues d’oc, langues de France
Nice et ses environs, ce même système orthographique
mistralien est aussi le plus employé pour leur enseignement.
Si le mouvement provençal est parti de la basse Provence au
milieu du XIX° siècle, le dernier quart du XX° a vu la Provence
alpine jouer un rôle important dans le refus des thèses occitanes,
comme concourant à affaiblir la conscience provençale. C’est à
Sancto-Lucìo-de-Coumboscuro, au cœur des Alpes provençales
italiennes, que les Provençaux de France et d’Italie, qui ne
voulaient pas d’une Provence satellite d’une « Occitanie »
inventée, se sont rassemblés dans une rencontre annuelle animée
par le poète Serge Arneodo, Grand Prix littéraire de Provence
2004. De ces rencontres est née, en 1980, l’Union Provençale,
groupement d’associations culturelles provençales. Ces
associations se sont unies pour proposer un statut particulier pour
la Provence, qui, dans le cadre de la Constitution de la V°
République, lui permettrait d’affirmer sa particularité culturelle
et linguistique et, partant, de disposer des compétences pour
favoriser son développement économique. Depuis l’adoption de
la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires par
le Conseil de l’Europe en 1992, l’Union Provençale a été le
premier mouvement provençal à œuvrer pour l’insertion des
langues provençale et niçoise dans la liste des langues régionales
de France.
L’Auvergne a bénéficié du retournement du Professeur
Pierre Bonnaud, déjà évoqué, ancien occitaniste qui a su voir à
temps la manœuvre occitaniste : « cet homme de grande valeur
avait bien perçu intuitivement qu’il y avait des différences trop
importantes entre la réalité linguistique auvergnate et la manière
dont on croyait qu’il fallait l’écrire en respectant la langue
d’Alibert. » (Henri Jeanjean, op. cit.). Avec le Cercle Terre
d’Auvergne qu’il préside, P. Bonnaud a accompli depuis une
trentaine d’années une œuvre qui dépasse de loin tout ce qui a
Langues d’oc, langues de France
71
jamais été fait pour assurer la dignité et la pérennité de la langue
auvergnate. Ses travaux lexicographiques — et dans une
moindre mesure ceux de Karl-Heinz Reichel, auteur d’une thèse
magistrale sur les parlers du Puy-de-Dôme — resteront sans
doute inégalés. Régulièrement vilipendé et/ou pillé par ses
adversaires et détracteurs acharnés, P. Bonnaud est aussi un
auteur arvernophone fécond en vers et en prose, qui n’en
continue pas moins à œuvrer sans se lasser. La revue qu’il
anime, Bïzà Neirà, est devenue l’organe principal de ceux qui
entendent faire survivre la langue auvergnate, dans une graphie
qui lui est propre, adaptée aux spécificités phonologiques et
morphologiques de la langue contemporaine. Au demeurant,
cette « graphie auvergnate » est très largement employée dans
l’enseignement et l’Arrêté ministériel du 15 avril 1988 la place
avant celle de l’I.E.O.
En Gascogne, Jean Lafitte a lui-même longtemps travaillé à
retoucher la graphie de l’I.E.O., dont il était membre, afin de
l’appliquer dans un vaste projet lexicographique appelé DiGaM;
il s’est avéré en effet que dans sa hâte d’élaborer des règles
propres au gascon, Louis Alibert qui le connaissait très peu et de
l’extérieur (cf. Lafitte, 2002) en avait beaucoup trop méconnu les
variétés et la complexité. Mais l’étude historique de la
phonologie du gascon évoquée plus haut (§ 5-3, pp. 50-51) a
conduit J. Lafitte à se rallier à la graphie moderne, celle dont les
occitanistes reconnaissent les chefs-d’œuvre écrits sous la plume
des Félibres, de la fin du XIXe s. aux alentours de 1960.
En Limousin, on fait comme les grognards de Napoléon : on
récrimine contre le centralisme languedocien (voir ci-dessus),
mais on reste nominalement occitaniste… tout en prenant de
sérieuses libertés pour écrire le limousin.
Il y a donc loin de la coupe d’une Occitanie parlant et
écrivant un occitan unique aux lèvres des néo-jacobins du
72
Langues d’oc, langues de France
Languedoc ! On ose espérer que soucieux de conserver un
patrimoine linguistique varié, l’État favorisera ces résistances au
nivellement occitaniste.
Conclusion
En guise de conclusion, nous lançons trois appels, à l’État,
aux élus, et à tous les amis sincères des langues d’oc.
Appel à l’État
Attachés à des langues romanes, nous osons reprendre ici la
mise en garde que le Sénat de Rome adressait aux consuls :
Caveant consules, ne quid detrimenti res publica capiat, que les
consuls prennent garde que la chose publique n’éprouve aucun
dommage ! Gardien des intérêts de la Nation, de sa cohésion et
de ses richesses de tous ordres, l’État peut intervenir utilement
pour que la richesse culturelle que représentent nos langues d’oc
ne disparaisse à jamais, sans que soit pour autant mise en péril
l’unité nationale chère à l’immense majorité des citoyens.
Or si nous en jugeons par la loi sur l’outre-mer (cf. §§ 2-5, p.
24, et 3-1, p. 26), nos dirigeants ont jugé digne de la Loi la
conservation des langues historiques de France. Au plan
législatif, il nous parait donc tout à fait possible et souhaitable
d’adopter une loi nationale sur les langues de France.
Selon l’article 34 de la Constitution, la loi déterminerait les
garanties fondamentales, dont la désignation de ces langues
historiques.
Elle devrait aussi définir les institutions qui joueraient le rôle
d’une académie pour chaque langue désignée, de telle sorte que
ces langues ne deviennent pas la chose des seuls fonctionnaires
de l’enseignement ou de minorités peu soucieuses des aspirations des populations (cf. § 6-2, pp. 68-69). Il reviendrait
74
Langues d’oc, langues de France
notamment à ces institutions de proposer aux élus la forme des
toponymes en langues d’oc, sans s’embarrasser d’idéologie,
mais aussi scientifiquement que possible, en liaison étroite avec
les directeurs départementaux des Archives.
Mais dans l’esprit de la décentralisation voulue par
beaucoup, cette loi devrait confier aux régions et départements
l’essentiel des compétences pour les mesures à mettre en œuvre.
Pour le gascon, il suffit de constater qu’après le Pt. Sadi
Carnot, une majorité de grands noms de la communauté scientifique le considèrent comme une langue indépendante, « au
moins autant que le catalan » (Pr. P. Bec).
Pour les autres parlers romans du Midi, le concept
d’« occitan » opèrerait à leur égard une « conjonction » selon le
rapport de M. Cerquiglini (§ 5-7, p. 59), ce qu’exprimait
également le Pr. A. Martinet quand il écrivit à J. Lafitte en 1996
(Annexe II, p. 84); mais passant de la « conjonction de coordination » à la « conjonction de subordination » au seul languedocien
standard promu “occitan standard”, la pratique occitaniste les
mène à la mort (cf. § 5-3, pp. 49-52).
La solution parait alors d’écouter les sociolinguistes et donc
de faire droit au sentiment populaire d’identités linguistiques
distinctes, en consacrant la pluralité des langues d’oc, comme l’a
déjà fait l’Éducation nationale. Comme exposé au § 4-3, pp. 3942, et en Annexes III, p. 86, et IV, p. 92, on aurait, outre le
gascon et le catalan, l’auvergnat et le limousin dans le nord, le
languedocien dans le sud, et le provençal à l’est; et celui-ci
réunirait avantageusement parmi ses variétés non seulement le
provençal alpin, mais aussi le mal nommé vivaro-dauphinois
(Drôme-Ardèche) et le niçois. Pour répondre sans ambigüité à la
représentation du béarnais et du niçois chez leurs locuteurs et à
l’attente de ces derniers, il serait spécifié que « Le gascon
Langues d’oc, langues de France
75
comprend les parlers de l’ancien Béarn qu’une tradition continue
de plusieurs siècles nomme “béarnais” ou “langue béarnaise”. »
et que « Le provençal comprend le “niçois” ou “langue
niçoise”. » Une semblable mesure pourrait être envisagée pour
les parlers du nord de l’Ardèche et du nord de la Drôme si elle
devait répondre à l’attente de leurs locuteurs.
Sauf à faire déborder le provençal sur la rive droite du Rhône,
c’est tout simplement le retour à la partie française de la carte
des Pays d’oc de 1932 (cf. Annexe I, p. 79), telle que la voyaient
les futurs fondateurs de l’I.E.O, alors réunis dans la Société
d’Études Occitanes. Quant aux territoires ainsi définis, ils restent
tout à fait raisonnables dans le contexte européen, comme on a
pu le voir au § 5-2, p. 46, et celui de chacune des langues d’oc
compte souvent plus d’habitants et même de locuteurs que celui
de bien d’autres des 75 langues recensées par M. Cerquiglini.
Au plan règlementaire, enfin, et sans attendre l’hypothétique loi envisagée ci-dessus, sans doute serait-il opportun de
hausser au niveau du décret, dans la partie règlementaire du
Code de l’éducation, la liste des langues régionales qui bénéficient des dispositions du Code, car on ne la trouve pour le
moment que dans des arrêtés annuels. Pour le domaine d’oc, ce
seraient évidemment celles que nous suggérons pour une loi,
avec les mêmes précisions concernant le béarnais et le niçois et,
éventuellement, les parlers provençaux du nord de la Drôme et
du nord de l’Ardèche.
En outre, dans une « conjonction de coordination » des
langues de l’espace “occitano-roman”, nous faisons aussi une
suggestion au sujet des diplômes comme le CAPES : pour
couvrir toutes les langues romanes du Midi, catalan compris,
ils devraient ajouter à un tronc commun (comprenant du latin !)
des mentions sanctionnant l’aptitude particulière à enseigner
76
Langues d’oc, langues de France
chacune de ces langues, un même enseignant pouvant cumuler
les mentions, comme les médecins les spécialités. Car la
polyvalence actuelle est un leurre, comme le constatent
régulièrement les jurys du CAPES.
Ainsi, sans s’écarter des besoins réels d’un enseignement
moderne de ces langues, on assurerait leur conservation dans ce
qu’elles ont de plus authentique. De surcroit, cela préserverait
la République du risque présenté par les visées séparatistes des
partisans les plus extrêmes d’une « Occitanie » à bâtir sur la base
d’une prétendue unité de la « langue occitane ».
Appel aux élus
Nous en appelons maintenant aux élus, non seulement nos
députés et sénateurs que concernent directement nos propos qui
précèdent, mais aussi ceux de nos régions, départements et
communes. Souvent mal informés de ce qui touche nos langues
régionales, ils sont facilement bernés par les tenants de
l’occitanisme qui mettent en avant la reconnaissance d’utilité
publique accordée à l’I.E.O. en 1949 et font accroire qu’eux
seuls détiennent la vérité et les clés du maintien de ces langues,
donc et surtout qu’eux seuls méritent les aides publiques. En
même temps, leurs publications manquent rarement une occasion
de dénigrer la France, ses gouvernements de tous bords et la
langue française. Et toujours sûrs d’eux-mêmes, mais sans
preuve scientifique de leurs propos, ils dénigrent aussi ceux qui,
loin de toute duplicité politique, se soucient d’abord de défendre
les langues authentiques toujours parlées.
Nous espérons que seront nombreux les élus qui prendront la
peine de lire ces pages, solidement documentées et munies de
toutes les références utiles pour que les sceptiques puissent
Langues d’oc, langues de France
77
vérifier nos dires. Leur honnêteté intellectuelle et leur sens de
l’intérêt public feront certainement le reste.
Appel à tous les amis sincères des langues d’oc
Nous nous adressons maintenant à tous ceux qui sont
viscéralement attachés à la langue de leurs pères, ce “patois” que
l’École leur fit parfois mépriser, mais qui s’avère si riche de
sagesse humaine et d’histoire.
Et d’abord aux occitanistes sincères, les plus nombreux, nous
en sommes certains. Le vide des actions d’un Félibrige fatigué
leur a fait voir le salut dans le mouvement occitaniste, qui était
jeune, dynamique, et semblait s’appuyer sur des bases
scientifiques incontestables. Ils y ont puisé l’énergie nécessaire
pour mener des actions efficaces pour que la langue du pays ait
sa place à l’École et pour créer autour d’elle de nombreuses
activités ludiques qui rajeunissaient l’image sociale du vieux
“patois”. Mais pris par leur militance, ils n’ont guère eu le temps
de s’informer sur la validité des thèses présentées comme
“scientifiques” ni sur tout ce que cachait de centralisme la façade
conviviale de l’occitanisme. Qu’ils aient donc le courage de lire
ces pages, qui leur confirmeront souvent ce qu’ils ont fini par
soupçonner, sans oser le dire; et qu’ils aient surtout celui de dire
“non !” à la manipulation et au mensonge. Nos associations les
attendent, pour réunir tous ceux qui sont épris d’authenticité et
qui aiment vraiment les peuples d’oc dans leur réalité.
Enfin, nous faisons le même appel à tous ceux qui se sont
toujours méfiés du discours occitaniste, mais qui n’ont jamais su
comment agir efficacement pour nos langues. Chez nous, la
parole et la plume sont libres, on peut poser des questions, nous
nous efforçons toujours d’y répondre au fond, et honnêtement.
C’est notre force.
78
Langues d’oc, langues de France
À tous enfin, nous lançons une dernière mise en garde :
rejetons les mots « occitan » et « Occitanie ». Toutes proportions
gardées, en effet, le premier est un peu comme la svastika : cette
“croix gammée”, honorable insigne religieux de nombreuses
régions de la planète, est devenue infâme depuis que Hitler en a
fait l’insigne du nazisme; de même, parfaitement innocent au
début, le mot « occitan » a été associé à tant de manœuvres et de
tromperies qu’on ne saurait plus l’employer sans danger. Et
« Occitanie » n’a jamais désigné l’ensemble des terres d’oc,
puisqu’elles n’ont été réunies que sous le drapeau de la France.
Ainsi, plutôt qu’un « occitan » niveleur et artificiel, langue
d’une « Occitanie » qui n’est pas près d’exister, nous affirmons
nos langues d’oc millénaires comme langues de la France
qui, nous l’espérons, saura nous aider à les conserver.
ANNEXE I
“Carta dels Païses d’Oc”
(p. 4 de la jaquette des Sants Evangèlis traduits par
l’abbé J. Cubaynes - Société d’études occitanes, 1932)
On remarquera que le “Delfinat”
n’est qu’une subdivision de la Provence, comme l’indiquent la finesse
du trait de séparation et la mention
d’un seul nombre pour la population
de l’ensemble, 2!800!100 habitants.
ANNEXE II
Le gascon vu par quelques grands romanistes,
depuis 120 ans
1879 – Achille Luchaire, Étude sur les idiomes pyrénéens de
la région française, p. 193. — « Si, à l’exemple de l’un de nos
meilleurs romanistes, M. Chabaneau, nous qualifions le gascon
de langue, ce n’est pas que nous méconnaissions le lien qui le
rattache à la langue d’oc; c’est en raison du grand nombre de
caractères originaux qui lui font une place tout-à-fait à part
parmi nos dialectes du Midi. »
1921 – Joseph Anglade, Grammaire de l’ancien provençal
ou ancienne langue d’oc, Paris, 1921, p. 19. — « Le gascon et le
catalan ont évidemment dès le début de langue la plupart de leurs
traits distinctifs; mais ces traits ne sont pas encore tellement
accusés et tellement nombreux qu’ils soient un obstacle
insurmontable — comme ils le sont devenus aujourd’hui — à
une unité linguistique, au moins relative. »
1922 – Édouard Bourciez, La langue gasconne, La Revue
méridionale, t. III, n° 6, 15 déc.1922, p. 477. (reprise d’une idée
maintes fois affirmée depuis La langue gasconne à Bordeaux, p.
5-6) — « La langue gasconne est l’idiome d’origine latine qui
s’est développé en France dans le triangle formé par la Garonne,
les Pyrénées et l’Océan : elle y est encore plus ou moins parlée
aujourd’hui par trois millions d’hommes. […]. Si nous donnons
au gascon ce nom de « langue » qui lui a souvent été dénié, c’est
que, tout en se rattachant de près à la langue d’oc parlée dans la
moitié méridionale de l’ancienne Gaule, il s’en est cependant
séparé par des caractères originaux et distinctifs. Cette originalité
a été reconnue et constatée de bonne heure, puisque, dès le
moyen âge, les Leys d’Amors, rédigées à Toulouse au milieu du
Langues d’oc, langues de France
81
XIVe siècle, donnaient a cet égard un témoignage décisif,
souvent cité : « Apelam lengatge estranh coma frances, engles,
espanhol, gasco, lombard. » (Leys d’Amors, II p. 388).
1926 – Carl Appel, Archiv für das Studium der neueren
Sprachen, p. 131, cité per G. Rohlfs. — « Si quelque part il y a
une frontière absolue entre les dialectes de la France, c’est la
frontière de la Garonne, qui sépare les dialectes béarnais et
gascons de ceux du Languedoc. C’est une pure convention de
séparer du domaine occitanien la langue du Roussillon, mais non
pas le Gascon. »
1935 – Gerhard Rohlfs, Le Gascon, Études de philologie
pyrénéenne, 1ère éd., repris dans la 3ème, p. 1. — « Si l’on s’est
habitué à considérer le catalan comme une langue à part, il
faudra, certes, rendre le même honneur au gascon. »
1945 – Alfred Jeanroy, Histoire sommaire de la poésie
occitane des origines à la fin du XVIIIe siècle, Toulouse, 1945,
p. 4. — « Les parlers romans usités entre le domaine basque, les
Pyrénées, l’Ariège, la Garonne et la Gironde, c’est-à-dire le
béarnais et le gascon, présentent dans leur phonétique, leur
morphologie et même leur lexique des traits si particuliers qu’ils
ont été souvent, et non sans raison, considérés comme des
langues à part. »
1962 – Kurt Baldinger (9), Revue de linguistique romane, p.
331. — Le gascon, « on doit le considérer comme une quatrième
unité linguistique, s’opposant au domaine français, occitan et
franco-provençal. »
1965 – Aurelio Roncaglia, La lingua dei Trovatori (Profilo
di grammatica istorica del provenzale antico), ed. dell’Ateneo,
9
Kurt Baldinger (1919-2007) est à l’origine d’un Dictionnaire de l’ancien
occitan (DAO) et d’un Dictionnaire de l’ancien gascon (DAG) publiés par
fascicules. (Note actualisée - Avril 2008)
82
Langues d’oc, langues de France
Roma, 137, pp. 26-36. « zones de transition entre occitan,
français et espagnol […] : — 1. francoprovenzale e pittavino (p.
26) — 2. catalano (p. 30) — 3. guascone (pp. 34-36) […] La
classification courante considère celui-ci comme un dialecte, ou
plutôt un groupe de dialectes du provençal (groupe “gasconbéarnais” ou “aquitain”); mais sa différenciation est, et était déjà
au moyen-âge, assez nette pour permettre de considérer
directement le gascon comme une langue en soi. » [Appréciation
confirmée par la carte linguistique insérée entre les pages 32 et
33 “la lingua d’oc e le aree adiacenti”]
1965 – Jacques Taupiac, Lettre à l’occasion de la mort de
Simin Palay, Reclams de Biarn e Gascougne, n° 5-8/1965, p.
122. — « Je suis conscient qu’il reste à poursuivre l’œuvre d’un
vaillant comme lui, dans le sens d’une défense et illustration de
la langue gasconne. »
1971 – Jacques Allières, Atlas linguistique de la Gascogne
(Vol. V “Le Verbe”, Avant-propos du fascicule 2 “Commentaire”) — « […] cette Gascogne qui, depuis le moyen âge,
accuse face à ses voisins une si forte personnalité linguistique. »
1973 – Pierre Bec, Manuel pratique d’occitan moderne, p.
26. — Le gascon, « une langue très proche [de l’occitan], certes,
mais spécifique (et ce dès les origines), au moins autant que le
catalan. »
1977 – Gerhard Rohlfs, Le Gascon, Études de philologie
pyrénéenne, 3ème éd. Tübingen-Pau, p. 4. — « Il faut se rendre
compte que nous n’avons pas à faire à un dialecte quelconque du
domaine provençal, mais à un idiome qui dans ses nombreuses
particularités s’approche d’une vraie langue indépendante. »
1982 – Francho Nagore et autres, El Aragonés : identidad y
problemática de una lenga, 3ème éd., p. 16-18 [dans sa
présentation schématique des langues romanes, le groupe
Langues d’oc, langues de France
83
« gallo-roman » comprend les langues des 4 “domaines” de K.
Baldinger, le français, le francoprovençal, le provençal (=
occitan pour K. Baldinger) et le gascon] « Comme nous le
voyons, le gascon, le catalan et l’aragonais forment un pont entre
la Gallo-Romanie et l’Ibéro-Romanie, par leur position
géographique, par de nombreux faits phonétiques et morphologiques et, surtout, par le lexique qui coïncide à de nombreux
égards dans ces trois langues. Aussi certains linguistes parlent-ils
d’un vocabulaire typiquement pyrénéen (cf. Le gascon [Rohlfs],
pp. 38-58) et d’un groupe spécial de langues qu’ils appellent
« groupe pyrénéen » (cf. Alwin KUHN, El aragonés, idioma
pirenáico).
1985 – Tomás Buesa Oliver, Lengas y hablas pirenáicas, 4°
cours d’été à San-Sebastián, p. 15. — « Le gascon a une telle
individualité qu’on ne peut le subordonner à l’occitan. »
1988 – Jacques Allières, Occità, català i gascó : punts de
contacte, contribution à la Semaine Occitània, present i futur,
Université de Valence, 14-18 Novembre 1988, Paraulas d’Òc,
n° 1, Novembre 1996, p. 7-17. — « Si l’on hésite toujours à
définir la place qui revient au catalan dans le cadre des langues
romanes, peut-être pourrions-nous nous poser des questions
semblables pour ce qui est de la langue gasconne, souvent
considérée — comme le faisait déjà le XIVème siècle — comme
un “langatge estranh” : ne serait-il pas lui aussi une “langue
pont” entre gallo-roman et ibéro-roman ?
« Nous avons voulu parler ici pour souligner cette double
spécificité en face de l’occitan, au nom d’une Gascogne
toponymiquement présente à Toulouse même. Un Gascon peut,
mieux qu’aucun autre — vous pouvez me croire ! — comprendre un Catalan; et, peut-être, encore mieux un Valencien. » [fin
de l’exposé].
84
Langues d’oc, langues de France
1994 – Henriette Walter, L’aventure des langues en
Occident, p. 226 sqq. — [Tableau La France et ses langues :
dans le “domaine d’oc”, quatre ensembles, nord-occitan
(limousin, auvergnat, provençal alpin), sud-occitan (languedocien, provençal maritime, niçart), gascon et béarnais. Les
paragraphes consacrés ensuite aux “langues romanes de France”
ont pour titres respectifs “Le corse, Le catalan en France, Le
domaine d’oc, Le gascon, Le franco-provençal et Les dialectes
d’oïl”.]
« Dans le groupe occitan, une place à part est à réserver au
gascon, dont la spécificité s’explique par la présence ancienne
des Aquitains — les hypothétiques ancêtres des Basques — à
l’ouest de la Garonne, où l’on parle aujourd’hui gascon. [f > h,
caractéristique du gascon]
« Une variété de cette langue existe aussi en Espagne (cf.
chapitre AUTOUR DE L’ESPAGNOL, § L’aranais n’est pas du
catalan, p. 190). »
1996 – André Martinet, Lettre à Jean Lafitte, 18 novembre
1996. — « Si l’on s’en tient à la forme linguistique des parlers, il
paraît indispensable de mettre à part, parmi les parlers du Midi,
le catalan et le gascon, celui-ci profondément influencé par le
contact avec le basque. […] Il ne me paraît pas qu’il y ait à faire
des distinctions aussi tranchées entre les parlers restants,
provençaux, languedociens, auvergnats et autres.
« Il serait utile, dans la terminologie linguistique, de mieux
marquer l’originalité du gascon par rapport à ses voisins. »
1997 10 – Povl Skårup, de l’Institut d’études romanes de
l’Université de Copenhague, Morphologie élémentaire de
l’ancien occitan, p. 5, Avant-propos — « La langue décrite est
10
Ajouté, avril 2008.
Langues d’oc, langues de France
85
l’ancien occitan (dit aussi provençal) d’avant 1300 […]. Le
catalan ou le gascon, le franco-provençal ou le français ne sont
considérés que pour mieux illustrer l’occitan. »
2002 – Jean-Pierre Chambon et Yan Greub, Note sur l’âge
du (proto)gascon, Revue de linguistique romane, n° 263-264,
Juillet-Décembre 2002, p. 492. — « … le gascon n’a pu se
détacher d’un ensemble linguistique [occitan] qui n’existait pas
— ou, si l’on préfère, qui n’existait pas encore — au moment où
il était lui-même constitué. Il ne peut par conséquent être
considéré comme un dialecte ou une variété d’occitan au sens
génétique de ces termes («forme idiomatique évoluée de»). Du
point de vue génétique, le (proto)gascon est à définir comme une
langue romane autonome. »
N. B. - Ces conclusions ont été exposées par leurs auteurs
dans une communication faite le 12 septembre 2005 devant de
nombreux universitaires français et étrangers réunis à Bordeaux
pour le VIIIe Congrès de l’Association internationale d’études
occitanes (A.I.E.O.); aucun des auditeurs n’a manifesté un
quelconque désaccord, alors que cette communication était au
programme et sa teneur connue par l’article cité ci-dessus.
ANNEXE III
Le “béarnais” distinct du “gascon” ?
Le problème
Quatre des dix-sept linguistes cités en Annexe II distinguent
le béarnais du gascon : Carl Appel (1926) « les dialectes béarnais
et gascons »; Alfred Jeanroy (1945) « Les parlers romans usités
entre [limites du domaine], c’est-à-dire le béarnais et le gascon
[…] ont été souvent, et non sans raison, considérés comme des
langues à part »; Aurelio Roncaglia (1965) « 3. guascone
[…] groupe de dialectes du provençal (groupe “gascon-béarnais”
ou “aquitain”) »; Henriette Walter (1994) « dans le “domaine
d’oc”, quatre ensembles, nord-occitan […], sud-occitan […],
gascon et béarnais. »
De fait, les locuteurs béarnais font naturellement cette
distinction, comme en témoigne pertinemment l’écrivain et
lexicographe Simin Palay (1874-1965) dans son Dictionnaire du
béarnais et du gascon moderne (1932-34, nouvelle édition
C.N.R.S. 1961) :
« Gascoû,-ne; s. — Gascon,-ne; la langue gasconne. […] lou parlà
gascoû, le dialecte gascon; bien que le Béarn soit considéré par les
géographes comme faisant partie de la Gascogne, les autochtones ont
toujours séparé le Béarn des anciens pays du Bassin de l’Adour,
considérant qu’il existe des différences de race suffisantes pour justifier
ce point de vue, lesquelles entraînent des différences spirituelles autant
que physiques. Pour les Béarnais, les parlers bigourdans, armagnacais,
de la Lomagne, de l’Astarac, de l’Albret, de la Chalosse et des Landes
sont lou gascoû; les Gascoûs, d’ailleurs, considèrent aussi le béarnais
comme suffisamment différent de leurs parlers pour justifier une
appellation particulière. En réalité, mis à part les termes locaux, tous ces
dialectes sont des rameaux d’une même souche. »
Bien sûr, le “politiquement correct” de ce début du XXIe s.
s’accommode mal de l’évocation de la « race », d’autant qu’en
Langues d’oc, langues de France
87
l’occurrence, les différences invoquées devraient être bien
difficiles à prouver scientifiquement ! Mais il est intéressant de
voir que ce parfait connaisseur du béarnais et du gascon qu’était
Simin Palay oppose sans état d’âme la réalité linguistique (« tous
ces dialectes sont des rameaux d’une même souche. ») au
sentiment populaire des intéressés, qui est une réalité sociolinguistique.
“béarnais”, “langue béarnaise”, des noms ancrés dans
l’Histoire…
Il faut reconnaitre que ce sentiment populaire repose sur un
vieux socle historique, dont l’assise est, au IXe s., le
détachement de la vicomté de Béarn du duché de Gascogne.
Certes, on peut citer un texte romain de 1308 qui atteste du
pèlerinage à Rome de deux personnes de la « ville Orthesii terre
de Bearn in Vasconia » (ville d’Orthez du pays de Béarn en
Gascogne) (d’après le Martinet, recueil des textes intéressant la
ville d’Orthez, édité par J.-P. Barraqué, 1999, pp. 104 et 105).
Mais la “déclaration d’indépendance” faite par le jeune Gaston
Fébus devant les représentants du roi de France en 1347 devait
faire oublier ces liens féodaux anciens.
Quant au nom “béarnais” de la langue autochtone, nous n’en
avons d’attestations qu’à partir du milieu du XVIe s., soit 200
ans après le “gascon”; ainsi, en 1554, le Béarnais Bernard Du
Poey publie à Toulouse un recueil de Poésie en diverses langues
sur la naissance de Henry de Bourbon etc. (le futur Henri IV) :
trois pièces sont en béarnais, dont deux expressément mentionnées comme telles (« en Bernes »); peu après, les États de Béarn
rappellent énergiquement au Roi et à la Reine de Navarre que
l’us et coutume est de rédiger les privilèges et actes de justice
« en lo lengadge bearnes » et les prient de maintenir obligatoire
cet usage, ce que les souverains décident le 24 juillet 1556
88
Langues d’oc, langues de France
(Arch. dép. Pyr.-Atl. C 684 et 685); en 1562, c’est à Paris qu’un
arrêt du 25 mai du Parlement mentionne la traduction en
« langaige françois » de pièces en « langaige gascon et biernois »
(Archives Nationales, Parlement de Paris X1a 1602, f° 285 v°);
et en 1583, le traducteur des Psaumes Arnaud de Salette appelait
cette langue « Bernes, lengoa Bernesa »; dans la modestie qui
convient à ce genre d’œuvre, il opposait même, dans son adresse
au Roi, « le béarnais, peu employé en versification, [au] souple
gascon », utilisé par Pey de Garros dix-huit ans plus tôt.
…et toujours vivants
Par la suite, une tradition ininterrompue utilisera ce nom de
béarnais; en voici quelques jalons, tous les 100 ans : vers 1690,
l’avocat béarnais Jean-Henri de Fondeville décrit la prédication
des pasteurs protestants « En frances, en biarnes, chens nat mout
de latii » (Églogues, v. 123); en 1796, un autre avocat Pierre
Hourcastremé glisse neuf poésies en « béarnais » dans l’un des
quatre tomes de ses mélanges Les Aventures de messire Anselme,
chevalier des loix (III, pp. 35-47); en 1887, l’érudit Vastin Lespy
sera le premier à publier un Dictionnaire béarnais ancien et
moderne; enfin, en 1986, est parue la remarquable Grammaire
béarnaise de l’Inspecteur dépatemental de l’Éducation nationale
André Hourcade, préfacée par le Pr. Robert Lafont .
Les occitanistes béarnais ne failliront pas à la tradition : les
cinq premiers numéros de leur revue Per nouste ont une
importante rubrique Lo biarnés a l’escòla; mais au n° 7, elle
devient Lo gascon a l’escòla, très probablement parce que
s’ouvrant pour la première fois à une contribution venue d’une
école proche, certes, mais du département des Landes, donc
“hors du Béarn”. Par la suite, dans cette revue comme dans la
presse régionale, les mentions du « béarnais », voire de « la
Langues d’oc, langues de France
89
langue béarnaise » ne seront pas rares sous la plume de ces
occitanistes.
On en a donné des exemples au § 2-42, p. 23, dont celui très
caractéristique occasionné par la publication, en tête du n° 46 de
la revue (janvier-février 1975), de l’Édit d’union de 1620; ce
texte est précédé du rappel suivant (en français) : « Combien de
Béarnais ignorent encore que la langue Béarnaise connut un sort
particulier dans l’ensemble Occitan : Elle fut langue officielle
d’un État Souverain, et cela jusqu’en 1620. »
On a vu cependant (§ 6-1, p. 65) qu’en 1980, le fondateur de
Per nouste Roger Lapassade évoquait publiquement « la langue
gasconne », pour revenir en 1994 sur le drapeau béarnais, le seul
qui ne l’ait pas trompé…
Faut-il pour autant faire du “béarnais” une langue distincte
du “gascon” ?
Sociolinguistiquement, donc, il est évident que les parlers
autochtones du Béarn sont appelés « béarnais », « langue
béarnaise » par une grande majorité de ceux qui y sont attachés
(11)
. Or nous avons approuvé le Pr. Robert Lafont quand il donne
la priorité au sociolinguiste sur le linguiste, et encore plus à
l’avis des usagers (§ 4-3, p. 39). La logique appelle donc la
reconnaissance du béarnais comme langue distincte du gascon.
Mais on connait aussi l’adage latin « Summum jus, summum
injuria » (Excès de droit, excès d’injustice), que l’on pourrait
adapter en « excès de logique, excès de préjudice ». Car au plan
pratique, alors que les parlers du Béarn prolongent les parlers
gascons limitrophes, on sera conduit à présumer qu’un
11
L’essentiel de cette annexe a été rédigé à la fin de décembre 2004; or dans
son intervention à l’Assemblée nationale en faveur des langues régionales, le
21 janvier suivant, François Bayrou n’a usé que du mot « béarnais » (cf. § 12).
90
Langues d’oc, langues de France
enseignant jugé compétent pour le gascon ne l’est pas d’office
pour le béarnais, et réciproquement; à écarter des épreuves de
gascon ouvertes dans l’académie de Toulouse quelqu’un qui
aurait reçu un enseignement de béarnais; et à éditer des ouvrages
d’enseignement distincts pour le gascon et le béarnais.
Dans l’état de nécessité où se trouve l’enseignement de ces
parlers, ce serait un gaspillage inconsidéré qui ne garantirait
même pas un meilleur enseignement : un professeur “rodé” au
“gascon” de Bayonne sera en effet certainement plus apte à
enseigner le “béarnais” à Orthez qu’un professeur de “béarnais”
spécialisé sur les parlers de la montagne, du Barétous à Monein
et Nay; au contraire, celui-ci s’adaptera très vite à l’enseignement du “gascon” en montagne de Bigorre.
Et d’un point de vue plus élevé, il ne faut pas oublier que les
Gascons considèrent depuis longtemps le béarnais comme la
forme de référence de leur langue, donc celle qui pourrait servir
de base à une langue littéraire relativement unifiée; c’était le
vœu du Bigourdan Michel Camélat (1871-1962) qui fut le
Secrétaire de l’Escole Gastoû Fébus et le responsable de sa
revue Reclams de Biarn e Gascougne (qu’il n’était pas question
de séparer !); et c’était aussi la voie souhaitée par celui dont il
espérait faire son successeur, l’agrégé d’espagnol André Pic
(1910-1958).
Nous estimons donc qu’il n’y a pas lieu d’ériger le béarnais
en langue distincte du gascon.
Conclusion : allier au réalisme la fidélité à un passé toujours
vivant
Mais il nous parait parfaitement réalisable de reconnaitre
officiellement l’appellation de « béarnais » ou « langue
béarnaise » pour les parlers gascons usités en Béarn. Le texte
Langues d’oc, langues de France
91
désignant les langues d’oc pourrait donc comporter une phrase
explicative comme celle-ci :
« Le gascon comprend les parlers de l’ancien Béarn (12)
qu’une tradition continue de plusieurs siècles nomme “béarnais”
ou “langue béarnaise”. »
12
L’expression « ancien Béarn » tient compte du fait que le Béarn
n’existe plus comme circonscription territoriale depuis l’érection des
départements en 1790.
ANNEXE IV
Le provençal “polynomique”
Annexe rédigée par Henri Féraud, président délégué de l’Unioun
Provençalo, à partir d’un premier jet de Jean Lafitte, et avec l’aide de
Marius Oddo, président des Amis de la Culture Niçoise et coprésident de
l’Unioun Prouvençalo.
On a vu, § 4-11, p. 32, que le terme “provençal” avait désigné
l’ensemble des langues romanes du Midi de la France aussi bien
que celle de l’ancienne province de Provence. Et Mistral a fait de
son parler rhodanien une sorte de standard du provençal. Mais
aujourd’hui, quel domaine faut-il reconnaitre à la langue
provençale pour que tous les locuteurs des régions concernées se
reconnaissent dans le nom de provençal, à travers la variété des
réalisations de la langue ?
Un peu d’histoire
À l’article DIALÈITE de son Dictionnaire (1882 pour le
tome I), Mistral énumère les dialectes de la « langue d’oc
moderne »; le provençal y est subdivisé en quatre sous-dialectes,
rhodanien, marseillais, alpin et niçard. Mais il y a aussi un
dialecte dauphinois subdivisé en briançonnais, diois, valentinois
et vivarais.
Néanmoins, la Carta dels Païses d’Oc publiée en 1932 par la
Société d’Études Occitanes (ici, en Annexe I) réduisait le
Delfinat (Dauphiné) à une subdivision de la Provence linguistique, le trait séparateur étant nettement plus fin que celui qui
séparait les autres pays d’oc et le nombre d’habitants n’étant
noté que pour l’ensemble de la Provence.
Pourtant, trente ans plus tard, le Pr. Pierre Bec détache du
provençal l’alpin, que la palatalisation de ca > tcha etc. place
dans l’ensemble “nord-occitan”; mais il le nomme encore
provençal alpin (La langue occitane, Que sais-je ? 1ère édition,
Langues d’oc, langues de France
93
1963, p. 43); la même présentation et le même nom se retrouvent
dans son Manuel pratique de philologie romane, tome I, 1970, p.
402; toutefois, le niçois (13) ne s’y retrouve que sous l’expression
« parlers du comté de Nice », sans doute pour mieux exprimer la
division de ces parlers, sur laquelle nous reviendrons bientôt.
Mais en 1973, son Manuel pratique d’occitan, p. 17, change
de perspective : l’alpin est désigné comme « alpin ou
dauphinois », avec cette note :
« (5) Nous désolidarisons donc l’alpin (désormais strictement défini
comme l’ensemble des idiomes nord-occitans parlés à l’est du Rhône) du
provençal, faisant ainsi abstraction de certaines données historiques
auxquelles est encore sensible, malgré ses réserves, R. Lafont. Nous
renonçons à la désignation de provençal alpin, que nous avions retenue
ailleurs. Le prov. ainsi défini peut se diviser en trois sous-dialectes, en
allant de l’ouest à l’est : 1) Le bas-rhodanien (base du provençal
mistralien), 2) Le prov. central (ou maritime), 3) Le niçois, ou niçard. »
Enfin, en 1978, la 4ème édition du Que sais-je ? La langue
occitane, p. 42, donne au parler palatalisant un troisième nom,
vivaro-alpin, avec cette note :
« (1) Nous désolidarisons donc le vivaro-alpin du provençal, faisant
ainsi abstraction de certaines données historiques, et nous renonçons à la
désignation de provençal alpin, que nous avions retenue naguère. On
pourrait à la rigueur, pour choisir un terme moins techniquement
géographique, proposer celle de gavot, en lui donnant une acception plus
large. »
Au même moment, le Pr. Jean-Claude Bouvier (1978)
publiait en occitan un article très documenté sur le provençal,
“dialecte” de l’occitan. Prenant le contre-pied des classifications
13
Les mentions du niçois chez les auteurs déjà cités montrent un flottement
certain quand ils le désignent en français par les formes de la langue niçoise
nissart ou niçard (cf. Diciounari Nissart - Francés, Dictionnaire Niçois Français de l’Escola de Bellanda, sous la direction d’Adolphe Viani). En ce
qui nous concerne, notre ouvrage étant en français, nous nous en tenons à
niçois, forme préférée par l’Académie française citée un peu plus loin.
94
Langues d’oc, langues de France
occitanistes basées sur la palatalisation et des phénomènes
phonétiques plus ou moins connexes, l’auteur revient au point de
vue mistralien; la convergence des données des Atlas
linguistiques de la France et de la Provence et des données
sociolinguistiques, fondées sur une longue histoire d’étroites
relations nord-sud, justifient le nom de provençal alpin. Mais il
laisse à l’ouest le vivaro-dauphinois qui enjambe le Rhône et
qu’il nomme ainsi « pour ne pas avoir trouvé d’autre mot ». Et
bien entendu, il intègre constamment le niçard (ou nissart) dans
ses tableaux et cartes, non moins que le prolongement du
provençal alpin dans les hautes vallées italiennes. Cependant, la
distinction entre rhodanien et maritime lui parait plus
traditionnelle et littéraire que proprement scientifique, parce que
basée sur des différences secondaires.
Dans le même sens, à la carte de la p. 107 de son fameux
rapport de 1982 au Ministre de la culture, Henri Giordan usait
encore de provençal alpin : originaire des Alpes-Maritimes, il
savait certainement de quoi il parlait...
En 1999, dans son rapport sur les langues de France, le Pr.
Bernard Cerquiglini, peut-être inspiré par l’« alpin ou dauphinois » de P. Bec (1973), “invente” un « alpin-dauphinois » parmi
les “variétés” de l’occitan; mais il omet vivaro-alpin et nissart
sur lesquels il écrit :
« Des subdivisions plus fines sont possibles (vivaro-alpin ?
nissart ?); elles relèvent toutefois moins de la linguistique que de la
géographie, voire de la politique. »
Mais subdivisions de quel ensemble : provençal ? alpindauphinois ? Et en quoi ce dernier ne mérite-t-il pas les critiques
adressées à « vivaro-alpin » ?
Le manuel scolaire Valadas occitanas e Occitània granda
publié en novembre 2000, par les occitanistes italiens témoigne
du désordre conceptuel en la matière : la carte de la p. 5,
Langues d’oc, langues de France
95
reproduite à échelle réduite p. 41, mentionne l’alpin sur le même
plan que le provençal; tandis que la liste de cette même p. 41 le
nomme « occitan alpin », dont relèvent évidemment les parlers
italiens. Il est vrai que le guyennais figurant sur cette même carte
comme dialecte occitan à part entière disparait complètement
dans la liste de la p. 41…
Il faut signaler enfin la Déclaration de Briançon, adoptée
solennellement le 21 septembre 2002 par quatre importants
mouvements provençaux « pour le respect de la diversité de la
langue provençale ». Ces mouvements sont l’Unioun Prouvençalo Transaupino, la Consulta Provenzale, l’Unioun Prouvençalo et le Collectif “Provence”. Selon la version française de ce
texte, les mouvements signataires…
« Affirment
« • Que la langue provençale est une langue polynomique
dont les variétés sont d’égale valeur;
« • Que chacune de ses variétés est l’expression de la langue
provençale sur son aire géographique et dans la société;
« • Que la pleine dignité donnée ainsi à chaque variété de la
langue provençale confirme qu’il n’y a aucune hiérarchie entre
ces variétés;
« Déclarent
« • Que toute action visant à imposer une norme unique pour
le provençal est contradictoire avec l’esprit de pluralisme qui les
anime;
« • Que la polynomie de la langue provençale implique le
respect de ses variétés orales et écrites;
« • Que toute action ou idéologie linguistique unicisantes sont
sources d’appauvrissement et donc ne sauraient être appliquées à
la langue provençale. »
En outre, une version niçoise de cette déclaration était
précédée de cet avertissement :
96
Langues d’oc, langues de France
« La personnalité de la langue niçoise est reconnue par les
mouvements culturels provençaux, sans que cela revienne à nier
ses liens, sur plusieurs plans, avec la langue provençale. »
Quelle leçon en tirer ?
Pour les parlers alpins et leurs proches parents de la Drôme et
du Vivarais, il est assez clair que vivaro-alpin semble bien
technocratique et fait un peu “parvenu”, en tout cas “tard venu”,
à peine 27 ans en 2005 : il ne représente rien pour les
populations concernées; en outre le nom tout aussi
technocratique de « franco-provençal » pour leur voisin du nord
perd toute logique s’ils ne sont pas eux-mêmes « provençaux ».
Pour les parlers proprement alpins, il n’y a donc aucun
obstacle majeur à revenir à l’appellation traditionnelle de
provençal alpin, qui a l’avantage de confirmer la longue histoire
d’étroites relations nord-sud et vice-versa qui caractérise
l’espace provençal. Et la Déclaration de Briançon, souscrite par
les Provençaux d’Italie, en confirmant le respect traditionnel de
chacune des variétés de la langue provençale, écarte tout risque
d’hégémonie de l’une sur les autres. Enfin, au plan purement
linguistique, il est probable que l’espace provençal ainsi défini
est au moins aussi homogène que celui de la langue corse qui
réunit elle aussi des parlers du nord et des parlers du sud assez
différenciés.
Pour les parlers de la Drôme et du Vivarais, les raisons que
donne J.-C. Bouvier de les séparer de l’alpin sont certainement
pertinentes, de la part d’un dialectologue reconnu, originaire et
spécialiste de cette région; quant à leur appellation, on voit mal
comment faire mieux que lui, d’autant qu’elle est dans la
continuité de Mistral. On les nommera donc vivaro-dauphinois,
sauf à trouver un autre nom qui conviendrait mieux aux
populations, sachant que dans le sud de l’Ardèche et le sud de la
Langues d’oc, langues de France
97
Drôme, les locuteurs disent qu’ils parlent le provençal sans y
adjoindre un qualificatif; de plus, dans le sud de la Drôme, les
habitants se sentent Provençaux et non Dauphinois.
Pour le niçois, la solution devrait être encore plus évidente,
car s’il est une constante chez les linguistes, de Mistral à
Cerquiglini, c’est bien son intégration dans le provençal. Mais
l’avis du dernier, probablement inspiré par le grand spécialiste
de cette région qu’est M. Jean-Philippe Dalbéra qu’il avait
consulté, fut sans doute de trop pour les Niçois, comme le
suggère le journaliste R. Perrot (Le Point, 10 mars 2000). D’où
les questions que le député Christian Estrosi et le sénateur Pierre
Laffitte, des Alpes-Maritimes, posèrent à Mme Trautmann, alors
ministre de la culture et de la communication; celle-ci répondit
que dans la politique en faveur du patrimoine linguistique de la
France « le nissart y aura[it] naturellement sa place » (J.O.
Questions, 2000, A.N. p. 675 et S. p. 1252). Et l’on vient de voir
que la Déclaration de Briançon empêche toute “annexion” du
niçois par les autres Provençaux.
Linguistiquement, pourtant, le territoire du département des
Alpes Maritimes est partagé en deux zones qui prolongent
respectivement le provençal maritime et le provençal alpin
limitrophes; avec toutefois, de Menton à Tende, des formes
linguistiques intermédiaires qui approchent le ligurien de la
Riviera italienne, mais n’empêchent pas un sentiment
d’appartenance provençale ou niçoise. Au demeurant, le
fascicule “Négligé à Nuée” de la 9ème édition du Dictionnaire
de l’Académie française (Journal officiel, Documents
administratifs n° 18 du 2 octobre 2004) note ceci au mot Niçois :
« Le niçois, le dialecte provençal parlé dans la région de Nice
(on trouve aussi Nissard ou Nissart). »
98
Langues d’oc, langues de France
Cependant, l’histoire de Nice pourrait justifier une « langue
niçoise »; et Mistral citait ces mots de J.-B. Toselli : « Les
Niçards et les Provençaux ont toujours été comme le chien et le
chat », boutade qu’il convient évidemment de nuancer car la
majorité des Niçois et des Provençaux vivent en bonne
intelligence.
Au fond, c’est un peu comme pour le béarnais qui malgré son
histoire (cf. § 4-3, p. 40, et Annexe III) s’intègre aujourd’hui au
gascon; ici encore, la sagesse serait sans doute de consacrer
l’intégration naturelle du niçois au provençal polynomique.
En revanche, comme pour le béarnais, les textes officiels
désignant les langues d’oc devraient suivre l’Académie française
et consacrer la légitimité de l’appellation niçois pour la variété
provençale de la région de Nice.
À moins que la politique évoquée par B. Cerquiglini n’en
décide autrement...
En conclusion, avec la caution du linguiste valentinois, le
professeur Jean-Claude Bouvier, nous pensons que la langue
provençale, affirmée polynomique, comprend : le rhodanien, le
maritime, le niçois, l’alpin et le vivaro-dauphinois (faute de
mieux pour ce dernier). Son territoire s’étend donc comme eux et
comprend à l’ouest du Rhône le Vivarais (exceptée sa partie
occidentale vellave), puis se poursuit sans discontinuité jusqu’à
la région de parler provençal rhodanien de Nîmes; et à l’est de la
frontière italienne, il comprend les hautes vallées alpines du
Piémont sud-occidental.
C’est simple et hormis le néologisme vivaro-dauphinois,
respectueux des habitudes de penser des locuteurs, ce qui est une
garantie de succès auprès des populations qui sont les premières
intéressées par la survie de leur vieille langue.
ANNEXE V
Les “Occitans” séparés des Français ?
Bibliographie
I – Ouvrages et articles cités dans le corps du texte
(1950). La réforme linguistique occitane et l’enseignement de la
langue d’oc, Toulouse : I.E.O., 12 p.
Alibèrt, Loïs (1935, 1976). Gramatica occitana; 2ème éd.,
Montpellier, 532 p.
Bec, Pierre (1963). La langue occitane, Paris : P.U.F., Que saisje ? 128 p.
Bec, Pierre (1972). Per una dinamica novèla de la lenga de
referéncia, Annales de l’I.E.O., 4ème série, tome II, n° 6, pp.
39-61.
Bec, Pierre (1973). Manuel pratique d’occitan moderne, Paris,
220 p.
Birabent, Jean-Pierre et Salles-Loustau, Jean (1989). Mémento
grammatical du gascon, Pau, 152 p.
Bourdieu, Pierre (1982). Ce que parler veut dire - L’économie
des échanges linguistiques, Paris : Fayard, 245 p.
Bouvier, Jean-Claude (1978, 1979). L’occitan en Provence. Le
dialecte provençal, ses limites et ses variétés, version occitane
in Annals de l’I.E.O., 5ème série, n° 3, 1978, pp. 3-22; version
française in Revue de linguistique romane, 1979, t. 43, p. 4662; republié in J.C. Bouvier, Espaces du langage. Géolinguistique, toponymie, cultures de l’oral et de l’écrit, Marseille,
Publications de l’Université de Provence, 2003, p. 11-25.
Catach, Nina (1978; 3e éd. 1988) L’orthographe, Que sais-je ?
n° 685, 128 p.
Cerquiglini, Bernard (1999). Les langues de la France - Rapport
au Ministre de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la
102
Langues d’oc, langues de France
Technologie, et à la Ministre de la Culture et de la
Communication. 17 p.
Cerquiglini, Bernard (2002). La diversité des pratiques
linguistiques : richesse d’un patrimoine national. Synthèse du
Séminaire de l’observatoire des pratiques linguistiques du 20
février 2002. Langues et Cité, n° 1, Octobre 2002, pp. 4-5.
Chambon, Jean-Pierre (2003). Introduction à la linguistique
occitane, polycopié du C.E.R.Oc-Sorbonne, Paris, 20 p.
Civada (La) - Per Noste (1984). Petit dictionnaire FrançaisOccitan (Béarn), Pau-Ortès, 133 p.
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gascon des Landes, Mont-de-Marsan : Jean Lacoste, 79 p.
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subalterne et culture dominante. Annals de l’Institut d’estudis
occitans, 5ème série, n° 1, pp. 130-139.
Giordan, Henri (1982). Démocratie culturelle et droit à la
différence, Paris : La Documentation française, 108 p.
Grosclaude, Michel (1979). E se disèvam : “pro !”, Per noste n°
72, 5/6-79, p. 5)
Guillorel, Hervé et Sibille, Jean (sous la direction de) (1993).
Langues, dialectes et écriture (Les langues romanes de
France), Paris, 318 p.
Kirsch, Fritz Peter (2004). Vers une histoire interculturelle de la
littérature occitane, Oc, n° 70-71-72, Prima - Estiu 2004, pp.
104-114.
Jeanjean, Henri (1992). De l’utopie au pragmatisme ?(Le
mouvement occitan 1976-1990), Perpignan : Lo trabucaire,
211 p.
Lafitte, Jean (1996, 1999). Le gascon, langue à part entière et le
béarnais, âme du gascon, Hors-série n° 4 de Ligam-DiGaM,
2ème éd. 1999, 56 p.
Lafitte, Jean (2002). Louis Alibert et le gascon, Hommage à
Jacques Allières, vol. 1, pp. 153-164.
Lafont, Robert (1971). L’ortografia occitana - sos principis,
Montpellier, 85 p.
Langues d’oc, langues de France
103
Lafont, Robert (2000). Ma langue à couper, Septimanie n° 5,
Oct. 2000, p. 6.
Lapassada, Rogèr (1997). La Cadena, Orthez : Per noste, 54 p.
Lodge, Anthony (2002). Les langues romanes dans le contexte
européen : unité face aux langues germaniques; intelligibilité
réciproque; artificialité de leurs divisions au sein de la
Romania; focalisation autour du français, communication
(non publiée) au Colloque sur les langues latines organisé par
la ville de Sceaux et le Félibrige le 1er juin 2002.
Manciet, Bernard (1989). L’enterrament a Sabres, Garein :
Ultreia, 435 p.
Mistral, Frédéric (1882 et 1886). Lou Tresor dóu Felibrige ou
Dictionnaire Provençal-Français, 2 tomes, réédité par JeanClaude Bouvier, Aix-en-Provence, 1983, 47 + 1198 et 1165 p.
Narioo, Gilbert, Grosclaude, Michel et Guilhemjoan, Patric
(2003). Dictionnaire français-occitan (gascon), tome A-K,
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Nelli, René (1978). Mais enfin qu’est-ce que l’Occitanie ?,
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Pellerino, Rosella (avec Aghilante, Dario et Bianco, Gianna)
(2000).Valadas occitanas e Occitània granda, Turin, 143 p.
Pessemesse, Pierre (2000). Document o provocacion ?, Lo
Lugarn n° 73, Automne 2000, p. 8.
Quint, Nicolas (2000). Le marchois : problèmes de norme aux
confins occitans, in Actes du Colloque Codification des
langues de France, 31 mai 2000, pp. 63-76.
Sauzet, Patric (1990). La grafia es mai que la grafia, Amiras n°
21, 1990, p. 35-46.
Sauzet, Patric (2004). Compte rendu de Marcel Castellano, La
conjugacio verbal valenciana, Nouvelle revue d’onomastique
n° 43-44, 2004, pp. 280-282.
Sibille, Jean (1996). Lo gascon dialècte occitan o lenga a part
entièra : es que la question a un sens, Estudis occitans n° 20 2nd sem. 1996, pp. 38-40.
Sibille, Jean (1997). Gascon, occitan : per n’acabar [pour en
finir], Estudis occitans n° 22 - 2nd sem. 1997, pp. 31-38.
104
Langues d’oc, langues de France
Sibille, Jean (2003). L’occitan, in Les langues de France, sous la
direction de Bernard Cerquiglini, textes rassemblés par Jean
Sibille et Michel Alessio, pp. 173-198.
Taupiac, Jacme/Jacques (1977). Pichon diccionari francésoccitan, Laurenç (34) : Servici de difusion de l’I.E.O., 302 p.
Taupiac, Jacme/Jacques (2000). Mangi de pan, L’Occitan n°
145, mars-abril 2000, p. 8.
Taupiac,
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(2001).
L’occitan
modèrne,
Montauban : I.E.O., 127 p.
Teulat, Roger (1976). Occitan o lengas d’òc ?, Quasèrn de
lingüistica occitana n° 4, Décembre 1976, pp. 35-42; repris
dans Uèi l’occitan, 1985, pp. 131-138.
Revues
Aicí e ara (1979-1983), revue trimestrielle indépendante,
Montpellier.
Amiras / Repères (1982-1990), revue d’études occitanes fondée
par R. Lafont, Montpellier.
Annales de l’Institut d’études occitanes /Annals de l’Institut
d’estudis occitans (1950-1978).
Estudis occitans (1986-1998), revue semestrielle d’échanges et
de recherche de l’Institut d’études occitanes, Paris.
La France latine (1948- ), revue d’études d’Oc, Sorbonne, Paris.
Ligam-DiGaM (1993-), cahiers semestriels de linguistique et
lexicographie gasconnes, Fontenay-aux-Roses.
Lo Lugarn-Lou Lugar (1983- ), organe trimestriel du Parti nationaliste occitan, Limoges.
Nouvelle revue d’onomastique (1983- ), bulletin de la Société
française d’onomastique, Paris.
L’Occitan (1968-2002), bimestriel « de la vie occitane »,
Montauban.
Langues d’oc, langues de France
105
Occitans !, (1981- ), bimestriel de l’Institut d’études occitanes,
Carcassonne.
Per nouste (n° 1 à 8, 1967-1968), Per noste (n° 9 à 73, 19781979), Per noste-Païs gascons (n° 74 à 206, 1979-2001), Per
noste-País gascons (n° 207 à 218, 2001-2003), País gascons
(depuis), bulletin de l’association occitaniste de Béarn Per
noste, Orthez.
Quasèrns de lingüistica occitana, Q.L.O. (n° 1 à 10, 1974-1981),
puis Casèrns de lingüistica occitana, C.L.O. (n° 11 et 12,
1982-1984), Beaumont, Puy-de-Dôme.
Reclams de Biarn e Gascougne (1897-Février 1984), puis
Reclams, organe de l’Escole Gastoû Febus (1896-1996), puis
Escòla Gaston Febus, Pau.
Revue de linguistique romane, bulletin de la Société de
linguistique romane, Nancy.
La Setmana, (1995-), hebdomadaire quasi exclusivement en
occitan standard.
II – Lectures recommandées
Les ouvrages disponibles sont signalés par un astérisque et leur
prix est indiqué, suivi d’une lettre qui renvoie au nom de
l’organisme à qui s’adresser (liste ci-après).
Blanchet, Philippe (1992). Le provençal, essai de description
sociolinguistique et différentielle, Institut de Linguistique de
Louvain, Louvain : Peeters.
*Blanchet, Philippe (2001). (dir.), Diversité et vitalité des
langues régionales du Sud de la France, Actes du colloque de
la Sorbonne du 15 juin 2001, n° 133 de La France latine, pp.
11-144 - 19 € pour l’année 2001, n° 132 et 133 - P1.
Blanchet, Philippe (2002). Langues, cultures et identités
régionales en Provence. La Métaphore de l’aïoli, Paris :
L’Harmattan, collection “Espaces Discursifs”.
106
Langues d’oc, langues de France
Blanchet, Philippe (2003). (dir., en collaboration avec Didier de
Robillard), Langues, contacts, complexité. Perspectives
théoriques en sociolinguistique, Cahiers de Sociolinguistique
n° 8, Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
*Blanchet, Philippe et Pons, Paul (2003). (dir.), Les Langues et
cultures régionales ou minoritaires de l’Arc alpin, Actes du
colloque international de Gap - Charance, Gréoux-les-Bains :
Unioun Prouvençalo / Aix-en-Provence : Edisud, 95 p. - 13,50
€ - P3.
Blanchet, Philippe (2004). « Enseigner les langues de France ?
Ouvrir de nouvelles perspectives », dans M. Rispail (éd.), 75
langues de France, et à l’École ?, Cahiers Pédagogiques
n°423, avril 2004, p. 13-15 [version longue reprise par
MicRomania 3/04, pp. 3-10, et mise en ligne sur http://www.
cahiers-pedagogiques.com/numeros/423/Blanchet.html].
Blanchet, Philippe (2004). L’identification sociolinguistique des
langues et des variétés linguistiques : pour une analyse
complexe du processus de catégorisation fonctionnelle, dans
Actes du colloque Identification des langues et des variétés
dialectales par les humains et par les machines, Paris, École
Nationale Supérieure des Télécommunications / CNRS, 2004,
p. 31-36.
Blanchet, Philippe et Schiffman, Harold (éds.) (2004). The
Sociolinguistics of Southern “Occitan” France, Revisited,
International Journal of the Sociology of Language n° 169,
Berlin, 176 p.
Blanchet, Philippe et Schiffman, Harold (2004). « Revisiting the
sociolinguistics of “Occitan” : a presentation », International
Journal of the Sociology of Language n° 169, Berlin, pp. 324.
Blanchet, Philippe (2004). « Provençal as a distinct language ?
Sociolinguistics patterns revealed by a recent public and
Langues d’oc, langues de France
107
politic debate », International Journal of the Sociology of
Language n° 169, Berlin, pp. 125-150.
Blanchet, Philippe (2004). « Uses and images of “Occitan” : an
occitanist view of the world », compte rendu de Henri Boyer
et Philippe Gardy (éds.) Dix siècles d’usages et d’images de
l’occitan. Des Troubadours à l’Internet, International Journal
of the Sociology of Language n° 169, Berlin, pp. 151-159.
*Bonnaud, Pierre (1981).Terres et langages, peuples et régions,
Clermont, 2 vol., 678 + 474 p., 52 cartes - 50 € - A. (Thèse de
doctorat d’État ès lettres, géographie humaine, géohistoire)
*Bonnaud, Pierre (1992).Grammaire générale de l’auvergnat à
l’usage des arvernisants, Clermont, 333 p., 9 cartes - 16 € - A.
*Bonnaud, Pierre (1999). Nouveau dictionnaire général
français-auvergnat, Nonette (63), 776 p., plus de 40 000
entrées françaises et de 200 000 mots et expressions
auvergnates. - 76,22 € + port - C.
*Bonnaud, Pierre, Magot, Anne-Marie, et Soupel, Serge, (2001).
Mou pà sen / vocabulaire / vocabulario euvarnhàt-françaisespañol-english Vocabulary [Vocabulaire quadrilingue auvergnat-français-espagnol-anglais], n°111 de la revue Bïzà Neirà;
170 p., environ 7000 mots - 30 € - A.
Kristol, Andres M., et Wüest, Jakob Th. (éds) (1985). Drin de
tot. Travaux de sociolinguistique et de dialectologie béarnaise, Bern, Lang, VII + 323 p.
*Lafitte, Jean (1996, 2003). Langue d’oc 1996 – Où en sommesnous ?, Hors-série n° 3 de Ligam-DiGaM, 2ème éd. 2003, 24
p. - 3 €- G
*Lafitte, Jean (1996, 1999). Le gascon, langue à part entière et
le béarnais, âme du gascon, Hors-série n° 4 de LigamDiGaM, 2ème éd. 1999, 56 p. - 5,30 €- G
*Lafitte, Jean (2000). 10 ans au service du gascon - DiGaM,
Hors-série n° 8 de Ligam-DiGaM, 48 p. - 5 €- G
108
Langues d’oc, langues de France
*Lafitte, Jean (2001). Las lengas d’ò : 7 o 8 + 1 = 8 o 9, LigamDiGaM n° 18, Oct. 2001, pp. 4-8 p. (écrit en gascon, graphie
classique) - 4,80 € le cahier complet - G
*Lafitte, Jean (2003-1). Gascon ou occitan ? - Désintox…
itaniser les esprits, Hors-série n° 9 de Ligam-DiGaM, 48 p. 5 €- G
*Lafitte, Jean (2003-2). Dis Aup i Pirenèu : lenga d’ò o lengas
d’ò ?, Ligam-DiGaM n° 22, Oct. 2003, pp. 10-12 p. (écrit en
gascon, graphie classique) - 4,80 € le cahier complet - G
*Lafitte, Jean (2003-3). Écrire [u] en gascon, La France latine,
n° 137, pp. 195-213 - 19 € pour l’année 2003, n° 136 et 137 P1. — C’est la reprise d’un texte publié dans Ligam-DiGaM
n° 21, pp. 38-45 et complété dans le n° 22, pp. 46-48 - 4,80 €
chaque cahier complet - G
*Lafitte, Jean (2004). « Grafia classica » ou « Grafie
moudèrnë » ?, Hors-série n° 10 de Ligam-DiGaM, 48 p. - 5 €G
Moreux, Bernard, sous la direction de (1989). Langues en Béarn,
Préface de Pierre Bourdieu, Cahiers de l’Université de Pau et
des Pays de l’Adour n°13, Toulouse, 288 p.
*Moreux, Bernard (2001). Le Béarnais et le Gascon
aujourd’hui : pratiques et représentations, Actes du colloque
de la Sorbonne du 15 juin 2001, n° 133 de La France latine,
pp. 75-115 - 19 € pour l’année 2001, n° 132 et 133 - P1.
Moreux, Bernard (2004). Béarnais and Gascon today : language
behavior and perception, International Journal of the
Sociology of Language n° 169, Berlin, pp. 25-62.
*Reichel, Karl-Heinz (1991). Les Parlers du Puy-de-Dôme et
parlers voisins au Nord-Ouest et à l’Est, Clermont, 410 p.,
122 cartes - 50 € - A. (Thèse de doctorat en philologie romane
de l’Université d’Erlangen)
Langues d’oc, langues de France
109
*Reichel, Karl-Heinz (2005). Grand Dictionnaire général
auvergnat-français, Nonette (63), 880 p., 90.000 entrées 80 € franco pour les particuliers - C.
*Revue Bïzà Neirà, depuis 1974 - Abonnement annuel (4
numéros, partant du premier de l’année) : ordinaire 20 € ;
soutien à partir de 23 € (plafond illimité) ; étranger : 23 €. A.
*Tables générales 1974-2000 (n°1 à 106 de Bïzà Neirà), n° 107108 de la revue, 82 p. - 20 € - A.
*Revue Ligam-DiGaM , cahiers semestriels de linguistique et
lexicographie gasconnes, depuis 1993 - Abonnement 2 ans (4
numéros) : ordinaire 18 € ; sur facture et étranger : 21 €. G.
*Soupel, Serge (2001). Le cas de l’Auvergnat, Actes du colloque
de la Sorbonne du 15 juin 2001, n° 133 de La France latine,
pp. 131-144 - 19 € pour l’année 2001, n° 132 et 133 - P1.
Soupel, Serge (2004). The special position of Auvergnat,
International Journal of the Sociology of Language n° 169,
Berlin, pp. 91-106.
*Unioun Prouvençalo, (1998). Ate di coulòqui de Grasso e
Manosco - L’identita culturalo prouvençalo aro (provençal,
français, italien) - Lou dre di minourita (L’identité culturelle
provençale aujourd’hui, le droit des minorités), Gréoux-lesBains, 76 p. - 6 € - P3.
*Unioun Prouvençalo (2002). Pour un véritable pouvoir
régional, propositions pour la nouvelle étape de la
décentralisation. Gréoux-les-Bains, 13 p. A4 - 2,80 € - P3.
*Union provençale et autres associations (2002). Déclaration de
Briançon - Pour le respect de la diversité de la langue
provençale, Hors série de Presènci de Prouvènço, Gap, 16 p.
A4 - 2,80 € - P3.
*Union provençale et autres associations (2003). Livre Blanc,
pour l’avenir des langues provençale et niçoise, Hors série de
Presènci de Prouvènço, Gap, 12 p. A4 - 2,80 € - P3.
110
Langues d’oc, langues de France
*Unioun Prouvençalo, (2003). Les langues et cultures régionales
ou minoritaires de l’Arc alpin, Actes du colloque international
de Gap - Charance, Gréoux-les-Bains, 95 p. - 13,50 € - P3.
Wüest, Jakob Th. et Kristol, Andres M. (éds) (1993). Aqueras
montanhas. Études de linguistique occitane : Le Couserans
(Gascogne pyrénéenne), Bern, Lang.
Organismes assurant la vente des ouvrages marqués
d’un astérisque.
A - Cercle Terre d’Auvergne, chez Pierre Bonnaud, 1 rue des
Allées, 63122 Ceyrat. Chèques ou virements à l’ordre du
Cercle - CCP 1160-89 R Clermont.
Courriel : [email protected]
Site : http://perso.wanadoo.fr/auvergnelangueciv/index.htm
C - S. E. D. des Éditions CRÉER, B. P. 56, 43102 Brioude
Cedex, Tél. 04.71.76.70.11.
G - Institut béarnais et gascon, chez J. Lafitte, 7-9 rue Jean
Jaurès, 92260 Fontenay-aux-Roses; chèques à l’ordre de
l’Institut.
P1 - CREDILIF (EA 3207), Université Rennes 2 Haute Bretagne, UFR ALC, CS 24307, 35043 Rennes cédex. Courriel :
[email protected]
Site : http://www.uhb.fr/alc/erellif/credilif/
P2 - Presènci de Prouvènço - Maison intergénération - 13 rue
des Cheminots - 05000 Gap.
P3 - Unioun Prouvençalo, les Iscles, 04800 Gréoux-les-Bains.
Table des matières
Résumé
Avant-propos
Première partie : Le droit des langues
1 – Les textes internationaux
1-1 – Au niveau mondial
1-2 – En Europe : la Charte européenne
2 – Les cadres juridiques français
2-1 – Le décret “Sadi Carnot” du 12 janvier 1894
2-2 – La loi n° 51-46 du 11 janvier 1951 dite loi
“Deixonne”
2-3 – L’article 12 de la loi n° 75-620 du 11 juillet 1975
dite loi “Haby”
2-4 – La circulaire “Haby” du 29 mars 1976 et l’arrêt du
Conseil d’État du 7 octobre 1977 : les langueS d’oc
2-41 – L’état du droit
2-42 – Une étrange amnésie
2-5 – Les lois des iles
2-6 – Le Code de l’éducation
2-7 – Les arrêtés des 6 janvier 2003, 13 janvier
et 31 décembre 2004
3 – L’esprit des lois
3-1 – Les buts politiques
3-2 – Leur validité en France
3-3 – Leur application à l’Éducation nationale
Deuxième partie : Les langues romanes du Midi de la
France
4 – L’imbroglio des appellations
4-1 – Quand le flou facilite les confusions…
4-11 – Des noms changeants et parfois défectueux…
4-12 – …pour un concept mal défini
4-13 – Querelles et confusions qui perdurent
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Langues d’oc, langues de France
4-2 – Pour les linguistes : 3 grands ensembles, gascon,
occitan et catalan
4-3 – Le point de vue sociolinguistique
5 – La manœuvre occitaniste
5-1 – Le credo occitaniste : prime à l’idéologie
5-2 – Les aspirations politiques de l’occitanisme
5-3 – De la normalisation orthographique à la
normalisation linguistique
5-4 – Premier pas : un “occitan standard” ajouté aux
“dialectes”
5-5 – Le but final : l’occitan unique
5-6 – Retour au vieux péché de l’École : éliminer les
“patois” ?
5-7 – Le Professeur B. Cerquiglini sous influence ?
6 – Réticences et résistance en pays d’Oc
6-1 – Tous les occitanistes ne sont pas d’accord
6-2 – À plus forte raison les non-occitanistes
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Conclusion
Appel à l’État
Appel aux élus
Appel à tous les amis sincères des langues d’oc
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ANNEXE I — “Carta dels Païses d’Oc” (1932)
ANNEXE II — Le gascon vu par quelques grands romanistes,
depuis 120 ans
ANNEXE II — Le “béarnais” distinct du “gascon” ?
ANNEXE IV — Le provençal “polynomique”
ANNEXE V — Les “Occitans” séparés des Français ?
79
Bibliographie
I — Ouvrages et articles cités dans le corps du texte
II — Lectures recommandées
Organismes assurant la vente des ouvrages marqués
d’un astérisque.
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