Messi entre au musée
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Messi entre au musée
FOOTBALL Messi entre au musée Auteur d’un but à la Maradona avant-hier en Coupe du Roi, le petit Argentin se fait doucement une place dans le gotha du football. Après Diego Maradona lors de la Coupe du monde 1986, un autre prodige argentin a fait vibrer, avant hier, le monde du football en réalisant au Camp Nou un but « venu d’ailleurs ». Le torrent d’éloges qui accompagne l’exploit de Lionel Messi le désigne comme le digne successeur du « Pibe de oro ». Le plus dur sera de confirmer... Noir LE S M O U C HO I R S B L A N C S volaient encore dans le Camp Nou, célébrant le chef-d’œuvre de Lionel Messi, auteur du deuxième des cinq buts de Barcelone contre Getafe, à la demi-heure de jeu. Une course de soixante mètres en treize secondes, treize touches de balle – dix avec le pied gauche, trois avec le droit –, un petit pont et cinq dribbles, puis un tir du droit, pour ce que le petit monde de la planète football appelle déjà le but de l’année. « La huitième merveille du monde », pour Catalunya Radio. À cet instant magique, le téléphone portable de Jorge Messi, le père de « l’astre de Rosario », s’est mis à sonner une fois, deux fois, trois fois, jusqu’à trente-quatre fois en neuf minutes. Les télés, les radios et les rédactions sportives d’Argentine, du Brésil, du Mexique, du Venezuela et d’ailleurs, toutes voulaient un son en direct, un commentaire, un témoignage afin d’immortaliser ce que Deco a qualifié de « but parfait, le plus beau que j’ai vu de toute ma vie, et j’en ai vu beaucoup, signés Maradona, Ronaldo ou Ronaldinho, mais à chacun il a manqué un petit quelque chose. Celui de Leo (Messi) a la pureté du diamant ». Des témoins directs de l’action, seul Bernd Schuster, l’entraîneur adverse, a paru dénigrer le coup de génie de Messi : « Nous avons été trop nobles. Un tacle aurait dû le freiner bien avant, l’empêcher d’entrer dans la surface, de frapper. Un but comme ça, ça ne doit pas exister. » Jaune Un but dédié à Maradona Mais le commentaire rageur de Schuster n’a pas résisté à la tornade de superlatifs, dans tous les médias et autres sites Internet d’Espagne, d’Europe et bien sûr d’Amérique du Sud. Hier encore, des télévisions étrangères (Al Jazira, Tele Azteca) avaient planté leurs caméras dans l’enceinte du Camp Nou dans l’espoir de décrocher une interview du prodige argentin, arrivé à l’âge de treize ans à la Masia, le centre de formation du club catalan, autant pour soigner une crise de croissance aiguë que pour son talent balle au pied. À douze ans, le petit Messi ne mesurait que 1,35 m et les médecins évoquaient clairement un cas de nanisme, sans un traitement aux hormones de croissance – très coûteux – que le Barça finança pendant dix-huit mois. Plus tard, au bout de cette folle nuit du mercredi 18 avril, l’entraîneur de BARCELONE. – Parti de son camp, le Barcelonais Lionel Messi (au premier plan) achève une chevauchée d’une soixantaine de mètres, de dribble en dribble, en clouant au sol Garcia, le gardien de Getafe, sous les yeux d’Eto’o (en retrait) et de Cortés (à droite). (Photo Manu Fernandez / AP) Getafe, qui jadis a partagé le vestiaire du Barça avec un certain Maradona, avouera tout de même avoir « pensé à Diego et à son but contre l’Angleterre en Coupe du monde ». Leo Messi n’était pas né quand, le 24 juin 1986, dans le stade Aztèque de Mexico, Diego Armando Maradona, vingt et un ans, mi-dieu, midémon, s’était mué en « barillet atomi q u e » po u r i ns c r i r e , à la 55e minute, un but d’anthologie (son deuxième du match après la célèbre « main de Dieu ») qui avait terrassé l’Angleterre en quarts de finale (2-1). Au bout d’une course de soixantedeux mètres et d’un numéro de prestidigitateur, commencé du bout de son pied gauche, après avoir effacé et dribblé quatre joueurs anglais – Beardsley, Reid, Butcher et Sansom –, le « Pibe de oro », toujours de son pied gauche, avait éliminé Shilton, le gardien. Le tout avait duré dix secondes. Une éternité pour ceux qui étaient présents dans les gradins ! Mercredi soir, Lionel Messi, tout juste dix-neuf ans, s’était déguisé en Maradona. Geste parfait, dribble court, anticipation, accélération foudroyante, pour ce qui sera peut être « le but de sa vie », selon son coéquipier catalan Xavi, celui-là même qui lui a donné ce ballon historique. On ne poussera pas plus loin la comparaison entre les deux footballeurs argentins, ni entre leurs buts respectifs. Si les canons esthétiques de l’un comme de l’autre sont très proches, on rappellera juste que Maradona avait inscrit le sien en Coupe du monde, contre l’équipe d’Angleterre, et que Messi, lui, a marqué le deuxième but d’une flopée de cinq, en demi-finale aller de la Coupe du Roi, à la défense de Getafe, comme Ronaldo en avait inscrit un fameux après une course de 70 mètres (en 1996) contre la modeste équipe de Compostelle. Messi aurait-il changé le destin du Barça s’il avait évolué à ce niveau de forme au moment d’affronter Liverpool en Ligue des champions (1-2, 1-0) ? Frank Rijkaard a levé les bras au ciel face à cette interrogation. Mais pour l’entraîneur des Blaugrana, il était « hors de question de précipiter son retour », à la suite d’une fracture du cinquième métatarse au pied gauche, survenue en novembre dernier. Résultat : trois mois sans compétition. Sept buts en six matches Une déchirure à la cuisse droite l’avait également éloigné des terrains durant six semaines la saison dernière et privé de la finale de la Ligue des champions remportée par le Barça face à Arsenal (2-1). « Oui, le temps parfois me paraît long, très long même, a confessé Messi. Mais je dois apprendre à être patient pour mieux exploser. » Au cours des six derniers matches, Championnat et Coupe du Roi confondus, Lionel Messi a marqué sept buts, dont un triplé contre le Real Madrid (4-4, au Camp Nou) qui risque de peser lourd pour le titre et fera date dans l’histoire du Barça, quoi qu’il advienne à la fin de la saison. Depuis 1994 en effet, quand Romario s’était illustré à son tour en plantant trois buts aux Merengue (5-0), plus aucun joueur de Barcelone n’avait réussi pareil exploit. Hier, à la fin de l’entraînement, Messi, rose de plaisir et de timidité, s’est « Ce but est un bijou » tin confiait aussi que Xavi s’était gentiment moqué de lui : « Il m’a dit en rigolant que plus tard et pour longtemps tout le monde se souviendrait de mon but mais que tout le monde aurait oublié qu’il m’avait fait une passe décisive à… soixante mètres du but. » Frank Rijkaard, l’entraîneur du FC Barcelone, ne se montrait pas avare de compliments : « Leo nous a régalés d’une authentique œuvre d’art. Ce but, c’est un bijou pour le monde du football. Il dribble merveilleusement, prend tout le monde de vitesse et, à l’instant final, du droit, alors que tout est bouché, qu’il n’a presque pas d’espace, il parachève le miracle. Messi est jeune, il va encore nous étonner, sa marge de progression est fantastiquement élevée. » Deco, qui a pris Messi sous sa protection et le conseille jusqu’en dehors du terrain, s’est également montré ébloui par l’action de son coéquipier et n’a pas hésité à classer son but au-dessus de celui de Maradona : « Le but de Messi ressemble beaucoup à celui de Maradona contre l’Angleterre, mais, pour moi, celui de Leo est plus beau. Les premiers dribbles étaient très difficiles. Ensuite il a eu la force physique de résister. Il fallait pouvoir garder la tête froide, ses nerfs, et être plus solide que les défenseurs. C’est génial. » Schuster : « Je suis très fâché » De partout, les éloges ont continué à pleuvoir. Comme celles de Joan Laporta, président aux anges : « Le but de Maradona à Mexico était une merveille, mais il n’avait pas fait de petits ponts. Celui de Messi est une pure anthologie. Il y a tout dans le sien. Tout. À en avoir le vertige. » Txiki Beguiristain, ancien joueur de la dream team de Cruyff, devenu directeur sportif du Barça, enfonçait le clou sur la comparaison avec Maradona : « Compte tenu de l’enjeu, le but de Maradona contre l’Angleterre, en quarts de finale d’un Mondial, est plus important que celui de Messi, mais, que Maradona me pardonne, celui de Messi me semble bien plus fort, mieux élaboré, mieux fini et, surtout, Messi résiste à plus d’impact physique. Les joueurs de Getafe mettent davantage le pied que les joueurs anglais de l’époque. Et, au départ de l’action, il ne faut pas oublier non plus que Messi réussit deux petits ponts sublimes. Maradona, aucun. » Seul Bernd Schuster, l’entraîneur de Getafe, vexé, n’avait toujours pas digéré ni le but ni la lourde défaite : « Je ne veux pas me mettre dans la peau d’un spectateur pour apprécier ce but. Je veux juste voir ça avec l’œil de l’entraîneur de Getafe. Tout ce que je peux ajouter, c’est que je suis très fâché après mes joueurs. » Qui risquent en effet d’en entendre parler, comme le soulignait Nacho, le milieu de terrain des vaincus qui se projetait déjà dans le futur : « Je n’aimerais pas me voir sur la photo du but dans trente ans. Malgré tout, ça reste un très grand but. On aurait dû l’arrêter avant, mais personne ne pouvait se douter que l’action finirait au fond de nos filets. Je crois qu’on va en entendre parler longtemps. Et pourtant, à Getafe, défendre, on sait ce que ça veut dire. » – G. R. Pendant ce temps-là, Maradona... de notre correspondant LE NOM DE MESSI était hier matin dans toutes les bouches et sur toutes les unes des journaux argentins. Mercredi soir, quelques minutes seulement après son but « venu de la même planète que celui de Maradona », les sites Internet des principaux quotidiens du pays proposaient de revoir le chef-d’œuvre en vidéo et de l’écouter en direct sur les ondes de la radio espagnole Cadena Ser. Plus fort encore, alors que la sélection argentine rece- PAGE 4 vait mercredi soir le Chili, son résultat (0-0) a été relégué en seconde position hier matin après le but de Messi. Tout le monde a bien évidemment fait le parallèle entre le gaucher de Barcelone et le « Pibe de oro » (Maradona). « Le jour où il a été Maradona » (Clarin), « Messi l’a fait » (La Nacion) ou encore « Comme en 1986 » (Olé) titraient d’ailleurs les principaux quotidiens argentins. Dans ce concert de louanges, un homme a brillé par son silence : Diego Maradona himself. Lui qui, d’habitude, ne tarit pas d’éloges au sujet des jeunes joueurs argentins est resté muet comme une carpe. L’idole de tout un peuple a des circonstances atténuantes : il se morfond toujours au fond de son lit d’hôpital. Admis le 28 mars pour un malaise lié à son goût exagéré et destructeur pour l’alcool, le grand numéro 10 argentin était ressorti le 11 avril... pour être réhospitalisé d’urgence deux jours plus tard suite à de « fortes douleurs abdominales ». Selon le corps médical, Diego Maradona souffre d’une « hépatite toxique aiguë ». Alfredo Cahé, son médecin personnel, Argentine. 19 ans, né le 24 juin 1987 à Santa Fe. 1,69 m ; 67 kg. Attaquant. Club : FC Barcelone (formé au club). Palmarès. – Vainqueur : Ligue des champions 2006, Su percoupe d’Espagne 2006, Championnat du monde juniors 2005 ; champion d’Espagne 2005, 2006. 1re sélection : Hongrie-Argentine (1-2), le 17 août 2005. 12 sélections, 2 buts ; 42 matches, 15 buts en Liga ; 12 matches,2 buts en Coupe d’Europe (tous en C 1). GUY ROGER qui informe quotidiennement les médias argentins, a déclaré hier : « Diego prend conscience de la gravité de son état. Il ne s’était pas rendu compte des dégâts colossaux que l’alcool avait fait sur lui, malgré les douleurs, l’état de choc, les évanouissements et les vomissements répétés. En début de semaine prochaine, il va être transféré dans un hôpital psychiatrique dans lequel il va être pris en main pour tenter de guérir son alcoolisme. » Même au fond de son lit d’hôpital, Diego Maradona a certainement vu le but de Messi. Pour ne pas perdre une miette du superclasico (Boca Juniors River Plate) de dimanche dernier, Pelusa (peluche, un autre de ses surnoms) avait en effet exigé qu’un écran plat géant soit installé dans sa chambre. Il y a quelques mois, Maradona avait déclaré à propos du jeune attaquant de Barcelone : « Messi est le seul Argentin capable de détrôner Ronaldinho. Il est différent. Pendant longtemps, on a cherché un nouveau Maradona en Argentine. Et chaque fois, cela a fini par brider ces joueurs (Aimar, Riquelme, D’Alessandro, etc.) qui ont Mercredi 18 avril 2007, Barcelone, Camp Nou. Coupe d'Espagne (demi-finales aller). FC Barcelone - Getafe : 5-2. Buts.- Barcelone : Xavi (18e), Messi (29e, 45e), Gudjohnsen (63e), Eto'o (75e) ; Getafe : Guiza (58e), Nacho (60e). Parredes Messi Nacho Aleexis Messsi L i Garcia Luis G ci B guer Beleng Le but de Maradona contre L’Angleterre Dimanche 22 juin 1986, Mexico, stade Azteque. Coupe du monde 1986 (quarts de finale). Argentine - Angleterre : 2-1. Buts.- Agentine : Maradona (51e, 55e) ; Angleterre : Lineker (81e). Tandis que Messi faisait la une de tous les quotidiens en Argentine, son illustre prédécesseur, toujours hospitalisé, poursuivait sa lente descente aux enfers. BUENOS AIRES – (ARG) Lionel Andrés MESSI Le but de Messi contre Getafe mercredi À l’image de Rijkaard, l’entraîneur du Barça, le monde du football a salué sans retenue le but du prodige argentin. LIONEL MESSI a fait un énorme tabac hier au Camp Nou et il a fait salle comble en conférence de presse. D’entrée, il a raconté l’action de son but : « Quand j’ai reçu le ballon de Xavi, j’ai vu qu’il y avait de l’espace devant moi. J’étais parti pour m’appuyer sur Eto’o, je l’ai cherché du regard, mais il avait deux défenseurs qui ne le lâchaient pas. Au fur et à mesure que j’avançais, les autres reculaient. J’ai dû en dribbler un ou deux puis, quand j’ai vu que je ne pourrais m’appuyer sur personne de chez nous pour un relais, j’ai décidé de poursuivre tout seul. Arrivé dans la surface, j’ai d’abord pensé à tirer, mais en dribblant le deuxième défenseur, j’ai poussé le ballon un peu loin. Après, j’ai essayé de faire passer le ballon par-dessus le dernier défenseur et, pour finir, j’ai dribblé le gardien. » L’Argen- présenté devant une foule de micros. Personne n’attendait de déclaration fracassante de sa part, mais sûr de ses armes, de son jeu, il n’a pas bafouillé pour lancer à son auditoire : « Je sais que techniquement je peux faire des différences mais j’ai besoin de marquer. La confiance pour un attaquant, elle passe toujours par des buts. » Et à quelqu’un qui lui demandait s’il avait offert le sien, celui de Getafe, à Maradona, il a répondu : « Tout ce que je désire, c’est qu’il sorte vite de l’hôpital. Si ce but pouvait lui faire du bien au moral, ce serait fantastique, presque comme en marquer un deuxième. » Reid Butccher rapidement montré leurs limites. Messi, lui, ne cesse de progresser. Il n’a pas fini de nous surprendre. » Les Argentins ne contrediront pas le « Pibe de oro ». Hier, beaucoup de médias ont fait le plus beau compliment pour un footballeur en affirmant simplement : « Maradona, c’est Maradona, et Messi, c’est Messi. » Une nouvelle idole est définitivement née pendant qu’une autre continue sa lente descente aux enfers. Beardssley Maradona Maradona M dona Mara Marad SSaamson Shiltton ALEXANDRE JUILLARD VENDREDI 20 AVRIL 2007