Le latin... à la rescousse du français

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Le latin... à la rescousse du français ?
Marc Wilmet, Professeur à l’Université libre de Bruxelles, éminent grammairien, président
du Conseil supérieur de la langue française, lauréat du prix Émile Francqui en 1986 pour
avoir contribué de façon remarquable à confirmer et à renforcer le prestige de la Belgique
dans le monde scientifique, membre de l'Académie de langue et de littératures françaises est
interviewé par Alain Dauchot pour la revue Esprit libre.
Esprit Libre :
Est-ce que selon vous l'apprentissage du latin peut être considéré comme élitiste ?
Marc Wilmet :
De mon temps, on orientait les meilleurs élèves - de tous les milieux - vers le latin. C'est-àdire vers les études qui étaient considérées comme les plus prestigieuses et qui permettaient
de faire toute une série de carrières à l'université, le latin étant obligatoire pour le droit, la
médecine, et naturellement la philologie romane. Ces contraintes ont aujourd'hui disparu.
Bien sûr, les enfants des milieux fortunés étaient poussés vers ces carrières - même les moins
doués - qui " prenaient leur temps "... Il y avait donc à l'époque un certain élitisme, mais cet
élitisme-là n'a plus de sens. On devrait seulement se demander si le latin est intéressant ou
non pour former nos étudiants...
Esprit Libre :
Vous ne devez pas être très heureux de la récente enquête européenne PISA qui démontre les
lacunes de nos élèves en français. Est-ce que le latin peut permettre de mieux apprendre le
français ?
Marc Wilmet :
Il est vrai que la Belgique ne brille pas par son classement dans cette enquête... On constate
un réel déficit dans l'enseignement de la langue française chez nous. De la langue parlée et
écrite. La raison principale, à mon sens, est que les professeurs sont obligés de consacrer
l'essentiel de leurs forces à la maîtrise de l'orthographe. Rien que pour l'accord du participe
passé, 80 heures de cours y sont consacrées ! Je crois que le latin, qui est une langue
synthétique, peut contribuer à un meilleur apprentissage du français. Et le cours de latin est
d'autant plus nécessaire aujourd'hui que le cours de français ne remplit pas son rôle. Les
véritables exercices rentables pour le français se font au cours de latin. Prenons la version, par
exemple : elle vous oblige à démonter un texte et à le transcrire en français, en essayant de
garder quelque chose de cette écriture latine merveilleuse. Le latin semble avoir été fait pour
les juristes et pour les grammairiens ; il vous donne des indices qui vous précisent la logique
de chaque construction de phrase. C'est donc un exercice très formateur d'un point de vue
intellectuel et aussi d'un point de vue stylistique pour l'apprentissage de notre langue.
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Esprit Libre :
Et au-delà de l'apprentissage du français ?
Marc Wilmet :
L'initiation au latin permet de structurer l'esprit, d'apprendre à raisonner, d'acquérir du style en
français. Au-delà de cela, il vous met également au contact de toutes les langues romanes et
donc de l'ensemble de la civilisation méditerranéenne. Entre Espagnols, Italiens et Français,
on peut se comprendre grâce au tronc commun qu'est le latin. Les peuples romans devraient
d'ailleurs exploiter d'avantage cette capacité qu'ils ont de se comprendre sans trop de
difficulté, à condition d'y mettre un peu du sien. Cela renforcerait encore le sentiment
d'appartenir à une culture aux racines communes, à une des grandes civilisations du monde. Et
cela permettrait peut-être aussi de mieux résister à l'envahissement de l'anglo-saxon... Ceci
dit, je lisais récemment un article du Daily Mail où l'on découvre que les Anglais prônent très
fort l'enseignement du... latin, en disant: " ...cette langue a été à l'origine de la nôtre ". Et nous,
francophones de naissance, nous irions l'abandonner !?
Esprit Libre :
D'aucuns estiment que faire apprendre le latin en secondaire se fait en dépit de l'apprentissage
d'autres langues modernes...
Marc Wilmet :
Il y a une sacralisation de l'apprentissage des langues modernes qui fait que l'on finit par
négliger sa propre langue maternelle. Dans cette conception purement pratique, " économique
" et à courte vue, la question du latin, c'est-à-dire une langue dite " morte " face aux langues
dites " vivantes ", pèse effectivement peu dans la balance... Mais ceci est une autre histoire !
Alain Dauchot
D’après Esprit libre, avril 2006
http://www.ulb.ac.be/espritlibre/html/el042005/37.html