Les ecrivains et la langue: le cas de charles ferdinand

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Les ecrivains et la langue: le cas de charles ferdinand
MÁTHESIS 15 2006 275-289
LES ECRIVAINS ET LA LANGUE:
LE CAS DE CHARLES FERDINAND RAMUZ
MARIA HERMÍNIA AMADO LAUREL
(Universidade de Aveiro)
Nous pouvons parler la langue faite, nous ne pouvons faire la langue.
Maurice Millioud, 1914.
RESUMO
Este estudo pretende iniciar o leitor à problemática das relações
entretecidas entre os escritores e a língua na qual se exprimem.
Trata-se de uma questão particularmente premente no caso dos
escritores de língua francesa cuja nacionalidade porém é outra.
Se nos casos dos escritores provenientes de países hoje
independentes ou em processo de progressiva autonomia, mas outrora
sob administração francesa, o uso da língua do “ocupante” adquire
várias modulações, entre o sentimento da sua inadequação para
traduzir culturas de transmissão oral (Patrick Chamoiseau), e a sua
constituição como veículo de comunicação internacional da situação
do colonizado (Albert Memmi, ou Assia Djebar, voz da condição
feminina), o uso da língua francesa reveste-se de outros contornos no
caso dos escritores europeus belgas e suíços, para os quais o francês é
também uma língua materna (caso à parte ainda ocupam os escritores
flamengos que escrevem em língua francesa), solicitando portanto
outros enfoques.
Questão crucial no caso da obra de Charles Ferdinand Ramuz,
um dos escritores suiços de língua francesa mais emblemáticos da
primeira metade do século XX, cujos romances acabam de ser
editados na prestigiada colecção Bibliothèque de La Pléiade. É
precisamente sobre alguns dos ensaios mais significativos do autor
que nos debruçamos neste estudo, comprovando o seu empenhamento
no direito à diferença que deve ser reconhecido aos usos não-clássicos
da língua francesa como língua literária.
ABSTRACT
Cette étude constitue une introduction à la problématique des
rapports entretenus par les écrivains à la langue dans laquelle ils
s’expriment. Il s’agit d’une question d’une importance accrue dans le
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cas des écrivains dont l’usage de la langue française ne correspond pas
à la nationalité française.
La langue française est différemment modulée dans le cas des
écrivains en provenance de pays aujourd’hui indépendants ou en
procès d’autonomisation, mais auparavant sous administration
française. Le sentiment de son inaptitude à la transmission de cultures
véhiculées oralement (Patrick Chamoiseau), ou à la situation du
colonisé (Albert Memmi, ou Assia Djebar, voix de la condition
féminine) en constituent des motifs récurrents. L’utilisation de la
langue demande pourtant une autre approche dans le cas des écrivains
européens de langue française suisses et belges, pour lesquels cette
langue est aussi la langue maternelle (les écrivains flamands qui
s’expriment en français constituant un autre cas de figure).
Cette question devient de la plus grande importance dans le cas
de Charles Ferdinand Ramuz, un des écrivains suisses romands les
plus importants de la première moitié du XXe siècle, dont les romans
viennent d’être édités dans la collection réputée, la Bibliothèque de La
Pléiade. Nous nous pencherons sur quelques-uns des essais les plus
significatifs de cet auteur dans la présente étude, parmi ceux qui
témoignent de son engagement dans la défense du droit à la différence
qu’il estime devoir être reconnu à des usages non-classiques de la
langue française en tant que langue littéraire.
*
1. L'avant-Ramuz. Contextualisation.
L'affirmation (que nous reproduisons en exergue à notre étude)
prononcée à la manière d'un aphorisme par le philosophe Maurice
Millioud dans le contexte de son analyse d'un roman de Robert de
Traz (L'Homme dans le rang), publiée dans la Bibliothèque
universelle en 19141, est à la fois "signal" et "symptôme"2 du rapport à
la langue vécu par les intellectuels romands au début du XXe siècle.
1
Cf. Pierre-André Rieben, "L'écrivain romand et la langue", in Francillon, R.,
Histoire de la littérature en Suisse romande, Lausanne, Payot, 1997, vol. 2, p. 258,
n. 2.
2
Nous utilisons la terminologie proposée par Vincent Jouve dans la
communication intitulée "Peut-on comprendre un texte? Emma Bovary et la graisse
des livres", prononcée le 13 octobre 2005, lors de la Journée de recherche Leituras excêntricas, tenue à l'université d'Aveiro. Texte à paraître en 2006. Par l'expression
"signal", l'auteur renvoie à la logique du texte, sous-jacente aux niveaux textuels de
celui-ci, perceptible à l'analyse de "close reading" relevant de la "compréhension" du
texte; l'expression "symptôme" ouvre le sens d'un texte à de différentes approches (de
nature psychanalytique, anthropologique, sociologique, historique et littéraire,
discursive, etc.), et situe la lecture qui peut en être faite dans le contexte de
"l'interprétation".
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Cette affirmation témoigne en effet du partage du champ littéraire
romand du début du siècle face aux différents rapports entretenus par
les écrivains à la langue française. Or cette question est justement au
centre de l'oeuvre ramuzienne, et ceci depuis ses débuts, constituant la
toile de fond d'une production copieuse, qui ne cesse de s'enrichir
depuis les premiers titres, dont le recueil de poèmes Le Petit Village
(paru en 1903, Ramuz étant alors âgé de 25 ans) et ceux qu'il publiera
l'année suivante dans le recueil collectif Les Pénates d'Argile (avec ses
amis, les frères Cingria, Alexandre et son cadet Charles-Albert, et
Adrien Bovy3), jusqu'au dernier volume publié du vivant de l'auteur,
le recueil de nouvelles, Les Servants et autres nouvelles (1946).
Considérée en tant que "signal", cette affirmation dénote le parti
pris de l'auteur, assumant la filiation française de la littérature
romande et la non-identité de celle-ci. Que le texte de Millioud
paraisse à La Bibliothèque universelle est tout autant significatif.
Attardons-nous quelque peu sur l'histoire de cette revue4 et nous
comprendrons aisément l'importance de s'y faire publier, tout aussi
bien que le champ où l'écrivain qui y publie se situe. Cette revue, au
titre de départ ambitieux, La Bibliothèque universelle de Genève, était
le véhicule de la vie culturelle et scientifique genevoise et de son
Académie (future université de Genève); davantage ouverte aux
contributions littéraires à partir de la fin des années 1850, dirigée alors
par William de la Rive, cette revue se voulait devenir "un lieu de
rassemblement intellectuel pour la Suisse romande"5, ce qui explique,
en partie, la fusion opérée dans les années 1860 avec la Revue suisse,
qui poursuivait des objectifs identiques. Ce périodique, qui
juxtaposera dans son titre la désignation conjointe des deux
publications, constitue l'espace de publication réputé des écrivains
romands contemporains des débuts littéraires de Ramuz, étant alors
dirigé par Edouard Tallichet.
Résolument contre les influences du roman scientifique et
naturaliste, de modèle zolien, et de la pensée positiviste qui
constituaient la modernité en France, influences réputées néfastes par
ses collaborateurs, la revue privilégiera une vision idéaliste et morale
de la littérature, tout en proscrivant la poésie6. Le clivage entre les
3
Adrien Bovy, historien, professeur d'histoire de l'art à l'université de Lausanne.
Cf. Maggetti, D., L'invention de la littérature romande: 1830-1910, Lausanne,
Payot Lausanne, 1995, p. 38-45, 161-175, 199-214, 462-486. Revaz, G., "La vie
littéraire au cours de la seconde moitié du XIXe siècle", in Francillon, R., op. cit.,
p. 109-119.
5
Cf. Francillon, R., op. cit., p. 109.
6
Cf. Francillon, R., op. cit., p. 110, n. 2.
4
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modèles français – réputés matérialistes et amoralistes, sinon
immoraux – et la recherche d'un champ littéraire romand s'accentue
donc dans l'espace de publication de la revue7. Au fur et à mesure que
l'univers littéraire romand s'affranchit de la tutelle moralisante de
souche protestante, de nouveaux périodiques surgissent, qui ouvrent
des allées prometteuses à la nouvelle littérature émergeante. Il en est
ainsi, du moins dans ses intentions, de La Suisse romande (1885),
dirigée par Eugène Rambert, dont les propos ne sont pas loin
d'évoquer ceux de l'ancienne Revue suisse, mais surtout de deux autres
périodiques, où les critères esthétiques et l'exigence de qualité des
textes prennent la relève sur les critères de nature préférentiellement
morale. Il s'agit, bien évidemment, et dans un premier temps, de la
Revue de Genève, dont la courte existence – octobre 1885/septembre
1886 – et malgré le nombre réduit de ses abonnés et donc, de ses
lecteurs, suffira pourtant à la démarquer du champ occupé par la
Bibliothèque universelle, imbue de moralisme protestant, et, dans un
deuxième moment, au tournant du siècle, de La Semaine littéraire (à
la durée bien plus longue que celle qui l'avait précédée dans ses
objectifs, 1893-1927), où Ramuz publiera ses premiers textes, dès
1903. Les deux revues contribueront à ouvrir le goût littéraire romand
à d'autres modèles et valeurs esthétiques8, et à préparer le champ à des
projets résolument modernes, tels La Voile latine, sous-titrée par
l'écrivain fribourgeois Gonzague de Reynold, "Revue de culture
suisse", et les Cahiers vaudois, où le nom de Ramuz trouvera sa
consécration.
Les objectifs poursuivis par ces deux projets constituent une
excellente entrée en matière pour le sujet dont nous nous occupons
dans cette étude. C'est dans les pages de ces deux périodiques que
Ramuz explicite, en partie, son rapport à la langue française. Un
rapport qui trouve son fondement idéologique dans les conceptions
7
Revue qui n'est pourtant pas, du temps de la direction de Tallichet,
exclusivement littéraire: y trouvent aussi place des "articles de politique, d'économie
et de morale" (Revaz, G., art. cit., in Francillon, R., op. cit., p. 110).
8
Sur le rôle joué dans cette revue par le poète romand Louis Duchosal, et sur
l'importance de celui-ci pour l'ouverture du goût romand aux modèles de la modernité,
notamment mallarméens, v. Cabral, Maria de Jesus, "En vers et contre tout:
l'entreprise symbolique de Louis Duchosal", in Laurel, M. H. (coord.), Leituras na
Francofonia, Aveiro, Centro de Línguas e Culturas, 2004, p. 29-48. Sur le champ
littéraire romand contemporain de Mallarmé, v. Cabral, Maria de Jesus, Mallarmé
hors frontières: effluences de l'oeuvre au tournant de la littérature en Europe
francophone. Le filon symbolique du premier théâtre maeterlinckien, thèse de
doctorat, dactyl.
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identitaires de Ramuz. En effet, l'approche de la problématique
"rapport à la langue" ne peut être dissociée, dans le cas de cet auteur,
du contexte discursif plus large dans lequel elle s'insère. Situation
d'autant plus intéressante que Ramuz n'a pas produit de textes voulus
expressément comme des textes programmatiques, doctrinaires ou
théoriques sur la littérature. Le titre La Voile latine - proposé par
Ramuz et ses amis qui venaient de lancer Les Pénates d'Argile -, et le
sous-titre signé de de Reynold pour cette revue – « Revue de culture
suisse » –, en constituent un cas de figure paradigmatique de cette
implication entre l'idéologique et le littéraire dans le cas du futur
signataire de la "lettre à Bernard Grasset" (1928)9, dont nous nous
occuperons plus loin. L'opposition ne cessera en effet de s'affirmer
entre les deux hommes, autour de la question fondamentale recouverte
par ce titre et ce sous-titre: la défense de la latinité suisse, de souche
française, catholique et locale, par Ramuz et ses amis, en particulier
les frères Cingria, et la défense du ferment germanique et protestant de
la "suissitude", de la part du directeur de La Voile latine à partir de
1906, Robert de Traz, tout aussi bien que la défense de la situation
médiatrice de la Suisse romande, au carrefour des influences
germanique et française, selon l'auteur de Au pays des aïeux (recueil
de poèmes, 1902), ou de Contes et légendes de la Suisse héroïque
(1913), entre autres. Des positions auxquelles sont sous-jacentes aussi
deux visions opposées de la tradition culturelle et religieuse
identitaire romande: pour les signataires de La Voile latine, c'est dans
l'assise latine et catholique qu'il faut enraciner l'identité romande, pour
les défenseurs de "La culture suisse", c'est plutôt dans un contexte plus
large, d'ampleur nationale ou l'influence protestante est déterminante,
qu'il faudrait insérer le "cas" romand. L'apparente convergence de
sens10 constituée par le titre et le sous-titre de ce périodique dépasse le
niveau de lecture demandé par son inscription purement textuelle,
littérale – "signal" qui ne peut passer inaperçu du lecteur attentif. Ce
titre et ce sous-titre se donnent plutôt à lire, de par leur nature
oxymorique, comme le "symptôme" de la rupture entre deux champs
identitaires, tel que le confirmera la disparition prochaîne de la revue.
Deux champs qui cherchent à définir leur identité dans l'équilibre
9
Ramuz, C. F., "Lettre à Bernard Grasset", in Deux lettres, Précédé de Georges
Haldas: Fidélité profonde, Lausanne, Editions L'Âge d'Homme, 1992, coll. "Poche
suisse", p. 23-66.
10
Convergence entre le titre et le sous-titre, qui caractérise, dans la plupart des
textes, cet élément péritextuel.
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difficile entre l'élément germanique et l'élément latin, français, plus
précisément, parisien.
Rupture pourtant fructueuse, car elle sera à l'origine d'une
nouvelle revue, Les Cahiers vaudois, projet auquel Ramuz consacrera
son énergie créatrice à partir de 1913, Paul Budry en assumant la
direction avec Edmond Gilliard. Or, le titre de ce nouveau projet ne
fera que confirmer la position de Ramuz face à la question identitaire
qui était sous-jacente à l'orientation de La Voile latine et qui le sera
toujours pour ce nouveau projet. À l'enquête que Robert de Traz avait
lancée en 1906, concernant la possibilité d'existence d'un "art
national" en Suisse, "malgré ses différences de langue", et les
"traditions de cet art ou de cette littérature", Ramuz répond par ce
que Françoise Fornerod et Roger Francillon considèrent "son crédo en
matière helvétique":
"Le canton seul en définitive y a quelque unité. Une unité historique
d'abord, puis celle des moeurs et celle du langage. Je ne connais pas de
Suisse. Je connais des Bernois, des Valaisans et des Vaudois [...]."11
La question "nationale" se donne alors à comprendre sous un
autre angle. Aux tendances nationalistes unifiantes étayées par le
rapprochement identitaire avec les sources germaniques protestantes
de la quête de l'identité suisse, Ramuz et le groupe des Cahiers
Vaudois répondront par un discours porté sur la réhabilitation des
sources historiques latines, catholiques, bourguignonnes de la culture
et de l'histoire romande (ce dernier aspect constituant le projet
poursuivi par Cingria, avec, entre autres, la publication de La Reine
Berthe, et sa famille en 1947), discours où se feront écho les thèses
maurrassiennes, et par un discours porté sur le besoin d'une réflexion
approfondie sur l'usage de la langue française comme fondement d'une
quête identitaire qui devrait se jouer désormais au niveau d'une
production littéraire différenciée et caractéristique d'un champ
esthétique propre. Projet dont témoigneront non pas des textes
doctrinaires ou des "arts poétiques" définisseurs d'"écoles" ou de
"cénacles" strictes, mais où l'oeuvre fictionnelle même des écrivains,
dont celle de Charles-Albert Cingria, par sa profusion et son caractère
inclassable, et celle de Ramuz, par sa rigueur et l'engagement
11
Cf. Francillon, R., op. cit., p. 234.
"LES ECRIVAINS ET LA LANGUE: LE CAS DE CHARLES FERDINAND RAMUZ" 281
personnel dont elle témoigne12, se situent sans doute parmi les
exemples les plus aboutis.
C'est donc au niveau de la quête d'un champ littéraire et
esthétique propre qu'il faudra situer la question identitaire chez
l'"auteur phare" des Cahiers, position qui l'écartera de la
problématique nationaliste dans laquelle s'engageront bien des
intellectuels suisses et français, dans le sillage maurrassien, tout au
long de la période de "l'entre deux guerres".
2. L'importance de cette réflexion pour un renouvellement des
lettres romandes.
La réponse de Ramuz à l'enquête de de Traz dont nous avons cité
un extrait plus haut met en relief un des éléments sur lesquels se
dressera la réflexion développée par l'auteur autour de la question
identitaire, comprise selon les contours esthétiques où il la situe luimême: celui du "langage".
Afin de mieux saisir la portée de l'engagement de Ramuz dans
cette cause, il conviendrait d'introduire ici, bien que brièvement, les
tendances qui définissaient le contexte littéraire romand dans lequel
Ramuz cherchait sa place.
Or ce contexte, qui s'articule dans le partage d'une langue
commune à celle d'une culture qui rayonne sur l'Europe depuis des
siècles, ne peut être dissocié de la connaissance des rapports que les
milieux littéraires romands entretiennent avec les milieux littéraires
français, par le biais de ses écrivains et des tendances littéraires qu'ils
cultivent. Des rapports de nature complexe, de part les incidences
idéologiques et/ou politiques qui les soutiennent au long de l'histoire
et qui se projettent dans la définition du champ littéraire.
C'est justement autour de l'utilisation de la langue française que
les positions identitaires littéraires s'articulent, dans un débat qui,
depuis Ramuz et ses contemporains, ne cesse d'être présent encore de
nos jours13.
12
Ramuz ayant décidé d'abandonner une formation en droit, à laquelle le vouait
le désir de son père, pour se consacrer entièrement au métier d'écrivain, après avoir
conclu sa licence en lettres classiques.
13
Un débat qui dépasse même les contraintes linguistiques et qui reprend la
question identitaire de base, que ce soit en territoire romand ou en territoire
alémanique. V. pour le cas romand, Bertil Galland, « Mais la littérature romande
existe-t-elle ? », in id., La littérature de la Suisse romande expliquée en un quart
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Du temps de Ramuz, ces rapports étaient envisagés selon
quelques lignes de forces. Celles-ci se déployaient depuis la défense
de l'autonomie romande face aux modèles importés de France, et
l’engagement dans la sauvegarde des sources traditionnelles locales,
misant sur l'édification d'une littérature nationale, de souche
helvétique, jusqu’à la fusion défiguratrice avec les modèles français.
Mouvement fusionnel qui peut engendrer un rapport de nature
centripète avec la langue française, que l'on chérit dans sa pureté à
travers des formules idéalisées, hypercorrectes, et dépréciatives des
usages locaux.
Le premier choix était déjà perceptible dans l'orientation de la
revue La Voile latine, dirigée par Robert de Traz, à la lecture de son
sous-titre, revue de culture suisse, ou de l'oeuvre du "romaniste,
historien, Européen, critique conservateur de son temps et penseur
anti-libéral"14, qu'a été l'écrivain Gonzague de Reynold, autour de
laquelle s'édifie la défense de l'helvétisme et de ses valeurs
particulières, inspirée de la lecture de l'"esthétique nationaliste" de
Maurice Barrès15, laquelle valorisait, à son tour, une poétique
terrienne fondée sur les traditions locales.
La deuxième situation est vécue par les écrivains romands
intégrés à la vie littéraire et sociale française, tels, du temps de
Ramuz, Edouard Rod ou Victor Cherbuliez. Bien que dénotant un
rapport de nature différente à la langue française, ces postures
témoignent d'un malaise assumé de façon plus ou moins explicite par
les différents écrivains face à une langue qui, enracinée dans une autre
culture, et identifiée à un concept, celui de nation, qui n'a aucunement
la même consistance unifiante en Suisse, tel que l'avait bien exprimé
Ramuz dans l'extrait cité, parvient au point d'être ressentie comme une
d’heure, suivi d’une anthologie lyrique de poche, Genève, Editions Zoé, Coll. Cactus,
1986 ; pour le cas alémanique, Gonçalo Villas-Boas, « Um olhar sobre a literatura
suiça”, Revista da Universidade de Aveiro/Letras, nºs 6-7-8, 1989-1990-1991, p. 359380.
14
V. Aram Mattioli, "Gonzague de Reynold, écrivain nationaliste et doctrinaire
catholique", in Francillon, R., op. cit., chap. VI, p. 293. Sur la vie et l'oeuvre de
Gonzague de Reynold, v. Aram Mattioli, Gonzague de Reynold, Idéologue d'une
suisse autoritaire, Fribourg, Editions Universitaires, 1997.
15
Expression empruntée à Aram Mattioli, art. cit, op. cit., p. 296. La pensée
nationaliste de de Reynold évoluera vers la défense des dictatures en Europe. Si
l'écrivain gardera ses distances face au régime nazi, conditionné par son
intransigeance catholique et son opposition à la nature athée et raciste de ce modèle
politique, il célèbrera le régime de l'Estado Novo et la figure de Salazar dans le livre
publié avec succès en 1936, Portugal.
"LES ECRIVAINS ET LA LANGUE: LE CAS DE CHARLES FERDINAND RAMUZ" 283
langue étrangère par l'auteur que nous avons cité en épigraphe à notre
étude, Maurice Millioud, dans l'article publié en 1914 dans la
Bibliothèque universelle:
"La langue française n'est pas à nous, c'est nous qui sommes à elle et qui
sommes obligés de façonner sur ses exigences notre pensée, nos sentiments,
notre vision. Nous pouvons parler la langue faite, nous ne pouvons faire la
langue.".
3. Contextualisation dans l'oeuvre de Ramuz.
En effet, si la question du rapport à la langue française est
déterminante de la réflexion des auteurs romands du début du XXe
siècle, cette réflexion assumera, dans le cas concret de l'oeuvre de
Ramuz, la matière première où s'inscrit sa poétique.
Nous nous bornerons, dans cette étude, à mentionner deux textes
qui s'affirment comme de véritables manifestes dans le contexte de
l'oeuvre ramuzienne, mais aussi dans le contexte plus élargi de la
réflexion contemporaine de l'auteur sur cette problématique16. Nous
nous référons, le lecteur l'aura compris, à l'article que Ramuz publiera
en 1914 dans le premier numéro des Cahiers Vaudois, "Raison
d'être", et à la lettre que l'auteur adressera à son ami l'éditeur français
Bernard Grasset, l’année où il publiera le roman La Beauté sur la
Terre,1928.
Pourtant, c'est dans les pages du Journal17 de Ramuz que nous
trouvons l'expression la plus directe et la plus vivante de la mesure de
son engagement envers la "raison d'être" de sa vie, celle d'être
écrivain, celle de maîtriser la langue. "Après deux jours de grand
travail"18, il y écrira le 9 décembre 1904:
16
Une référence importante doit être faite à l'oeuvre d'Edmond Gilliard,
fondateur, avec Paul Budry des Cahiers Vaudois, et partageant avec Ramuz le
sentiment de l'identité littéraire romande fondée sur un usage particulier du français.
Pour plus d'information sur cet auteur, cf. note 1, Pierre-André Rieben, art. cit., p.
265-268.
17
Tout récemment réédité (octobre 2005), en deux tomes, chez l'éditeur
Slatkine, dans le projet de l'édition des oeuvres complètes de l'auteur en cours: tome I
(1895-1903), tome II (1904-1920) ), tome III (1921-1947), sous la direction de Roger
Francillon et de Daniel Maggetti.
18
L'écrivain avait terminé l'écriture d'Aline l'été de 1904, roman poétique qui
paraîtra en avril 1905, et la revue La Voile latine naît à l’automne de la même année.
L'écrivain se trouve à Paris (où il restera, lors de ce premier séjour, jusqu'au mois de
juin 1914, veille de la guerre), et entame sa carrière de lettres.
284
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"J'étreindrai la langue et, la terrassant, lui ferai rendre gorge jusqu'à son
dernier secret, et jusqu'à ses richesses profondes, afin qu'elle me découvre son
intérieur et qu'elle m'obéisse et me suive rampante, par la crainte, et parce que
je l'ai connue et intimement fouillée. Alors, m'obéissant, tout me sera donné,
le ciel, la mer, et les espaces de la terre – et tout le coeur de l'homme."19
La maîtrise de la "langue" à laquelle Ramuz se propose de
consacrer en des termes aussi vifs sa labeur, demandera de sa part une
profonde réflexion sur les rapports qui le lient, dans sa qualité
d'écrivain, à la langue française. Remarquons que jusqu'à cette date
Ramuz s'était exercé à de divers types de discours et genres littéraires,
tels le petit poème en prose, le vers libre ou le récit réaliste. Ce sera
surtout dans les textes qu'il publiera à partir des années de guerre, tels
Raison d'être (1914), et après les années vingt, tels Salutation
paysanne (1921), que l'écrivain se fraiera une voie propre dans les
sentiers de l'originalité, poursuivant l'exercice d'une "langue" que ses
lecteurs reconnaîtront aussitôt. Pourtant, il ne sera pas applaudi à
l'unanimité, risquant même d'être banni de la "république des lettres"
françaises, par l'usage inattendu de la langue qu'il avait osé. Noël
Cordonier nous fait entendre les propos du critique français Auguste
Bailly dans sa Chronique des livres lors de la parution de L'Amour du
monde:
"Mais qu'il [Ramuz] soit un écrivain français, non, jamais je ne me
résignerai à une hypothèse aussi dénuée de vraisemblance!... Ecrivain
français! S'il veut l'être, qu'il apprenne notre langue!... Et s'il ne veut pas
l'apprendre, qu'il en emploie une autre!"20
Nous avons fait référence plus haut à de divers choix qui
témoignent, de la part des hommes de lettres romands, de leur rapport
à la langue française. Noël Cordonier se propose d'analyser le cas de
Ramuz en le situant sur le fond de "l'universalité de la culture
française", "propension" que "Ramuz [...] n'a semble-t-il jamais
contesté[e]"21. Si, de nos jours, tel que le reconnaît ce critique,
l'hégémonie de la culture française "est battue en brèche par les
assauts d'une autre forme d'universalisme (la mondialisation, qui
apparaît comme le négatif de l'humanisme traditionnel)", "entre 1900
19
V. C. F. Ramuz, Journal: Journal, notes et brouillons, Texte établi et annoté
par Daniel Maggetti et Laura Saggiorato, Genève, Editions Slatkine, 2005, tome 2,
p. 40.
20
Cordonier, N., "Ramuz lit Rousseau: la langue et le lieu", Revista da
Universidade de Aveiro/Letras, nº 18, 2001, p. 92.
21
Id., art. cit ., p. 94.
"LES ECRIVAINS ET LA LANGUE: LE CAS DE CHARLES FERDINAND RAMUZ" 285
et 1950, le messianisme français allait cependant presque de soi, et
c'est avec conviction que Ramuz estimait que le pays était la figure de
proue de la pensée humaniste européenne". C'est donc dans le
contexte d'une "culture à vocation 'universalisante'" et exemplaire que
Ramuz se situe, avec fierté, ne pouvant cependant accepter la
contrainte de mécanismes qui l'auraient "fortement convié à blanchir,
à uniformiser sa langue"22. Pour Ramuz, la cristallisation du modèle
culturel français a été opérée au XVIIe siècle, et c'est par rapport à ce
modèle que se définissent, encore de son temps et selon lui, les
normes de la langue littéraire.
S'adressant à Bernard Grasset dans la lettre citée plus haut,
Ramuz fait état de son admiration envers le siècle classique, tout en
soulignant pourtant son écart de ce modèle, avec lequel il ne peut
s'identifier pour des raisons historiques et culturelles mais aussi
"topographique[s], géographique[s], géologique[s]" (p. 44), le "Pays
de Vaud" d'où il est originaire n'ayant "jamais fait partie de la nation
française" (p. 33). C'est donc selon un rapport d'admiration (envers la
portée universalisante de la culture française qu'il partage), mais aussi
d'autonomie (fruit de circonstances qui lui sont exogènes, mais qui le
déterminent en tant que "Vaudois" et de circonstances endogènes,
telles que la défense de la liberté de la langue française qu’est aussi la
sienne) que s'affirmeront les liens entre Ramuz et la France. Des liens
où se joue l'équilibre nuancé entre la culture et la littérature de soi et
celle de l'autre, dans le partage d'une langue commune mais qu'il lui
faudra connaître (pour rester proche de l’esprit de la citation du
Journal de l'écrivain transcrite plus haut, et pour utiliser un mot
particulièrement sgnifiant du vocabulaire métalittéraire et fictionnel
ramuzien), jusqu'à la rendre sienne.
La période au long de laquelle s'écoule son premier séjour
parisien (1904-1914), et dont témoigne Raison d'être, correspond à
celle d'une profonde réflexion, déclenchée d'abord par le sentiment
d'étrangeté qu'il y éprouve face à sa propre langue, déterritorialisée par
rapport à ses repères et usages personnels, mais qui pose déjà les
fondements sur lesquels il articulera la maîtrise de son art. Des propos
repérés dans les pages de ce texte trouvent ainsi des échos dans
22
id., art. cit., p. 96. Noël Cordonier propose le concept de "francisation" pour
signifier les mécanismes à tendance normative de l'usage de la langue et des modèles
français, qu'il identifie comme "le moule homogénéisant et légaliste intérieur", et le
concept d'"exemplarité", pour désigner "la particularité française estimant que sa
culture représente ou enseigne l'être humain permanent", et souligner "la vocation
internationale" de cette culture, id., op. cit., p. 95.
286
MARIA HERMÍNIA AMADO LAUREL
d’autres écrits contemporains ou postérieurs de celui-ci - son Journal
ou ses Cahiers23 -, définissant une poétique de l'authenticité des
rapports de l'écrivain à la langue. C'est dans la nature personnelle du
rapport qu'il réussira à entretenir avec la langue qu'il pourra
apprivoiser ce qui deviendra sa langue.
C'est justement ce sentiment, perceptible déjà lors de ses lectures
scolaires, normatives, qui transparaît des pages de "Raison d'être", où
la solitude de l'étranger que Ramuz était à Paris, se double de sa nonidentification à la langue:
"Le ton de la conversation m'est étranger et j'y suis étranger. Le gesticulé
de la phrase, où le sentiment se mime d'avance et s'invente à lui-même à
mesure qu'il s'exprime [...]; cette espèce de théâtre vécu [...] autant de choses
auxquelles je reste extérieur".24
Le 21 janvier 1904, soulignant le rapport essentiel entre la
"pensée" et la "forme" (ce qu'il est convenu de désigner par le fond et
la forme), et le caractère sacré, "liturgique" (tel qu'il le nommera dans
d'autres passages) de toute chose et de son rapport aux choses, il note
dans le Journal:
"Tout être, toute chose, et la plus humble des pierres, chaque fragment
de la matière est un fragment de l'esprit. La pensée habite toute forme. [...]
c'est pourquoi toute chose est sacrée; [...]. Quand l'esprit partout répandu a
pris conscience en nous-mêmes, il parle partout; je ne puis nommer un arbre
de son nom, sans que ce nom sorte de moi, comme gonflé de ses significations
intérieures; [...] la plus simple phrase porte en elle des vérité éternelles; il est
donc inutile que j'aille chercher loin de moi des prétextes à ma langue"25.
Sans doute proche du Proust de "La Méthode de Sainte-Beuve",
pour qui "tout [est] dans l'individu"26, partageant avec lui l'expérience
de "l'abîme qui sépare l'écrivain de l'homme du monde" et déjà
parfaitement conscient que "le moi de l'écrivain ne se montre que dans
les livres"27, Ramuz écarte sa poétique de toute finalité réaliste (ou
régionaliste, tel que pourrait le laisser supposer son attachement au
23
Reproduits dans le recueil Remarques, disponible dans la Collection "Poche
suisse", chez l'éditeur L'Âge d'Homme (1987), qui regroupe "Remarques (Six Cahiers,
1928-1929)", "Citations (Six Cahiers-1929) et "Remarques (Oeuvres complètes, t.19,
Mermod, 1941)".
24
Cit. par Pierre-André Rieben, art.cit., p. 259.
25
Journal, tome 2, p. 4. C'est nous qui soulignons.
26
Proust, M., Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, Bibliothèque de La
Pléiade, 1971, p. 220.
27
id., ibid., p. 225. Raison qui justifie la réserve du "moi social" de Ramuz, et la
nature de son Journal, non biographique, au sens traditionnel du genre.
"LES ECRIVAINS ET LA LANGUE: LE CAS DE CHARLES FERDINAND RAMUZ" 287
"terroir" vaudois, ou la référence récurrente à "l'ici", au "chez nous",
dans plusieurs de ses textes).
En effet, l'opposition de l'écrivain à la langue française doit être
envisagée dans un contexte plus large, celui de l'hégémonie de la
langue française figée par l'Académie et la tradition littéraire.
Revenons à la lettre à Bernard Grasset. Après avoir identifié
l'indépendance de l'histoire du Pays de Vaud par rapport à l'histoire de
France, et les contingences historiques qui ont élevé le français
"classique" comme "langue littéraire parmi tant de langues" qui
auraient pu l'être d'entre celles "d'oïl et d'oc qui existent encore
actuellement" (p. 35-36) en France, Ramuz en vient à la question de
son amour envers la langue française et à la liberté qu'il défend de la
pratiquer, au nom de son "amour du vrai, par goût profond de
l'authentique [...], par fidélité"28 (p. 43):
"Je me refuse de voir dans cette langue "classique" la langue unique,
ayant servi, devant servir encore, en tant que langue codifiée une fois pour
toutes, à tous ceux qui s'expriment en français. Car il y a eu, il y a encore des
centaines de français" (p. 35).
Pour Ramuz, la langue littéraire est une matière vivante à l'instar
des langues, qui "sont sans cesse en train de se défaire et de se
refaire". Il se propose alors de l'appeler "langue-geste" puisqu'elle
doit exprimer par des mots les "gestes" de ceux qui la parlent; elle ne
peut devenir ce "français académique" aux "codifications"
"péremptoires, autoritaires, exclusives" qu’est la "langue-signe" des
livres (p. 53).
La quête d'un usage authentique de la langue constitue donc la
"raison d'être" de la poétique ramuzienne. Une poétique que l'auteur29
définit avant tout en termes de "fidélité" à son "moi profond"30, un
moi qu'il veut proche et l'expression de son "pays" et de ceux qui y
habitent, mais établissant avec eux un rapport particulier.
La comparaison entre deux attitudes possibles devant la peinture
d'un paysage nous permettra de mieux comprendre le rapport à la
28
C'est nous qui soulignons.
Le poète romand Georges Haldas intitule le texte qui précède la publication
des deux lettres, dont celle à Bernard Grasset, "Fidélité profonde". Il propose dans ce
texte préfaciel une fine analyse des aspects dont se revêt cette posture ramuzienne,
très particulièrement en ce qui concerne son rapport à la langue.
30
Expression que nous empruntons à Marcel Proust dans le texte cité.
29
288
MARIA HERMÍNIA AMADO LAUREL
langue et le rôle de l'écrivain par rapport à la peinture du réel prôné
par la poétique ramuzienne.
Au risque de méconnaître les "parentés secrètes" qui
s'établissaient entre l'esprit et la matière, et qui donnaient forme (telles
une "petite poétique") à l'univers de la création artistique de ses débuts
littéraires, mais dont l'absence le condamnait à la solitude,
"Mais dès que l'esprit m'a quitté ou s'il est étranger à ma conscience
intime, soudain le monde entier est dépeuplé; la plus belle des choses apparaît
sèche et languissante; elle n'est plus rien en-dehors d'elle-même; elle est
comme une plante qui a soif; et les plus belles phrases ne sont qu'un bruit qui
s'en va. (Petite poétique)".31
l'écrivain qui cherche à produire la description exacte des choses,
risque à son tour, de faire fausse route.
Aux tonalités symbolistes par lesquelles le diariste s'exprimait
dans les pages de son Journal de 1904, répond, dans ses textes de
maturité, la "langue ramuzienne", reconnaissable, dans les deux
extraits suivants, à des effets de ressassement (tels la répétition et la
reprise)32 et à la tonalité édifiante du discours qui caractérise
l'exposition de sa pensée poétique - sa "Poétique".
"L'écrivain décrit un paysage. Ce paysage, il le porte en lui-même. Mais
il arrive qu'il se méfie de lui33 au point de se référer au paysage réel, car
l'écrivain comme le peintre peut être tenté de peindre d'après nature. [...] il
semble que tout y soit finalement et tout y est; - mais c'est précisément parce
que tout y est qu'il n'y a rien. Sa description est fausse; elle est fausse parce
qu'elle n'est pas convenable."34
Le discours moraliste qui exprime la poétique ramuzienne devient
plus évident dans l'extrait suivant, commentaire à la situation à
laquelle nous venons de faire référence, et dans lequel nous
retrouvons la quête de l'authenticité (souvent exprimée sans
31
Journal, op. cit., p. 4-5.
Noël Cordonier a particulièrement bien étudié la syntaxe et la rhétorique de
Ramuz dans l'article cité.
33
Etablissant un parallèle avec le texte précédemment cité, situation analogue à
celle vécue par l'artiste lorsque "l'esprit le quitte".
34
Remarques, o.p. cit. n. 23, p. 139-140. L'identification écrivain/peintre devient
récurrente chez plusieurs auteurs à partir des textes esthétiques de Baudelaire. Cette
identification est explicite dans le cas de Ramuz, qui ne se nomme pas « écrivain »,
mais « artiste ». sur cette problématique, v. « L’exemple de Cézanne », in Critiques
d’Art, prés de G. Froidevaux, Genève, Slatkine, 1994, p. 135-147.
32
"LES ECRIVAINS ET LA LANGUE: LE CAS DE CHARLES FERDINAND RAMUZ" 289
ménagements dans un style brusque) et l'exigeant pari de fidélité à soimême et à l'art poursuivi, avec l'engagement total de sa personne, par
Ramuz:
"L'écrivain est puni par où il a péché. Il a été infidèle à lui-même. Il a
oublié que les choses pour lui ne peuvent avoir qu'une existence intérieure: et
que là, c'est-à-dire au dedans de lui-même, il y a un paysage qu'il voit ou qu'il
ne voit pas; et s'il le voit, il n'a qu'à le décrire, le décrire tel qu'il le voit; s'il ne
le voit pas, qu'à ne pas le décrire. Il a oublié que c'est quelquefois en ne
décrivant pas qu'on décrit."35
Et ceci au moyen d'une "langue" qu'il inventera, et qui, loin
d'approfondir le vide entre lui et le monde ici dénoncé36, lui permettra
de se retrouver dans la beauté de la terre, dans l'émotion première de
son épiphanie. Ainsi s'explique le caractère liturgique de son oeuvre,
fondé sur le rapport de "convenance" entre l'esprit et la matière, entre
la langue et l’amour du monde37 qu'elle se doit de dire, entre le poète
et sa vérité.
35
Op. cit., p. 140.
Vide creusé par les lectures scolaires, gardiennes du "bon français", tel qu'il le
constate dans la Lettre à Grasset.
37
Du titre du roman publié en 1924, L’amour du monde.
36

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