La République de Platon: le mythe d`Er le Pamphylien

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La République de Platon: le mythe d`Er le Pamphylien
© 1999, 2002 Bernard SUZANNE
Dernière mise à jour le 16 mai 2004
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(4ème tétralogie : L'âme - 2ème dialogue de
la trilogie)
Le mythe d'Er le Pamphylien
République, X, 613e6-621d3
(Traduction (1) Bernard SUZANNE, © 1999)
La République dans son ensemble est le récit fait par Socrate à un ou
plusieurs interlocuteurs anonymes, d'une conversation qu'il a eue la veille
au soir dans la maison de Céphale, au Pirée avec une bande de jeunes menés
par Polémarque, le fils de Céphale, dans le cadre de la première fête
organisée par Athènes en l'honneur de la déesse thrace Bendis. Dans cette
dernière partie de la discussion, l'interlocuteur de Socrate est Glaucon,
l'un des frères de Platon.
"[613e] En ce qui concerne en effet, repris-je, ce que le juste, pendant sa
vie, de la part des dieux et [614a] aussi des hommes, obtient en matière de
prix et aussi de salaires et de dons, à côté de ces biens mêmes que la
justice elle-même lui procurait, ainsi se pourrait-il qu'il en soit.
Et ils sont, dit-il, fort beaux et solides.
Eh bien ceux-ci, repris-je, ne sont rien, ni par la quantité ni par la
grandeur par rapport à ceux qui attendent chacun des deux [le juste et
l'injuste] une fois morts ;et il faut entendre cela, pour que chacun des
deux d'entre eux ait reçu parfaitement en retour ce qu'on doit entendre sous
la conduite du logos. (2)
[614b] Tu devrais bien le dire, dit-il, car il n'y a pas grand choses de
plus agr?able à entendre.
Mais ce n'est certes pas, repris-je, un conte à Alkinoos (3) que je vais te
faire, mais bien celui d'un vaillant homme (4), Er, fils d'Arménios, de la
race des Pamphyliens (5) ; après que jadis il eut été tué au combat, parmi
les morts qu'on enlevait au bout de dix jours déjà putréfiés, il fut tout
d'abord enlevé en bon état, puis, transporté chez lui, alors qu'on
s'apprêtait à lui rendre les honneurs funèbres, au douzième jour, étendu sur
le feu, il revint à la vie, et, revenu à la vie, raconta ce qu'il aurait vu
là-bas. Il dit alors qu'après être sortie de lui, son âme avait marché
[614c] parmi beaucoup d'autres et qu'elles étaient arrivées en un certain
lieu quasi divin (6), où il y avait en outre dans la terre deux ouvertures
béantes (7) voisines l'une de l'autre et pareillement dans le ciel au dessus
mais en direction opposée. Et des juges siégaient entre elles, qui, après
avoir rendu leur jugement, ordonnaient d'une part aux justes de marcher vers
la droite et vers le haut à travers le ciel, leur attachant sur le devant un
signe de la manière dont ils avaient été jugés, d'autre part aux injustes [
de marcher] vers la gauche et vers le bas, ceux-là ayant derrière eux un
signe de tout ce [614d] qu'ils avaient fait. Lors donc que lui-même
1
s'avance, on lui dit qu'il lui faudrait devenir messager aux hommes des
choses de [ce monde-]là (8) et ils lui recommandent d'écouter et d'observer
tout ce qui se passe en ce lieu. Il vit donc en cette place d'une part, à
travers l'une des deux ouvertures béantes du ciel et de la terre, s'en aller
les âmes, après que celles-ci aient été jugées, d'autre part à travers
l'autre, de l'une d'une part en monter de la terre, pleines de crasse et de
poussière, de l'autre d'autre part, en descendre d'autres du [614e] ciel,
pures. Et celles qui arrivaient continuellement paraissaient venir comme
d'un grand voyage, et, revenant joyeuses vers la prairie, posaient leurs
tentes comme dans une assemblée de fête, et se saluaient en outre
mutuellement pour autant qu'elles se connaissaient, et celles qui venaient
de la terre s'informaient en outre auprès des autres des choses de là-bas et
celles qui venaient du ciel auprès des premières, et elles se racontaient
les unes aux autres en détail, les unes [615a] en se lamentant et en
pleurant en s'en ressouvenant, combien de choses et lesquelles elles
auraient subi et vu durant leur voyage sous terre --or ce voyage est de
mille ans--, et les autres au contraire qui venaient du ciel racontaient des
jouissances et des spectacles inimaginables de beauté. (9) Assurément, ces
nombreuses histoires, Ô Glaucon, prendraient beaucoup de temps à raconter ;
mais il dit que le point capital en étaient ceci : quelque nombreuses que
puissent être les injustices qu'elles avaient commises et les victimes de
chacune, pour toutes sans exception, elles subissaient une peine tour à
tour, pour chacune dix fois autant --ceci étant donc une période de cent ans
[615b] pour chacune, de façon à être pareille à une vie humaine--, afin
qu'elles subissent un châtiment décuple de l'injustice, et si par exemple
certaines étaient responsables de beaucoup de morts, pour avoir livré par
trahison soit des cités, soit des armées dans leurs campements, et les avoir
jetées en esclavage, ou coresponsables de quelque autre mauvais traitement,
elles gagnaient pour chacun des souffrances décuples de toutes celles-ci, et
par contre si certaines avaient fait de bonnes actions et étaient devenus
justes et pieuses, selon les mêmes principes, [615c] elles gagnaient leur
récompense. Sur ceux qui avaient passé tout de suite et avaient vécu peu de
temps, il disait d'autres choses non dignes de mémoire. Envers l'impiété et
la piété à l'égard des dieux et des ancêtres et le meurtre commis de sa
propre main, il racontait que les salaires étaient encore plus grands.
Il dit en effet s'être trouv? à côté de quelqu'un qui était interrogé par un
autre sur le lieu où était Ardiée le Grand. Or cet Ardiée était devenu tyran
de certaine cité de Pamphylie, et c'était alors la millième année depuis ce
temps-là, et il avait tué son vieux père [615d] et son frère aîné, et il
avait accompli encore beaucoup d'autres choses impies, à ce que l'on
racontait. Il dit donc que celui qui était interrog? répondit : "il n'est
pas venu," et ajouta : "jamais il ne pourra venir ici. C'est qu'en effet,
nous avons aussi assisté, entre autres spectacles terrifiants, à ceci :
alors que nous étions près de l'ouverture, sur le point de remonter, après
avoir subi toutes ces autres choses, de dessus, nous le vîmes tout à coup,
lui et d'autres --la plupart d'entre eux des tyrans ; mais il y avait aussi
de simples particuliers [615e] qui avaient commis des fautes graves ; eux
qui pensaient qu'ils allaient remonter de là, l'ouverture ne les accepta
pas, mais mugissait à chaque fois que l'un de ces individus si incurablement
en proie à la débilité (10) ou n'ayant pas subi une peine suffisante tentait
de remonter. Alors même, dit-il, des hommes sauvages, qui paraissaient tout
de feu, établis non loin et instruits par le bruit, en emmenaient certains
après les avoir séparés, mais cet Ardiée et d'autres, leur enchaînant [616a]
les mains, les pieds et la tête, les saisissant et les écorchant, ils les
tiraient à l'écart le long du chemin, les cardant sur des genets épineux,
signifiant à ceux qui passaient sans cesse le pourquoi de cela et qu'ils les
emmenaient pour être jetés dans le Tartare." Là certes, dit-il, il leur
était venu des craintes nombreuses et de toutes sortes, et celle-ci par
dessus tout, que n'advienne pour chacun le bruit quand il remonterait, et
c'est avec la plus grande joie que chacun était remonté sans qu'il se fit
entendre. Telles étaient donc quelques unes des peines et des châtiments,
2
[616b] et par ailleurs des bienfaits qui leur étaient opposés.
Après que, pour chacun d'eux, sept jours dans la prairie se fussent écoulés,
se levant pour partir le huitième, il leur fallait s'en aller pour arriver
après quatre jours là d'où l'on peut contempler, tendue d'en haut à travers
tout le ciel et la terre, une lumière droite comme une colonne, tout à fait
semblable à l'arc-en-ciel, mais encore plus brillante et plus pure. On y
arrive en poursuivant son chemin pendant un jour et là même, on voit au
[616c] milieu de la lumière, venant du ciel, les extrémités tendues de ses
chaînes --en effet, cette lumière est un lien du ciel qui, comme les
armatures qui ceignent les flancs des trières, tient ensemble toute la
sphère céleste--, et tendu à partir de ces extrémités, le fuseau de
Nécessité (Anagkè) (11), par lequel tournent toutes les sphères célestes, et
dont la tige et le crochet d'une part sont d'acier, le peson d'autre part
d'un mélange de cela et d'autres espèces. En outre, la [616d] nature du
peson est telle que voici : d'une part une forme extérieure identique à
celle de ceux d'ici, mais d'autre part, il faut comprendre à partir de ce
qu'il disait qu'il est tel que voici : comme si dans un grand peson creux et
évidé était ajusté de part en part un autre pareil, mais plus petit, comme
les vases qui s'ajustent les uns dans les autres, et de même encore un
troisième autre, puis un quatrième, puis quatre autres. Huit en effet sont
en tout les pesons mis les uns dans les autres, [616e] leurs bords
paraissant des cercles d'en haut, parfaitement travaillés pour former la
surface d'un seul peson autour de la tige ; celle-ci en effet se prolonge de
part et d'autre à travers le milieu du huitième. Donc, le premier et le plus
à l'extérieur des pesons a le plus large cercle de bordure, alors que celui
du sixième [vient en] second, puis troisième celui du quatrième, puis
quatrième celui du huitième, puis cinquième celui du septième, puis sixième
celui du cinquième, puis septième celui du troisième, puis huitième celui du
deuxième. Et celui du plus grand est bariolé, cependant que celui du
septième est le plus brillant, et celui [617a] du huitième tient sa couleur
du septième qui l'illumine, et ceux du deuxième et du cinquième sont presque
identiques l'un à l'autre, plus jaunes que ceux-ci, et le troisième a une
couleur très blanche, le quatrième rougeâtre, le second en blancheur [étant]
le sixième. Et par ailleurs, d'une part le fuseau tout entier enroulé se
meut circulairement de son propre mouvement, d'autre part, dans le tout
accomplissant sa révolution, les sept cercles intérieurs accomplissent
lentement une révolution contraire à celle du tout, et de ceux-ci, celui qui
va le plus vite est le huitième, seconds et à égalité [617b] l'un de
l'autre, le septième, le sixième et le cinquième ; puis au troisième rang
vient, à ce qui leur paraissait, dans ce mouvement circulaire inverse, le
quatrième, puis au quatrième le troisième et au cinquième le second. En
outre, lui-même tourne sur les genoux de la Nécessité. (12) Et sur le haut
de chacun des cercles se trouve une Sirène entraînée avec lui dans son
mouvement circulaire, émettant un unique son, un unique ton ; et à partir de
tous ceux-ci, qui sont huit, se fait entendre un unique accord. D'autres
encore, assises [617c] alentour à intervales égaux, au nombre de trois,
chacune sur un trône, filles de la Nécessité, Moires (13), vêtues de blanc,
portant des bandelettes sur leur tête, Lachésis et Clôthô et Atropos (14),
chantent en accord avec les Sirènes, Lachésis ce qui est advenu, Clôthô
quant à elle, ce qui est, Atropos enfin, ce qui doit arriver. Et la Clôthô,
avec sa main droite posée dessus, contribue au mouvement circulaire
extérieur du fuseau, observant des intervalles de temps, cependant que
l'Atropos, de la gauche, fait de même pour sa part avec ceux de
l'intérieur ; la Lachésis enfin, [617d] tout à tour, de l'une ou l'autre
main, s'attache à l'un ou à l'autre.
Eux donc, lorsqu'ils arrivent, doivent aussitôt aller vers la Lachésis.
Quelque interprète (15) les installe donc tout d'abord en ordre, puis,
prenant de sur les genoux de la Lachésis des sorts (16) et des modèles de
vies, montant sur quelque estrade élevée, il dit :
"Déclaration de la vierge Lachésis, fille de Nécessité. Âmes éphémères !
c'est le début pour une race mortelle d'un autre cycle porteur de mort.
3
[617e] Ce n'est pas un "démon" (17) qui vous tirera au sort, mais vous allez
vous choisir vous-mêmes un "démon". Que le premier que le sort désigne se
choisisse le premier une vie à laquelle il sera uni par nécessité. Mais
l'excellence (18) n'a pas de maître ; selon qu'il lui accordera du prix ou
ne lui en accordera pas, chacun en aura beaucoup ou peu. Celui qui choisit
est seul en cause ; dieu est hors de cause." (19)
Ayant dit cela, il lance les sorts (20) sur tous ; chacun ramasse pour lui
celui qui tombe à coté de lui, sauf lui [Er], lui n'y étant en effet pas
autorisé ; par ce qu'il ramassait était rendu manifeste à quel rang il
choisirait. [618a] Après cela, à nouveau, il dépose les modèles de vies
devant eux par terre, de beaucoup plus nombreux que les présents, et il y en
avait de toutes sortes : vies en effet de tous êtres vivants et en
particulier toutes celles d'hommes ; il y avait en effet parmi elles des
tyrannies, les unes qui allaient jusqu'au terme de la vie, d'autres encore
avortées au milieu, et se terminant dans la pauvreté et l'exil et dans la
mendicité ; il y avait encore des vies d'hommes, les uns estimés, certains
par la forme et du fait de leur beauté ou de quelque autre vigueur [618b] ou
combativité, d'autres par la naissance et les mérites (21) des ancêtres ; et
d'autres méprisés sur tous ces points ; et pareillement pour les femmes.
Mais le bon ordre de l'âme n'y était pas inclus, du fait que,
nécessairement, ayant choisi d'avoir une autre vie, elle devenait
différente. Quant aux autres choses, elles étaient mêlées les unes aux
autres, et avec des richesses et des pauvretés, les unes avec des maladies,
les autres avec des santés, d'autres encore avec un moyen terme entres ces
choses. Et c'est bien là, à ce qu'il semble, mon cher Glaucon, le
danger (22) absolu pour l'homme, et c'est surtout pour cela [618c] qu'il
faut veiller à ce que chacun d'entre nous, insouciant des autres sciences,
se fasse et chercheur et étudiant de cette science par laquelle il serait
possible de reconnaître (23) et de parvenir à trouver quelqu'un qui ferait
de nous des gens capables et savants (24) pour diagnostiquer une vie soit
honnête, soit défectueuse (25), pour choisir le meilleur parmi tous les
possibles toujours et partout, analysant par la raison, de toutes ces choses
dont on parlait à l'instant, prises ensemble ou séparées, quel est, en fait
d'excellence, l'effet dans la vie, et pour se faire une idée (26) sur la
question de savoir quelle beauté mêlée à pauvreté ou richesse et [618d]
associée à quelle manière d'être de l'âme produit mal ou bien, et ce que les
bonnes naissances et les basses naissances, les vies de simples particuliers
ou de commandements, les forces physiques et les manques de vigueur, les
bonnes ou mauvaises dispositions pour apprendre, et toutes ces choses qui,
regardant l'âme, viennent de la nature ou s'acquièrent, produisent mêlées
les uns aux autres, de sorte que, à partir de tout cela, il lui soit
possible, en tirant les conclusions raisonnables (27), de choisir, en fixant
les yeux sur la nature de l'âme, entre la pire et la meilleure [618e] vie,
appelant d'un côté pire celle qui la conduira là, à évoluer vers le plus
injuste, d'un autre côté meilleure celle, quelle qu'elle soit, [qui la
conduira à évoluer] vers le plus juste. Et à tout le reste, il souhaitera
bon vent, car nous avons vu que, vivants aussi bien que morts, c'est là le
meilleur choix. C'est donc dur comme fer [619a] qu'il faut tenir cette
opinion en allant vers l'Hadès, pour rester, là-bas aussi, impavides devant
des richesses et les maux similaires, et pour ne pas, en se précipitant sur
des tyrannies et autres activités similaires, d'une part être l'artisan de
nombreux maux incurables, et d'autre part subir ensuite pire encore
nous-mêmes, mais se convaincre de toujours choisir la vie médiane parmi
celles-ci et de fuir les excès dans un sens ou dans l'autre aussi bien dans
cette vie-ci autant que possible que dans toute la suite ; car c'est ainsi
que [619b] l'homme devient le plus heureux. (28)
Et en effet, à ce moment précis, rapportait le messager de là-bas,
l'interprète parla ainsi : "Même pour le dernier à s'approcher, qui
choisirait avec intelligence, s'il fait preuve de fermeté tant qu'il vivra,
il se trouve là une vie désirable, et point mauvaise. Pas plus que le
premier pour le choix ne doit faire preuve d'insouciance, le dernier ne doit
4
faire preuve d'inquiétude." (29)
Or,[l'interprète] ayant ainsi parlé, il [Er] disait que le premier désigné
par le tirage au sort, s'avançant tout droit, choisit la plus grande
tyrannie, et, sous l'influence de son insanité et de sa gloutonnerie, il
choisit sans l'avoir en tous points convenablement examinée, et [619c] il
lui échappa qu'elle le destinait à devoir manger ses propres enfants et
autres maux ; mais quand il l'eut examinée à loisir, il se frappa la
poitrine et se lamenta sur son choix, ne s'en tenant pas à ce qui avait été
dit auparavant par l'interprète ; car il ne s'estimait pas responsable, lui,
de ces maux, mais la fatalité et les "démons" (30) et tout plutôt que lui.
Or il était de ceux qui venaient du ciel ; c'est sous un régime politique
bien réglé que, dans sa vie antérieure, il avait vécu ; c'est par la
coutume, [619d] loin de la philosophie, qu'il avait reçu sa part
d'excellence. Et l'on peut même dire que les moins nombreux n'étaient pas,
parmi ceux qui se faisaient ainsi prendre, ceux qui venaient du ciel, du
fait qu'ils étaient sans entraînement aux peines ; au contraire, parmi ceux
de sous la terre, les plus nombreux, du fait qu'ils avaient eux-mêmes
souffert et en avaient vu d'autres [souffrir], ne faisaient pas leur choix
au pas de course. Et c'est bien pourquoi une permutation entre les maux et
les biens se produisait dans la plupart des âmes, autant qu'à cause des
hasards du tirage au sort : si en effet toujours, chaque fois que quelqu'un
arrive dans la vie d'ici-bas, il philosophe sainement (31) [619e] et que le
sort qui lui échoit ne le place pas dans les derniers pour le choix, il
risque (32), d'après les nouvelles rapportées de là-bas, non seulement de
vivre heureux ici-bas, mais encore de faire, d'ici à là-bas et en retour
vers ici, un voyage, non pas souterrain et rude, mais calme et céleste.
Il [Er] disait en effet que c'était à la vérité un spectacle digne d'être vu
que la manière dont chacune [620a] des âmes choisissait sa vie ; et il était
en effet pitoyable à voir, et risible et étonnant ; c'est en effet selon les
habitudes de leur vie antérieure que la plupart choisissaient. Il disait en
effet d'une part avoir vu une âme qui avait été autrefois celle d'Orphée
choisir une vie de cygne, ne voulant pas, par haine pour la gent féminine du
fait de sa mort par leur fait, naître enfanté par une femme ; il avait vu
d'autre part celle de Thamyras (33) choisir un rossignol : il avait encore
vu un cygne changer pour un choix de vie humaine, et d'autres animaux
musiciens pareillement. [620b] Et la vingtième âme appelée par le sort de
choisir une vie de lion : c'était celle d'Ajax, fils de Télamon, évitant de
redevenir homme, au souvenir du jugement des armes. (34) La suivante fut
celle d'Agamemnon ; par haine elle aussi de la race humaine à cause de ce
qu'elle avait subi, elle changea pour une vie d'aigle. Placée par le sort au
milieu, l'âme d'Atalante (35), ayant remarqué les grands honneurs rendus à
un athlète homme, n'eut pas la force de passer outre, mais prit cela. Après
[620c] celle-là, il vit celle d'Épeios (36), fils de Panopée, aller vers une
nature de femme industrieuse ; loin, dans les derniers rangs, il vit celle
du bouffon Thersite (37) entrer dans un singe. Puis, du fait du hasard,
celle d'Ulysse, placée part le sort la dernière de toutes, vint choisir,
mais, délivrée par le souvenir des peines antérieures du goût des
honneurs (38), elle chercha en tournant un long moment une vie d'homme privé
étranger aux affaires, et en trouva avec peine une étendue dans un coin et
négligée [620d] par les autres, et elle dit en la voyant qu'elle aurait agit
de même, le sort l'eut-il placée première, et contente, elle la prit pour
elle. Et en outre, toutes sortes de bêtes se transformaient en hommes ou les
unes dans les autres, les injustes d'un côté se transformant en sauvages,
les justes de l'autre en apprivoisées, et tous les mélanges possibles
s'opéraient.
Quand donc toutes les âmes eurent choisi leur vie, dans l'ordre où elles
avaient été placées par le sort, elles s'avancèrent vers la Lachésis.
Celle-ci envoie avec chacun le "démon" (39) qu'il s'est choisi, ce gardien
[620e] de sa vie chargé de l'accomplissement de tout ce qui a été choisi.
Celui-ci la conduit tout d'abord vers la Clotho, sous la main de celle-ci
qui s'occupe de la rotation du fuseau, ratifiant la part (40) qu'elle s'est
5
choisie après avoir été tirée au sort. (41) S'étant à nouveau saisi d'elle,
il la conduit vers la filature de l'Atropos, rendant immuable ce qui a été
filé. Et puis de là, sans se retourner, elle va au pied du [621a] trône de
la Nécessité et passe complètement de l'autre côté de celui-ci, et lorsque
les autres sont passées, elles marchent toutes vers la plaine de l'Oubli
(Léthé) sous une chaleur ardente et une canicule effrayante : celle-ci est
en effet dénuée d'arbres et de tout ce que la terre fait pousser. Elles
campèrent donc, une fois le soir venu, le long du fleuve Insouciance
(Amelès), dont aucun vase ne peut retenir l'eau. Il est donc nécessaire pour
toutes de boire une certaine mesure de cette eau, mais celles qui ne sont
pas préservées par la prudence en boivent plus que de mesure, et, chaque
fois qu'on en boit [621b] on oublie tout. Après qu'elles se furent couchées
et que fut arrivé le milieu de la nuit, le tonnerre et un tremblement de
terre se produisirent et de là soudain, les unes d'un côté, les autres de
l'autre, elles furent transportées en haut vers la génération, filant comme
des étoiles. Lui pour sa part fut empêché de boire de l'eau ; par où
cependant et comment il était retourné vers sons corps, il n'en savait rien,
mais tout à coup, levant les yeux, il se vit au point du jour étendu sur le
bûcher.
Et ainsi, Ô Glaucon, le mythe fut préservé et n'a pas été perdu [621c] et
peut nous sauver pour peu que nous nous laissions persuader par lui, et nous
franchirons heureusement le fleuve de l'Oubli et notre âme ne sera pas
souillée. Mais pour peu que nous nous laissions persuader par moi, tenant
l'âme pour immortelle et capable de supporter aussi bien tous les maux que
tous les biens, nous nous en tiendrons toujours à la route montante et nous
pratiquerons de toute façon la justice en accord avec le sagesse, afin que
nous soyons chers à nous-mêmes et aux dieux, aussi bien pendant que nous
demeurons ici même que lorsque nous aurons gagné les srécompenses [621d] de
celle-ci, comme les vainqueurs faisant le tour en quêtant, et que, ici-bas
et dans le voyage de mille ans que nous avons décrit exhaustivement, nous
agissions bien." (42)
(FIN DE LA RÉPUBLIQUE)
Vous pouvez maintenant consulter mon commentaire comparatif de l'histoire de
l'anneu de Gygès, de l'allégorie de la caverne et du mythe d'Er.
(1) Pour quelques commentaires sur l'esprit dans lequel j'ai fait cette
traduction, voir l'introduction aux extraits traduits de La République.
(<==)
(2) Le mot grec logos a des sens si multiples et si riches qu'il est
impossible de le traduire sans perdre une partie des résonnaces qu'il
pouvait avoir pour un Grec et qui sont à la racine d'une partie importante
des probl?mes dont traite Platon. Le mot veut tout ? la fois dire "parole" ;
"mot" ; "révélation divine" ; "réponse d'oracle" ; "maxime" ; " proverbe" ;
"entretien" ; "conversation", "discussion" ; "récit" ; "fable" dans certains
contextes, mais aussi "récit d'histoire" par opposition à muthos (mythe)" ;
"composition en prose" (les récits d'histoire tels ceux d'Hérodote et de
Thucydide furent les premiers écrits grecs en prose), par opposition à
poi?sis (poésie) ; "discours", et en particlulier, "discours oratoires";
"ouvrage" (littéraire) ; "sujet d'entretien" ; "proposition" ; "principe" ;
"raison" ; "faculté de raisonner", et donc, pour Platon, la plus noble et la
plus "divine" des trois parties de l'âme ; "intelligence" ; "bon
sens" ;"raison intime d'une chose" ; " fondement" ; "motif" ; "jugement" ;
"opinoin" ; "bonne opinion" ; compte" (au sens de "rendre des comptes") et
par suite, "évaluation", "calcul" ; "valeur" ; "relation" ; "proportion" ;
"analogie" ; "compte-rendu" ; "justification" ;
explication" ; et plu
stard, dans St Jean par exemple, le "Verbe" de Dieu (verbum étant
6
l'?quivalent latin du logos grec), c'est-à-dire Jésus-Christ.
On voit donc comment cette polysémie pouvait conduire certains à penser
qu'il suffit d'être doué de logos (parole) et de composer des logoi
(discours) pour faire preuve de logos (raison) ! Et l'on est là au cœur du
conflit entre la rhétorique des Gorgias, Isocrate et autres faiseurs de
discours et la dialectique de Platon. On notera d'ailleurs que le verbe
dialegein, d'où vient dialektikos, est formé sur le verbe legein, qui est la
forme verbale de logos.
Dans le cas présent, on voit que le même texte peut être lu comme voulant
simplement dire qu'il faut se laisser porter par le "discours", ou bien
qu'il faut écouter notre "raison". (<==)
(3) L'expression "Alkinou apologon" (conte à Alkinoos) était utilisée dans
l'antiquité pour désigner les livres IX-XII de l'Odyssée, dans lesquels
Ulysse raconte en effet à Alkinoos, roi des Phéaciens, plusieurs de ses
aventures, dont sa descente au séjour des morts, la "Nécromancie" (Odyssée,
X, 467-XI, 640), mais aussi l'histoire des Cyclopes, celle des Sirènes,
celle de son séjour chez la magicienne Circé, etc. La formule en était ainsi
venue à d?signer une histoire interminable et fabuleuse.
Du fait du caractère quasi proverbial de l'expression "Alkinou apologon", je
la traduis ici par "conte à Alkinoos", mais il faut remarquer que le mot
traduit par "conte" est apologon (dont viennent le français "apologue" et
"apologie"), dans lequel on retrouve la racine logos (voir note 2) et le
préfixe apo- qui introduit une idée d'accomplissement, de complétude, qu'on
pourrait rendre en parlant de "récit circonstancié". Il faut garder cela
présent à l'esprit pour apprécier l'opposition que fait justement Socrate
entre les "contes à Alkinoos" et ce que lui va faire, bien que ce soit le
même terme "apologon" qui soit "mis en facteur commun" pour les deux. Bref,
c'est le même mot qui sert pour les deux types de "récit", mais le
qualificatif qui les explicite (Alkinou dans le premier cas, Èros dans le
second) en module le sens. (<==)
(4) Il y a là un jeu de mot intraduisible entre le nom d'Alkinoos ("Alkinou
apologos") et le mot grec traduit par "vaillant" ("alkimou andros"). On
notera qu'Alkinoos, construit à partir de alkè, force, et nous, esprit,
pourrait se traduire par "esprit fort". Si bien que ce jeu de mot pourrait
être une discrète manière d'opposer celui qui se prend déjà pour un pur
"esprit" ("qui veut faire l'ange fait la bête") à celui qui s'accepte
"vaillamment" pour ce qu'il est, c'est-à-dire un "homme (andros)" dans
toutes les dimensions, corporelle et spirituelle, et non pas seulement
spirituelle, que cela implique, avec la mort à la clé. (<==)
(5) Le nom que Platon donne au "héros" de son mythe est déjà à lui seul tout
un programme ! Il va nous raconter l'histoire "d'Er, fils d'Armenios, de la
race des Pamphyliens", en grec "Èros tou Armeniou, to genos Pamphulou". Or,
chacun des trois noms propres ici utilisés tire avec lui tout un ensemble de
résonnaces sémantiques qui sont perdues en français et qu'il convient donc
de préciser.
Le nom Er correspond à la forme contracte èr du mot grec ear, dont la
signification première est "printemps", au sens propre, mais aussi au
figuré, pour qualifier des choses qui évoquent la
fraîcheur des
commencements. On peut donc comprendre qu'Er est le "bourgeon", le
"printemps" de l'humanité.
Mais il faut encore remarquer que le nom, qui ne figure dans le texte grec
qu'une seule fois, ici (malgré ce que peuvent laisser croire les traductions
qui, pour améliorer la clarté du texte, personnalisent, en répétant ce nom,
des tournures où, chez Platon, on ne trouve qu'un verbe sans sujet à la
troisième personne du singulier), est employé au génitif (Socrate va
raconter apologon... Èros, "un récit détaillé... d'Er"), c'est-à-dire sous
la forme Èros, qui tire avec elle d'autres résonnances. On peut ainsi y voir
une forme masculine du nom d'Hèra, la femme de Zeus, à l'esprit près sur le
hèta initial (esprit doux sur "Èr", rude sur "Hèra", rendu par le "H"
7
initial ; mais rappelons-nous que, du temps de Platon, les esprits
n'existaient pas dans les textes écrits, pas plus que la différence entre
majuscules et minuscules, tout étant écrit en majuscules). Mais, si l'on
remplace le hèta (e long) initial par un epsilon (e court), ÈROS devient
EROS, mot grec signifiant "amour", qui est aussi le nom du "dieu/daimôn" qui
le personnifie (voir note suivante). Et d'ailleurs, si nous regardons ce que
Platon trouve à dire sur l'étymologie du nom d'Hera dans le Cratyle
(Cratyle, 404b-c), nous y apprenons qu'il l'associe avec l'amour (eros) via
l'adjectif "aimable (eratè)", montrant par là que ces ressemblances
phonétiques ne lui avaient pas échappé. Enfin, si l'on garde le e long
initial en remplaçant une fois encore l'esprit doux par un esprit rude, mais
qu'on remplace l'omicron (o court) par un omega (o long), ÈROS devient
HÈRÔS, le mot grec qui a donné le français "héros" et qui servait à Homère à
désigner les chefs des Grecs devant Troie, les "héros" de la guerre,
Agamemnon, Achille, Ulysse, etc., mais qui désigne aussi des hommes ayant
acquis le statut de "demi-dieux" pour avoir été "divinisés" après leur mort
(le "hèrôs", homme élévé au rang des dieux, rejoignant ainsi dans un statut
"intermédiaire" entre dieux et hommes, à partir d'un point de départ humain,
le "daimôn", dont il sera plusieurs fois question dans la suite de
l'histoire (cf. note suivante et 617e1, etc.), sorte de dieu "inférieur"
mais d'origine néanmoins divine).
En ce qui concerne ses origines, notre "héros" est dit "fils d'Armenios", en
lequel on peut voir le héros éponyme des Arméniens, peuplade d'Asie Mineure
déjà connue d'Hérodote, mais dont il faut surtout remarquer, pour ce qui
nous occupe ici, que le nom a une parenté de racine avec "harmonia",
l'harmonie, qui joue un rôle si important dans la République, et que l'on
retrouvera plus loin dans le "mythe" (cf. 617b7 et 617c4, où le mot grec que
j'ai traduit par "accord" est "harmonia").
Quant au nom de son "peuple", de sa "race (genos)", Pamphulos, il est
construit sur "pan", "tout", et "phulon", "race, tribu", et veut dire "de
toutes sortes de tribus ou races". P. Shorey, dans sa traduction en anglais
pour la collection Loeb, remarque dans une note qu'il aurait pu traduire "to
genos Pamphulou" par "of the tribe of Everyman" c'est-à-dire en français par
"de la race de M. Toulemonde". Certes, la Pamphylie, tout comme l'Arménie,
est une région d'Asie mineure que Platon n'a pas inventée, mais c'est lui
qui a choisi d'en faire la patrie de son héros, créé de toutes pièces pour
les besoins d'un mythe dont il est l'auteur, et il n'est pas interdit de
penser que son choix a pu être orienté dans chaque cas par les résonnaces
que le mot provoquait.
Ce que va nous raconter Socrate, résumé par ces trois noms, c'est le logos
(récit, mais aussi raison... de vivre) d'un héros destiné à être divinisé
(du fait justement de son logos) et qui représente le printemps de
l'humanité, fils d'harmonie et de la race de tout le monde, poussé à agir
par l'eros, l'amour qui est en lui et qu'il peut sublimer pour atteindre au
divin ; bref, c'est chacun de nous dans ce qu'il est appelé à devenir...
(<==)
(6) Le mot grec que je traduis par "quasi divin" est daimonion, adjectif
construit sur le nom daimôn, qui a donné en français le mot démon, mais qui
n'a pas en grec le sens négatif qu'il a pris en français dans la tradition
chrétienne. Le terme grec daimôn désigne à l'origine un dieu ou une déesse
sans restriction et en est venu après Homère à désigner une divinité
inférieure, mais une divinité quand même. Ainsi, c'est de daimôn que Diotime
qualifie Eros dans le Banquet (voir en particulier Banquet, 202d, sq) pour
manifester son caractère intermédiaire entre les dieux et les hommes. Ce
n'est que bien après Platon que le mot en viendra à désigner un esprit
mauvais. Daimonion est le terme employ? par Socrate pour qualifier le "signe
divin", ce "quelque chose" qui le retenait parfois dans ce qu'il allait
faire, et que l'on appelle souvent son "démon", bien qu'il n'emploie pas
lui-même le mot daimôn pour en parler (voir en particulier Apologie,
31c8-d1, où Socrate parle de theion ti kai daimonion, "quelque chose de
divin et de démonique").
8
L'adjectif grec daimonion peut prendre le sens commun de "merveilleux,
extraordinaire", mais il n'est pas inutile de garder présentes à l'esprit
les connotations qu'il peut avoir par ailleurs dans Platon. Il peut en
particulier ici impliquer le caractère "intermédiaire" du lieu, qui est
entre le ciel et les "enfers", entre le royaume des dieux et celui des
hommes qui n'ont pas mérité d'être "divinisés" à leur mort, comme va le
montrer la suite de la description. (<==)
(7) Le mot grec traduit par "ouvertures béantes" est chasmata. C'est le même
mot qui est utilisé en République, II, 359d pour décrire le "gouffre"
(chasma) que les forces de la nature ouvrent devant les pieds du berger
lydien Gygès, dans l'histoire que raconte Glaucon alors. (<==)
(8) L'expression grecque traduite par "des choses de ce monde-là" est tôn
ekei, c'est-à-dire, littéralement, "des de là". Il faut noter que,
indépendemment du lieu même où se passe l'histoire, le mot grec ekei (là)
était utilisé par les attiques comme un euphémisme pour parler de l'Hadès
(les enfers). (<==)
(9) La phrase de Platon qui décrit les histoires racontées par les revenants
de sous la terre et du ciel est rigoureusement construite sur des
oppositions et des parallèles que j'ai essayé de conserver dans la
traduction autant que faire se peut. En ce qui concerne les parallèles,
d'abord : dans les deux cas, on trouve juxtaposés deux termes, l'un de
l'ordre de l'"action", l'autre de l'ordre de la "perception", c'est-à-dire
que l'on retrouve la même complémentarité qu'avec le couple erga kai logoi
(actes et paroles), sauf qu'ici, comme on va le voir, on est dans un
registre "passif".
Mais là s'arrêtent les parallèles. Les revenants du monde souterrain
décrivent leurs histoires en employant des verbes (ordre du "devenir") : les
verbes
pathein
et
idein
(formes
aoriste
2
de
paschein
et
oran
respectivement). Le premier, pathein, qui veut dire d'une manière générale
"subir, éprouver", et dans certains cas, plus spécifiquement "souffrir", est
l'exact opposé de verbes qui décrivent l'"agir", comme poiein (faire) ou
ergazesthai (produire par son travail, de la même famille qu'ergon, acte) ;
le second, idein, "voir", est à la racine des mots eidos et idea,
généralement traduits par "forme" ou "idée" et décrit les perceptions
(sensibles ou intelligibles : le verbe idein peut aussi vouloir dire "se
représenter, concevoir") qui sont susceptibles de mettre en branle la pensée
et le discours. Ces verbes sont employés sans qualification de ce qui est
subi ou vu ; Er nous dit seulement que les intéressés décrivent osa te kai
oia, c'est-à-dire mot-à-mot, "combien et quoi" ils ont subi et vu (après
Aristote, on parlerait de "quantité" et de "qualité") et ce n'est qu'à
travers le sentiment subjectif des intéressés, traduit par leurs réactions
au seul souvenir de ce passé (pleurs et lamentations) que l'on devine qu'il
s'agit de souffrances et de visions pénibles. Ce caractère subjectif est
encore renforcé par l'utilisation de l'optatif ("pathoien kai idoien") pour
les verbes.
Pour les revenants du ciel, par contre, on n'emploie plus de verbes, mais
des noms (ordre de l'"être") : il est question d'eupatheias et de theas.
Eu-patheias, "jouissances" est construit sur la même racine que pathein, et
theas, "spectacles", décrit ce qui est objet de contemplation (on notera au
passage que la simple vision du premier groupe est devenue ici
"contemplation", décrite par un mot qui ressemble à theios (divin) et qui
est de la même famille que theôrein (contempler), d'ou vient le mot
"théorie"). Ici d'autre part, contrairement à ce qui se passait pour les
revenants du monde souterrain, les choses subies et vues sont objectivement
qualifiés : les "pahtèma" sont qualifiés de eu, c'est-à-dire "bénéfiques,
agréables", et les spectacles sont "inimaginables de beauté". Et c'est le
mot kallos, "beauté" qui termine la phrase, comme un point d'orge inspiré du
discours de Diotime dans Le Banquet.
On voit sur cet exemple la difficulté qu'il y a à traduire sans trahir un
9
texte aussi soigneusement élaboré. En cherchant à "améliorer" le français,
le traducteur, bien que ne trahissant pas nécessairement le sens "litteral",
risque de masquer au lecteur qui ne peut se reporter au texte grec certains
aspects de l'original qui sont plus importants pour une compréhension "en
profondeur" que le sens strictement littéral. Ainsi, lorsque É. Chambry
(édition Budé) traduit ce passage : "les unes racontaient leurs aventures en
gémissant et en pleurant au souvenir des maux de toute sorte qu'elles
avaient souffert et vu souffrir dans leur voyage souterrain, voyage qui dure
mille ans ; les autres, qui venaient du ciel, faisaient le récit de plaisirs
délicieux et de spectacles d'une beauté infinie", il gomme en grande partie
l'opposition entre l'usage de verbes et celui de noms, il qualifie dans la
première partie ce qui ne l'est pas dans le texte en parlant de "maux", et
il ajoute au texte en traduisant idoien par "vu souffrir". Mêmes remarques à
peu
près
sur
la
traduction
de
R.
Baccou
(Garnier
Flammarion,
GF90) :"celles-là racontaient leurs aventures en gémissant et en pleurant,
au souvenir des maux sans nombre et de toutes sortes qu'elles avaient
souffert ou vu souffrir, au cours de leur voyage souterrain --voyage qui est
de mille ans--, tandis que celles-ci, qui venaient du ciel, parlaient de
plaisirs délicieux et de visions d'une extraordinaire splendeur" ; et sur
celle de L. Robin (La Pléiade) : "elles se faisaient mutuellement des
récits, les unes avec des plaintes, avec des larmes, au souvenir de toutes
les abominations qu'elles avaient endurées et vues au cours de leur voyage
sous terre (c'est un voyage de mille ans !) ; et, de leur côté, celles qui
venaient du ciel racontaient l'inconcevable beauté de leurs béatitudes et de
leurs contemplations", où les "maux" supposés par le traducteur subis et vus
deviennent même des "abominations" !.. (<==)
(10) Le mot grec que j'ai traduit par "débilité" est ponèria, plus
généralement traduit par "méchanceté". En choisissant cette traduction, j'ai
pris en compte le lien étymologique qui existe entre ponèria et penia, la
"pauvreté" dont Diotime, dans Le Banquet, fait la mère d'Eros (Amour). C'est
qu'en effet, pour Platon, le mal n'est pas une réalité "positive", mais bien
plutôt une déficience, un "manque d'être", résultant en particulier au plan
de l'âme, c'est-à-dire au plan moral, de l'ignorance (voir en particulier
Sophiste, 227d-229b, où, à propos de la purification de l'âme, l'étranger
parle de la ponèria comme de l'équivalent pour l'âme de ce que la maladie
est pour le corps, et introduit la justice comme la médecine de l'âme).
(<==)
(11) Anagkè, le mot grec qui veut dire "nécessité", est utilisé ici comme un
nom propre, celui d'une divinité dont les filles nous seront présentées plus
loin. (<==)
(12) Alors qu'en 616c, Platon parle d'"Anagkès atrakton", du fuseau de
N?cessité, sans article devant Anagkès, ici on lit "en tois tès Anagkès
gonasin", c'est-à-dire, "sur les genoux de la Nécessité", avec l'article.
Dans la suite de la traduction, je respecte le texte de Platon et utilise ou
pas l'article selon qu'il figure ou pas dans le texte grec. (<==)
(13) Moirai, le nom générique des filles d'Anagkè, vient du mot grec moira,
qui veut dire au sens premier "part, portion", et par extension, "part
assignée à chacun, lot, sort, destinée". En plusieurs passages des
dialogues, Platon parle de theou moira ou theia moira, c'est-à-dire de "lot
divin" (voir par exemple Apologie, 33c6, Ménon, 99e6 et 100b3, République,
VI, 493a, Phédon, 58e6). On peut penser que, pour lui, ce "lot divin" a à
voir avec le logos donné par dieu aux hommes, cette "part" la plus divine de
l'âme. (<==)
(14) Le nom de Lachésis vient d'un mot grec, lachesis, qui veut dire "sort,
destinée", lui-même dérivé du verbe lagchanein, qui veut dire "obtenir par
le sort". Le nom de Clôthô vient du verbe grec klôthein, qui veut dire
"filer" (la laine ou autre chose), et pourrait se traduire par "je file". Le
10
nom d'Atropos vient du mot grec atropos, qui veut dire au sens étymologique
"qu'on ne peut tourner", c'est-à-dire, "immuable". (<==)
(15) Le mot grec traduit par "interprète" est prophètès, dont le sens
étymologique est "celui qui parle pour", pour un dieu en particulier,
c'est-à-dire celui qui interprète les paroles d'un dieu ou d'un oracle, dont
le sens est caché. (<==)
(16) Il faut prendre ici le mot "sorts", qui traduit le mot grec klèroi,
dans son sens ancien de "ce qui sert à tirer au sort", qui est bien le sens
premier de klèroi. Comme va le montrer la suite, ces "sorts" ne sont pas des
"destins", mais simplement les accessoires qui vont servir à déterminer par
le sort l'ordre de choix par les âmes des modèles de vie. La seule
intervention du hasard ici est donc dans l'ordre du choix, pas dans le
résultat de ce choix : chacun, s'il ne choisit pas la date de sa naissance,
n'en a pas moins la vie qu'il se choisit !.. (<==)
(17) Le mot grec daimôn n'a pas le sens négatif qu'a pris le mot "démon"
dans la tradition chrétienne, mais j'ai n?anmoins conservé cette traduction
(entre guillemets pour attirer l'attention sur le fait que le mot ne doit
pas etre pris au sens usuel), en particulier parce que, dans la tradition
platonicienne, on parle encore souvent du "démon" de Socrate (bien que,
comme on l'a dit dans la note 6, Socrate lui-même n'emploie pas ce mot
lorsqu'il fait référence à la source des "signes" qu'il dit recevoir, mais
parle de daimonion ti, "quelque chose de démonique"). Et il me semble
important de faire le lien entre ce dont il est question ici et ce dont
parle Socrate en ce qui le concerne. Pour plus de précision sur le sens du
mot grec daimôn, voir la note 6. (<==)
(18) Le mot grec que je traduis par "excellence" est aretè, plus
généralement traduit par "vertu". Pour les raisons de ce choix, voir
l'introduction à ma traduction du Ménon. Toute la discussion du Ménon, entre
Socrate et Ménon, tourne autour de ce concept d'aretè.(<==)
(19) Cette proclamation faite au nom de Lachésis constitue l'exact centre du
mythe : le texte grec de celui-ci, qui commence en 614b2, occupe en effet
270 ou 260 lignes pleines dans l'édition OCT (Oxford Classical Texts), selon
que l'on inclut ou pas les 10 lignes 621b7 à 621d2 qui constituent la
"morale" tirée par Socrate du récit d'Er, et la proclamation occupe les
lignes 131 à 136. On peut voir dans la conclusion de cette proclamation,
ramassée en quatre mots : "aitia helomenou ; theos anaitios", mot-à-mot
"cause celui qui choisit ; dieu hors de cause", la leçon centrale du mythe
et, dans une certaine mesure, la "morale" de toute la République : chacun
deviendra ce qu'il choisit de faire de lui-même... (<==)
(20) Sur le sens du mot klèroi traduit par "sorts", voir la note 15. (<==)
(21) Le mot grec ici traduit par "mérites", aretais, est le même que celui
que j'ai traduit en 618b1 par "excellence". Mais il est ici au pluriel, et
la traduction par "excellences" n'est guère possible. J'avais donc le choix
entre remplacer un pluriel par un singulier dans la traduction ou utiliser
deux mots différents pour rendre le même mot grec à quelques lignes
d'intervalle. J'ai opté pour cette seconde solution, car il me paraît plus
important de constater que l'on peut parler d'aretais au pluriel que de se
crisper sur une unique traduction en français d'un mot grec alors que le
champ sémantique du mot français n'est pas nécessairement le même que celui
du mot grec traduit. Le Bailly donne pour aretè les sens suivants: "mérite
ou qualité par quoi l'on excelle, d'où I : qualité du corps, en parlant de
personne, force, agilité, beauté, santé ; en parlant des animaux ; qualité
de la terre ; qualité de choses (vases, meubles, etc.) ; II : qualité de
l'intelligence, de l'âme ; mérite de l'artisan, de l'homme d'État, etc. ;
partic. courage ; au pluriel : actes de courage ; au sens moral : vertu ; au
11
pluriel : nobles actions ; par suite : considération, honneur". (<==)
(22) C'est le même mot grec, kindunos, traduit ici par "danger" et qui peut
aussi vouloir dire "péril, entreprise hasardeuse" que Platon met dans la
bouche de Socrate, à la fin du Phédon, quelques minutes avant sa mort, pour
parler du "beau risque", kalos kindunos (Phédon, 114d) qu'il a pris en
croyant sans preuves irréfutables à l'immortalité de l'âme et à la justice
telle qu'il la conçoit comme "idée/idéal" de l'homme. (<==)
(23) Platon joue ici sur les différents sens du verbe manthanein (ici
mathein, infinitif aoriste), qui peut vouloir dire "apprendre, étudier",
mais aussi "avoir appris", c'est-à-dire "savoir", et aussi "remarquer,
reconnaître" (sens retenu ici), et encore "comprendre", et de ses dérivés,
mathèma, traduit plus haut par "science", mais qui peut aussi vouloir dire
"étude" ou "connaissance", avant de se spécialiser pour désigner les
sciences "mathématiques", et mathètès, traduit plus haut par "étudiant", et
qui peut aussi signifier "disciple" (d'un maître). Il n'est pas possible de
trouver une seule famille de mots en français qui rende toutes ces nuances
de sens. (<==)
(24) Le mot grec traduit par "savants" est epistèmona, qui renvoie à cette
epistèmè dont Socrate cherche en vain la définition avec Thééthète tout au
long du dialogue qui porte le nom de ce dernier. Le nom et l'adjectif sont à
mettre en relation avec le verbe epistasthai, savoir, dont le sens
etymologique (epi+histasthai) est "se placer au dessus", c'est-à-dire,
"dominer" (le sujet d'étude). <==(<==)
(25) "Défectueuse" traduit le mot grec ponèron, adjectif de la même famille
que le nom ponèria. Sur ce nom et cette traduction, voir note 9. (<==)
(26) Le verbe grec traduit par "se faire une idée" est eidenai. Son sens
premier est "voir", d'ou dérive "se figurer", puis "savoir". Mais c'est le
verbe construit sur les même racines que eidos et idea, les mots traduits
géralement par "forme" et "idée", avec tout ce que cela tire quand il s'agit
de Platon ! C'est pour conserver cette parenté que j'ai utilisé la
traduction " se faire une idée", un peu lourde dans la construction qu'elle
impose à la suite de la phrase. (<==)
(27) Le mot grec traduit par "en en tirant les conclusions raisonnables" est
sullogisamenon, du verbe sullogizesthai, dont vient le mot français
"syllogisme". Mais Platon ne donne pas à ce mot le sens technique que lui
donnera Aristote. Le verbe est composé du préfixe sun- (avec, ensemble), qui
implique une idée de rassemblement, ajouté au verbe logizesthai, qui veut
dire étymologiquement "user de son logos", c'est-à-dire, de sa raison. Il
s'agit donc maintenant de faire la syn-thèse ("syn-" est le préfixe dérivé
du grec sun-) des données acquises par la raison au cours de l'ana-lyse
antérieure.
C'est
en
effet
par
le
mot
analogizomenon,
du
verbe
analogizesthai, que j'ai traduit par "analysant par la raison" (plutôt que
"raisonner, conjecturer, comparer" ou "calculer"), que commençait en 618c6
la longue énumération des données à prendre en compte et à comparer
(raisonnement par "analogie", mot français dérivé du mot grec analogia, de
la même famille que le verbe analogizesthai). Le préfixe ana-, qui a pris la
place du sun- dans ce verbe implique une idée d'itération, de remontée (des
effets aux causes), et, dans le compoé ana-logia, de proportion. La longue
phrase adressée nominativement à Glaucon, dont nous n'avons pas encore
atteint le terme, résume en quelque sorte la "dialectique" de la conduite de
la vie selon les deux étapes de l'analyse (processus "ascendant") et de la
synthèse (processus "descendant"), que l'on trouve théorisés dans le Phèdre
(voir en particulier Phèdre, 265d-266b) et dans le Phédon (voir en
particulier Phédon, 101d-e). (<==)
(28) Ce développement fait de quelques très longues phrases que je n'ai pas
12
cherché à découper dans la traduction, qui commente pour Glaucon les
principes conduisant au bon choix de vie, est l'exact pendant par rapport au
milieu du mythe de cet autre "corps étranger" dans le récit que constitue la
"cosmologie" cachée dans la description détaillée du fuseau de Nécessité et
de ses pesons emboîtés. On a là en anticipation un raccourci de ce que
développera la trilogie finale ; la cosmologie du Timée et la règle de vie
des Lois, avec, entre les deux, dans le Critias interrompu, le choix entre
le mythe qui asservit à la nécessité et la réalité qui reste à construire
par chacun. Tout le sort de l'homme ici-bas se joue entre ces deux pôles...
Mais d'un côté comme de l'autre, c'est l'homme qui interprête. La cosmologie
ne nous asservit, en nous laissant croire que nous sommes le produit de la
nécessité, qui si nous le lui faisons dire. Et Er fait bien remarquer, en
commençant sa description des pesons, qu'il nous faut comprendre ce qui se
cache derrière les apparences lorsque nous cherchons à "déchiffrer" le
cosmos, tout comme il nous faut comprendre, dans nos choix de vie, ce qui se
cache derrière les apparences du pouvoir et de la richesse. Et c'est Er qui
nous le dit à propos de la cosmologie, qui reste de l'ordre du "mythe" (le
Timé lui-même n'est encore, au dire même de son narrateur, qu'un "mythe
vraisemblable", cf. Timée, 29d), mais c'est Socrate lui-même qui interromp
le mythe pour nous le dire lorsqu'il s'agit de notre vie, qui est de l'ordre
de l'ici et maintenant. (<==)
(29) Ameleitô : qu'il ne fasse pas preuve d'insouciance ; athumeitô : qu'il
ne fasse pas preuve d'inquiétude. Le choix de vie est en dernier ressort de
l'ordre du thumos, la partie médiane de l'âme qui s'apparente à la volonté.
Jusqu'au dernier donc, il ne faut pas manquer de thumos (a-thumein). Mais
dès le premier, il ne faut pas tomber dans l'excès inverse, le fait de ne
pas se soucier de son âme, l'a-meleia, dont Socrate fait reproche dès le
premier dialogue à Alcibiade (voir par exemple Alcibiade, 120a-c, où l'on
trouve le verbe amelein, mais aussi toute la seconde partie du dialogue, où
Socrate cherche à faire comprendre à Alcibiade comment il doit "prendre soin
de lui (to heautou epimeleisthai)", 127e-c), et qu'il nous encourage à
éviter dans ses tout derniers mots, à la fin du Phédon : "mè amelèsète, ne
soyez pas insouciants" (Phédon, 118a8). (<==)
(30) Pour "démons", voir note 16. (<==)
(31) Le texte grec traduit par "il philosophe sainement" est "hugiôs
philosophoi". Il est intéressant de voir comment Platon, en ajoutant au
verbe décrivant l'activité souhaitée pour l'homme, philosophein, un adverbe
qui s'applique aussi bien au corps qu'à l'esprit, hugiôs (construit sur la
racine dont vient le mot français "hygiène), suggère que la vie bonne n'est
pas seulement une vie de l'esprit, et que c'est bien le tout de l'homme,
corps compris, qui doit être pris en compte. Un peu plus haut d'ailleurs,
les âmes venant du ciel qui se laissaient prendre étaient décrites comme
"ponôn agumnastous" (traduit par "sans entra?nement aux peines"), avec un
terme, a-gumnastous, étymologiquement, "sans gymnastique", qui évoque plus
le corps que l'esprit. Et ponos suggère plus la fatigue physique, la
souffrance au travail, que l'effort intellectuel. (<==)
(32) "Il risque" traduit le grec "kinduneuei". Voir la note 19 sur ce qui se
cache derrière ce "risque". (<==)
(33) Thamyras, ou encore Thamyris, est un autre de ces musiciens Thraces
mythiques dont Orphée était le plus célèbre. Selon certaines traditions, il
était fils de l'une ou l'autre des Muses et excellait dans l'art du chant et
de la lyre. Selon Homère (Iliade, II, 591-600), il aurait voulu rivaliser
avec les Muses qui, pour le punir, l'aveuglèrent et lui firent oublier son
art. (<==)
(34) Le "jugement des armes" fait référence au conflit qui, selon certaines
traditions, opposa Ajax et Ulysse pour l'attribution des armes d'Achille
13
après la mort de celui-ci. C'est Ulysse qui obtint les armes et Ajax en
devint fou et se tua la nuit m?me (voir Odyssée, XI, 541, ssq.). (<==)
(35) La tradition fait d'Atalante une chasseresse particulièrement rapide à
la course. (<==)
(36) Le constructeur du cheval de Troie. (<==)
(37) Thersite est présenté dans l'Iliade comme le plus laid et le plus lâche
des Grecs devant Troie (Iliade, II, 211-278). (<==)
(38) "Goût des honneurs" traduit le mot grec philo-timia, construit sur le
même modèle que philo-sophia. Cette philotimia est, avec la philonikia (goût
pour la victoire), le défaut majeur du thumos, la partie médiane de l'âme
(cf. République, VIII, 548c), celui qui amorce la dégénérescence des cités
et des hommes, en conduisant à la "timocratie", le premier des régimes
décadents dans l'ordre proposé par Socrate aux livres VIII et IX de la
République (voir aussi République, VIII, 545b). (<==)
(39) Pour "démons", voir note 16. (<==)
(40) "La part" traduit le mot grec moiran. C'est aussi le mot qui sert de
nom générique aux trois filles de Nécessité, les Moires. À ce sujet, voir
note 12. (<==)
(41) On trouve ici pour la dernière fois, juxtaposés, les deux mots qui sont
comme le refrain de la seconde partie du mythe : le verbe haireisthai, qui
signifie "choisir (pour soi)", et le verbe lagchanein, qui veut dire
"obtenir par le sort" ou "être tiré au sort". Ces deux verbes étaient
associés dans la proclamation faite au nom de Lachésis dont nous avons dit
qu'elle marquait le centre du mythe : "ce n'est pas un démon qui vous tirera
au sort, mais vous allez vous choisir vous-mêmes un démon" (617e1). Entre
ces deux points, soit en trois pages de l'édition Estienne (617e-620e), le
verbe haireisthai (choisir) revient 21 fois (dont 20 fois au moyen sur un
total de 131 utilisations au moyen dans l'ensemble des 28 dialogues que je
retiens, représentant un total de 1588 pages), le mot hairesis (choix), 6
fois, le verbe lagchanein (obtenir par le sort), 10 fois (sur 73
utilisations dans tous les dialogues), et le mot klèros (sort), 4 fois. Une
telle insistance n'est sûrement pas fortuite et ne fait que confirmer ce que
nous avons dit à la note 17 à propos de la proclamation qui marque le centre
du mythe : la leçon centrale du mythe et la conclusion de toute la
République est que, même si nous ne maîtrisons pas le jour et le lieu de
notre naissance (le "tirage au sort"), nous serons ce que nous choisissons
de devenir. Et si les statistiques sur les mots sont une quelconque
indication des intentions de l'auteur, on peut remarquer que les mentions du
choix sont deux fois plus fréquentes dans notre sections que celles du
tirage au sort, ce qui est peut-être une manière déguisée de suggérer que le
choix personnel a finalement deux fois plus d'importance que les hasards du
tirage au sort... (<==)
(42)
"Que nous agissions bien" : ces derniers mots de la République
traduisent le grec "eu prattômen", qui peut aussi vouloir dire "que nous
soyons heureux", par glissement de sens de la cause à la conséquence. Ainsi,
la République se termine par un appel à l'action, et à l'action selon la
justice et selon le bien, sous la direction de la phronèseôs : "dikaiosunèn
meta phronèseôs epitèdeusomen", "nous pratiquerons la justice en accord avec
la sagesse", cette phronèsis étant plus une sagesse pratique (mot qui vient
du grec prattein) qu'une sophia inaccessible en ce monde. (<==)
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Première publication le 2 mai 1999 ; dernière mise à jour le 16 mai 2004
© 1999, 2002 Bernard SUZANNE (cliquez sur le nom pour envoyer vos commentaires par
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