Olivia Hallisey - Le Bal des Débutantes

Transcription

Olivia Hallisey - Le Bal des Débutantes
Le bal des Debs
La lycéenne sera à Paris pour
participer à cet événement
mondain, mais, à 16 ans, elle a surtout
découvert un test pour
détecter la maladie d’ebola
Olivia dans le laboratoire où elle
a mené ses recherches, au Greenwich
High School, un lycée public
d’excellence dans le Connecticut.
p h oto s s é b a s t i e n m i c k e
Olivia Hallisey
Une tete
bien faite
Jolie comme une princesse, mais avec le rêve de devenir une Marie Curie.
Choquée par l’étendue de la fièvre hémorragique en Afrique, cette jeune
Américaine a mis au point un outil révolutionnaire : un kit de dépistage
simple, rapide, bon marché et ne nécessitant pas de réfrigération.
Idéal pour des pays tropicaux pauvres. Cet exploit lui vaut le prix Google
Science Fair, soit une bourse d’études de 50 000 dollars (47 000 euros).
Eblouie, Ophélie Renouard, créatrice du Bal des débutantes, a choisi
d’inviter ce jeune prodige au rendez-vous du gotha, qui se tient cette
année samedi 28 novembre. C’est la deuxième fois qu’une jeune fille
s’y rendra au nom d’un seul titre de gloire : ses prouesses intellectuelles.
Dans le jardin familial.
Pour la soirée au Palais de
Chaillot, elle portera
une robe Giambattista Valli
Haute Couture.
Elle veut être docteur pour Médecins du
monde et parcourir la planète afin de soigner
les patients dans les régions les plus reculées
D e n ot r e co r r e s p o n da n t à N e w Yo r k O l i v i e r O’M a h o n y
quoi rêvent les jeunes filles invitées samedi prochain au
­célèbre Bal des débutantes, classé par le magazine « Forbes »
comme un des dix événements mondains les plus prestigieux au monde ? Les rêves d’Olivia Hallisey, choisie par
Ophélie Renouard, la créatrice du Bal, tranchent avec
les aspirations probables des autres débutantes. Son
profil se ­détache déjà au palmarès de la Google
S c i e n c e Fair, une compétition organisée par le géant de la
­Silicon Valley, qui récompense chaque année de jeunes inventeurs venus de la terre entière. En septembre dernier, elle a
reçu le grand prix du jury, doté d’une bourse d’études de
50 000 dollars. A 16 ans, Olivia Hallisey, a inventé un procédé
qui rend le test de dépistage du virus Ebola facile à manipuler
pour un coût raisonnable. Cette découverte l’a propulsée en
bonne place dans le palmarès 2015 des « trente ados les plus
influents du monde » de l’hebdomadaire américain « Time »,
aux côtés de Malia Obama et de Malala Yousafzai, la militante
pakistanaise des droits de la femme, qu’elle admire. La jeune
chercheuse, ­aujourd’hui en classe de première, a donc ­accueilli
cette invitation au Bal avec son plus charmant sourire, un brin
espiègle, ravie de venir pour la première fois à Paris.
Olivia a grandi à Greenwich, dans le Connecticut, une enclave pour happy few à quarante minutes
de Manhattan, très prisée par les patrons des fonds
spéculatifs new-yorkais. La maison des Hallisey
tranche un peu avec celles de ses voisins. De taille
raisonnable, elle n’est pas entourée de l’immense
parc qui semble de règle dans cet environnement.
Pas de grosses limousines au garage ni d’imposantes
grilles devant l’entrée. William et Julia Hallisey, les
parents d’Olivia, vivent confortablement mais sans
ostentation avec leurs quatre enfants. Ils se sont ren-
contrés sur les bancs de Harvard. Ils travaillent tous les deux
dans la ­finance. « Nous sommes des gens très ordinaires. Ma
­famille compte beaucoup d’enseignants. Le père de mon mari
était un simple marine, confie Julia. Evidemment, le Bal des
debs, c’est une aventure soooo chic pour Olivia ! »
La jeune fille a tout de même de qui tenir. Son grand-père
maternel, le Dr Harold Kosasky, disparu en 2011, était lui aussi
un chercheur, qui lui a transmis le goût de l’histoire et de la
science. « Elle adorait aller dans son laboratoire, à Boston. Fascinée, elle le regardait travailler l’œil vissé à son microscope. »
Reconnu mondialement pour ses travaux sur la fertilité féminine, le grand-père laissait parfois Olivia utiliser ses instruments. Il lui faisait aussi rencontrer certaines de ses patientes,
pour qu’elle découvre les relations entre la recherche et ses
applications. « Il s’occupait des autres et je veux faire pareil
plus tard », confie Olivia, qui a déjà des idées très claires sur
son avenir. Elle sera docteur pour Médecins du monde et
­parcourra le monde pour soigner les patients dans les régions
les plus reculées.
Au tout début de l’année scolaire 2014-2015, c’est avec
­effroi qu’Olivia découvre dans la presse les ravages
de l’épidémie du virus Ebola, dont elle suit attentivement la progression. Elle souffre en apprenant la
mort de ­Thomas Eric Duncan, aux Etats-Unis, le
8 octobre 2014, seulement quelques semaines après
avoir contracté le virus au Liberia, son pays d’origine. « Ça m’a beaucoup attristée. Je pense qu’on se
contente trop souvent, en Amérique, d’envoyer de
l’argent, et puis voilà. A l’époque, les journaux
­parlaient surtout du traitement de la maladie et de
sa faible efficacité, beaucoup moins du dépistage. Or,
l’important dans cette épidémie, c’est de déceler le
son grand-père,
chercheur
reconnu, lui a
transmis le goût
de l’histoire et
de la science
96 PA R I S M ATC H DU 26 n ovemb re au 2 décemb re 2015
virus le plus tôt possible, avant que les premiers symptômes
n’apparaissent. Car à ce stade, c’est déjà souvent trop tard. »
Elève en seconde au Greenwich High School, elle doit préparer un projet personnel. Elle choisit Ebola et décide d’étudier
la façon dont on détecte les malades. Elle découvre que les tests
en vigueur sont coûteux (1 000 dollars), lents à donner un résultat (jusqu’à douze heures), et qu’ils nécessitent l’assistance d’un
personnel médical. Surtout, ils doivent être réfrigérés en permanence, ce qui, en Afrique, multiplie les difficultés. Voilà le problème, se dit Olivia : il faut trouver un test qui fonctionne quelle
que soit la température ambiante. Elle cherche sur Internet et
tombe sur un article du journal « Nature Protocols », accessible
moyennant 32 dollars, qui traite d’une propriété de la soie : celleci a la particularité d’immuniser les réactions chimiques contre
les variations de température. Olivia en tire une idée
simple, à laquelle personne n’a encore pensé : mélanger de la soie aux tests de dépistage du virus Ebola.
Elle en parle à son prof de chimie,Andrew B
­ ramante,
un peu sceptique mais bluffé par son enthousiasme.
« Son intuition était remarquable. Encore fallait-il
l’expérimenter et que ça marche, explique-t-il. Beaucoup de mes étudiants ont des coups de génie qui se
révèlent décevants. Malgré mes doutes, j’ai décidé
de la soutenir et de la guider. »
Olivia s’adresse à deux grands spécialistes mondiaux de la soie, Fiorenzo Omenetto et Benedetto
Marelli, de l’université Tufts (Massachusetts), qui
­acceptent de l’aider. Six mois plus tard, les expériences menées dans le labo du Greenwich High School donnent
les premiers résultats concluants. Olivia vient d’inventer le premier test de détection du virus Ebola insensible à la température. C’est un rectangle en carton fin, à peine plus grand qu’une
carte de crédit, manipulable sans l’aide d’une équipe médicale,
avec des résultats quasi immédiats… et qui coûte 25 dollars.
Olivia la chercheuse est aussi une jeune fille presque comme
les autres, qui a grandi sagement, au sein de sa famille, entre le
travail à l’école, où elle a toujours eu les meilleures notes, et la
piscine, où elle nage deux heures par jour. « Le sport est essentiel à son équilibre personnel, dit sa mère. Olivia n’est pas
­patiente, il faut qu’elle trouve très vite la solution quand quelque
chose ne marche pas. Lorsqu’elle a un souci, elle me dit qu’elle
m’en parlera après être allée nager. C’est sa manière d’évacuer
le stress. » Comme tout ce qu’elle fait, Olivia prend très au
­sérieux la natation, à tel point qu’elle a demandé à l’organisa-
tion du Bal des débutantes d’avoir accès à une piscine parisienne,
pour continuer son entraînement en vue d’une compétition
­importante, en décembre, avec son équipe du Chelsea Piers
Aquatics Club. A tout juste 17 ans, la jeune fille s’impose un
emploi du temps millimétré. Lever à 7 heures du matin, voire
5 heures les jours où elle doit s’entraîner avant d’aller à l’école.
Cours à 7 h 30 ou 8 heures. Déjeuner à 14 heures. Piscine une
demi-heure plus tard. Yoga et étirements à 17 h 30. Dîner à
19 heures, puis devoirs et dodo à 22 h 30. Depuis un an, elle passe
aussi certains week-ends dans le laboratoire du lycée avec son
prof de chimie, Andrew Bramante.
Malgré ces horaires stricts, Olivia trouve toujours le temps
de sacrifier à une autre passion, l’histoire. Depuis l’enfance, elle
écume aussi les musées de sciences naturelles de la région avec
sa mère. Elle a pris très tôt conscience de l’évolution
du monde et de la chaîne de l’humanité. Elle a dévoré
des biographies de grands présidents américains,
­Lincoln, Washington, avec toujours la même question : qui sommes-nous, d’où venons-nous ? Des préoccupations métaphysiques qui ne l’ont jamais
empêchée de jouer à la poupée, comme toutes les
petites filles de son âge. Sa poupée à elle, c’était sa
petite sœur, Charlotte, sa cadette de trois ans. Elles
étaient inséparables et le sont toujours. « On
­s’habillait de manière assortie l’une à l’autre, elle me
coiffait et j’en faisais autant, elle me faisait les ongles
et moi pareil », raconte-t-elle.
Mais la réflexion n’est jamais longtemps absente
de ses préoccupations. Olivia a lu l’an dernier « Le petit prince »
dans le texte, en français. Elle dit avoir été touchée par les interrogations du jeune héros d’Antoine de Saint-Exupéry et sa perplexité devant le comportement absurde des adultes. « J’ai
souvent remarqué que les enfants ont une vision différente du
monde. Personne ne leur a encore dit : “Ça ne marchera jamais.”
Du coup, ils voient des choses que ratent les adultes. Dans mon
cas, tout était en ligne, il suffisait juste de connecter deux éléments ensemble, la soie et l’Ebola. » C’est dit simplement, avec
un sourire désarmant et un regard aussi espiègle que lorsqu’elle
prend la pose devant le photographe, avant le Bal. Il lui reste
maintenant à publier ses recherches, ce qui lui donnera la crédibilité nécessaire pour, un jour, breveter son invention et, peutêtre, devenir riche. Mais ce n’est « pas son souci », jure-t-elle.
« L’important, pour moi, c’est de sauver des vies humaines. »
­Olivia n’a pas raté ses débuts dans l’existence. n @olivieromahony
A Paris, olivia
souhaite avoir
accès à une
piscine Pour
continuer son
entraînement
Olivia et ses
parents, William et
Julia. Tous deux
travaillent dans la
finance.
Avec son professeur
de sciences au
lycée, Andrew
Bramante, très fier
de sa protégée.
pa r i s ma t ch .co m 97