PhD PICHENOT 2009-03-02 - CERFE
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PhD PICHENOT 2009-03-02 - CERFE
Université de Reims Champagne-Ardenne UFR Sciences Exactes et Naturelles École doctorale Sciences Technologies Santé (n° 358) THÈSE présentée pour obtenir le grade de : DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE Spécialité : Biologie de la Conservation par Julian PICHENOT Contribution à la Biologie de la Conservation du Sonneur à ventre jaune (Bombina variegata L.) Écologie spatiale et approche multi-échelles de la sélection de l’habitat en limite septentrionale de son aire de répartition 2C2A-CERFE, CENTRE DE RECHERCHE ET DE FORMATION EN ÉCO-ETHOLOGIE LABORATOIRE ÉCO-TOXICOLOGIE UPRES EA 2069 Soutenance prévue le 9 décembre 2008 à Reims devant le jury composé de : Dr. Claude MIAUD Dr. Mathieu DENOEL Dr. Virginie STEVENS Pr. Séverine PARIS Dr. Rémi HELDER Pr. Sylvie BIAGIANTI Pr. Pierre JOLY Université de Savoie, Grenoble Université de Liège, Belgique Université de Liège, Belgique / MNHN, Paris Université de Reims Champagne-Ardenne, Reims 2C2A-CERFE, Boult-aux-Bois Université de Reims Champagne-Ardenne, Reims Université Claude Bernard Lyon 1, Lyon Rapporteur Rapporteur Examinateur Examinateur Encadrant Co-directeur Co-directeur RESUME Le Sonneur à ventre jaune figure parmi les espèces d’amphibiens vulnérables pour lesquelles il est urgent de mettre en place des plans de conservation. Dans cette perspective, nous avons conduit une étude dans le Nord-Est de la France sur les relations entre cette espèce et son habitat. Les patrons de déplacements d’individus dans un paysage peu fragmenté ont d’abord été étudiés. Les sonneurs étaient relativement mobiles et les échanges observés entre des patchs (groupes de mares) étaient principalement influencés par la distance qui séparaient ces patchs et par la surface en eau du patch receveur. Une approche multi-échelles, basée sur des modèles linéaires généralisés à effets mixtes (GLMMs), a ensuite été utilisée pour étudier l’effet de variables écologiques mesurées à deux échelles d’observation, la mare et le patch, et l’effet du contexte paysager sur l’occurrence du Sonneur. Les GLMMs ont montré que l’espèce recherche des patchs composés de nombreuses petites mares, ensoleillées, peu profondes et peu végétalisées. Cependant, l’occurrence dans une mare ou dans un patch dépendait principalement du contexte paysager. Une Analyse Factorielle de la Niche Écologique (ENFA) nous a permis d’identifier plusieurs variables paysagères déterminant la présence de l’espèce localement. Ces variables décrivent l’occupation des sols, le relief et l’hydrographie. Sur la base de ces résultats, nous avons construit une carte de qualité de l’habitat afin de visualiser à une échelle régionale, les zones potentiellement favorables à l’espèce. Nos résultats soulignent l’importance de la prise en compte d’échelles multiples pour l’étude des relations espècehabitat chez les amphibiens. Mots-clés : biologie de la conservation, écologie spatiale, patrons de déplacements, sélection de l’habitat, études multi-échelles, Sonneur à ventre jaune, Bombina variegata 3 4 ABSTRACT The yellow-bellied toad belongs to the vulnerable amphibian species that urgently need conservation programs. In this perspective, a study on the relationships between the species and its habitat was conducted in North-Eastern France. First, the movement patterns of individuals in a poorly fragmented landscape was studied. The toads were relatively mobile and the exchanges observed between patches (groups of ponds) were mainly influenced by the distance separating these patches and by the water surface of the receiver patch. A multi-scale approach based on generalized linear mixed models (GLMMs) was then used to study the effect of environmental variables measured at two scales of observation, the pond and the patch (radius 200 m), and the effect of the landscape context (radius 2500 m) on the occurrence of toads. The GLMMs showed that the species uses patches composed of many small ponds, sunny, shallow and poorly vegetated. However, the occurrence of the species in a pond or in a patch depended mainly on the landscape context. An Ecological Niche Factor Analysis (ENFA) allowed us to identify several landscape variables determining the presence of the species on a local level. These variables described land use, topography and hydrography. Considering these results, we constructed a map of habitat quality to view at a regional scale, areas potentially favourable to the species. Our results highlight the importance of taking into account multiple scales in studies on amphibians species-habitat relationships. Keywords : conservation biology, spatial ecology, movement patterns, habitat selection, multi-scale studies, yellow-bellied toad, Bombina variegata 5 6 REMERCIEMENTS Cette étude n’aurait pu être réalisée sans l’implication et le soutien de nombreuses personnes ou organismes que je tiens à remercier ici. Tout d’abord, je remercie vivement Claude MIAUD, Maître de Conférence à l’Université de Savoie, et Mathieu DENOËL, Chercheur qualifié du F.R.S.-F.N.R.S. à l’Université de Liège, les rapporteurs de ce travail, ainsi que, Virginie STEVENS, postdoctorante au Muséum National d’Histoire Naturelle, et Séverine PARIS, Professeur à l’Université de Reims Champagne Ardenne, pour avoir accepté d’en évaluer la qualité. Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance et ma sympathie à Rémi HELDER, directeur du Centre de Recherche et de Formation en Eco-éthologie de la Communauté de Communes de l’Argonne Ardennaise (2C2A-CERFE) et à Marie-Lazarine POULLE, directrice adjointe, qui m’ont accueillis dans leur équipe et ont mis à ma disposition les moyens humains, matériels et financiers nécessaires au bon déroulement de cette étude. Rémi, je te remercie pour ton accueil lors de mon arrivée « à l’improviste » au 2C2A-CERFE mais aussi pour ton encadrement et ton aide tout au long de ces trois années. Je remercie sincèrement Sylvie BIAGIANTI, Professeur à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, et Pierre JOLY, Professeur à l’Université Claude Bernard Lyon 1, de m’avoir co-encadré au cours de ces trois années de thèse. Cette étude a bénéficié du soutien financier apporté au 2C2A-CERFE par la Communauté de Communes de l’Argonne Ardennaise (2C2A), le Conseil Régional de Champagne-Ardenne et le Conseil Général des Ardennes. Je n’aurais pu la mener à bien sans l’attribution d’une bourse d’étude cofinancée par le Conseil Régional de Champagne-Ardenne et le Conseil Régional de Picardie. Je tiens à remercier particulièrement : Thierry RIGAUX, chargé de mission patrimoine naturel et biodiversité au Conseil Régional de Picardie pour m’avoir aidé à concrétiser ce projet de recherche, ainsi que Michèle FUSELIER-BAULLARD, vice-présidente du Conseil Régional de Picardie, pour son soutien. Le Conseil Général de l’Aisne m’a également apporté plusieurs financements qui m’ont notamment aidé à couvrir mes frais de déplacements. Je remercie spécialement Jérôme LITTIERE, chef du Service de l’Aménagement rural au Conseil Général de l’Aisne, Cécile 7 POCHET, chargée de mission environnement, pour avoir cru en ce projet ambitieux, mais aussi Valérie GEORGET pour la gestion administrative. Je souhaite également remercier tout le personnel de la Communauté de Communes de l’Argonne Ardennaise, pour son accueil et pour son aide. Je remercie les Directions Régionales de l’Environnement pour les autorisations de captures qui m’ont été attribuées dans le cadre de ce travail et pour leur collaboration et, en particulier, Guillaume WIDIEZ (autorisation pour les Ardennes et la Marne), Max GILLETTE (Meuse), Olivier PICHARD (Aisne) et Eric COUDERT (Seine-et-Marne). Je remercie également Christian DEVER et Arnaud METAIS (Office National des Forêts), pour avoir fourni une autorisation d’accès à la forêt domaniale de la Croix-aux-Bois aux véhicules du 2C2A-CERFE et pour m’avoir autorisé à y mener mes recherches. Mes remerciements s’adressent aussi à de nombreuses personnes qui ont participé de près ou de loin à ce travail. Je vais tenter de les citer sans en oublier… - Stéphane DRAY, Jean-Paul LENA et Pedro PERES-NETO pour leurs précieux conseils concernant l’analyse de mes données. - Jérôme PELLET pour ses conseils sur le radio-tracking et pour m’avoir « aiguillé » vers la fameuse « boussole solaire » qui m’a été très utile. - L’équipe de l’ADREE, pour ses conseils et ses suggestions concernant mes protocoles : Jérôme CANIVE, Fabrice GREGOIRE, Jean MAUCORPS, Vincent PEREZ et Marion SAVAUX. - Alain MARRE, Vincent GODARD et Luc BARRUEL : merci de vous être déplacés dans les Ardennes pour me donner votre avis de géographe, je regrette que nos projets de collaboration n’aient pu se concrétiser. - Pierre DEOM, Claire MENISSIER et La Hulotte pour m’avoir ouvert les portes d’une mine documentaire. - Mes collègues du CERFE : Eve AFONSO, Rachel BERZINS, Carole BODIN, Carole BRENDEL, Anne-Lise BRISON, Kévin GEORGIN et Marie-Hélène GUISLAIN (un très grand merci à tous les deux pour votre aide dans la relecture finale !), Caroline HENRY, Pauline HUBERT, Maud LELU, Emmanuel LIENARD, Xavier MANDINE, 8 Marina MERGEY, Diane NEDELLEC, Cécile PATRELLE, Olivier PAYS, Thomas QUINTAINE, Olivier ROUSSEAU, Thomas RUYS, Nicolas VILLERETTE. - Je n’oublie pas non plus mes stagiaires qui ont tous bien travaillé (j’avoue avoir été plutôt exigeant…). Leur mission était double : me relayer sur le terrain pour le suivi par Capture-Marquage-Recapture et prospecter le massif de la Croix-aux-Bois pour trouver de nouveaux sites. Dans le cadre de son stage en 2007, Ludwick SIMON (stagiaire BTSA GPN, Géonat – Cieux, Haute-Vienne) a aussi réfléchi à un cahier des charges pour la gestion des habitats du Sonneur à ventre jaune dans le massif forestier de la Croix-aux-Bois. Sandrine FARNY (en 2008, stagiaire L3 de l’Université Paul Verlaine – Metz) a non seulement réalisé un très gros travail de terrain, mais elle a aussi rédigé un très bon rapport de stage. Enfin Jonathan ROLLAND (en 2008, stagiaire volontaire L2 de l’Université Joseph Fourier – Grenoble), m’a lui aussi apporté une aide précieuse. - Je dois aussi des remerciements à l’ensemble des naturalistes, associations, gestionnaires et autres personnes ressources qui m’ont transmis leurs données, qui m’ont fait part de leur expérience ou qui m’ont aidé directement ou indirectement sur le terrain (ça fait du monde…) : Christophe ANANIE, Damien AUMAITRE, Jonas BARANDUN, Frédéric BARBE, Michel BAUDOIN, François BOCA, Eric BONNAIRE, Aurore BOUSSEMART, Marcel BRIALMONT, Yohann BROUILLARD, Jean-Pierre BRYIS, Holger BUSCHMANN, Alexis CERISIERAUGER, Juliette CHERIKI, Alain CHERMETTE, Françoise CLARO, Pierre-Olivier COCHARD, Gennaro COPPA, Commission Reptiles et Amphibiens de Lorraine, Conservatoire du Patrimoine Naturel de Champagne-Ardenne, Conservatoire des Sites Lorrains, Conservatoire des Sites Naturels de Picardie, Erik DAMMAN, Sylvain DELEPINE, Jean-Christophe DE MASSARY, Pierre DEOM, Luis DE SOUSA, Bruno FAUVEL, Sébastien FIGONI, David FRIMIN, Nicolas GALAND, Sylvain GAUDIN, Laurent GAVORY, Damiens GEORGES, Rose-Marie GONZALES, Eric GRAITSON, Patrick GRANGE, Jean-Michel HANNEQUIN, Christophe HERVE, Pierre HU, Joëlle HUYSECOM, Jérôme JAMINON, Eric JAROSZ, Jean-Luc LAMBERT, Marc LANGLOIS, Madén LE BARH, Sébastien LEGRIS, Jean LESCURE, LPO Champagne-Ardenne, Olivier MABILLE, Maison de la Nature de Boult-aux-Bois, Philippe MILLARAKIS, Aymeric MIONNET, Joël MORENIAUX, Natagora, Office National des Forêts, Georges-Henri PARENT, Christiane et Nicolas PERCSY, Picardie 9 Nature, Ludivine POTHIER, Eric RAFFENAUD, Olivier ROGER, Benoît SPANNEUT, Peter STALLEGER, Benoît STROEYMEYT, Philippe VAUCHELET, Alain VOLTZ. - J’ai également une pensée émue pour deux défunts naturalistes qui m’ont apporté une aide directe ou indirecte dans ce travail. Je pense à Henri MENU qui m'a confié de précieuses informations sur le statut du Sonneur dans la Marne. Je pense également à Stéphane ROSSI que je n'ai pas connu mais dont les fabuleuses découvertes seine-etmarnaises, m’ont permis de mieux connaître la distribution de l’espèce dans le sudouest de ma zone d’étude. En effet, des copies d’une partie de ses notes de terrain et de son rapport sur les espèces et milieux remarquables de la Vallée du Petit Morin, m’ont été aimablement transmises par Rémi DUGUET et Christian DESMIER, que je remercie. Mes remerciements les plus chaleureux vont à ma famille : Céline et Nicolas et surtout à vous, Papa et Maman, qui m’avez soutenu et encouragé tout au long de mon aventure scolaire et universitaire et jusqu’à cet aboutissement. Depuis toujours, vous m’avez permis de vivre avec mes passions. Sans vous, je n’aurais pu « papillonner » entre les formations techniques et universitaires pour m’orienter vers ce qu’il me plaisait. Je vous dois énormément… Enfin, Estelle, je te remercie de tout mon cœur pour ton aide, aussi bien sur le terrain que pour l’analyse des données ou encore la rédaction, mais aussi, et surtout, pour avoir su me rassurer et me remonter le moral dans tous les moments difficiles. Merci d’être là… 10 11 SOMMAIRE 0. INTRODUCTION GENERALE..................................................................................................................25 1. CHAPITRE 1 : CONTEXTE BIBLIOGRAPHIQUE ET OBJECTIFS DE LA THESE ......................31 1.1. LES EFFETS DE LA PERTE ET DE LA FRAGMENTATION DE L’HABITAT SUR LES AMPHIBIENS ET ENJEUX POUR LEUR CONSERVATION ...................................................................................................................................31 1.1.1. La vulnérabilité apparente des amphibiens face à la perte et à la fragmentation de l’habitat ........31 1.1.2. Les conséquences de la perte et de la fragmentation de l’habitat sur les amphibiens .....................33 1.2. ENJEUX DE LA RECHERCHE POUR LA CONSERVATION DES AMPHIBIENS MENACES PAR LA PERTE ET LA FRAGMENTATION DE LEUR HABITAT .....................................................................................................................34 1.2.1. Identifier les facteurs influençant les déplacements, la connectivité et la structure spatiale des populations ......................................................................................................................................................35 1.2.2. Prendre en compte des échelles multiples dans les études de sélection de l’habitat........................40 1.3. ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR LA BIOLOGIE DU SONNEUR A VENTRE JAUNE........................................42 1.3.1. Morphologie, taxonomie et répartition .............................................................................................42 1.3.2. Sites aquatiques utilisés pour la reproduction..................................................................................47 1.3.3. Reproduction, développement et survie ............................................................................................48 1.3.4. État des connaissances sur son habitat.............................................................................................50 1.3.5. État des connaissances sur ses capacités de déplacements ..............................................................51 1.3.6. Statut réglementaire, régression et menaces potentielles .................................................................52 1.4. OBJECTIFS DE LA THESE ..........................................................................................................................54 2. CHAPITRE 2 : PATRONS DE DEPLACEMENTS ANNUELS DANS UNE POPULATION ISOLEE DE SONNEURS A VENTRE JAUNE (BOMBINA VARIEGATA L.) - EFFETS RELATIFS DE LA SURFACE EN EAU, DE LA DISTANCE ET DU RELIEF SUR LES ECHANGES ENTRE PATCHS ......59 2.1. INTRODUCTION .......................................................................................................................................59 2.2. MATERIEL ET METHODES ........................................................................................................................61 2.2.1. Zone d’étude......................................................................................................................................61 2.2.2. Délimitation des patchs (groupe de mares) ......................................................................................64 2.2.3. Protocole de capture-marquage-recapture.......................................................................................65 2.2.4. Capacités de déplacement du Sonneur à ventre jaune......................................................................66 2.2.5. Echange d’individus entre les patchs................................................................................................67 2.3. RESULTATS .............................................................................................................................................70 2.3.1. Taux de recapture, fréquence et amplitude des déplacements..........................................................70 2.3.2. Facteurs influençant les échanges entre les patchs ..........................................................................73 2.4. DISCUSSION ............................................................................................................................................79 2.4.1. Amplitude des déplacements du Sonneur à ventre jaune ..................................................................79 2.4.2. Facteurs influençant les déplacements entre patchs.........................................................................81 2.4.3. Structure spatiale de la population et implications pour sa conservation........................................83 3. CHAPITRE 3 : UTILISATION D’UNE APPROCHE HIERARCHIQUE POUR ETUDIER L’INFLUENCE DE VARIABLES ENVIRONNEMENTALES SUR L’OCCURRENCE DU SONNEUR A VENTRE JAUNE A L’ECHELLE DE LA MARE ET DU PATCH .................................................................89 3.1. INTRODUCTION .......................................................................................................................................89 3.2. MATERIEL ET METHODES .......................................................................................................................92 3.2.1. Zone d’étude et échantillonnage .......................................................................................................92 3.2.2. Occurrence et détectabilité du Sonneur à ventre jaune ....................................................................95 3.2.3. Variables explicatives mesurées à l’échelle des mares.....................................................................96 3.2.4. Variables explicatives mesurées à l’échelle des patchs ....................................................................98 3.2.5. Analyses en Composantes Principales et variables composites .......................................................99 3.2.6. Modélisation de l’occurrence du Sonneur à ventre jaune ................................................................99 3.2.7. Modélisation de l’occurrence dans les mares (« modèle mare ») ..................................................100 3.2.8. Modélisation de l’occurrence dans les patchs (« modèle patch ») .................................................102 3.2.9. Prise en compte de l’autocorrélation spatiale ................................................................................102 3.3. RESULTATS ...........................................................................................................................................105 3.3.1. Détectabilité et taux d’occupation des patchs ................................................................................105 12 3.3.2. Variables composites obtenues à partir des ACP ...........................................................................106 3.3.3. Autocorrélation spatiale..................................................................................................................108 3.3.4. Quels sont les principaux facteurs pouvant expliquer la présence de l’espèce dans les mares ? ..108 3.3.5. Quels sont les principaux facteurs pouvant expliquer la présence de l’espèce dans les patchs ? .111 3.3.6. Quelle est l’échelle expliquant la plus grande proportion de variation ? ......................................111 3.4. DISCUSSION ..........................................................................................................................................111 3.4.1. Facteurs influençant l’occurrence du Sonneur à ventre jaune .......................................................112 3.4.2. L’importance du contexte paysager ................................................................................................113 4. CHAPITRE 4 : INFLUENCE DE FACTEURS PAYSAGERS SUR LA PRESENCE DU SONNEUR A VENTRE JAUNE ET MODELISATION DE LA QUALITE DE L’HABITAT A UNE ECHELLE REGIONALE ........................................................................................................................................................117 4.1. INTRODUCTION .....................................................................................................................................117 4.2. MATERIEL ET METHODES .....................................................................................................................119 4.2.1. Données de répartition et variables éco-géographiques ................................................................119 4.2.2. Identification des caractéristiques paysagères influençant la présence du Sonneur à ventre jaune 122 4.2.3. Constrution d’une carte de qualité de l’habitat ..............................................................................124 4.2.4. Evaluation du modèle......................................................................................................................125 4.3. RESULTATS ...........................................................................................................................................127 4.3.1. Facteurs paysagers influençant la présence du Sonneur à ventre jaune........................................127 4.3.2. Modélisation de la qualité de l’habitat ...........................................................................................129 4.3.3. Évaluation du modèle......................................................................................................................129 4.4. DISCUSSION ..........................................................................................................................................132 4.4.1. Quelles sont les variables paysagères influençant la présence du Sonneur à ventre jaune ? ........132 4.4.2. Où le Sonneur à ventre jaune peut-il s’établir dans la région étudiée ? ........................................133 4.4.3. Critiques et améliorations possibles du modèle..............................................................................134 4.4.4. Implications pour la conservation du Sonneur à ventre jaune .......................................................136 5. DISCUSSION, PERSPECTIVES ET CONCLUSION ............................................................................141 5.1. APPORTS DE L’ETUDE A LA CONNAISSANCE DE L’ECOLOGIE SPATIALE ET DE LA SELECTION DE L’HABITAT DU SONNEUR A VENTRE JAUNE .........................................................................................................141 5.1.1. Mobilité et structure spatiale des populations (chapitre 2) ............................................................141 5.1.2. Déterminants de l’occurrence dans les mares et dans les patchs (chapitres 3) .............................143 5.1.3. Déterminants paysagers de l’occurrence et qualité de l’habitat à l’échelle régionale (chapitre 4) 144 5.1.4. Hétérogénéité de l’habitat et complémentation du paysage ...........................................................145 5.2. QUELQUES RECOMMANDATIONS POUR LA CONSERVATION DU SONNEUR A VENTRE JAUNE .................146 5.2.1. Le Sonneur à ventre jaune et les activités humaines : la nécessité de trouver des compromis ......146 5.2.2. Maintenir une hétérogénéité de l’habitat depuis les mares jusqu’au paysage ...............................147 5.3. PERSPECTIVES.......................................................................................................................................148 5.3.1. Comportement de déplacement et utilisation de l’habitat terrestre................................................148 5.3.2. Génétique, échelles et conservation ................................................................................................152 5.4. CONCLUSION ........................................................................................................................................153 13 14 LISTE DES FIGURES Figure 0-1 : Représentation schématique des processus de perte et de fragmentation de l’habitat dans un paysage. A : habitat continu ; B : formation de trouées dans l’habitat ; C : habitat fragmenté (adapté de Fahrig 2003)................................................................. 27 Figure 0-2 : Catégories de menaces des amphibiens (d’après IUCN 2006). ........................... 28 Figure 1-1 : Représentation schématique de trois types de structures spatiales d’une population (adapté de Harrison 1991). A : une métapopulation « classique » de Levins (1969) ; B : une population de type « source-puit » ; C : une population morcelée. Les taches noires représentent des taches d’habitat occupées par une population locale et les taches blanches des taches d’habitat inoccupées (suite à une extinction locale ou non colonisées). Les flèches représentent les déplacements d’individus entre les taches d’habitat (colonisation) et les pointillés la limite des populations. .................................. 37 Figure 1-2 : Morphologie, dimophisme sexuel et comportement de catalepsie du Sonneur à ventre jaune (photographies prises dans les Ardennes françaises). A : individu adulte (mâle) ; B : patron ventral d’un adulte (mâle) ; C : comportement de catalepsie ; D : pupille cordiforme ; E : avant bras d’un mâle (en haut) et d’une femelle (en bas) (adapté de Gollmann et Gollmann 2002) ; F : épines noires kératinisées sur le dos d’un mâle.......................................................................................................................... 44 Figure 1-3 : Répartition géographique du Sonneur à ventre jaune. A : en Europe (Gasc et al. 1997) ; B : en France (Castanet et Guyétant 1989). ........................................................ 45 Figure 1-4 : Quelques exemples de milieux aquatiques utilisés par le Sonneur à ventre jaune dans le nord-est de la France (forêt de la Croix-aux-Bois et abords, Ardennes). A : une mare de châblis ; B : des ornières ; C : une place de stockage du bois (flaques d’eau) ; D : une zone de source dans une prairie pâturée (piétinement par des bovins). .................... 48 Figure 1-5 : Accouplement et développement. A : mâle et femelle de Sonneur à ventre jaune en amplexus (Mognéville, Meuse) ; B : ponte (Montagne de Reims, Marne) ; C : têtard (forêt de la Croix-aux-Bois, Ardennes) ; D : juvénile récemment métamorphosé (Schaumburg, Allemagne). .............................................................................................. 49 Figure 2-1 : Carte de localisation de la zone d’étude, dans la forêt de la Croix-aux-Bois (département des Ardennes, France). Les points noirs représentent les patchs (groupes de mares) suivis..................................................................................................................... 63 Figure 2-2 : Règle suivie pour délimiter les patchs , « groupes de mares », selon la méthode du ‘Minimum Convex Polygon’........................................................................................ 65 Figure 2-3 : Distribution des amplitudes annuelles de déplacements des individus (mâles et femelles regroupés) entre les mares appartenant ou non à un même patch, en 2006, 2007 et 2008. Les lignes verticales en pointillés indiquent respectivement la médiane (50%) et le 95ème centile (95%), de l’ensemble des déplacements pour les mâles (bleu) et les femelles (rouge)................................................................................................................ 72 Figure 2-4 : Carte illustrant les déplacements observés entre les patchs, au cours des années 2006, 2007 et 2008. Chaque patch est représenté par un cercle dont le diamètre est proportionnel à sa surface en eau : il n’est donc pas à l’échelle (la surface réelle des patchs est donnée dans le tableau 3). Les flèches en pointillés représentent les directions des déplacements observés entre les patchs. .................................................................... 73 Figure 2-5 : Corrélation entre la surface en eau et le nombre d’individus capturés dans les 20 patchs (groupes de mares) suivis de 2006 à 2008. ........................................................... 75 Figure 2-6 : Relation entre la surface en eau et les taux de résidence (a), d’immigration (b) et d’émigration (c) pour les 20 patchs suivis de 2006 à 2008.............................................. 75 15 Figure 2-7 : Pourcentage d’effet indépendant des variables explicatives, estimé par un partitionnement hiérarchique. dist. surf. = distance de surface ; dist. plat = distance plate ; rap. dist. = rapport des distances ; pente = pente moyenne ; surf. R = surface du patch receveur ; surf. D = surface du patch donneur. * contribution indépendante significative. NS contribution non significative............................................................... 76 Figure 2-8 : Diagramme résumant les effets des trois variables explicatives retenues dans le modèle d’occurrence des déplacements et de leurs interactions. Les valeurs données correspondent aux moyennes des paramètres estimés (‘average parameter’, Burnham et Anderson 2002) ± leur erreur standard. Les lignes et les cadres en pointillés représentent les interactions entre les variables. Les flèches noires pleines indiquent un effet négatif, tandis que les flèches vides indiquent un effet positif. La largeur des flèches représente l’importance de l’effet de la variable ou de l’interaction de variables............................. 78 Figure 3-1 : Représentation schématique de deux approches multi-échelles utilisées pour étudier les facteurs influençant l’occurrence d’une espèce d’amphibien dans les mares. A : Plan d’échantillonnage par disques concentriques centrés sur une seule mare (approche classique). B : Plan d’échantillonnage par disques groupés hiérarchiquement, ou « échantillonnage contraint », adapté pour prendre en compte plusieurs mares dans un patch et plusieurs patchs dans un site. Cette dernière approche est centrée sur le paysage. .......................................................................................................................................... 90 Figure 3-2 : Localisation de la zone d’étude et structure du plan d’échantillonnage. A : disposition des 30 sites (disques de 2500 m de rayon) dans la zone d’étude. Les disques noirs contenant la lettre « P » représentent les sites centrés sur des données de présence, ceux contenant la lettre « A » représentent les sites où le Sonneur à ventre jaune est présumé absent. Les traits noirs continus marquent les limites départementales. Les traits noirs discontinus marquent les limites des cinq strates dans lesquelles les 30 sites ont été positionnés ; B : agrandissement d’un site, montrant les 10 patchs qu’il contient. ......... 94 Figure 3-3 : Résumé de la démarche suivie pour la construction des GLMMs. Ab./ Rec. : Abondance / Recouvrement. .......................................................................................... 104 Figure 3-4 : Probabilités de fausses absences après 1, 2 et 3 visites dans un patch. La ligne en pointillés représente 5% de fausses absences. En dessous de cette ligne, le nombre de visites réalisées sur un site permet de détecter l’espèce avec un intervalle de confiance de 95%................................................................................................................................. 106 Figure 3-5 : Corrélogrammes établis en calculant l’indice de Moran sur les résidus des modèles complets à plusieurs classes de distance. Pour chaque classe de distance, les points blancs indiquent une autocorrélation non significative et les points noirs, une autocorrélation significative. A : corrélogramme du modèle de l’occurrence du Sonneur à ventre jaune dans les mares. B : corrélogrammes du modèle de l’occurrence dans les patchs avant (en haut) et après (en bas) prise en compte de l’autocorrélation spatiale.. 109 Figure 3-6 : Coefficients estimés des effets fixes et aléatoires (zone grisée) et leur intervalle de plus haute densité finale (HPD). Les coefficients dont l’intervalle ne recouvre pas zéro (ligne en pointillés) peuvent être jugés significativement différents de zéro. * Effets aléatoires estimés à partir du modèle nul. ** Effets fixes estimés à partir du modèle complet. .......................................................................................................................... 110 Figure 4-1 : Répartition des 293 localisations de Sonneurs à ventre jaune (points jaunes) utilisées pour l’ENFA et zoom sur le maillage montrant plusieurs cellules de 400 mètres occupées par l’espèce (cellules jaunes).......................................................................... 120 Figure 4-2 : Biplots de l’ENFA dans les plans formés par l’axe de marginalité (X) et successivement chacun des quatres axes de spécialisation retenus (Y). A : axe de marginalité et de spécialisation 1. B : axe de marginalité et de spécialisation 2. C : axe de marginalité et de spécialisation 3. D : axe de marginalité et de spécialisation 4. Le 16 polygone gris foncé représente l’espace écologique utilisé par le Sonneur à ventre jaune (niche écologique), tandis que le polygone gris clair correspond à l’espace écologique disponible. Le diagramme des valeurs propres des axes de spécialisation est représenté en dessous à gauche de chaque biplot. Il montre les quatre axes retenus (en gris) et l’axe de spécialisation représenté (en noir). ............................................................................ 128 Figure 4-3 : Courbe de la qualité de l’habitat en fonction du rapport prédit/attendu (moyenne ± SD). La ligne rouge en pointillés représente la courbe d’un modèle totalement aléatoire (Fi = 1). .......................................................................................................................... 130 Figure 4-4 : Carte de qualité de l’habitat (‘Habitat Suitability map’) obtenue avec l’ENFA. L’indice de qualité de l’habitat a été reclassé en quatre catégories à partir de la courbe du rapport prédit/attendu (Figure 4-3)................................................................................. 131 Figure 5-1 : Individu mâle équipé d’un émetteur................................................................... 150 Figure 5-2 : Expérimentation de la radio-télémétrie sur le Sonneur à ventre jaune en septembre 2007 dans la forêt de la Croix-aux-Bois (Ardennes). A : une femelle explorant des galeries de rongeurs sous un buisson de callunes (Calluna vulgaris), peu avant de perdre son émetteur ; B : une autre femelle à l’entrée d’une galerie de rongeur dans un talus ; C : un mâle (même individu qu’à la page précédente) à l’entrée de son gîte dans un talus. .......................................................................................................................... 151 17 18 LISTE DES TABLEAUX Tableau 2-I : Résumé des données de CMR obtenues pour les mâles et les femelles en 2006, 2007, 2008 et au cours des intersaisons (dernière capture de l’année t → 1ère capture de l’année t + 1): nombre d’individus capturés (n), taux de recapture, proportion d’individus mobiles (rapport du nombre d’individus recapturés s’étant déplacés entre des mares, sur le nombre total d’individus recapturés) et amplitude moyenne des déplacements (seuls les individus s’étant déplacés ont été considérés, i.e. les amplitudes de 0 m n’ont pas été prises en compte dans ce calcul)..................................................... 71 Tableau 2-II : Description des déplacements d’une amplitude supérieure à 800 mètres, observés chez 7 individus (3 femelles et 4 mâles). La date et la taille des individus (SVL = longueur museau-cloaque, en mm), sont mentionnées pour leur capture de départ et d’arrivée (recapture). La colonne « déplacement » donne le sens du déplacement observé entre le patch de départ et le patch d’arrivée (voir la Figure 3). M: mâle ; F: femelle. ... 72 Tableau 2-III : Surface en eau des patchs (moyenne annuelle ± écart-type) et nombre d’individus capturés des deux sexes. L’absence de valeur pour les individus capturés (-), indique que le patch n’existait pas, ou qu’il n’était pas en eau au cours de la saison considérée......................................................................................................................... 74 Tableau 2-IV : Matrice des corrélations entre les variables explicatives. Les coefficients de corrélation (ρ de Spearman) > |0.5| apparaissent en gras. ................................................ 76 Tableau 2-V : Classement des modèles d’occurrence des déplacements entre les patchs. Surf. rec. = surface du patch receveur ; Dist. surf. = distance de surface ; Rap. dist. = rapport des distances (relief). Les trois premiers modèles (en gras), représentent l’intervalle de confiance à 95%. .............................................................................................................. 77 Tableau 3-I : Caractéristiques des strates échantillonnées. ...................................................... 93 Tableau 3-II : Variables composites obtenues à partir des ACP réalisées sur les variables des mares (A) et sur les variables des patchs (B). ................................................................ 107 Tableau 3-III : Corrélation entre les variables composites (ρ de Spearman). ........................ 108 Tableau 3-IV : Classement des modèles de l’occurrence à l’échelle de la mare : coefficients (± e.s.) des modèles retenus dans l’intervalle de confiance de 95% de l’ensemble des combinaisons linéaires des 5 variables........................................................................... 109 Tableau 4-I : Liste et description des variables éco-géographiques utilisées pour l’ENFA. . 121 Tableau 4-II : Contributions des variables à l’axe de marginalité et aux quatres axes de spécialisation retenus. Les valeurs entre parenthèses correspondent aux valeurs propres des axes. Les variables sont rangées par ordre décroissant en fonction de la valeur absolue de leur coefficient sur l’axe de marginalité. Pour l’axe de marginalité, les contributions des variables qui sont positives, indiquent que l’espèce « préfère » des valeurs plus élevées pour ces variables que la moyenne de leurs valeurs dans l’espace disponible. Pour les axes de spécialisation, des valeurs élevées (quelquesoit le signe du coefficient) indiquent que l’espèce occupe une étendue restreinte de la distribution des valeurs de ces variables (« étroitesse de la niche »)....................................................... 129 19 20 SOMMAIRE DES ANNEXES ANNEXE 1 : Note sur un système d’aide à l’identification individuelle de Sonneurs à ventre jaune, assistée par ordinateur ......................................................................... 183 ANNEXE 2 : L’Analyse Factorielle de la Niche Écologique (ENFA).............................. 190 21 22 Introduction générale INTRODUCTION GENERALE 23 Introduction générale 24 Introduction générale 0. Introduction générale La conservation d’une espèce menacée… comment aborder cette thématique sans évoquer la « crise de la biodiversité » ? Difficile en effet, car ce sujet est devenu incontournable tant pour les écologues que pour les professionnels des politiques publiques. Sans m’étendre sur l’histoire du mot « biodiversité », il me paraît nécessaire de commencer cette introduction en définissant ce mot et en rappelant brièvement son contexte. La biodiversité représente « la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes ». Cette définition est issue de la Convention sur la Diversité Biologique qui a été conclue à Rio de Janeiro le 5 juin 1992. L’utilisation du mot « biodiversité » est associée à la prise de conscience d’une augmentation alarmante du taux d’extinction d’espèces animales et végétales au cours du XXème siècle. Cette crise de la biodiversité, qui représente la plus grande extinction de masse depuis celles des dinosaures (Vitousek et al. 1997, Balmford et al. 2003), est liée à l’explosion démographique d’une seule espèce, Homo sapiens, qui entraîne de profondes modifications au sein des écosystèmes. Dès les années 1960, de nombreux biologistes ont constaté que leurs sujets d’études, qu’ils s’agissent d’écosystèmes, d’espèces ou encore de populations, étaient en train de se raréfier (Meffe et al. 2006). C’est ainsi que la biologie de la conservation a vu le jour en tant que nouvelle discipline synthétique s’intéressant aux dynamiques et aux problèmes des espèces, des communautés et des écosystèmes perturbés directement ou indirectement par les activités humaines ou d’autres agents (Soulé 1985). La biologie de la conservation est une « science d’engagement », clairement orientée vers une mission : enrayer la crise de la biodiversité. Son but principal est le maintien de trois aspects de la vie sur Terre : la diversité biologique, l’intégrité écologique (i.e. la structure, la composition et les fonctions des systèmes écologiques) et la santé écologique (i.e. l’autonomie d’un système écologique et sa résilience, c’est-à-dire sa capacité à maintenir son organisation à la suite d’un stress) (Trombulak 2004). Pour cela, il est nécessaire d’identifier les nombreuses menaces susceptibles d’altérer le fonctionnement des systèmes écologiques et de comprendre les mécanismes par lesquels elles les altèrent. Ceci implique la mise en commun des savoirs et des avancées technologiques de nombreuses sciences. Ainsi, la biologie de la conservation est 25 Introduction générale une discipline faisant appel à des sciences aussi variées que la génétique moléculaire, la biogéographie, la philosophie, l’écologie du paysage, la sociologie, la biologie des populations ou encore l’anthropologie (Meffe et al. 2006). Depuis les débuts de la biologie de la conservation, toutes ces sciences et la manière dont les biologistes ont abordé leurs problématiques, ont progressivement évolué. L’un des changements les plus importants en écologie a été une prise de conscience progressive de la complexité des interactions dans les systèmes écologiques et de l’importance des contextes spatio-temporels dans lesquels ces interactions opèrent (Orians et Soulé 2001). En revanche, les activités humaines qui perturbent les écosystèmes n’ont pas changé, les principales étant toujours l’agriculture, l’exploitation de minerais ou encore l’urbanisation (Meffe et al. 2006). La perte et l’altération des habitats1, entraînées par ces activités, sont les menaces les plus importantes pour la biodiversité dans le monde (Noss et al. 2006). Bien souvent, elles causent des changements de configuration pouvant mener à la fragmentation de l’habitat, qui intervient à l’échelle du paysage2 (McGarigal et Cushman 2002 ; Figure 0-1). Cette fragmentation de l’habitat peut être définie comme un processus menant à la transformation d’un habitat étendu, en plusieurs taches d’habitat, ayant une surface totale inférieure à celle de l’habitat de départ et étant isolées les unes des autres par une matrice paysagère constituée d’un habitat différent (Wilcove et al. 1986). Bien que la perte et la fragmentation de l’habitat soient des processus liés, la fragmentation peut, dans certains cas, être indépendante de la perte de l’habitat (Fahrig 2003) : par exemple lorsqu’une route est construite dans un paysage hétérogène, elle peut constituer un obstacle difficilement franchissable entre deux taches d’habitat qui n’ont pas été altérées. Cependant, la fragmentation de l’habitat résulte plus fréquemment d’un changement de configuration, engendré par la perte de l’habitat et les deux processus sont souvent difficiles à dissocier (Fahrig 1997). De manière générale, si la perte de l’habitat peut conduire à la disparition quasi « instantanée » des individus d’une espèce par destruction d’une tache d’habitat dans laquelle ils se trouvent, la fragmentation peut avoir des effets plus indirects conduisant aussi, à plus ou moins long terme, à une extinction. Cependant, c’est plus généralement l’association de ces deux processus qui est préjudiciable (Fahrig 2003). La perte locale de 1 voir § 1.2.2 pour une définition du concept d’habitat. La définition du paysage utilisée dans cette thèse est celle donnée par Burel et Baudry (1999) : « un niveau d’organisation des systèmes écologiques, supérieur à l’écosystème ; il se caractérise essentiellement par son hétérogénéité et par sa dynamique gouvernée pour partie par les activités humaines. » 2 26 Introduction générale l’habitat engendre, d’une part, une réduction de sa surface totale dans un paysage (Andrén 1994), pouvant induire une réduction de l’effectif de la population3, qui devient alors plus vulnérable aux processus stochastiques environnementaux et démographiques (Fahrig 1997). D’autre part, la fragmentation entraîne l’isolement d’une tache d’habitat, qui est moins à même de bénéficier d’un « effet de sauvetage » (‘rescue effect’, Brown et Kodric-Brown 1977), c’est-à-dire d’une immigration d’individus en provenance d’une autre population. Une population isolée et de taille réduite peut ainsi être affectée par la consanguinité et la dérive génétique (Keller et Waller 2002, Tallmon et al. 2004, Beebee 2005). Figure 0-1 : Représentation schématique des processus de perte et de fragmentation de l’habitat dans un paysage. A : habitat continu ; B : formation de trouées dans l’habitat ; C : habitat fragmenté (adapté de Fahrig 2003). Parmi les vertébrés, les amphibiens apparaissent particulièrement sensibles à la perte et à la fragmentation de leur habitat (Bowne et Bowers 2004, Cushman 2006). En effet, 32% des espèces d’amphibiens sont considérées comme menacées d’extinction et au moins 43% de leurs populations sont en régression (IUCN 2006 ; Figure 0-2). Depuis le constat de ce déclin global des amphibiens, déjà signalé au début des années 1990 (Barinaga 1990, Pechmann et al. 1991, Wake 1991), les biologistes ont mené des investigations pour tenter d’en trouver les causes. De nombreuses revues ont été consacrées à ce sujet (p.ex. Blaustein et al. 1994a, Beebee 1995, Alford et Richards 1999, Kiesecker et al. 2001, Collins et Storfer 2003, Beebee et Griffiths 2005). 3 Dans ce travail, nous utiliserons le paradigme écologique de la population : « un groupe d’individus de la même espèce, qui cohabitent dans l’espace et dans le temps et qui ont une opportunité d’interagir entre eux » (Waples et Gaggiotti 2006). 27 Introduction générale Figure 0-2 : Catégories de menaces des amphibiens (d’après IUCN 2006). Les facteurs potentiellement impliqués dans cette régression seraient : des polluants (Bridges et Semlitsch 2000, Davidson et al. 2002, Blaustein et al. 2003), la prédation par des espèces introduites (Bradford et al. 1993, Matthews et al. 2001, Kats et Ferrer 2003, Denoël et al. 2005), la mortalité liée aux routes (Hels et Buchwald 2001), l’augmentation des rayonnements UV-B (Davidson et al. 2002, Blaustein et al. 2003), les changements climatiques (Kiesecker et al. 2001, Carey et Alexander 2003, Rohr et Madison 2003), les maladies émergentes provoquée par des champignons et des parasites (Sessions et Ruth 1990, Blaustein et al. 1994b, Carey et al. 1999, Johnson et al. 1999, Johnson et al. 2002) et des combinaisons ou interactions de plusieurs de ces facteurs (p.ex. Blaustein et al. 2003). Toutefois, l’association de la perte et de la fragmentation de l’habitat constituerait la cause principale de ce déclin global (Alford et Richards 1999, Carr et Fahrig 2001, Houlahan et Findlay 2003, Bowne et Bowers 2004, Stuart et al. 2004, Cushman 2006, Gallant et al. 2007). 28 Chapitre 1 CHAPITRE 1 CONTEXTE BIBLIOGRAPHIQUE ET OBJECTIFS DE LA THESE 29 Chapitre 1 30 Chapitre 1 1. Chapitre 1 : Contexte bibliographique et objectifs de la thèse 1.1. Les effets de la perte et de la fragmentation de l’habitat sur les amphibiens et enjeux pour leur conservation Cette partie a pour but de donner un aperçu sur l’état des connaissances concernant les effets de la perte et de la fragmentation de l’habitat sur les amphibiens et sur certains enjeux actuels de la recherche pour leur conservation. Il ne s’agit pas d’une revue complète mais simplement d’un résumé qui permet d’aborder la problématique de la conservation des amphibiens, menacés par ces processus. 1.1.1. La vulnérabilité apparente des amphibiens face à la perte et à la fragmentation de l’habitat En raison de certaines particularités biologiques, les amphibiens sont souvent considérés comme vulnérables vis-à-vis des modifications de leur habitat. L’une de ces particularités, souvent mise en avant, est la perméabilité de leur peau qui leur impose notamment de se maintenir constamment près d’une source d’humidité pour minimiser leurs pertes en eau par la respiration (Shoemaker et al. 1992) mais aussi et surtout par déshydratation (Thorson et Svihla 1943, Littleford et al. 1947, Cohen 1952, Ray 1958). Ainsi, lorsqu’ils se déplacent à terre, les amphibiens sont réputés éviter les milieux ouverts, tels que les sols nus des cultures, les coupes à blanc dans les forêts voire les prairies, et ce plus particulièrement lorsqu’il n’y existe aucune source d’humidité (Gibbs 1998, deMaynadier et Hunter 1999, Johnston et Frid 2002, Rothermel et Semlitsch 2002, Chan-McLeod 2003). De plus, leurs capacités de déplacements apparaissent limitées par ces contraintes physiologiques (Sinsch 1990). Par exemple, Mazerolle et Desrochers (2005) ont pu montrer, dans des enclos expérimentaux avec Lithobates clamitans et Lithobates pipiens, que la déshydratation des individus est plus importante lorsqu’ils se déplacent sur des sols stériles, en l’absence d’ombre. 31 Chapitre 1 De manière générale, les amphibiens sont considérés peu aptes à se déplacer sur de longues distances, contrairement à d’autres vertébrés (Sinsch 1990, Blaustein et al. 1994a, Duellman et Trueb 1994, Bowne et Bowers 2004), ce qui pourrait aggraver les effets de la perte et de la fragmentation de l’habitat sur ces animaux (Cushman 2006). Ainsi, la distance d’un kilomètre était encore récemment jugée difficilement franchissable pour la majorité des espèces d’amphibien (Sjögren 1991, Vos et Chardon 1998, Conroy et Brook 2003, Smith et Green 2005). Cependant, une avancée des connaissances relatives à leurs capacités de déplacement, grâce notamment à l’utilisation de méthodes directes de suivis des individus (radio-télémétrie et capture-marquage-recapture) ou indirecte (génétique), suggère que certaines espèces sont capables de se déplacer sur de longues distances. Ainsi, dans une revue récente, Smith et Green (2005) ont déterminé que, sur un échantillon de 53 espèces d’anoures, 44% sont capables de se déplacer sur plus d’un kilomètre et 7% sur plus de 10 kilomètres. Par exemple Rhinella marina, une espèce originaire d’Amérique tropicale introduite en Australie, est capable de parcourir plus de 15 kilomètres chaque année. Elle a ainsi rapidement étendu son aire depuis son introduction dans ce pays (Easteal et Floyd 1986). Smith et Green (2006) rapportent également la recapture d’un individu de Anaxyrus fowleri à 34 kilomètres de son lieu de capture initial, dans une étude menée au Canada. En Europe, des distances de déplacement de l’ordre de 15 kilomètres ont été observées chez Hyla arborea, Pelophylax kl. esculentus et P. lessonae (Stumpel et Hanekamp 1986, Tunner 1992, Vos et al. 2000). La faible mobilité des amphibiens est donc relative et, dans certains cas, elle pourrait être due à un biais lié à un manque de données (Marsh et al. 1999) ou à une limitation des distances détectables dans une zone d’étude trop petite, plutôt qu’aux capacités de déplacement des individus (Smith et Green 2005). Bien que les capacités de déplacement des amphibiens soient plus importantes que ce qui fut suggéré dans le passé, des travaux récents ont pu montrer que la perte et la fragmentation de l’habitat ont des répercussions importantes sur les déplacements des individus et donc sur la persistance des populations (Sjögren 1991, Sjögren-Gulve 1994, Vos et Chardon 1998, Carr et Fahrig 2001, Joly et al. 2001, Stevens et al. 2004, Mazerolle et Desrochers 2005). 32 Chapitre 1 1.1.2. Les conséquences de la perte et de la fragmentation de l’habitat sur les amphibiens Chez les amphibiens, un effet négatif de l’isolement a été détecté chez plusieurs espèces dont l’habitat était fragmenté (revue dans Marsh et Trenham 2001). Cet effet est perceptible sur le taux de colonisation des mares (Sjögren 1991, Marsh et al. 1999), le taux d’extinction locale (Edenhamn 1996), le taux d’occupation (Vos et Stumpel 1996, Vos et Chardon 1998), la diversité spécifique (Laan et Verboom 1990, Lehtinen et al. 1999) et la différenciation génétique (Reh et Seitz 1990, Hitchings et Beebee 1997). Dans d’autres études, lorsque l’habitat était peu fragmenté, aucun effet de l’isolement par la distance n’a été détecté (Seppa et Laurila 1999, Skelly et al. 1999). Par ailleurs, l’urbanisation et la densité du réseau routier peuvent également réduire l’abondance des individus dans une mare ou réduire les possibilités de déplacements des individus (Fahrig et al. 1995, Gibbs 1998, Knutson et al. 1999, Lehtinen et al. 1999, Carr et Fahrig 2001, Pellet et al. 2005). L’isolement des mares peut donc avoir des effets sur la persistance d’une population d’amphibiens (Dodd et Smith 2003). D’autre part, comme nous l’avons vu précédemment, certains milieux peuvent être évités par les individus lors des déplacements. Ainsi la capacité d’un individu à traverser un paysage peut être fortement influencée par la nature de la matrice paysagère. Ceci a fait l’objet d’une étude expérimentale intéressante menée sur Bufo calamita (Stevens et al. 2004). Des juvéniles de cette espèce ont été placés dans des enclos reproduisant les substrats de plusieurs types d’occupation des sols. Cette expérience a notamment permis de montrer que le comportement de déplacement des individus (vitesse, direction suivie et longueur du trajet parcouru) est clairement affecté par la nature de la matrice paysagère et qu’il existe des différences interindividuelles qui sont notamment liées à la taille corporelle. Les individus les plus grands peuvent se déplacer plus facilement sur des sols encombrés : le rapport entre la taille corporelle et la structure verticale de l’occupation du sol (sol nu, végétation herbacée, feuilles) détermine la mobilité des individus. Une partie cependant des différences inter-individuelles observées ne sont pas expliquées. Par ailleurs, dans l’étude de Mazerolle et Desrochers (2005), la probabilité de retour dans une mare de grenouilles relâchées sur des substrats différents, était aussi fortement influencée par la nature du substrat. De même, dans d’autres études réalisées en conditions naturelles, un effet de la matrice paysagère sur la réussite de la dispersion (Marsh et al. 2004, Rothermel 2004) et sur l’abondance des individus dans les mares (p.ex. Joly et al. 2001) a également été détecté. Globalement, les forêts semblent être 33 Chapitre 1 favorables aux déplacements des amphibiens, tandis que les cultures apparaissent plus difficiles à franchir. Ceci est sans doute lié à la protection offerte par le couvert forestier et en particulier à l’humidité ambiante, à l’existence de nombreux refuges et à un encombrement de la végétation au sol généralement réduit. Il existe cependant des exceptions et certaines espèces se déplacent mieux sur des substrats nus, en dehors des forêts. C’est par exemple le cas de Bufo calamita, pour qui l’optimum est un sol sablonneux (Stevens et al. 2004). Enfin, dans certains cas, les effets de la fragmentation semblent accentués par la fréquence et l’amplitude des déplacements chez les espèces disposant de bonnes capacités de déplacements. En effet, dans un paysage fragmenté, elles pourraient être sujettes à une mortalité plus importante que les espèces dont les capacités de déplacements sont réduites, si les individus en déplacement dans la matrice paysagère sont exposés à un risque de mortalité élevé (Gibbs 1998, Newcomb et al. 2004). Une mortalité importante peut notamment exister dans les paysages comportant des réseaux routiers denses (Carr et Farhig 2001). Ainsi, quelquesoit leur capacité de déplacement, les espèces peuvent être menacées par la perte et la fragmentation de leur habitat : les plus mobiles peuvent être menacées à court ou moyen terme par une émigration associée à une forte mortalité, tandis que celles qui sont peu mobiles sont menacées à plus long terme des suites de la réduction de la surface de leur habitat et sous l’effet de l’isolement. 1.2. Enjeux de la recherche pour la conservation des amphibiens menacés par la perte et la fragmentation de leur habitat L’efficacité d’un programme de conservation ciblé sur une espèce menacée va essentiellement dépendre des connaissances acquises, d’une part sur sa biologie et son comportement et, d’autre part, sur les facteurs qui la menacent. Or, il reste beaucoup d’informations à obtenir pour conserver efficacement certaines espèces d’amphibiens. Nous avons identifié deux thèmes de recherche majeurs qui peuvent aider à orienter les actions de conservation pour les amphibiens potentiellement menacés par la perte et la fragmentation de 34 Chapitre 1 leur habitat. Les sections suivantes présentent ces deux thèmes et introduisent les concepts et théories qui y sont associés. 1.2.1. Identifier les facteurs influençant les déplacements, la connectivité et la structure spatiale des populations Le cycle biphasique de la plupart des espèces d’amphibiens (phase larvaire aquatique et phase adulte terrestre) leur impose des migrations, c’est-à-dire des déplacements dirigés vers ou en dehors des sites aquatiques de reproduction (Semlitsch 2008). Ces déplacements sont principalement réalisés par les adultes et ils ont lieu chaque année entre les sites de reproduction et d’hivernage et, chez certaines espèces, entre des sites de reproduction et d’estivage (p.ex. Lithobates pipiens ; Pope et al. 2000). Ils interviennent essentiellement à une échelle locale, à l’intérieur d’une tache d’habitat. À une échelle spatiale plus large, la dispersion, qui correspond aux déplacements unidirectionnels depuis des sites de naissance vers des sites de reproduction localisés dans d’autres populations (Semlitsch 2008), est également indispensable puisqu’elle permet de réduire la probabilité d’extinction locale des populations (Hanski 1999, Marsh et Trenham 2001). Ainsi les possibilités de déplacements peuvent fortement influencer la persistance des populations d’amphibiens dans un paysage modifié par les activités humaines. L’amplitude des déplacements observés à l’intérieur ou entre les taches d’habitat, peut dépendre des capacités de déplacement de l’espèce, de la fidélité aux sites, de la capacité à s’orienter et à détecter une tache d’habitat, mais aussi de la perméabilité4 de la matrice paysagère. Les capacités de déplacement des amphibiens sont généralement sous-estimées en raison de l’insuffisance des données acquises pour la plupart des espèces (voir § 1.1.1). De plus, il existe des différences importantes entre les espèces dans la capacité à traverser un paysage mais aussi entre les individus (Stevens et al. 2004). D’où l’intérêt d’étudier les déplacements « au cas par cas », pour chaque espèce, dans divers contextes paysagers et à partir d’un échantillon suffisant d’individus. Pour cela, des techniques directes et indirectes peuvent être utilisées. La radio-télémétrie et la méthode de capture-marquage-recapture 4 La perméabilité représente le degré de limitation des déplacements des individus causé par la structure et la composition du paysage (‘Landscape connectivity’ sensu Taylor et al. 1993). 35 Chapitre 1 (CMR) sont les techniques directes les plus utilisées. La première permet de suivre précisément les déplacements des individus en les équipant d’un émetteur. Cette technique est très utile, cependant son usage comporte encore des limitations importantes liées principalement au poids des émetteurs qui ne permet pas d’équiper un individu de moins de 5 grammes (il est recommandé de ne pas dépasser 5 à 10% de la masse corporelle de l’individu selon les auteurs ; White et Garrott 1990, Richards et al. 1994) et à la durée de vie de la batterie qui ne dépasse pas un mois pour les plus petits émetteurs. Cette technique peut donc difficilement être utilisée pour mener un suivi à long terme et la CMR est généralement utilisée dans ce cas. La connaissance de la structure spatiale des populations d’amphibiens, qui résulte à la fois des déplacements des individus entre les sites aquatiques et de la distribution spatiale de ces derniers dans le paysage, a une importance particulière en terme de conservation (Marsh et Trenham 2001, Storfer 2003, Smith et Green 2005, Petranka et Holbrook 2006). En effet, les mares peuvent être perçues comme des taches d’habitat utilisées pour la reproduction (‘breeding patches’), réparties dans la matrice paysagère et hébergeant chacune une population locale d’amphibiens, qui peut occasionnellement échanger des individus avec une autre population locale. Cette structure spatiale correspond à celle d’une métapopulation classique, dans laquelle les populations locales peuvent subir des extinctions et être recolonisées par des individus (Figure 1-1A ; Levins 1969). Les déplacements d’individus entre les taches d’habitat et les processus de recolonisation des taches d’habitat consécutives à une extinction locale permettent à la métapopulation de persister à une échelle régionale, englobant toutes les populations locales connectées. Ainsi, en délimitant une métapopulation, il est possible de cibler précisément les zones à gérer pour maintenir des connexions entre les taches d’habitat. Quatre conditions ont été formulées par Hanski (1999), pour démontrer l’existence d’une métapopulation « classique » : (1) les taches d’habitat supportent des populations locales ; (2) aucune population locale n’est suffisamment importante pour assurer la survie à long terme du système ; (3) les taches d’habitat ne sont pas trop isolées pour empêcher une recolonisation ; (4) les dynamiques locales sont suffisamment asynchrones pour que l’extinction simultanée de l’ensemble des populations locales soit improbable. Le concept de métapopulation sensu Levins (1969) a été massivement appliqué aux populations d’amphibiens, en considérant chaque mare comme une tache d’habitat hébergeant une population locale distincte (‘pond as patch approach’ ; p.ex. Sjögren 1991). Certains auteurs considéraient même récemment que la majorité des populations d’amphibiens 36 Chapitre 1 fonctionnent en métapopulations (Alford et Richards 1999). Cependant, d’après la revue réalisée par Smith et Green (2005), de nombreuses populations d’amphibiens ne répondent pas aux quatre conditions énoncées par Hanski (1999) et l’application du concept dépend essentiellement des possibilités de déplacements entre les taches d’habitat. Étant donné que les capacités de déplacement ont été fortement sous-estimées chez de nombreuses espèces d’anoures, la dispersion pouvant occasionnellement atteindre plus de 10 kilomètres chez la plupart des espèces d’après Smith et Green (op. cit.), de nombreux systèmes qui ont été jusqu’alors assimilés à des métapopulations classiques n’en étaient donc pas en réalité. Figure 1-1 : Représentation schématique de trois types de structures spatiales d’une population (adapté de Harrison 1991). A : une métapopulation « classique » de Levins (1969) ; B : une population de type « sourcepuit » ; C : une population morcelée. Les taches noires représentent des taches d’habitat occupées par une population locale et les taches blanches des taches d’habitat inoccupées (suite à une extinction locale ou non colonisées). Les flèches représentent les déplacements d’individus entre les taches d’habitat (colonisation) et les pointillés la limite des populations. Dans cette métapopulation classique, les taches d’habitat sont jugées similaires du point de vue de leur taille et les populations locales le sont aussi du point de vue du nombre d’individus qu’elles accueillent, ce qui paraît peu réaliste. La persistance d’un tel système dépend de l’équilibre entre les extinctions et les colonisations dans l’ensemble des populations locales. Un certain nombre d’autres types de métapopulations ont donc été définis par la suite pour classer les structures spatiales observées qui n’entraient pas dans le cas classique de Levins (op. cit.). Nous en citerons deux exemples : les métapopulations de type « source-puit » et les populations morcelées. Sous l’effet de la variabilité de la qualité de l’habitat à l’échelle de l’ensemble des taches, certaines populations locales occupant des taches de bonne qualité comptent beaucoup d’individus et la reproduction y est importante : elles constituent des « sources ». À l’inverse, il peut exister des populations locales réparties dans des taches d’habitat de mauvaise qualité, 37 Chapitre 1 dans lesquelles les individus se reproduisent très peu ou pas du tout : elles sont définies comme des « puits ». Les taches d’habitat sources « envoient » des émigrants dans les taches puits : il s’agit de la métapopulation de type « source-puit » (Figure1-1B ; Pulliam 1988). La persistance de ce type de métapopulation dépend moins des processus de colonisation/extinction. C’est surtout la persistance locale des populations « sources », liée au maintien de la qualité des taches et à la recolonisation de celles ayant subi des extinctions, qui va permettre au système de perdurer. Pour certains auteurs, la distance séparant les taches d’habitat est plus importante que leur qualité (p.ex. Murphy et al. 1990). Les populations morcelées (Figure 1-1C ; Harrison 1991), quant à elles, constituent le cas extrême dans ce continuum, du point de vue des déplacements entre les taches d’habitat. En effet, ces populations sont formées de taches d’habitat entre lesquelles les déplacements des individus sont très fréquents pouvant même lier entre elles toutes les taches. Storfer (2003) donne trois exemples de structures spatiales de populations d’amphibiens qui peuvent être classés a priori dans les types décrits précédemment. Le premier exemple concerne une étude menée par Sjögren-Gulve (1994) sur Pelophylax lessonae, dans laquelle il existe des évènements fréquents d’extinctions/colonisations et dont la structure spatiale se rapproche du type classique de Levins (1969). Dans ce cas, la gestion de corridors pour maintenir la connectivité apparaît être la meilleure solution pour maintenir ce système (Storfer op. cit.). Le deuxième exemple concerne une étude de Gill (1978), menée sur Notophtalmus viridescens. Dans cette étude, les individus sont très peu mobiles et ils sont très philopatriques (i.e. fidèles à leur mare natale) : seul un individu a colonisé une mare voisine sur plus de 8500 étudiés. Il semblait exister un succès de la reproduction variable spatialement et temporellement dans les mares, quelques unes ayant ponctuellement un succès important. Dans ce cas, selon Storfer (2003), en raison de la philopatrie importante, l’entretien de corridors serait inefficace et le rôle de la dispersion ne serait pas primordial. Le troisième exemple concerne une étude menée sur Rana luteiventris par Pilliod et al. (2002). Dans la zone étudiée, les individus utilisent trois mares de natures différentes. Certaines de ces mares sont utilisées pour la reproduction, d’autres comme habitats estivaux et d’autres encore comme habitats d’hivernage. Cependant, quelques rares sites peuvent faire office, à la fois, d’habitats de reproduction et d’hivernage. Ces derniers agissent comme des populations sources qui permettent la persistance du système entier. La plupart des autres sites de reproduction étaient trop peu profonds pour permettre l’hivernage (qui a lieu au fond des 38 Chapitre 1 mares). Les individus issus de la reproduction dans ces mares (juvéniles « dispersants ») étaient donc contraints de se déplacer vers d’autres sites pour hiverner. Dans ce cas, ils gagnaient des mares plus profondes qui contenaient généralement des poissons prédateurs (introduits). Ces mares fonctionnaient donc comme des puits et le recrutement y était nul. Dans ce système, Storfer (2003) argumente pour une gestion ciblée sur les quelques sites sources plutôt que sur le système dans son ensemble, en ayant également la possibilité d’éradiquer les poissons invasifs. Les exemples donnés précédemment montrent qu’il est très important pour la conservation d’une population dans un contexte fragmenté, de bien connaître sa structure spatiale. Bien que les amphibiens pondent généralement dans des mares réparties en unités discrètes dans le paysage, il n’est pas forcément justifié de réduire la définition de la tache d’habitat à une seule mare. Certaines mares peuvent être suffisamment proches et/ou suffisamment connectées par des déplacements pour constituer ensemble une tache d’habitat plus grande. Le problème est le même pour certaines espèces d’amphibiens qui sont capables de fractionner leurs pontes dans l’espace (i.e. de pondre dans plusieurs mares au cours d’une même saison). Pour ces espèces, la structure de la population est encore plus difficile à définir puisque les taches d’habitats représentent des groupes de mares. En concentrant la gestion uniquement sur les mares prises isolément, il est possible qu’une partie de l’habitat ne soit pas protégée. En conclusion, la structure spatiale identifiée dépend non seulement des caractéristiques biologiques de l’espèce étudiée mais aussi des particularités locales de son habitat (structure, répartition et qualité des taches d’habitat), et de l’échelle d’observation prise en compte dans l’étude. Les études sur les déplacements et la dynamique des populations sont très importantes pour comprendre comment une gestion doit être menée pour maintenir un système dans son ensemble. Cependant, ces études doivent être conduites à une échelle spatiale et temporelle suffisamment large pour apprécier correctement les patrons de déplacements, les extinctions locales éventuelles et les (re)colonisations. Dans tous les cas, la délimitation d’une métapopulation reste relativement subjective et, comme pour délimiter une population, l’utilisation complémentaire de la génétique peut aider à mieux définir une structure spatiale (Waples et Gaggiotti 2006). 39 Chapitre 1 1.2.2. Prendre en compte des échelles multiples dans les études de sélection de l’habitat L’habitat peut être défini comme les ressources et les conditions présentes dans une zone, qui produisent son occupation – incluant la survie et la reproduction – par un organisme donné (Hall et al. 1997). Comprendre comment les espèces sélectionnent leur habitat constitue un point clé pour mieux estimer les conséquences de la perte et de la fragmentation de l’habitat et pour proposer des mesures de conservation adaptées. La sélection de l’habitat correspond à un processus hiérarchique impliquant une série de décisions comportementales, innées ou apprises, prises par un animal concernant l’habitat qu’il utilise à différentes échelles spatiales (Hall et al. 1997). Comme cette définition le souligne, la sélection de l’habitat peut être vue hiérarchiquement (Johnson 1980), depuis le microhabitat (p.ex. les mares), en passant par le domaine vital et jusqu’à l’aire de répartition de l’espèce. Le concept d’échelle5 est donc central dans les études de sélection de l’habitat. Dans ce travail, nous utiliserons la définition de l’échelle donnée par Hobbs (2003) : il s’agit d’une manière de décrire les dimensions physiques d’objets d’intérêt dans le temps ou dans l’espace. Une échelle est caractérisée à la fois par son étendue, c’est-à-dire l’étalement maximum de ce qui est mesuré, et par sa résolution (ou grain), qui correspond à la plus petite différence qui peut être définie à l’intérieur de l’objet décrit. Hobbs (op. cit.) donne deux exemples pour illustrer le concept d’échelle spatiale et temporelle : l’échelle d’une règle graduée est définie par sa longueur (p.ex. 30 cm) qui représente son étendue et par sa plus petite subdivision c’est-à-dire son unité (p.ex. 1 mm), qui représente sa résolution ; tandis que l’échelle d’un calendrier peut être définie par la durée qu’il couvre (un an) et sa résolution qui est d’un jour. De manière générale, les processus écologiques sont souvent influencés par des facteurs agissant au travers d’un spectre d’échelles et il a été montré que les animaux sélectionnent différentes ressources à différentes échelles (Wiens 1989, Kotliar et Wiens 1990, Cushman et McGarigal 2002, Manly et al. 2002). Chez les amphibiens, il est maintenant admis que la distribution des espèces est influencée à la fois par des caractéristiques locales de l’habitat et par des caractéristiques du 5 Comme Legendre et Legendre (1998) le font remarquer, les écologues parlent d’ « échelle large » pour une grande surface ou une longue durée, et d’ « échelle fine » pour une petite surface ou une durée courte, tandis qu’en géographie le mot « échelle » fait allusion à l’échelle d’une carte et les expressions « grande échelle » (p.ex. 1/25000) et « petite échelle » (p.ex. 1/1000000) sont employées dans un sens opposé à celui des écologues. 40 Chapitre 1 paysage, en plus de facteurs historiques. Jusqu’à récemment, les études de sélection de l’habitat menées chez les amphibiens étaient restreintes à une échelle fine : celle des sites aquatiques. Cependant, la caractérisation des mares n’est pas suffisante pour expliquer la distribution des espèces d’amphibiens (Loman et Lardner 2006). Des études récentes ont permis de montrer que des caractéristiques du paysage telles que la surface en forêt (Hecnar et M’Closkey 1997a, Knutson et al. 1999, Vallan 2000, Weyrauch et Grubb 2004), les surfaces agricoles (Knutson et al. 1999, Lehtinen et al. 1999, Joly et al. 2001) ou encore l’urbanisation et la densité du réseau routier (Fahrig et al. 1995, Pellet et al. 2005), peuvent aussi déterminer la présence ou l’abondance d’espèces dans les sites aquatiques. Cette influence du paysage a été détectée dans des rayons de longueurs variables, allant de quelques centaines de mètres (p.ex. Herrmann et al. 2005, Mazerolle et al. 2005), à plus d’un kilomètre autour des mares (p.ex. Houlahan et Findlay 2003, Price et al. 2004). À l’échelle des mares, l’occurrence et l’abondance des espèces d’amphibiens peuvent notamment être liées à la physico-chimie de l’eau (Mann 2000, Bridges et Semlitsch 2000, Brodkin et al. 2003, Merilä et al. 2004, Loman et Lardner 2006, McKibbin et al. 2008), à la profondeur des mares et à l’hydropériode (Pechmann et al. 1989, Rowe et Dunson 1995, Babbitt et Tanner 2000, Snodgrass et al. 2000, Babbitt 2005, Skidds et Golet 2005, Otto et al. 2007), à la présence et à l’abondance de prédateurs et de compétiteurs (Skelly 1996, Hecnar et M’Closkey 1997b, Barnett et Richardson 2002, Van Buskirk 2003), ou encore, au recouvrement par la végétation aquatique (Skelly et al. 1999, Denoël et Lehmann 2006). À une échelle plus large, le paysage peut influencer la distribution des populations d’une espèce en intervenant sur les possibilités de déplacements des individus et donc sur les potentialités de colonisation des mares (Joly et al. 2001, 2003, Rothermel et Semlitsch 2002, Rittenhouse et Semlitsch 2006), ou en conditionnant une certaine qualité de l’habitat à une échelle plus fine (Knutson et al. 1999, Joly et al. 2001, Van Buskirk 2005). Ces réponses des amphibiens à des facteurs dont l’effet est mesurable à des échelles différentes, ont d’importantes implications méthodologiques (Van Buskirk 2005). Se placer à une seule échelle d’observation, comme celle des mares par exemple, ne permet pas de comprendre les patrons de distribution et peut même mener à des erreurs d’interprétation (Wiens 1989). De plus, les actions de conservation doivent être conduites à une ou plusieurs échelles spatiales appropriées qu’il est indispensable de déterminer (Noss 1992, Bosch et al. 2004). 41 Chapitre 1 Dans ce contexte, il est essentiel de caractériser l’habitat d’une espèce en se positionnant à plusieurs échelles d’observation, puis de lier ses tolérances à l’étendue et au patron spatial de cet habitat dans le paysage (Cushman 2006). Étant donné la difficulté de manipuler expérimentalement l’environnement à des échelles suffisamment larges pour permettre d’étudier l’effet de facteurs paysagers particuliers, des approches corrélatives sont plus généralement employées dans les études de sélection de l’habitat, menées à des échelles multiples. Ces études ont pour principe de comparer des mesures de paramètres environnementtaux décrivant l’habitat, dans des sites « utilisés » et « non utilisés » pour connaître leur effet sur l’occurrence ou l’abondance d’une espèce dans différents sites. Les préférences des individus sont ainsi inférées sur la base d’une utilisation disproportionnée d’un type d’habitat particulier (Manly et al. 2002). 1.3. État des connaissances sur la biologie du Sonneur à ventre jaune 1.3.1. Morphologie, taxonomie et répartition Le Sonneur à ventre jaune (Bombina variegata L.) est un amphibien anoure de petite taille (longueur museau-cloaque = 30-59 mm, masse corporelle des adultes = 2.5-15 g ; Abbühl et Durrer 1993, Gollmann et Gollmann 2002). La couleur dorsale est terne, d’un brungris à un verdâtre et elle se confond généralement à la teinte du substrat des sites aquatiques dans lesquels il se reproduit (coloration cryptique ; Figure 1-2A). La face ventrale, au contraire, est colorée d’un jaune vif, parfois orangé, alternant avec des taches noires ou grisâtres (Figure 1-2B). Cette coloration est dite aposématique : elle constitue un signal d’avertissement qui est associé au désagrément occasionné au prédateur qui consommerait un Sonneur à ventre jaune. En effet, cet amphibien dispose de glandes muqueuses (réparties sur tout le corps) et granuleuses (réparties uniquement sur le dos) qui sécrètent chacune un venin cutané différent mais, dans les deux cas, relativement puissant (Phisalix 1923a, 1923b). Le venin muqueux, en particulier, est très irritant lorsqu’il entre en contact avec les muqueuses humaines. En plus de l’avertissement que constitue la coloration vive du Sonneur à ventre 42 Chapitre 1 jaune, un comportement particulier nommé « catalepsie » ou ‘Unken reflex’, est souvent observé lorsqu’un individu subit un stress (p.ex. lorsqu’il est manipulé) : sur le ventre, il se cambre et retourne les mains et les pieds sur le dessus de son corps, laissant voir leur couleur vive (Bajger 1980 ; Figure 1-2C). Plus rarement, certains individus peuvent se retourner sur le dos en adoptant le même comportement (je n’ai personnellement jamais observé ce comportement dans le nord-est de la France mais il m’a été rapporté par des naturalsites dans d’autres régions). Ainsi, comme chez beaucoup d’autres espèces, les couleurs vives sont associées à une venimosité. Ces particularités font que les Sonneurs à ventre jaune adultes ont très peu de prédateurs, ce qui favorise leur survie (Barandun 1992). Une autre caractéristique de l’espèce est la forme de ses pupilles qui sont cordiformes à triangulaires lorsqu’elles sont fortement dilatées et en forme de « Y » lorsqu’elles sont contractées (Figure 1-2D). Un dimorphisme sexuel existe. Tout d’abord, des callosités noirâtres apparaissent chez les mâles adultes, sur les avant-bras, sur le pouce, à l’intérieur des doigts et sur les orteils (Figure 1-2E). Ces callosités sont surtout apparentes en période de reproduction. Un autre caractère, indépendant de la saison, surtout visible à la loupe, est la présence de petites épines noires kératinisées sur les verrucosités dorsales, qui existent chez les femelles et chez les mâles mais qui sont beaucoup plus saillantes chez ces derniers (Abbühl et Durrer 1992 ; Figure 1-2F). Concernant la taille corporelle (longueur museau-cloaque), elle est généralement proche chez les deux sexes (Gollmann et Gollmann 2002). En France (Ardèche), Massemin (2001) a détecté une différence significative pour la taille et la masse corporelle moyennes des mâles et des femelles : les femelles avaient une taille et une masse corporelle plus importantes que les mâles. Dans une autre étude menée en Italie (Lombardie), au contraire, les mâles étaient, en moyenne, plus grands que les femelles (Di Cerbo 2001). Cependant, les femelles atteignent généralement une taille maximale plus grande que les mâles (Seidel 1988, Gollmann et Gollmann 2002). De plus, les femelles ont une masse corporelle qui est aussi plus souvent supérieure à celle des mâles (Abbühl et Durrer 1993). 43 Chapitre 1 Figure 1-2 : Morphologie, dimophisme sexuel et comportement de catalepsie du Sonneur à ventre jaune (photographies prises dans les Ardennes françaises). A : individu adulte (mâle) ; B : patron ventral d’un adulte (mâle) ; C : comportement de catalepsie ; D : pupille cordiforme ; E : avant bras d’un mâle (en haut) et d’une femelle (en bas) (adapté de Gollmann et Gollmann 2002) ; F : épines noires kératinisées sur le dos d’un mâle. Le Sonneur à ventre jaune appartient à la famille des Bombinatoridae (Ford et Cannatella 1993, Frost et al. 2006). Cette famille n’est pas reconnue par tous les systématiciens : certains considèrent que les Discoglossidae et les Bombinatoridae forment un groupe monophylétique6 (p.ex. San Mauro et al. 2004, Roelants et Bossuyt 2005), tandis que d’autres argumentent une paraphylie7 (p.ex. Ford et Cannatella 1993). C’est la raison pour laquelle le Sonneur à ventre jaune était encore récemment placé dans la famille des Discoglossidae. Les 6 En systématique cladistique, un groupe monophylétique (ou clade) représente l’une des branches d’un arbre phylogénétique, c’est-à-dire un taxon ancestral (nœud) et l’ensemble de ses descendants. 7 Un groupe paraphylétique rassemble seulement une partie des descendants d’un taxon ancestral. 44 Chapitre 1 Bombinatoridae rassemblent deux genres : Barbourula Taylor et Noble, 1924, qui ne contient que deux espèces trouvées aux Philippines et à Bornéo, et Bombina Oken, 1816 qui contient six espèces réparties en Europe et en Asie. L’aire de répartition du Sonneur à ventre jaune s’étend sur la majeure partie de l’Europe. À l’est, elle s’arrête dans les Carpates, en débordant sur l’Ukraine, tandis qu’elle atteint la France à l’ouest (Nöllert et Nöllert 1992, Szymura et Gollmann 1996 ; Figure 1-3A). Au sud, elle atteint la péninsule Balkanique (nord de l’Albanie, de la Dalmatie et de la Macédoine ; Haxhiu 1994) et l’Italie (Di Cerbo et Ferri 1996). La limite septentrionale passe par le sud des Pays-Bas (Bosman et Crombaghs 2006) et le centre de l’Allemagne (Nöllert et Günther 1996, Buschmann 2001). Le Sonneur à ventre jaune est notamment absent des îles britanniques (hormis un cas isolé d’introduction, Pimentel 2002), du sud de la Grèce ainsi que de la péninsule Ibérique. Il a enfin été signalé en Sicile, mais cette mention a été contestée (Nöllert et Nöllert 1992). Dans son aire de répartition, le Sonneur à ventre jaune a été trouvé du niveau de la mer jusqu’à plus de 2000 mètres d’altitude (notamment dans les Balkans, Haxhiu 1994 ; et en Grèce, Denoël 2004). Figure 1-3 : Répartition géographique du Sonneur à ventre jaune. A : en Europe (Gasc et al. 1997) ; B : en France (Castanet et Guyétant 1989). Le statut taxonomique des sous-espèces du Sonneur à ventre jaune est lui aussi sujet à des polémiques. Généralement, quatre sous-espèces sont reconnues (Lang 1988, Szymura et Gollmann 1996): B. v. variegata (L.), la plus répandue, en Europe centrale et occidentale ; B. v. scabra (Küster, 1843), dans la péninsule des Balkans ; B. v. kolombatovici (Bedriaga, 1980), en Dalmatie ; B. v. pachypus (Bonaparte, 1838), en Italie. Sur la base d’études génétiques, le Sonneur des Appennins B. v. pachypus a été élevé au rang d’espèce par Lanza 45 Chapitre 1 et Vanni (1991) et cette démarche a été soutenue ensuite par Canestrelli et al. (2006). Ce choix a également été motivé par la distribution allopatrique des populations de ce taxon avec le reste des populations de B. variegata (Gollmann et al. 1997). Cependant, des études génétiques plus récentes montrent que B. variegata pachypus est finalement très proche de B. v. variegata et qu’il n’est peut-être pas justifié de l’élever au rang d’espèce (Hofman et al. 2007). A l’est de son aire de répartition, le Sonneur à ventre jaune est en parapatrie avec Bombina bombina (Linnaeus, 1761) : le Sonneur à ventre de feu. Les deux espèces cohabitent dans une zone restreinte de plaine en forme de croissant, qui suit approximativement la vallée du Danube en partant de l’Autriche, puis qui longe les piémonts des Carpates jusqu’à la Mer Noire (Szymura 1988). L’hybridation entre B. variegata et B. bombina intervient dans cette zone. Son existence était présumée depuis très longtemps (Méhelÿ 1892) et elle a pu être confirmée par des études génétiques. Depuis les années 1970 (Szymura 1976), cette hybridation a fait l’objet de nombreuses études. En effet, ce cas d’hybridation est particulièrement intéressant car il illustre le concept de « Zone de Tension », c’est-à-dire le maintien d’une zone d’hybridation lié à un équilibre entre une forte sélection contre les hybrides et la dispersion des individus parentaux dans la zone de parapatrie (Arnold 1997). En France, le Sonneur à ventre jaune est uniquement représenté par la sous-espèce nominale B. v. variegata. Il est largement répandu dans l’est (Alsace, Lorraine, ChampagneArdenne, Franche-Comté) et dans le Limousin (Figure 1-3B). Partout ailleurs, bien qu’il puisse exister des noyaux de populations présentant des effectifs importants (p.ex. en Ardèche ou en Isère), ses populations sont beaucoup plus dispersées et ce, plus particulièrement en limite d’aire de répartition (au nord, à l’ouest et au sud). La limite septentrionale de répartition passe par le sud du département des Ardennes (Grangé 1989) et, en allant vers l’ouest, elle passe par le département de la Marne et le sud du département de l’Aisne (vallée de la Marne). La limite nord-ouest se situe en Normandie, dans le département de l’Eure. Dans le sud, la limite passe, d’ouest en est, par l’Aquitaine, le Lot, l’Ardèche et les Hautes-Alpes, à la limite avec les Alpes de Haute Provence. Dans tout le pays, le Sonneur à ventre jaune est essentiellement rencontré en plaine et plus particulièrement dans les zones de collines. Plus de 80% des localités de présence se situent à une altitude inférieure à 500 mètres (Grangé 1989), le maximum étant atteint dans les Alpes (environ 1500 m ; PNE CRAVE 1995). 46 Chapitre 1 1.3.2. Sites aquatiques utilisés pour la reproduction L’espèce se reproduit préférentiellement dans des pièces d’eau peu profondes (niveau d’eau généralement inférieur à un mètre), à l’eau stagnante, souvent peu végétalisées et bien exposées au soleil (Seidel 1988, Wagner 1996, Jahn et al. 1996, Di Cerbo 2001). Cependant, le Sonneur à ventre jaune peut montrer une grande flexibilité dans le choix de ses sites aquatiques. Un large spectre de types de mares, de tailles diverses, recouvertes à des degrés divers par la végétation, peut réellement être utilisé, notamment lorsque ces mares hébergent peu de compétiteurs et de prédateurs (Barandun et Reyer 1997a, Gollmann et al. 1999). Dans le nord de la France (Champagne-Ardenne, Lorraine, Picardie), le Sonneur à ventre jaune se reproduit essentiellement dans des ornières forestières créées par les machines lors du débardage en forêt, des flaques d’eau sur les places de stockage du bois, des mares de chablis, des fossés, des carrières, des zones de sources et des mares dans des prairies pâturées (obs. pers. ; Figure 1-4). D’autres types de milieux aquatiques sont moins fréquemment utilisés en limite septentrionale de la répartition : les abreuvoirs, les lavoirs, les zones de crues ou annexes de cours d’eau ou encore les bordures d’étangs. Enfin, dans d’autres régions, le Sonneur à ventre jaune peut aussi être trouvé dans les vasques rocheuses de torrents (p.ex. en Ardèche, Massemin 2001), ou dans les portions de ruisseaux au cours lent (Pinston et al. 2000). Les milieux utilisés, bien qu’étant très diversifiés, ont tous un point en commun : ils sont soumis à une dynamique de perturbations physiques qui les rend temporaires ou qui mène à leur renouvellement régulier (Barandun 1992, Morand 1997). Ces perturbations peuvent être naturelles : crues et décrues des cours d’eau, successions d’assèchements et de remplissages par les précipitations, piétinement par la faune, chute d’arbres menant à la création d’une mare. Cependant, dans le nord et l’est de la France, les perturbations sont majoritairement artificielles : il s’agit principalement de l’orniérage et des activités d’exploitation dans les carrières. Il est légitime de se demander où pouvait se reproduire le Sonneur à ventre jaune avant que toutes ces activités humaines n’existent. Les zones de sources, les mares naturelles de chablis, les mares temporaires dans les prairies, les vasques rocheuses des torrents en montagne et les bras morts et noues des grands cours d’eau en plaine, faisaient alors probablement partie de ses sites aquatiques de prédilection. L’espèce n’est donc probablement pas typiquement forestière et elle est encore essentiellement rencontrée dans des prairies ou bocages dans certaines régions françaises. 47 Chapitre 1 Figure 1-4 : Quelques exemples de milieux aquatiques utilisés par le Sonneur à ventre jaune dans le nord-est de la France (forêt de la Croix-aux-Bois et abords, Ardennes). A : une mare de châblis ; B : des ornières ; C : une place de stockage du bois (flaques d’eau) ; D : une zone de source dans une prairie pâturée (piétinement par des bovins). 1.3.3. Reproduction, développement et survie La saison de reproduction commence relativement tard comparée à d’autres espèces d’amphibiens. En général, les individus sont visibles dans les sites aquatiques à partir du mois d’avril, la date la plus précoce trouvée dans la littérature naturaliste étant le 6 février en Charente (Thirion et al. 2002). Cependant, la reproduction commence généralement à la fin du mois d’avril et elle peut s’étendre jusqu’à la fin du mois d’août (Seidel 1988, Barandun 1995, Gollmann et Gollmann 2002). Les individus passent la quasi totalité de la saison de reproduction dans les mares. L’activité reproductrice est synchronisée avec les précipitations (Seidel 1988, Barandun et Reyer 1997a) : les accouplements (Figure 1-5A) et les pontes ont lieu essentiellement à la suite de fortes pluies, lorsque le niveau d’eau des sites aquatiques est au plus haut. Les mâles délimitent un territoire dans les pièces d’eau et attirent les femelles, en émettant un chant doux qui porte à moins de 50 mètres. De plus, ils signalent leur présence 48 Chapitre 1 aux autres mâles en créant des ondes à la surface de l’eau avec leur pattes arrières (Elepfandt et Simm 1985, Seidel 1999). Figure 1-5 : Accouplement et développement. A : mâle et femelle de Sonneur à ventre jaune en amplexus (Mognéville, Meuse) ; B : ponte (Montagne de Reims, Marne) ; C : têtard (forêt de la Croix-aux-Bois, Ardennes) ; D : juvénile récemment métamorphosé (Schaumburg, Allemagne). Contrairement à de nombreuses autres espèces d’amphibiens (p.ex. Bufo bufo ou Rana temporaria), les femelles du Sonneur à ventre jaune ne pondent généralement pas tout leur stock d’œufs en une seule fois. Elles sont en effet capables de fractionner leur ponte dans l’espace (i.e. distribution d’une ponte en plusieurs paquets, dans des pièces d’eau différentes) et dans le temps (c’est-à-dire plusieurs paquets d’œufs sont déposés à différents moments de la saison) (Seidel 1988, Barandun 1995, Buschmann 2002). Cependant, elles ne le font pas systématiquement (p.ex. Kapfberger 1984). Les œufs sont pondus en petits paquets comportant généralement moins de 20 œufs (dans le nord-est de la France, maximum observé = 85 ; obs. pers.). Ces paquets d’œufs sont souvent accrochés à des petites plantes aquatiques (Figure 1-5B), des racines, des brindilles qui sont immergées ou elles tombent au fond de la pièce d’eau. Le nombre d’œufs pondus par femelle et par an est généralement compris entre 49 Chapitre 1 100 et 340 (Buschmann 1998). Ceci constitue une faible fécondité comparée à la plupart des autres espèces d’anoures qui pondent, en général, plusieurs milliers d’œufs en une seule fois (Duellman et Trueb 1994). De plus, au cours des années peu favorables à la reproduction, notamment lorsque les pièces d’eau s’assèchent trop longtemps, le Sonneur à ventre jaune peut ne pas se reproduire (Barandun 1990). La vitesse de développement est très variable selon la température de l’eau. L’éclosion des œufs a lieu environ 4 à 8 jours après la ponte dans des conditions naturelles. Les têtards sont caractérisés par leur queue relativement courte et haute et leur forme globuleuse, légèrement pyriforme (aspect « joufflu » ; Figure 1-5C). Ils mettent 30 à 130 jours environ avant de se métamorphoser (Rafinska 1991, Barandun et Reyer 1997b, Morand et al. 1997). Les juvéniles nouvellement métamorphosés (Figure 1-5D) ont une taille très variable qui va d’un peu moins de 10 mm à 20 mm. Le taux de survie des œufs et des têtards (survie jusqu’à la métamorphose), peut atteindre moins de 10% certaines années à cause principalement de l’assèchement des mares (Barandun et Reyer 1997b). Une fois métamorphosés, les juvéniles quittent généralement le site aquatique mais ils restent à proximité de l’eau. La mortalité, de la ponte jusqu’à la maturité sexuelle est très importante. Par exemple, Beshkov et Jameson (1980) ont estimé un taux de survie inférieur à 4%. La faible fécondité du Sonneur à ventre jaune et la forte mortalité des stades larvaires et juvéniles sont compensées à long terme par une longévité et une survie importantes des adultes (Barandun 1992, Morand 1997). Des individus de plus de quinze ans ont été capturés dans la nature (Plytycz et Bigaj 1993, Seidel 1993, 1996). Par ailleurs, des taux de survie adulte de près de 80% (Seidel 1992) et de plus de 62% (Barandun 1990) ont été estimés lors de suivis de populations réalisés sur plusieurs années. Ainsi, la survie adulte constitue un point très important pour la persistance d’une population de Sonneur à ventre jaune. 1.3.4. État des connaissances sur son habitat Si la sélection des mares a été amplement étudiée, en revanche l’habitat terrestre utilisé par le Sonneur à ventre jaune et le contexte paysager autour des sites aquatiques ont très rarement été pris en compte dans les études de sélection de l’habitat. Martin et al. (2001) ont utilisé des Analyses Canoniques des Correspondances pour étudier l’effet de 29 variables sur l’occurrence de 16 espèces, dont le Sonneur à ventre jaune, dans des mares forestières du 50 Chapitre 1 département de l’Allier. Parmi ces 29 variables, seules 7 concernaient l’environnement autour des mares : ces variables décrivaient la nature, la densité et la proximité d’autres mares dans un rayon de 300 mètres. Cette étude, uniquement centrée sur les sites aquatiques, suggère que la densité et l’isolement des mares par la distance ont un effet sur la présence du Sonneur à ventre jaune. La seule étude ayant réellement pris en compte l’habitat terrestre autour des mares est celle qui a été réalisée par Di Cerbo (2001) dans des prairies situées à plus de 850 mètres d’altitude en Italie (Lombardie). Dans un rayon de 100 mètres autour des mares, elle s’est intéressée à la proportion de diverses strates végétales (herbacées, arbustes et arbres), à la présence de routes et de constructions, à l’existence de refuges terrestres potentiels (pierres, buissons, crevasses) et à la présence de bovins. Parallèlement, elle a réalisé des mesures rendant compte de la qualité des mares : physico-chimie de l’eau, présence d’invertébrés, recouvrement de la végétation aquatique et présence d’autres espèces d’amphibiens et de reptiles. La présence du Sonneur à ventre jaune était corrélée à l’existence d’une végétation herbacée et de refuges terrestres potentiels dans le rayon de 100 mètres. L’absence quant à elle était corrélée à la profondeur des mares et à la présence de constructions. Par ailleurs, l’abondance du Sonneur à ventre jaune était corrélée à l’abondance de cinq autres espèces d’amphibiens (Salamandra salamandra, Triturus carnifex, Bufo bufo, Hyla intermedia et Rana temporaria) et d’une espèce de serpent (Natrix natrix helvetica). Ce résultat apparaît contradictoire car la présence de compétiteurs ou de prédateurs est réputée néfaste pour le Sonneur à ventre jaune, bien que cela n’ait jamais été testé expérimentalement. Ces deux études s’intéressaient donc à une échelle restreinte et très peu de données sont actuellement disponibles concernant l’influence de l’habitat terrestre et du contexte paysager sur l’occurrence et l’abondance dans les mares. 1.3.5. État des connaissances sur ses capacités de déplacements Etant donné la facilité de reconnaître les individus grâce à leur patron de coloration ventrale jaune et noire, qui constitue une marque individuelle naturelle (voir Annexe 1), de nombreuses études sont conduites par capture-marquage-recapture. Les déplacements des individus entre les pièces d’eau ont donc été relativement bien documentés. Cependant, de manière générale, les auteurs donnent peu d’informations sur les distances qui séparent les 51 Chapitre 1 pièces d’eau, sur la superficie et la nature du terrain étudié ou encore, sur la manière de calculer les distances moyennes et maximales. Il est donc difficile de comparer tous les résultats obtenus. De plus, il est possible que la plupart de ces études soient biaisées par l’impossibilité de détecter des déplacements de longue distance en raison d’une zone d’étude trop restreinte (Smith et Green 2005) mais il est également difficile de le vérifier compte tenu du manque d’informations données. Enfin, le contexte paysager est lui aussi trop succinctement décrit et, lorsque des déplacements de faible distance sont mentionnés, il s’avère difficile de faire la part des choses entre l’influence potentielle de la matrice paysagère sur le comportement des individus et les capacités de déplacements réelles. La plus longue distance de déplacement qui a été détectée au cours d’une saison de reproduction était de 2510 mètres (Herrmann 1996). Par ailleurs, Blab et al. (1991) estiment que la distance de 3500 mètres serait difficile à franchir pour le Sonneur à ventre jaune dans un paysage constitué d’une proportion importante de cultures intensives. Des études génétiques ont néanmoins permis de détecter des déplacements de longue distance chez les sonneurs. En effet, dans la zone d’hybridation entre Bombina variegata et B. bombina, sur la base d’analyses génétiques menées sur un échantillon de 1448 sonneurs, Szymura et Barton (1991) ont détecté un événement de dispersion de longue distance de l’ordre de 11 kilomètres. Bien qu’étant potentiellement importantes, les capacités de déplacement du Sonneur à ventre jaune restent donc relativement méconnues et elles sont probablement sous-estimées. Par ailleurs, l’influence du paysage sur le comportement de déplacement des individus n’a jamais vraiment été étudiée. 1.3.6. Statut réglementaire, régression et menaces potentielles Le Sonneur à ventre jaune est classé sur la liste des espèces protégées en France (arrêté du 23 juillet 1993). Il est également inscrit aux annexes II et IV de la directive « Habitats » (directive CEE 92/43) et à l’annexe II de la convention de Berne. Le comité français de l’UICN l’a récemment classé « vulnérable » sur la liste rouge des amphibiens et reptiles de France. D’après Gollmann et al. (1997), il serait en régression dans toute son aire de répartition. Cependant, le déclin est particulièrement marqué à l’ouest. En Belgique, il n’existe plus qu’une seule population résiduelle connue en Wallonie alors que le Sonneur y était localement 52 Chapitre 1 abondant dans le pays au XIXème siècle (Boulenger 1886, Parent 1983, de Wavrin 2007). Aux Pays-Bas, cinq localités connues, situées dans le sud du pays (Limbourg), ne rassembleraient plus que 150 individus environ (Bosman et Crombaghs 2006). Au Luxembourg, où il était très abondant d’après des écrits du XIXème siècle, il n’a pas été retrouvé depuis 1997 (Proess 2003). En France, sa présence était signalée dans de nombreux départements au XIXème siècle et au début du XXème siècle (Parent 1981). Il n’était pas mentionné en Bretagne et dans la Manche à l’ouest, dans quelques départements du sud-est et du sud-ouest, ainsi que dans le Pas-de-Calais. Au cours du XXème siècle, sa répartition s’est considérablement réduite et les naturalistes s’accordent à dire qu’il est en régression partout. Il n’est désormais commun que dans l’est et le Limousin, où il existe encore des localités hébergeant plusieurs milliers d’individus. Sur la frange septentrionale de sa distribution, il a d’abord disparu du département du Nord où il existait à la limite avec la frontière belge et le département de l’Aisne, ainsi que dans plusieurs localités de ce dernier département (Lantz 1924). Il a aussi disparu de plusieurs localités connues dans le centre et le sud du département des Ardennes (Coppa comm. pers.) et du département de la Meuse (obs. pers.), là où il fut signalé dans le passé (Dervin 1948, Grangé 1995, Parent 2004). En Île-de-France, il semble avoir disparu du Val d’Oise (de Massary comm. pers.) et les dernières populations connues se trouvent dans le nord-est de la Seine-et-Marne (Rossi 1998). En Normandie, une petite population, récemment découverte dans l’Eure (Lemonnier 2005), est aujourd’hui la seule connue. En région Centre, l’espèce n’est seulement bien représentée que dans le sud de l’Indre (Boyer et Dohogne 2008). La dernière population connue d’Eure-et-Loir (Lemée 1983, Colin 1994) est probablement éteinte aujourd’hui. Une population résiduelle se maintient dans le Loir-et-Cher sur un site géré (Dupin 2006). Dans les Pays de la Loire, il était commun, notamment dans la Sarthe (Gentil 1884), à la fin du XIXème siècle, alors qu’il ne se maintient aujourd’hui que dans quelques localités de ce département (Kerihuel 1999, Hubert et Fournier 2002), grâce à de gros efforts de gestion (Bergeal comm. pers.). Dans le Maine-et-Loire, seuls quelques individus ont été observés dans une unique localité de 1999 à 2001 (Vaslin 2005). Il peut sans doute être considéré éteint dans le département de la Mayenne où seules deux localités étaient connues aux cours des dernières décennies (Evrard et Daum 1982). Il est quasi éteint ou éteint en Gironde, en Charente-Maritime et dans les Landes (Thirion et al. 2002, 2006), où il fut qualifié d’assez commun à abondant à la fin du XIXème siècle (Granger 1894). Il fut aussi signalé dans les Pyrénées atlantiques (Granger op. cit.), où il n’a pas été retrouvé au cours du 53 Chapitre 1 XXème siècle. Enfin, il aurait rapidement disparu de Provence et du Languedoc-Roussillon au début du XXème siècle (Massemin et Cheylan 2001). Tous ces témoignages attestent d’une régression importante et rapide de l’espèce au cours du XXème siècle dans notre pays et ce, plus particulièrement, sur les limites (au nord, à l’ouest et au sud) de son aire de répartition. Les causes potentielles qui sont avancées sont : des changements climatiques, des pollutions, des concurrences biotiques, ainsi que la perte et la fragmentation de son habitat (Parent 1983, Gollmann et al. 1997). D’après Gollmann et al. (op. cit.), la disparition des milieux aquatiques temporaires qui fait suite aux changements d’utilisation des sols, constituerait la menace la plus importante. Ces changements concernent notamment la mise en culture des prairies et le drainage. Dans les forêts, où le Sonneur à ventre jaune profite des ornières sur les chemins et des flaques sur les places de stockage du bois pour se reproduire, une autre menace existe. En effet, les chemins et les places de stockage du bois sont de plus en plus souvent empierrés pour faciliter l’accès aux parcelles exploitées. Cet empierrement contribue également à réduire la quantité de sites aquatiques disponibles pour la reproduction. Ainsi, la destruction et l’altération de l’habitat du Sonneur à ventre jaune pourraient avoir des conséquences importantes sur ses populations. En revanche, très peu d’auteurs prennent en compte la dimension paysagère de ces menaces. Or les changements de l’occupation des sols et la création de barrières (p.ex. les routes et les cours d’eau canalisés) réduisent probablement les connections entre les populations et les menacent sans doute à plus ou moins long terme. 1.4. Objectifs de la thèse Comme nous venons de le voir, le Sonneur à ventre jaune est en forte régression, en particulier sur toute la marge ouest de son aire de répartition européenne, alors que beaucoup d’aspects de sa biologie sont peu documentés. Bien que l’espèce puisse être encore localement commune en France, elle peut être considérée comme menacée. Cette thèse est ciblée sur l’étude des relations espèce-habitat dans une zone d’étude qui correspond approximativement à la superficie d’une région française (au sens administratif). Cette zone d’étude couvre 11 000 km² et elle est située sur la bordure septentrionale de l’aire de 54 Chapitre 1 répartition française de l’espèce. L’existence d’un contexte paysager très diversifié et de localités de présence situées essentiellement dans des forêts de superficies très différentes mais également dans des prairies, permet d’envisager une étude prenant en compte à la fois des variables locales et paysagères avec un nombre relativement important de réplicats. Cette superficie importante apporte également une certaine flexibilité pour pouvoir prendre en compte plusieurs échelles d’observation. D’autres part, la présence d’une localité relativement isolée de l’espèce (parmi les plus septentrionales connues en France) dans la Forêt de la Croix-aux-Bois (Ardennes), un massif forestier localisé tout près du 2C2A-CERFE8, permet d’envisager un suivi intensif pour notamment étudier les déplacements des individus dans un contexte paysager très peu fragmenté. Le Sonneur à ventre jaune constitue un modèle biologique très intéressant pour développer des approches multi-échelles de sélection de l’habitat, prenant en compte la structure hiérarchique de ce processus et l’hétérogénéité spatiale de l’habitat. D’un point de vue théorique, l’objectif principal de ce travail a été d’adapter une méthode d’analyse des données présentant une structure hiérarchique à l’étude de la sélection de l’habitat par une espèce d’amphibien qui est capable de fractionner ses pontes dans l’espace et donc qui peut utiliser plusieurs mares dans un même contexte paysager. Par ailleurs, cette étude répond également à des objectifs appliqués qui concernent la biologie de la conservation du Sonneur à ventre jaune. Il s’agit : (1) de mieux comprendre ses exigences en terme d’habitat, (2) d’aider à identifier ses menaces et (3) de fournir aux gestionnaires des outils de prise de décision pour gérer et protéger son habitat aux échelles appropriées. Dans le chapitre 2, je m’intéresse aux patrons de déplacement des individus dans un paysage très peu fragmenté. En étudiant le comportement de déplacement des individus subadultes et adultes dans une matrice paysagère hautement perméable, il est possible de s’intéresser à l’effet de variables ayant potentiellement un impact sur le turn-over dans les sites de reproduction (émigration, résidence, immigration) et sur l’occurrence des déplacements entre sites. Ces variables sont le relief, la surface en eau et la distance qui sépare les sites de reproduction (‘breeding patches’). Grâce à un suivi par capture-marquagerecapture conduit sur trois années consécutives, je réponds aux deux questions suivantes : (1) 8 Centre de Recherche et de Formation en Eco-éthologie de la Communauté de Communes de l’Argonne Ardennaise, Boult-aux-Bois, France. 55 Chapitre 1 Quelles sont les capacités de déplacement du Sonneur à ventre jaune dans un paysage peu fragmenté (population « modèle ») ? (2) Quels facteurs locaux et paysagers, indépendants de la fragmentation de l’habitat, influencent sa mobilité ? Dans le chapitre 3, la question posée est la suivante : Quelle est l’influence relative du paysage et de variables locales sur la présence du Sonneur à ventre jaune dans les mares et dans des patchs (groupes de mares) ? Je teste l’hypothèse d’une sélection de l’habitat hiérarchique en prenant en compte trois échelles d’observation (mare, patch et paysage) et des variables mesurées à deux de ces échelles (mare et patch). Cette partie consiste également à tester un plan d’échantillonnage « contraint », ayant une structure nichée (i.e. imbriquée), adapté pour les espèces d’amphibiens capables de fractionner leurs pontes spatialement. Pour cela, le modèle linéaire généralisé à effets mixtes (modèle hiérarchique) est utilisé. Dans le chapitre 4, je cherche à répondre aux deux questions suivantes : (1) La présence du Sonneur à ventre jaune à une échelle locale est-elle corrélée à des facteurs paysagers ? (2) Existe-il des variables paysagères qui pourraient permettent de prédire la présence du Sonneur à ventre jaune à une résolution fine et à une étendue régionale, sans prendre en compte la qualité des sites aquatiques ? Pour cela, j’utilise l’Analyse Factorielle de la Niche Écologique (ENFA), qui exploite des données de présences seules, d’abord pour mettre en évidence une sélection de l’habitat avec dix variables « écogéographiques » (paysagères) qui concernent l’occupation des sols, l’hydrographie et la topographie. Puis l’ENFA est de nouveau utilisée pour produire une carte de qualité de l’habitat qui résume l’information apportée par ces variables écogéographiques. Les résultats obtenus sont discutés dans tous ces chapitres, puis ils donnent lieu à une synthèse développée dans un cadre de biologie de la conservation. 56 Chapitre 2 CHAPITRE 2 PATRONS DE DEPLACEMENTS ANNUELS DANS UNE POPULATION ISOLEE DE SONNEURS A VENTRE JAUNE (BOMBINA VARIEGATA L.) EFFETS RELATIFS DE LA SURFACE EN EAU, DE LA DISTANCE ET DU RELIEF SUR LES ECHANGES ENTRE LES PATCHS 57 Chapitre 2 58 Chapitre 2 2. Chapitre 2 : Patrons de déplacements annuels dans une population isolée de Sonneurs à ventre jaune (Bombina variegata L.) - Effets relatifs de la surface en eau, de la distance et du relief sur les échanges entre patchs 2.1. Introduction Dans un paysage fragmenté, la persistance d’une espèce d’amphibien se reproduisant dans des mares dépend fortement de sa capacité à coloniser ou à recoloniser ces mares, qui peut elle-même varier en fonction de ses capacités de déplacement (Carr et Fahrig 2001, Smith et Green 2005), de l’isolement des mares (Marsh et al. 1999, Dodd et Smith 2003), de la nature de la matrice paysagère (Joly et al. 2001) et des capacités des individus à détecter une mare (Mazerolle et Desrochers 2005). De plus en plus de recherches sont focalisées sur l’effet de la matrice paysagère sur les déplacements des amphibiens, dans des habitats fragmentés (deMaynadier et Hunter 2000, Marsh et al. 2000, Joly et al. 2001, Rothermel et Semlitsch 2002). Cependant, il apparaît difficile de séparer les effets de la perméabilité de la matrice paysagère, liée notamment à l’occupation des sols, de l’isolement par la distance, ou d’autres variables plus rarement prises en compte, telles que le relief (Funk et al. 2005), sur les déplacements des individus. De plus, comme le signalent Gardner et al. (1987), la relation entre un processus et un patron observé à l’échelle du paysage ne peut être testée rigoureusement que si le patron est connu en l’absence du processus. L’étude des patrons de déplacements des individus dans des habitats peu fragmentés pourrait donc aider à comprendre les impacts de la fragmentation sur les populations d’amphibiens. Dans une optique de conservation, il est essentiel de bien connaître les capacités de déplacement des amphibiens et d’identifier les facteurs qui peuvent influencer l’émigration et l’immigration dans les mares. Par ailleurs, une gestion conservatoire efficace dépend d’une bonne connaissance de la structure spatiale et de la dynamique des populations et, en particulier, de l’importance relative des processus locaux (natalité et mortalité) et régionaux 59 Chapitre 2 (immigration et émigration) (Hanski 1999). Si la majorité des individus sont fidèles à leur site de reproduction et que les échanges entre ces sites sont limités, le système sera plus proche d’une métapopulation, constituée de plusieurs populations locales, réparties dans les taches d’habitats, et qui échangent seulement occasionnellement des individus (Hanski et Simberloff 1997). Dans ce cas, la dynamique de population sera fortement influencée par des processus locaux. À l’inverse, si les déplacements sont fréquents et que les sites apparaissent peu isolés les uns des autres, le système étudié se rapprochera davantage de celui d’une population morcelée, dont la persistance sera essentiellement déterminée par des processus régionaux (Harrison 1991). Sachant que les patrons de déplacement peuvent varier entre les espèces (Rothermel et Semlitsch 2002, Smith et Green 2005), entre les populations d’une même espèce (Patrick et al. 2008) et entre les sexes (Pilliod et al. 2002, Muths 2003, McDonough et Paton 2007, Rittenhouse et Semlitsch 2007), des études doivent être ciblées sur les caractéristiques spécifiques, populationnelles et individuelles pouvant influencer les déplacements, pour mieux les prendre en compte dans les plans de conservation. Nous avons étudié les déplacements du Sonneur à ventre jaune (Bombina variegata L.) dans une population isolée, qui est située à l’extrême nord de l’aire de répartition française de l’espèce. Deux particularités importantes du Sonneur à ventre jaune rendent l’étude de la structure de ses populations particulièrement difficile comparée à d’autres espèces. En premier lieu, le Sonneur à ventre jaune se reproduit essentiellement dans des pièces d’eau de petite taille, temporaires (susceptibles de s’assécher ou de disparaître rapidement suite à une perturbation physique). La composante aquatique de l’habitat de cette espèce est donc difficile à délimiter dans le temps et dans l’espace compte tenu de sa dynamique, contrairement aux espèces se reproduisant dans des mares permanentes. La deuxième caractéristique à prendre en compte pour définir la structure de ses populations est intimement associée à la première : il s’agit de sa capacité à fractionner ses pontes dans l’espace et dans le temps, qui est perçue comme une stratégie de « distribution du risque » (Seidel 1988, Barandun 1995). En déposant ses œufs en petits paquets dans des mares différentes et à des moments différents au cours d’une saison, le risque d’échec dans la réussite de la reproduction (développement des larves jusqu’à la métamorphose) est fortement réduit (Barandun 1992). Ainsi, l’utilisation d’une approche du type « mare en tant que patch » (‘pond as patch approach’, Sjögren 1991, Hecnar et M’Closkey 1996, Marsh et Trenham 2001), qui assume qu’une mare représente un « patch » pouvant accueillir une population locale, n’est pas envisageable pour cette espèce. 60 Chapitre 2 Un patch est mieux représenté par un groupe de mares plutôt que par une seule pièce d’eau, bien qu’il faille également pouvoir délimiter ce groupe de mares. Par ailleurs, ces deux traits de vie supposent théoriquement que les individus soient capables de se déplacer facilement dans le paysage pour faire face à l’imprévisibilité du milieu. Les possibilités de se déplacer sont donc déterminantes pour la persistance des populations de cette espèce. Les questions auxquelles nous avons cherché à répondre sont les suivantes : i) Quelles sont la fréquence et l’amplitude des déplacements annuels des individus adultes des deux sexes dans un habitat peu fragmenté ? ii) La surface en eau des patchs (groupes de mares) a t-elle un effet sur les taux de résidence, d’émigration et d’immigration ? iii) Quels sont les effets indépendants et partagés de la distance, du relief et de la surface en eau, sur l’occurrence des échanges entre ces patchs ? Pour cela, un suivi par capture-marquage-recapture a été mené, pendant trois années consécutives. La zone d’étude est un massif forestier peu fragmenté et relativement homogène, pour éviter une sous-estimation des déplacements liée à des habitats différents dans la matrice, et de grande superficie, pour réduire un éventuel biais dans les distances de déplacements qui serait lié à une zone d’étude trop petite (Koenig et al. 1996, Smith et Green 2005). 2.2. Matériel et méthodes 2.2.1. Zone d’étude Ce travail a été conduit dans le département des Ardennes (nord de la France), dans la forêt de la Croix-aux-Bois (Figure 2-1; N49°23’33’’, E04°49’41’’). Cette forêt, de près de 7000 ha, se situe dans une région peu peuplée (15 habitants / km²). Elle est bordée essentiellement par des prairies, pâturées et de fauche, et par quelques cultures. Le relief est caractérisé par la présence de collines et de vallons, avec une altitude comprise entre 120 61 Chapitre 2 mètres et 265 mètres. Le cœur de la forêt de la Croix-aux-Bois est géré par l’Office National des Forêts pour l’exploitation du bois (3300 ha), tandis que la périphérie est constituée de parcelles privées, également exploitées. Les peuplements de feuillus occupent 80% de la surface, contre 20% pour les résineux. Les essences dominantes sont le Chêne sessile (Quercus petraea) et le Chêne pédonculé (Quercus robur) qui occupent 48% de la surface boisée, suivis par l’Épicéa commun (Picea abies) et le Hêtre (Fagus sylvatica). La forêt de la Croix-aux-Bois constitue l’une des localités les plus septentrionales dans l’aire de répartition du Sonneur à ventre jaune en France (Grangé 1989). Par ailleurs, aucune autre localité hébergeant l’espèce n’est connue dans un rayon d’environ 30 km autour de cette forêt. Le Sonneur à ventre jaune se reproduit préférentiellement dans des pièces d’eau nouvellement créées ou régulièrement renouvelées par des perturbations physiques (Seidel 1988, Barandun 1995). Dans la zone d’étude, il s’agit essentiellement d’ornières, créées par les machines lors du débardage, ou de dépressions dans le sol engendrées par le stockage du bois et formant des flaques qui sont alimentées en eau par les précipitations. Ces pièces d’eau sont temporaires, et leur profondeur est comprise entre 5 et 50 cm. L’exploitation du bois entraîne des perturbations qui contribuent chaque année à la création de nouvelles pièces d’eau ou à leur renouvellement. Plusieurs mares, situées sur des emplacements de stockage du bois, ou dans des chemins régulièrement fréquentés par les machines, existent depuis au moins dix ans et sont ainsi renouvelées presque chaque année, tandis que d’autres se comblent naturellement en quelques années ou sont comblées par les gestionnaires forestiers. Cette dynamique de perturbations créée une mosaïque d’habitats aquatiques diversifiés du point de vue de leur surface, offrant un contexte propice à la reproduction du Sonneur à ventre jaune. L’exploitation forestière induit également une hétérogénéité de l’habitat, les mares créées étant réparties de manière non homogène, en fonction de l’exploitation d’une parcelle et des trajets empruntés par les machines pour le débardage du bois. 62 Chapitre 2 Figure 2-1 : Carte de localisation de la zone d’étude, dans la forêt de la Croix-aux-Bois (département des Ardennes, France). Les points noirs représentent les patchs (groupes de mares) suivis. 63 Chapitre 2 2.2.2. Délimitation des patchs (groupe de mares) Des prospections intensives (2 à 3 journées par semaine) ont été menées chaque année, à partir du mois de mars, jusqu’à la fin du mois d’août, pour rechercher des « patchs » utilisés ou potentiellement favorables sur l’ensemble de la zone étudiée, un « patch » représentant une localité de la zone d’étude comprenant au moins une mare ou, plus généralement, un groupe de mares. Des patchs nouvellement créés ont ainsi pu être suivis peu de temps après leur apparition. Au total, 22 patchs ont été suivis en 2006, 24 en 2007 et 28 en 2008. Les coordonnées géographiques des mares ont été relevées chaque année à l’aide d’un GPS. Leur longueur et leur largeur ont été mesurées à l’aide d’un décamètre, à trois reprises (en avril, juin et août) au cours de chaque saison de suivi. La majorité des pièces d’eau étant linéaires ou rectangulaires, leur surface a été estimée par le produit de leur plus grande longueur et de leur plus grande largeur. La valeur maximale des 3 mesures, réalisées au cours d’une année, a été retenue. En raison de l’instabilité de ces habitats aquatiques qui pouvaient disparaître complètement au cours d’une année par comblement ou par assèchement, il n’a pas été possible de suivre toutes les pièces d’eau pendant trois années consécutives. Le suivi n’a donc pas été ciblé directement sur ces mares mais plutôt sur des groupes de mares proches les unes des autres (p.ex. dans des parcelles exploitées, sur des portions de chemins régulièrement empruntés par des véhicules ou sur des places de stockage du bois). Il a ainsi été possible de prendre en compte la distribution particulière des groupes de mares, qui sont répartis en taches dans le massif forestier. Pour que la délimitation de ces patchs soit comparable sur l’ensemble de la zone étudiée, des polygones ont été créés pour les délimiter. À l’aide de ArcView 3.2 (Système d’Information Géographique, Esri, Redlands, CA, USA), des disques d’un rayon de 50 mètres ont dans un premier temps été dessinés autour des localisations de chaque mare. Les mares pour lesquelles les disques se recoupaient ont été considérées comme appartenant au même patch. Ce patch a ensuite été représenté par un polygone formé en reliant toutes les mares (désignées comme appartenant à ce patch) les plus extérieures (principe du Polygone Convexe Minimum, ‘Minimum Convex Polygone’, White et Garrot 1990 ; Figure 2-2). 64 Chapitre 2 Figure 2-2 : Règle suivie pour délimiter les patchs , « groupes de mares », selon la méthode du ‘Minimum Convex Polygon’. En procédant de cette façon, les mares les plus proches, appartenant à deux patchs différents, étaient situées à 103 mètres l’une de l’autre, tandis que celles du patch le plus isolé, se trouvaient à une distance de 1250 mètres de leurs plus proches voisines. Les distances séparant les mares, appartenant ou non à un même patch, étaient comprises entre 5 et 6930 mètres. La superficie totale de la zone étudiée au sein du massif forestier était de 1350 ha (superficie du polygone minimum convexe obtenu à partir des localisations de l’ensemble des mares suivies). 2.2.3. Protocole de capture-marquage-recapture Le suivi par capture-marquage-recapture (CMR) a été conduit durant 3 années consécutives en 2006, 2007 et 2008. Chaque session de CMR a consisté en deux journées de terrain successives visant à prospecter une fois entièrement l’ensemble des patchs. Ces sessions ont été réalisées tous les 15 jours environ, du 21 avril au 31 août 2006, du 27 avril au 29 août 2007 et du 21 avril au 29 août 2008. Dans chaque patch suivi, toutes les pièces d’eau étaient inspectées visuellement pour rechercher des individus. Pour le marquage des individus capturés, une technique de photo-identification a été utilisée. Le patron de coloration ventrale diffère d’un individu à l’autre, et cette variation peut servir à la reconnaissance individuelle (p.ex. Seidel 1988, Abbühl et Durrer 1993, Jahn et al. 1996, Delarze et al. 2001). Une photographie du ventre était donc réalisée pour chaque individu capturé. Pour cela, l’individu était placé dans une boîte en plastique (boîtier pour disque compact). Le plastique transparent de la boîte était délicatement appliqué contre le ventre de l’individu pour éviter la formation de replis cutanés, pouvant empêcher l’observation correcte de certains critères d’identification. 65 Chapitre 2 Un système d’aide à l’identification des individus, créé sur la base d’attributs du patron ventral qui sont facilement observables et identifiables, a été incorporé à une base de données élaborée avec le logiciel Access (voir Annexe 1). À partir d’une formule ventrale inspirée du travail de Abbühl et Durrer (1993), les individus photographiés ont été classés dans des groupes en fonction de leurs ressemblances. Le système de gestion de base de données a permis de réaliser des requêtes pour identifier rapidement un individu à partir d’une photographie de son ventre et de gérer les groupes en ajoutant des individus nouveaux. Les individus photographiés étaient ainsi identifiés après chaque session de CMR. Le sexe a été déterminé en recherchant la présence de callosités noirâtres sur les avantbras et les doigts. Celles-ci sont uniquement présentes chez les mâles qui atteignent la maturité sexuelle (Abbhül et Durrer 1991). Afin d’éviter d’éventuelles erreurs de reconnaissance du sexe, tous les individus ne présentant pas de callosités et ayant une longueur museau-cloaque inférieure à 32 mm, n’ont pas été pris en compte. Ce chiffre correspond à la taille la plus grande à partir de laquelle les callosités sont devenues visibles sur les mâles de cette zone d’étude. Les individus dont la taille était inférieure ou égale à 35 mm ont été considérés comme subadultes. 2.2.4. Capacités de déplacement du Sonneur à ventre jaune Dans une première partie, les capacités potentielles de déplacement du Sonneur à ventre jaune ont été étudiées. Pour chaque individu recapturé (i.e. capturé plus d’une fois), la distance séparant deux points de capture a été estimée avec ArcView 3.2. L’ensemble des déplacements réalisés entre des pièces d’eau, appartenant à un même patch ou à des patchs différents, a été pris en compte pour obtenir une amplitude des déplacements pour chaque individu. Cette amplitude correspond à la distance maximale, mesurée en ligne droite et « à vol d’oiseau », parmi toutes les combinaisons de distances possibles entre les points de captures d’un individu pris par paires. L’amplitude des déplacements des mâles et des femelles a été calculée séparément pour les 3 années de l’étude (voir les résultats). Pour les « intersaisons » 2006-2007 et 2007-2008, le taux de recapture et la proportion d’individus mobiles (rapport du nombre d’individus recapturés ayant changé de mare sur le nombre total d’individus recapturés) ont également été calculées en prenant la dernière capture de chaque individu à l’année t et sa première capture à l’année t + 1. 66 Chapitre 2 Une ANOVA, suivie par un test HSD de Tukey (test post-hoc), ont été utilisés pour étudier l’effet de l’année sur l’amplitude des déplacements. Les différences entre les deux sexes ont été traitées séparément pour chaque année et pour les intersaisons, à l’aide de tests de comparaison de moyenne (test t de Student ou de Wilcoxon), et de tests du Chi-2 pour les proportions. 2.2.5. Echange d’individus entre les patchs La deuxième partie des analyses a consisté à étudier les taux d’échanges d’individus entre les patchs et à tester des hypothèses concernant l’occurrence de ces déplacements. Les données de déplacements entre les patchs des individus des deux sexes, obtenues en 2006, 2007 et 2008, ont été rassemblées dans un même échantillon. Des fractions de résidents, d’émigrants et d’immigrants ont été calculées, pour chaque patch, selon la méthode décrite par Hill et al. (1996) et Sutcliffe et al. (1997) : le nombre d’émigrants Ei correspond au nombre d’individus marqués dans le patch i et recapturés dans n’importe quel autre patch ; le nombre d’immigrants Ii correspond au nombre d’individus recapturés dans le patch i et qui avaient préalablement été capturés dans un autre patch ; et le nombre de résidents Ri correspond au nombre d’individus capturés dans le patch i et recapturés dans le même patch. Ces nombres d’émigrants, d’immigrants et de résidents ont ensuite été utilisés pour calculer les fractions suivantes : - la fraction émigrante, Ei / (Ei + Ri) ; - la fraction immigrante, Ii / (Ii + Ri) ; - la fraction résidente, Ri / (Ri + Ei + Ii). L’effet de la surface en eau des patchs (i.e. la somme des surfaces en eau de l’ensemble des mares d’un patch) sur ces fractions et sur le nombre d’individus capturés dans un patch a été testé. En considérant la surface en eau comme un indicateur de la qualité d’un patch, des taux de résidence et d’immigration élevés et, à l’inverse, des taux d’émigration faibles, sont attendus pour les patchs ayant une surface en eau importante, comparés aux patchs dont la surface en eau est moins étendue. Par ailleurs, les effets de six variables sur l’occurrence des déplacements entre les patchs, pris par paires, ont ensuite été testés. Pour cela, seuls les patchs ayant été suivis tout au long 67 Chapitre 2 des trois années (20 patchs) ont été considérés. Toutes les combinaisons par deux de ces 20 patchs ont été testées, en considérant les possibilités de déplacements dans les deux sens (380 combinaisons). Toutes les distances séparant les patchs ont été calculées, non plus entre les mares, mais entre les barycentres des coordonnées géographiques des mares de chaque patch. Les différentes variables testées appartiennent à trois groupes. Le premier groupe contient deux variables : la surface en eau du patch « donneur » et la surface en eau du patch « receveur ». Le deuxième groupe de variables concerne la distance séparant les patchs. Cette distance a été prise en compte de deux façons : en calculant la « distance plate » entre les deux patchs c’est-à-dire sans prendre en compte le relief, et en calculant la distance au sol ou « distance de surface », en tenant compte cette fois ci du relief. Ces deux variables ont été estimées grâce à l’extension Surface Tools version 1.6b, d’ArcView 3.2 (Jenness 2008). Pour le calcul de la « distance de surface », une représentation tridimensionnelle de la topographie (‘Triangulated Irregular Network’, TIN), a d’abord été obtenue à partir d’une grille d’altitude d’une résolution de 50 mètres. La distance prenant en compte les changements d’altitude tout au long du trajet en ligne droite séparant les deux patchs, a pu en être dérivée. Cette distance est toujours supérieure à la distance plate et elle est d’autant plus grande que le relief est important entre les barycentres des deux patchs. Elle représente donc une mesure plus réaliste de la distance parcourue par un animal entre deux patchs. Le troisième groupe de variables explicatives rassemble deux descripteurs du relief : la moyenne des pentes rencontrées (en degrés) sur la ligne séparant les deux patchs, et le rapport de la distance de surface sur la distance plate. Ce rapport est toujours supérieur à 1. Plus la différence entre la distance de surface et la distance plate est grande, plus le rapport est grand et plus le relief est accidenté entre les deux patchs. Un partitionnement hiérarchique de la variation (MacNally 2000, MacNally et Walsh 2004) a été réalisé pour estimer l’effet indépendant de chacune de ces variables explicatives sur l’occurrence de déplacements entre les patchs. Cette procédure, menée avec le paquetage hier.part (Walsh et MacNally 2007) du logiciel R version 2.7.0 (R Development Core Team 2008) permet, pour chaque variable explicative, de déterminer sa contribution à la variation expliquée, qui est indépendante (i.e. celle qui est uniquement associée à cette variable), et sa contribution partagée avec d’autres variables. Grâce à cette méthode, il est possible de classer objectivement les variables explicatives, en fonction de l’importance relative de leur effet sur la variable réponse. La significativité de leur effet peut être estimée grâce à un test fourni par le paquetage hier.part. Ce test génère une distribution aléatoire de la contribution des 68 Chapitre 2 variables à partir d’un nombre spécifié de randomisation (100 dans notre cas). Une variable explicative a été considérée significative quand sa contribution était supérieure à l’intervalle de confiance à 95% généré par cette randomisation (MacNally 2002, Walsh et MacNally 2007). Des corrélations des rangs de Spearman ont ensuite été réalisées sur l’ensemble des variables prises deux à deux pour tester leur colinéarité. Lorsque deux variables ont obtenu un coefficient de corrélation supérieur à |0.5|, l’une des deux a été retirée de l’analyse. Pour sélectionner la variable à conserver parmi les deux corrélées, la significativité de chacune des variables impliquées dans une corrélation a été testée en utilisant le modèle linéaire généralisé (GLM, McCullagh et Nelder 1989) avec un lien binomial, la variable réponse étant la présence/absence de déplacements observés entre chaque paire de patchs. Les modèles ont été comparés en calculant leur Critère d’Information d’Akaike (AIC) : AIC = -2LL + 2k, avec LL, la log-vraisemblance du modèle et k, le nombre de paramètres. Pour classer plus facilement les modèles, deux autres critères d’information ont été utilisés : le ΔAIC, qui correspond à la différence entre la valeur de l’AIC du meilleur modèle (AIC le plus petit) et la valeur de l’AIC du modèle qui lui est comparé ; et le poids d’Akaike (wi), qui constitue une mesure de la probabilité qu’un modèle soit celui qui ajuste le mieux les données parmi l’ensemble des modèles construits (Burnham et Anderson 2002). Le cumul des wi des modèles classés par ordre décroissant en fonction de leur AIC, permet d’obtenir un intervalle de confiance à 95% des modèles ajustant le mieux les données. Les variables significatives retenues ont ensuite été incorporées simultanément dans une série de modèles (GLM), en testant l’ensemble des combinaisons linéaires possibles entre ces variables. Des interactions entre la qualité des patchs, la distance et le relief ont également été prises en compte. Enfin, il peut exister une incertitude dans les valeurs des paramètres estimés, en particulier lorsque ceux-ci varient fortement d’un modèle à l’autre. Pour prendre en compte cette variabilité potentielle dans les paramètres estimés, des paramètres moyens ainsi qu’une erreur standard associée (‘unconditional standard error’, Burnham et Anderson 2002) ont été calculés pour chaque variable explicative. 69 Chapitre 2 2.3. Résultats 2.3.1. Taux de recapture, fréquence et amplitude des déplacements Au total, durant les 3 années de suivi, 353 individus adultes ont été capturés (170 mâles et 183 femelles). Le tableau 2-I résume les données relatives à la taille des échantillons d’individus mâles et femelles, capturés et recapturés, et à l’amplitude des déplacements réalisés, durant les trois années. Les taux de recapture des mâles et des femelles n’étaient pas significativement différents (2006, 2007 et 2008, χ² = 2.23 ; ddl = 2 ; p = 0.33 ; 2006-2007 et 2007-2008, χ² = 0.76 ; ddl = 1 ; p = 0.38). De même, aucune différence significative n’a été détectée concernant les proportions d’individus mobiles des deux sexes (2006, 2007 et 2008, χ² = 0.39 ; ddl = 2 ; p = 0.82 ; 2006-2007 et 2007-2008, χ² = 0.22 ; ddl = 1 ; p = 0.64). L’amplitude des déplacements des individus mâles et femelles était comparable en 2006 (W = 12.5, p = 0.99), en 2007 (t = 1.49, ddl = 66.47, p = 0.14), en 2008 (t = -0.99, ddl = 41.49 p = 0.33) et pour l’intersaison 2007-2008 (W = 481.5, p = 0.58). Une seule différence significative a été détectée pour l’intersaison 2006-2007 : les femelles avaient une amplitude moyenne légèrement supérieure à celle des mâles (W = 68, p = 0.04). Enfin, en regroupant les mâles et les femelles, il y avait une différence significative entre les années pour l’amplitude moyenne des déplacements (F2,133 = 8.85, p < 0.0001) : l’amplitude des déplacements de l’année 2006 était significativement plus importante que celle de l’année 2008. L’année 2006 était caractérisée par un faible nombre d’individus capturés et donc un effectif réduit de déplacements observés entre les mares (n = 11), comparés aux années 2007 (n = 73) et 2008 (n = 73) qui étaient similaires de ce point de vue (Figure 2-3). La moitié des amplitudes des mâles et des femelles durant la totalité de l’étude (données de 2006 à 2008), était inférieure à 200 mètres et seulement 5% étaient supérieures à 800 mètres. Les déplacements correspondant aux amplitudes les plus importantes (>800 mètres, n = 7) sont présentés dans le tableau 2-II. Deux de ces déplacements ont été réalisés par des individus subadultes (F3 et M2) (i.e. ayant une longueur museau-cloaque inférieure ou égale à 35 mm). Le déplacement le plus important (M2, 3810 m) qui a pu être observé a été réalisé dans un intervalle de 15 jours (nombre de jours séparant deux sessions de CMR), par l’un de ces subadultes. L’autre de ces subadultes (F3) s’est également déplacé sur une distance 70 Chapitre 2 relativement importante (960 mètres) dans un intervalle de temps similaire. Plusieurs individus de taille adulte (>35 mm) ont effectué des déplacements supérieurs à 800 mètres. Parmi eux, l’individu F1 était âgé d’au moins 9 ans : cet individu a été capturé avec une taille proche de 40 mm en 2000 lors d’une précédente étude, cette taille étant atteinte généralement vers l’âge de 3 ans voire plus, c’est-à-dire après au moins deux hivers (obs. pers.). Des individus ont également réalisé un ou plusieurs allers-retours entre deux patchs (Figure 2-4) : c↔e (4 individus) ; b↔c (3 individus) ; v↔u (2 individus) ; d↔e, t↔u, f↔g, et j↔k (1 individu chacun). Ces allers-retours avaient généralement lieu en début et en fin de saison de reproduction. Ces individus avaient tous une longueur museau-cloaque supérieure à 40 mm. Sur les trois années de suivi, le taux de migration entre les patchs était de 21.7% (♂ : 22% ; ♀ : 21.3%). Tableau 2-I : Résumé des données de CMR obtenues pour les mâles et les femelles en 2006, 2007, 2008 et au cours des intersaisons (dernière capture de l’année t → 1ère capture de l’année t + 1): nombre d’individus capturés (n), taux de recapture, proportion d’individus mobiles (rapport du nombre d’individus recapturés s’étant déplacés entre des mares, sur le nombre total d’individus recapturés) et amplitude moyenne des déplacements (seuls les individus s’étant déplacés ont été considérés, i.e. les amplitudes de 0 m n’ont pas été prises en compte dans ce calcul). Année Sexe n Taux de recapture Proportion mobile Amplitude des déplacements (moyenne ± e.s.) 2006 ♂ ♀ 35 50 0.46 0.34 0.29 0.33 940.4 ± 722.94 m 308.6 ± 126.21 m 2006↔2007 ♂ ♀ 35 50 0.69 0.42 0.67 0.70 130.04 ± 37.97 m 210 ± 71m 2007 ♂ ♀ 103 83 0.60 0.69 0.58 0.57 169.97 ± 28.39 m 117.88 ± 20.48 m 2007↔2008 ♂ ♀ 103 83 0.53 0.43 0.76 0.69 185.47 ± 34.70 m 173.94 ± 43.49 m 2008 ♂ ♀ 109 114 0.46 0.45 0.47 0.49 172.78 ± 51.96 m 113.70 ± 29.97 m 71 Chapitre 2 Figure 2-3 : Distribution des amplitudes annuelles de déplacements des individus (mâles et femelles regroupés) entre les mares appartenant ou non à un même patch, en 2006, 2007 et 2008. Les lignes verticales en pointillés indiquent respectivement la médiane (50%) et le 95ème centile (95%), de l’ensemble des déplacements pour les mâles (bleu) et les femelles (rouge). Tableau 2-II : Description des déplacements d’une amplitude supérieure à 800 mètres, observés chez 7 individus (3 femelles et 4 mâles). La date et la taille des individus (SVL = longueur museau-cloaque, en mm), sont mentionnées pour leur capture de départ et d’arrivée (recapture). La colonne « déplacement » donne le sens du déplacement observé entre le patch de départ et le patch d’arrivée (voir la Figure 3). M: mâle ; F: femelle. No. Ind. Capture Date SVL Recapture Date SVL Déplacement Amplitude F1 12/07/2007 50 06/05/2008 51 p→q 1320 m F2 01/05/2007 09/05/2008 37 44 09/05/2008 17/06/2008 44 45 a→d d→k 1270 m 1060 m F3 28/07/2008 33 15/08/2008 34 v→r 960 m M1 21/05/2007 04/06/2007 43 44 25/05/2007 19/05/2008 44 45 v→u u→r 375 m 595 m M2 21/04/2006 35 05/05/2006 35 c→r 3810 m M3 04/06/2007 38 20/06/2008 42 i→g 1000 m M4 14/08/2007 39 04/07/2008 41 b→d 840 m 72 1940 m (a → k) 915 m (v → r) Chapitre 2 Figure 2-4 : Carte illustrant les déplacements observés entre les patchs, au cours des années 2006, 2007 et 2008. Chaque patch est représenté par un cercle dont le diamètre est proportionnel à sa surface en eau : il n’est donc pas à l’échelle (la surface réelle des patchs est donnée dans le tableau 3). Les flèches en pointillés représentent les directions des déplacements observés entre les patchs. 2.3.2. Facteurs influençant les échanges entre les patchs Au cours des trois années de l’étude, 77 échanges entre les patchs suivis, réalisés par 49 individus (26 mâles et 23 femelles), ont été observés (Figure 2-4). Le nombre de captures (i.e. nombre d’individus « marqués ») dans chaque patch est compris entre 1 et 38 individus (Tableau 2-III). La surface en eau moyenne des patchs est comprise entre 1.5 et 109 m². Le nombre d’individus capturés dans les patchs est significativement corrélé à la surface en eau (ρSpearman = 0.65, p = 0.002 ; Figure 2-5). Cependant, dans plusieurs patchs ayant une surface en eau moyenne, un nombre d’individus très important a été capturé. Par exemple, dans les patchs b et c dont la surface en eau était proche de 20 m², nous avons capturé respectivement 28 et 31 individus. Ceci suggère que le nombre d’individus capturés dans les patchs ne dépend pas seulement de leur surface en eau (voir discussion). Pour étudier l’effet de la surface en eau sur les fractions de résidents, d’immigrants et d’émigrants, les 20 patchs suivis de 2006 à 2008 sans interruption, ont été classés dans 4 73 Chapitre 2 catégories selon leur surface : 1.5-12 m², « petits » patchs (n = 9) ; 17-23 m², patchs « moyens » (n = 7) ; 37-42 m², « grands » patchs (n = 2) ; 71-109 m², « très grands » patchs (n = 2). Les patchs ayant une surface en eau importante avaient un taux de résidence significativement plus important que les patchs dont la surface était plus réduite (χ² = 14.21 ; ddl = 3 ; p = 0.003 ; Figure 2-6a), et un taux d’émigration moins important que ces derniers (χ² = 57 .28 ; ddl = 3 ; p < 0.001 ; Figure 2-6c). Aucun effet significatif de la surface en eau n’a été détecté concernant le taux d’immigration (χ² = 5.03 ; ddl = 3 ; p = 0.17 ; Figure 2-6b). Tableau 2-III : Surface en eau des patchs (moyenne annuelle ± écart-type) et nombre d’individus capturés des deux sexes. L’absence de valeur pour les individus capturés (-), indique que le patch n’existait pas, ou qu’il n’était pas en eau au cours de la saison considérée. Patchs a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t u v w x y z aa ab Surface en eau (m²) (moyenne 2006-2008 ± SD) 6 (± 1.15) 7.5 (± 24.95) 16.25 (± 1.50) 16.5 (± 4.58) 24 (± 3.61) 23.5 (± 9.64) 40.5 (± 7.77) 35 (± 20.21) 4.5 (± 0.58) 4 (± 1.15) 56.5 (± 24.56) 6 (± 3.46) 28 (± 13.28) 1.5 (± 1.53) 11.5 (± 0.58) 5.75 (± 0.87) 70 (± 9.07) 109 (± 2.31) 5 (± 0.58) 6.5 (± 4.05) 4 (± 2.31) 18 (± 1.15) 27.6 (± 16.45) 19.5 (± 11.79) 42 (± 38.69) 16.15 (± 18.65) 12 (± 13.86) 21.75 (± 13.61) 2006 ♂ 1 7 7 1 7 0 2 0 1 1 0 0 0 0 3 1 2 0 0 0 2 0 - 74 ♀ 4 10 14 2 3 0 3 0 0 0 1 2 3 0 2 1 4 0 0 0 0 1 - 2007 ♂ 0 6 6 4 10 6 0 0 2 7 4 0 12 0 1 7 9 3 3 1 5 2 4 11 ♀ 1 8 11 2 6 1 1 1 0 1 2 1 3 0 5 8 11 1 3 0 1 7 4 5 2008 ♂ 0 6 5 2 6 5 5 0 0 4 19 0 6 0 1 1 11 15 0 0 1 7 3 0 1 2 5 4 ♀ 1 6 7 8 3 7 8 3 0 1 17 0 5 0 1 1 11 11 0 1 0 4 6 0 1 4 7 1 Chapitre 2 Figure 2-5 : Corrélation entre la surface en eau et le nombre d’individus capturés dans les 20 patchs (groupes de mares) suivis de 2006 à 2008. a b c Figure 2-6 : Relation entre la surface en eau et les taux de résidence (a), d’immigration (b) et d’émigration (c) pour les 20 patchs suivis de 2006 à 2008. Pour étudier l’effet indépendant des variables pouvant expliquer l’occurrence des déplacements entre les patchs, un partitionnement hiérarchique a été réalisé (Figure 2-7). Les variables dont l’effet indépendant sur l’occurrence des déplacements entre patchs était significatif sont : la distance de surface (37.8%), la distance plate (37.7%), le rapport des distances (8.4%), la pente moyenne (7.7%) et la surface du patch receveur (7.1%). L’effet 75 Chapitre 2 indépendant de la surface du patch donneur n’était pas significatif. Ce sont donc les variables qui décrivent la distance qui sont les plus importantes, suivies par celles décrivant le relief, puis par la surface du patch receveur. Cependant, certaines de ces variables étaient fortement corrélées puisqu’elles exprimaient une même partie de l’information (Tableau 2-IV) : c’est le cas des deux variables de distance et de relief. Sur la base de leur AIC, dans les modèles testant ces variables séparemment, seule la plus significative de chacune de ces deux paires de variables fortement corrélées, a été retenue. Ainsi, trois variables explicatives ont finalement été utilisées pour construire un ensemble de modèles permettant d’étudier l’effet de la distance de surface, du rapport des distances (relief) et de la surface du patch receveur sur l’occurrence des déplacements entre les patchs. Figure 2-7 : Pourcentage d’effet indépendant des variables explicatives, estimé par un partitionnement hiérarchique. dist. surf. = distance de surface ; dist. plat = distance plate ; rap. dist. = rapport des distances ; pente = pente moyenne ; surf. R = surface du patch receveur ; surf. D = surface du patch donneur. * contribution indépendante significative. NS contribution non significative. Tableau 2-IV : Matrice des corrélations entre les variables explicatives. Les coefficients de corrélation (ρ de Spearman) > |0.5| apparaissent en gras. Variables dist. surf. dist. plate dist. plate 0.99 rap. dist. 0.46 0.46 pente 0.35 0.39 0.98 surf. R -0.08 -0.08 -0.14 76 rap. dist. pente -0.14 Chapitre 2 Toutes les combinaisons de ces trois variables, ainsi que leurs interactions, ont été testées et les modèles obtenus (13 modèles) ont été classés sur la base de leur AIC (Tableau 2-V). L’intervalle de confiance à 95% ne rassemblait que trois modèles parmi les 13 testés. Le meilleur modèle ne contenait que l’interaction surface du patch receveur*distance de surface. Le second modèle avait un ΔAIC inférieur à 2, ce qui signifie qu’il était très proche du premier. Cependant, ce second modèle ne différait du premier que par l’ajout de la variable rapport de distance et avait une valeur de log-vraisemblance (-51.6) très proche de celle du premier (-52). Ce modèle n’était donc pas compétitif avec le meilleur modèle car il ajoutait une variable, tout en améliorant très peu la log-vraisemblance (principe de parcimonie, Burnham et Anderson 2002). Le troisième modèle de l’intervalle de confiance, comprenait la surface du patch receveur et la distance de surface, sans leur interaction. Ce modèle, qui n’avait que 3 paramètres, était beaucoup moins bien supporté par les critères d’information. Tableau 2-V : Classement des modèles d’occurrence des déplacements entre les patchs. Surf. rec. = surface du patch receveur ; Dist. surf. = distance de surface ; Rap. dist. = rapport des distances (relief). Les trois premiers modèles (en gras), représentent l’intervalle de confiance à 95%. Rang 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Modèle Surf. rec. * Dist. surf. Surf. rec. * Dist. surf. + Rap. dist. Surf. rec. + Dist. surf Surf. rec. + Dist. surf. + Rap. dist. Dist. surf. + Surf. rec. * Rap. dist. Surf. rec. + Dist. surf. * Rap. dist. Dist. surf. Dist. surf. * Rap. dist. Dist. surf. + Rap. dist. Rap. dist. Surf. rec. + Rap. dist. Surf. rec. * Rap. dist. Surf. rec. k AIC ΔAIC wi 4 5 3 4 5 5 2 4 3 2 3 4 2 112.10 113.18 116.95 118.85 119.07 119.09 126.22 126.77 128.10 188.44 189.05 191.04 214.15 0.00 1.08 4.85 6.75 6.97 6.99 14.12 14.67 16.00 76.34 76.95 78.94 102.05 0.57 0.33 0.05 0.02 0.02 0.02 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 0.00 La figure 2-8 résume les effets des trois variables explicatives prenant en compte la distance, le relief, la surface en eau du patch receveur et leur interaction sur l’occurrence des déplacements entre les patchs. La variable de distance avait un effet négatif très fort (-5.26), tandis que la surface en eau du patch receveur (0.88) et l’interaction entre la distance et la surface en eau avaient un effet positif (0.78). Cela signifie que l’effet de l’augmentation de la distance séparant les patchs affecte moins les déplacements quand la surface en eau du patch receveur est importante et, qu’à l’inverse, une diminution de la surface en eau du patch 77 Chapitre 2 receveur réduit la probabilité d’occurrence d’un déplacement entre deux patchs éloignés l’un de l’autre. L’effet obtenu pour la variable décrivant le relief est positif pris isolément (0.07) et en interaction avec la surface en eau (0.01), et négatif en interaction avec la distance (-0.02). Cependant, les paramètres estimés moyens de cette variable et de ses interactions avec les deux autres variables sont très faibles. De plus, dans les modèles testés, le rapport des distances n’était significatif que dans les modèles 9, 10 et 11, qui sont peu supportés par les critères d’information (voir tableau 2-V) et ses interactions avec les deux autres variables n’étaient jamais significatives. Figure 2-8 : Diagramme résumant les effets des trois variables explicatives retenues dans le modèle d’occurrence des déplacements et de leurs interactions. Les valeurs données correspondent aux moyennes des paramètres estimés (‘average parameter’, Burnham et Anderson 2002) ± leur erreur standard. Les lignes et les cadres en pointillés représentent les interactions entre les variables. Les flèches noires pleines indiquent un effet négatif, tandis que les flèches vides indiquent un effet positif. La largeur des flèches représente l’importance de l’effet de la variable ou de l’interaction de variables. Comme le partitionnement hiérarchique l’a montré, le rapport des distances a un effet indépendant significatif, mais ses interactions avec les autres variables expliquent peu l’occurrence des déplacements entre les patchs. C’est d’ailleurs ce qui a été observé sur le terrain : des déplacements ont été détectés aussi bien entre des patchs séparés par des fortes pentes (p.ex. entre les patchs p et q, a et d, b et c), qu’entre des patchs séparés par des zones plates (p.ex. déplacements entre e et f ou v et r). 78 Chapitre 2 2.4. Discussion Grâce à un suivi par CMR, mené sur une superficie relativement importante durant 3 années consécutives, cette étude apporte une description de l’amplitude des déplacements de mâles et de femelles de Sonneur à ventre jaune, ainsi qu’une analyse de l’effet de la surface en eau, de la distance séparant les patchs et du relief sur ces déplacements. 2.4.1. Amplitude des déplacements du Sonneur à ventre jaune Sur l’ensemble des individus s’étant déplacés, la moitié avaient une amplitude de déplacement inférieure à 200 mètres. Cependant, 5% des individus se sont déplacés de plus de 800 mètres. Certains de ces déplacements de longue distance ont été détectés d’une année sur l’autre, tandis que d’autres l’ont été au cours de recaptures successives durant une même saison. Cinq individus se sont déplacés de plus de 1000 mètres. D’autres travaux avaient déjà mentionné l’observation de déplacements supérieurs à un kilomètre chez le Sonneur à ventre jaune (Plytycz et Bigaj 1984, Seidel 1988, Herrmann 1996, Sy et Grosse 1998, Gollmann et al. 2000). La distance maximale trouvée dans une autre étude menée par CMR a été obtenue par Herrmann (1996) en Allemagne : il s’agissait également d’un mâle, qui s’était déplacé sur une distance de 2510 mètres, dans un intervalle de temps de trois mois. Les amplitudes de déplacements observées dans la forêt de la Croix-aux-Bois sont donc particulièrement importantes et elles permettent de démontrer que le Sonneur à ventre jaune dispose de capacités de déplacements relativement bonnes dans un contexte paysager propice. De plus, deux déplacements de longue distance ont été détectés dans un intervalle de temps de 15 jours : l’un de 3800 mètres, réalisé par un mâle, et l’autre de 960 mètres réalisé par une femelle. Compte tenu de la distance parcourue, de la rapidité de ces déplacements et de l’âge des individus (subadultes), ces comportements s’apparentent à une dispersion. En effet, ces déplacements sont apparus très différents de tous les autres de par leur ampleur et leur rapidité. Les différences observées dans les nombres d’individus capturés durant les 3 années et dans l’amplitude des déplacements en 2006 et en 2008 peuvent être expliquées par un contexte climatique différent, notamment 79 pour l’abondance des précipitations. Chapitre 2 Malheureusement, il ne nous a pas été possible d’obtenir les données météorologiques pour ces trois années. L’année 2006 s’est avérée nettement moins pluvieuse que les deux autres années et la plupart des mares étaient à sec durant une grande partie de la saison de reproduction. Seuls les plus grands patchs ont conservé des mares en eau pendant la majeure partie de la saison de reproduction. En 2008, à l’inverse, les précipitations ont été très importantes et réparties sur toute la saison, maintenant un niveau d’eau constant. L’année 2007 est apparue intermédiaire entre ces deux années. Peu d’individus ont pu être capturés en 2006 tandis que les distances moyennes parcourues ont été plus importantes au cours de cette même année. La rareté des mares a sans doute pu contraindre certains individus à se déplacer davantage pour trouver des patchs en eau, probablement lors de courts épisodes pluvieux. Bien qu’étant généralement importante chez la plupart des espèces d’amphibiens qui se reproduisent dans les mares, la philopatrie (i.e. la fidélité des individus à leur site de naissance) varie selon les espèces (Duellman et Trueb 1994, Semlitsch 2008) et entre les individus d’une même espèce (Schwarzkopf et Alford 2002). De plus, son intensité peut être influencée par une dynamique de perturbations créant ou détériorant les mares à une échelle locale (Pechmann et al. 2001, Gamble et al. 2007), et par la distribution des mares à une échelle plus importante (Smith et Green 2005). Au cours des trois années de cette étude, un taux de migration de 22% entre les patchs a été observé. Ce chiffre est comparable a celui qui a été obtenu sur d’autres espèces, dans des zones d’études relativement favorables aux déplacements (Marsh et Trenham 2001). En effet, Reading et al. (1991), ont par exemple obtenu un taux annuel de migration inter-mares chez des mâles et des femelles de Bufo bufo, de respectivement 20% et 26%. De même, Sinsch (1997) signale un taux de migration de 20% chez des femelles de Bufo calamita. La forte amplitude et la fréquence élevée des déplacements observés, comparativement à d’autres travaux déjà menées sur le Sonneur à ventre jaune, peuvent être expliquées par l’existence, dans la zone d’étude, d’un nombre important de mares, régulièrement renouvelées par l’exploitation forestière et qui se trouvent dans un contexte paysager favorable aux déplacements. Les forêts constituent, en effet, des habitats terrestres privilégiés pour de nombreuses espèces d’amphibiens dont le Sonneur à ventre jaune, en raison d’une part, de la présence de nombreux refuges terrestres (bois mort, litière végétale…) pour l’estivage et pour l’hivernage, et, d’autre part, du maintien d’un microclimat favorable, lié à la couverture végétale et à une humidité ambiante, réduisant les risques liés à la déshydratation. Dans la présente étude, la détection de déplacements de longue distance a sans doute aussi été 80 Chapitre 2 favorisée par une bonne connaissance de la distribution des patchs potentiellement favorables à l’espèce et par le suivi simultané d’un grand nombre de ces patchs, sur une superficie relativement importante. En outre, un effort de prospections élevé, maintenu tout au long de la durée de l’étude, a permis d’adapter le suivi par CMR à la dynamique de créations des mares. Ainsi, la colonisation de plusieurs patchs nouvellement créés par l’activité de débardage depuis d’autres patchs déjà suivis, a pu être étudiée. Enfin, les sessions de CMR ont été régulièrement réparties, dès l’apparition des premiers individus (au mois d’avril) jusqu’à leur désertion des mares en fin de saison de reproduction. Les résultats de la présente étude n’ont pas permis de mettre en évidence une différence dans l’amplitude des déplacements annuels des mâles et des femelles alors que plusieurs études récentes, réalisées sur des anoures ou des urodèles, ont révélé une capacité de déplacement plus importante chez les femelles (Pilliod et al. 2002, Muths 2003, Bartelt et al. 2004, McDonough et Paton 2007, Johnson et al. 2007). Cependant, ces études ont été réalisées avec la radio-télémétrie, qui apporte des informations plus fines sur les déplacements et qui permet sans doute de déceler des différences plus difficilement détectables avec la CMR. Des études complémentaires seraient donc nécessaires pour confirmer qu’il n’existe pas de différence liée au sexe chez le Sonneur à ventre jaune. 2.4.2. Facteurs influençant les déplacements entre patchs Un effet de la surface en eau a été trouvé sur les effectifs d’individus capturés dans les patchs et sur les fractions de résidents et d’émigrants : le nombre d’individus capturés et la fraction résidente étaient plus importants dans les patchs ayant une grande surface en eau tandis que la fraction d’émigrants y était moins importante que dans les petits patchs. Les grands patchs doivent logiquement avoir une capacité biotique (i.e. seuil de l’effectif en individus pouvant être accueillis) plus importante que les petits patchs. L’émigration pourrait donc être forte dans les petits patchs en raison notamment d’une compétition plus intense (émigration densité-dépendante ; Lambin et al. 2001). Cette relation est fréquente dans les études menées sur les échanges entre patchs dans des métapopulations, en particulier chez les insectes (Kareiva 1985, McCauley 1991, Hill et al. 1996, Sutcliffe et al. 1997, Hanski 1999, Baguette et al. 2000). Cependant, un taux d’émigration important peut aussi être lié à une faible qualité du patch, celle-ci étant souvent corrélée à la surface (Hanski 1999). Chez les 81 Chapitre 2 amphibiens, des études ont montré que la surface en eau peut avoir un effet positif sur l’occupation des mares, sur l’abondance des individus et sur la persistance des populations locales (en considérant une mare comme un patch hébergeant un population locale). Par exemple, Vos et Chardon (1998) ont obtenu un effet positif de la surface en eau sur la probabilité d’occupation et sur l’abondance dans les mares chez Rana arvalis. Dans une autre étude, Halley et al. (1996) ont utilisé un modèle stochastique de type « source-puit », pour calculer le taux d’extinction de Bufo bufo et Triturus cristatus dans des mares. Dans leur modèle, la capacité biotique était corrélée à la taille des mares. Pour les deux espèces, la persistance d’une population locale dans une mare était liée à une relation entre sa taille (capacité biotique) et sa distance vis-à-vis d’une autre mare source. Ainsi, la taille des mares semble jouer un rôle important dans la dynamique des populations d’amphibiens. Au cours de cette étude, des effectifs importants d’individus ont été capturés dans certains patchs ayant une surface en eau moyenne (proche de 20 m²), ce qui suggère l’effet d’un autre facteur non pris en compte dans l’analyse pour expliquer l’abondance dans les patchs. D’après nos observations, ces résultats pourraient être en partie expliqué par la localisation « stratégique » de ces patchs. En effet, ils étaient vraisemblablement situés sur des voies de migration des individus et le taux de résidence n’y était pas plus élevé que dans les autres patchs. Les résultats obtenus avec le modèle linéaire généralisé montrent que l’occurrence des déplacements entre deux patchs est influencée négativement par leur éloignement. Parallèlement, un effet positif de la surface en eau du patch receveur a été obtenu. L’interaction entre la distance et la surface en eau du patch receveur était positive, ce qui signifie que l’effet de la distance entre les patchs est atténué par l’augmentation de la surface en eau du patch receveur. Cet intéressant résultat peut être interprété de deux manières différentes. La première explication possible pourrait être simplement liée à la géométrie des grands patchs : en assumant que les individus émigrants se déplacent au hasard dans le paysage (i.e. sans cible particulière), ils pourraient avoir davantage de chance de rencontrer un patch dont la surface en eau est importante. Cet effet de la surface des patchs a par exemple été mis en évidence dans des travaux menés sur des métapopulations de papillons (Kuussaari et al. 1996, Baguette et al. 2000). Dans notre cas, ce résultat pourrait aussi être lié à une corrélation entre l’attractivité d’un patch et sa surface en eau. Pour trouver un groupe de mares, des signaux particuliers peuvent être utilisés par les individus (Bowler et Benton 2005). Chez les amphibiens l’utilisation de signaux olfactifs pour l’orientation d’individus en 82 Chapitre 2 migration (Oldham 1967, McGregor et Teska 1989, Joly et Miaud 1993) ou en dispersion (Sjögren-Gulve 1998) a été signalée. La capacité de perception de ces signaux pourrait être potentiellement forte chez des espèces se reproduisant dans des milieux aquatiques temporaires, telles que le Sonneur à ventre jaune. Plusieurs observations réalisées au cours des 3 années de suivi sont en faveur de cette hypothèse. En effet, la colonisation de groupes de mares nouvellement créées, dans des parcelles jusqu’alors inexploitées, par des individus initialement capturés dans d’autres mares, a été observée à plusieurs reprises. Certains de ces individus ont ainsi colonisé des mares dans les mois qui ont suivi leur création, en se déplaçant parfois sur plus de 500 mètres. De plus, les deux individus ayant réalisé des déplacements de longue distance ont colonisé des patchs dont la surface en eau était importante. Or ces patchs ont attiré simultanément d’autres individus. Un grand patch pourrait donc être plus attractif qu’un petit patch et réduire un impact négatif de la distance sur la probabilité de colonisation. L’effet du relief sur les déplacements des amphibiens a été relativement peu étudié. Toutefois, deux travaux, basés sur la différenciation génétique des populations, ont apporté des résultats opposés. Spear et al. (2005), n’ont pas trouvé de relation entre le relief et la structure génétique de populations d’Ambystoma tigrinum melanostictum, tandis que Funk et al. (2005) ont obtenu une corrélation entre la différenciation génétique et des caractéristiques topographiques dans une étude menée sur Rana luteiventris. Dans les deux cas, la zone étudiée était montagneuse et le relief était donc bien plus accidenté que dans la forêt de la Croix-aux-Bois. Dans notre étude, un effet indépendant significatif du relief (variable « rapport des distances ») a été détecté grâce au partitionnement hiérarchique. Cependant, la prise en compte de cette variable dans le modèle linéaire généralisé a montré qu’elle était beaucoup moins importante que la distance et la surface en eau pour expliquer l’occurrence des déplacements entre les patchs. 2.4.3. Structure spatiale de la population et implications pour sa conservation Les amphibiens sont généralement considérés comme des faibles disperseurs comparés aux autres vertébrés (Sinsch 1990, Bowne et Bowers 2004). Cependant, des études basées sur des méthodes de suivi direct (radio-télémétrie, capture-marquage-recapture) ou indirect 83 Chapitre 2 (marqueurs génétiques) des déplacements, ont suggéré qu’ils peuvent bouger plus fréquemment et plus loin que ce qui était supposé (Szymura et Barton 1991, Sinsch 1997, Trenham et al. 2001). Dans une revue récente traitant de l’application du concept de métapopulation aux populations d’amphibiens, les auteurs ont estimé la distance de dispersion maximale moyenne des anoures à deux kilomètres (Smith et Green 2005). Le Sonneur à ventre jaune ne peut donc pas être considéré comme une espèce aux capacités de déplacements limitées. La fréquence des déplacements observés, les longues distances parcourues et la colonisation rapide de mares nouvellement créées, indiquent que les individus sont relativement mobiles dans la zone étudiée. Comme le signalent Marsh et Trenham (2001), l’isolement des mares intervient rarement dans les environnements peu fragmentés. Bien que les groupes de mares soient répartis en taches dans la forêt de la Croix-aux-Bois et bien qu’ils soient parfois relativement éloignés les uns des autres, aucune évidence d’un isolement n’a été trouvée. En effet, des déplacements permettant de connecter des patchs très éloignés, ont été observés à l’échelle de ces trois années d’étude, et au cours d’une génération de Sonneur à ventre jaune tous les sites seraient probablement connectés. Nous n’avons pas non plus observé d’extinctions locales. En revanche, lorsqu’un patch n’avait pas subi de perturbation depuis plusieurs années et qu’il n’était plus favorable à la reproduction (p.ex. quand le recouvrement par la végétation devenait trop important), il était généralement abandonné par les individus qui colonisaient alors un autre patch proche. La structure spatiale de la population étudiée ne correspond donc pas strictement à celle d’un modèle simple de métapopulation (Hanski 1999, Smith et Green 2005). Elle se rapproche davantage d’une population morcelée (Harrison 1991), dans laquelle les individus se déplacent régulièrement entre les patchs. Ceci implique que, si une structure en métapopulation existe, elle serait probablement mise en évidence à une échelle d’observation beaucoup plus large (échelle régionale). Ce résultat n’est sans doute pas généralisable puisqu’il dépend de la matrice paysagère et de la configuration des taches d’habitat. De plus, dans notre cas, le contexte particulier de la forêt de la Croix-aux-Bois facilite l’interprétation de la structure spatiale de sa population de sonneurs sur la base des données de CMR, car il est possible de fixer des limites spatiales. En effet, étant donné la distance importante qui sépare cette forêt des autres localités de présence connues (près de 30 km), il est raisonnable de la considérer isolée d’un point de vue démographique, bien qu’en toute rigueur, il serait nécessaire de le vérifier grâce à une étude génétique. Par contre, dans d’autres cas où le paysage serait fragmenté et où il n’existerait pas de séparations géographiques nettes entre les 84 Chapitre 2 localités de présence (à l’échelle des capacités de déplacements du Sonneur à ventre jaune), le recours à la génétique serait alors indispensable pour compléter les données de CMR afin de délimiter des unités démographiquement (et génétiquement) distinctes. Dans le cadre d’une restauration de l’habitat du Sonneur à ventre jaune, compte tenu de sa capacité à fractionner ses pontes mais aussi des effets potentiels de la compétition intra- et interspécifique dans les mares, la gestion ne devrait pas maintenir des mares en réseau mais plutôt des groupes de mares (patchs) en réseau. Ceci pourrait permettre aux individus de se déplacer facilement pour pondre dans des mares proches les unes des autres. De plus les individus auraient ainsi la possibilité de changer de mares pour éviter la compétition (Petranka et Holbrook 2006). Les résultats de cette étude indiquent également que des groupes de mares nouvellement créés ont d’autant plus de chances d’être colonisés si leur surface en eau est importante. Ce paramètre devrait donc être également pris en compte dans les démarches adoptées par les gestionnaires. Les relations mises en évidence entre la surface en eau, la distance et le relief dans cette zone d’étude peu fragmentée, peuvent servir de base de comparaison pour comprendre comment la fragmentation de l’habitat peut modifier la structure et la dynamique d’une population dans un autre paysage qui serait fragmenté. Il serait notamment intéressant de compléter ces données en étudiant plus précisément le comportement de déplacement des individus, entre les patchs. Pour cela, des techniques de suivi des individus en déplacement, telles que la radio-télémétrie, pourraient être utilisées. Enfin, une étude de la sélection de l’habitat, menée à une échelle plus large et qui prendrait en compte à la fois les mares et leur contexte paysager, pourrait apporter des éléments complémentaires sur l’importance de facteurs mesurables à une échelle plus large, sur l’occurrence ou l’abondance du Sonneur à ventre jaune dans les mares. 85 Chapitre 2 86 Chapitre 3 CHAPITRE 3 UTILISATION D’UNE APPROCHE HIERARCHIQUE POUR ETUDIER L’INFLUENCE DE VARIABLES ENVIRONNEMENTALES SUR L’OCCURRENCE DU SONNEUR A VENTRE JAUNE A L’ECHELLE DE LA MARE ET DU PATCH 87 Chapitre 3 88 Chapitre 3 3. Chapitre 3 : Utilisation d’une approche hiérarchique pour étudier l’influence de variables environnementales sur l’occurrence du Sonneur à ventre jaune à l’échelle de la mare et du patch 3.1. Introduction Bien que ce thème soit de plus en plus étudié, les conséquences de la fragmentation de l’habitat sur les populations d’amphibiens sont encore peu connues (Vos et Chardon 1998, Kolozsvary et Swihart 1999, Lehtinen et al. 1999, Carr et Fahrig 2001, Joly et al. 2003, Cushman 2006). Les amphibiens ont un cycle de vie complexe, comprenant généralement une phase aquatique et une phase terrestre (Duellman et Trueb 1994). Les adultes déposent généralement leurs œufs dans des habitats aquatiques. Les larves s’y développent jusqu’à la métamorphose et les juvéniles gagnent ensuite des habitats terrestres, qui peuvent également être utilisés par les adultes pour s’alimenter, estiver ou hiverner. La durée passée par les adultes dans les habitats aquatiques au cours d’une année est variable selon les espèces, certaines ne les occupant que quelques semaines pour s’accoupler et/ou pour pondre (p.ex. Bufo bufo, Heusser 1968), tandis que d’autres y passent plusieurs mois (p.ex. Bombina variegata, Gollmann et Gollmann 2002). En raison de cette dépendance plus ou moins importante des habitats aquatiques, les mares ont longtemps été assimilées à des taches d’habitats ou « patchs », facilement délimitables dans une matrice paysagère inhospitalière, et pouvant être occupées par des populations locales susceptibles d’échanger des individus entre elles. Ceci a, en partie, motivé l’application du concept de métapopulation pour l’étude des populations d’amphibiens se reproduisant dans les mares (Marsh et Trenham 2001). Par ailleurs, les amphibiens étant généralement considérés comme très peu mobiles et hautement philopatriques (Duellman et Trueb 1994), la qualité des mares a longtemps été placée au centre des préoccupations, autant pour les scientifiques que pour les gestionnaires. Ainsi, la connaissance de l’habitat terrestre et le contexte paysager des mares ont été négligés dans les études de sélection de l’habitat menées sur les amphibiens et sans doute également dans les actions de conservation. 89 Chapitre 3 Cependant, des travaux récents ont permis de montrer que l’habitat terrestre, situé dans un rayon plus ou moins important autour des mares (de quelques dizaines de mètres à plusieurs kilomètres), a généralement une grande influence sur l’occupation des mares (p.ex. Vos et Stumpel 1996, Mazerolle et Villard 1999, Pope et al. 2000, Joly et al. 2001, Van Buskirk 2005). Ainsi, comme pour d’autres animaux (Manly et al. 2002), la sélection de l’habitat par les espèces d’amphibiens peut être vue hiérarchiquement, les choix des individus pouvant être influencés par des facteurs s’exprimant à plusieurs échelles (Wiens 1989). C’est pourquoi, il apparaît indispensable de mener des études multi-échelles pour identifier les facteurs influençant la distribution des populations d’amphibiens. D’autre part, le plan d’échantillonnage utilisé pour étudier les relations espèce-habitat doit être adapté aux particularités de l’espèce étudiée. Dans la plupart des études multi-échelles menées sur les amphibiens, des disques concentriques ont servi à extraire l’information souhaitée dans un rayon déterminé autour d’une mare (Figure 3-1A ; voir Zanini 2006 pour une revue récente). Ces approches se sont avérées utiles pour étudier l’effet de variables paysagères, telles que l’occupation des sols ou la présence de barrières (p.ex. routes, cours d’eau), sur l’occurrence des amphibiens dans les mares (p.ex. Vos et Chardon 1998, Joly et al. 2001, Pellet et al. 2005, Denoël et Lehmann 2006). Cependant, elles ont été essentiellement appliquées à des espèces non capables de fractionner leurs pontes dans l’espace. Figure 3-1 : Représentation schématique de deux approches multi-échelles utilisées pour étudier les facteurs influençant l’occurrence d’une espèce d’amphibien dans les mares. A : Plan d’échantillonnage par disques concentriques centrés sur une seule mare (approche classique). B : Plan d’échantillonnage par disques groupés hiérarchiquement, ou « échantillonnage contraint », adapté pour prendre en compte plusieurs mares dans un patch et plusieurs patchs dans un site. Cette dernière approche est centrée sur le paysage. 90 Chapitre 3 Chez les espèces capables de fractionner leurs pontes, comme le Sonneur à ventre jaune, les femelles déposent généralement plusieurs paquets d’œufs dans des mares plus ou moins proches les unes des autres, au cours d’une même saison (Seidel 1988, Barandun 1995). La plupart de ces espèces se reproduisent dans des milieux aquatiques temporaires et le comportement de fractionnement des pontes peut être perçu comme une « stratégie de réduction du risque » liée à l’assèchement des mares (risque de mort des larves par dessiccation ; Barandun 1992). Le choix des sites de ponte chez ces espèces peut alors être vu hiérarchiquement, en considérant plusieurs mares utilisées dans le contexte paysager qu’elles partagent. Pour cela, un plan d’échantillonnage particulier peut être mis en place : plusieurs mares sont caractérisées dans un rayon choisi, délimitant un patch et, de la même manière, plusieurs patchs peuvent être étudiés dans un rayon encore plus grand, les englobant et délimitant un « site » (Figure 3-1B). Ces rayons peuvent être choisis sur la base de données biologiques disponibles sur l’espèce (p.ex. taille approximative du domaine vital pour le patch, distance de dispersion pour le site). Cependant, la prise en compte de facteurs paysagers communs à plusieurs mares ou à plusieurs patchs complique les analyses multi-échelles, un tel plan d’échantillonnage entraînant une dépendance à la fois statistique et spatiale des observations situées dans un même disque. Les modèles à effets mixtes constituent une solution appropriée pour analyser des données présentant ce type de structure « nichée » (Pinheiro et Bates 2000). Ils permettent, en effet , de prendre en compte une dépendance entre les observations, liée à la structure du plan d’échantillonnage (p.ex. si des variables sont mesurées dans plusieurs mares appartenant à un même patch), en incorporant un effet aléatoire qui contrôle à la fois cette dépendance. Les modèles à effets mixtes permettent aussi de contrôler une distribution des effectifs étudiés non équitable dans les différents échantillons, tel qu’un nombre de mares différent dans chaque patch, induisant une structure de l’échantillon dite « déséquilibrée ». Bien qu’elles soient adaptées pour aborder des phénomènes disposant d’une structure hiérarchique, ces approches sont encore relativement peu utilisées dans les études de sélection de l’habitat (Gillies et al. 2006, Hebblewhite et Merrill 2008). Pourtant, elles permettent d’étudier l’effet de variables mesurées à plusieurs échelles et elles aident également à identifier les échelles les plus importantes pour expliquer la variable réponse, qui peut être par exemple l’occurrence d’une espèce (McMahon et Diez 2007). 91 Chapitre 3 L’objectif de ce chapitre est d’étudier l’influence de facteurs locaux et paysagers sur l’occurrence (présence/absence) du Sonneur à ventre jaune à deux résolutions spatiales, la mare et le patch (i.e. groupe de mares), en prenant en compte des variables mesurées à chacune de ces échelles. Nous cherchons à répondre aux deux questions suivantes : i) quels sont les principaux facteurs qui peuvent expliquer l’occurrence du Sonneur à ventre jaune dans les mares et dans les patchs ? ii) quelle est l’importance relative des caractéristiques des mares, des caractéristiques des patchs et du contexte paysager (sites ; Figure 3-1B) sur son occurrence ? Notre hypothèse est que le contexte paysager doit être très important pour les espèces capables de fractionner leurs pontes telles que le Sonneur à ventre jaune. Pour la tester, nous avons utilisé un plan d’échantillonnage structuré hiérarchiquement (mares>patchs>sites) et une méthode statistique permettant de prendre en compte la variabilité associée à chacune des trois échelles. 3.2. Matériel et Méthodes 3.2.1. Zone d’étude et échantillonnage La zone étudiée se situe en limite septentrionale de l’aire de répartition française du Sonneur à ventre jaune. Il s’agit d’un rectangle de 140 km x 80 km (11 200 km²), recouvrant en partie les départements de l’Aisne, de la Seine-et-Marne, de la Marne, des Ardennes et de la Meuse (N48°46’–49°29’ ; E03°08’–05°05’) (Figure 3-2). Cette zone est caractérisée par une diversité paysagère relativement importante : zones cultivées sur de grandes étendues, collines couvertes par des vastes massifs forestiers, vallées alluviales, prairies et bocages, sur des formations géologiques diverses. De ce fait, elle a été divisée en cinq strates qui se distinguent par leur géomorphologie, leur relief et l’occupation de leurs sols (Tableau 3-I). 92 Chapitre 3 Tableau 3-I : Caractéristiques des strates échantillonnées. Strates Cultures (%) Forêts (%) Prairies (%) Plans d'eau (%) Elévation moyenne ± écart-type Pente moyenne ± écart-type Champagne crayeuse 82.01 7.05 6.19 0.13 127.1 ± 33.6 1.9 ± 2.5 Champagne humide 23.13 43.22 31.27 0.35 179 ± 43.6 3.4 ± 4.7 Soissonnais 62.85 27.31 4.60 0.46 120.6 ± 41.1 3.8 ± 5.2 Tardenois 58.63 32.46 5.53 0.11 168.6 ± 51.1 3.9 ± 4.9 Brie 62.31 26.63 7.70 0.29 179.3 ± 45.6 2.8 ± 4 Des données de répartition dans cette zone d’étude ont été obtenues auprès d’associations naturalistes et de diverses personnes ressources. Ces données ont été complétées par des prospections menées de mai à août en 2005 et 2006. Toutes les analyses spatiales et procédures de répartition des échantillons dans les strates ont été réalisés à l’aide d’un système d’information géographique (ArcView 3.2, Esri, Redlands, CA, USA). Afin de prendre en compte la diversité paysagère de ce terrain d’étude, trente sites y ont été répartis de la manière suivante. Douze « sites de présence » ont d’abord été positionnés sur des localités, choisies aléatoirement parmi celles où l’espèce était connue (données géoréférencées d’observations de Sonneur à ventre jaune), et espacées d’au moins 6000 mètres. Dix-huit « sites d’absence » ont ensuite été répartis dans des zones où la présence de l’espèce n’était pas connue, en conservant un espacement de 6000 mètres avec les autres sites et de manière à obtenir six sites par strate, qu’il s’agisse ou non de sites d’absence ou de présence. Chacun de ces trente sites correspond à un disque d’un rayon de 2500 mètres (1963 ha). Ce chiffre a été choisi en se basant sur les distances maximales de dispersion estimées lors d’études menées sur les déplacements du Sonneur à ventre jaune dans différents contextes paysagers (Plytycz et Bigaj 1984, Seidel 1988, Herrmann 1996). Dans chaque site, dix « patchs » d’un rayon de 200 mètres (12.56 ha) ont été positionnés aléatoirement. Cette distance correspond approximativement à l’amplitude moyenne des déplacements des individus obtenus au cours d’une saison d’étude par Capture-Marquage-Recapture (Beshkov et Jameson 1980, Plytycz et Bigaj 1984, Barandun 1995, Abbühl et Durrer 1996, Gollmann et al. 2000). L’échantillon est donc structuré hiérarchiquement en 30 sites contenant chacun 10 patchs, soit un total de 300 patchs, qui ont été prospectés pour y rechercher le Sonneur à ventre jaune 93 Chapitre 3 et caractériser les pièces d’eau potentiellement favorables. La variable réponse qui a été choisie pour mener l’analyse est l’occurrence du Sonneur à ventre jaune à l’échelle de la mare et son occurrence à l’échelle du patch. Figure 3-2 : Localisation de la zone d’étude et structure du plan d’échantillonnage. A : disposition des 30 sites (disques de 2500 m de rayon) dans la zone d’étude. Les disques noirs contenant la lettre « P » représentent les sites centrés sur des données de présence, ceux contenant la lettre « A » représentent les sites où le Sonneur à ventre jaune est présumé absent. Les traits noirs continus marquent les limites départementales. Les traits noirs discontinus marquent les limites des cinq strates dans lesquelles les 30 sites ont été positionnés ; B : agrandissement d’un site, montrant les 10 patchs qu’il contient. 94 Chapitre 3 3.2.2. Occurrence et détectabilité du Sonneur à ventre jaune Plusieurs passages ont été réalisés sur les 30 sites entre début mai et fin août 2007. Le Sonneur à ventre jaune a été recherché à la fois à vue et au chant dans toutes les mares et à leurs abords immédiats (à quelques mètres), dans chaque patch. Lorsque la profondeur de la mare était supérieure à 15 cm, une épuisette était utilisée pour rechercher d’éventuels individus ou des larves. Une mare a été considérée comme utilisée lorsqu’au moins un individu (adulte ou juvénile), une larve ou une ponte y a été observé au cours d’au moins un passage. La détectabilité à l’échelle des mares n’a pu être prise en compte dans les modèles car l’une des principales conditions, nécessaire à l’application de la majorité des méthodes d’estimation, n’était pas remplie. En effet, les individus étaient susceptibles de bouger au cours d’une saison de reproduction, ce qui suggère que des mares pouvaient passer du statut d’ « occupée » à celui d’ « inoccupée » et vice versa, au cours de la durée de l’étude (‘closure assumption’, MacKenzie et al. 2002). De plus, les mares utilisées par le Sonneur à ventre jaune sont généralement temporaires et elles sont sujettes à des perturbations importantes pouvant mener à leur disparition rapide (p.ex. par assèchement ou sous l’effet d’activités humaines). Ainsi, après le premier passage, de nombreuses mares n’existaient plus, tandis que des nouvelles étaient apparues. Néanmoins, la majorité des mares étant de très petite taille, la probabilité de ne pas détecter l’espèce alors qu’elle y était présente – nommée probabilité d’obtenir une fausse absence – était potentiellement faible. A l’échelle du patch, par contre, il a été possible d’appliquer une méthode d’estimation de la probabilité de détection, en considérant que le patch était « fermé » durant l’étude. Cette estimation permet de savoir s’il est vraisemblable de considérer que le Sonneur à ventre jaune était absent dans les patchs où il n’a pas été détecté et donc s’il est possible de considérer le patch comme non utilisé, compte tenu du nombre de passages réalisés. Cette partie de l’analyse a été réalisée avec le programme PRESENCE (MacKenzie et al. 2002). Deux modèles différents ont été construits pour chaque site : le premier avec la probabilité de détection constante et le second avec une probabilité de détection variable à chaque visite (‘survey specific’). Pour chaque site, le modèle expliquant le mieux les données a été sélectionné à l’aide du Critère d’Information d’Akaike corrigé pour les petits échantillons (AICc ; Burnham et Anderson 2002). Le modèle qui a obtenu l’AICc le plus petit parmi les 95 Chapitre 3 deux modèles a ensuite été utilisé pour calculer, pour chaque site, le taux d’occupation (ψ) (proportion de patchs occupés) et la probabilité de détection (p) de l’espèce. Une moyenne, de ces deux estimations, pour l’ensemble des sites, a ensuite été calculée. En comparant le taux apparent d’occupation (‘naive estimate’) à ψ, il a été possible d’estimer le pourcentage de patchs où l’espèce a été détectée, parmi les patchs où elle était effectivement présente. En assumant que chaque visite dans un patch était comparable en terme de pression d’échantillonnage, l’estimation de la probabilité de détection obtenue a permis de calculer la probabilité d’avoir une fausse absence (f) et le nombre minimal de visites (Nmin) qui étaient nécessaires pour détecter l’espèce (Pellet et Schmidt 2005). La probabilité d’une fausse absence après une visite dans un site est : f = (1 - p). Cette probabilité décroît avec l’augmentation du nombre de visites dans un même patch et, pour n visites, elle est estimée par : fn = (1 - p)n. Pour que l’espèce soit détectée avec un intervalle de confiance de 95%, il faut f ≤ 0.05. Ainsi, connaissant sa probabilité de détection p, il est possible d’en déduire le nombre minimal de visites nécessaires pour attester la présence de l’espèce avec un intervalle de confiance de 95% (Pellet et Schmidt 2005) : Nmin = log(0.05)/log(1 - p). Ce dernier calcul a été réalisé avec la moyenne des probabilités de détection obtenues pour tous les sites. 3.2.3. Variables explicatives mesurées à l’échelle des mares Les mares étudiées étaient de taille et de nature très diverses. Il s’agissait, en majorité, d’ornières forestières créées par les rouages des machines de foresterie, de zones de sources dans des prairies, ou encore de flaques d’eau temporaires alimentées par des crues ou par les précipitations. Toutes les mares d’une surface supérieure à 30 cm² et d’une profondeur inférieure à 1 mètre ont été géolocalisées, à l’aide d’un GPS, et caractérisées selon le protocole décrit ci-après. Le Sonneur à ventre jaune est réputé coloniser des milieux aquatiques : peu profonds, temporaires et/ou régulièrement renouvelés par des perturbations physiques, faiblement recouverts par la végétation et bien ensoleillés (Seidel 1988, Barandun 1995, Wagner 1996, Gollmann et Gollmann 2002). Nous avons donc choisi des variables qui concernaient la surface et la profondeur des mares, leur degré de recouvrement par la végétation et leur exposition au soleil. Nous avons également pris en compte l’abondance des autres espèces 96 Chapitre 3 d’amphibiens trouvées dans ces mares, qui pourraient constituer des compétiteurs ou des prédateurs des œufs et des larves. La surface (surf) et la profondeur (prof) maximales de chaque mare ont été mesurées à l’aide d’un double mètre. L’abondance et le recouvrement de la végétation aquatique ont été estimés séparément pour les hélophytes (helo) et les hydrophytes (hydroph), avec l’indice suivant : 0 = absence de végétation ; 1 = végétation très peu abondante à recouvrement négligeable ; 2 = végétation peu abondante à abondante, recouvrement <5% ; 3 = végétation abondante à très abondante, recouvrement 5-25% ; 4 = abondance quelconque, recouvrement 25-50% ; 5 =abondance quelconque, recouvrement 50-75% ; 6 = abondance quelconque, recouvrement >75%. Le recouvrement du fond des mares (recfon) par des débris végétaux (essentiellement des feuilles) a été estimé visuellement ou par sondage lorsque le fond n’était pas visible. Une notation de 1 à 3 a été assignée à chaque mare : 1 = absence de débris ; 2 = recouvrement partiel ; 3 = recouvrement complet. L’occurrence d’autres espèces d’amphibiens (occomp), qui peuvent potentiellement être en compétition avec le Sonneur à ventre jaune (Pelophylax kl. esculentus, Rana dalmatina, Rana temporaria, Bufo bufo, Ichthyosaura alpestris9, Lissotriton helveticus, Salamandra salamandra) a été relevée par le même protocole que pour la recherche du Sonneur à ventre jaune. L’ensoleillement des mares a été pris en compte par deux variables complémentaires. Sur le terrain, une boussole solaire a été positionnée à l’extrême sud de la mare. La boussole solaire est constituée d’un cadrant gradué recouvert d’un globe transparent, sur lequel se reflète tout ce qui entoure la mare et qui masque le soleil à certains moments de la journée (p.ex. des arbres). Elle permet ainsi d’obtenir une estimation du nombre d’heures d’ensoleillement moyen pour tous les mois de l’année, et ce, quelque soit la nébulosité. Sur la base de cette estimation, un « indice d’ensoleillement zénithal » (iz) a été développé et calculé pour chaque mare. Cet indice est une mesure du nombre d’heures d’ensoleillement journalier, pondérée par la hauteur du soleil en fonction de l’heure et du mois : iz = ΣSij*cos(zij)/ ΣSMij*cos(zij) 9 Le Triton alpestre, anciennement nommé Triturus alpestris (Laurenti, 1768), a été récemment renommé Mesotriton alpestris Bolkay, 1928 dans un travail publié en espagnol (Garcia-Paris et al. 2004). Cette nomenclature a été rapidement adoptée par la communauté scientifique. Cependant, en appliquant le principe d’antériorité, la combinaison Ichthyosaura alpestris Sonnini et Latreille, 1802, aurait du être retenue (voir Schmidtler 2004 pour plus d’informations). J’ai donc choisi d’utiliser cette dernière combinaison pour nommer le Triton alpestre dans ce travail. 97 Chapitre 3 avec Sij, le nombre d’heures d’ensoleillement obtenu avec la boussole solaire pour l’heure i au mois j, SMij, le nombre maximal d’heures d’ensoleillement en absence d’ombrage pour l’heure i au mois j, et zij, l’angle zénithal du soleil (hauteur du soleil) pour l’heure i au mois j. Cet indice prend la valeur 1 pour un ensoleillement maximal (mare ensoleillée toute la journée), des valeurs comprises entre 0.5 et 1 lorsque la mare est exposée au soleil essentiellement au milieu de la journée (soleil proche du zénith), des valeurs comprises entre 0 et 0.5 lorsque la mare est exposée au soleil le matin ou le soir, et 0 lorsque la mare est à l’ombre toute la journée. Un indice d’exposition de la mare (ei) a également été calculé. Cet indice prend en compte à la fois l’inclinaison du terrain et son exposition par rapport au Nord (Wilson et al. 2003) : ei = cos (expo)*tan (pente)*100 avec expo, l’exposition mesurée en degrés par rapport au Nord, et pente, la pente en degrés par rapport à l’horizontale. Enfin, un indice de positionnement topographique (tpi) a été obtenu pour chaque mare avec ArcView, en utilisant le ‘Topographic Position Index’ associé aux pentes (Guisan et al. 1999, Jenness 2005). Cet indice prend les valeurs suivantes : 1 = fond de vallée, 2 = pente douce, 3 = pente « abrupte » (versant de colline) et 4 = sommet de colline. 3.2.4. Variables explicatives mesurées à l’échelle des patchs Seuls les patchs contenant des mares ont été pris en compte dans l’analyse. Sur le terrain, un indice d’encombrement de la végétation au niveau du sol (encomb) a été obtenu pour chaque formation végétale du patch, lorsqu’un changement de structure de la végétation était perceptible. Cet indice a été estimé visuellement à l’aide d’une toile de 1 m² comportant 16 motifs carrés. En plaçant cette toile dans la végétation au niveau du sol, un indice de 1 à 16 peut être assigné à la formation végétale, en fonction du nombre de motifs visibles par l’observateur, positionné à 10 mètres de la toile. Plus cet indice est faible et plus la végétation est dense. L’indice obtenu pour chaque formation végétale testée a permis d’établir une cartographie de l’encombrement de la végétation pour chaque patch. L’abondance des mares dans les patchs a été prise en compte par deux mesures : le nombre de mares (nbmar200) et la 98 Chapitre 3 surface totale couverte par les mares dans le patch (surf200). L’abondance d’espèces potentiellement compétitrices (abcomp200) à cette échelle est représentée par le nombre de mares occupées par d’autres espèces d’amphibiens (urodèles et anoures). De plus, le ratio du nombre de mares occupées par ces espèces sur le nombre de mares disponibles (rcomp200) a également été calculé. Une moyenne des valeurs des indices iz et ei obtenues pour toutes les mares a été calculée pour chaque patch (iz200 et ei200). Toutes ces données ont ensuite été complétées par la mesure de variables paysagères avec ArcView. L’occupation du sol a été obtenue à partir de la base de donnée CORINE land cover (Ifen 2005). Trois variables ont été créées en regroupant plusieurs classes du code CORINE dans chaque patch : la proportion de forêt (foret), la proportion de prairies (prairi) et la proportion de cultures (cultur). 3.2.5. Analyses en Composantes Principales et variables composites Toutes les analyses statistiques qui suivent ont été menées avec le logiciel R version 2.7.0 (R Development Core Team 2008). La démarche suivie est résumée dans la figure 3-3. Les variables obtenues pour les mares et les patchs pouvaient être potentiellement corrélées et redondantes. Pour réduire ces corrélations et obtenir un nombre moins important de variables résumant l’information, des Analyses en Composantes Principales (ACP) ont été réalisées séparément pour chaque groupe de variables (« groupe mare » et « groupe patch »). Au préalable, toutes les variables non normales ont été transformées par la méthode la mieux appropriée (log10, logit ou racine) pour que leur distribution se rapproche de la normalité. 3.2.6. Modélisation de l’occurrence du Sonneur à ventre jaune Le plan d’échantillonnage induit une structure déséquilibrée (‘unbalanced’) des données : le nombre de patchs étudiés n’est pas le même dans tous les sites et le nombre de mares décrites est également différent dans chaque patch. Les modèles à effets mixtes, souvent nommés « modèles multi-niveaux » ou « régressions hiérarchiques », permettent de traiter ces données (Pinheiro et Bates 2000). 99 Chapitre 3 Les modèles linéaires généralisés à effets mixtes (GLMMs, ‘Generalized Linear Mixed Models’) constituent une généralisation des modèles linéaires à effets mixtes, pour des variables réponse dont la distribution ne satisfait pas à la condition de normalité, comme c’est le cas pour les données binaires de présence/absence. Des GLMMs avec un lien logit et une erreur binomiale ont donc été utilisés dans notre cas, pour étudier l’effet des variables environnementales sur l’occurrence du Sonneur à ventre jaune à deux résolutions différentes : dans les mares et dans les patchs (Figure 3-3). Un effet aléatoire a été inclus pour prendre en compte la variation entre les mares à l’intérieur des patchs (« effet patch ») et la variation entre les patchs à l’intérieur des sites (« effet site »). Tous ces modèles ont été construits avec le logiciel R et les paquetages lme4 (Bates et al. 2008) et MASS (Venables et Ripley 2002), ce dernier permettant d’incorporer une structure de corrélation lorsqu’une autocorrélation spatiale significative existe dans les résidus d’un modèle. 3.2.7. Modélisation de l’occurrence dans les mares (« modèle mare ») Des modèles univariés ont été utilisés pour sélectionner les variables composites significatives. Seules ces dernières ont été incluses dans une série de modèles : toutes les combinaisons linéaires possibles de ces variables ont été testées. Afin de sélectionner les meilleurs modèles, i.e. ceux expliquant le mieux les données, nous avons suivi une démarche basée sur la théorie de l’information (Burnham et Anderson 2002). Pour cela le Critère d’Information d’Akaike (AIC) a été utilisé pour classer les modèles sur la base de leur vraisemblance. À partir de chaque AIC, un poids d’Akaike (wi) a pu être calculé. Le wi constitue une mesure de la probabilité qu’un modèle soit celui qui ajuste le mieux les données parmi l’ensemble des modèles construits. Il peut être utilisé pour obtenir un intervalle de confiance à 95% des modèles expliquant le mieux les données : en cumulant les wi des modèles rangés par ordre croissant selon leur AIC, l’intervalle de confiance est obtenu en retenant tous les modèles ayant un cumul inférieur à 0.95. L’interprétation de la significativité des effets fixes et aléatoires est complexe pour les GLMMs et il n’est, en général, pas possible de s’appuyer sur des tests statistiques classiques (tels que les tests F). En effet, ces tests utilisent généralement le rapport des vraisemblances. Or, les logiciels ne permettent actuellement que d’approcher ces vraisemblances. De plus, les 100 Chapitre 3 degrés de liberté, indispensables pour réaliser ces tests, ne sont pas estimables de manière fiable. C’est la raison pour laquelle le paquetage lme4 de R ne renvoie plus de ‘p-value’ pour les effets fixes et aléatoires (Baayen et al. in press). Une solution alternative consiste à s’appuyer sur la statistique bayésienne pour réaliser une simulation de Monte Carlo (tirage pseudo aléatoire par ‘Markov chain Monte Carlo’, MCMC) des paramètres estimés par le modèle, puis d’utiliser cette simulation pour construire un « intervalle de crédibilité » à 95% (nommé littéralement « intervalle de plus haute densité finale », ‘Highest Posterior Density interval’, HPD). L’interprétation devient alors simple : si cet intervalle n’englobe pas zéro, l’effet du paramètre estimé peut être jugé significatif (McMahon et Diez 2007). Nous avons donc suivi cette règle pour tester la « crédibilité » des effets fixes et aléatoires estimés. Un « modèle nul », i.e. ne contenant aucune variable explicative mais incorporant uniquement les effets aléatoires « patch » et « site », a été construit. Ce modèle a permis d’estimer la proportion de la variance totale de la variable réponse (occurrence du Sonneur à ventre jaune dans les mares) expliquée par chacune des trois échelles de l’analyse : la mare, le patch et le site. Ces proportions sont estimées en utilisant des « Coefficients de Corrélation Inter-classes » ou « CCI » (notés ρ), qui correspondent au rapport de la variance de l’échelle considérée sur la variance totale (Raudenbush et Bryk 2002). D’abord introduit pour des modèles linéaires avec des variables réponses continues, l’estimation des CCIs a été récemment étendue aux modèles logistiques. Dans le cas d’une variable réponse binomiale, la variance à l’échelle la plus fine (la mare dans notre cas) peut être estimée en considérant que l’effet aléatoire, à cette échelle, suit une distribution logistique avec une moyenne nulle et une variance constante, égale à π²/3, soit ~3.29 (Snijders et Bosker 1999). En suivant cette règle, une estimation des CCIs a été obtenue pour les trois échelles de la façon suivante : ρ1 = π²/3 / (π²/3 + σ²2 + σ²3) ρ2 = σ²2 / (π²/3 + σ²2 + σ²3) ρ3 = σ²3 / (π²/3 + σ²2 + σ²3) avec ρ1, ρ2 et ρ3 les CCIs, respectivement, de la mare, du patch et du site ; σ²2, la variance de l’effet aléatoire du patch et σ²3, la variance de l’effet aléatoire du site. Un CCI pour l’échelle patch (ρ2), dont la valeur serait 0, indiquerait par exemple que les mares d’un même patch ont des probabilités très variables d’être utilisées par le Sonneur à ventre jaune, tandis qu’un CCI de 1 indiquerait que cette probabilité est la même pour toutes les mares dans un même patch. Plus généralement, une valeur de CCI supérieure à 0.5 pour l’échelle « patch » indiquerait 101 Chapitre 3 qu’il existe une plus grande variabilité entre les patchs qu’à l’intérieur de ceux-ci. Ainsi, les CCIs indiquent la part de la variance de la variable réponse qui est attribuable à chacune des échelles de l’analyse. 3.2.8. Modélisation de l’occurrence dans les patchs (« modèle patch ») L’effet des variables composites mesurées à l’échelle des patchs a servi à expliquer l’occurrence de l’espèce dans les patchs. Pour cela, la démarche utilisée a été la même que précédemment : les variables ont d’abord été testées séparément, puis celles qui étaient significatives ont été testées simultanément dans plusieurs combinaisons de modèles. Comme les mares n’ont cette fois pas été prises en compte (la variable réponse étant l’occurrence dans les patchs), un seul effet aléatoire a été spécifié : l’effet des patchs dans les sites (« effet site »). A partir du modèle nul, un CCI a été estimé pour l’échelle « patch » (ρ2) et pour l’échelle « site » (ρ3), en suivant la même démarche que pour le modèle mare. 3.2.9. Prise en compte de l’autocorrélation spatiale L’autocorrélation spatiale est un phénomène qui intervient lorsque les valeurs de variables mesurées à des localisations proches ne sont pas indépendantes les unes des autres (Legendre et Legendre 1998). Elle peut résulter de phénomènes biologiques entraînant une distribution agrégative des individus et, dans ce cas, elle est une opportunité pour comprendre les patrons observés (Dray et al. 2006). Cependant, dans la plupart des cas, elle peut poser des problèmes d’interprétation (Dormann et al. 2007). En effet, dans l’étude des relations espècehabitat, la non prise en compte de l’autocorrélation spatiale des données peut mener à des conclusions erronées en sur-estimant ou sous-estimant l’effet de certaines variables (Carroll et Pearson 2000). Pour détecter la présence d’une éventuelle autocorrélation spatiale dans les modèles mares et patchs, des indices I de Moran ont été calculés à plusieurs intervalles de distance (Legendre et Legendre 1998). L’indice I de Moran, qui varie entre [-1 ;1], est une mesure de la similarité entre les données spatialement proches. 102 Chapitre 3 Il est calculé avec la formule suivante (Moran 1950, Legendre et Legendre 1998) : avec, yh et yi les valeurs des variables mesurées aux localisations h et i (mares ou patchs dans notre cas) ; whi les pondérations de distance, whi = 1 si les localisations h et i sont dans le même intervalle de distance d, sinon whi = 0 ; n le nombre de classes de distances testées ; W le nombre de paires de mares ou de patchs. L’indice est proche de 1 lorsqu’il existe une autocorrélation positive, proche de -1 lorsqu’elle est négative et il est égal à 0 en l’absence d’autocorrélation. La significativité de la valeur obtenue est testée statistiquement (Cliff et Ord 1981). Un indice a ainsi été calculé et testé, à 20 intervalles de 50 mètres pour le modèle mares et à 10 intervalles de 500 mètres pour celui des patchs. Un graphique, nommé corrélogramme, a ensuite été utilisé pour représenter les valeurs de l’indice de Moran (en ordonnée) pour chaque intervalle de distance testé (en abscisse) (Legendre et Legendre 1998). Dans le cas où une autocorrélation significative serait détectée, celle-ci serait prise en compte dans le modèle en y incorporant une « structure de corrélation » qui contrôle la dépendance des données (Pinheiro et Bates 2000, Dormann et al. 2007) (Figure 3-3). Toutes ces analyses ont été conduites avec le paquetage spdep du logiciel R et le programme ROOKCASE (Sawada 1999). 103 Chapitre 3 Occurrence dans la mare Occurrence dans le patch Variables mare Variables patch Structure physique Surface (surf) Profondeur (prof) Abondance / Surface occupée par les mares Nombre de mares (nbmar200) Surface couverte par les mares (surf200) Végétation Ab. / Rec. Hélophytes (helo) Ab. / Rec. Hydrophytes (hydroph) Débris végétaux au fond (recfon) Végétation Encombrement (encomb) Compétiteurs potentiels Occurrence amphibiens (occomp) Ensoleillement Indice zénithal (iz) Exposition / topographie Indice d’exposition (ei) ‘Topographical Positionnement Index’ (tpi) 1/ Choix des variables composites (ACP) Variables composites mare VOL EXPMAR ZEN AGE 2/ Sélection des variables significatives 3/ Construction des modèles complets 4/ Autocorrélation spatiale GLMMs univariés Variables mare et variables patch GLMM complet Si oui Compétiteurs potentiels Abondance amphibiens (abcomp200) Nombre de mares occupées (rcomp200) Ensoleillement Indice zénithal (iz200) Exposition / topographie Indice d’exposition (ei200) Occupation des sols % Forêts (foret) % Cultures (cultur) % Prairies (prairi) Variables composites patch OPEN COMP ABMAR SUN200 GLMMs univariés Variables patch GLMM complet Si oui GLMM spatial GLMM spatial Figure 3-3 : Résumé de la démarche suivie pour la construction des GLMMs. Ab./ Rec. : Abondance / Recouvrement. 104 Chapitre 3 3.3. Résultats Sur les 30 sites échantillonnés, 3 ne contenaient aucune mare. Dans 3 autres sites, un seul patch contenait des mares. Ces 6 sites n’ont pas été pris en compte dans l’analyse. Parmi les patchs issus des 24 sites restants, seuls 134 contenaient des mares. Un total de 1516 mares, réparties dans ces 134 patchs, a été utilisé pour mener l’analyse. 3.3.1. Détectabilité et taux d’occupation des patchs Tous les sites ont été visités au moins deux fois ( = 2.7 ± 0.09), entre début mai et fin août 2007. Le Sonneur à ventre jaune a été détecté dans 11 sites parmi les 24 visités. Dans l’un des sites où il était considéré présent d’après les données de répartition, il n’a été retrouvé dans aucun des patchs échantillonnés. À l’intérieur de ces sites, l’espèce a été détectée dans 121 mares sur les 1516 étudiées, et dans 35 patchs parmi les 134 visités. Le meilleur modèle obtenu avec PRESENCE était toujours celui pour lequel la probabilité de détection était constante à chaque visite. Le taux d’occupation apparent dans les 11 sites où l’espèce était présente (proportion de patchs où l’espèce a été détectée), était compris entre 0.1 et 0.6 (médiane = 0.3). En moyenne, sur l’ensemble des sites, ce taux d’occupation apparent était de 0.309 ± 0.013, alors que l’estimation du taux d’occupation (ψ) est de 0.312 ± 0.014. Cette analyse suggère que l’espèce a été détectée dans 98.9% des patchs où elle était présente. La plus faible probabilité de détection estimée pour tous les sites, était de 0.703 ( = 0.86 ± 0.01). Dans trois sites, la probabilité de détection était de 1. Avec un intervalle de confiance à 95%, Nmin = 1.52, un minimum de 2 visites a été suffisant pour détecter l’espèce où elle était présente (Figure 3-4). Compte tenu de ces résultats, les patchs où l’espèce n’a pas été détectée ont été considérés comme non utilisés, et la probabilité de détection n’a pas été prise en compte dans la suite de l’analyse. 105 Chapitre 3 Figure 3-4 : Probabilités de fausses absences après 1, 2 et 3 visites dans un patch. La ligne en pointillés représente 5% de fausses absences. En dessous de cette ligne, le nombre de visites réalisées sur un site permet de détecter l’espèce avec un intervalle de confiance de 95%. 3.3.2. Variables composites obtenues à partir des ACP Après avoir examiné les valeurs propres, quatre axes factoriels supportant ensemble 61.28 % de la variation ont été retenus (Tableau 3-IIA). Le premier axe (VOL) résume principalement la surface de la mare et sa profondeur, et il représente donc son volume d’eau. Le deuxième axe représente essentiellement son exposition en rapport avec sa situation topographique (EXPMAR). Le troisième axe (ZEN) représente essentiellement l’indice d’ensoleillement. Enfin, le quatrième axe (AGE) permet d’extraire les données corrélées de l’indice d’abondance et de recouvrement de la végétation aquatique (hélophytes et hydrophytes) et du recouvrement du fond de la mare. Cet axe peut être considéré comme un indicateur d’autres variables potentiellement importantes, mais qu’il ne nous a pas été possible de mesurer : l’hydropériode et le taux de renouvellement des mares (fréquence des perturbations menant à un « rajeunissement » de la mare). Les mares les moins végétalisées et dont le fond est faiblement recouvert (i.e. les plus « jeunes ») se situent dans les valeurs positives de cet axe factoriel. L’ACP réalisée sur les variables des patchs a également permis de retenir quatre axes, qui supportent 72.1% de la variation (Tableau 3-IIB). Le premier axe (OPEN200) représente l’ouverture du milieu (les cultures et les prairies contre les forêts, et un encombrement faible 106 Chapitre 3 de la végétation contre un encombrement important). Le deuxième axe (COMP200) est corrélé avec l’abondance des autres espèces d’amphibiens (compétiteurs potentiels) dans le patch. Le troisième axe (ABMAR200) est corrélé avec l’abondance des milieux aquatiques caractérisés dans le patch (effectif et surface totale). Enfin, le quatrième axe (EXP200) résume l’information de l’indice d’exposition moyen du patch. La colinéarité entre ces nouvelles variables est faible à modérée (Tableau 3-3) car aucun coefficient de corrélation de Spearman ne dépasse |0.5|. Tableau 3-II : Variables composites obtenues à partir des ACP réalisées sur les variables des mares (A) et sur les variables des patchs (B). Variables A - Mares Variables composites C1(VOL) C2(EXPMAR) C3(ZEN) C4(AGE) prof 0.74 0.01 -0.05 0.29 surf 0.77 0.06 -0.01 0.36 iz 0.07 -0.06 0.83 0.07 helo 0.55 0.02 0.38 -0.43 hydroph 0.40 0.34 0.18 -0.47 occomp 0.47 -0.01 -0.15 0.33 tpi 0.15 -0.77 -0.06 -0.23 ei 0.01 0.74 -0.19 -0.13 recfon 0.45 -0.14 -0.49 -0.45 Variation expliquée (%) 22.75 14.31 13.03 11.19 C1(OPEN) C2(COMP) C3(ABMAR) C4(SUN200) nbmar200 0.51 0.13 0.73 -0.05 idexp200 -0.02 -0.25 0.05 -0.94 idzen200 -0.59 0.23 0.33 -0.03 surf200 0.22 0.57 0.63 0.02 foret 0.91 -0.13 -0.12 0.03 cultur -0.74 0.07 0.05 -0.14 prairi -0.68 0.14 0.14 0.13 encomb -0.64 0.25 -0.08 -0.05 abcomp200 0.33 0.81 -0.14 -0.22 rcomp200 0.14 0.72 -0.58 -0.06 Variation expliquée (%) 30.34 17.56 14.39 10 B - Patches 107 Chapitre 3 Tableau 3-III : Corrélation entre les variables composites (ρ de Spearman). VOL EXPMAR ZEN AGE OPEN200 COMP200 EXPMAR 0.05 ZEN 0.06 -0.01 AGE -0.05 0.05 0.07 OPEN200 -0.11 -0.16 -0.34 -0.02 COMP200 -0.29 -0.24 0.05 0.09 0.13 ABMAR200 0.04 -0.17 0.27 0.05 0.10 -0.05 EXP200 0.03 -0.42 0.01 0.03 0.14 -0.21 3.3.3. ABMAR200 0.13 Autocorrélation spatiale Aucune autocorrélation significative n’a été trouvée dans les résidus du modèle de l’occurrence dans les mares (Figure 3-5A). En revanche, une autocorrélation significative a été détectée dans le modèle complet de l’occurrence dans les patchs (Figure 3-5B) et un test global de Moran sur l’intervalle [0 ; 5000 mètres] donne une valeur significative (Z = 0.92, p < 0.001). Une structure de corrélation a donc été incorporée à ce modèle pour prendre en compte la dépendance spatiale des patchs appartenant à un même site (Pinheiro et Bates 2000). 3.3.4. Quels sont les principaux facteurs pouvant expliquer la présence de l’espèce dans les mares ? Cinq variables composites ont été retenues à l’issue de la sélection des modèles univariés : trois variables mesurées à l’échelle de la mare (VOL, ZEN, AGE) et deux à l’échelle du patch (ABMAR200 et COMP200). Aucun effet significatif n’a été détecté pour EXPMAR, OPEN200 et EXP200. Les 32 modèles issus de l’ensemble des combinaisons linéaires possibles des cinq variables composites significatives ont été testés. L’intervalle de confiance, calculé à partir du cumul des wi de tous ces modèles, permet d’en retenir trois, dont le modèle complet contenant les cinq variables retenues (Tableau 3-IV). 108 Chapitre 3 Figure 3-5 : Corrélogrammes établis en calculant l’indice de Moran sur les résidus des modèles complets à plusieurs classes de distance. Pour chaque classe de distance, les points blancs indiquent une autocorrélation non significative et les points noirs, une autocorrélation significative. A : corrélogramme du modèle de l’occurrence du Sonneur à ventre jaune dans les mares. B : corrélogrammes du modèle de l’occurrence dans les patchs avant (en haut) et après (en bas) prise en compte de l’autocorrélation spatiale. Tableau 3-IV : Classement des modèles de l’occurrence à l’échelle de la mare : coefficients (± e.s.) des modèles retenus dans l’intervalle de confiance de 95% de l’ensemble des combinaisons linéaires des 5 variables. Classement AIC wi Variables mare Intercept Variables patch VOL ZEN AGE ABMAR200 0.60 ± 0.38 Modèle « Mare 1 » 561.1 0.48 -0.67 ± 0.91 -1.07 ± 0.14 1.25 ± 0.19 0.62 ± 0.13 Modèle « Mare 2 » 562.5 0.24 -6.86 ± 0.91 -1.05 ± 0.14 1.30 ± 0.19 0.64 ± 0.13 Modèle « Mare 3 » 562.9 0.19 -6.64 ± 0.90 -1.07 ± 0.14 1.25 ± 0.19 0.63 ± 0.13 0.63 ± 0.38 COMP200 -0.15 ± 0.42 Le modèle le plus parcimonieux d’après l’AIC est celui qui contient les 3 variables de la mare (VOL, ZEN, AGE) et la variable ABMAR200. Cependant, les deux autres modèles compris dans l’intervalle de confiance ont une différence d’AIC inférieure à 2 par rapport à ce dernier et peuvent donc être considérés comme aussi bons pour décrire les données (Burnham et Anderson 2002). Le modèle complet (contenant VOL, ZEN, AGE, ABMAR200 et COMP200) a été utilisé pour comparer l’effet relatif de ces variables sur l’occurrence du 109 Chapitre 3 Sonneur à ventre jaune dans les mares. Celle-ci est fortement associée aux trois variables mesurées à l’échelle des mares (Figure 3-6A). Un effet négatif du volume d’eau (VOL) a été obtenu, tandis qu’un effet positif a été obtenu pour l’ensoleillement (ZEN) et pour la variable AGE. Ce dernier effet doit être interprété comme une influence positive du faible recouvrement par la végétation et du faible recouvrement du fond des mares par les feuilles sur la présence du Sonneur à ventre jaune. Figure 3-6 : Coefficients estimés des effets fixes et aléatoires (zone grisée) et leur intervalle de plus haute densité finale (HPD). Les coefficients dont l’intervalle ne recouvre pas zéro (ligne en pointillés) peuvent être jugés significativement différents de zéro. * Effets aléatoires estimés à partir du modèle nul. ** Effets fixes estimés à partir du modèle complet. 110 Chapitre 3 3.3.5. Quels sont les principaux facteurs pouvant expliquer la présence de l’espèce dans les patchs ? L’occurrence à l’échelle des patchs n’est expliquée que par l’abondance des mares (ABMAR200) et des compétiteurs potentiels (COMP200). Ces deux variables ont un effet positif sur la présence du Sonneur à ventre jaune dans les patchs (Figure 3-6B). 3.3.6. Quelle est l’échelle expliquant la plus grande proportion de variation ? D’après les CCIs estimés sur le modèle nul, 56% de la variation de l’occurrence du Sonneur à ventre jaune dans les mares est attribuable à l’échelle du site, tandis que l’échelle des patchs et l’échelle des mares expliquent respectivement 17% et 27% de la variation. L’effet aléatoire « site » est significativement différent de zéro, contrairement à l’effet « patch » dont l’intervalle de crédibilité englobe zéro (Figure 3-6A). Concernant le modèle d’occurrence dans les patchs, 70.5% de la variation est attribuable à l’échelle du site, contre 29% pour l’échelle du patch. Par ailleurs, l’effet aléatoire « site » est une fois de plus significatif dans ce modèle (Figure 3-6B). 3.4. Discussion Grâce à l’utilisation de modèles à effets mixtes, nous avons pu étudier l’influence de variables mesurées à plusieurs échelles sur l’occurrence du Sonneur à ventre jaune, tout en échantillonnant la diversité paysagère de la zone étudiée. Ainsi, il a été possible de prendre en compte, à la fois les caractéristiques des mares et des patchs, et leur contexte paysager. Cette démarche, qui a été très peu utilisée sur les amphibiens, s’avère flexible et bien adaptée pour étudier l’influence de l’hétérogénéité de l’habitat sur la distribution des populations d’amphibiens, en particulier dans le cas d’espèces mobiles ou utilisant plusieurs sites aquatiques pour pondre au cours d’une saison. 111 Chapitre 3 3.4.1. Facteurs influençant l’occurrence du Sonneur à ventre jaune Concernant l’occurrence du Sonneur à ventre jaune dans les mares, les résultats des modèles suggèrent que les mares les plus utilisées sont peu profondes, de faible surface et bien ensoleillées. L’effet significatif de la variable AGE indique que l’espèce utilise essentiellement des mares dans lesquelles le recouvrement par la végétation et par des débris de végétaux est peu important. Ces mares sont, en général, soit nouvellement créées, soit régulièrement « rajeunies » sous l’effet d’une perturbation physique. Tous ces résultats sont en accord avec ceux d’autres études déjà réalisées dans d’autres zones géographiques, sur la caractérisation des mares utilisées par l’espèce (Seidel 1988, Barandun et Reyer 1997a, Gollmann et al. 1999). Des variables mesurées à une échelle plus large ont plus rarement été prises en compte et les déterminants paysagers de la distribution du Sonneur à ventre jaune restent méconnus. Nous avons montré que l’occurrence de l’espèce dans les mares peut être influencée par des variables environnementales mesurées dans un rayon de 200 mètres : un effet de l’abondance des mares et de l’abondance d’autres espèces d’amphibiens dans les patchs a été détecté. L’abondance des mares est une mesure de la quantité d’habitat disponible pour les individus et il est donc logique que cette variable ait un impact positif sur la présence du Sonneur à ventre jaune. Ce résultat a déjà été observé chez d’autres espèces d’amphibiens (p.ex. Lissotriton helveticus, Denoël et Lehmann 2006). La compétition interspécifique n’existait probablement pas à l’échelle des patchs. Au contraire, l’abondance des autres espèces d’amphibiens à cette échelle a eu un effet positif sur l’occurrence dans les mares. Cette variable reflète aussi probablement la qualité des patchs pour le sonneur et les autres amphibiens. Un résultat similaire a été obtenu par Di Cerbo (2001), en Italie : l’abondance du Sonneur à ventre jaune dans des mares était corrélée à celles de cinq autres espèces d’amphibiens. L’effet de l’abondance des mares et de l’abondance des autres espèces d’amphibiens dans les patchs n’était plus significatif lorsque ces variables étaient placées dans le modèle complet (i.e. regroupant ces deux variables et les trois variables décrivant les mares). L’importance de ces deux variables est apparue moindre que celle des trois variables mesurées à l’échelle des mares. 112 Chapitre 3 Après avoir pris en compte la détectabilité, nous avons pu suivre la même démarche pour étudier les effets des variables sur l’occurrence du Sonneur à ventre jaune dans les patchs (résolution supérieure de la variable réponse). Nous n’avons trouvé aucun effet significatif de l’occupation des sols et de la topographie à cette échelle. Les deux variables qui sont apparues significatives sont l’abondance des mares et l’abondance des autres espèces d’amphibiens. La différence observée pour ces variables explicatives par rapport au résultat obtenu pour l’occurrence à l’échelle des mares, est probablement en partie liée à une différence de prévalence de l’espèce dans la variable réponse : la proportion des patchs utilisés parmi les patchs disponibles étudiés était bien supérieure à la proportion de mares utilisées parmi les mares disponibles. 3.4.2. L’importance du contexte paysager L’effet aléatoire des patchs, qui correspond à la variation entre les mares à l’intérieur d’un patch, n’a pas eu d’effet significatif sur l’occurrence de l’espèce. En revanche, à l’échelle supérieure, l’effet aléatoire des sites, qui correspond à la variation entre les patchs à l’intérieur d’un site, s’est avéré significatif. De plus, la proportion de variance expliquée par les sites était plus importante que celle des patchs et des mares. Ainsi, en utilisant cette approche hiérarchique, nous avons pu démontrer que le contexte paysager, ici représenté par un rayon de 2500 mètres, influence fortement la présence d’une espèce d’amphibien à une échelle locale (mare et patch). L’occurrence dans les mares et dans les patchs n’est donc pas totalement liée aux variables mesurées à ces échelles et il s’avère nécessaire de prendre en compte d’autres variables mesurables à des échelles plus larges dans des analyses complémentaires. D’un point de vue appliqué, ces résultats suggèrent que le maintien de populations de Sonneurs à ventre jaune dans une région dépend de la disponibilité de nombreux sites aquatiques, distribués sur d’importantes superficies. La gestion ne doit pas uniquement être focalisée sur les mares mais elle doit également satisfaire aux exigences de l’espèce quant à la structure et à la composition du paysage. Pour cela, il apparaît nécessaire d’identifier les déterminants paysagers conditionnant la présence de l’espèce en passant d’une approche ciblée sur des sites à une approche régionale. 113 Chapitre 3 114 Chapitre 4 CHAPITRE 4 INFLUENCE DE FACTEURS PAYSAGERS SUR LA PRESENCE DU SONNEUR A VENTRE JAUNE ET MODELISATION DE LA QUALITE DE L’HABITAT A UNE ECHELLE REGIONALE 115 Chapitre 4 116 Chapitre 4 4. Chapitre 4 : Influence de facteurs paysagers sur la présence du Sonneur à ventre jaune et modélisation de la qualité de l’habitat à une échelle régionale 4.1. Introduction L’identification des caractéristiques paysagères qui conditionnent la présence d’une espèce menacée constitue un point crucial pour la mise en place de programmes de conservation efficaces. Il est, en effet, indispensable de comprendre les relations qu’une espèce entretient avec son environnement, pour trouver des mesures de conservation adaptées. La protection d’une espèce dans une zone géographique donnée nécessite de bien connaître, à la fois sa distribution dans cette zone, et ses exigences écologiques. Des techniques de modélisation prédictives ont été développées, pour identifier les facteurs limitants pour le maintien d’une espèce et pour localiser les zones qui lui sont favorables (Rushton et al. 2004). Les modèles obtenus à partir de ces techniques constituent des outils précieux pour planifier les actions de gestion conservatoire. Deux approches sont utilisées pour modéliser les relations espèce-habitat. La première, qui est la plus couramment employée, consiste à comparer des sites de présence et d’absence (« utilisé » contre « non-utilisé »), tandis que la seconde consiste à comparer des sites de présence à des sites disponibles (« utilisé » contre « disponible ») (Manly et al. 2002), c’est-àdire sans prendre en compte l’absence de l’espèce. S’il est généralement facile d’attester la présence d’une espèce, son absence est, en revanche, beaucoup plus difficile à démontrer (Kéry 2002, MacKenzie et al. 2002). Or, les plans de conservation des espèces sont souvent appliqués à une échelle régionale, c’est-à-dire sur une étendue relativement importante et les données sont généralement récoltées avec un effort d’échantillonnage non réparti équitablement sur la zone étudiée. Il est donc difficile de prendre en compte l’absence d’une espèce, et seules les données de présence sont alors exploitables. 117 Chapitre 4 Une augmentation de la puissance des ordinateurs, associée au développement des Systèmes d’Informations Géographiques, ont augmenté les possibilités d’inférence à partir de données de « présence seule ». Des méthodes récentes, fondées sur le concept de niche écologique (Hutchinson 1957), ont été développées pour modéliser la qualité de l’habitat d’une espèce, sur la base de variables éco-géographiques et en utilisant uniquement des données de présence (Guisan et Zimmermann 2000, Hirzel et al. 2002, Farber et Kadmon 2003, Pearce et Boyce 2006, Elith et al. 2006). Parmi ces méthodes, l’Analyse Factorielle de la Niche Ecologique (ENFA; Hirzel et al. 2002) a été utilisée sur divers taxons : plantes (Zaniewski et al. 2002), insectes (Gallego et al. 2004, Chefaoui et al. 2005), oiseaux (Hirzel et al. 2004, Olivier et Wotherspoon 2006, Braunisch et al. 2008), mammifères (Sattler et al. 2007, Praca et Gannier 2008). Bien qu’elle s’est avérée efficace pour exploiter les données de présence seules sur de nombreuses espèces, l’ENFA a été très peu utilisée sur des amphibiens. De manière générale, peu d’études ont visé à modéliser la qualité de l’habitat d’amphibiens, à une échelle régionale (superficie supérieure à 10 000 km²), avec une résolution relativement fine (inférieure à 1 km x 1 km) (Soares et Brito 2007). Ceci est probablement dû au fait que la plupart des modèles prédictifs établis pour les amphibiens ont été focalisés sur les sites aquatiques. Or, il s’avère souvent difficile, voire impossible, d’obtenir des données aussi précises à une échelle régionale. Dans le cas du Sonneur à ventre jaune, qui pond dans des sites aquatiques qui sont généralement de petite taille et temporaires (Barandun et Reyer 1997a, Gollmann et al. 1999), la prise en compte des mares pour identifier des zones favorables à l’espèce sur une grande superficie semble difficilement envisageable. Cependant, comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, la sélection de l’habitat par le Sonneur à ventre jaune peut être vue hiérarchiquement et le contexte paysager semble particulièrement important pour expliquer l’occurrence de l’espèce localement. Aussi, des variables paysagères pourraient avoir un impact important sur la qualité de l’habitat à une échelle plus fine et elles pourraient déterminer en grande partie les potentialités d’un site à accueillir l’espèce à cette échelle. L’objectif de ce chapitre est de modéliser la qualité de l’habitat du Sonneur à ventre jaune à une échelle régionale et avec une résolution fine. En nous focalisant sur des variables éco-géographiques en rapport avec la topographie, l’occupation des sols et le réseau hydrographique, nous avons tenté de répondre aux deux questions suivantes : 118 Chapitre 4 i) Quelles sont, parmi ces variables, celles qui caractérisent un habitat favorable au Sonneur à ventre jaune ? ii) Est-il possible de prédire la qualité de l’habitat, c’est-à-dire les potentialités d’accueil de l’espèce, à une échelle régionale, en se basant sur ces variables ? Pour cela, l’ENFA a d’abord été utilisée comme une méthode explicative (Basille et al. 2008) nous permettant d’extraire les caractéristiques paysagères déterminant la présence du Sonneur à ventre jaune, puis elle nous a permis de construire une carte de qualité de l’habitat (Hirzel et al. 2002) avec une résolution relativement fine, afin de visualiser les zones susceptibles d’accueillir des populations de Sonneur à ventre jaune dans la région étudiée. Enfin, la robustesse de ce modèle prédictif de qualité de l’habitat a été estimée à l’aide d’une méthode récente de validation croisée adaptée aux approches basées sur des données de présence seule (Boyce et al. 2002, Hirzel et al. 2006). 4.2. Matériel et Méthodes 4.2.1. Données de répartition et variables éco-géographiques La zone étudiée se situe en limite nord ouest de l’aire de répartition du Sonneur à ventre jaune. Il s’agit d’un rectangle de 140 km x 80 km (11 200 km²), recouvrant en partie les départements de l’Aisne, de la Seine-et-Marne, de la Marne, des Ardennes et de la Meuse (voir § 3.2.1). La plupart des données de présence de l’espèce sont issues de prospections de terrain réalisées en 2005, 2006 et 2007. D’autres données, récoltées depuis 2000 par les bénévoles d’associations naturalistes et par diverses personnes ressources, y ont été ajoutées. Les données retenues correspondent à des localisations géo-référencées d’observations d’un ou de plusieurs individus adultes ou juvéniles. Un total de 293 données de présence ont été ainsi récoltées (Figure 4-1). 119 Chapitre 4 Figure 4-1 : Répartition des 293 localisations de Sonneurs à ventre jaune (points jaunes) utilisées pour l’ENFA et zoom sur le maillage montrant plusieurs cellules de 400 mètres occupées par l’espèce (cellules jaunes). 120 Chapitre 4 La préparation des variables et des cartes utilisées pour l’analyse a été réalisée à l’aide du logiciel ArcView 3.2 (Esri, Redlands, CA, USA). La zone d’étude a été divisée en 71 000 cellules carrées de 400 mètres de côté (Figure 4-1). La surface couverte par une cellule correspond approximativement à l’amplitude des déplacements réalisés par les individus au cours d’une année (Barandun 1995, Abbühl et Durrer 1996, Gollmann et al. 2000 ; voir chapitre 2). Les localisations de présence du Sonneur à ventre jaune ont donc été converties en une grille, dans laquelle 187 cellules étaient occupées par l’espèce. Dix variables éco-géographiques ont été mesurées dans chaque cellule (Tableau 4-I). Ces variables sont supposées avoir une influence sur la distribution de l’espèce dans la zone d’étude (Guisan et Zimmermann 2000). Pour les choisir nous nous sommes donc basés sur nos connaissances personnelles de l’écologie de l’espèce et sur la littérature naturaliste. Hormis pour celles qui étaient basées sur des distances, la plupart des variables ont été mesurées dans un rayon de 2500 mètres autour de chaque cellule. Ce rayon est basé sur les capacités potentielles de dispersion de l’espèce (Plytycz et Bigaj 1984, Seidel 1988, Herrmann 1996 ; voir chapitre 2). Tableau 4-I : Liste et description des variables éco-géographiques utilisées pour l’ENFA. Echelle Groupe Variable PENTE Topographie ELEVATION IndSol FORET Occupation PRAIRIE des sols CULTURE densHYDRO disHYDROP15 Hydrographie disPLANDEAU disSOURCE Description pente en degrés altitude en mètres Indice d’exposition (Wilson et al. 2003) proportion de zones boisées proportion de prairies proportion de cultures densité de cours d'eau (toute largeur confondue) distance aux cours d'eau de largeur >15 m distance aux plans d'eau de superficie >2 ha distance aux sources cellule rayon de 2500 m X X X X X X X Le premier groupe de variables concerne la topographie. Dans son aire de répartition, le Sonneur à ventre jaune est surtout rencontré dans les zones de plaine ou de moyenne montagne, au relief relativement accidenté (Szymura et Gollmann 1996). Le relief a donc été pris en compte en calculant une moyenne des pentes dans un rayon de 2500 mètres autour de la cellule (PENTE). De plus, l’altitude moyenne (ELEVATION) et un indice d’exposition 121 Chapitre 4 (IndSol), prenant en compte à la fois la pente et l’exposition par rapport au nord, ont été calculés à une résolution de 400 mètres (Wilson et al. 2003 ; voir § 3.2.3). Le deuxième groupe rassemble trois variables traitant de l’occupation des sols, dans un rayon de 2500 mètres. Dans la zone d’étude, l’espèce est le plus fréquemment observée en forêt et plusieurs populations sont connues dans des prairies. Au contraire, les cultures pourraient constituer des milieux inhospitaliers, comme pour d’autres espèces d’amphibiens (Knutson et al. 1999, Joly et al. 2001, Gallant et al. 2007). Les proportions de forêts, de prairies et de cultures ont donc été calculées à partir de la base de données CORINE land cover (Ifen 2005). Le troisième groupe de variables concerne l’hydrographie. La distribution du Sonneur à ventre jaune semble liée au réseau hydrographique dans plusieurs régions et certaines populations s’établissent dans le lit majeur de grands cours d’eau (p.ex. Parent 1983, Joly et Morand 1994, Thomas 2000). De plus, dans le nord et l’est de la France, le Sonneur à ventre jaune semble absent des secteurs forestiers riches en grands étangs (p.ex. Parent 2004). Enfin, certains auteurs considèrent les sources comme un habitat « primaire » pour l’espèce (p.ex. Parent 1979). Pour chaque cellule, nous avons donc calculé : la somme des linéaires de cours d’eau de tous gabarits dans un rayon de 2500 mètres ; la distance aux cours d’eau de plus de 15 mètres de largeur ; la distance aux plans d’eau de plus de 2 ha et la distance aux sources. 4.2.2. Identification des caractéristiques paysagères influençant la présence du Sonneur à ventre jaune Nous avons utilisé l’ENFA pour extraire les caractéristiques paysagères influençant la présence du Sonneur à ventre jaune, en nous basant sur les variables éco-géographiques décrites précédemment. L’ENFA est une méthode fondée sur le concept de la niche écologique, développé par Hutchinson (1957) (voir Annexe 2). Elle permet d’extraire plusieurs axes factoriels qui résument l’information contenue dans les données. Cependant, contrairement à celui obtenu avec une Analyse en Composantes Principales, le premier axe de l’ENFA ne maximise pas la variance de la distribution : il maximise la marginalité, c’est-àdire l’éloignement entre le barycentre de l’espace utilisé (nuage de points formé par les valeurs des cellules où l’espèce est présente dans l’espace des variables éco-géographiques) et celui de l’espace disponible (nuage de points formé par les valeurs de l’ensemble des cellules 122 Chapitre 4 de la zone d’étude). Les autres facteurs extraits maximisent l’étroitesse de la niche écologique ou, mathématiquement, le rapport de la variance de l’espace disponible sur la variance de l’espace utilisé (Hirzel et al. 2002). Une valeur élevée pour le premier axe (marginalité) indique que l’espèce est rencontrée dans des conditions environnementales qui s’éloignent des conditions moyennes (i.e. qu’elle recherche des conditions environnementales bien particulières), tandis que des valeurs propres élevées pour les axes suivants (axes de spécialisation), indiquent que l’espèce est peu tolérante à une variation des variables écogéographiques qui contribuent à ces axes (i.e. l’espèce se maintient dans une gamme étroite des valeurs de ces variables). L’ENFA est peu sensible aux écarts à la normalité des distributions des variables écogéographiques utilisées. Cependant, l’analyse est optimale lorsque la distribution de ces variables est proche de la normalité (Hirzel et al. 2002). Elles ont donc été transformées en utilisant la fonction racine carrée ou l’algorithme Box-Cox pour que leur distribution soit plus proche d’une distribution normale (Legendre et Legendre 1998). Les corrélations potentielles qui peuvent exister entre les variables éco-géographiques ne constituent pas un problème pour l’ENFA (Hirzel et al. 2002). Cependant ces corrélations ont été prises en compte dans l’interprétation des axes de spécialisation (Basille et al. 2008). Dans un premier temps, les axes qui expliquaient la majeure partie de l’information ont été choisis en examinant le diagramme des valeurs propres. Puis, l’étude des particularités de la niche écologique de l’espèce a été réalisée en examinant les « biplots » (Basille et al. 2008), projections de l’espace écologique utilisé (niche écologique) et des variables environnementales dans un plan formé par l’axe de marginalité et un axe de spécialisation. Les biplots permettent d’interpréter la marginalité et la spécialisation de l’espèce par rapport aux variables intégrées dans l’analyse. Ensuite, un test de Monte-Carlo a été utilisé pour tester la significativité de la marginalité et des valeurs propres des axes de spécialisation retenus. Toutes ces analyses ont été réalisées avec le paquetage adehabitat (Calenge 2006) du logiciel R version 2.7.0 (R Development Core Team 2008). 123 Chapitre 4 4.2.3. Constrution d’une carte de qualité de l’habitat Cette partie de l’analyse a été conduite avec le logiciel BioMapper (Hirzel et al. 2007). Une ENFA a été de nouveau réalisée avec les 10 variables éco-géographiques utilisées dans l’analyse précédente et la grille contenant les cellules utilisées par le Sonneur à ventre jaune. La sélection des axes utilisés pour construire la carte de qualité de l’habitat a été réalisée en comparant la distribution des valeurs propres obtenues à celle du « bâton brisé » de Mac Arthur (‘Mac-Arthur’s broken-stick’, Jackson 1993, Legendre et Legendre 1998, Hirzel et al. 2002). Pour cela Frontier (1976) a proposé de comparer la décroissance des valeurs propres à une décroissance issue de données aléatoires. Dans ce modèle, la somme des valeurs propres (variance totale) est considérée équivalente au bâton dans le modèle du bâton brisé de Mac Arthur. Son unité vaut 1. Le bâton est brisé aléatoirement en q segments, ce qui signifie dans notre cas que la variance totale est répartie aléatoirement dans les q vecteurs propres. Les valeurs attendues (E) (valeurs propres « théoriques ») pour chaque vecteur propre yi sont données par ordre décroissant, par : avec i = 1, 2 …, q. Les valeurs propres observées sont considérées interprétables si elles excèdent celles attendues dans la distribution du bâton brisé. Cette fonction, implémentée dans le logiciel BioMapper, permet de retenir objectivement les axes exploitables pour construire une carte de qualité de l’habitat. Plusieurs algorithmes peuvent ensuite être utilisés pour construire la carte de qualité d’habitat avec BioMapper. L’algorithme de la moyenne géométrique a été choisi car il s’avère efficace pour modéliser les patrons de distribution complexes, qui peuvent notamment émerger lorsque les espèces utilisent des habitats sub-optimaux ou plusieurs types d’habitats différents. De plus, cet algorithme représente un bon compromis entre précision et généralité pour construire un modèle (Guisan et Zimmermann 2000, Hirzel et Arlettaz 2003). Dans notre cas, ce choix se justifie surtout par le fait que, lors des prospections sur le terrain, le Sonneur à ventre jaune a été rencontré dans au moins deux types d’habitats très différents : des ornières forestières et des zones de sources en prairies. 124 Chapitre 4 L’algorithme permet d’obtenir un indice de qualité de l’habitat, compris entre 0 et 100, pour chaque cellule de la zone d’étude. 4.2.4. Evaluation du modèle La robustesse du modèle prédictif de qualité de l’habitat a été évaluée en examinant la courbe du rapport « prédit sur attendu » et en calculant l’indice continu de Boyce (Boyce et al. 2002, Hirzel et al. 2006). Cette approche permet d’estimer la fiabilité d’une carte de qualité de l’habitat établie à partir de données de présences seules, sans utiliser un échantillon de localisations indépendantes (Hirzel et al. 2006). Contrairement à la plupart des mesures qui évaluent la capacité d’un modèle à prédire les présences et les absences, l’indice continu de Boyce évalue sa capacité à prédire, de manière constante, plusieurs classes de qualité de l’habitat. La démarche suivie pour réaliser cette évaluation est expliquée ci-dessous. Les données de présence sont d’abord partagées en k sous-échantillons indépendants et k1 sous-échantillons sont utilisés pour calibrer le modèle, tandis que le sous-échantillon restant est utilisé pour le valider (i.e. les valeurs de Fi sont calculées à partir des cellules de ce souséchantillon dit « d’évaluation »). L’opération est répétée k fois, avec un sous-échantillon d’évaluation différent à chaque répétition. Le nombre k de partitions a été choisi en appliquant la règle d’Huberty (Fielding et Bell 1997), implémentée dans le logiciel BioMapper. Cette règle permet de choisir le rapport entre le nombre de classes de calibration et d’évaluation en appliquant la formule suivante : 1/(1 + √(V - 1)), avec V le nombre de variables écogéographiques (Fielding et Bell 1997). Dans notre cas, avec 10 variables éco-géographiques, quatre partitions des données ont été retenues. Le rapport « prédit sur attendu » (Fi ) est ensuite calculé en suivant les trois étapes suivantes : (1) calcul de la fréquence des cellules de présence prédites par le modèle (Pi) pour chaque classe de qualité d’habitat i : Pi = pi / Σ pj avec pi le nombre de points d’évaluation que le modèle attribue à la classe de qualité d’habitat i et Σ pj le nombre total de points d’évaluation ; (2) calcul de la fréquence attendue pour une distribution aléatoire des cellules de présence (Ai), qui revient à calculer la surface relative couverte par chaque classe de qualité d’habitat i : 125 Chapitre 4 Ai = ai / Σ aj avec ai le nombre de cellules appartenant à la classe de qualité d’habitat i et Σ aj le nombre total de cellules de la zone d’étude ; (3) calcul du rapport de ces deux fréquences pour une valeur de qualité d’habitat i : Fi = Pi / Ai La courbe du rapport prédit sur attendu est obtenue à l’aide d’une « fenêtre mouvante » (Hirzel et al. 2006) qui se déplace sur la distribution des valeurs de l’indice de qualité d’habitat (comprises entre 0 et 100) en partant des valeurs les plus faibles vers les valeurs les plus élevées. Dans notre cas, cette fenêtre comprend 20 unités. La première fenêtre englobe l’intervalle de qualité d’habitat [0,20], et le rapport Fi est calculé pour la moyenne de cette fenêtre (i = 10). Puis la fenêtre est déplacée d’une unité (intervalle [1,21]). Le calcul de Fi est répété à chaque déplacement de la fenêtre jusqu’au dernier intervalle et à la dernière valeur de i possibles (intervalle [80,100], i = 90). Lorsque le modèle est fiable, peu de cellules où l’espèce est présente obtiennent une valeur faible de l’indice de qualité de l’habitat : pour une valeur faible de i, Fi < 1. Au contraire, la plupart des cellules de présence auront un indice i élevé : pour une valeur i élevée, Fi > 1. Dans le cas d’un mauvais modèle, les fréquences prédites sont peu différentes des fréquences aléatoires et Fi est constant et proche de 1 pour toutes les valeurs de l’indice de qualité d’habitat. La courbe des valeurs de Fi contre les valeurs i de l’indice de qualité de l’habitat est donc plate. Au contraire, pour un bon modèle, la courbe augmente régulièrement au-dessus de 1. L’indice continu de Boyce (Bcont) est une mesure qui rend compte de cette augmentation de la courbe. Il s’agit d’un coefficient de corrélation de Spearman qui mesure la corrélation entre Fi et i (Boyce et al. 2002, Hirzel et al. 2006). Cet indice varie entre -1 et 1 : une valeur positive indique que le modèle prédictif est en accord avec la distribution des données de présence dans la zone d’étude (Fi augmente, courbe ascendante) ; une valeur proche de zéro indique que le modèle n’est pas différent d’un modèle aléatoire (Fi constant, courbe plate) ; une valeur négative indique que le modèle est incorrect (Fi diminue, courbe descendante). 126 Chapitre 4 4.3. Résultats 4.3.1. Facteurs paysagers influençant la présence du Sonneur à ventre jaune Après avoir examiné le diagramme des poids des facteurs obtenus, quatre axes ont été retenus pour interpréter les caractéristiques de l’espace écologique utilisé par le Sonneur à ventre jaune. Ces quatre axes de spécialisation expliquent 89.5% de l’information. Les biplots ont ensuite été utilisés pour interpréter à la fois la marginalité et la spécialisation (Figure 4-2). Chacun des biplots représente le plan formé par l’axe de marginalité (X) et l’un des quatres axes de spécialisation retenu (Y). D’après les biplots (Figure 4-2), l’habitat utilisé est nettement différenciable des conditions environnementales moyennes disponibles dans la zone d’étude. En effet, le barycentre de la niche écologique est très éloigné de celui de l’espace écologique disponible, ce qui traduit une marginalité importante. L’examen du tableau des contributions des variables aux axes (Tableau 4-II) indique que cette marginalité est expliquée essentiellement par (en ordre décroissant de leur contribution) : la proportion de forêts, la proportion de cultures, l’altitude, les pentes et la distance aux sources. Les valeurs des cellules occupées par le Sonneur à ventre jaune diffèrent des valeurs moyennes de la zone d’étude pour ces variables : la présence de l’espèce est donc reliée à la disponibilité en forêts, à une faible superficie cultivée, une altitude importante (comparée à l’altitude moyenne de la zone d’étude), à un relief accidenté et à la proximité de sources. Les deux premiers axes de spécialisation prennent en compte essentiellement : la proportion des forêts, la proportion des cultures, la proportion des prairies et la densité du réseau hydrographique. Cependant, la proportion des forêts et la proportion des cultures sont fortement corrélées négativement (ρpearson = -0.84) et leur contribution à un même niveau sur ces deux axes est donc en grande partie réduite. La spécialisation concerne par conséquent essentiellement la proportion de prairies et la densité du réseau hydrographique. Le Sonneur à ventre jaune occupe une étendue restreinte des valeurs de ces variables, ce qui indique une forte spécialisation pour un paysage comportant une superficie en prairie relativement importante et un réseau hydrographique dense. Le troisième axe de spécialisation exprime majoritairement une sensibilité de l’espèce vis-à-vis de la distance aux sources et de la 127 Chapitre 4 proportion de forêts. Enfin, le quatrième axe représente surtout une spécialisation pour l’altitude et la densité du réseau hydrographique. L’indice d’exposition, la distance aux grands cours d’eau et la distance aux grands plans d’eau contribuent relativement peu à la marginalité et à la spécialisation. A B V C D Figure 4-2 : Biplots de l’ENFA dans les plans formés par l’axe de marginalité (X) et successivement chacun des quatres axes de spécialisation retenus (Y). A : axe de marginalité et de spécialisation 1. B : axe de marginalité et de spécialisation 2. C : axe de marginalité et de spécialisation 3. D : axe de marginalité et de spécialisation 4. Le polygone gris foncé représente l’espace écologique utilisé par le Sonneur à ventre jaune (niche écologique), tandis que le polygone gris clair correspond à l’espace écologique disponible. Le diagramme des valeurs propres des axes de spécialisation est représenté en dessous à gauche de chaque biplot. Il montre les quatre axes retenus (en gris) et l’axe de spécialisation représenté (en noir). 128 Chapitre 4 Tableau 4-II : Contributions des variables à l’axe de marginalité et aux quatres axes de spécialisation retenus. Les valeurs entre parenthèses correspondent aux valeurs propres des axes. Les variables sont rangées par ordre décroissant en fonction de la valeur absolue de leur coefficient sur l’axe de marginalité. Pour l’axe de marginalité, les contributions des variables qui sont positives, indiquent que l’espèce « préfère » des valeurs plus élevées pour ces variables que la moyenne de leurs valeurs dans l’espace disponible. Pour les axes de spécialisation, des valeurs élevées (quelquesoit le signe du coefficient) indiquent que l’espèce occupe une étendue restreinte de la distribution des valeurs de ces variables (« étroitesse de la niche »). Variables Description FORET ELEVATION CULTURE PENTE disSOURCE PRAIRIE densHYDRO disHYDROP15 IndSol disPLANDEAU % de forêts Altitude (m) % de cultures Pentes Distance aux sources Proportion de prairies Densité du réseau hydro. Distance cours d’eau >15m Indice d’exposition Distance plans d’eau >2ha 4.3.2. Marginalité Spéc. 1 Spéc. 2 Spéc. 3 Spéc. 4 0.52 0.44 - 0.44 0.38 - 0.32 0.21 0.19 - 0.07 0.06 0.00 - 0.54 - 0.03 - 0.76 0.14 - 0.01 - 0.22 - 0.25 0.02 - 0.01 0.07 - 0.47 - 0.04 - 0.65 0.01 0.08 - 0.42 0.39 - 0.10 0.00 0.01 0.66 - 0.32 - 0.07 - 0.05 0.55 0.09 - 0.13 0.32 - 0.12 - 0.05 0.39 - 0.47 0.34 0.36 - 0.26 0.01 - 0.42 - 0.19 - 0.01 - 0.31 Modélisation de la qualité de l’habitat En comparant la décroissance des valeurs propres à la distribution du bâton brisé de Mac Arthur, sept axes de spécialisation ont été retenus avec le logiciel BioMapper pour construire le modèle prédictif. Sur la carte de qualité de l’habitat obtenue (Figure 4-3), les collines forestières de la zone d’étude constituent globalement des taches d’habitat favorables, tandis que les zones de cultures sont toutes défavorables. Plusieurs zones indiquées favorables par le modèle ne sont néanmoins pas occupées, alors qu’à l’inverse, certaines localités de présence se trouvent dans des cellules classées non favorables. 4.3.3. Évaluation du modèle L’indice continu de Boyce, obtenu pour ce modèle prédictif est de 0.758 ± 0.087, ce qui suggère que le modèle est bien ajusté et que ses prédictions sont relativement fiables. La courbe prédit/attendu a une ascension de forme logistique, avec un premier pallier au niveau des valeurs 25 à 50 de l’indice de qualité de l’habitat, puis elle a une ascension régulière jusqu’à la valeur de 80 (Figure 4-4). La déviation standard, relativement peu importante, 129 Chapitre 4 indique une stabilité dans les prédictions, mis à part pour les valeurs les plus importantes de l’indice de qualité de l’habitat (i > 80). Sur la base de cette courbe, il est possible de définir plusieurs catégories dans les valeurs de l’indice de qualité de l’habitat, permettant une meilleure interprétation de la carte (Figure 4-3). Nous en avons retenu quatre : [0,10], habitat non favorable ; [11,50], habitat marginal ; [51,80], habitat favorable (sub-optimal) ; [81,100], habitat optimal. Rapport Prédit/Attendu (Fi) Qualité de l’habitat (i) Figure 4-3 : Courbe de la qualité de l’habitat en fonction du rapport prédit/attendu (moyenne ± SD). La ligne rouge en pointillés représente la courbe d’un modèle totalement aléatoire (Fi = 1). 130 Chapitre 4 Figure 4-4 : Carte de qualité de l’habitat (‘Habitat Suitability map’) obtenue avec l’ENFA. L’indice de qualité de l’habitat a été reclassé en quatre catégories à partir de la courbe du rapport prédit/attendu (Figure 4-3). 131 Chapitre 4 4.4. Discussion 4.4.1. Quelles sont les variables paysagères influençant la présence du Sonneur à ventre jaune ? Cette analyse, fondée sur le concept de niche écologique, a permis de confirmer l’importance de plusieurs groupes de variables paysagères et de quantifier leur influence potentielle sur la distribution des populations du Sonneur à ventre jaune. À notre connaissance, il s’agit de la première étude permettant d’identifier des facteurs paysagers influençant sa présence. Les résultats ont montré que, dans la zone étudiée, le Sonneur à ventre jaune utilise préférentiellement des zones forestières, au relief accidenté, localisées à proximité des sources, tandis qu’il tend à éviter les surfaces cultivées. Les paysages dans lesquels le Sonneur à ventre jaune était présent sont généralement constitués de collines sur lesquelles se trouvent des forêts alternant avec des zones de prairies. Nos résultats montrent également une part de spécialisation pour la proportion de prairie, la densité du réseau hydrographique et la distance par rapport aux sources. Cette spécialisation pour la densité du réseau hydrographique et pour une faible distance aux sources constitue un résultat intéressant, puisqu’il confirme des hypothèses qui ont été émises par plusieurs naturalistes, dont Parent (1979). Cet auteur considérait les noues des rivières et les sources comme des habitats « primaires » pour l’espèce dans le nord de son aire de répartition européenne. En Wallonie notamment, l’espèce était encore rencontrée dans ces deux biotopes avant qu’elle ne soit considérée comme quasi éteinte (de Wavrin 2007). Les sources peuvent être utilisées par le Sonneur à ventre jaune pour la reproduction. Cependant, ceci n’a été observé que très rarement dans la zone étudiée. La liaison qui semble exister entre la présence du Sonneur à ventre jaune et la proximité de sources pourrait avoir une autre explication : les sources pourraient constituer des refuges, en particulier au moment de l’assèchement des milieux aquatiques temporaires utilisés pour la reproduction. En effet, ces derniers étant hautement instables, la persistance du Sonneur à ventre jaune dans un paysage pourrait dépendre fortement de l’existence de milieux aquatiques permanents. Dans plusieurs 132 Chapitre 4 localités de présence prospectées, des individus ont été observés dans des zones de sources dans lesquelles aucun indice de reproduction n’a été trouvé. Ces sources utilisées étaient, par ailleurs, situées à proximité de milieux aquatiques temporaires utilisés pour la reproduction. D’ailleurs, durant le suivi mené par Capture-Marquage-Recapture dans le massif forestier de la Croix-aux-Bois, l’année 2006 a été peu pluvieuse. Alors que la plupart des sites de reproduction étaient à sec, plusieurs individus ont été trouvés dans des zones de sources ou dans des petits ruisseaux proches de leurs sites habituels de reproduction. 4.4.2. Où le Sonneur à ventre jaune peut-il s’établir dans la région étudiée ? La carte de qualité de l’habitat construite à partir de l’ENFA montre que les zones les plus favorables au Sonneur à ventre jaune se situent dans les collines forestières (p.ex. l’Argonne, la Montagne de Reims, le Tardenois). L’habitat est beaucoup plus fragmenté à l’ouest et les cellules utilisées se trouvent généralement dans un habitat marginal (prairies, petits bois…). L’espèce n’a pas été trouvée dans certaines grandes forêts qui ont pourtant obtenu un indice de qualité de l’habitat favorable. Des prospections dans ces localités pourraient peutêtre permettre de découvrir de nouvelles populations. Cependant, l’espèce pourrait aussi être absente de ces zones, bien que favorables, si elles sont isolées par rapport aux populations les plus proches ou si l’habitat n’est pas favorable localement. La vaste plaine cultivée, située au centre de la région étudiée (Champagne Crayeuse), semble particulièrement inhospitalière en raison de la rareté des forêts et des prairies, et de la faible densité du réseau hydrographique. De plus, des prospections réalisées dans cette zone ont montré que les sites aquatiques temporaires y sont très rares. Le modèle a prédit une mauvaise qualité de l’habitat dans des zones où l’espèce était présente sur la frange ouest de la zone d’étude. Contrairement à la majorité des autres localisations, ces dernières se trouvaient dans des contextes paysagers comportant un faible recouvrement forestier (superficies de prairies importantes) et il s’agissait donc d’un habitat très peu représenté dans la région. À l’inverse, la qualité de l’habitat prédite par le modèle était parfois assez faible (habitat « marginal ») au cœur de certains grands massifs forestiers, où le Sonneur à ventre jaune était néanmoins présent (en particulier dans l’Argonne, à l’est de 133 Chapitre 4 la zone d’étude). Dans ce cas, le biais pourrait venir du fait que la majorité des localisations ont été obtenues en lisière des grands massifs forestiers et qu’il existait sans doute une occupation des sols hétérogène dans un rayon de 2500 mètres autour de la plupart des cellules utilisées. Les cellules ayant obtenu 100% de proportion de forêt dans un rayon de 2500 mètres ont donc pu être considérés comme peu favorables pour l’espèce, en raison de cette homogénéité du paysage. Il semble donc que la présence du Sonneur à ventre jaune soit associée à un paysage hétérogène comportant à la fois de grandes superficies en forêts et en prairies. 4.4.3. Critiques et améliorations possibles du modèle Le modèle a permis l’élaboration d’une carte de qualité de l’habitat relativement précise. Néanmoins, nous pouvons y apporter quelques critiques. Tout d’abord, étant issues de plusieurs sources (associations naturalistes et nos prospections), les localisations ont été recueillies sans utiliser un plan d’échantillonnage clairement défini. L’ENFA est réputée robuste pour traiter ce type de données mais une recherche moins intensive de l’espèce ou sa moins bonne détectabilité dans des habitats non forestiers, tels que les prairies, pourraient avoir contribué à biaiser les résultats en attribuant davantage d’importance aux forêts. Néanmoins, étant donné notre connaissance de l’espèce et du terrain étudié, ce biais potentiel a sans doute été très faible. Par ailleurs, l’existence de « clusters » dans les données de répartition aurait pu également contribuer à biaiser l’analyse en entraînant une dépendance spatiale dans les données. En effet, les données récoltées étaient agrégées spatialement. La présence de l’espèce dans une cellule peut être due à une attirance entre les individus et non simplement à la qualité de l’habitat. Toutefois, nous pouvons supposer que ceci a peu d’influence sur l’ENFA, puisque les individus sélectionnent probablement un habitat de bonne qualité même s’ils s’attirent entre eux. En réalité, la dépendance spatiale des données pourrait seulement altérer la qualité de la procédure de validation en menant à des partitions non indépendantes entre elles, ce qui se traduirait par une surestimation de la fiabilité du modèle. Cependant, pour pallier à ce problème, le logiciel BioMapper réalise, par défaut, un partitionnement géographique des données : la zone d’étude est divisée en k sections contenant le même nombre de cellules occupées (Hirzel et al. 2007), ce qui a pour avantage d’effacer en grande 134 Chapitre 4 partie la dépendance spatiale des données. La présence de clusters a donc probablement eu un impact faible sur les résultats obtenus. D’autre part, la région étudiée étant située en limite de l’aire de répartition, il est possible que l’espèce occupe, en partie, des habitats marginaux, ce qui aurait pu compliquer l’analyse. Ce problème a été mentionné dans quelques études utilisant l’ENFA (p.ex. Sachot 2002) et des algorithmes ont été proposés pour y remédier (Braunisch et al. 2008). Ces algorithmes ont été testés sur notre jeu de données, mais les résultats obtenus étaient toujours moins bons qu’en utilisant l’algorithme de la moyenne géométrique. Ainsi, nous pouvons considérer que nous avons utilisé l’algorithme le mieux adapté à notre jeu de données. Parmi les améliorations envisageables, il pourrait être intéressant d’incorporer dans l’analyse d’autres variables potentiellement importantes pour le Sonneur à ventre jaune. En premier lieu, des facteurs édaphiques tels que la perméabilité du sol permettraient sans doute d’améliorer les prédictions. En effet, l’existence de la majorité des sites aquatiques temporaires utilisés par l’espèce dépend de la capacité du sol à retenir l’eau en surface. La nature du substrat pourrait donc constituer un bon indicateur de la présence de sites aquatiques disponibles pour l’espèce. En plus de la perméabilité du sol, l’existence de sites aquatiques favorables au Sonneur à ventre jaune est étroitement liée à une dynamique de perturbations, d’origine naturelle ou anthropique (Barandun et Reyer 1997a) : les mares utilisées par le Sonneur à ventre jaune sont généralement nouvellement créées ou régulièrement renouvelées (p.ex. par le passage des machines lors du débardage en forêt). La prise en compte de ces régimes de perturbation pourrait apporter des informations complémentaires pour estimer la qualité de l’habitat. Enfin, dans notre étude, la connectivité n’a pas été prise en compte. Or la présence de l’espèce dans une localité peut être fortement liée à la qualité de la matrice paysagère, i.e. aux possibilités de déplacements des individus dans le paysage (Joly et al. 2001, 2003, Ray et al. 2002). Il pourrait donc être utile de considérer les barrières et les corridors potentiels autour de chaque cellule pour estimer leur effet sur la présence du Sonneur à ventre jaune. Cette analyse constitue une première étape dans l’identification des zones d’intérêt pour le Sonneur à ventre jaune ou pour le choix des sites à gérer en priorité. La démarche employée est hiérarchique, puisqu’elle se base sur des mesures réalisées à une échelle large pour prédire les potentialités d’accueil de l’espèce à une échelle locale. Il peut ensuite être utile de vérifier sur le terrain si l’habitat est localement favorable et, en particulier, s’il existe dans ces localités des sites milieux aquatiques temporaires. En effet, bien que la qualité de l’habitat à 135 Chapitre 4 une échelle fine puisse être influencée par des facteurs paysagers, il peut arriver que l’habitat soit localement peu favorable alors que le contexte paysager l’est potentiellement. Nous pouvons citer un exemple pour illustrer ce propos. Il est intéressant de constater que l’une des zones forestières jugée favorable par le modèle, mais dans laquelle aucune donnée de présence n’a été récoltée dans le cadre de notre étude, hébergeait une population de Sonneur à ventre jaune il y a une vingtaine d’années. D’après un agent de l’Office National des Forêts, la disparition de cette population a coïncidé avec l’empierrement du site principal de reproduction. Bien que le paysage ait peu évolué, la qualité du site serait devenue localement peu favorable. Ceci montre l’intérêt d’estimer la qualité de l’habitat sur un spectre d’échelles et non seulement à une échelle locale ou à une échelle paysagère (Cushman et McGarigal 2002). Finalement, pour mieux estimer les capacités du modèle, il serait intéressant d’étudier sa « transposabilité », en modélisant la qualité de l’habitat du Sonneur à ventre jaune dans d’autres régions, avec les mêmes variables éco-géographiques. Par ailleurs, ces variables paysagères d’intérêt, mises en évidence grâce à l’ENFA, pourraient être utilisées dans une zone d’étude plus restreinte, avec une méthode statistique basée sur des données de présence et d’absence (p.ex. GAM ou GLM), afin d’obtenir des résultats encore plus précis. 4.4.4. Implications pour la conservation du Sonneur à ventre jaune La grande originalité de cette approche est qu’elle a permis d’estimer la qualité de l’habitat du Sonneur à ventre jaune à une échelle régionale avec une résolution fine, sans prendre en compte les sites aquatiques utilisés par l’espèce. Les résultats de cette analyse confirment l’importance du contexte paysager et la nécessité de le prendre en compte, aussi bien dans les études de sélection de l’habitat que dans les programmes de conservation des espèces d’amphibiens. L’étude de la spécialisation réalisée grâce à l’ENFA indique une sensibilité potentielle du Sonneur à ventre jaune par rapport à des changements qui pourraient toucher plusieurs facteurs paysagers. Ceci implique que l’espèce pourrait être affectée par les changements induits par des perturbations anthropiques à une échelle relativement large. Ainsi, une homogénéisation du contexte paysager et la disparition de certains éléments clés du paysage pourraient être la cause majeure de régression de ses populations dans le nord de la France. D’après les résultats obtenus, la réduction de la superficie en forêts, la disparition des 136 Chapitre 4 prairies au profit des cultures, le captage des sources et la modification du réseau hydrographique (détournement des cours d’eau, canalisation) pourraient avoir des conséquences très importantes sur la persistance de l’espèce. Un modèle prédictif comme celui construit dans cette étude peut servir à la définition de zones terrestres « tampons » prenant en compte l’habitat favorable d’une espèce autour des sites aquatiques dans lesquels elle se reproduit (Dodd et Cade 1998, Semlitsch 1998, 2000, 2002). La carte de qualité de l’habitat peut aussi permettre d’orienter les prospections pour chercher d’éventuelles populations non encore découvertes, ce qui peut s’avérer très utile pour la réalisation des atlas de répartition, dont le but est de mieux connaître le statut d’une espèce dans une région. Enfin, les cartes de qualité de l’habitat peuvent êtres utilement exploités pour le choix de sites propices pour une réintroduction ou pour un renforcement de population (Hirzel et al. 2004). Elles constituent donc un outil efficace de prise de décisions pour les gestionnaires. 137 Chapitre 4 138 Discussion, conclusion et perspectives DISCUSSION, PERSPECTIVES ET CONCLUSION 139 Discussion, conclusion et perspectives 140 Discussion, conclusion et perspectives 5. Discussion, perspectives et conclusion En s’intéressant à la fois aux processus locaux et paysagers influençant sa distribution et à la dynamique de ses populations, ce travail apporte des connaissances nouvelles sur l’écologie du Sonneur à ventre jaune. L’étude de l’utilisation et de la sélection de l’habitat a été abordée avec deux approches différentes. La première repose sur le concept de métapopulation qui est basé sur une vision simplifiée de l’hétérogénéité du paysage, en le considérant constitué de taches d’habitats réparties dans une matrice paysagère neutre. En utilisant cette approche dans un paysage en apparence homogène (massif forestier), nous avons pu mettre en évidence l’importance de variables rarement prises en compte pour expliquer les déplacements des individus et la colonisation de sites de reproduction. La deuxième approche employée se situe davantage dans le champ de l’écologie du paysage. Elle a consisté à identifier les variables influençant la présence de l’espèce à plusieurs échelles d’observation. Ainsi, en apportant des informations complémentaires, ces deux approches ont permis d’apporter une perspective paysagère à l’étude des relations espèce-habitat chez le Sonneur à ventre jaune. 5.1. Apports de l’étude à la connaissance de l’écologie spatiale et de la sélection de l’habitat du Sonneur à ventre jaune 5.1.1. Mobilité et structure spatiale des populations (chapitre 2) Le Sonneur à ventre jaune se reproduit dans des milieux aquatiques caractérisés par une forte instabilité hydrique qui est déterminée par une dynamique de perturbations d’origine naturelle ou anthropique (Seidel 1988, Barandun 1995). Cette instabilité suppose que l’espèce soit capable de réagir rapidement face aux modifications entraînées par les perturbations, en ayant notamment la capacité de se déplacer lorsqu’un milieu aquatique disparaît (Seidel 1988). Dans un article où il comparait les traits de vie du Crapaud calamite (Bufo calamita) à ceux du Sonneur à ventre jaune, Morand (1997) écrivait : « … B. variegata est une espèce peu 141 Discussion, conclusion et perspectives mobile et au déplacement lent, contrairement à B. calamita ». Par comparaison, le Crapaud calamite est effectivement capable de se déplacer rapidement en courant, alors que le Sonneur à ventre jaune se déplace, certes moins rapidement, en sautant à la manière d’une grenouille. Cependant, nos résultats permettent de nuancer ces propos. En effet, au cours de l’étude des patrons de déplacements des individus qui a été conduite durant trois années dans le massif forestier de la Croix-aux-Bois avec la méthode de capture-marquage-recapture (CMR), nous avons observé des déplacements réguliers des individus entre les patchs (groupes de mares) répartis en taches dans le paysage. Plus précisément, 22% des individus recapturés se sont déplacés entre ces patchs qui étaient espacés d’un minimum de 100 mètres les uns des autres, ce qui suggère un comportement nomade. Plusieurs déplacements de plus de 1000 mètres et un déplacement maximal de 3800 mètres ont également été observés. De plus, ce dernier déplacement, ainsi qu’un autre d’une distance de 960 mètres, ont été détectés dans un intervalle de temps de 15 jours seulement. Ces résultats montrent que le Sonneur à ventre jaune dispose de bonnes capacités de déplacement et qu’il est capable de se déplacer relativement rapidement et sur de longues distances. Il est donc fort probable que sa mobilité ait été sous-estimée dans la plupart des précédentes études en raison soit d’un « effet d’échelle » (i.e. d’une superficie étudiée trop petite pour détecter les déplacements de longue distance), soit d’un contexte paysager peu propice aux déplacements. Ainsi, pour que les résultats des futures études menées par CMR sur le Sonneur à ventre jaune et sur d’autres amphibiens soient comparables, nous suggérons que les auteurs fournissent davantage d’informations sur la surface de leur zone d’étude, sur les distances séparant les patchs suivis et sur la structure du paysage. Les résultats de ce chapitre 2 mettent également en évidence l’influence de la surface en eau sur les déplacements qui a un effet sur le turn-over dans les patchs. En effet, le taux de résidence est plus élevé et le taux d’émigration plus faible dans les grands patchs (c’est-à-dire ceux ayant une surface en eau importante) que dans les petits patchs. De plus, l’occurrence des déplacements entre deux patchs est influencée par la surface en eau du patch receveur, et un groupe isolé de mares a une probabilité d’autant plus grande d’être colonisé par un individu si sa surface en eau est importante. En revanche, dans notre terrain d’étude, le relief avait un effet relativement faible sur les déplacements, comparé à la distance entre les patchs, à la surface en eau et à leur interaction. Enfin, à l’échelle du massif forestier de la Croix-aux-Bois, la structure spatiale de la population de sonneurs ne correspond pas à celle d’une métapopulation classique en raison 142 Discussion, conclusion et perspectives des déplacements fréquents observés au cours des trois années de l’étude. Il semble donc qu’à l’échelle temporelle d’une génération de Sonneur à ventre jaune, l’ensemble des mares étudiées soit probablement connecté par des déplacements réguliers d’individus. Dès lors, la structure spatiale de la population de Sonneur à ventre jaune de la forêt de la Croix-aux-Bois pourrait être assimilée à celle d’une population morcelée. 5.1.2. Déterminants de l’occurrence dans les mares et dans les patchs (chapitres 3) Une approche multi-échelles, basée sur des modèles linéaires généralisés à effets mixtes (GLMMs), a été utilisée pour étudier l’effet de variables écologiques mesurées à deux échelles d’observation sur l’occurrence du Sonneur à ventre jaune. Les données ont été recueillies sur le terrain à partir d’un plan d’échantillonnage « contraint », comprenant trois échelles spatiales imbriquées : la mare, le patch (rayon 200 m) et le site (rayon 2500 m). Cette approche a permis d’estimer les effets de variables mesurées à l’échelle de la mare et du patch sur une variable réponse à deux résolutions spatiales différentes : l’occurrence du Sonneur à ventre jaune dans les mares et dans les patchs. Les GLMMs ont aussi permis de prendre en compte l’effet de la dépendance entre les données à l’intérieur de chaque échelle (mares dans les patchs et patchs dans les sites) et l’importance de ces échelles (pourcentage de variation qui leur est attribuable). L’occurrence de l’espèce dans les mares s’avère être négativement influencée par le volume d’eau et l’âge des mares, tandis que l’ensoleillement et l’abondance d’autres mares dans le patch ont eu un effet positif. L’occurrence dans un patch (résolution supérieure de la variable réponse) est quant à elle influencée positivement par l’abondance des mares et par l’abondance d’autres espèces d’amphibiens dans ce patch. La plus grande part de variation de la variable réponse est attribuable à l’échelle du site (rayon de 2500 m), suivie par la mare, puis par le patch (rayon de 200 m). Ainsi, cette analyse a permis de montrer que la présence du Sonneur à ventre jaune dans une mare ou dans un groupe de mares (patch) est fortement influencée par le contexte paysager dans un rayon relativement important. L’utilisation de GLMMs sur notre jeu de données a également permis de mettre en évidence l’importance de la résolution spatiale de la variable réponse. L’effet de l’abondance des autres espèces d’amphibiens dans le patch n’était pas significatif pour l’occurrence du sonneur dans les mares, alors qu’il était positif pour son occurrence dans les 143 Discussion, conclusion et perspectives patchs. Le GLMM constitue donc un outil flexible et approprié pour mener une étude multiéchelles de la sélection de l’habitat, chez une espèce capable d’utiliser plusieurs mares dans un même contexte paysager. 5.1.3. Déterminants paysagers de l’occurrence et qualité de l’habitat à l’échelle régionale (chapitre 4) Le chapitre 3 a permis de montrer que la probabilité d’occurrence du Sonneur à ventre jaune varie fortement selon le contexte paysager. Cependant, les variables paysagères responsables de cette variation n’ont pas été étudiées dans ce chapitre. Dans le chapitre 4, nous nous sommes intéressés plus précisément à l’identification de ces facteurs en conduisant une étude de la sélection de l’habitat avec l’Analyse Factorielle de la Niche Écologique (ENFA, Hirzel et al. 2002). Pour cela, la zone d’étude complète (140x80 km, soit une étendue de 11 200 km²), a été divisée en cellules de 400x400 m. Dix variables éco-géographiques, décrivant la structure du paysage, la topographie et l’hydrographie, ont été utilisées pour caractériser l’espace écologique utilisé par le Sonneur à ventre jaune. Celui-ci est caractérisé par une superficie importante de forêts et de prairies, constituant un paysage hétérogène, une faible superficie en cultures, un relief accidenté par rapport à l’ensemble de la région (collines), un réseau hydrographique dense et la proximité de sources. Ces dernières pourraient constituer des refuges et permettre au Sonneur à ventre jaune de se maintenir dans un paysage localement imprévisible, en raison de l’instabilité des milieux aquatiques temporaires. Une carte de qualité de l’habitat, permettant de visualiser les zones potentiellement favorables à l’espèce dans la région étudiée, a été extraite sur la base de cette analyse. Ce modèle prédictif, basé uniquement sur des variables paysagères, montre que la présence du Sonneur à ventre jaune est, en grande partie, expliquée par l’occupation des sols, la topographie et l’hydrographie. Cependant, la prise en compte de variables mesurées à une échelle plus fine apporterait davantage d’informations sur la présence des milieux aquatiques temporaires et permettrait sans doute d’améliorer la précision de la carte obtenue. Ainsi, il apparaît nécessaire de se baser sur des variables mesurées sur un spectre d’échelles pour modéliser la qualité de l’habitat et pas uniquement sur une seule échelle. 144 Discussion, conclusion et perspectives 5.1.4. Hétérogénéité de l’habitat et complémentation du paysage D’une manière générale, tous ces résultats démontrent l’importance de prendre en compte l’hétérogénéité de l’habitat, qui entraîne des réponses de l’espèce, quantifiables à plusieurs échelles. La persistance à long terme du Sonneur à ventre jaune dans un paysage semble dépendre de l’existence d’habitats de différents types, qui demeurent facilement accessibles par les individus. Notre étude de sélection de l’habitat menée à l’échelle régionale montre que le réseau hydrographique et la proximité des sources déterminent la présence du Sonneur à ventre jaune localement. De plus, au cours du suivi par CMR dans le massif forestier de la Croix-aux-Bois, nous avons pu observer que certaines mares, peu ou pas utilisées pour la reproduction, peuvent néanmoins héberger régulièrement des individus. Ces mares se différenciaient de celles utilisées pour la reproduction par leur hydropériode qui était généralement plus longue (assèchement peu fréquent ou mare permanente), par leur ensoleillement moins important et par un recouvrement de la végétation élevé. En outre, nous avons remarqué l’utilisation de ces milieux aquatiques, lorsque les mares temporaires utilisées pour la reproduction s’étaient asséchées. De telles observations avaient déjà été mentionnées dans d’autres études (p.ex. Barandun 1995, Massemin 2001). Jahn et al. (1996) ont également signalé l’utilisation de pièces d’eau temporaires et bien ensoleillées pour la reproduction, tandis que des milieux aquatiques plus profonds, ombragés et riches en végétation étaient apparemment utilisés pour l’alimentation. Toutes ces données illustrent parfaitement le concept de complémentation du paysage (‘Landscape complementation’, Dunning et al. 1992) chez le Sonneur à ventre jaune, c’est-à-dire la proximité dans un paysage de plusieurs types d’habitats, indispensables à l’espèce, et la possibilité pour les individus de se déplacer facilement entre ces habitats (Taylor et al. 1993). 145 Discussion, conclusion et perspectives 5.2. Quelques recommandations pour la conservation du Sonneur à ventre jaune Les nouvelles connaissances apportées par ce travail permettent d’orienter les futurs efforts de gestion pour la conservation du Sonneur à ventre jaune dans le nord-est de la France. Nous suggérons de prendre en compte l’habitat de l’espèce dans sa globalité et de ne pas restreindre la gestion aux mares temporaires utilisées pour la reproduction : une attention particulière doit être attribuée aux refuges potentiels (aquatiques et terrestres), au contexte paysager et à la connectivité. 5.2.1. Le Sonneur à ventre jaune et les activités humaines : la nécessité de trouver des compromis La persistance d’une population de Sonneurs à ventre jaune dépend du maintien d’une dynamique de perturbations naturelle ou artificielle, qui permet la création ou le renouvellement, de manière constante, de pièces d’eau favorables à la reproduction. Aujourd’hui, cette dynamique est rarement naturelle : elle est généralement liée à des activités économiques telles que la sylviculture ou l’exploitation de carrières. Dans ces systèmes perturbés par l’Homme, l’enjeu est de trouver un juste équilibre entre des contraintes économiques et les besoins de conservation. Dans les forêts françaises, le Sonneur à ventre jaune a colonisé les ornières créées par l’activité de débardage et les flaques sur les places de stockage du bois. Ces deux types de mares temporaires lui sont favorables. Cependant, l’intensification croissante de la production de bois et les changements de pratiques sylviculturales pourraient fortement nuire à ses populations à plus ou moins long terme. En effet, deux menaces importantes contribuent à la perte des pièces d’eau utilisées par l’espèce pour la reproduction : le comblement des ornières et l’empierrement des chemins et des places de stockage du bois. Dans plusieurs forêts domaniales du nord-est de la France, nous avons constaté a plusieurs reprises le comblement, en période de reproduction, de pièces d’eau utilisées par l’espèce. Cette perte d’habitat était parfois accompagnée d’une destruction de pontes et d’une mortalité infligée aux stades 146 Discussion, conclusion et perspectives larvaires, juvéniles et même adultes. Ainsi, il est possible que les ornières constituent des « pièges écologiques », en attirant des individus qui s’y reproduisent avant qu’elles ne soient détruites par comblement. Si une mauvaise réussite de la reproduction liée à de tels évènements peut être compensée à long terme par une longévité élevée de l’espèce (Barandun 1992), en revanche, la mortalité adulte pourrait avoir de lourdes conséquences sur la persistance des populations. Au cours de notre étude, nous avons également constaté que les flaques localisées sur les places de stockage du bois constituent probablement un habitat de meilleure qualité que les ornières. En effet, nous y avons observé des effectifs d’individus plus importants et une meilleure réussite de la reproduction que dans les ornières. De plus, une philopatrie importante a été constatée dans ces pièces d’eau. Malheureusement, elles sont de plus en plus souvent détruites par empierrement. Dans les forêts du nord-est de la France, les mares temporaires propices pour la reproduction du Sonneur à ventre jaune sont donc de plus en plus rares. La création de mares de substitution, souvent préconisée, ne serait une solution appropriée qu’en étant accompagnée de gros efforts de gestion, permettant de renouveler régulièrement les pièces d’eau et d’éviter qu’elles ne s’atterrissent naturellement. Ce type de solution sera donc particulièrement contraignant pour le gestionnaire. L’enjeu actuel n’est donc peut-être pas de créer des mares compensatoires pour atténuer l’effet de la perte de l’habitat causée par le comblement des ornières et l’empierrement. En effet, il serait plus parcimonieux de trouver des compromis permettant à l’espèce de continuer à profiter des dynamiques de perturbations engendrées par les activités humaines, plutôt que d’opter pour des solutions alternatives qui seraient beaucoup plus contraignantes et qui ne réduiraient sans doute pas la mortalité. Les gestionnaires forestiers ont une lourde responsabilité dans ce contexte, puisque le Sonneur à ventre jaune ne se maintient plus qu’en forêt dans certaines régions. 5.2.2. Maintenir une hétérogénéité de l’habitat depuis les mares jusqu’au paysage Sur la base des résultats obtenus dans les chapitres 2 et 3, dans le cadre d’une création de pièces d’eau pour le Sonneur à ventre jaune, nous suggérons non pas de créer un réseau de mares mais plutôt un réseau de groupes de mares, c’est-à-dire des mares réparties en 147 Discussion, conclusion et perspectives agrégats dans le paysage. En effet, cette stratégie de gestion serait calquée sur les particularités biologiques de l’espèce et lui permettraient de répartir plus facilement ses pontes dans des mares proches et de minimiser les effets de la compétition à la fois intra- et interspécifique en laissant la possibilité aux individus de changer de sites aquatiques plus facilement. Dans l’idéal, ces mares devraient être hétérogènes et avoir une hydropériode, un ensoleillement, une profondeur et un recouvrement par la végétation variables. De plus, ces mares devraient pouvoir être renouvelées régulièrement, la principale contrainte étant le maintien d’une dynamique de perturbation. À l’échelle du paysage, nous avons montré dans le chapitre 4 que l’occupation des sols était importante et en particulier la forte disponibilité en forêts et en prairies. Au contraire, la présence du Sonneur à ventre jaune était généralement associée à une faible superficie en cultures. L’idéal pour conserver l’espèce est de garder un paysage hétérogène, constitué majoritairement de forêts et de prairies. De plus, il convient de préserver le réseau hydrographique et en particulier les sources. 5.3. Perspectives Les perspectives à l’issue de ce travail sont nombreuses. En effet, si les résultats obtenus ont permis de mieux comprendre certains aspects de la biologie du Sonneur à ventre jaune et, en particulier, la dimension paysagère de la sélection de l’habitat, ils permettent également de soulever des questions qui pourraient être abordées dans des études futures. 5.3.1. Comportement de déplacement et utilisation de l’habitat terrestre Grâce à la CMR, nous avons pu étudier les patrons de déplacements des individus et les échanges entre mares. Cependant, même utilisée de manière intensive, la CMR comporte des limitations importantes. En dehors des problèmes liés à l’échelle d’observation (i.e. zone d’étude trop restreinte) déjà évoqués précédemment, elle ne permet pas d’étudier précisément le comportement des individus en déplacement car elle ne fournit que des données fragmentaires (point de départ et d’arrivée). Les données qui concernent l’utilisation de 148 Discussion, conclusion et perspectives l’habitat terrestre sont plus difficiles à obtenir. Néanmoins, elles sont importantes car elles peuvent aider à définir des « zones tampons » pour protéger l’habitat de l’espèce autour des mares qu’elle utilise (Semlitsch 1998). D’autre part, la connaissance du comportement de déplacement des individus dans la matrice paysagère est aussi très importante pour pouvoir prendre en compte la connectivité dans les programmes de conservation. Il apparaît donc important de mieux comprendre comment les individus se déplacent dans un paysage et comment la matrice paysagère influence leurs déplacements. Deux approches peuvent être envisagées pour cela. La première consiste à réaliser des expérimentations en conditions naturelles, seminaturelles (enclos) ou en laboratoire, visant à manipuler ou à recréer une matrice paysagère (substrat, structure et composition de la végétation…) et à mesurer les réponses comportementales des individus (Stevens et al. 2004, Mazerolle et Desrochers 2005, Patrick et al. 2008) : vitesse de déplacement, orientation, distance parcourue, succès de colonisation d’une mare… La deuxième approche consiste à suivre les individus en déplacements dans leur environnement naturel. Ainsi, il est possible d’étudier directement leur comportement dans la matrice, ce qui peut permettre de quantifier le degré de perméabilité associé à une structure paysagère particulière. La méthode la plus couramment employée pour pister les individus est la radio-télémétrie. Son utilisation sur les petites espèces d’amphibiens est limitée par le poids de l’émetteur et du système de fixation mais aussi par la durée de vie de la batterie (Rowley et Alford 2007). En effet, il est conseillé de ne pas dépasser 10% de la masse corporelle de l’animal (Richards et al. 1994). Cependant, des progrès technologiques récents ont permis une miniaturisation des émetteurs (Naef-Daenzer et al. 2005). Nous avons expérimenté cette technique sur le Sonneur à venter jaune à la fin de l’été 2007 dans le cadre d’une étude préliminaire menée sur un très petit échantillon d’individus adultes (trois femelles et deux mâles) ayant une masse corporelle supérieure à 6 g. Dans cette étude, la radio-télémétrie a été utilisée pour tenter d’identifier les sites d’hivernage de ces individus. Les émetteurs, d’un poids de 0.4 g, ont été fixés extérieurement à l’aide d’un élastique en latex (Figure 5-1). Deux des individus ont rapidement perdu leur émetteur. Les trois autres (deux femelles et un mâle) ont pu être suivis plus longtemps. L’une de ces deux femelles a perdu son émetteur après une semaine. Au cours de cette semaine, elle s’est déplacée dans un rayon de cinq mètres autour de sa mare de capture, dans laquelle elle passait la majorité de son temps. Cette femelle a 149 Discussion, conclusion et perspectives néanmoins été observée dans des galeries de rongeurs situées sous un buisson de Calluna vulgaris (Figure 5-2A). Figure 5-1 : Individu mâle équipé d’un émetteur. Les deux autres individus (un mâle et une femelle) ont été suivis pendant toute la durée de vie de la batterie de l’émetteur (environ 1 mois) et ils se sont déplacés de plusieurs centaines de mètres (respectivement 315 mètres et 450 mètres) au cours d’une seule nuit, depuis la mare dans laquelle ils avaient été capturés, pour rejoindre chacun un site d’hivernage différent. Dans les deux cas, il s’agissait d’un talus comprenant des fissures et des galeries de rongeurs (Figures 5-2B et 5-2C). Cet essai a permis de mettre au point le protocole, en particulier le mode de fixation de l’émetteur et de vérifier que la technique était sûre pour l’animal suivi. Le test s’est avéré concluant dans la mesure où nous avons recapturé quatre des cinq individus suivis au cours de la saison suivante. Ces quatre individus ont été retrouvés sur leur sites de reproduction de l’année précédente. Ils ne disposaient plus de leur émetteur et ils ne présentaient aucune blessure apparente. 150 Discussion, conclusion et perspectives A B C Figure 5-2 : Expérimentation de la radio-télémétrie sur le Sonneur à ventre jaune en septembre 2007 dans la forêt de la Croix-aux-Bois (Ardennes). A : une femelle explorant des galeries de rongeurs sous un buisson de callunes (Calluna vulgaris), peu avant de perdre son émetteur ; B : une autre femelle à l’entrée d’une galerie de rongeur dans un talus ; C : un mâle (même individu qu’à la page précédente) à l’entrée de son gîte dans un talus. 151 Discussion, conclusion et perspectives 5.3.2. Génétique, échelles et conservation Pour que les actions de conservation soient efficaces, il est nécessaire d’identifier l’échelle spatiale la mieux appropriée pour intervenir. Pour cela, la connaissance de la structure spatiale des populations apparaît essentielle (voir chapitre 2). Elle peut permettre de définir des Unités de Gestion (‘Management Units’), c’est-à-dire des zones géographiques échangeant peu d’individus avec d’autres zones adjacentes et qui peuvent être gérées séparément (Taylor et Dizon 1999, Palsbøll et al. 2006). Dans le cas de la forêt domaniale de la Croix-aux-Bois, en tenant compte de son isolement par rapport aux autres localités de présence du Sonneur à ventre jaune les plus proches (environ 30 km), ainsi que des déplacements des individus obtenus par CMR, l’unité de gestion peut être assimilée au massif forestier dans son ensemble. En effet, les individus présents dans ce massif forestier forment très probablement une unité démographiquement isolée. Cependant, la CMR ne permet pas de faire la différence entre des déplacements d’individus et des flux de gènes et elle sous-estime les dispersions de longue distance. Il est donc préférable d’utiliser la génétique de manière complémentaire pour délimiter les unités de gestion. Des études récentes, basées sur des tests d’affectation (‘Assignment Tests’, Manel et al. 2005) ont permis de définir la structure spatiale de populations d’amphibiens ou d’étudier les migrations entre les mares en se basant sur l’information génétique (Andersen et al. 2004, Jehle et al. 2005). Ces techniques, utilisant le maximum de vraisemblance ou la statistique bayésienne, sont adaptées pour étudier les événements génétiques récents. À l’échelle régionale de notre zone d’étude, il serait intéressant de pouvoir estimer l’impact de certaines barrières paysagères sur les flux de gènes. Au cours de la présente étude, nous avons identifié deux types de barrières potentielles pour la dispersion des sonneurs à ventre jaune dans la région étudiée, des autoroutes et des grands cours d’eau. Les cours d’eau, pourraient jouer un rôle double. Ils pourraient à la fois empêcher le flux de gène d’une rive à une autre et faire office de corridor en reliant des populations éloignées situées le long d’une rive. L’existence de localités de présence situées de part et d’autre de ces cours d’eau, dont la largeur et le débit diffèrent, permet d’envisager une étude visant à tester l’effet de ces barrières potentielles sur la connectivité. À une échelle plus fine, la génétique pourrait aussi nous permettre de déterminer le « voisinage écologique » des mares, c’est-à-dire la distance en dessous de laquelle des mares 152 Discussion, conclusion et perspectives peuvent être considérées comme appartenant à un même patch (mares « connectées »). Ceci permettrait donc de délimiter les patchs. C’est ce que Scribner et al. (2001) ont pu étudier chez Bufo bufo, en s’intéressant à l’autocorrélation spatiale des fréquences alléliques. 5.4. Conclusion Le Sonneur à ventre jaune constitue un modèle biologique à la fois complexe et très intéressant, en particulier pour aborder les problèmes d’échelles. L’étude de la sélection de son habitat illustre parfaitement l’un des défis majeurs auquel est confronté l’écologiste : celui de pouvoir extraire des tendances dans la structure et dans le fonctionnement des systèmes écologiques, qui sont caractérisés par une variabilité naturelle engendrant un « bruit de fond » à tous les niveaux d’organisation (Barbault 1992). Dans ce travail, en nous positionnant à différentes fenêtres d’observation, nous avons étudié les réponses du Sonneur à ventre jaune face à l’hétérogénéité spatiale et temporelle de son habitat. Par ailleurs, nous apportons de nouveaux éléments justifiant la prise en compte du contexte paysager aussi bien pour l’étude que pour la conservation des populations d’amphibiens. Néanmoins, des études à long terme sont requises pour compléter ces résultats préliminaires. De plus, si les méthodes employées sont transposables à d’autres espèces ou régions, les résultats ne le sont pas directement, ce qui souligne la nécessité de mener des études spécifiques d’une espèce et d’une région. En appliquant les mêmes méthodes à d’autres zones géographiques, il sera possible d’établir des comparaisons qui enrichiront nos connaissances et qui permettront d’optimiser les programmes de conservation. 153 Discussion, conclusion et perspectives 154 Bibliographie BIBLIOGRAPHIE 155 Bibliographie 156 Bibliographie A Abbühl, R., 1991. Untersuchungen zur Bestandessituation und habitatpräferenzen der Gelbbauchunke (Bombina variegata) in der Region von Basel. Diploma thesis, Universität Basel. Abbühl, R., Durrer, H., 1992. Seasonal independent sex determinant feature of the yellow bellied toad (Bombina variegata variegata, L.1758). In: Korsós, Z., Kiss, I. 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Cependant, la reconnaissance individuelle peut s’avérer laborieuse lorsque le nombre d’individus suivis est important. Dans le patron de coloration ventral des individus, il existe des taches dont la forme et la configuration sont hautement variables et, à l’inverse, certaines taches sont communes à un grand nombre d’individus. Ces dernières peuvent être utilisées pour rassembler les individus en fonction de leurs ressemblances. Il est possible d’obtenir un nombre relativement important de combinaisons en fonction de l’occurrence de ces taches ou de leur forme. Abbühl et Durrer (1993) ont ainsi proposé un système de classification dichotomique similaire à une clé de détermination, pour classer les individus dans des groupes sur la base de ces attributs (Figure A1). Cette clé consiste à examiner successivement les taches noires se situant au niveau du bas-ventre (Urostylband), sur la poitrine (Brustband) puis sur la gorge (Kehlband). Ainsi, Abbühl et Durrer ont défini 10 groupes de patrons ventraux dans lesquels les individus peuvent être classés. Massemin (1999)10, a proposé d’utiliser une « formule ventrale », en notant si le jaune du ventre est lié au jaune des cuisses (ce qui revient à noter la présence ou l’absence d’une bande noire ventrale continue) et en comptant les taches noires du ventre séparées les unes des autres par du jaune. Nous avons utilisé des critères ventraux similaires pour reconnaître les individus au cours du suivi mené par CMR dans le massif forestier de la Croix-aux-Bois. Dans un premier temps, nous avons appliqué une méthode de tri des individus basée sur ces critères, en créant un catalogue rassemblant les photographies des individus. Cependant, il s’est avéré très difficile et surtout très long de retrouver un individu marqué dans ce catalogue, dès lors que l’effectif d’individus suivis dépassait plusieurs centaines d’individus. Ceci m’a motivé à construire un système d’ « aide à l’identification » des individus assisté par ordinateur. Il ne s’agit en aucun cas d’un programme automatisé basé sur une analyse d’images mais simplement d’une base 10 Massemin, D., 1999. Note sur quelques critères de reconnaissance individuelle des sonneurs à ventre jaune Bombina variegata. La Lettre du Sonneur 3: 8. 183 Annexes de données construite avec le logiciel Access, dans laquelle un système de tri des individus a été incorporé. Figure A1-1 : Clé dichotomique proposée par Abbhül et Durrer (1993) pour classer les individus sur la base de leur patron de coloration ventrale Cette base de donnée a permis de rassembler toutes les données issues du suivi démographique et de la caractérisation de l’habitat. Les photographies numériques étaient réalisées sur le terrain en plaçant l’individu dans un boîtier à compact disque transparent11, sous lequel était disposée une échelle graduée, permettant de mesurer la taille des individus sur un ordinateur à l’aide d’un logiciel d’analyse d’image (Figure A1-2). Un formulaire a été 11 En raison des risques de contamination par des maladies infectieuses, un boîtier CD n’était utilisé que pour une seule localité. 184 Annexes spécialement conçu pour saisir les caractéristiques des individus capturés (sexe, âge, date et lieu de capture…) et pour chaque individu, une photographie était placée dans ce formulaire (Figure A1-3). Figure A1-2 : Photographie d’un individu capturé lors d’une session de CMR. Les pointillés rouges délimitent deux taches noires latérales de la poitrine qui sont présentes chez presque tous les individus. Sept critères ont été utilisés pour classer les individus dans la base de données (Figure A1-3) : (1) l’existence d’une bande ventrale noire ininterrompue (Bande Ventrale, BV) ; (2) l’existence d’une bande noire liant le cloaque à la bande ventrale (Lien Central Bas, LCB) ; (3) l’existence d’un lien entre la tache latérale droite de la poitrine et la bande noire de la gorge (Lien Haut Droit, LHD) ; (4) l’existence d’un lien entre la tache latérale gauche de la poitrine et la bande noire de la gorge (Lien Haut Gauche, LHG) ; (5) l’existence d’une « cravate » partant de la bande noire de la gorge et s’étendant sans interruption jusqu’au milieu des deux taches latérales de la poitrine (Lien Central, LC) ; (6) l’existence d’un lien entre la base de la « cravate » et la tache latérale droite de la poitrine (Lien Bas Droit, LBD) ; (7) l’existence d’un lien entre la base de la « cravate » et la tache latérale gauche de la poitrine (Lien Bas Gauche, LBG). Ces critères correspondent à des données binaires (oui/non). En tout, ils permettent d’obtenir 96 combinaisons, soit 96 groupes dans lesquels les individus peuvent être classés. La répartition des effectifs dans ces combinaisons n’est pas homogène : certaines combinaisons de critères sont communes tandis que d’autres sont rares. 185 Annexes Figure A1-3 : Formulaire utilisé pour la reconnaissance individuelle. En haut : formulaire permettant de gérer l’ajout de nouveaux individus et d’effectuer des requêtes pour identifier un individu marqué. En bas : Agrandissement de la partie du formulaire consacrée à la reconnaissance individuelle. Le dessin de Sonneur à ventre jaune représente les 7 critères utilisés pour le tri des individus. Une requête est réalisée en cochant les cases correspondant aux critères observés sur une photographie prise sur le terrain. La figure A1-4 présente la distribution de 600 individus capturés dans le nord-est de la France, dans les 96 combinaisons de critères du patron ventral. L’effectif maximal obtenu pour un groupe est de 37 individus, tandis que 23 groupes ne contiennent aucun individu. Des requêtes permettent de rechercher un individu dans la base de donnée. Pour cela, il suffit de cocher ou non les cases qui correspondent aux 7 critères. La base de donnée filtre alors tous les individus qui correspondent à la requête et la photographie du patron ventral de ces individus est affichée. Ainsi, il est possible de comparer directement les photographies proposées par la requête à celle de l’individu que l’on souhaite identifier. Un autre avantage de ce système de requêtes réside dans la possibilité de formuler des incertitudes lorsqu’un critère est peu visible (p.ex. photographie de mauvaise qualité ou replis 186 Annexes cutané empêchant de visualiser un critère). Dans ce cas, le filtre retient les deux modalités du critère (« oui » et « non »). Figure A1-4 : Distribution des effectifs de 600 individus dans les 96 combinaisons de critères du patron ventral utilisés. Enfin, il est également possible d’ajouter d’autres critères permettant de reconnaître un individu facilement tels que la présence d’une blessure par exemple. Il est aussi possible de trier par le sexe, par l’âge ou encore par un critère qui concerne la localité de capture (département, commune, lieu-dit…). Actuellement, notre base de données contient plus de 1200 individus et l’identification individuelle reste néanmoins relativement rapide. Le principal facteur limitant de ce système est la qualité des photographies. L’idéal est d’adopter un protocole standardisé pour que la position des individus soit toujours la même et surtout qu’il n’y ait aucun repli cutané sur le ventre (d’où l’utilisation du boîtier CD dans notre cas). Dans le cadre d’autres suivis de populations du Sonneur à ventre jaune, notamment en Allemagne, des systèmes plus élaborés ont été conçus pour que la distance entre l’individu et l’objectif soit constante. Des exemples peuvent être trouvés dans Jahn et al. (1996) et dans Buschmann et al. (2006)12. Pour conclure, bien qu’il ne s’agisse pas d’un programme automatisé, ce système d’aide à l’identification des individus s’est avéré performant et fiable. Il nous a d’ailleurs permis de détecter de nombreux doublons dans notre catalogue de photographies de départ, qui auraient 12 Buschmann, H., Scheel, B., Brandt, T., 2006. Amphibien und Reptilien im Schaumburger Land und am Steinhuder Meer. Verlag Natur & Text, Rangsdorf (p. 172-173) 187 Annexes pu biaiser notre analyse. Enfin, son utilisation nous a apporté un gain de temps non négligeable dans le cadre de notre suivi par Capture-Marquage-Recapture. 188 Annexes 189 Annexes ANNEXE 2 : L’Analyse Factorielle de la Niche Écologique (ENFA) L’Analyse Factorielle de la Niche Ecologique (‘Ecological Niche Factor Analysis’, ENFA) est une méthode récente qui a été développée spécialement pour modéliser la qualité de l’habitat (ou l’ « habitat potentiel ») d’une espèce à partir de données de présence seules (Hirzel et al. 2002). En effet, les données d’absence sont souvent difficiles à obtenir dans les échantillonnages et il existe un risque généralement important de ne pas détecter une espèce alors qu’elle est présente (« fausse absence », MacKenzie et al. 2002). De plus, pour des raisons historiques, une espèce peut être absente d’une zone dans laquelle l’habitat lui est favorable et l’absence ne reflète donc pas forcément une mauvaise qualité de l’habitat. L’ENFA permet de contourner ces difficultés en ne s’appuyant que sur des données de présence pour inférer la qualité de l’habitat. Hirzel et al. (2002), ont fondé cette méthode en se basant sur le paradigme de niche écologique développé par Hutchinson (1957). La niche écologique, selon Hutchinson (1957), représente un espace écologique multidimensionnel (hypervolume), dont chaque dimension est définie par des variables environnementales et qui délimite les facteurs limitants pour la persistance d’une espèce. Le principe général de l’ENFA consiste à comparer les conditions environnementales « moyennes » d’une zone d’étude, définissant un espace écologique « disponible », aux conditions environnementales des localisations géographiques où l’espèce est présente dans la zone d’étude qui représentent l’espace écologique « utilisé » (Figure A2-1). Dans un espace multivarié formé par les variables environnementales qui décrivent la zone d’étude, la distance entre le barycentre de l’espace écologique utilisé par l’espèce et le barycentre de l’espace écologique disponible, constitue la marginalité (M sur la figure A2-1), tandis que le rapport entre la variance de l’espace disponible et la variance de l’espace utilisé représente la spécialisation (S sur la figure A2-1). Comme dans une Analyse en Composantes Principales, l’ENFA permet d’extraire des axes factoriels qui résument l’information. Le premier axe qui est extrait maximise l’éloignement des barycentres et il mesure ainsi la marginalité. Les axes suivants représentent les dimensions qui permettent de maximiser le rapport des variances, et ils permettent ainsi d’identifier les variables qui contribuent à réduire la niche écologique de l’espèce, ce qui correspond à une spécialisation. 190 Annexes Figure A2-1 : Représentation du principe de l’ENFA. M représente l’axe de marginalité. Il passe par les barycentres de l’espace écologique disponible (ellipse bleue) et de l’espace écologique utilisé (ellipse rouge). S représente l’un des axes de spécialisation L’ENFA est utilisée principalement pour construire des cartes de qualité de l’habitat (‘Habitat Suitability Map’), qui répondent à la question « Où l’espèce peut-elle s’établir dans la zone étudiée ? ». Ces cartes constituent ainsi de précieux outils de prise de décision pour les gestionnaires. Cependant, comme le soulignent Basille et al. (2008), l’ENFA peut aussi être utilisée pour répondre à la question « Quelles sont les conditions environnementales recherchées par l’espèce ? ». 191