MISE À JOUR FISCALE SUR LA DÉDUCTIBILITÉ DES INTÉRÊTS
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MISE À JOUR FISCALE SUR LA DÉDUCTIBILITÉ DES INTÉRÊTS
MISE À JOUR FISCALE SUR LA DÉDUCTIBILITÉ DES INTÉRÊTS ET INCIDENCES SUR LES STRATÉGIES FINANCIÈRES Jean-François Pelland, avocat, D.E.S.S. Fisc. Mendelsohn TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION......................................................................................................................... 1 1. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES .................................................... 2 2. DÉCISIONS JURISPRUDENTIELLES RÉCENTES.................................................. 3 3. NOUVELLES MESURES LÉGISLATIVES................................................................. 7 3.1 NOUVELLES DISPOSITIONS FÉDÉRALES ................................................................. 7 3.2 BULLETIN D'INTERPRÉTATION IT-533 ...................................................................... 9 3.2.1 Fin de l’emprunt...................................................................................................... 9 3.2.2 Définition de revenu ............................................................................................... 9 3.2.3 Restructuration d’emprunt .................................................................................... 10 3.2.4 Utilisation des fonds ............................................................................................. 10 3.3 NOUVELLES DISPOSITIONS PROVINCIALES ......................................................... 11 4. INCIDENCES PRATIQUES DES NOUVELLES MESURES LÉGISLATIVES ... 13 MISE À JOUR FISCALE SUR LA DÉDUCTIBILITÉ DES INTÉRÊTS ET INCIDENCES SUR LES STRATÉGIES FINANCIÈRES Jean-François Pelland, avocat, D.E.S.S. Fisc. Mendelsohn INTRODUCTION Sans trop d’exagération, l’auteur de ces lignes serait presque tenté d’affirmer que la déductibilité des intérêts a constitué et constitue toujours l’un des enjeux fiscaux majeurs de ce nouveau millénaire à en juger par la densité des développements jurisprudentiels, législatifs et doctrinaux qui sont survenus à ce sujet au cours des dernières années. D’ailleurs, au moment même d’écrire ces lignes, plusieurs débats de société font vraisemblablement toujours rage au sein de la communauté fiscale canadienne quant à l’introduction de nouvelles mesures législatives y relatives. Or, dans l’intervalle, plusieurs praticiens demeurent aux prises avec des problèmes réels et cherchent des éléments concrets de solutions en relation avec la mise en place de nouvelles planifications financières comportant le paiement d’un intérêt sur de l’argent emprunté ou sont tout simplement inquiets du traitement fiscal qui sera réservé après l’année d’imposition 2004 quant à la déductibilité de l’intérêt payé en relation avec certaines planifications financières déjà en place. L’objet du présent texte vise donc à tenter de synthétiser certaines règles d’application générale en matière de déductibilité des intérêts et qui découlent tant de la jurisprudence récente que des modifications législatives qui en ont résultées. L’auteur n’aura cependant pas la prétention de traiter de façon exhaustive de toutes les questions théoriques qui ont été débattues durant cette période tant devant les tribunaux qu’au ministère des Finances du Canada et du Québec mais tentera plutôt, après avoir effectué un bilan très sommaire des décisions récentes de la Cour suprême du Canada et des modifications législatives adoptées ou proposées, de dresser un portrait des résultats connus ainsi que des zones d’incertitude qui subsistent ou qui ont été créées, le tout afin de tenter d’éclairer le praticien appelé à implanter des stratégies financières impliquant le paiement d’intérêt. 1 Pour ceux qui désirent bénéficier d’une analyse plus technique de la question, l’auteur vous réfère dans son infinie générosité à certains des nombreux textes parus durant les dernières années à cet égard, qui ont largement inspiré la présente réflexion et qui ont certes contribué à l’avancement du droit beaucoup plus que le présent texte.1 1. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES2 Comme nous le verrons ci-après, et tel qu’il a été confirmé par la Cour suprême dans la décision Gifford dont nous traiterons subséquemment, même si ces dispositions ne constituent pas un code législatif exhaustif quant à la déductibilité des intérêts, il n’en demeure pas moins que les dispositions législatives les plus fréquemment applicables en pareille matière sont celles prévues à l’alinéa 8(1)(g) L.I.R. ainsi qu’a l’alinéa 20(1)(c) L.I.R. qui se lisent comme suit : h Ainsi, les alinéas 8(1)(f) ou 18(1)(a) pourraient par ailleurs trouver application et se lisent comme suit : h 1 L’auteur tient à remercier monsieur Alain Laplante pour sa précieuse collaboration à la recherche de ce texte ainsi que monsieur Gilles Chevalier pour sa précieuse collaboration quant à sa structure. L’auteur suggère notamment la consultation des textes suivants, outre le texte de M. Alain Léonard présenté concurremment aux présentes dans le cadre du présent congrès : Mélanie BEAULIEU « Gifford c. Canada et la saga de la déductibilité des intérêts continue », (2004), vol. 25 no 2 Revue de planification fiscale et successorale, pp. 389399; CICA-CBA Joint Committee on Taxation, "Submission on the October 31, 2003 Draft Proposal Regarding the Deductibility of Interest under Expenses"; Paul Tamaki, Interest Deductibility Canadian Tax Foundation 55th Tax Conference 2003; John SAUNDERS, 2003 British Columbia Tax Conference The Empire Strikes Back - The Rebirth of the Reasonable Expectation of Profit Test; BERNSTEIN, Jack, « InterestDeductibility after Ludco and Singleton », Tax Profile, October 2001; Jean-Guillaume SHONER, « Déductibilité des intérêts, des frais financiers et autres paiements de l’entreprises en difficulté » dans APFF Colloque 132 – Créativité financière pour l’entreprise québécoise; LABREQUE, Simon, « Nouveautés relatives à la déductibilité des intérêts », Collection APFF – Planification financière, retraite et succession, Stratège 2003, Stratège vol. 8, no 4. 2 Aux fins des présentes, nous avons uniquement reproduit les dispositions législatives fédérales mais celles-ci incluent par référence le texte des dispositions législatives applicables au Québec soit en l’occurrence principalement celui des articles h de la L.I. Sous réserve de tout commentaire spécifique à l’effet contraire, les commentaires énoncés au présent texte s’applique mutatis mutandis quant à la déductibilité des intérêts aux fins du Québec. 2 Nous ne reprendrons pas ici l’analyse de chacun des éléments de base de chacune de ces dispositions qui a par ailleurs été effectuée par de nombreux auteurs dans le passé, incluant notamment ceux mentionnés ci-avant. Nous verrons cependant, suite à l’étude des décisions jurisprudentielles récentes effectuée ci-après, comment ces dispositions ont été ou se proposent d’être modifiées par les autorités législatives compétentes. 2. DÉCISIONS JURISPRUDENTIELLES RÉCENTES Le tableau qui suit présente, par ordre chronologique, de façon très, très, très, très sommaire la jurisprudence récente émise par la Cour suprême du Canada en relation avec la déductibilité des intérêts et est présenté simplement à des fins de rappel historique. Nous invitons le lecteur à prendre connaissance personnellement de chacune de ces décisions jurisprudentielles ainsi qu'à consulter l’un des textes de référence mentionnés ci-avant afin d’en avoir une compréhension approfondie. Parties Résumé des faits et questions en litige La Reine Le contribuable effectue un retrait de La c. capital de sa firme d’avocat, utilise le suprême Singleton3 produit de son retrait afin de payer conclu que direct Principe établi Cour En l’absence de fraude, a on doit considérer l’usage des fonds l’hypothèque de sa résidence principale l’intérêt est empruntés selon les et emprunte le même jour une somme déductible. transactions telles que équivalent au retrait de capital (et de structurées sur le plan l'hypothèque) afin de réinvestir au sein strictement légal et non de son cabinet. en essayant d’identifier Principale question en litige – l’intérêt une payable quant à de l’argent emprunté véritable pour une fin admissible (injection de contribuable. capital dans une firme professionnelle) 3 Décision [2001] 2 R.C.S. 1046. 3 fin économique pour le est-il déductible bien qu’il remplace un intérêt payable à l’égard d’une fin non admissible (prêt hypothécaire) en considération de la théorie de la véritable commercialité de la transaction. Ludco c. Le contribuable a encouru des intérêts à La La Reine4 l’égard de l’argent emprunté Cour Même afin suprême s’il a clairement a été établi que d’acquérir des actions ordinaires dans le conclu que l’acquisition des actions capital social de corporations non l’intérêt est ordinaires visait résidentes structurées de telle façon à ce déductible. principalement à reporter que les fonds ainsi souscrits soient l’impôt canadien et à investis convertir par les corporations non les revenus résidentes afin de générer pour ses d’intérêt qui auraient été dernières un revenu d’intérêt assujetti à pleinement un impôt nominal ou inexistant et dont annuellement imposables une portion minimale est dans les faits en un gain capital à taux redistribuée au contribuable sous forme d’inclusion moindre et à de dividende, le taux de dividende étant imposition différée par la de beaucoup inférieur au taux d’intérêt réalisation à l'étranger de payé sur l’argent emprunté, de façon à revenus imposés à un ce que l’augmentation de valeur ainsi taux créée permette au contribuable de inférieur tout en limitant disposer le paiement de dividende ultérieurement des actions et d’imposition ordinaires de façon à réaliser un gain en au Canada, la Cour capital substantiel. conclut que le sous-alinéa 20(1)(c)(i), ne requérait pas que l’objet principal, 4 [2001] 2 R.C.S. 1082. 4 exclusif ou dominant du contribuable soit de gagner un revenu mais qu’il suffisait qu’un tel revenu soit gagné même s’il était combiné à la réalisation d’un gain en capital. La Cour établit de plus que ce sous- paragraphe ne supporte pas l’interprétation requérant la réalisation d’un profit ou d’un revenu net, c’est-à-dire un revenu excédant le taux d’intérêt payé sur l’argent emprunté pour faire l’acquisition des actions ordinaires. La Reine La déductibilité de l’intérêt relatif à La c. Walls5 l’achat d’un actif exploité à perte est suprême et contestée au motif que l’actif n’était pas conclu que d’usage ou d’avantage Stuart c. La Reine6 exploité avec une Cour En l’absence de a l’existence d’un élément expectative l’intérêt est personnel, la question de raisonnable de profit et, par conséquent, déductible. l’expectative raisonnable que l’argent emprunté n’avait pas été de profit ne se pose pas emprunté en vue d’obtenir une source de quant à l’existence d’une revenu. source de revenu et 5 [2002] 2 R.C.S. 684. 6 [2002] 2 R.C.S. 645. Les faits et les motifs de ces deux causes étant passablement similaires, nous avons choisi de les présenter ensemble. 5 conséquemment intérêts les relatifs à de l’argent emprunté pour acquérir telle source de revenu, même si elle ne rencontre pas le test de l’expectative raisonnable de profits, sont déductibles. Gifford c. 7 Canada Le contribuable, un conseiller financier, La Cour La Cour établit qu’il ne a emprunté de l’argent pour acquérir la Suprême a s’agissait liste des clients d’un collègue. Les conclu à la paiement pas au d’un titre de paiements ont été versés au titre du déductibilité capital mais plutôt d’un capital mais les intérêts sont-ils des intérêts. déductibles? paiement de nature courante étant déductible comme tout autre paiement de telle nature, les alinéas 20(1)(c) 8(1)(j) L.I.R. et ne constituant pas un code législatif complet relativement à la déductibilité des intérêts. 7 [2004] C.S.C. 15. 6 3. NOUVELLES MESURES LÉGISLATIVES 3.1 NOUVELLES DISPOSITIONS FÉDÉRALES En réaction, notamment, aux décisions rendues dans les affaires Singleton, Ludco, Stuart et Walls, mentionnées précédemment, le ministère des Finances du Canada publiait en date du 31 octobre 2003 un projet de modification à la Loi de l’impôt sur le revenu (ci-après « L.I.R. ») concernant la déductibilité des intérêts et d’autres dépenses liées à une source et, du même souffle, l’Agence du revenu du Canada (ci-après « ARC ») publiait par la même occasion le Bulletin d’interprétation IT-533 relatif à la déductibilité des intérêts et questions connexes. La nouvelle législation, qui est censée être effective pour les années d’imposition débutant après 2004, repose sur une approche générale qui peut sembler simpliste à prime abord mais qui, dans son essence, nous semble généralement contraire à l’approche jurisprudentielle généralement retenue par les tribunaux quant à l’interprétation de la L.I.R. En effet, plutôt que d’opter pour l’adoption de règles spécifiques et détaillées, le législateur semble avoir opté pour une approche laissant beaucoup de discrétion à l’ARC, en introduisant notamment l’un de ces "tests" d’expectative raisonnable de profit qui a fait par le passé la joie des avocats de litige et qui a parfois rendu certains contribuables moins fortunés ou moins renseignés exposés à des avis de cotisation un tantinet contestables. La législation proposée vise ainsi principalement à limiter la déductibilité des pertes découlant d’une source qui est une charge, un emploi, une entreprise ou un bien, en assujettissant telle déduction à un test annuel basé sur l’expectative raisonnable de tirer un bénéfice cumulatif de telle source durant la période au cours de laquelle elle est exploitée ou détenue ou pourrait raisonnablement l’être. Il est fort important de noter que cette notion de bénéfice cumulatif doit être interprétée compte non tenu de la réalisation d’un gain en capital. Bien que ne s’adressant pas directement en apparence à la déductibilité des intérêts, la nouvelle législation proposée risque cependant d’avoir un effet en relation avec la planification de transactions où un contribuable paie des intérêts sur de l’argent emprunté en vue d’acquérir 7 une source de revenu dans la mesure où l’ARC pourrait, toujours a posteriori et ce à l’égard de chaque année d’imposition, substituer son jugement à celui du contribuable et conclure qu'une source à l'égard de laquelle il a emprunté des fonds ne puisse raisonnablement produire un bénéfice cumulatif. Ainsi, par exemple, une dépense d’intérêt excédant le revenu provenant d’une source et qui serait normalement, avant l'entrée en vigueur des nouvelles mesures législatives proposées, pleinement déductible, par exemple, à l’encontre d’une autre source de revenu, sera ainsi perdue pour la contribuable sur application de la nouvelle législation fédérale proposée. Cette nouvelle règle pourrait avoir un impact significatif important sur la décision de procéder à l’acquisition de certains types de biens ou d’entreprises, notamment ceux dont l’appréciation anticipée se matérialiserait par la réalisation ultime d’un gain en capital supérieur au coût économique réel des intérêts payables sur l’argent emprunté (le taux d’inclusion du gain en capital étant inférieur à celui des autres types de revenus et la dépense d’intérêt étant normalement pleinement déductible à l’encontre, notamment, de d’autres sources de revenus), que l’on pense notamment à la déduction d'intérêt payé en relation avec un emprunt utiliser pour financer l'acquisition d’immeubles locatifs d’appoint qui souvent constituent un fonds de retraite accessible à certains contribuables bien qu’engendrant initialement une perte répétitive mais qui pourra être ultimement compensée par la réalisation d’un gain en capital important lors de la disposition de l’immeuble. Nous traiterons d’ailleurs dans la section suivante du présent texte de d’autres effets pratiques susceptibles de l'adoption des dispositions sous étude à l’égard de planifications financières existantes ou envisagées qui devraient être considérés si elles étaient adoptées telles que présentées. Nous émettons cependant une réserve à l’effet que puisque de nombreux mémoires ont été présentés en relation avec ces propositions législatives par de nombreux groupes de fiscalistes, il est encore passablement tôt pour conclure à leur adoption définitive sous telle forme. 8 3.2 BULLETIN D'INTERPRÉTATION IT-533 Potentiellement en vue de rassurer les fiscalistes et les contribuables quant aux applications potentielles de la nouvelle législation et bien que celle-ci ne soit pas commentée dans ledit bulletin, le nouveau Bulletin d’interprétation IT-533 précise par ailleurs la pensée de l’ARC suite aux différentes décisions jurisprudentielles étudiées ci-avant. Sans reprendre le contenu intégral du bulletin, il est intéressant en matière de déductibilité d’intérêt de souligner certaines positions qui nous apparaissent dignes de mention : 3.2.1 Fin de l’emprunt Au paragraphe 9 du bulletin, l’ARC reprend les conclusions de l’affaire Ludco et prévoit qu’un intérêt sera déductible si compte tenu de toute les circonstances, le contribuable avait au moment de l’investissement une expectative raisonnable de revenu et « qu’en l’absence d’un trompe-l’œil, d’un artifice ou d’autres circonstances viciant l’opération, une fin accessoire poursuivie par le contribuable en effectuant l’investissement peut néanmoins constituer une fin réelle ou véritable, tout aussi susceptible de satisfaire la condition de déductibilité de l’intérêt que toute autre fin principale plus importante ». Or, sans même reprendre certains de nos commentaires antérieurs relatifs aux dangers de l’utilisation d’un test d’expectative raisonnable (les tribunaux partageant généralement nos préoccupations à cet égard), il est à noter que l’une des conclusions importantes de l’arrêt Stuart à l’effet qu’il était présumé exister une expectative de revenu dans la mesure où une activité commerciale poursuivie ne comportait aucun aspect personnel, ne semble pas avoir été retenue par l’ARC, 3.2.2 Définition de revenu Les items 10 et 31 du bulletin d’interprétation reprennent les conclusions de Ludco à l’effet que la notion de revenu s’entend de toute somme qui entre dans le revenu imposable et non nécessairement d'un revenu net, c’est-à-dire un profit par lequel le revenu obtenu est 9 supérieur au coût des dépenses encourues incluant les dépenses d’intérêt. D’ailleurs, au paragraphe 31 du bulletin, l’ARC mentionne par exemple qu’à l’égard d’un placement, incluant un instrument productif d’intérêts ou de dividendes, y compris des actions ordinaires, les dépenses d’intérêt ne seraient pas nécessairement refusées ou restreintes uniquement en fonction du fait que le revenu découlant du placement ne dépasse pas les frais d’intérêt. Or, cette exigence de production d'un revenu nous semble déjà moins évidente à satisfaire à l'égard de l'acquisition d' actions ordinaires qui ne sont pas nécessairement dans les faits susceptibles de générer un revenu de dividendes,, le tout tel qu’amplement souligné par les statistiques présentées par les procureurs des appelants dans l’affaire Ludco démontrant, notamment, qu’une très grande proportion des actions ordinaires cotées à la Bourse de Toronto n’offre aucune expectative raisonnable de recevoir des dividendes! 3.2.3 Restructuration d’emprunt Le paragraphe 15 du bulletin, reprenant essentiellement le stratagème utilisé par Singleton vient apparemment confirmer l’intention de l’ACR de donner effet à la décision de la Cour suprême à cet effet. D’ailleurs, le paragraphe 16 du bulletin valide la pratique développée par certains contribuables d’utiliser des comptes à distincts afin d’effectuer le suivi de l’argent emprunté pour s'assurer qu'il soit légalement reconnu comme afférent à une fin admissible.. 3.2.4 Utilisation des fonds Le paragraphe 17 du bulletin, sur la loi des décisions Canada Safeway, Bronfman Trust et Shell indique que l’utilisation pertinente des fonds empruntés est l’utilisation actuelle et non pas l’utilisation initiale des fonds, ce qui sera d’autant plus le cas avec la nouvelle législation proposée. Or, il est intéressant de mentionner que l’affaire Gifford mentionnée ci-avant contient une conclusion surprenante et à l’effet contraire à l’effet que « nous devons considérer, pour l’application de la loi, uniquement ce que l’emprunt représente pour l’emprunteur au moment où il l’obtient s’en avoir à examiner la façon dont il est dépensé »8. Tel que mentionné par un 8 Id., p. 39. 10 auteur9, cette décision semble défier les positions antérieures adoptées par la Cour suprême mais comme elle s’inclut dans un contexte très particulier, soit celui d’une entreprise dont l’inventaire est constitué d’argent emprunté, nous ne croyons pas qu’elle sera susceptible de modifier la position de l’ARC telle qu’indiquée au Bulletin d’interprétation. 3.3 NOUVELLES DISPOSITIONS PROVINCIALES Pour une rare fois, et à moins de développements ultérieurs contraires, le gouvernement du Québec s’adressait quant à lui à la question de la déductibilité des intérêts non pas en calquant sa législation sur la législation fédérale mais plutôt en adoptant de nouvelles mesures à l’occasion de son budget 2004-2005 tel que présenté le 30 mars 2004. Ainsi, au lieu d’importer un test de limitation des pertes utilisant la notion d’expectative raisonnable, le gouvernement du Québec a plutôt opté pour l’adoption de mesures limitant la déductibilité de certains frais de placement, incluant les intérêts payés sur les emprunts contractés pour acquérir des actifs productifs de revenu passif et ce, à l’exclusion des éléments déductibles pour gagner un revenu actif tel que le revenu provenant d’une entreprise ou de la location d’un bien. Sont ainsi visés par cette nouvelle mesure notamment, les intérêts payés sur un emprunt contracté pour acquérir des obligations, des actions, des unités dans des fiducies et des fonds communs de placement. Ainsi, les frais de placement déductibles pour une année d’imposition seront les frais de placement engagés pour gagner des revenus de placement et ce jusqu’à concurrence des revenus de placement qui auront été gagnés pour cette même année d’imposition. Les frais de placement qui ne pourront être déduits dans une année d’imposition donnée pourront être reportés à l’encontre des revenus de placement gagnés dans une des trois années d’imposition précédentes ou dans toute année d’imposition subséquente et ce, dans la mesure où les revenus de placement gagnés dans l’une ou l’autre de ces années seront supérieurs aux frais qui auront été alors déduits. 9 Joseph FRANKOVIC, « Surpreme Court’s Decision on Interest Deductibility Defies Logic », (2004), no 1673, Tax Topics, Toronto, CCH Canadian, p.41-4. 11 Ainsi, notamment, les frais de placement, soit les frais d’administration de gestion, les frais de garde des actions ou des valeurs mobilières, les honoraires versés à des conseillers en placement, les intérêts payés sur les emprunts contractés pour acquérir des obligations, des actions, des unités dans une fiducie ou de fonds commun seront limités aux revenus de placement provenant notamment et globalement des dividendes imposables de sociétés canadiennes imposables, des intérêts de source canadienne, des gains en capital imposables non admissibles à l’exemption sur les gains en capital imposables, des revenus accumulés d’une police d’assurance vie, des revenus provenant d’une fiducie, etc. Cependant, il est à noter que les revenus provenant de la location d’un bien ne seront pas considérés comme des revenus de placement pour l’application de cette mesure. Cette mesure est applicable à compter du 30 mars 2004 et ce, calculé proportionnellement pour l’année 2004 au nombre de jours écoulés depuis cette date. Une analyse préliminaire de ces positions budgétaires provinciales nous incite à conclure qu’elles apparaissent définitivement plus raisonnables et plus faciles d’application que les règles proposées par la législation fédérale en ce qu’elles permettent en apparence d’atteindre plus adéquatement l’objectif du législateur provincial qui est de s’assurer de la symétrie entre les sources de déduction et les sources de revenus. Ainsi, il ne sera plus d’aucune utilité sur le plan provincial pour les contribuables québécois de tenter de participer à des stratagèmes visant à générer une dépense d'intérêt déductible en utilisant un véhicule de placement afin de réduire les impôts payables par ailleurs à l’égard d’autres sources de revenus tel un revenu d’emploi ou un revenu d’entreprise. De même, en n’excluant pas les gains en capital imposables et en permettant le report des pertes à d’autres années d’imposition, ces dispositions semblent davantage équitables pour les personnes qui désirent investir dans des titres qui ne génèrent pas un revenu immédiat mais qui seront susceptibles d’appréciation importante pouvant se matérialiser par la réalisation d’un gain en capital lors de leur disposition éventuelle. 12 Il est important de noter que ces nouvelles dispositions provinciales ne s’appliquent qu’aux particuliers et non aux sociétés par actions. 4. INCIDENCES PRATIQUES DES NOUVELLES MESURES LÉGISLATIVES Le tableau qui suit présente un récapitulatif sommaire des incidences potentielles des nouvelles mesures législatives proposées et reflète, bien entendu, le lot d'incertitudes relatif au fait qu'elles ont été peu commentées par le législateur et n'ont pas encore subies le test de l'usage et des tribunaux… Particulier qui emprunte 100 000 $ à 7% d'intérêt pour investir Investissement Canada Québec Titres à revenus fixes (5 %) Déductibilité limitée au revenu généré (5%) par la source – excédent perdu Déductibilité limitée aux Revenus de Placement de toutes sources – excédent reportable Actions ordinaires de cies publiques 100% déductible selon position administrative: 0% déductible selon législation proposée Déductibilité limitée aux Revenus de Placement de toutes sources – excédent reportable Actions privilégiées (dividende de 5%) Déductibilité limitée au revenu généré (5%) par la source – excédent perdu Déductibilité limitée aux Revenus de Placement de toutes sources – excédent reportable Unité de fonds de croissance (gain en capital) Déductibilité limitée au revenu généré (0%) par la source – excédent perdu Déductibilité limitée aux Revenus de Placement de toutes sources – excédent reportable Portefeuille diversifié (33 % act. 33 % div. 33 % int.) Déductibilité limitée au revenu généré (3.33%) par la source – excédent perdu Déductibilité limitée aux Revenus de Placement de toutes sources – excédent reportable 13 Prête à compagnie opérante (5% d'intérêt) Déductibilité limitée au revenu généré (5%) par la source – excédent perdu Déductibilité limitée aux Revenus de Placement de toutes sources – excédent reportable Actions ordinaires de compagnie opérante 100% déductible selon position administrative: 0% déductible selon législation proposée si les actions ne comportent pas une expectative raisonnable de dividende Déductibilité limitée aux Revenus de Placement de toutes sources – excédent reportable Immeuble locatif générant des pertes d'exploitation avant intérêt Aucune déductibilité 100% déductible contre revenus de toute source…sauf si RQ nie l'existence d'une expectative raisonnable de profit Parions que nous aurons l'occasion de reparler plus amplement du sujet avec intérêt dans les années à venir… 14