MISE À JOUR FISCALE SUR LA DÉDUCTIBILITÉ DES INTÉRÊTS

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MISE À JOUR FISCALE SUR LA DÉDUCTIBILITÉ DES INTÉRÊTS
MISE À JOUR FISCALE SUR LA DÉDUCTIBILITÉ DES INTÉRÊTS ET
INCIDENCES SUR LES STRATÉGIES FINANCIÈRES
Jean-François Pelland, avocat, D.E.S.S. Fisc.
Mendelsohn
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION......................................................................................................................... 1
1.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES .................................................... 2
2.
DÉCISIONS JURISPRUDENTIELLES RÉCENTES.................................................. 3
3.
NOUVELLES MESURES LÉGISLATIVES................................................................. 7
3.1
NOUVELLES DISPOSITIONS FÉDÉRALES ................................................................. 7
3.2
BULLETIN D'INTERPRÉTATION IT-533 ...................................................................... 9
3.2.1
Fin de l’emprunt...................................................................................................... 9
3.2.2
Définition de revenu ............................................................................................... 9
3.2.3
Restructuration d’emprunt .................................................................................... 10
3.2.4
Utilisation des fonds ............................................................................................. 10
3.3
NOUVELLES DISPOSITIONS PROVINCIALES ......................................................... 11
4.
INCIDENCES PRATIQUES DES NOUVELLES MESURES LÉGISLATIVES ... 13
MISE À JOUR FISCALE SUR LA DÉDUCTIBILITÉ DES INTÉRÊTS ET
INCIDENCES SUR LES STRATÉGIES FINANCIÈRES
Jean-François Pelland, avocat, D.E.S.S. Fisc.
Mendelsohn
INTRODUCTION
Sans trop d’exagération, l’auteur de ces lignes serait presque tenté d’affirmer que la
déductibilité des intérêts a constitué et constitue toujours l’un des enjeux fiscaux majeurs de ce
nouveau millénaire à en juger par la densité des développements jurisprudentiels, législatifs et
doctrinaux qui sont survenus à ce sujet au cours des dernières années. D’ailleurs, au moment
même d’écrire ces lignes, plusieurs débats de société font vraisemblablement toujours rage au
sein de la communauté fiscale canadienne quant à l’introduction de nouvelles mesures
législatives y relatives. Or, dans l’intervalle, plusieurs praticiens demeurent aux prises avec des
problèmes réels et cherchent des éléments concrets de solutions en relation avec la mise en place
de nouvelles planifications financières comportant le paiement d’un intérêt sur de l’argent
emprunté ou sont tout simplement inquiets du traitement fiscal qui sera réservé après l’année
d’imposition 2004 quant à la déductibilité de l’intérêt payé en relation avec certaines
planifications financières déjà en place.
L’objet du présent texte vise donc à tenter de synthétiser certaines règles d’application
générale en matière de déductibilité des intérêts et qui découlent tant de la jurisprudence récente
que des modifications législatives qui en ont résultées. L’auteur n’aura cependant pas la
prétention de traiter de façon exhaustive de toutes les questions théoriques qui ont été débattues
durant cette période tant devant les tribunaux qu’au ministère des Finances du Canada et du
Québec mais tentera plutôt, après avoir effectué un bilan très sommaire des décisions récentes de
la Cour suprême du Canada et des modifications législatives adoptées ou proposées, de dresser
un portrait des résultats connus ainsi que des zones d’incertitude qui subsistent ou qui ont été
créées, le tout afin de tenter d’éclairer le praticien appelé à implanter des stratégies financières
impliquant le paiement d’intérêt.
1
Pour ceux qui désirent bénéficier d’une analyse plus technique de la question, l’auteur
vous réfère dans son infinie générosité à certains des nombreux textes parus durant les dernières
années à cet égard, qui ont largement inspiré la présente réflexion et qui ont certes contribué à
l’avancement du droit beaucoup plus que le présent texte.1
1.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES2
Comme nous le verrons ci-après, et tel qu’il a été confirmé par la Cour suprême dans la
décision Gifford dont nous traiterons subséquemment, même si ces dispositions ne constituent
pas un code législatif exhaustif quant à la déductibilité des intérêts, il n’en demeure pas moins
que les dispositions législatives les plus fréquemment applicables en pareille matière sont celles
prévues à l’alinéa 8(1)(g) L.I.R. ainsi qu’a l’alinéa 20(1)(c) L.I.R. qui se lisent comme suit :
h
Ainsi, les alinéas 8(1)(f) ou 18(1)(a) pourraient par ailleurs trouver application et se lisent
comme suit :
h
1
L’auteur tient à remercier monsieur Alain Laplante pour sa précieuse collaboration à la recherche de ce texte
ainsi que monsieur Gilles Chevalier pour sa précieuse collaboration quant à sa structure. L’auteur suggère
notamment la consultation des textes suivants, outre le texte de M. Alain Léonard présenté concurremment aux
présentes dans le cadre du présent congrès : Mélanie BEAULIEU « Gifford c. Canada et la saga de la
déductibilité des intérêts continue », (2004), vol. 25 no 2 Revue de planification fiscale et successorale, pp. 389399; CICA-CBA Joint Committee on Taxation, "Submission on the October 31, 2003 Draft Proposal
Regarding the Deductibility of Interest under Expenses"; Paul Tamaki, Interest Deductibility Canadian Tax
Foundation 55th Tax Conference 2003; John SAUNDERS, 2003 British Columbia Tax Conference The Empire
Strikes Back - The Rebirth of the Reasonable Expectation of Profit Test; BERNSTEIN, Jack, « InterestDeductibility after Ludco and Singleton », Tax Profile, October 2001; Jean-Guillaume SHONER,
« Déductibilité des intérêts, des frais financiers et autres paiements de l’entreprises en difficulté » dans APFF
Colloque 132 – Créativité financière pour l’entreprise québécoise; LABREQUE, Simon, « Nouveautés
relatives à la déductibilité des intérêts », Collection APFF – Planification financière, retraite et succession,
Stratège 2003, Stratège vol. 8, no 4.
2
Aux fins des présentes, nous avons uniquement reproduit les dispositions législatives fédérales mais celles-ci
incluent par référence le texte des dispositions législatives applicables au Québec soit en l’occurrence
principalement celui des articles h de la L.I. Sous réserve de tout commentaire spécifique à l’effet
contraire, les commentaires énoncés au présent texte s’applique mutatis mutandis quant à la déductibilité des
intérêts aux fins du Québec.
2
Nous ne reprendrons pas ici l’analyse de chacun des éléments de base de chacune de ces
dispositions qui a par ailleurs été effectuée par de nombreux auteurs dans le passé, incluant
notamment ceux mentionnés ci-avant. Nous verrons cependant, suite à l’étude des décisions
jurisprudentielles récentes effectuée ci-après, comment ces dispositions ont été ou se proposent
d’être modifiées par les autorités législatives compétentes.
2.
DÉCISIONS JURISPRUDENTIELLES RÉCENTES
Le tableau qui suit présente, par ordre chronologique, de façon très, très, très, très
sommaire la jurisprudence récente émise par la Cour suprême du Canada en relation avec la
déductibilité des intérêts et est présenté simplement à des fins de rappel historique. Nous invitons
le lecteur à prendre connaissance personnellement de chacune de ces décisions jurisprudentielles
ainsi qu'à consulter l’un des textes de référence mentionnés ci-avant afin d’en avoir une
compréhension approfondie.
Parties
Résumé des faits et questions en litige
La Reine
Le contribuable effectue un retrait de La
c.
capital de sa firme d’avocat, utilise le suprême
Singleton3
produit de son retrait afin de payer conclu que direct
Principe établi
Cour En l’absence de fraude,
a on doit considérer l’usage
des
fonds
l’hypothèque de sa résidence principale l’intérêt est empruntés
selon
les
et emprunte le même jour une somme déductible.
transactions
telles
que
équivalent au retrait de capital (et de
structurées sur le plan
l'hypothèque) afin de réinvestir au sein
strictement légal et non
de son cabinet.
en essayant d’identifier
Principale question en litige – l’intérêt
une
payable quant à de l’argent emprunté
véritable
pour une fin admissible (injection de
contribuable.
capital dans une firme professionnelle)
3
Décision
[2001] 2 R.C.S. 1046.
3
fin
économique
pour
le
est-il déductible bien qu’il remplace un
intérêt payable à l’égard d’une fin non
admissible
(prêt
hypothécaire)
en
considération de la théorie de la
véritable
commercialité
de
la
transaction.
Ludco c.
Le contribuable a encouru des intérêts à La
La Reine4
l’égard
de
l’argent
emprunté
Cour Même
afin suprême
s’il
a clairement
a
été
établi
que
d’acquérir des actions ordinaires dans le conclu que l’acquisition des actions
capital
social
de
corporations
non l’intérêt est ordinaires
visait
résidentes structurées de telle façon à ce déductible.
principalement à reporter
que les fonds ainsi souscrits soient
l’impôt canadien et à
investis
convertir
par
les
corporations
non
les
revenus
résidentes afin de générer pour ses
d’intérêt qui auraient été
dernières un revenu d’intérêt assujetti à
pleinement
un impôt nominal ou inexistant et dont
annuellement imposables
une portion minimale est dans les faits
en un gain capital à taux
redistribuée au contribuable sous forme
d’inclusion moindre et à
de dividende, le taux de dividende étant
imposition différée par la
de beaucoup inférieur au taux d’intérêt
réalisation à l'étranger de
payé sur l’argent emprunté, de façon à
revenus imposés à un
ce que l’augmentation de valeur ainsi
taux
créée permette au contribuable de
inférieur tout en limitant
disposer
le paiement de dividende
ultérieurement
des
actions
et
d’imposition
ordinaires de façon à réaliser un gain en
au
Canada,
la
Cour
capital substantiel.
conclut que le sous-alinéa
20(1)(c)(i), ne requérait
pas que l’objet principal,
4
[2001] 2 R.C.S. 1082.
4
exclusif ou dominant du
contribuable
soit
de
gagner un revenu mais
qu’il suffisait qu’un tel
revenu soit gagné même
s’il était combiné à la
réalisation d’un gain en
capital. La Cour établit de
plus
que
ce
sous-
paragraphe ne supporte
pas
l’interprétation
requérant la réalisation
d’un
profit
ou
d’un
revenu net, c’est-à-dire
un revenu excédant le
taux d’intérêt payé sur
l’argent emprunté pour
faire
l’acquisition
des
actions ordinaires.
La Reine
La déductibilité de l’intérêt relatif à La
c. Walls5
l’achat d’un actif exploité à perte est suprême
et
contestée au motif que l’actif n’était pas conclu que d’usage ou d’avantage
Stuart c.
La Reine6
exploité
avec
une
Cour En
l’absence
de
a l’existence d’un élément
expectative l’intérêt est personnel, la question de
raisonnable de profit et, par conséquent, déductible.
l’expectative raisonnable
que l’argent emprunté n’avait pas été
de profit ne se pose pas
emprunté en vue d’obtenir une source de
quant à l’existence d’une
revenu.
source
de
revenu
et
5
[2002] 2 R.C.S. 684.
6
[2002] 2 R.C.S. 645. Les faits et les motifs de ces deux causes étant passablement similaires, nous avons choisi
de les présenter ensemble.
5
conséquemment
intérêts
les
relatifs
à
de
l’argent emprunté pour
acquérir telle source de
revenu, même si elle ne
rencontre pas le test de
l’expectative raisonnable
de
profits,
sont
déductibles.
Gifford c.
7
Canada
Le contribuable, un conseiller financier, La
Cour La Cour établit qu’il ne
a emprunté de l’argent pour acquérir la Suprême
a s’agissait
liste des clients d’un collègue. Les conclu à la paiement
pas
au
d’un
titre
de
paiements ont été versés au titre du déductibilité capital mais plutôt d’un
capital
mais
les
intérêts
sont-ils des intérêts.
déductibles?
paiement
de
nature
courante étant déductible
comme
tout
autre
paiement de telle nature,
les
alinéas
20(1)(c)
8(1)(j)
L.I.R.
et
ne
constituant pas un code
législatif
complet
relativement
à
la
déductibilité des intérêts.
7
[2004] C.S.C. 15.
6
3.
NOUVELLES MESURES LÉGISLATIVES
3.1
NOUVELLES DISPOSITIONS FÉDÉRALES
En réaction, notamment, aux décisions rendues dans les affaires Singleton, Ludco, Stuart
et Walls, mentionnées précédemment, le ministère des Finances du Canada publiait en date du 31
octobre 2003 un projet de modification à la Loi de l’impôt sur le revenu (ci-après « L.I.R. »)
concernant la déductibilité des intérêts et d’autres dépenses liées à une source et, du même
souffle, l’Agence du revenu du Canada (ci-après « ARC ») publiait par la même occasion le
Bulletin d’interprétation IT-533 relatif à la déductibilité des intérêts et questions connexes.
La nouvelle législation, qui est censée être effective pour les années d’imposition
débutant après 2004, repose sur une approche générale qui peut sembler simpliste à prime abord
mais qui, dans son essence, nous semble généralement contraire à l’approche jurisprudentielle
généralement retenue par les tribunaux quant à l’interprétation de la L.I.R. En effet, plutôt que
d’opter pour l’adoption de règles spécifiques et détaillées, le législateur semble avoir opté pour
une approche laissant beaucoup de discrétion à l’ARC, en introduisant notamment l’un de ces
"tests" d’expectative raisonnable de profit qui a fait par le passé la joie des avocats de litige et
qui a parfois rendu certains contribuables moins fortunés ou moins renseignés exposés à des avis
de cotisation un tantinet contestables.
La législation proposée vise ainsi principalement à limiter la déductibilité des pertes
découlant d’une source qui est une charge, un emploi, une entreprise ou un bien, en assujettissant
telle déduction à un test annuel basé sur l’expectative raisonnable de tirer un bénéfice cumulatif
de telle source durant la période au cours de laquelle elle est exploitée ou détenue ou pourrait
raisonnablement l’être. Il est fort important de noter que cette notion de bénéfice cumulatif doit
être interprétée compte non tenu de la réalisation d’un gain en capital.
Bien que ne s’adressant pas directement en apparence à la déductibilité des intérêts, la
nouvelle législation proposée risque cependant d’avoir un effet en relation avec la planification
de transactions où un contribuable paie des intérêts sur de l’argent emprunté en vue d’acquérir
7
une source de revenu dans la mesure où l’ARC pourrait, toujours a posteriori et ce à l’égard de
chaque année d’imposition, substituer son jugement à celui du contribuable et conclure qu'une
source à l'égard de laquelle il a emprunté des fonds ne puisse raisonnablement produire un
bénéfice cumulatif.
Ainsi, par exemple, une dépense d’intérêt excédant le revenu provenant d’une source et
qui serait normalement, avant l'entrée en vigueur des nouvelles mesures législatives proposées,
pleinement déductible, par exemple, à l’encontre d’une autre source de revenu, sera ainsi perdue
pour la contribuable sur application de la nouvelle législation fédérale proposée. Cette nouvelle
règle pourrait avoir un impact significatif important sur la décision de procéder à l’acquisition de
certains types de biens ou d’entreprises, notamment ceux dont l’appréciation anticipée se
matérialiserait par la réalisation ultime d’un gain en capital supérieur au coût économique réel
des intérêts payables sur l’argent emprunté (le taux d’inclusion du gain en capital étant inférieur
à celui des autres types de revenus et la dépense d’intérêt étant normalement pleinement
déductible à l’encontre, notamment, de d’autres sources de revenus), que l’on pense notamment à
la déduction d'intérêt payé en relation avec un emprunt utiliser pour financer l'acquisition
d’immeubles locatifs d’appoint qui souvent constituent un fonds de retraite accessible à certains
contribuables bien qu’engendrant initialement une perte répétitive mais qui pourra être
ultimement compensée par la réalisation d’un gain en capital important lors de la disposition de
l’immeuble.
Nous traiterons d’ailleurs dans la section suivante du présent texte de d’autres effets
pratiques susceptibles de l'adoption des dispositions sous étude à l’égard de planifications
financières existantes ou envisagées qui devraient être considérés si elles étaient adoptées telles
que présentées. Nous émettons cependant une réserve à l’effet que puisque de nombreux
mémoires ont été présentés en relation avec ces propositions législatives par de nombreux
groupes de fiscalistes, il est encore passablement tôt pour conclure à leur adoption définitive sous
telle forme.
8
3.2
BULLETIN D'INTERPRÉTATION IT-533
Potentiellement en vue de rassurer les fiscalistes et les contribuables quant aux
applications potentielles de la nouvelle législation et bien que celle-ci ne soit pas commentée
dans ledit bulletin, le nouveau Bulletin d’interprétation IT-533 précise par ailleurs la pensée de
l’ARC suite aux différentes décisions jurisprudentielles étudiées ci-avant. Sans reprendre le
contenu intégral du bulletin, il est intéressant en matière de déductibilité d’intérêt de souligner
certaines positions qui nous apparaissent dignes de mention :
3.2.1
Fin de l’emprunt
Au paragraphe 9 du bulletin, l’ARC reprend les conclusions de l’affaire Ludco et prévoit
qu’un intérêt sera déductible si compte tenu de toute les circonstances, le contribuable avait au
moment de l’investissement une expectative raisonnable de revenu et « qu’en l’absence d’un
trompe-l’œil, d’un artifice ou d’autres circonstances viciant l’opération, une fin accessoire
poursuivie par le contribuable en effectuant l’investissement peut néanmoins constituer une fin
réelle ou véritable, tout aussi susceptible de satisfaire la condition de déductibilité de l’intérêt
que toute autre fin principale plus importante ».
Or, sans même reprendre certains de nos commentaires antérieurs relatifs aux dangers de
l’utilisation d’un test d’expectative raisonnable (les tribunaux partageant généralement nos
préoccupations à cet égard), il est à noter que l’une des conclusions importantes de l’arrêt Stuart
à l’effet qu’il était présumé exister une expectative de revenu dans la mesure où une activité
commerciale poursuivie ne comportait aucun aspect personnel, ne semble pas avoir été retenue
par l’ARC,
3.2.2
Définition de revenu
Les items 10 et 31 du bulletin d’interprétation reprennent les conclusions de Ludco à
l’effet que la notion de revenu s’entend de toute somme qui entre dans le revenu imposable et
non nécessairement d'un revenu net, c’est-à-dire un profit par lequel le revenu obtenu est
9
supérieur au coût des dépenses encourues incluant les dépenses d’intérêt. D’ailleurs, au
paragraphe 31 du bulletin, l’ARC mentionne par exemple qu’à l’égard d’un placement, incluant
un instrument productif d’intérêts ou de dividendes, y compris des actions ordinaires, les
dépenses d’intérêt ne seraient pas nécessairement refusées ou restreintes uniquement en fonction
du fait que le revenu découlant du placement ne dépasse pas les frais d’intérêt. Or, cette exigence
de production d'un revenu nous semble déjà moins évidente à satisfaire à l'égard de l'acquisition
d' actions ordinaires qui ne sont pas nécessairement dans les faits susceptibles de générer un
revenu de dividendes,, le tout tel qu’amplement souligné par les statistiques présentées par les
procureurs des appelants dans l’affaire Ludco démontrant, notamment, qu’une très grande
proportion des actions ordinaires cotées à la Bourse de Toronto n’offre aucune expectative
raisonnable de recevoir des dividendes!
3.2.3
Restructuration d’emprunt
Le paragraphe 15 du bulletin, reprenant essentiellement le stratagème utilisé par
Singleton vient apparemment confirmer l’intention de l’ACR de donner effet à la décision de la
Cour suprême à cet effet. D’ailleurs, le paragraphe 16 du bulletin valide la pratique développée
par certains contribuables d’utiliser des comptes à distincts afin d’effectuer le suivi de l’argent
emprunté pour s'assurer qu'il soit légalement reconnu comme afférent à une fin admissible..
3.2.4
Utilisation des fonds
Le paragraphe 17 du bulletin, sur la loi des décisions Canada Safeway, Bronfman Trust et
Shell indique que l’utilisation pertinente des fonds empruntés est l’utilisation actuelle et non pas
l’utilisation initiale des fonds, ce qui sera d’autant plus le cas avec la nouvelle législation
proposée. Or, il est intéressant de mentionner que l’affaire Gifford mentionnée ci-avant contient
une conclusion surprenante et à l’effet contraire à l’effet que « nous devons considérer, pour
l’application de la loi, uniquement ce que l’emprunt représente pour l’emprunteur au moment où
il l’obtient s’en avoir à examiner la façon dont il est dépensé »8. Tel que mentionné par un
8
Id., p. 39.
10
auteur9, cette décision semble défier les positions antérieures adoptées par la Cour suprême mais
comme elle s’inclut dans un contexte très particulier, soit celui d’une entreprise dont l’inventaire
est constitué d’argent emprunté, nous ne croyons pas qu’elle sera susceptible de modifier la
position de l’ARC telle qu’indiquée au Bulletin d’interprétation.
3.3
NOUVELLES DISPOSITIONS PROVINCIALES
Pour une rare fois, et à moins de développements ultérieurs contraires, le gouvernement
du Québec s’adressait quant à lui à la question de la déductibilité des intérêts non pas en calquant
sa législation sur la législation fédérale mais plutôt en adoptant de nouvelles mesures à
l’occasion de son budget 2004-2005 tel que présenté le 30 mars 2004.
Ainsi, au lieu d’importer un test de limitation des pertes utilisant la notion d’expectative
raisonnable, le gouvernement du Québec a plutôt opté pour l’adoption de mesures limitant la
déductibilité de certains frais de placement, incluant les intérêts payés sur les emprunts
contractés pour acquérir des actifs productifs de revenu passif et ce, à l’exclusion des éléments
déductibles pour gagner un revenu actif tel que le revenu provenant d’une entreprise ou de la
location d’un bien.
Sont ainsi visés par cette nouvelle mesure notamment, les intérêts payés sur un emprunt
contracté pour acquérir des obligations, des actions, des unités dans des fiducies et des fonds
communs de placement. Ainsi, les frais de placement déductibles pour une année d’imposition
seront les frais de placement engagés pour gagner des revenus de placement et ce jusqu’à
concurrence des revenus de placement qui auront été gagnés pour cette même année
d’imposition. Les frais de placement qui ne pourront être déduits dans une année d’imposition
donnée pourront être reportés à l’encontre des revenus de placement gagnés dans une des trois
années d’imposition précédentes ou dans toute année d’imposition subséquente et ce, dans la
mesure où les revenus de placement gagnés dans l’une ou l’autre de ces années seront supérieurs
aux frais qui auront été alors déduits.
9
Joseph FRANKOVIC, « Surpreme Court’s Decision on Interest Deductibility Defies Logic », (2004), no 1673,
Tax Topics, Toronto, CCH Canadian, p.41-4.
11
Ainsi, notamment, les frais de placement, soit les frais d’administration de gestion, les
frais de garde des actions ou des valeurs mobilières, les honoraires versés à des conseillers en
placement, les intérêts payés sur les emprunts contractés pour acquérir des obligations, des
actions, des unités dans une fiducie ou de fonds commun seront limités aux revenus de
placement provenant notamment
et globalement des dividendes imposables de sociétés
canadiennes imposables, des intérêts de source canadienne, des gains en capital imposables non
admissibles à l’exemption sur les gains en capital imposables, des revenus accumulés d’une
police d’assurance vie, des revenus provenant d’une fiducie, etc. Cependant, il est à noter que les
revenus provenant de la location d’un bien ne seront pas considérés comme des revenus de
placement pour l’application de cette mesure.
Cette mesure est applicable à compter du 30 mars 2004 et ce, calculé proportionnellement
pour l’année 2004 au nombre de jours écoulés depuis cette date. Une analyse préliminaire de ces
positions budgétaires provinciales nous incite à conclure qu’elles apparaissent définitivement
plus raisonnables et plus faciles d’application que les règles proposées par la législation fédérale
en ce qu’elles permettent en apparence d’atteindre plus adéquatement l’objectif du législateur
provincial qui est de s’assurer de la symétrie entre les sources de déduction et les sources de
revenus.
Ainsi, il ne sera plus d’aucune utilité sur le plan provincial pour les contribuables
québécois de tenter de participer à des stratagèmes visant à générer une dépense d'intérêt
déductible en utilisant un véhicule de placement afin de réduire les impôts payables par ailleurs à
l’égard d’autres sources de revenus tel un revenu d’emploi ou un revenu d’entreprise. De même,
en n’excluant pas les gains en capital imposables et en permettant le report des pertes à d’autres
années d’imposition, ces dispositions semblent davantage équitables pour les personnes qui
désirent investir dans des titres qui ne génèrent pas un revenu immédiat mais qui seront
susceptibles d’appréciation importante pouvant se matérialiser par la réalisation d’un gain en
capital lors de leur disposition éventuelle.
12
Il est important de noter que ces nouvelles dispositions provinciales ne s’appliquent
qu’aux particuliers et non aux sociétés par actions.
4.
INCIDENCES PRATIQUES DES NOUVELLES MESURES LÉGISLATIVES
Le tableau qui suit présente un récapitulatif sommaire des incidences potentielles des
nouvelles mesures législatives proposées et reflète, bien entendu, le lot d'incertitudes
relatif au fait qu'elles ont été peu commentées par le législateur et n'ont pas encore subies
le test de l'usage et des tribunaux…
Particulier qui emprunte 100 000 $ à 7% d'intérêt pour investir
Investissement
Canada
Québec
Titres à revenus
fixes (5 %)
Déductibilité limitée au revenu
généré (5%) par la source –
excédent perdu
Déductibilité limitée aux Revenus de
Placement de toutes sources – excédent
reportable
Actions
ordinaires de
cies publiques
100% déductible selon position
administrative: 0% déductible
selon législation proposée
Déductibilité limitée aux Revenus de
Placement de toutes sources – excédent
reportable
Actions
privilégiées
(dividende de
5%)
Déductibilité limitée au revenu
généré (5%) par la source –
excédent perdu
Déductibilité limitée aux Revenus de
Placement de toutes sources – excédent
reportable
Unité de fonds
de croissance
(gain en capital)
Déductibilité limitée au revenu
généré (0%) par la source –
excédent perdu
Déductibilité limitée aux Revenus de
Placement de toutes sources – excédent
reportable
Portefeuille
diversifié (33 %
act. 33 % div.
33 % int.)
Déductibilité limitée au revenu
généré (3.33%) par la source –
excédent perdu
Déductibilité limitée aux Revenus de
Placement de toutes sources – excédent
reportable
13
Prête à
compagnie
opérante (5%
d'intérêt)
Déductibilité limitée au revenu
généré (5%) par la source –
excédent perdu
Déductibilité limitée aux Revenus de
Placement de toutes sources – excédent
reportable
Actions
ordinaires de
compagnie
opérante
100% déductible selon position
administrative: 0% déductible
selon législation proposée si les
actions ne comportent pas une
expectative raisonnable de
dividende
Déductibilité limitée aux Revenus de
Placement de toutes sources – excédent
reportable
Immeuble
locatif générant
des pertes
d'exploitation
avant intérêt
Aucune déductibilité
100% déductible contre revenus de toute
source…sauf si RQ nie l'existence d'une
expectative raisonnable de profit
Parions que nous aurons l'occasion de reparler plus amplement du sujet avec
intérêt dans les années à venir…
14