Le document - Annus Sacerdotalis

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Le document - Annus Sacerdotalis
CHAPITRE IV
Réponses d’associations
ASSOCIATIONS
Frédéric et Annie de Butler
A la source du mariage chrétien
Domus Christiani est une œuvre auxiliaire aidant à la
sanctification de la famille et qui utilise la liturgie romaine
traditionnelle. Le couple auteur appartient à la direction
de Domus Christiani.
Née en 1978, Domus Christiani réunit, au sein de petits
groupes, des foyers soucieux de progresser dans leur vie
chrétienne, leur état et leur environnement naturel
(famille, paroisse, travail, voisinage, association,
mouvements, etc.). Chaque groupe rassemble de 4 à 10
foyers d’un même secteur (ville, paroisse...). Aujourd’hui
Domus rassemble une centaine de groupes, en France,
Suisse, Belgique, Canada, Malaisie et La Réunion.
Les deux moyens que Domus propose aux foyers sont :
– la Règle de vie qui est une orientation volontaire de
progrès spirituel à travers quelques préceptes de vie
chrétienne;
– la réunion mensuelle du groupe qui permet, au sein
des foyers, de créer une véritable amitié chrétienne
enrichie par la prière et l’étude en commun.
Notre œuvre est une aide pour progresser dans la vie
chrétienne par l’approfondissement des grâces du
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sacrement de mariage. Si l’engagement pour restaurer
une liturgie digne et explicite n’est pas notre vocation,
l’attachement à la liturgie caractérise Domus Christiani.
Cette volonté est clairement spécifiée dans la Charte de
Domus Christiani :
– attachement à la liturgie et en particulier à la messe,
cœur et sommet de notre vie chrétienne;
– attachement au rite romain classique, de par ses
grandes qualités d’éducation de la foi et de nourriture de
la contemplation.
1. Les raisons de notre attachement.
Domus épaule les foyers en se fondant sur trois piliers :
l’approfondissement de la vie chrétienne, l’entraide
mutuelle et la charité fraternelle ainsi que le rayonnement
missionnaire. Le premier pilier se construit sur
l’Eucharistie, c’est le centre de notre vie chrétienne.
L’Eucharistie est la source même du mariage chrétien.
Le sacrifice eucharistique en effet représente l’alliance
d’amour entre le Christ et l’Eglise. C’est dans ce sacrifice
de la nouvelle et éternelle alliance que les époux
chrétiens trouvent la source jaillissante qui modèle
intérieurement et vivifie constamment leur alliance
conjugale (Jean-Paul II, Familiaris Consortio).
La messe est le grand acte de la religion : c’est le
renouvellement non sanglant du sacrifice du Christ. C’est
le pont entre Dieu et les hommes.
Il n’y a qu’un sacrifice parfait rédempteur de l’humanité.
Toute messe valide réactualise cet unique Sacrifice. Quel
que soit le rite, la piété des fidèles, la qualité de leur chant
ou celle du sanctuaire, le Sacrifice est parfait, rien ne lui
manque en ce qui concerne l’action du Christ posée par
les paroles de la consécration. Mais alors, pourrait-on
penser peu importe le rite ? Face à la perfection du
sacrifice, ils se valent tous ? C’est uniquement une
question de « sensibilité » ?… Ce serait oublier que la
transcendance du Sacrifice est rendue perceptible à notre
intelligence et à notre sensibilité par les formes
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liturgiques. La liturgie doit être explicite et belle et
exprimer le sacré.
Le rite classique nous aide par sa pédagogie précise : il
exprime avec justesse, détails et ce de différentes
manières, ce qui se passe lors de la messe :
– Il manifeste la hiérarchie ascendante et descendante
de la messe. Jésus sur la croix est Prêtre et Victime. A la
messe, Jésus s’offre par l’intermédiaire du prêtre, puis
des fidèles. Quand le prêtre prend le calice, il dit : « Nous
vous offrons, Seigneur, le calice du salut ». A l’orate
fratres : « Priez, mes frères, pour que mon sacrifice, qui
est aussi le vôtre ». Au canon, dans le memento des
vivants : « Nous vous offrons pour eux, ou ils vous offrent
eux-mêmes, ce sacrifice de louange… ».
– Il souligne la relation au calvaire par l’orientation du
prêtre, non pas « dos au peuple » mais face à Dieu, aux
pieds de la croix. Lors de la Cène, la table est déjà un
autel et le repas rituel de la Pâque un sacrifice.
– Il explicite le sacrifice notamment par l’offertoire (qui
évoque plus la bénédiction précédant le repas dans le rite
actuel). Ces prières préparent les fidèles au caractère
propitiatoire de l’offrande qui sera accomplie parfaitement
à la consécration : c’est Jésus-Christ, immolé pour nos
fautes, afin que la Rédemption s’accomplisse.
– Le caractère normatif du rite classique empêche toute
créativité sauvage, y compris sur le caractère sacrificiel
de la messe, ce qui, hélas se produit encore trop souvent
lors des célébrations selon le rite actuel.
– Il est toujours célébré avec des formes extérieures qui
orientent vers le respect d’un acte saint (génuflexions,
stations à genoux, communion sur la langue, silence et
solennité de l’offertoire et de la consécration...).
– Il laisse ainsi une part importante au silence. Notre
participation active au sacrifice requiert ce cheminement
vers l’intérieur.
Le rite classique nous apparaît aussi comme
particulièrement propice à éduquer aux mystères de la foi.
En effet, les enfants habitués depuis longtemps ou
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découvrant ce rite, sont conscients à la messe, d’assister
à un acte saint et sacré. Tout ce qu’ils voient, entendent,
disent et chantent les oriente vers le Sacrifice.
Ils ont pu discipliner leur pratique religieuse et s’habituer
très tôt à une participation volontaire, personnelle et
exigeante : avec le rite classique, il faut suivre sa messe,
lire les oraisons propres au prêtre. Pendant l’offertoire et
le canon, la lecture personnelle des prières dites en
silence par le prêtre, conduit à les intérioriser, à les
méditer, à s’en imprégner.
2. Les conséquences pratiques.
a) Les prêtres conseillers spirituels de groupes Domus
Christiani.
Ils sont en situation régulière au sein de l’Eglise et
acceptent l’attachement liturgique de Domus. Cela se
traduit concrètement, quand cela est possible, par la
célébration selon le rite classique lors de récollections ou
retraites. De plus, chacun explique aux foyers de son
groupe la richesse liturgique du rite lors d’un topo annuel
sur la messe.
Au sein du groupe Domus, le prêtre conseiller spirituel a
une place à part; il représente l’autorité du Magistère de
l’Eglise. Lors de la réunion mensuelle, il éclaire et
complète le sujet qui est traité par un foyer, et anime, s’il
est là, la prière-méditation qui conclut la réunion. En
dehors des réunions il est souvent le directeur spirituel
des foyers du groupe.
b) Les activités Domus : rassemblement général et
activités régionales.
L’activité nécessaire « et suffisante » de Domus, c’est la
réu-nion de groupe. Cependant, le rassemblement
général des foyers, et la rencontre régionale des groupes
du même secteur sont des facteurs de cohésion
indispensables. L’Eucharistie au cours de la sainte messe
en est toujours la dominante. Dans ces circonstances le
rite classique est celui qui est pratiqué. C’est une suite
logique de notre attachement liturgique; c’est une
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« tradition Domus ».
c) Les foyers.
Domus n’est pas un mouvement que l’on intègre, c’est
une œuvre auxiliaire que l’on utilise pour mieux vivre sa
foi de laïcs mariés. Il va de soi que l’orientation liturgique
de Domus n’impose pas la pratique régulière du rite
classique aux foyers. Néanmoins, connaissant la
spécificité de Domus, participer à un groupe c’est
accepter l’orientation de l’œuvre. Ainsi chaque foyer est
invité à approfondir sa compréhension des mystères
chrétiens et en particulier de l’Eucharistie, au cours de
l’exposé annuel qui y est consacré. Les rassemblements
Domus, récollections locales, retraites et le
rassemblement annuel sont l’occasion de découvrir ou de
mieux comprendre les beautés du rite.
3. Bilan de l’application du Motu proprio.
a) Les rapports avec nos évêques.
Le développement de Domus a coïncidé avec la
proclamation du Motu proprio Ecclesia Dei. C’est à partir
des années 1994 que les responsables régionaux ont pris
contact avec leur évêque pour se présenter et présenter
Domus. En 98, dans la moitié de nos régions, les
responsables locaux de Domus ont sollicité, puis obtenu
un entretien avec l’évêque. La référence explicite au
Motu proprio et à la liturgie classique n’a jamais été un
obstacle. Plusieurs groupes ont d’ailleurs reçu leur
évêque à l’occasion d’une réunion mensuelle (Orléans,
Est-Parisien, Epinal…).
b) Concernant les prêtres conseillers spirituels.
Ils sont nombreux à être issus des fraternités ou instituts
créés suite au Motu proprio. Celui-ci a aussi permis de
nous attacher de saints prêtres auparavant rebutés par
les aspects « tradis ». Cela a certainement permis aussi à
Domus d’approfondir son attachement à l’Eglise. La
plupart des groupes sont assistés d’un prêtre. Bien que le
groupe puisse fonctionner sans, c’est une richesse
irremplaçable.
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DE
BUTLER
c) Concernant les activités Domus.
Domus est en soi un indicateur très partiel de
l’application du Motu proprio. En effet nous n’organisons
que très peu de cérémonies « Domus » et elles ont toutes
un caractère ponctuel.
Pour nos rassemblements généraux (annuels) et
activités régionales, il n’y a eu pratiquement pas de
difficultés. Il a toujours été possible de célébrer la sainte
messe selon le rite classique, avec l’accord de l’Ordinaire
du lieu.
d) Concernant les foyers.
Le Motu proprio a permis de clarifier les choses au sein
des groupes existant en 1988 (moins d’une dizaine). Les
sacres opérés par Mgr Lefebvre conduisaient à des
tensions et il fut nécessaire de réaffirmer clairement notre
pleine communion avec l’Eglise et sa hiérarchie.
L’autorisation explicite du Motu proprio a favorisé
l’expansion de Domus, notre orientation liturgique n’étant
pas demandée comme condition aux foyers pour rentrer
dans un groupe. Par contre c’est plutôt à l’extérieur de
Domus que la qualité d’application du Motu proprio peut
être perçue.
e) Application du Motu proprio à l’extérieur de Domus.
Les foyers forment une population active et jeune
(moyenne d’âge de 35 ans) avec de nombreux enfants. Ils
sont souvent engagés personnellement pour promouvoir
le rite classique dans leur diocèse. Pour ce faire, il faut
prendre contact avec son évêque pour solliciter un
rendez-vous. Puis, à l’occasion d’un entretien, exprimer,
au nom d’un groupe de fidèles, le souhait d’avoir la sainte
messe selon le rite classique. Les réponses que nous
avons recensées donnent une bonne synthèse de la
situation.
S’écartant de la lettre et de l’esprit du Motu proprio,
l’épiscopat français en général, considère l’autorisation
qui y est exprimée comme une tolérance ponctuelle, pour
les fidèles âgés que leur sensibilité attache encore à
l’ancien rite. Il faut donc éviter toute pratique régulière qui
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ASSOCIATIONS
pourrait être considérée comme définitive et décourager
toute forme de prosélytisme notamment vis-à-vis de la
jeunesse.
Cette approche cependant varie ensuite selon nos
différents
évêques.
Certains,
particulièrement
bienveillants, permettent que le rite classique soit
régulièrement célébré dans plusieurs paroisses de leur
diocèse. Qu’ils en soient ici remerciés. D’autres autorisant
toutes les formes liturgiques même celles de confessions
non catholiques, appliquent ce même libéralisme vis-à-vis
du rite classique. Ce qui est très cohérent et appréciable,
mais paradoxal, car le rite classique dont le canon romain
remonte aux premiers siècles ne peut être mis sur le
même plan que toutes les expériences liturgiques ou que
le culte d’autres confessions. Certains, enfin, font preuve
d’un refus catégorique, allant jusqu’à conseiller aux
fidèles qui veulent le rite classique, de s’adresser à la
Fraternité Saint-Pie X.
4) En conclusion.
Pour Domus Christiani, la situation est donc contrastée.
Pour l’œuvre elle-même, le Motu proprio a eu des fruits
précieux. Il nous a permis de développer notre sens de
l’Eglise et de la communion ecclésiale. Avec l’assurance
que la célébration selon le rite classique était pleinement
reconnue et autorisée par l’Eglise, les foyers et les prêtres
conseillers spirituels voyaient se dissiper un obstacle
majeur pour rejoindre Domus. Notre œuvre a pu se
développer ces dernières années.
Cependant, pour la vie habituelle des foyers comme
pour l’ensemble des fidèles, on est loin des dispositions
larges et généreuses évoquées dans le texte romain.
Mais nous gardons confiance.
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Yves Gire
Maintenir le rite « tridentin »
Una Voce a été créée en 1964 pour la sauvegarde et le
développement de la liturgie latine, du chant grégorien et
de l’art sacré. Son secrétaire général est Yves Gire.
Un nouveau rite.
Le 13 avril 1969, le pape Paul VI signait la Constitution
apostolique Missale Romanum, promulguant le « Missel
Romain restauré sur l’ordre du deuxième concile
œcuménique du Vatican ». En fait, il s’agissait bien d’un
nouveau rite, ainsi que Paul VI lui-même l’a déclaré
solennellement dans son discours à l’audience générale
du 26 novembre 1969. Les différences avec le rite romain
en vigueur précédemment, étaient trop importantes pour
que l’on puisse parler d’une simple réforme comme il y en
avait beaucoup d’autres, et surtout ce nouvel Ordo Missæ
relevait d’une conception de la liturgie radicalement
différente de celle qui avait prévalu jusque-là. A une
liturgie hiératique, hiérarchique, fixe et universelle,
succédait une liturgie « à la carte », extra souple,
adaptable et évolutive ou, pour reprendre les termes du
cardinal Ratzinger, « à la place d’une liturgie qui était le
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ASSOCIATIONS
fruit d’un développement continu on a mis une liturgie
fabriquée ».
Cette nouvelle orientation s’était déjà manifestée par le
retournement de l’autel, des années avant le concile, et
par l’adoption généralisée des langues vernaculaires,
imposée après le concile contrairement aux prescriptions
de celui-ci. Tel quel, ce nouvel Ordo Missæ devait entrer
en vigueur le 30 novembre 1969, et il était prévu
officiellement une coexistence pacifique des deux rites
pendant deux ans avant que le nouveau ne devienne
obligatoire. En fait, le nouveau rite fut imposé par
l’épiscopat dès les premières semaines dans toutes les
paroisses, seuls quelques prêtres « résistants »
continuant à maintenir la liturgie traditionnelle à leurs
risques et périls.
Pour le maintien de la « messe tridentine ».
C’est pourquoi, dès le 31 janvier 1970, les associations
membres de la Fédération internationale Una Voce
votèrent une motion par laquelle elles s’engageaient à
« obtenir le maintien de la messe tridentine, dite de saint
Pie V, comme l’un des rites reconnus dans la vie liturgique
de l’Eglise universelle ». Quelques mois plus tard,
l’association autrichienne Una Voce Austria envoyait à
Rome un memorandum développant quelques arguments
en faveur de ce maintien :
– Cette liturgie manifeste par sa permanence et son
universalité
l’invariabilité
de
la
doctrine,
et
particulièrement de la doctrine sur l’Eucharistie
actuellement remise en question.
– On ne peut interdire une liturgie qui a produit pendant
des siècles des fruits admirables de piété et de
sanctification.
– La coexistence de plusieurs rites est un témoignage
de la fécondité de l’Eglise (point qui sera repris par JeanPaul II dans Ecclesia Dei).
– L’adaptation de la liturgie aux particularismes
nationaux est contraire à l’évolution et aux aspirations de
notre époque vers une plus grande unité.
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YVES G IRE
– Les raisons pastorales qui demandent de tenir compte
des besoins et des désirs des fidèles actuels doivent
conduire à répondre aussi aux demandes de ceux qui
sont attachés à la liturgie traditionnelle .
Dès son congrès de 1971, l’association française Una
Voce fit sienne cette requête, demandant instamment que
« la messe tridentine reste licite et ne soit ni interdite ni
déconseillée ».
Dans les années suivantes, jusqu’en 1984, des motions
de la Fédération internationale Una Voce et de
l’association française renouvelèrent chaque année cette
demande, insistant de plus pour qu’il soit « mis fin aux
persécutions et mesures discriminatoires prises à
l’encontre des prêtres et des laïcs restés attachés à la
liturgie et à l’enseignement traditionnel de l’Eglise ».
L’indult de 1984.
C’est seulement en 1984 qu’une première réponse fut
apportée par Rome à toutes ces demandes, ainsi qu’aux
pétitions et suppliques émanant de diverses
personnalités; la lettre Quattuor abhinc annos du 3
octobre 1984, adressée par la Congrégation du Culte
divin aux évêques du monde entier, leur concédait la
faculté d’user d’un Indult en faveur de la messe célébrée
selon le missel de 1962, mais assorti des conditions
draconiennes et restrictives qui en réduisaient
considérablement la portée. Toutefois, si ce n’était pas
encore la liberté souhaitée, c’était déjà une brèche
ouverte dans l’interdiction de fait qui pesait depuis quinze
ans sur cette messe. De nombreuses demandes d’Indult
furent adressées aux évêques, des associations se
constituèrent, et Una Voce prit une part active à cette
opération. Mais celle-ci se heurta à la mauvaise volonté
évidente de nombreux évêques, et à d’inextricables
difficultés d’application.
C’est pourquoi le Saint-Père nomma en 1986 une
commission de sept cardinaux chargés de trouver un
remède à cette situation. Ils rédigèrent un rapport qui fut
soumis au pape en février 1987, et qui préconisait no-
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ASSOCIATIONS
tamment les mesures suivantes (le texte n’en fut connu
que plusieurs années plus tard) :
« ... Les évêques devront veiller à ce que dans toutes
les localités importantes de leurs diocèses il y ait les
dimanches et fêtes, au moins une messe célébrée en
langue latine ».
« ... Pour chaque messe célébrée en langue latine, le
célébrant a le droit de choisir librement entre le missel
romain de Paul VI (1970) et celui de Jean XXIII (1962) ».
Mais Jean-Paul II dut renoncer à signer le décret
d’application de ces mesures devant l’opposition des
conférences épiscopales de certains pays, notamment de
France et d’Allemagne.
Aussi la motion du congrès Una Voce de 1987
demandait-elle encore :
« ... que dans un souci d’apaisement et d’union soit
maintenu le rite romain traditionnel, dit de saint Pie V,
comme un des rites de l’Eglise universelle, et que soit
reconnu aux prêtres et aux fidèles qui le désirent le droit
de l’utiliser librement et sans restriction »;
« ... que cessent les vexations à l’encontre des prêtres
et des fidèles restés attachés à la liturgie et à
l’enseignement traditionnels de l’Eglise, afin que puisse
s’instaurer un véritable dialogue sur ce qui est en jeu : la
foi, le sacré, l’universalité de l’Eglise ».
Il y a dix ans.
Il nous a semblé utile de revenir sur quelques aspects
éclairants de notre combat durant les vingt années (ou
presque) qui ont précédé Ecclesia Dei, surtout à
l’intention de ceux qui n’ont pas vécu cette période. En
revanche, nous ne nous attarderons pas sur les
événements d’il y a dix ans, qui sont dans toutes les
mémoires : les négociations entre Rome et Mgr Lefebvre,
le protocole d’accord du 5 mai 1988, la rupture, les sacres
du 30 juin...
Le dossier complet en a été publié dans la revue Una
Voce, n°141 de juillet-août 1988, qui contient en
particulier le texte intégral du Motu proprio du 2 juillet.
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YVES G IRE
Dans l’éditorial de ce numéro, nous demandions : « ...
Pourquoi pendant ce temps n’a-t-on pas tenu compte des
demandes légitimes des fidèles attachés à la liturgie et à
l’enseignement traditionnels de l’Eglise ? Pourquoi
semble-t-on maintenant s’apercevoir soudain qu’ils
existent et qu’ils sont dignes de considération ? Dans son
Motu proprio, le Saint-Père demande – c’est, dit-il, sa
volonté – que l’on prenne en leur faveur “les mesures
nécessaires pour garantir le respect de leurs légitimes
aspirations”. Si ces aspirations sont justes, et elles le
sont, pourquoi n’y a-t-on pas fait droit plus tôt ? Cela
n’aurait-il pas évité la situation dramatique dans laquelle
nous sommes tombés ? »
Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, et le Motu
proprio représentait déjà un réel progrès par rapport à
l’Indult de 1984. En particulier, la création de la
Commission pontificale « Ecclesia Dei » permettait à un
certain nombre d’instituts religieux, monastiques ou
séculiers, d’obtenir la concession de tous les livres
liturgiques de 1962, non seulement pour la messe, mais
aussi pour l’Office et l’administration des sacrements.
Dans les quelques diocèses où ils sont implantés, les
fidèles « qui se sentent liés par la tradition liturgique
latine » peuvent bénéficier de messes quotidiennes, de
Vêpres, des sacrements, des catéchismes, et de toute
une vie religieuse conforme à leurs « justes aspirations ».
Une application décevante.
Mais, en dehors de ces quelques cas, l’application du
Motu proprio reste assez décevante. En France, pays qui
est pourtant favorisé par rapport à beaucoup d’autres,
près de la moitié des diocèses n’ont encore rien accordé
malgré de nombreuses demandes. La plupart des autres
n’ont accordé qu’un seul lieu de culte par diocèse, avec
une seule messe dominicale hebdomadaire (parfois
même un dimanche sur deux ou un dimanche par mois),
et les conditions de cette célébration (disposition des
lieux, service d’autel, prédication...) ne sont pas toujours
conformes à la « tradition latine » à laquelle les fidèles
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ASSOCIATIONS
sont attachés. De plus, les particuliers ou les groupes qui
demandent l’application du Motu proprio pour une cérémonie occasionnelle se voient encore trop souvent
opposer un refus catégorique et injustifié.
On comprend que ces carences dans l’application du
Motu proprio conduisent un certain nombre de fidèles à
aller chercher ailleurs la satisfaction de leurs « justes
aspirations », ce qui entretient un climat de méfiance et de
suspicion vis-à-vis de l’autorité, contredisant ainsi
l’intention première du document : ramener ou maintenir
ces fidèles dans l’unité autour du Souverain Pontife;
d’autres fidèles, lassés, finissent par abandonner toute
pratique religieuse... Il est certain qu’une application plus
« large et généreuse » du Motu proprio, selon la volonté
du Saint-Père, contribuerait à apaiser ces tensions et à
ramener la paix et l’union.
Nous le souhaitons, et le réclamons à nos évêques, car
cela dépend d’eux. Mais nous continuons à penser que
seule la coexistence pacifique, sans restriction, des
anciens rites avec les nouveaux, pour la messe mais
aussi pour l’Office et la discipline des sacrements, peut
donner satisfaction aux fidèles attachés à la « tradition
liturgique latine », et rétablir un climat de confiance et
d’unité; ce qui dépend de Rome. C’est pourquoi dans une
supplique adressée au Saint-Père le 19 octobre 1993, la
Fédération internationale Una Voce, demandant quelques
clarifications sur l’application du Motu proprio, insistait
pour que l’Ordo traditionnel soit reconnu comme « égal en
droit et en dignité » avec le nouveau.
Il lui fut répondu le 17 janvier 1994 par le Substitut, Mgr
Re, que c’était le nouveau rite qui était la norme pour
toute l’Eglise, et que les autorisations accordées en vertu
du Motu proprio n’étaient que des privilèges
exceptionnels. Cependant, d’autres voix romaines,
notamment certaines déclarations du cardinal Ratzinger,
nous laissent espérer que cette position officielle n’est
peut-être pas définitive. Tout en militant pour la plus large
application possible du Motu proprio Ecclesia Dei, nous
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Arnaud Jayr
Une situation sans évolution
Dirigé par Arnaud Jayr, le Centre Montauriol est un
organisme de formation et d’action civique, culturel et
spirituel de laïcs catholiques qui rayonne principalement
dans le Sud-Ouest de la France.
Faire le point sur cette question, c’est s’engager sur un
sujet douloureux et délicat. Douloureux par les
événements placés à l’origine du Motu proprio; délicat
aussi car seule la vertu de prudence peut garder le
réalisme, du pessimisme ou de l’optimisme trop tentants
sur ce problème.
Le bilan des dix dernières années, malgré les
apparences, montre que la situation n’a guère évolué. De
part et d’autre, les adversaires du Motu proprio
maintiennent leur durcissement. Le statut de la messe
traditionnelle reste précaire et inconfortable. Dans ce
climat, il est même providentiel qu’un équilibre en faveur
de l’ancienne liturgie se soit maintenu. Il a permis aux
fidèles du Motu proprio de se constituer, de préparer leurs
prêtres et leur jeunesse. Parfois même, les difficultés les
ont rapprochés comme elles ont aiguisé leur lucidité.
Les dix dernières années, donc, confirment chez la
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ASSOCIATIONS
plupart des évêques de France une obstination ancienne
à refuser l’expérience de la Tradition, obstination qui se
traduit par le veto d’une collégialité toute gallicane à la
lettre de Jean-Paul II du 2 juillet 1988. Ainsi donc, comme
en bien d’autres domaines, l’exécutif épiscopal manque à
la papauté, même si celle-ci a nommé elle-même en vingt
ans la quasi-totalité de nos évêques. Ce climat de non
gouvernement, malgré tout, nous a servi dans la mesure
où nos avantages actuels résultent de la crise de l’autorité
dans l’Eglise depuis le dernier concile. Ceci est vérifié à
l’échelon plus réduit des diocèses : souvent, les potentats
opposés à la messe traditionnelle doivent reconnaître
l’existence déterminée des fidèles ou des communautés.
Dieu écrit droit avec des lettres courbes ! D’ailleurs
l’Eglise, même dans les épreuves, rend toujours possible
l’attachement à la Tradition dans le respect de la primauté
pontificale, car comment reconnaître celle-ci en
s’affranchissant de son autorité ?
Avant de tirer des conclusions, interrogeons-nous sur le
véritable sens du Motu proprio et sa portée. En effet pour
bien l’utiliser en faveur de la liturgie traditionnelle, il parait
souhaitable d’éviter deux interprétations erronées; la
première l’interprète comme un ralliement à l’esprit du
modernisme conciliaire; la seconde voit en lui une
dérogation à « l’usage interdit » d’un rite placé sous
conditions. Ces jugements prêtent au décret pontifical
plus d’intentions qu’il n’en contient et pourraient se
traduire par un effacement identitaire, s’ils venaient à
influencer les fidèles ayant trouvé dans le Motu proprio un
moyen supplémentaire d’exister.
Ainsi, pour être exact, il conviendrait de dire que le Motu
proprio de 1988, comme l’Indult de 1984 rappelèrent
comme ils le purent, dans un climat à la fois réformiste,
difficile, hostile et canoniquement atypique, les droits
inaliénés parce qu’inaliénables du missel dit de saint Pie
V. En effet, son codificateur, inspiré d’une prudence
prophétique, prit soin de préfacer son missel de 1570
d’une Bulle protégeant juridiquement la messe
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ARNAUD JAYR
traditionnelle de toute hostilité, d’où qu’elle vienne, et ceci
à perpétuité. Rappelons qu’une Bulle est le document
papal le plus solennel d’ordre gouvernemental ou législatif
et qu’il oblige en conscience. Ce document, jamais annulé
s’il pouvait l’être, est toujours en vigueur. Difficile à trouver
aujourd’hui, on peut regretter que sa publication ne soit
pas accessible au public (1). « Ce missel, y est-il écrit,
pourra être suivi en totalité, dans la messe chantée ou
lue, dans quelque église que ce soit, sans aucun scrupule
de conscience et sans encourir aucune punition,
condamnation ou censure, et qu’on pourra valablement
l’utiliser librement et licitement, et cela à perpétuité ».
Malgré la clarté et l’autorité de ce document, de 1969 à
1976, un imbroglio de déclarations et de décrets émanant
de la hiérarchie imposa l’interdiction apparente de la
messe traditionnelle avec son rite millénaire sans pour
autant abroger la Bulle de saint Pie V. Même si cet
arbitraire n’est pas légalement valable comme le reconnut
la commission pontificale de 1986, il a réussi à imposer,
par la force, une situation de fait qu’un réalisme
élémentaire oblige à prendre en compte. Dans cet
arbitraire, le Motu proprio de 1988 comme l’Indult de
1984, malgré leurs limites et leurs imperfections, se
placent comme des brèches que l’avenir élargira avec le
temps. Ces documents ont un caractère évolutif et relatif
au démêlé de l’imbroglio juridique produit par le nouveau
missel romain. Ils affaiblissent l’arbitraire de l’obligation
tout en rendant au rite traditionnel un droit de cité dont on
l’avait violemment privé.
Et maintenant, quel avenir ? Le Motu proprio n’ayant
reçu qu’une application parcimonieuse, il conserve son
actualité et contient des élargissements à venir.
Continuons à réclamer l’application de la volonté
pontificale en respectant nous-mêmes sa formulation
majeure, « l’usage du missel romain selon l’édition
typique de 1962 » (6, c). Ce missel est l’aboutissement
liturgique du Motu proprio « Rubricanum instructum »
donné par Jean XXIII le 25 juillet 1960, non sans
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ASSOCIATIONS
pressions et hésitations, pour couronner un long travail
d’ordonnance liturgique anté-conciliaire que le pape JeanPaul II nous confie en dépôt. Gardons précieusement ce
missel de 1962, contre toute division ritualiste ou
évolution dénaturante. En effet, ce missel nous place en
dehors du problème liturgique moderne, problème qui
appartient à ceux qui l’ont posé. Nos adversaires ont bien
d’autres moyens pour nous gêner, que l’adoption d’un
autre missel ou d’un autre calendrier : désignation des
célébrants, choix des horaires et des lieux, octroi de la
messe hebdomadaire ou occasionnelle sans vie
paroissiale ni suivi sacramentel pour les fidèles. Les
reconnaissances les plus confortables résultent d’un état
de fait avantageux pour la Tradition, où le rapport de force
a permis au droit de l’emporter.
Ces tracasseries sont faibles par rapport à nos atouts :
le natalisme des familles, le nombre toujours croissant
des vocations, l’existence des communautés et maisons
religieuses. La conservation comme la transmission de la
foi catholique, le respect de la morale chrétienne placent
le milieu traditionnel en situation de réserve pour la Rome
de demain. A certains petits signes du gouvernement de
l’Eglise, dans les orientations ou les nominations de telle
ou telle congrégation, l’impression est que Rome revient.
La situation actuelle n’est pas exactement celle que
l’analyse post-conciliaire prévoyait. Cela même si les
pressions subsistent, qui tôt ou tard céderont, tant l’Eglise
est substantiellement liée à sa Tradition, laquelle est
vivante. En effet, le christianisme, religion de l’Incarnation,
vivifie même son passé, le rendant éternel. Or, on n’arrête
pas plus la vie que l’éternité.
Dans son appel en faveur d’une nouvelle
évangélisation, le pape nous confie un rôle, celui de vivre
d’une mémoire, de la préserver de l’oubli et d’en être les
apôtres. Par exemple, saurons-nous trouver dans des
faits aussi simples que la question actuelle des langues
anciennes, l’engouement récent pour le grégorien, et la
recherche du sacré, des éléments en faveur de la liturgie
158
Arnaud de Lassus
Valeur psychologique d’Ecclesia
Dei
Héritière de la Cité Catholique et de l’Office
international, l’Action familiale et scolaire défend la
conception chrétienne de la famille et œuvre pour une
société chrétienne. Elle diffuse également un grand choix
de catéchismes et d’ouvrages doctrinaux.
Avant de parler de bilan à propos du Motu proprio
Ecclesia Dei, rappelons la nature et la signification de ce
document.
Signification du Motu proprio.
La thèse classique est la suivante :
– La messe traditionnelle est interdite depuis 1970, sauf
autorisation particulière;
– En 1984, le Saint-Siège a autorisé les évêques à
donner la permission de célébrer cette messe dans des
conditions très limitatives (lettre Quattuor abhinc annos du
3 octobre 1984); ce fut ce qu’on appela l’Indult.
– En 1988, par le Motu proprio, Jean-Paul II a demandé
aux évêques de « faire une application large et
159
ASSOCIATIONS
généreuse » de cet Indult.
Une telle thèse ne cadre pas avec la réalité. En fait, la
messe traditionnelle n’a jamais été interdite et les textes
qui paraissent porter une interdiction à son égard
constituent des abus de pouvoir ou sont dépourvus de
valeur juridique (1).
Il en résulte :
– que la lettre du 3 octobre 1984 (introduisant l’Indult)
n’a pas de valeur juridique : autoriser de façon restrictive
ce qui n’a jamais été interdit n’a juridiquement aucun
sens;
– que le Motu proprio, s’appuyant sur la lettre précitée,
n’a, sur le point évoqué (l’Indult), pas davantage de valeur
juridique.
Le Motu proprio possède en revanche une valeur
psychologique, au plan des relations humaines : celle
d’atténuer un peu les contraintes issues de ce qu’il faut
bien appeler un abus de pouvoir des évêques.
Aspects positifs du bilan.
A la suite du Motu proprio, un plus grand nombre de
fidèles a pu bénéficier de la messe traditionnelle; celle-ci
a pu être célébrée dans des églises, des chapelles (et
parfois même des cathédrales) où elle était jusque là
proscrite. De nouveaux séminaires ont été fondés pour
former des prêtres attachés au rit traditionnel.
D’où des bienfaits inappréciables obtenus soit par des
activités de type paroissial, soit par le rayonnement de
communautés religieuses et d’abbayes, les unes et les
autres s’étant appuyées sur le Motu proprio pour obtenir
un statut canonique régulier.
Aspects négatifs.
En regard de ces bienfaits, il faut noter des
inconvénients incontestables.
En autorisant de façon parcimonieuse la messe
traditionnelle, on entretient chez les fidèles – et
spécialement chez ceux qui en bénéficient – l’idée qu’elle
160
ARNAUD
DE
LASSUS
serait normalement interdite; idée fausse comme il a été
dit ci-dessus... mais compréhensible : qui dit Indult, en
effet, dit dérogation à une loi. Comment imaginer un Indult
permettant de déroger à une loi inexistante ? C’est
pourtant le cas.
Autre point négatif : pour sauvegarder le bénéfice de
l’Indult qui leur a été concédé, prêtres et fidèles (surtout
les prêtres) estiment souvent que, par prudence, il faut
s’abstenir de toute critique portant sur tel ou tel aspect de
la crise doctrinale dont l’autorité hiérarchique porte la
responsabilité (œcuménisme, libéralisme envahissant,
nouvelle théologie...). D’où un certain silence, une
certaine passivité, une absence de réaction vis-à-vis de
ces désordres fondamentaux.
L’attitude ici évoquée peut être parfois justifiée pour les
prêtres; elle ne l’est guère pour les laïcs.
Il y a plus grave : dans certains cas, l’on finira par
minimiser ou même ne plus voir les désordres contre
lesquels on s’interdit de protester, oubliant ainsi que la
crise liturgique se double d’une redoutable crise
doctrinale. Ce qui s’apparente à une capitulation devant
les forces modernistes qui ont envahi l’Eglise.
Quel avenir pour la messe traditionnelle ?
Nous n’abordons ici que quelques-uns des points sur
lesquels les laïcs peuvent avoir une influence pour la
survie de la messe traditionnelle.
Première remarque : les messes traditionnelles
constituent un trésor apprécié le dimanche et négligé en
semaine. Quelle tristesse de voir que les rares messes
qu’autorise l’Indult ne sont suivies en semaine que par
quelques dizaines de fidèles. « Tenez-vous vraiment à
ces messes, pourrait-on nous dire, puisqu’en semaine
vous n’y assistez pas ? »
Il faudrait sur ce point renverser la tendance.
Liturgie et doctrine vont de pair. Il est illusoire d’espérer
conserver à long terme une liturgie traditionnelle si l’on
cède sur la doctrine traditionnelle. Comme le constatait
161
ASSOCIATIONS
dans les années 1975 le cardinal Journet : « la liturgie et
la catéchèse sont les deux mâchoires de la tenaille avec
laquelle on arrache la foi » (2); puisque la liturgie et la
doctrine subissent une démolition simultanée, c’est
simultanément qu’elles doivent être défendues.
Si dans le domaine doctrinal – et tout spécialement pour
la doctrine de la messe : sacerdoce, présence réelle,
sacrifice... – les prêtres ne disposent pas d’une pleine
liberté de parole, si par exemple ils estiment imprudent de
souligner les défectuosités de la nouvelle messe, c’est
aux laïcs de prendre le relais. Le font-ils suffisamment ?
Savent-ils montrer avec précision qu’ils sont attachés à la
messe traditionnelle essentiellement pour des raisons
doctrinales et, secondairement, pour des questions de
sensibilité ? Possèdent-ils quelques documents-clefs
comme le Bref examen critique des cardinaux Ottaviani et
Bacci (3), La nouvelle messe de Louis Salleron (4), Le
sacrifice de la messe dans la nouvelle catéchèse et le
nouvel ordo (rédigé en majeure partie par le père Joseph
de Sainte-Marie) (5), La réforme liturgique en question de
Mgr Klaus Gamber (6) ?
Pour la sauvegarde et l’extension à l’avenir de la messe
traditionnelle, il y aurait là toute une action à mener.
Si nous avons parfois tendance à sous-estimer
l’importance de la messe traditionnelle, nos adversaires
ne commettent pas cette erreur.
A la fin du siècle dernier, l’occultiste Paul Roca,
chanoine apostat, avait annoncé la révolution liturgique
que nous vivons :
« Je crois que le culte divin tel que le règlent la liturgie,
le cérémonial, le rituel et les préceptes de l’Eglise romaine
subira prochainement dans un concile œcuménique une
transformation qui tout en lui rendant la vénérable
simplicité de l’âge d’or apostolique le mettra en harmonie
avec l’état nouveau de la conscience et de la civilisation
moderne » (7).
En défendant la messe traditionnelle, nous nous
opposons au plan général de subversion des hautes
162
ARNAUD
DE
LASSUS
maçonneries. D’où l’importance de combattre
simultanément les efforts de pénétration maçonnique au
sein de l’Eglise.
Il y a là un secteur d’action politique à incidence
religieuse immédiate qui est trop négligé.
Malgré les faiblesses qui viennent d’être signalées, la
France est sans doute le pays où la défense de la messe
traditionnelle (et la critique corrélative de la nouvelle
messe) ont été menées avec le plus de compétence et
d’efficacité. Deux faits entre beaucoup d’autres
témoignent de cette efficacité : la qualité des études sur la
messe (la traditionnelle et la nouvelle) qu’ont rédigées des
hommes comme le père Guérard des Lauriers, le père
Calmel, l’abbé Dulac, Mgr Lefebvre, le père Joseph de
Sainte-Marie, l’abbé de Nantes, l’abbé des Graviers,
Louis Salleron, Jean Vaquié, Henri Charlier, Henri
Rambaud, Jean Madiran; le rayonnement et l’expansion
des monastères, couvents, écoles restés fidèles à la
liturgie traditionnelle.
C’est là une forme particulière des « gesta Dei per
Francos ». Puisse-t-elle se développer et attirer sur notre
patrie les bénédictions divines dont celle-ci a tant besoin !
Notes
(1) Voir à ce sujet la brochure de l’Action familiale et scolaire Note sur
163
Yves Leclair
L’expérience de Nantes
Yves Leclair, président de l’association « Foi et
Tradition » à Nantes, nous a transmis, sous la forme
d’une Lettre à un cousin éloigné ses réflexions sur le bilan
du Motu proprio Ecclesia Dei dans son diocèse.
Mon cher Romain,
Je te remercie de ta longue lettre, qui fait suite à ton
passage à Nantes. Tu m’y poses de nombreuses
questions auxquelles je vais tenter de répondre, à ma
façon et en n’engageant que moi.
Tu as été enchanté de pouvoir assister ici à des
Offices que tu as trouvé beaux et priants – avec un
service de l’autel impeccable et une excellente chorale
–, au milieu d’une assemblée unie, remplie d’enfants un
peu bruyants parfois mais pleins de ferveur. Tu as
entendu parler, d’autre part, des activités d’esprit
traditionnel animées par nos fidèles : groupes Domus
Christiani, scoutisme, soupe populaire, Journées
d’Amitié catholique, etc. Et tu as été surpris d’apprendre
que nous n’étions pas satisfaits de notre sort...
Je sais bien que, dans ton diocèse, tu n’as pas la
possibilité d’assister à une messe célébrée dans le rite
164
YVES LECLAIR
dit de saint Pie V. Il est vrai que nous avons de la
chance, par rapport à d’autres et nous ne saurions trop
remercier Mgr Marcus d’avoir mis en œuvre à Nantes le
Motu proprio dès 1988.
Ce n’était pourtant pas facile dans un contexte local un
peu spécifique et qui n’épargne pas le clergé. Mais Mgr
Marcus a eu le courage de le faire, malgré l’hostilité
d’une bonne partie de son entourage.
Cela n’a pas été très simple pour nous non plus. Il
aura fallu plusieurs années pour que nous arrivions au
résultat que tu as pu constater toi-même. Au début,
notre messe dominicale était une simple messe basse,
célébrée à un autel latéral, avec le nouveau calendrier
liturgique, ce qui rendait délicate l’utilisation de nos
missels tridentins. Et il n’y avait que la messe
dominicale. Rien en semaine, pas de catéchisme, pas
de mariage ni d’enterrement. Notre évêque avait donné
à quelques prêtres de son diocèse la possibilité de
célébrer selon le rite ancien sous l’autorité de M. l’abbé
Le Grand, curé de la paroisse Saint-Clément, à laquelle
nous sommes rattachés. C’est un prêtre admirable,
plein de compréhension, même s’il a son caractère...
Mais qui pourrait lui en tenir rigueur ? C’est un bon
caractère de Breton. Ici, c’est indispensable.
Je me souviens d’une des premières venues à Nantes
de M. l’abbé Coiffet, que tu as connu dans le scoutisme.
Nous étions encore à la chapelle de l’Immaculée (nous
avons déménagé souvent !). De passage ici, il avait
seulement eu l’autorisation de prêcher et d’aider à la
distribution de la communion. Ceci pour dire que tout ne
s’est pas fait en un jour et qu’il nous aura fallu beaucoup
de patience. Mais j’imagine volontiers que Mgr Marcus
considère également qu’il manifestait beaucoup de
patience à notre égard. Il en faudra encore, de part et
d’autre, car nous ne sommes pas au bout de notre
chemin...
Tout ce qui a été acquis l’a été dans la douleur. Nous
avons échangé des mots, toujours respectueusement,
165
ASSOCIATIONS
des courriers plus ou moins amers. Nous avons aussi
partagé des repas et des confidences.
Aujourd’hui, nous pouvons assister à la messe chaque
jour dans notre rite, grand-messe le dimanche, messe
basse en semaine. Le missel tridentin est appliqué
intégralement, y compris le calendrier. Il n’y pas de
problème pour les baptêmes et les mariages, dès lors
qu’ils sont administrés par un prêtre de la Fraternité
Saint-Pierre (ou, le cas échéant, d’une autre
communauté bénéficiaire du Motu proprio). Je pourrai
même me faire enterrer comme mes grands-parents.
A la condition, toutefois, que ça se passe à SaintClément ! Et c’est un des problèmes pour les
catholiques traditionnels du diocèse de Nantes. « Le
respect de leurs justes aspirations » n’est appliqué
« largement et généreusement » qu’à Saint-Clément
(sauf dérogation, à titre exceptionnel nécessitant une
autorisation de l’évêque). Tu me diras : « Quelle
importance d’aller dans cette église ou ailleurs ? » Bien
sûr ! D’autant que la paroisse n’a plus la même
signification que jadis et que les affinités liturgiques et
culturelles l’emportent sur les critères géographiques.
Est-ce un bien pour l’unité de l’Eglise diocésaine ? Je ne
sais pas, mais c’est un fait et il n’est pas imputable aux
« traditionalistes ».
Toujours est-il que le Motu proprio n’est appliqué qu’à
Nantes et que les catholiques attachés à la liturgie
tridentine habitant la Presqu’île de Guérande,
Châteaubriant ou Ancenis n’ont d’autre choix que les
kilomètres qui les séparent de notre ville ou les offres de
services de la Fraternité Saint-Pie X. J’ai du mal à
admettre que l’on puisse prendre cette responsabilité en
refusant d’appliquer largement, comme le demande le
Saint-Père, le Motu proprio.
Et puis il y a les confirmations. C’est le seul sacrement
qui nous soit refusé à Nantes. Mais nous avons bon
espoir : notre nouvel évêque, Mgr Soubrier, a confirmé
à Paris selon le rite de saint Pie V il n’y a pas très
166
YVES LECLAIR
longtemps. Ce devrait être, là aussi, une question de
patience.
Alors, oui ! Nous sommes prêts à re-signer pour dix
ans ou vingt ans.
Mais je m’aperçois que je ne t’ai parlé que de nos
relations avec notre évêque et des prêtres diocésains
qui nous ont en charge. Je ne te parlerai pas de la
Fraternité Saint-Pierre, qui a mis à notre disposition
(avec, bien sûr, l’autorisation de l’évêque) un prêtre à
Nantes. Mais il faut que je te parle des laïcs du diocèse,
car, là aussi, il y a la spécificité nantaise.
Curieusement, ceux qui devraient être les plus
proches de nous sont les plus hostiles à ce que nous
faisons. Je ne sais pas si tu te souviens de cette
émission de télévision, odieuse comme d’habitude, où
le pape, comparé à Hitler, était traîné dans la boue avec
ceux qui le suivent. Les Scouts d’Europe, les A.F.C.,
l’Opus Dei, Famille Chrétienne et les traditionalistes
étaient tous mis dans la même barque, que les
procureurs du service public, dignes héritiers de Carrier,
auraient volontiers coulée en pleine Loire !
Mais tout le monde n’a pas conscience que nous
sommes dans la même barque. Les mobilisations
auxquelles ont donné lieu les récentes visites de JeanPaul II en France auraient pu être des occasions de
travailler ensemble, de ramer dans la même direction. Il
n’en a rien été. La fréquentation des traditionalistes
fermerait bien des portes aux « catholiquement
corrects » qui s’y risqueraient, tant il est vrai que
l’environnement dont je parlais plus haut nous est
hostile.
Voilà, mon cher Romain, les réponses que je suis en
mesure d’apporter à tes questions. Nous restons pleins
d’espoir, mais nous construisons pierre après pierre, en
essayant d’apporter la « richesse de notre diversité »,
malgré le rejet qu’inspire notre différence. Et quand il
nous arrive de nous décourager, nous nous rappelons
ce que disait saint Louis-Marie Grignion de Montfort :
167
Matthieu Maurin
La liturgie au centre de
l’activité missionnaire
Mouvement de jeunes catholiques à la finalité
essentiellement missionnaire, Jeune Chrétienté s’appuie
sur la liturgie traditionnelle. Matthieu Maurin appartient au
triumvirat qui dirige l’association.
« Jeune Chrétienté » fût fondée en 1990 dans le but de
faire face à la déchristianisation croissante que nous ne
pouvons que constater parmi nos camarades de classe,
nos amis, nos familles même, souvent. Nous avons choisi
de suivre cet appel à la nouvelle évangélisation lancé par
le Saint-Père et d’accueillir au sein d’équipes destinées à
devenir des cellules de chrétienté ces véritables néopaïens que sont devenus les jeunes de France dans leur
majorité.
Dans notre effort missionnaire, la liturgie occupe la
place centrale, et ces jeunes sont toujours touchés par
cette liturgie traditionnelle à laquelle nous sommes tant
attachés (nous plaçant de ce fait dans le cadre du Motu
proprio). Parmi toutes les conversions qui ont pu se faire
à Jeune Chrétienté ressortait toujours cette place
prépondérante que la liturgie, la messe principalement, y
avait occupée. Elle est due aux richesses propres de
cette liturgie : son caractère ordonné, cette foule de
168
MATTHIEU M AURIN
« petits » détails dont chacun pourtant a un sens bien
particulier et donc toute sa place. Ornements, oraisons,
gestes qui concourent tous à maintenir nos pensées –
pour reprendre le titre du fameux livre de Mgr Gamber –
Tournés vers le Seigneur. Et contrairement à ce qui se dit
habituellement, une telle profusion ne rebute pas la
jeunesse, qui n’est pas attirée ici par le simple, le concret
ou le « terre-à-terre », mais par l’authentique et le Beau.
Ces raisons expliquent notre choix de faire appel à des
aumôniers qui nous dispensent cette liturgie traditionnelle
pour faire redécouvrir l’Eglise à des jeunes qui ont soif de
sacré.
Jeune Chrétienté ne peut que se réjouir de l’existence
de ce Motu proprio, qui nous permet d’exercer pleinement
notre apostolat en profitant de la force de cette liturgie
traditionnelle, sans pour autant nous mettre en marge de
l’Eglise. Ce dernier point est très important pour nous : en
effet, tout d’abord, on le sait et les dernières Journées
mondiales de la jeunesse l’ont encore prouvé, la jeunesse
est très attachée à la personne du Saint-Père. Et même
ceux qui ne suivent pas les conseils du pape, notamment
concernant la morale sexuelle, le regardent toujours avec
respect car ils sentent confusément que cet homme-là ne
parle pas pour les séduire, se gagner leurs votes ou
vendre des billets à un spectacle, mais parce qu’il veut
leur bonheur et les voit comme des hommes, non comme
des animaux aux instincts irrépressibles. Elle est attachée
aussi, dans un monde où tous les repères s’effacent à sa
fonction de chef de l’Eglise et de l’autorité qui en découle.
Nous positionner dans une attitude de critique ou nous
marginaliser au sein de l’Eglise serait à ces égards
suicidaire : ce serait hurler avec les loups de ceux qui se
moquent tant du pape et, à travers lui, de l’Eglise. De plus,
comment défendre l’Eglise, face à tous les procès que les
grands médias lui font tout en la critiquant explicitement
dans son attitude ? Un sceptique pourrait objecter sans
être incohérent qu’il est d’accord avec vous et qu’en
n’écoutant pas l’Eglise sur certains points, il suit votre
169
ASSOCIATIONS
exemple. Comment être missionnaire et vouloir amener
des âmes au sein d’un palais que l’on décrit comme un
égout ?
L’existence du Motu proprio nous a de plus permis
d’établir des relations fraternelles, non seulement avec
certains prêtres diocésains qui, bien que ne partageant
pas nos orientations liturgiques, approuvent notre action
apostolique; mais aussi avec les autorités diocésaines,
comme à Versailles ou à Paris. Mgr Lagrange nous fit
même l’amitié de confirmer plusieurs de nos jeunes il y a
deux ans et de faire une conférence à la session de
formation de nos cadres cette année. Ce lien qui se crée
ainsi et que nous souhaitons voir se renforcer avec
l’autorité diocésaine compte pour les jeunes qui arrivent
au sein du mouvement en leur prouvant que notre action
est légitime. Il compte aussi sûrement en montrant
humblement à ces autorités que l’on peut être attaché à la
Tradition tout en leur obéissant et en les aimant, et que,
face aux excès d’autres mouvements, Jeune Chrétienté a
su créer une atmosphère de mixité ni malsaine ni
indisciplinée.
Sans cette nouvelle ambiance créée par le Motu
proprio, la naissance de Jeune Chrétienté et son
développement auraient sans doute été sérieusement
compromis.
Hélas, force nous est de constater, comme d’autres
associations amies le font, que, contrairement à la volonté
même exprimée par le Saint-Père, des obstacles nous
sont souvent opposés face à notre vœu d’utiliser cette
forme liturgique.
Difficultés tout d’abord rencontrées à l’étranger lors de
nos camps d’été. Si nous ne rencontrons que de l’amitié
lorsque nous nous rendons dans des pays comme la
Syrie ou la Turquie, où les chrétiens sont aussi attachés à
des rites riches; en revanche, dans des pays où le
catholicisme est pourtant dominant, comme le Portugal ou
l’Italie, nous avons souvent connu bien des difficultés. La
majeure partie du temps, nous sommes obligés de taire
170
MATTHIEU M AURIN
notre spécificité, sans quoi nous risquerions de nous voir
refuser l’accès aux églises. Certains clercs suivent les
recommandations exprimées par le Motu proprio, comme
l’évêque de Leiria, qui nous fit un mot faisant office de
laisser-passer sur tout son diocèse. D’autres, en
revanche, et surtout en Italie, ce qui est le comble
puisqu’il s’agit de la terre même du pape, nous refusent
leur église, en semblant ignorer que, de par la volonté
même de Jean-Paul II, la Fraternité Saint-Pie X n’a pas le
monopole de la messe de saint Pie V.
Difficultés rencontrées en France, en Bretagne par
exemple, où un de nos animateurs venant de fonder une
équipe se voit regarder avec hostilité par le clergé local,
qui, là encore, semble tout ignorer des dispositions du
Motu proprio alors que celui-ci est en vigueur depuis dix
ans déjà. Un autre amalgame courant en France est de
nous rejeter en nous assimilant à la succursale d’un parti
politique, accusation parfaitement non fondée dans la
mesure où aucune des activités que nous proposons ou
aucune de nos publications n’a de caractère politique. Là
encore, l’ignorance (la malveillance ?) semble régner.
Difficultés face parfois aux prêtres mêmes qui dispensent
cette liturgie, quand ils le font uniquement par obligation,
qu’ils n’aiment pas cette liturgie et ne s’en cachent pas
dans leur propos; ou se cantonnent au « service
minimum » de la messe hebdomadaire, nous refusant
toute adoration eucharistique, par exemple.
Difficultés enfin dans tous ces diocèses où nous
sommes en contact avec des jeunes garçons ou des
jeunes filles désirant, par Jeune Chrétienté, faire de
l’apostolat et monter des équipes et où ces fondations
sont rendues très difficiles à cause de l’absence de toute
paroisse ou de tout prêtre pouvant nous dispenser cette
liturgie au moins une fois par semaine, comme à Tours.
Là encore, nous souffrons de voir le Motu proprio
insuffisamment appliqué.
Cependant, nous gardons présent à l’esprit, surtout à
Jeune Chrétienté, la chance que nous avons... Avoir pu
171
Loïc Mérian
Au cœur du débat liturgique
Jeune Président du Centre international d’études
liturgiques (CIEL) Loïc Mérian organise, à ce titre, chaque
année un colloque portant sur la liturgie. Il a également
dirigé pendant plusieurs années le mouvement Jeune
Chrétienté.
Si le Motu proprio a permis un apaisement pratique et la
rupture de l’isolement pratique dans lequel se trouvaient
cantonnés prêtres et fidèles attachés aux formes
liturgiques traditionnelles, il a permis également et de
manière très nette de pouvoir dépasser les clivages
idéologiques et de commencer une réflexion de fond sur
la réforme liturgique.
Bien sûr, nul ne peut nier que dès la réforme elle-même
une certaine « auto-critique » s’est fait jour au sein de
l’Eglise elle-même, principalement sur une mauvaise
application de la réforme : « Cette réforme n’est pas sans
danger, en particulier celui de l’arbitraire et, par voie de
conséquence, celui de la désagrégation de l’unité
spirituelle de la société ecclésiale […]. La multiplicité des
changements introduits dans la prière traditionnelle et
commune a pu servir de prétexte à cet arbitraire […]. Ce
172
LOÏC MÉRIAN
désordre que malheureusement on observe ça et là,
cause un grave préjudice à l’Eglise » disait Paul VI à
l’audience générale du 3 septembre 1969. Le Bref
examen critique publié lors de la sortie du nouveau missel
et accompagné d’une lettre très ferme et très critique des
cardinaux Ottaviani et Bacci en est un autre exemple.
Cependant ces voix isolées furent emportées dans
l’enthousiasme du mouvement liturgique d’après-guerre
dont on sait aujourd’hui qu’il ne laisse que de rares
convaincus et beaucoup de places désertes. Il est
malheureusement inutile de revenir sur la disparition en
trente ans des fidèles de nos paroisses. Durant de
nombreuses années, le discours est resté foncièrement
optimiste quant aux éventuelles distorsions présentes
dans la réforme elle-même : « Le missel actuel s’inscrit
dans la plus ancienne tradition. C’est vraiment la messe
de toujours tout en étant la messe de notre temps,
exactement comme la messe de 1570 était la messe de
toujours et la messe de son temps […]. Ce n’est pas sans
parti pris que l’on pourrait l’accuser d’avoir vidé la
célébration eucharistique de son contenu réel […]. Un
examen objectif des textes et un bref survol de l’histoire
suffisent pour faire taire ces objections » (1). Bien sûr,
certains « audacieux » comme le père Gélineau, qualifié
par Mgr Bugnini dans ses mémoires de liturgiste parmi les
« plus montants du XXème siècle », osent affirmer
froidement la rupture : « Que ceux qui ont encore connu
et célébré comme moi la grand-messe chantée en latin et
en grégorien se souviennent s’ils le peuvent. Qu’ils lui
comparent la messe actuelle d’après Vatican II. Non
seulement les mots, les mélodies et certains gestes sont
autres. En vérité c’est une autre liturgie de la messe. Il
faut le dire sans ambages : le rite romain tel que nous
l’avons connu n’existe plus, il est détruit » (2).
Peu d’autorités ont été aussi loin dans leur jugement et
le discours général est plutôt celui qui se trouve
synthétisé dans la lettre apostolique du pape Jean-Paul II
pour le 25ème anniversaire de la constitution sur la sainte
173
ASSOCIATIONS
liturgie publiée le 14 mai 1988 : « Ce travail a été accompli
suivant le principe conciliaire : fidélité à la tradition et
ouverture à un progrès légitime. Aussi peut-on dire que la
réforme liturgique est strictement traditionnelle ad
normam sanctorum Patrum ».
Il est clair que cette position sur la continuité de la
réforme liturgique avec la tradition de l’Eglise a été
contestée par ceux qui dans la tourmente post-conciliaire
ont estimé plus sûr de se tenir aux rites liturgiques
précédents. Il est cependant intéressant de noter le
nombre relativement faible d’études sur le sujet que
produiront avant 1988 les milieux dits traditionalistes.
Sans chercher à porter de jugement de fond et comparé
à l’extraordinaire travail historique et liturgique mené par
les « tenants » du mouvement liturgique d’après guerre
on peut faire le constat, comme le fait l’abbé Barthe dans
son ouvrage sur la crise de l’Eglise, que l’aile
conservatrice n’a plus hélas pour faire face aux réformes,
ni troupes, ni relais. En face des dizaines de volumes de
la collection Lex Orandi des éditions du Cerf qui démarra
avec les fameuses Etudes de Pastorale liturgique que
trouve-t-on ? Peu de choses et surtout peu de choses
écrites par des ecclésiastiques. Certes beaucoup de
pamphlets ou plaquettes mais peu d’études de fond. Il
faut rendre hommage à la revue Itinéraires et à Jean
Madiran d’avoir organisé les réactions avec les plumes de
l’abbé Dulac, du Père Calmel, du Père Guérard des
Lauriers, et surtout celles d’un certain nombre de laïcs
parmi lesquels Louis Salleron qui, avec La nouvelle
messe (3), signe un des ouvrages qui, sans être une
étude réellement approfondie, restera durant de
nombreuses années le « manuel » de base de ceux qui
voulaient étudier la réforme aussi bien dans les milieux
laïcs qu’ecclésiastiques. Il faut noter également les
travaux du Père Joseph de Sainte-Marie, dès le départ
plus attaché à une étude de fond sur la réforme et dont les
travaux sur la concélébration sont une des rares études
fouillées dans le domaine liturgique émanant du milieu
174
LOÏC MÉRIAN
conservateur.
La mise à l’écart pratique des fidèles et prêtres attachés
à la liturgie ancienne a été certainement un facteur
important de stérilisation intellectuelle des positions
conservatrices dans le domaine liturgique. La « violence »
des pressions et sanctions ecclésiales à l’égard de ceux
qui mettaient en doute le bien-fondé des réformes, le
discrédit idéologique jeté sur eux a certainement conduit
bien des ecclésiastiques à préférer être en paix au sein de
l’Eglise plutôt qu’à être marginalisés. Entre 1976 et 1988,
l’amalgame est quasi total entre l’attachement à la liturgie
traditionnelle, une critique violente du missel de Paul VI et
une certaine rupture avec la hiérarchie. Tout concourt à ce
qu’il n’y ait pas d’alternative possible. Seul l’Indult de 1984
fournira un « ballon d’oxygène » dans cette difficile
situation. Mais jusqu’en 1988, la situation pratique et donc
intellectuelle de la liturgie traditionnelle restera marginale
ou écartée, repoussée en périphérie de la vie de l’Eglise.
Il est étonnant de constater que même structurés autour
de la Fraternité Saint-Pie X, les milieux traditionalistes
n’aient pu fournir le matériau nécessaire à une véritable
reconquête intellectuelle des esprits dans ce domaine. Si
auprès des fidèles, les choses peuvent être plus du
domaine de l’immédiateté visuelle ou du geste, pour les
autorités responsables de la question liturgique la
question de fond, doctrinale, théologique reste de la
première importance. Or en pratiquant l’amalgame
idéologique vis-à-vis de la messe traditionnelle, on a
suscité à la fois une crainte de soutenir cette mouvance et
une amertume de la mouvance elle-même rejetée sans
discussion de la réforme.
Les milieux universitaires sont donc restés à l’écart de
ces études et le milieu traditionaliste n’a pu ou n’a pas
voulu reprendre le flambeau.
En 1988, le Motu proprio introduit une rupture immense;
le Saint-Père, concernant la liturgie tridentine, parle de
richesses, d’aspirations légitimes; il invite les pasteurs, les
théologiens à retrouver la voie de la Tradition et de la
175
ASSOCIATIONS
fidélité doctrinale. Ce faisant le Saint-Père libère deux
jougs importants même si la concrétisation pratique est
très variable dans les diocèses, collégialité oblige;
cependant il est désormais possible aux yeux du plus
grand nombre d’être attaché à la liturgie tridentine et
d’être pleinement au sein de l’Eglise. C’est un
bouleversement sans précédent, même si une fois de
plus la « généreuse application » du Motu proprio est
laissée à la moins généreuse appréciation de certains
épiscopats.
D’un point de vue pratique, de très nombreuses
autorités vont pouvoir célébrer publiquement selon le
missel de 1962, ce qui était quasiment impensable
auparavant : les cardinaux Stickler, Ratzinger, Felici,
Palazzini, Poggi, Gagnon, Mayer, Piovanelli, de très
nombreux évêques en France, en Allemagne, en Italie,
aux Etat-Unis, en Australie, des pères abbés et
d’innombrables prêtres célèbrent selon ce rite
occasionnellement ou régulièrement. Cela ne veut pas
dire que tout est désormais facile, loin de là, mais on ne
peut plus désormais dire, avec ou sans raisons juridiques,
« cette messe est interdite » puisque la plus haute autorité
de l’Eglise démontre le contraire.
De là va découler un nouveau débat intellectuel, jusque
là peu connu, par les travaux publiés en allemand par Mgr
Gamber ou les interventions du cardinal Ratzinger dans
La célébration de la foi (4) ou Entretien sur la foi (5).
On connaît les critiques du Père Bouyer – « Il en résulte
que la messe dite “face au peuple” n’est qu’un total
contresens ou plutôt un pur non sens » (6) –, du cardinal
Decourtray – « Nous sommes tellement tournés vers
l’assemblée que nous avons oublié de nous tourner
ensemble, peuples et ministres vers Dieu ! Or sans cette
orientation essentielle, la célébration n’a plus aucun sens
chrétien » (7) – ou du Père Max Thurian dans
L’Osservatore Romano du 23 juillet 1996.
Auraient-elles été possibles quelques années
auparavant ?
176
LOÏC MÉRIAN
Le cardinal Ratzinger revient très régulièrement sur
cette question : « La réforme liturgique, dans sa
réalisation concrète, s’est éloignée toujours davantage de
cette origine. Le résultat n’a pas été une réanimation mais
une dévastation », écrit-il en 1989 (8). Ou encore plus
récemment : « Je suis convaincu que la crise ecclésiale
dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui dépend en
grande partie de l’effondrement de la liturgie » (9).
Le cardinal Stickler, ancien membre du Concilium de
liturgie revient depuis plusieurs années sur l’opposition
qui existe entre la réforme liturgique et la constitution
conciliaire sur la liturgie : « Ce détournement d’objectif a
eu en particulier pour effet que, dans l’Eglise, de plus en
plus de voix autorisées se font entendre, se plaignant que
le rite romain a été non pas révisé comme le demandait le
concile mais bel et bien détruit : en particulier la nature
spécifique des différentes parties de la sainte messe non
seulement n’apparaît plus clairement mais au contraire
est falsifiée; en outre, à la place de Dieu et du sacrifice qui
lui est offert, on voit s’imposer le concept d’un repas
communautaire entre les fidèles » (10).
On citera enfin, le Père Folsom, aujourd’hui président de
l’Académie pontificale de liturgie Saint-Anselme à Rome :
« Il semblerait que la modification et la réduction de ces
gestes dans l’Ordo missae de 1970 correspondent à une
évolution importante de la pensée contemporaine dans
les domaines de l’anthropologie et de la théologie.
Anthropologiquement, on voit désormais triompher une
conception de l’homme inspirée de l’esprit des Lumières.
[…] Dans certains pays, une large majorité de fidèles
catholiques ne croit plus à la présence réelle du Christ
dans l’Eucharistie. Sans doute la réduction des gestes de
révérence au moment de la consécration n’est pas la
seule explication à cette confusion et à cette perte de la
foi. Cependant, si nous admettons l’axiome selon lequel la
pratique liturgique influence la foi, il semble logique d’en
conclure que ces changements apportés à la liturgie ont
contribué à un manque de révérence et parallèlement à
177
ASSOCIATIONS
une perte du sens de la foi » (11).
On pourrait multiplier de telles citations car elles
commencent à émaner de milieux très divers. Le débat
liturgique est enfin rouvert. Il est enfin permis d’y exprimer
un avis, de livrer les résultats d’une étude sans conclusion
hâtive mais sans être taxé de dangereux « rétrograde
conservateur ».
Depuis trois ans les colloques internationaux du CIEL
permettent de mesurer le chemin parcouru et de livrer des
études de fond, non polémiques, dans un esprit
scientifique, dans un contexte d’appréciation positive de
la liturgie tridentine. L’accueil réservé par les autorités
romaines à ces travaux permet de constater que le Motu
proprio a permis de sortir d’une situation bloquée qui
voyait le règne d’une uniformité idéologique tolérant
difficilement la contradiction. Sans consacrer la victoire
d’aucun parti, le Motu proprio permet qu’à nouveau des
questions jugées taboues il y a dix ans soient à nouveau
étudiées et débattues sans que les arguments avancés
soient rejetés a priori.
Bien sûr, une telle évolution de la question liturgique
n’est pas du goût de tous et de nombreux obstacles
pratiques et intellectuels subsistent.
Ainsi le Père Matzger, doyen de la faculté de théologie
de Strasbourg dénonce-t-il : « Des hauts dignitaires
encouragent, par leur participation à des cérémonies
traditionalistes, le maintient de formes liturgiques
positivement périmées, en prenant prétexte d’abus dans
l’application des réformes » (12). Ou encore Mgr
Weakland, ancien abbé Primat des bénédictins,
archevêque de Millwaukee aux Etats-Unis : « Ce qui a fait
complètement dérailler le renouveau liturgique […] c’est la
décision du pape Jean-Paul II […] d’accorder en 1984
l’Indult qui a permis au rite tridentin de se répandre à
nouveau. […] Le Motu proprio de 1988 établissant la
commission “Ecclesia Dei” à la Curie et demandant un
usage plus répandu et plus généreux de l’Indult de 1984
par les évêques locaux a renforcé cette impression […].
178
Abbé François Pozzetto et Pierre Vaquié
Le pèlerinage de chrétienté
à Chartres et le Motu proprio
L’abbé François Pozzetto et Pierre Vaquié sont
respectivement aumonier général et président de
l’association Notre-Dame de Chrétienté qui organise
chaque année le pèlerinage de la Pentecôte de Paris à
Chartres.
Depuis l’origine, le rite « liturgique traditionnel latin » –
dit de saint Pie V – est l’un des trois éléments fédérateurs
du pèlerinage de Pentecôte à Chartres, avec la chrétienté
et l’esprit missionnaire. Les trois piliers fondateurs du
pèlerinage – Tradition-chrétienté-mission – sont
profondément liés et notre fidélité au rite conforte les deux
autres.
Pour celui qui découvre le pèlerinage, ce rite beau et
grave, d’une mystérieuse magnificence, donne d’emblée
son style si tonique au pèlerinage. Ajoutez-y, bien sûr, la
rudesse de ces 105 kilomètres à pied en trois jours,
l’omniprésence des familles tous âges confondus,
l’affichage structuré d’une totale complémentarité entre
prêtres et laïcs, la place prépondérante donnée à Notre-
179
ASSOCIATIONS
Dame comme chemin vers Jésus et on aura la palette
assez complète des couleurs de ce pèlerinage qui se
veut une véritable chrétienté. De tout cela le rite si beau,
si mystérieux, si entraînant est le lien et le liant.
Avant le Motu proprio du 2 juillet 1988, l’application du
rite traditionnel ne fait pas l’objet de débat. Il va de soi. Il
est la respiration naturelle et spontanée de tous les
pèlerins.
En pleine débâcle post-conciliaire, encouragée par les
exemples de Mgr Lefebvre et d’autres cardinaux,
évêques, prêtres et laïcs éminents, la fidélité au « rite
ancien » était le sursaut salutaire qui s’imposait avec
évidence sans que personne ne cherchât à la justifier.
Poussés par le besoin de faire réparation à NotreSeigneur et de retremper leurs forces par la proclamation
d’une adhésion inconditionnelle au rite porteur de toute
leur ferveur, les pèlerins des premiers pèlerinages de
Chartres vivent leur fidélité au rite comme une bouffée
d’oxygène. Le rite « ancien » étant proscrit, au moins
dans les faits, les relations avec les autorités religieuses
étaient limitées à la seule mise au point des questions
administratives. Peu de débat. Peu d’échange.
Rappelons toutefois que le clergé de Notre-Dame de
Paris – dont le futur évêque de Chartres, Mgr Perrier – a
toujours reçu les pèlerins de Chartres avec
compréhension, mais aussi que (sauf en 1985) ces
derniers ont régulièrement trouvé fermées devant eux les
portes de la cathédrale de Chartres.
De cette époque nous gardons, dans le style et
l’organisation du pèlerinage (quant au rite) :
– Une grande attention portée à la perfection liturgique
pour le déroulement des trois messes. Pour tous, cette
volonté s’est traduite par la constitution d’une équipe
liturgique parfaitement organisée, soudée, renouvelée et
élargie qui a maintenu au fil des années son rayonnement
et son exemple.
– Une place privilégiée pour les prêtres : dès l’origine,
on a tout organisé pour leur permettre de célébrer leur
180
ABBÉ POZZETTO
ET
P. VAQUIÉ
messe privée dans les meilleures conditions, ces prêtres
ayant ensuite devant eux une rude journée de
confesseurs et de prédicateurs entre deux chapitres.
– Une pédagogie portant sur l’explication répétée sans
arrêt du mystère de la messe et de la beauté du rite
traditionnel.
– Deux attitudes symboliques du respect du rite
traditionnel : la communion à genoux – dans la boue s’il le
faut – et le grand silence impressionnant au moment de la
Consécration.
Avec le Motu proprio commence une nouvelle époque
qui conforte le choix de l’origine et lui donne une assise et
une force nouvelles. Provoqué par une grave décision qui
divise la « famille traditionaliste », le Motu proprio est
accepté par beaucoup de chefs de chapitre et une grande
partie de l’équipe dirigeante du pèlerinage sans arrièrepensée. Ses fondateurs, pour la plupart, acceptent la
« main tendue » de Rome et refusent la séparation d’avec
le Souverain Pontife et ses conséquences dramatiques.
L’existence de relations permanentes avec la hiérarchie
ecclésiale fait partie de la visibilité de l’Eglise, malgré le
risque de débats biaisés par une dialectique difficile à
dépasser ou l’enlisement sans fin dans des procédures
administratives tracassières.
Le Motu proprio ne change rien au déroulement ni au
style du pèlerinage : l’exclusivité de l’application de
l’ancien rite reste intacte. Certains voudraient que le biritualisme soit introduit sur la route de Chartres, mais
nous nous y refusons. Pourquoi ? Pour maintenir l’unité
de cette démarche spirituelle fondée non seulement sur
un rite mais aussi sur des « traditions spirituelles et
liturgiques » (Motu proprio Ecclesia Dei). La nonacceptation du rite nouveau n’est pas jugement de valeur,
mais affirmation de l’excellence du missel de 1962 et
volonté de rester unis.
Le bi-ritualisme, dans l’état actuel de la liturgie dans
l’Eglise, serait contraire à la vocation du pèlerinage.
Ce qui a changé avec le Motu proprio concerne
181
ASSOCIATIONS
certaines modalités et principalement la pédagogie :
– Dans leurs documents officiels, les responsables du
pèlerinage, prêtres ou laïcs, au lieu de comparer les deux
rites, cherchent, dans un souci missionnaire, à mettre en
valeur la richesse et la beauté de l’ancien rite, tout ce qui
en fait le sacré et l’excellence.
Cette modération s’inscrit dans l’esprit du protocole
d’accord signé entre le cardinal Joseph Ratzinger et S.
Exc. Mgr Marcel Lefebvre, protocole repris par la
Commission « Ecclesia Dei » après les sacres d’Ecône et
signé par de nombreux prêtres. Il y est stipulé : « A propos
de certains points enseignés par le concile Vatican II ou
concernant les réformes postérieures de la liturgie et du
droit et qui nous paraissent difficilement conciliables avec
la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude
d’étude et de communication avec le Siège Apostolique,
en évitant toute polémique ».
– Ce souci de formation se marque vis-à-vis des chefs
de chapitre auxquels il est fourni de fréquents
argumentaires pour former leurs pèlerins. En effet, depuis
1989 et l’application du Motu proprio, la population des
pèlerins change. Beaucoup de nouveaux connaissent peu
l’ancien rite ou le pratiquent peu; les lieux de culte
reconnus par les Ordinaires sont encore relativement peu
nombreux. La pédagogie se développe donc au sein du
pèlerinage. On utilise tous les documents diffusés
régulièrement sous l’autorité des communautés et
associations pratiquant et défendant le rite traditionnel (Le
Barroux, Fontgombault, Oremus, etc.).
– Les relations avec les prêtres se renforcent sur
l’application de l’ancien rite. Des prêtres trouvent (ou
retrouvent) le chemin de ces anciens rites. L’abbaye
Sainte-Madeleine du Barroux et d’autres communautés
les forment. Plusieurs témoignent de leur joie de découvrir
la splendeur de ce rite séculaire.
Ce qui a changé, ce sont aussi, bien sûr, les relations
avec les autorités de l’Eglise. La reconnaissance totale de
toute la hiérarchie et l’obéissance due à nos évêques
182
ABBÉ POZZETTO
ET
P. VAQUIÉ
entraînent des rencontres et des discussions fréquentes.
Leur multiplication conduit à une meilleure justification de
l’application du rite traditionnel.
Cependant, ce Motu proprio met mal à l’aise une partie
de l’épiscopat (surtout en France), des prêtres séculiers et
des communautés religieuses. Il n’est pas attaqué de
face, mais son application retardée et, surtout, interprétée
comme transitoire, précaire et révocable, « parenthèse
miséricordieuse »... On nous oppose fréquemment, dans
nos débats avec nos évêques :
– l’unité de l’Eglise (le « rite ancien » serait
insupportable à une partie des communautés ecclésiales
et serait la cause d’une fracture de l’Eglise, son unité
passant par une unité de rite);
– la Tradition (le nouveau rite constituerait aujourd’hui le
rite traditionnel de l’Eglise. Nos appellations sont donc
fallacieuses);
– et l’unité de la messe (à trop vouloir défendre l’ancien
rite, les dirigeants du pèlerinage porteraient la
responsabilité d’affaiblir, chez les fidèles, la perception de
la transcendance de la messe au-delà des différences de
rite).
Tous ces arguments rendent le dialogue difficile et les
autorisations problématiques. Une telle lenteur est de
nature à faire fuir fidèles et pèlerins qui vont chercher hors
des structures reconnues par l’Eglise une réponse à leur
besoin d’une liturgie de qualité.
Pour conclure, les dirigeants de « Notre-Dame de
Chrétienté » expriment, dans une profonde action de
grâce, leur joie devant la médiation de la Mère de l’Eglise,
Notre-Dame qui, depuis seize ans maintenant, les
conduit. Consacrés à Elle devant la cathédrale de
Chartres en 1993, mais aussi individuellement pour
certains, les pèlerins de Chartres expérimentent
quotidiennement et particulièrement à chaque Pentecôte
le « monstra te esse matrem » : Notre-Dame est vraiment
leur Mère.
Depuis dix ans maintenant, les ont accueillis à Chartres
183
ASSOCIATIONS
plusieurs cardinaux, évêques et pères abbés. Dès 1989,
le T.R.P. Dom Antoine Forgeot, père abbé de l’abbaye
Notre-Dame de Fontgombault venait, avec le T.R.P. abbé
Dom Eric de Lesquen (Randol) les encourager. En 1990
et en 1996, le T.R.P. Dom Gérard, de l’abbaye SainteMadeleine du Barroux, est là pour leur prêcher la fidélité
et la défense de la chrétienté (comme déjà en 1985 dans
un sermon mémorable).
Mais Rome se déplace jusqu’à Chartres. Le cardinal
Augustin Mayer, à l’époque président de la Commission
« Ecclesia Dei », accompagné de Mgr Camille Perl et reçu
par le nouvel évêque de Chartres, Mgr Jacques Perrier.
Sa visite paternelle le plonge au milieu de mille enfants
qui l’ovationnent comme s’il était le Christ lui-même. Nous
avons vu ce cardinal revenir à Rome très ému de cette
chrétienté en marche.
Six ans plus tard, son successeur à Rome, le cardinal
Angelo Felici, vient à son tour célébrer « la messe de son
ordination » en présence du nonce apostolique en
France, Mgr Mario Tagliaferri et, bien sûr de l’évêque de
Chartres toujours présent. Dès 1992, ce même évêque de
Chartres célèbre lui-même la messe de clôture du
pèlerinage de Pentecôte en présence de l’ancien nonce
en France, l’actuel cardinal Lorenzo Antonetti.
Enfin, ce sont deux évêques émérites, en 1994 et 1995 :
S. Exc. Mgr Alvim Perreira, doyen du chapitre de SaintPierre de Rome et feu S. Exc. Mgr Brunon, évêque
émérite de Tulle, empêché au dernier moment par de
graves ennuis de santé et dont le sermon fut lu dans la
cathédrale.
L’avenir est entre les mains de la Providence et dans le
Cœur de Dieu. Fidèles à l’Eglise, notre Mère, fidèles à la
liturgie qu’ont célébrée tant de saints, nous voulons
poursuivre notre route et continuerons à réclamer,
filialement et sans nous lasser, l’application « large et
généreuse » du Motu proprio demandée par l’Eglise.
184
Daniel Tarasconi
Le regard du Nouvel Elan Marial sur
le Motu proprio Ecclesia Dei
Le Nouvel Elan Marial, dont le siège est à Marseille, est
un mouvement reconnu canoniquement par l’Eglise.
Présidé par Maître Tarasconi, ce mouvement de laïcs a
reçu la bénédiction apostolique du pape Jean-Paul II.
Le dixième anniversaire de la promulgation du Motu
proprio Ecclesia Dei adflicta offre une occasion propice de
« faire le point » sur la manière dont ce texte pontifical a
été appliqué dans l’Eglise.
Tout d’abord, comment ne pas préciser la grande
espérance que cet acte de volonté du Saint-Père a
suscitée chez ceux qui, tout en voulant demeurer dans la
communion de l’Eglise, étaient fortement attachés au rite
romain traditionnel ?
Il n’est un secret pour personne que le Nouvel Elan
Marial, mouvement d’apostolat fondé en mai 1985, est
attaché à la liturgie romaine traditionnelle; nous en
apprécions la majesté, la sacralité et la beauté.
Les livres de Mgr Gamber, publiés avec bonheur par les
Editions Sainte-Madeleine du Barroux, les congrès du
185
ASSOCIATIONS
CIEL et tant d’autres événements viennent aujourd’hui
étayer les raisons de ce choix, opéré dès la fondation du
Nouvel Elan Marial, non dans un esprit de rébellion, mais
bien par dévotion envers le Sacrifice Eucharistique de
Notre-Seigneur Jésus-Christ !
Les restrictions coupables à l’application de l’Indult
du 3 octobre 1984.
Avant de parler du Motu proprio proprement dit, qu’il me
soit permis d’aborder le problème de l’application de
l’Indult du 3 octobre 1984, lequel permettait – sous
certaines conditions bien trop restrictives, hélas ! –
l’utilisation du missel de 1962 ! Il faut rappeler qu’avec
l’association Una Voce, c’est le Nouvel Elan Marial qui, le
premier, a obtenu dès 1985, de faire célébrer des messes
traditionnelles dans plusieurs sanctuaires de France :
– dès 1985 : Lourdes, Notre-Dame du Laus (HautesAlpes), Notre-Dame de La Garde, Toulon (La Castille);
– 1986 : Notre-Dame des Victoires (Paris), Principauté
de Monaco, Notre-Dame de Fourvières (Lyon), etc.
Cela n’a pas toujours été facile d’être des « pionniers »
en quelque sorte. Nous nous sommes heurtés à l’esprit
méprisant, voire sectaire, d’un certain clergé, mais aussi
à l’incompréhension de certains amis qui, pourtant,
partageaient ce même amour pour la liturgie
traditionnelle.
Voilà l’une des raisons essentielles de la rupture
consécutive aux sacres d’Ecône le 30 juin 1988 : les
difficultés d’application de cet Indult, les restrictions
inconcevables qu’il comportait, celles qu’ont ajoutées des
évêques, ont suscité amertume et déception chez les
catholiques de Tradition, qui ont perdu confiance dans la
hiérarchie. Comment les condamner ? Nos pasteurs ontil eu « pitié de cette foule », à l’image du Divin Maître ?
Qu’ont-ils fait pour les accueillir, comprendre leurs aspirations qualifiées de « justes et légitimes », en faisant une
« application large et généreuse » de l’Indult, pour
reprendre les termes mêmes du pape dans son Motu
186
DANIEL TARASCONI
proprio du 2 juillet 1988 ?
Aussi le Nouvel Elan Marial a-t-il souhaité demeurer un
espace de prière et d’accueil fraternel envers tous ceux
qui se sentent blessés ou orphelins. C’est le vœu que
formulait d’ailleurs, en octobre 1988, pour notre
mouvement, le cardinal Mayer, alors qu’il se trouvait à
Lourdes en tant que Président de la Commission
pontificale « Ecclesia Dei » lors de l’assemblée plénière
de l’épiscopat.
Le Motu proprio du 2 juillet 1988.
Ces quelques précisions permettent de mieux
comprendre comment nous avons reçu le Motu proprio du
2 juillet 1988 : avec une grande espérance, une
confirmation de tant d’efforts déployés depuis 1983, et en
même temps, le sentiment amer d’un immense gâchis,
car la division était consommée !
– La date du 2 juillet 1988 : un « clin d’œil » de la
Providence ?
Nous sommes persuadés que c’est autour de Marie,
incarnation de la miséricorde de Dieu, que s’opérera la
réconciliation des catholiques. Elle est le signe que Dieu
nous donne. L’histoire de l’Eglise nous l’a déjà montré.
Prenons la fête de la Visitation de la Vierge : dès l’an
1389, le pape Urbain VI institua la solennité de cette fête
afin d’obtenir, par l’intercession de Marie, la fin du
schisme qui désolait l’Occident. La promulgation du Motu
proprio Ecclesia Dei adflicta un 2 juillet 1988 n’apparaîtelle pas comme un « clin d’œil » de la Providence, 599
ans après l’institution de cette même fête ? Plus
concrètement, déjà en 1987 nous avions proposé à
l’épiscopat, justement afin d’éviter cette division vécue le
30 juin 1988, une semaine de l’Unité entre catholiques.
Par exemple, à l’occasion de la Semaine Sainte, où
chaque catholique, quelle que soit sa sensibilité liturgique,
communie étroitement à la Passion, à la mort et à la
Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Dans
chaque diocèse, l’évêque pourrait participer à un Office
187
ASSOCIATIONS
traditionnel – suivant le missel de 1962 –, montrant ainsi
l’unité des catholiques. Il s’agit là d’une simple
suggestion, mais je crois que l’idée est à creuser... A quoi
servirait d’organiser à grand renfort de publicité une
semaine de l’Unité entre les diverses confessions
chrétiennes, si les catholiques ne sont pas capables de se
réconcilier entre eux ? L’Eglise risque d’y perdre sa
crédibilité, car il n’existe pas de charité à géométrie
variable.
– L’application des dispositions pontificales.
Alors que l’Eglise de France prétend être à la pointe du
combat contre toutes les formes d’exclusion, elle n’hésite
pas à exclure toute une partie des catholiques pratiquants
de sa communion, lorsqu’ils sont attachés à la liturgie
latine traditionnelle ! Songez que dans près de la moitié
des diocèses de France, aujourd’hui, il n’existe même pas
un lieu de culte où la messe dite de saint Pie V serait
célébrée dans l’esprit du Motu proprio ! Sans parler des
endroits où le clergé n’est guère convaincu des bienfaits
des directives du Saint-Père, ou peu compétent pour
célébrer dignement les Saints Mystères !
Bref, à notre avis, le bilan est encore décevant et nous
sommes loin de l’application « large et généreuse » des
directives concernant l’utilisation du missel romain de
1962, ainsi que le prescrivait le pape dans son Motu
proprio du 2 juillet 1988 !
Faudra-t-il se résoudre à ne retrouver ce rite que dans
quelques abbayes ? Je ne le crois pas. Cette liturgie est
le « trésor de l’Eglise » selon la parole du cardinal
Ratzinger; elle est le lien commun des fidèles.
Poursuivons donc – à temps et à contretemps ! – le
dialogue avec nos évêques afin qu’ils comprennent les
bienfaits, au regard de la communion ecclésiale, d’une
« application large et généreuse » des dispositions
voulues par le Souverain Pontife.
Dans son ouvrage Le sel de la terre, le cardinal
Ratzinger observe : « Je suis certes d’avis que l’on devrait
accorder beaucoup plus généreusement à tous ceux qui
188
DANIEL TARASCONI
le souhaitent le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit
d’ailleurs pas ce que cela aurait de dangereux ou
d’inacceptable. Une communauté qui déclare soudain
strictement interdit ce qui était jusqu’alors pour elle tout ce
qu’il y a de plus sacré et de plus haut et à qui l’on présente
comme inconvenant le regret qu’elle en a se met ellemême en question. Comment la croirait-on encore ? Ne
va-t-elle pas interdire demain ce qu’elle prescrit
aujourd’hui ? »
Nous devons aussi passer à l’action. Il est temps que le
« Peuple de Dieu », pour reprendre une expression chère
au concile Vatican II (et au Code de Droit canonique)
sorte enfin de sa réserve ! Loin de subir, nous devons agir,
avec la grâce de Dieu, à l’image des grands saints
évangélisateurs qui ont christianisé la Gaule ! Utiliser
toutes les voies de droit, tous les moyens que nous donne
le Droit canon, d’abord au sein des diocèses, puis en
effectuant des recours à Rome.
N’hésitons pas à utiliser aussi les moyens publics de
protestation pour attirer l’attention de nos Pasteurs sur la
situation injuste qui nous est faite : pas simplement les
pétitions, mais aussi la « grève du denier du culte ». Si le
versement d’un denier du culte est une obligation morale,
nos Pasteurs doivent se souvenir qu’ils ont aussi
l’obligation pastorale de donner à nos âmes les
nourritures spirituelles nécessaires ! Ayons soin de leur
rappeler chaque fois par écrit les raisons de notre
protestation.
Bref, soyons audacieux ! En ce sens, des mouvements
d’apostolat, dont la structure dépasse le cadre paroissial
et même diocésain, peuvent jouer un rôle fort utile... Car
le piège qui menace plusieurs de nos communautés est
de se laisser enfermer dans un légalisme étroit : ne devenons pas des « technocrates de la foi » !
L’autre danger serait de ne s’intéresser qu’à sa propre
chapelle, sans se préoccuper de l’ensemble de l’Eglise :
gardons une vision catholique (c’est-à-dire universelle)
des valeurs pour lesquelles nous combattons !
189