Le document - Annus Sacerdotalis
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CHAPITRE IV Réponses d’associations ASSOCIATIONS Frédéric et Annie de Butler A la source du mariage chrétien Domus Christiani est une œuvre auxiliaire aidant à la sanctification de la famille et qui utilise la liturgie romaine traditionnelle. Le couple auteur appartient à la direction de Domus Christiani. Née en 1978, Domus Christiani réunit, au sein de petits groupes, des foyers soucieux de progresser dans leur vie chrétienne, leur état et leur environnement naturel (famille, paroisse, travail, voisinage, association, mouvements, etc.). Chaque groupe rassemble de 4 à 10 foyers d’un même secteur (ville, paroisse...). Aujourd’hui Domus rassemble une centaine de groupes, en France, Suisse, Belgique, Canada, Malaisie et La Réunion. Les deux moyens que Domus propose aux foyers sont : – la Règle de vie qui est une orientation volontaire de progrès spirituel à travers quelques préceptes de vie chrétienne; – la réunion mensuelle du groupe qui permet, au sein des foyers, de créer une véritable amitié chrétienne enrichie par la prière et l’étude en commun. Notre œuvre est une aide pour progresser dans la vie chrétienne par l’approfondissement des grâces du 142 FRÉDÉRIC ET ANNIE DE BUTLER sacrement de mariage. Si l’engagement pour restaurer une liturgie digne et explicite n’est pas notre vocation, l’attachement à la liturgie caractérise Domus Christiani. Cette volonté est clairement spécifiée dans la Charte de Domus Christiani : – attachement à la liturgie et en particulier à la messe, cœur et sommet de notre vie chrétienne; – attachement au rite romain classique, de par ses grandes qualités d’éducation de la foi et de nourriture de la contemplation. 1. Les raisons de notre attachement. Domus épaule les foyers en se fondant sur trois piliers : l’approfondissement de la vie chrétienne, l’entraide mutuelle et la charité fraternelle ainsi que le rayonnement missionnaire. Le premier pilier se construit sur l’Eucharistie, c’est le centre de notre vie chrétienne. L’Eucharistie est la source même du mariage chrétien. Le sacrifice eucharistique en effet représente l’alliance d’amour entre le Christ et l’Eglise. C’est dans ce sacrifice de la nouvelle et éternelle alliance que les époux chrétiens trouvent la source jaillissante qui modèle intérieurement et vivifie constamment leur alliance conjugale (Jean-Paul II, Familiaris Consortio). La messe est le grand acte de la religion : c’est le renouvellement non sanglant du sacrifice du Christ. C’est le pont entre Dieu et les hommes. Il n’y a qu’un sacrifice parfait rédempteur de l’humanité. Toute messe valide réactualise cet unique Sacrifice. Quel que soit le rite, la piété des fidèles, la qualité de leur chant ou celle du sanctuaire, le Sacrifice est parfait, rien ne lui manque en ce qui concerne l’action du Christ posée par les paroles de la consécration. Mais alors, pourrait-on penser peu importe le rite ? Face à la perfection du sacrifice, ils se valent tous ? C’est uniquement une question de « sensibilité » ?… Ce serait oublier que la transcendance du Sacrifice est rendue perceptible à notre intelligence et à notre sensibilité par les formes 143 ASSOCIATIONS liturgiques. La liturgie doit être explicite et belle et exprimer le sacré. Le rite classique nous aide par sa pédagogie précise : il exprime avec justesse, détails et ce de différentes manières, ce qui se passe lors de la messe : – Il manifeste la hiérarchie ascendante et descendante de la messe. Jésus sur la croix est Prêtre et Victime. A la messe, Jésus s’offre par l’intermédiaire du prêtre, puis des fidèles. Quand le prêtre prend le calice, il dit : « Nous vous offrons, Seigneur, le calice du salut ». A l’orate fratres : « Priez, mes frères, pour que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre ». Au canon, dans le memento des vivants : « Nous vous offrons pour eux, ou ils vous offrent eux-mêmes, ce sacrifice de louange… ». – Il souligne la relation au calvaire par l’orientation du prêtre, non pas « dos au peuple » mais face à Dieu, aux pieds de la croix. Lors de la Cène, la table est déjà un autel et le repas rituel de la Pâque un sacrifice. – Il explicite le sacrifice notamment par l’offertoire (qui évoque plus la bénédiction précédant le repas dans le rite actuel). Ces prières préparent les fidèles au caractère propitiatoire de l’offrande qui sera accomplie parfaitement à la consécration : c’est Jésus-Christ, immolé pour nos fautes, afin que la Rédemption s’accomplisse. – Le caractère normatif du rite classique empêche toute créativité sauvage, y compris sur le caractère sacrificiel de la messe, ce qui, hélas se produit encore trop souvent lors des célébrations selon le rite actuel. – Il est toujours célébré avec des formes extérieures qui orientent vers le respect d’un acte saint (génuflexions, stations à genoux, communion sur la langue, silence et solennité de l’offertoire et de la consécration...). – Il laisse ainsi une part importante au silence. Notre participation active au sacrifice requiert ce cheminement vers l’intérieur. Le rite classique nous apparaît aussi comme particulièrement propice à éduquer aux mystères de la foi. En effet, les enfants habitués depuis longtemps ou 144 FRÉDÉRIC ET ANNIE DE BUTLER découvrant ce rite, sont conscients à la messe, d’assister à un acte saint et sacré. Tout ce qu’ils voient, entendent, disent et chantent les oriente vers le Sacrifice. Ils ont pu discipliner leur pratique religieuse et s’habituer très tôt à une participation volontaire, personnelle et exigeante : avec le rite classique, il faut suivre sa messe, lire les oraisons propres au prêtre. Pendant l’offertoire et le canon, la lecture personnelle des prières dites en silence par le prêtre, conduit à les intérioriser, à les méditer, à s’en imprégner. 2. Les conséquences pratiques. a) Les prêtres conseillers spirituels de groupes Domus Christiani. Ils sont en situation régulière au sein de l’Eglise et acceptent l’attachement liturgique de Domus. Cela se traduit concrètement, quand cela est possible, par la célébration selon le rite classique lors de récollections ou retraites. De plus, chacun explique aux foyers de son groupe la richesse liturgique du rite lors d’un topo annuel sur la messe. Au sein du groupe Domus, le prêtre conseiller spirituel a une place à part; il représente l’autorité du Magistère de l’Eglise. Lors de la réunion mensuelle, il éclaire et complète le sujet qui est traité par un foyer, et anime, s’il est là, la prière-méditation qui conclut la réunion. En dehors des réunions il est souvent le directeur spirituel des foyers du groupe. b) Les activités Domus : rassemblement général et activités régionales. L’activité nécessaire « et suffisante » de Domus, c’est la réu-nion de groupe. Cependant, le rassemblement général des foyers, et la rencontre régionale des groupes du même secteur sont des facteurs de cohésion indispensables. L’Eucharistie au cours de la sainte messe en est toujours la dominante. Dans ces circonstances le rite classique est celui qui est pratiqué. C’est une suite logique de notre attachement liturgique; c’est une 145 ASSOCIATIONS « tradition Domus ». c) Les foyers. Domus n’est pas un mouvement que l’on intègre, c’est une œuvre auxiliaire que l’on utilise pour mieux vivre sa foi de laïcs mariés. Il va de soi que l’orientation liturgique de Domus n’impose pas la pratique régulière du rite classique aux foyers. Néanmoins, connaissant la spécificité de Domus, participer à un groupe c’est accepter l’orientation de l’œuvre. Ainsi chaque foyer est invité à approfondir sa compréhension des mystères chrétiens et en particulier de l’Eucharistie, au cours de l’exposé annuel qui y est consacré. Les rassemblements Domus, récollections locales, retraites et le rassemblement annuel sont l’occasion de découvrir ou de mieux comprendre les beautés du rite. 3. Bilan de l’application du Motu proprio. a) Les rapports avec nos évêques. Le développement de Domus a coïncidé avec la proclamation du Motu proprio Ecclesia Dei. C’est à partir des années 1994 que les responsables régionaux ont pris contact avec leur évêque pour se présenter et présenter Domus. En 98, dans la moitié de nos régions, les responsables locaux de Domus ont sollicité, puis obtenu un entretien avec l’évêque. La référence explicite au Motu proprio et à la liturgie classique n’a jamais été un obstacle. Plusieurs groupes ont d’ailleurs reçu leur évêque à l’occasion d’une réunion mensuelle (Orléans, Est-Parisien, Epinal…). b) Concernant les prêtres conseillers spirituels. Ils sont nombreux à être issus des fraternités ou instituts créés suite au Motu proprio. Celui-ci a aussi permis de nous attacher de saints prêtres auparavant rebutés par les aspects « tradis ». Cela a certainement permis aussi à Domus d’approfondir son attachement à l’Eglise. La plupart des groupes sont assistés d’un prêtre. Bien que le groupe puisse fonctionner sans, c’est une richesse irremplaçable. 146 FRÉDÉRIC ET ANNIE DE BUTLER c) Concernant les activités Domus. Domus est en soi un indicateur très partiel de l’application du Motu proprio. En effet nous n’organisons que très peu de cérémonies « Domus » et elles ont toutes un caractère ponctuel. Pour nos rassemblements généraux (annuels) et activités régionales, il n’y a eu pratiquement pas de difficultés. Il a toujours été possible de célébrer la sainte messe selon le rite classique, avec l’accord de l’Ordinaire du lieu. d) Concernant les foyers. Le Motu proprio a permis de clarifier les choses au sein des groupes existant en 1988 (moins d’une dizaine). Les sacres opérés par Mgr Lefebvre conduisaient à des tensions et il fut nécessaire de réaffirmer clairement notre pleine communion avec l’Eglise et sa hiérarchie. L’autorisation explicite du Motu proprio a favorisé l’expansion de Domus, notre orientation liturgique n’étant pas demandée comme condition aux foyers pour rentrer dans un groupe. Par contre c’est plutôt à l’extérieur de Domus que la qualité d’application du Motu proprio peut être perçue. e) Application du Motu proprio à l’extérieur de Domus. Les foyers forment une population active et jeune (moyenne d’âge de 35 ans) avec de nombreux enfants. Ils sont souvent engagés personnellement pour promouvoir le rite classique dans leur diocèse. Pour ce faire, il faut prendre contact avec son évêque pour solliciter un rendez-vous. Puis, à l’occasion d’un entretien, exprimer, au nom d’un groupe de fidèles, le souhait d’avoir la sainte messe selon le rite classique. Les réponses que nous avons recensées donnent une bonne synthèse de la situation. S’écartant de la lettre et de l’esprit du Motu proprio, l’épiscopat français en général, considère l’autorisation qui y est exprimée comme une tolérance ponctuelle, pour les fidèles âgés que leur sensibilité attache encore à l’ancien rite. Il faut donc éviter toute pratique régulière qui 147 ASSOCIATIONS pourrait être considérée comme définitive et décourager toute forme de prosélytisme notamment vis-à-vis de la jeunesse. Cette approche cependant varie ensuite selon nos différents évêques. Certains, particulièrement bienveillants, permettent que le rite classique soit régulièrement célébré dans plusieurs paroisses de leur diocèse. Qu’ils en soient ici remerciés. D’autres autorisant toutes les formes liturgiques même celles de confessions non catholiques, appliquent ce même libéralisme vis-à-vis du rite classique. Ce qui est très cohérent et appréciable, mais paradoxal, car le rite classique dont le canon romain remonte aux premiers siècles ne peut être mis sur le même plan que toutes les expériences liturgiques ou que le culte d’autres confessions. Certains, enfin, font preuve d’un refus catégorique, allant jusqu’à conseiller aux fidèles qui veulent le rite classique, de s’adresser à la Fraternité Saint-Pie X. 4) En conclusion. Pour Domus Christiani, la situation est donc contrastée. Pour l’œuvre elle-même, le Motu proprio a eu des fruits précieux. Il nous a permis de développer notre sens de l’Eglise et de la communion ecclésiale. Avec l’assurance que la célébration selon le rite classique était pleinement reconnue et autorisée par l’Eglise, les foyers et les prêtres conseillers spirituels voyaient se dissiper un obstacle majeur pour rejoindre Domus. Notre œuvre a pu se développer ces dernières années. Cependant, pour la vie habituelle des foyers comme pour l’ensemble des fidèles, on est loin des dispositions larges et généreuses évoquées dans le texte romain. Mais nous gardons confiance. 148 Yves Gire Maintenir le rite « tridentin » Una Voce a été créée en 1964 pour la sauvegarde et le développement de la liturgie latine, du chant grégorien et de l’art sacré. Son secrétaire général est Yves Gire. Un nouveau rite. Le 13 avril 1969, le pape Paul VI signait la Constitution apostolique Missale Romanum, promulguant le « Missel Romain restauré sur l’ordre du deuxième concile œcuménique du Vatican ». En fait, il s’agissait bien d’un nouveau rite, ainsi que Paul VI lui-même l’a déclaré solennellement dans son discours à l’audience générale du 26 novembre 1969. Les différences avec le rite romain en vigueur précédemment, étaient trop importantes pour que l’on puisse parler d’une simple réforme comme il y en avait beaucoup d’autres, et surtout ce nouvel Ordo Missæ relevait d’une conception de la liturgie radicalement différente de celle qui avait prévalu jusque-là. A une liturgie hiératique, hiérarchique, fixe et universelle, succédait une liturgie « à la carte », extra souple, adaptable et évolutive ou, pour reprendre les termes du cardinal Ratzinger, « à la place d’une liturgie qui était le 149 ASSOCIATIONS fruit d’un développement continu on a mis une liturgie fabriquée ». Cette nouvelle orientation s’était déjà manifestée par le retournement de l’autel, des années avant le concile, et par l’adoption généralisée des langues vernaculaires, imposée après le concile contrairement aux prescriptions de celui-ci. Tel quel, ce nouvel Ordo Missæ devait entrer en vigueur le 30 novembre 1969, et il était prévu officiellement une coexistence pacifique des deux rites pendant deux ans avant que le nouveau ne devienne obligatoire. En fait, le nouveau rite fut imposé par l’épiscopat dès les premières semaines dans toutes les paroisses, seuls quelques prêtres « résistants » continuant à maintenir la liturgie traditionnelle à leurs risques et périls. Pour le maintien de la « messe tridentine ». C’est pourquoi, dès le 31 janvier 1970, les associations membres de la Fédération internationale Una Voce votèrent une motion par laquelle elles s’engageaient à « obtenir le maintien de la messe tridentine, dite de saint Pie V, comme l’un des rites reconnus dans la vie liturgique de l’Eglise universelle ». Quelques mois plus tard, l’association autrichienne Una Voce Austria envoyait à Rome un memorandum développant quelques arguments en faveur de ce maintien : – Cette liturgie manifeste par sa permanence et son universalité l’invariabilité de la doctrine, et particulièrement de la doctrine sur l’Eucharistie actuellement remise en question. – On ne peut interdire une liturgie qui a produit pendant des siècles des fruits admirables de piété et de sanctification. – La coexistence de plusieurs rites est un témoignage de la fécondité de l’Eglise (point qui sera repris par JeanPaul II dans Ecclesia Dei). – L’adaptation de la liturgie aux particularismes nationaux est contraire à l’évolution et aux aspirations de notre époque vers une plus grande unité. 150 YVES G IRE – Les raisons pastorales qui demandent de tenir compte des besoins et des désirs des fidèles actuels doivent conduire à répondre aussi aux demandes de ceux qui sont attachés à la liturgie traditionnelle . Dès son congrès de 1971, l’association française Una Voce fit sienne cette requête, demandant instamment que « la messe tridentine reste licite et ne soit ni interdite ni déconseillée ». Dans les années suivantes, jusqu’en 1984, des motions de la Fédération internationale Una Voce et de l’association française renouvelèrent chaque année cette demande, insistant de plus pour qu’il soit « mis fin aux persécutions et mesures discriminatoires prises à l’encontre des prêtres et des laïcs restés attachés à la liturgie et à l’enseignement traditionnel de l’Eglise ». L’indult de 1984. C’est seulement en 1984 qu’une première réponse fut apportée par Rome à toutes ces demandes, ainsi qu’aux pétitions et suppliques émanant de diverses personnalités; la lettre Quattuor abhinc annos du 3 octobre 1984, adressée par la Congrégation du Culte divin aux évêques du monde entier, leur concédait la faculté d’user d’un Indult en faveur de la messe célébrée selon le missel de 1962, mais assorti des conditions draconiennes et restrictives qui en réduisaient considérablement la portée. Toutefois, si ce n’était pas encore la liberté souhaitée, c’était déjà une brèche ouverte dans l’interdiction de fait qui pesait depuis quinze ans sur cette messe. De nombreuses demandes d’Indult furent adressées aux évêques, des associations se constituèrent, et Una Voce prit une part active à cette opération. Mais celle-ci se heurta à la mauvaise volonté évidente de nombreux évêques, et à d’inextricables difficultés d’application. C’est pourquoi le Saint-Père nomma en 1986 une commission de sept cardinaux chargés de trouver un remède à cette situation. Ils rédigèrent un rapport qui fut soumis au pape en février 1987, et qui préconisait no- 151 ASSOCIATIONS tamment les mesures suivantes (le texte n’en fut connu que plusieurs années plus tard) : « ... Les évêques devront veiller à ce que dans toutes les localités importantes de leurs diocèses il y ait les dimanches et fêtes, au moins une messe célébrée en langue latine ». « ... Pour chaque messe célébrée en langue latine, le célébrant a le droit de choisir librement entre le missel romain de Paul VI (1970) et celui de Jean XXIII (1962) ». Mais Jean-Paul II dut renoncer à signer le décret d’application de ces mesures devant l’opposition des conférences épiscopales de certains pays, notamment de France et d’Allemagne. Aussi la motion du congrès Una Voce de 1987 demandait-elle encore : « ... que dans un souci d’apaisement et d’union soit maintenu le rite romain traditionnel, dit de saint Pie V, comme un des rites de l’Eglise universelle, et que soit reconnu aux prêtres et aux fidèles qui le désirent le droit de l’utiliser librement et sans restriction »; « ... que cessent les vexations à l’encontre des prêtres et des fidèles restés attachés à la liturgie et à l’enseignement traditionnels de l’Eglise, afin que puisse s’instaurer un véritable dialogue sur ce qui est en jeu : la foi, le sacré, l’universalité de l’Eglise ». Il y a dix ans. Il nous a semblé utile de revenir sur quelques aspects éclairants de notre combat durant les vingt années (ou presque) qui ont précédé Ecclesia Dei, surtout à l’intention de ceux qui n’ont pas vécu cette période. En revanche, nous ne nous attarderons pas sur les événements d’il y a dix ans, qui sont dans toutes les mémoires : les négociations entre Rome et Mgr Lefebvre, le protocole d’accord du 5 mai 1988, la rupture, les sacres du 30 juin... Le dossier complet en a été publié dans la revue Una Voce, n°141 de juillet-août 1988, qui contient en particulier le texte intégral du Motu proprio du 2 juillet. 152 YVES G IRE Dans l’éditorial de ce numéro, nous demandions : « ... Pourquoi pendant ce temps n’a-t-on pas tenu compte des demandes légitimes des fidèles attachés à la liturgie et à l’enseignement traditionnels de l’Eglise ? Pourquoi semble-t-on maintenant s’apercevoir soudain qu’ils existent et qu’ils sont dignes de considération ? Dans son Motu proprio, le Saint-Père demande – c’est, dit-il, sa volonté – que l’on prenne en leur faveur “les mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs légitimes aspirations”. Si ces aspirations sont justes, et elles le sont, pourquoi n’y a-t-on pas fait droit plus tôt ? Cela n’aurait-il pas évité la situation dramatique dans laquelle nous sommes tombés ? » Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, et le Motu proprio représentait déjà un réel progrès par rapport à l’Indult de 1984. En particulier, la création de la Commission pontificale « Ecclesia Dei » permettait à un certain nombre d’instituts religieux, monastiques ou séculiers, d’obtenir la concession de tous les livres liturgiques de 1962, non seulement pour la messe, mais aussi pour l’Office et l’administration des sacrements. Dans les quelques diocèses où ils sont implantés, les fidèles « qui se sentent liés par la tradition liturgique latine » peuvent bénéficier de messes quotidiennes, de Vêpres, des sacrements, des catéchismes, et de toute une vie religieuse conforme à leurs « justes aspirations ». Une application décevante. Mais, en dehors de ces quelques cas, l’application du Motu proprio reste assez décevante. En France, pays qui est pourtant favorisé par rapport à beaucoup d’autres, près de la moitié des diocèses n’ont encore rien accordé malgré de nombreuses demandes. La plupart des autres n’ont accordé qu’un seul lieu de culte par diocèse, avec une seule messe dominicale hebdomadaire (parfois même un dimanche sur deux ou un dimanche par mois), et les conditions de cette célébration (disposition des lieux, service d’autel, prédication...) ne sont pas toujours conformes à la « tradition latine » à laquelle les fidèles 153 ASSOCIATIONS sont attachés. De plus, les particuliers ou les groupes qui demandent l’application du Motu proprio pour une cérémonie occasionnelle se voient encore trop souvent opposer un refus catégorique et injustifié. On comprend que ces carences dans l’application du Motu proprio conduisent un certain nombre de fidèles à aller chercher ailleurs la satisfaction de leurs « justes aspirations », ce qui entretient un climat de méfiance et de suspicion vis-à-vis de l’autorité, contredisant ainsi l’intention première du document : ramener ou maintenir ces fidèles dans l’unité autour du Souverain Pontife; d’autres fidèles, lassés, finissent par abandonner toute pratique religieuse... Il est certain qu’une application plus « large et généreuse » du Motu proprio, selon la volonté du Saint-Père, contribuerait à apaiser ces tensions et à ramener la paix et l’union. Nous le souhaitons, et le réclamons à nos évêques, car cela dépend d’eux. Mais nous continuons à penser que seule la coexistence pacifique, sans restriction, des anciens rites avec les nouveaux, pour la messe mais aussi pour l’Office et la discipline des sacrements, peut donner satisfaction aux fidèles attachés à la « tradition liturgique latine », et rétablir un climat de confiance et d’unité; ce qui dépend de Rome. C’est pourquoi dans une supplique adressée au Saint-Père le 19 octobre 1993, la Fédération internationale Una Voce, demandant quelques clarifications sur l’application du Motu proprio, insistait pour que l’Ordo traditionnel soit reconnu comme « égal en droit et en dignité » avec le nouveau. Il lui fut répondu le 17 janvier 1994 par le Substitut, Mgr Re, que c’était le nouveau rite qui était la norme pour toute l’Eglise, et que les autorisations accordées en vertu du Motu proprio n’étaient que des privilèges exceptionnels. Cependant, d’autres voix romaines, notamment certaines déclarations du cardinal Ratzinger, nous laissent espérer que cette position officielle n’est peut-être pas définitive. Tout en militant pour la plus large application possible du Motu proprio Ecclesia Dei, nous 154 Arnaud Jayr Une situation sans évolution Dirigé par Arnaud Jayr, le Centre Montauriol est un organisme de formation et d’action civique, culturel et spirituel de laïcs catholiques qui rayonne principalement dans le Sud-Ouest de la France. Faire le point sur cette question, c’est s’engager sur un sujet douloureux et délicat. Douloureux par les événements placés à l’origine du Motu proprio; délicat aussi car seule la vertu de prudence peut garder le réalisme, du pessimisme ou de l’optimisme trop tentants sur ce problème. Le bilan des dix dernières années, malgré les apparences, montre que la situation n’a guère évolué. De part et d’autre, les adversaires du Motu proprio maintiennent leur durcissement. Le statut de la messe traditionnelle reste précaire et inconfortable. Dans ce climat, il est même providentiel qu’un équilibre en faveur de l’ancienne liturgie se soit maintenu. Il a permis aux fidèles du Motu proprio de se constituer, de préparer leurs prêtres et leur jeunesse. Parfois même, les difficultés les ont rapprochés comme elles ont aiguisé leur lucidité. Les dix dernières années, donc, confirment chez la 155 ASSOCIATIONS plupart des évêques de France une obstination ancienne à refuser l’expérience de la Tradition, obstination qui se traduit par le veto d’une collégialité toute gallicane à la lettre de Jean-Paul II du 2 juillet 1988. Ainsi donc, comme en bien d’autres domaines, l’exécutif épiscopal manque à la papauté, même si celle-ci a nommé elle-même en vingt ans la quasi-totalité de nos évêques. Ce climat de non gouvernement, malgré tout, nous a servi dans la mesure où nos avantages actuels résultent de la crise de l’autorité dans l’Eglise depuis le dernier concile. Ceci est vérifié à l’échelon plus réduit des diocèses : souvent, les potentats opposés à la messe traditionnelle doivent reconnaître l’existence déterminée des fidèles ou des communautés. Dieu écrit droit avec des lettres courbes ! D’ailleurs l’Eglise, même dans les épreuves, rend toujours possible l’attachement à la Tradition dans le respect de la primauté pontificale, car comment reconnaître celle-ci en s’affranchissant de son autorité ? Avant de tirer des conclusions, interrogeons-nous sur le véritable sens du Motu proprio et sa portée. En effet pour bien l’utiliser en faveur de la liturgie traditionnelle, il parait souhaitable d’éviter deux interprétations erronées; la première l’interprète comme un ralliement à l’esprit du modernisme conciliaire; la seconde voit en lui une dérogation à « l’usage interdit » d’un rite placé sous conditions. Ces jugements prêtent au décret pontifical plus d’intentions qu’il n’en contient et pourraient se traduire par un effacement identitaire, s’ils venaient à influencer les fidèles ayant trouvé dans le Motu proprio un moyen supplémentaire d’exister. Ainsi, pour être exact, il conviendrait de dire que le Motu proprio de 1988, comme l’Indult de 1984 rappelèrent comme ils le purent, dans un climat à la fois réformiste, difficile, hostile et canoniquement atypique, les droits inaliénés parce qu’inaliénables du missel dit de saint Pie V. En effet, son codificateur, inspiré d’une prudence prophétique, prit soin de préfacer son missel de 1570 d’une Bulle protégeant juridiquement la messe 156 ARNAUD JAYR traditionnelle de toute hostilité, d’où qu’elle vienne, et ceci à perpétuité. Rappelons qu’une Bulle est le document papal le plus solennel d’ordre gouvernemental ou législatif et qu’il oblige en conscience. Ce document, jamais annulé s’il pouvait l’être, est toujours en vigueur. Difficile à trouver aujourd’hui, on peut regretter que sa publication ne soit pas accessible au public (1). « Ce missel, y est-il écrit, pourra être suivi en totalité, dans la messe chantée ou lue, dans quelque église que ce soit, sans aucun scrupule de conscience et sans encourir aucune punition, condamnation ou censure, et qu’on pourra valablement l’utiliser librement et licitement, et cela à perpétuité ». Malgré la clarté et l’autorité de ce document, de 1969 à 1976, un imbroglio de déclarations et de décrets émanant de la hiérarchie imposa l’interdiction apparente de la messe traditionnelle avec son rite millénaire sans pour autant abroger la Bulle de saint Pie V. Même si cet arbitraire n’est pas légalement valable comme le reconnut la commission pontificale de 1986, il a réussi à imposer, par la force, une situation de fait qu’un réalisme élémentaire oblige à prendre en compte. Dans cet arbitraire, le Motu proprio de 1988 comme l’Indult de 1984, malgré leurs limites et leurs imperfections, se placent comme des brèches que l’avenir élargira avec le temps. Ces documents ont un caractère évolutif et relatif au démêlé de l’imbroglio juridique produit par le nouveau missel romain. Ils affaiblissent l’arbitraire de l’obligation tout en rendant au rite traditionnel un droit de cité dont on l’avait violemment privé. Et maintenant, quel avenir ? Le Motu proprio n’ayant reçu qu’une application parcimonieuse, il conserve son actualité et contient des élargissements à venir. Continuons à réclamer l’application de la volonté pontificale en respectant nous-mêmes sa formulation majeure, « l’usage du missel romain selon l’édition typique de 1962 » (6, c). Ce missel est l’aboutissement liturgique du Motu proprio « Rubricanum instructum » donné par Jean XXIII le 25 juillet 1960, non sans 157 ASSOCIATIONS pressions et hésitations, pour couronner un long travail d’ordonnance liturgique anté-conciliaire que le pape JeanPaul II nous confie en dépôt. Gardons précieusement ce missel de 1962, contre toute division ritualiste ou évolution dénaturante. En effet, ce missel nous place en dehors du problème liturgique moderne, problème qui appartient à ceux qui l’ont posé. Nos adversaires ont bien d’autres moyens pour nous gêner, que l’adoption d’un autre missel ou d’un autre calendrier : désignation des célébrants, choix des horaires et des lieux, octroi de la messe hebdomadaire ou occasionnelle sans vie paroissiale ni suivi sacramentel pour les fidèles. Les reconnaissances les plus confortables résultent d’un état de fait avantageux pour la Tradition, où le rapport de force a permis au droit de l’emporter. Ces tracasseries sont faibles par rapport à nos atouts : le natalisme des familles, le nombre toujours croissant des vocations, l’existence des communautés et maisons religieuses. La conservation comme la transmission de la foi catholique, le respect de la morale chrétienne placent le milieu traditionnel en situation de réserve pour la Rome de demain. A certains petits signes du gouvernement de l’Eglise, dans les orientations ou les nominations de telle ou telle congrégation, l’impression est que Rome revient. La situation actuelle n’est pas exactement celle que l’analyse post-conciliaire prévoyait. Cela même si les pressions subsistent, qui tôt ou tard céderont, tant l’Eglise est substantiellement liée à sa Tradition, laquelle est vivante. En effet, le christianisme, religion de l’Incarnation, vivifie même son passé, le rendant éternel. Or, on n’arrête pas plus la vie que l’éternité. Dans son appel en faveur d’une nouvelle évangélisation, le pape nous confie un rôle, celui de vivre d’une mémoire, de la préserver de l’oubli et d’en être les apôtres. Par exemple, saurons-nous trouver dans des faits aussi simples que la question actuelle des langues anciennes, l’engouement récent pour le grégorien, et la recherche du sacré, des éléments en faveur de la liturgie 158 Arnaud de Lassus Valeur psychologique d’Ecclesia Dei Héritière de la Cité Catholique et de l’Office international, l’Action familiale et scolaire défend la conception chrétienne de la famille et œuvre pour une société chrétienne. Elle diffuse également un grand choix de catéchismes et d’ouvrages doctrinaux. Avant de parler de bilan à propos du Motu proprio Ecclesia Dei, rappelons la nature et la signification de ce document. Signification du Motu proprio. La thèse classique est la suivante : – La messe traditionnelle est interdite depuis 1970, sauf autorisation particulière; – En 1984, le Saint-Siège a autorisé les évêques à donner la permission de célébrer cette messe dans des conditions très limitatives (lettre Quattuor abhinc annos du 3 octobre 1984); ce fut ce qu’on appela l’Indult. – En 1988, par le Motu proprio, Jean-Paul II a demandé aux évêques de « faire une application large et 159 ASSOCIATIONS généreuse » de cet Indult. Une telle thèse ne cadre pas avec la réalité. En fait, la messe traditionnelle n’a jamais été interdite et les textes qui paraissent porter une interdiction à son égard constituent des abus de pouvoir ou sont dépourvus de valeur juridique (1). Il en résulte : – que la lettre du 3 octobre 1984 (introduisant l’Indult) n’a pas de valeur juridique : autoriser de façon restrictive ce qui n’a jamais été interdit n’a juridiquement aucun sens; – que le Motu proprio, s’appuyant sur la lettre précitée, n’a, sur le point évoqué (l’Indult), pas davantage de valeur juridique. Le Motu proprio possède en revanche une valeur psychologique, au plan des relations humaines : celle d’atténuer un peu les contraintes issues de ce qu’il faut bien appeler un abus de pouvoir des évêques. Aspects positifs du bilan. A la suite du Motu proprio, un plus grand nombre de fidèles a pu bénéficier de la messe traditionnelle; celle-ci a pu être célébrée dans des églises, des chapelles (et parfois même des cathédrales) où elle était jusque là proscrite. De nouveaux séminaires ont été fondés pour former des prêtres attachés au rit traditionnel. D’où des bienfaits inappréciables obtenus soit par des activités de type paroissial, soit par le rayonnement de communautés religieuses et d’abbayes, les unes et les autres s’étant appuyées sur le Motu proprio pour obtenir un statut canonique régulier. Aspects négatifs. En regard de ces bienfaits, il faut noter des inconvénients incontestables. En autorisant de façon parcimonieuse la messe traditionnelle, on entretient chez les fidèles – et spécialement chez ceux qui en bénéficient – l’idée qu’elle 160 ARNAUD DE LASSUS serait normalement interdite; idée fausse comme il a été dit ci-dessus... mais compréhensible : qui dit Indult, en effet, dit dérogation à une loi. Comment imaginer un Indult permettant de déroger à une loi inexistante ? C’est pourtant le cas. Autre point négatif : pour sauvegarder le bénéfice de l’Indult qui leur a été concédé, prêtres et fidèles (surtout les prêtres) estiment souvent que, par prudence, il faut s’abstenir de toute critique portant sur tel ou tel aspect de la crise doctrinale dont l’autorité hiérarchique porte la responsabilité (œcuménisme, libéralisme envahissant, nouvelle théologie...). D’où un certain silence, une certaine passivité, une absence de réaction vis-à-vis de ces désordres fondamentaux. L’attitude ici évoquée peut être parfois justifiée pour les prêtres; elle ne l’est guère pour les laïcs. Il y a plus grave : dans certains cas, l’on finira par minimiser ou même ne plus voir les désordres contre lesquels on s’interdit de protester, oubliant ainsi que la crise liturgique se double d’une redoutable crise doctrinale. Ce qui s’apparente à une capitulation devant les forces modernistes qui ont envahi l’Eglise. Quel avenir pour la messe traditionnelle ? Nous n’abordons ici que quelques-uns des points sur lesquels les laïcs peuvent avoir une influence pour la survie de la messe traditionnelle. Première remarque : les messes traditionnelles constituent un trésor apprécié le dimanche et négligé en semaine. Quelle tristesse de voir que les rares messes qu’autorise l’Indult ne sont suivies en semaine que par quelques dizaines de fidèles. « Tenez-vous vraiment à ces messes, pourrait-on nous dire, puisqu’en semaine vous n’y assistez pas ? » Il faudrait sur ce point renverser la tendance. Liturgie et doctrine vont de pair. Il est illusoire d’espérer conserver à long terme une liturgie traditionnelle si l’on cède sur la doctrine traditionnelle. Comme le constatait 161 ASSOCIATIONS dans les années 1975 le cardinal Journet : « la liturgie et la catéchèse sont les deux mâchoires de la tenaille avec laquelle on arrache la foi » (2); puisque la liturgie et la doctrine subissent une démolition simultanée, c’est simultanément qu’elles doivent être défendues. Si dans le domaine doctrinal – et tout spécialement pour la doctrine de la messe : sacerdoce, présence réelle, sacrifice... – les prêtres ne disposent pas d’une pleine liberté de parole, si par exemple ils estiment imprudent de souligner les défectuosités de la nouvelle messe, c’est aux laïcs de prendre le relais. Le font-ils suffisamment ? Savent-ils montrer avec précision qu’ils sont attachés à la messe traditionnelle essentiellement pour des raisons doctrinales et, secondairement, pour des questions de sensibilité ? Possèdent-ils quelques documents-clefs comme le Bref examen critique des cardinaux Ottaviani et Bacci (3), La nouvelle messe de Louis Salleron (4), Le sacrifice de la messe dans la nouvelle catéchèse et le nouvel ordo (rédigé en majeure partie par le père Joseph de Sainte-Marie) (5), La réforme liturgique en question de Mgr Klaus Gamber (6) ? Pour la sauvegarde et l’extension à l’avenir de la messe traditionnelle, il y aurait là toute une action à mener. Si nous avons parfois tendance à sous-estimer l’importance de la messe traditionnelle, nos adversaires ne commettent pas cette erreur. A la fin du siècle dernier, l’occultiste Paul Roca, chanoine apostat, avait annoncé la révolution liturgique que nous vivons : « Je crois que le culte divin tel que le règlent la liturgie, le cérémonial, le rituel et les préceptes de l’Eglise romaine subira prochainement dans un concile œcuménique une transformation qui tout en lui rendant la vénérable simplicité de l’âge d’or apostolique le mettra en harmonie avec l’état nouveau de la conscience et de la civilisation moderne » (7). En défendant la messe traditionnelle, nous nous opposons au plan général de subversion des hautes 162 ARNAUD DE LASSUS maçonneries. D’où l’importance de combattre simultanément les efforts de pénétration maçonnique au sein de l’Eglise. Il y a là un secteur d’action politique à incidence religieuse immédiate qui est trop négligé. Malgré les faiblesses qui viennent d’être signalées, la France est sans doute le pays où la défense de la messe traditionnelle (et la critique corrélative de la nouvelle messe) ont été menées avec le plus de compétence et d’efficacité. Deux faits entre beaucoup d’autres témoignent de cette efficacité : la qualité des études sur la messe (la traditionnelle et la nouvelle) qu’ont rédigées des hommes comme le père Guérard des Lauriers, le père Calmel, l’abbé Dulac, Mgr Lefebvre, le père Joseph de Sainte-Marie, l’abbé de Nantes, l’abbé des Graviers, Louis Salleron, Jean Vaquié, Henri Charlier, Henri Rambaud, Jean Madiran; le rayonnement et l’expansion des monastères, couvents, écoles restés fidèles à la liturgie traditionnelle. C’est là une forme particulière des « gesta Dei per Francos ». Puisse-t-elle se développer et attirer sur notre patrie les bénédictions divines dont celle-ci a tant besoin ! Notes (1) Voir à ce sujet la brochure de l’Action familiale et scolaire Note sur 163 Yves Leclair L’expérience de Nantes Yves Leclair, président de l’association « Foi et Tradition » à Nantes, nous a transmis, sous la forme d’une Lettre à un cousin éloigné ses réflexions sur le bilan du Motu proprio Ecclesia Dei dans son diocèse. Mon cher Romain, Je te remercie de ta longue lettre, qui fait suite à ton passage à Nantes. Tu m’y poses de nombreuses questions auxquelles je vais tenter de répondre, à ma façon et en n’engageant que moi. Tu as été enchanté de pouvoir assister ici à des Offices que tu as trouvé beaux et priants – avec un service de l’autel impeccable et une excellente chorale –, au milieu d’une assemblée unie, remplie d’enfants un peu bruyants parfois mais pleins de ferveur. Tu as entendu parler, d’autre part, des activités d’esprit traditionnel animées par nos fidèles : groupes Domus Christiani, scoutisme, soupe populaire, Journées d’Amitié catholique, etc. Et tu as été surpris d’apprendre que nous n’étions pas satisfaits de notre sort... Je sais bien que, dans ton diocèse, tu n’as pas la possibilité d’assister à une messe célébrée dans le rite 164 YVES LECLAIR dit de saint Pie V. Il est vrai que nous avons de la chance, par rapport à d’autres et nous ne saurions trop remercier Mgr Marcus d’avoir mis en œuvre à Nantes le Motu proprio dès 1988. Ce n’était pourtant pas facile dans un contexte local un peu spécifique et qui n’épargne pas le clergé. Mais Mgr Marcus a eu le courage de le faire, malgré l’hostilité d’une bonne partie de son entourage. Cela n’a pas été très simple pour nous non plus. Il aura fallu plusieurs années pour que nous arrivions au résultat que tu as pu constater toi-même. Au début, notre messe dominicale était une simple messe basse, célébrée à un autel latéral, avec le nouveau calendrier liturgique, ce qui rendait délicate l’utilisation de nos missels tridentins. Et il n’y avait que la messe dominicale. Rien en semaine, pas de catéchisme, pas de mariage ni d’enterrement. Notre évêque avait donné à quelques prêtres de son diocèse la possibilité de célébrer selon le rite ancien sous l’autorité de M. l’abbé Le Grand, curé de la paroisse Saint-Clément, à laquelle nous sommes rattachés. C’est un prêtre admirable, plein de compréhension, même s’il a son caractère... Mais qui pourrait lui en tenir rigueur ? C’est un bon caractère de Breton. Ici, c’est indispensable. Je me souviens d’une des premières venues à Nantes de M. l’abbé Coiffet, que tu as connu dans le scoutisme. Nous étions encore à la chapelle de l’Immaculée (nous avons déménagé souvent !). De passage ici, il avait seulement eu l’autorisation de prêcher et d’aider à la distribution de la communion. Ceci pour dire que tout ne s’est pas fait en un jour et qu’il nous aura fallu beaucoup de patience. Mais j’imagine volontiers que Mgr Marcus considère également qu’il manifestait beaucoup de patience à notre égard. Il en faudra encore, de part et d’autre, car nous ne sommes pas au bout de notre chemin... Tout ce qui a été acquis l’a été dans la douleur. Nous avons échangé des mots, toujours respectueusement, 165 ASSOCIATIONS des courriers plus ou moins amers. Nous avons aussi partagé des repas et des confidences. Aujourd’hui, nous pouvons assister à la messe chaque jour dans notre rite, grand-messe le dimanche, messe basse en semaine. Le missel tridentin est appliqué intégralement, y compris le calendrier. Il n’y pas de problème pour les baptêmes et les mariages, dès lors qu’ils sont administrés par un prêtre de la Fraternité Saint-Pierre (ou, le cas échéant, d’une autre communauté bénéficiaire du Motu proprio). Je pourrai même me faire enterrer comme mes grands-parents. A la condition, toutefois, que ça se passe à SaintClément ! Et c’est un des problèmes pour les catholiques traditionnels du diocèse de Nantes. « Le respect de leurs justes aspirations » n’est appliqué « largement et généreusement » qu’à Saint-Clément (sauf dérogation, à titre exceptionnel nécessitant une autorisation de l’évêque). Tu me diras : « Quelle importance d’aller dans cette église ou ailleurs ? » Bien sûr ! D’autant que la paroisse n’a plus la même signification que jadis et que les affinités liturgiques et culturelles l’emportent sur les critères géographiques. Est-ce un bien pour l’unité de l’Eglise diocésaine ? Je ne sais pas, mais c’est un fait et il n’est pas imputable aux « traditionalistes ». Toujours est-il que le Motu proprio n’est appliqué qu’à Nantes et que les catholiques attachés à la liturgie tridentine habitant la Presqu’île de Guérande, Châteaubriant ou Ancenis n’ont d’autre choix que les kilomètres qui les séparent de notre ville ou les offres de services de la Fraternité Saint-Pie X. J’ai du mal à admettre que l’on puisse prendre cette responsabilité en refusant d’appliquer largement, comme le demande le Saint-Père, le Motu proprio. Et puis il y a les confirmations. C’est le seul sacrement qui nous soit refusé à Nantes. Mais nous avons bon espoir : notre nouvel évêque, Mgr Soubrier, a confirmé à Paris selon le rite de saint Pie V il n’y a pas très 166 YVES LECLAIR longtemps. Ce devrait être, là aussi, une question de patience. Alors, oui ! Nous sommes prêts à re-signer pour dix ans ou vingt ans. Mais je m’aperçois que je ne t’ai parlé que de nos relations avec notre évêque et des prêtres diocésains qui nous ont en charge. Je ne te parlerai pas de la Fraternité Saint-Pierre, qui a mis à notre disposition (avec, bien sûr, l’autorisation de l’évêque) un prêtre à Nantes. Mais il faut que je te parle des laïcs du diocèse, car, là aussi, il y a la spécificité nantaise. Curieusement, ceux qui devraient être les plus proches de nous sont les plus hostiles à ce que nous faisons. Je ne sais pas si tu te souviens de cette émission de télévision, odieuse comme d’habitude, où le pape, comparé à Hitler, était traîné dans la boue avec ceux qui le suivent. Les Scouts d’Europe, les A.F.C., l’Opus Dei, Famille Chrétienne et les traditionalistes étaient tous mis dans la même barque, que les procureurs du service public, dignes héritiers de Carrier, auraient volontiers coulée en pleine Loire ! Mais tout le monde n’a pas conscience que nous sommes dans la même barque. Les mobilisations auxquelles ont donné lieu les récentes visites de JeanPaul II en France auraient pu être des occasions de travailler ensemble, de ramer dans la même direction. Il n’en a rien été. La fréquentation des traditionalistes fermerait bien des portes aux « catholiquement corrects » qui s’y risqueraient, tant il est vrai que l’environnement dont je parlais plus haut nous est hostile. Voilà, mon cher Romain, les réponses que je suis en mesure d’apporter à tes questions. Nous restons pleins d’espoir, mais nous construisons pierre après pierre, en essayant d’apporter la « richesse de notre diversité », malgré le rejet qu’inspire notre différence. Et quand il nous arrive de nous décourager, nous nous rappelons ce que disait saint Louis-Marie Grignion de Montfort : 167 Matthieu Maurin La liturgie au centre de l’activité missionnaire Mouvement de jeunes catholiques à la finalité essentiellement missionnaire, Jeune Chrétienté s’appuie sur la liturgie traditionnelle. Matthieu Maurin appartient au triumvirat qui dirige l’association. « Jeune Chrétienté » fût fondée en 1990 dans le but de faire face à la déchristianisation croissante que nous ne pouvons que constater parmi nos camarades de classe, nos amis, nos familles même, souvent. Nous avons choisi de suivre cet appel à la nouvelle évangélisation lancé par le Saint-Père et d’accueillir au sein d’équipes destinées à devenir des cellules de chrétienté ces véritables néopaïens que sont devenus les jeunes de France dans leur majorité. Dans notre effort missionnaire, la liturgie occupe la place centrale, et ces jeunes sont toujours touchés par cette liturgie traditionnelle à laquelle nous sommes tant attachés (nous plaçant de ce fait dans le cadre du Motu proprio). Parmi toutes les conversions qui ont pu se faire à Jeune Chrétienté ressortait toujours cette place prépondérante que la liturgie, la messe principalement, y avait occupée. Elle est due aux richesses propres de cette liturgie : son caractère ordonné, cette foule de 168 MATTHIEU M AURIN « petits » détails dont chacun pourtant a un sens bien particulier et donc toute sa place. Ornements, oraisons, gestes qui concourent tous à maintenir nos pensées – pour reprendre le titre du fameux livre de Mgr Gamber – Tournés vers le Seigneur. Et contrairement à ce qui se dit habituellement, une telle profusion ne rebute pas la jeunesse, qui n’est pas attirée ici par le simple, le concret ou le « terre-à-terre », mais par l’authentique et le Beau. Ces raisons expliquent notre choix de faire appel à des aumôniers qui nous dispensent cette liturgie traditionnelle pour faire redécouvrir l’Eglise à des jeunes qui ont soif de sacré. Jeune Chrétienté ne peut que se réjouir de l’existence de ce Motu proprio, qui nous permet d’exercer pleinement notre apostolat en profitant de la force de cette liturgie traditionnelle, sans pour autant nous mettre en marge de l’Eglise. Ce dernier point est très important pour nous : en effet, tout d’abord, on le sait et les dernières Journées mondiales de la jeunesse l’ont encore prouvé, la jeunesse est très attachée à la personne du Saint-Père. Et même ceux qui ne suivent pas les conseils du pape, notamment concernant la morale sexuelle, le regardent toujours avec respect car ils sentent confusément que cet homme-là ne parle pas pour les séduire, se gagner leurs votes ou vendre des billets à un spectacle, mais parce qu’il veut leur bonheur et les voit comme des hommes, non comme des animaux aux instincts irrépressibles. Elle est attachée aussi, dans un monde où tous les repères s’effacent à sa fonction de chef de l’Eglise et de l’autorité qui en découle. Nous positionner dans une attitude de critique ou nous marginaliser au sein de l’Eglise serait à ces égards suicidaire : ce serait hurler avec les loups de ceux qui se moquent tant du pape et, à travers lui, de l’Eglise. De plus, comment défendre l’Eglise, face à tous les procès que les grands médias lui font tout en la critiquant explicitement dans son attitude ? Un sceptique pourrait objecter sans être incohérent qu’il est d’accord avec vous et qu’en n’écoutant pas l’Eglise sur certains points, il suit votre 169 ASSOCIATIONS exemple. Comment être missionnaire et vouloir amener des âmes au sein d’un palais que l’on décrit comme un égout ? L’existence du Motu proprio nous a de plus permis d’établir des relations fraternelles, non seulement avec certains prêtres diocésains qui, bien que ne partageant pas nos orientations liturgiques, approuvent notre action apostolique; mais aussi avec les autorités diocésaines, comme à Versailles ou à Paris. Mgr Lagrange nous fit même l’amitié de confirmer plusieurs de nos jeunes il y a deux ans et de faire une conférence à la session de formation de nos cadres cette année. Ce lien qui se crée ainsi et que nous souhaitons voir se renforcer avec l’autorité diocésaine compte pour les jeunes qui arrivent au sein du mouvement en leur prouvant que notre action est légitime. Il compte aussi sûrement en montrant humblement à ces autorités que l’on peut être attaché à la Tradition tout en leur obéissant et en les aimant, et que, face aux excès d’autres mouvements, Jeune Chrétienté a su créer une atmosphère de mixité ni malsaine ni indisciplinée. Sans cette nouvelle ambiance créée par le Motu proprio, la naissance de Jeune Chrétienté et son développement auraient sans doute été sérieusement compromis. Hélas, force nous est de constater, comme d’autres associations amies le font, que, contrairement à la volonté même exprimée par le Saint-Père, des obstacles nous sont souvent opposés face à notre vœu d’utiliser cette forme liturgique. Difficultés tout d’abord rencontrées à l’étranger lors de nos camps d’été. Si nous ne rencontrons que de l’amitié lorsque nous nous rendons dans des pays comme la Syrie ou la Turquie, où les chrétiens sont aussi attachés à des rites riches; en revanche, dans des pays où le catholicisme est pourtant dominant, comme le Portugal ou l’Italie, nous avons souvent connu bien des difficultés. La majeure partie du temps, nous sommes obligés de taire 170 MATTHIEU M AURIN notre spécificité, sans quoi nous risquerions de nous voir refuser l’accès aux églises. Certains clercs suivent les recommandations exprimées par le Motu proprio, comme l’évêque de Leiria, qui nous fit un mot faisant office de laisser-passer sur tout son diocèse. D’autres, en revanche, et surtout en Italie, ce qui est le comble puisqu’il s’agit de la terre même du pape, nous refusent leur église, en semblant ignorer que, de par la volonté même de Jean-Paul II, la Fraternité Saint-Pie X n’a pas le monopole de la messe de saint Pie V. Difficultés rencontrées en France, en Bretagne par exemple, où un de nos animateurs venant de fonder une équipe se voit regarder avec hostilité par le clergé local, qui, là encore, semble tout ignorer des dispositions du Motu proprio alors que celui-ci est en vigueur depuis dix ans déjà. Un autre amalgame courant en France est de nous rejeter en nous assimilant à la succursale d’un parti politique, accusation parfaitement non fondée dans la mesure où aucune des activités que nous proposons ou aucune de nos publications n’a de caractère politique. Là encore, l’ignorance (la malveillance ?) semble régner. Difficultés face parfois aux prêtres mêmes qui dispensent cette liturgie, quand ils le font uniquement par obligation, qu’ils n’aiment pas cette liturgie et ne s’en cachent pas dans leur propos; ou se cantonnent au « service minimum » de la messe hebdomadaire, nous refusant toute adoration eucharistique, par exemple. Difficultés enfin dans tous ces diocèses où nous sommes en contact avec des jeunes garçons ou des jeunes filles désirant, par Jeune Chrétienté, faire de l’apostolat et monter des équipes et où ces fondations sont rendues très difficiles à cause de l’absence de toute paroisse ou de tout prêtre pouvant nous dispenser cette liturgie au moins une fois par semaine, comme à Tours. Là encore, nous souffrons de voir le Motu proprio insuffisamment appliqué. Cependant, nous gardons présent à l’esprit, surtout à Jeune Chrétienté, la chance que nous avons... Avoir pu 171 Loïc Mérian Au cœur du débat liturgique Jeune Président du Centre international d’études liturgiques (CIEL) Loïc Mérian organise, à ce titre, chaque année un colloque portant sur la liturgie. Il a également dirigé pendant plusieurs années le mouvement Jeune Chrétienté. Si le Motu proprio a permis un apaisement pratique et la rupture de l’isolement pratique dans lequel se trouvaient cantonnés prêtres et fidèles attachés aux formes liturgiques traditionnelles, il a permis également et de manière très nette de pouvoir dépasser les clivages idéologiques et de commencer une réflexion de fond sur la réforme liturgique. Bien sûr, nul ne peut nier que dès la réforme elle-même une certaine « auto-critique » s’est fait jour au sein de l’Eglise elle-même, principalement sur une mauvaise application de la réforme : « Cette réforme n’est pas sans danger, en particulier celui de l’arbitraire et, par voie de conséquence, celui de la désagrégation de l’unité spirituelle de la société ecclésiale […]. La multiplicité des changements introduits dans la prière traditionnelle et commune a pu servir de prétexte à cet arbitraire […]. Ce 172 LOÏC MÉRIAN désordre que malheureusement on observe ça et là, cause un grave préjudice à l’Eglise » disait Paul VI à l’audience générale du 3 septembre 1969. Le Bref examen critique publié lors de la sortie du nouveau missel et accompagné d’une lettre très ferme et très critique des cardinaux Ottaviani et Bacci en est un autre exemple. Cependant ces voix isolées furent emportées dans l’enthousiasme du mouvement liturgique d’après-guerre dont on sait aujourd’hui qu’il ne laisse que de rares convaincus et beaucoup de places désertes. Il est malheureusement inutile de revenir sur la disparition en trente ans des fidèles de nos paroisses. Durant de nombreuses années, le discours est resté foncièrement optimiste quant aux éventuelles distorsions présentes dans la réforme elle-même : « Le missel actuel s’inscrit dans la plus ancienne tradition. C’est vraiment la messe de toujours tout en étant la messe de notre temps, exactement comme la messe de 1570 était la messe de toujours et la messe de son temps […]. Ce n’est pas sans parti pris que l’on pourrait l’accuser d’avoir vidé la célébration eucharistique de son contenu réel […]. Un examen objectif des textes et un bref survol de l’histoire suffisent pour faire taire ces objections » (1). Bien sûr, certains « audacieux » comme le père Gélineau, qualifié par Mgr Bugnini dans ses mémoires de liturgiste parmi les « plus montants du XXème siècle », osent affirmer froidement la rupture : « Que ceux qui ont encore connu et célébré comme moi la grand-messe chantée en latin et en grégorien se souviennent s’ils le peuvent. Qu’ils lui comparent la messe actuelle d’après Vatican II. Non seulement les mots, les mélodies et certains gestes sont autres. En vérité c’est une autre liturgie de la messe. Il faut le dire sans ambages : le rite romain tel que nous l’avons connu n’existe plus, il est détruit » (2). Peu d’autorités ont été aussi loin dans leur jugement et le discours général est plutôt celui qui se trouve synthétisé dans la lettre apostolique du pape Jean-Paul II pour le 25ème anniversaire de la constitution sur la sainte 173 ASSOCIATIONS liturgie publiée le 14 mai 1988 : « Ce travail a été accompli suivant le principe conciliaire : fidélité à la tradition et ouverture à un progrès légitime. Aussi peut-on dire que la réforme liturgique est strictement traditionnelle ad normam sanctorum Patrum ». Il est clair que cette position sur la continuité de la réforme liturgique avec la tradition de l’Eglise a été contestée par ceux qui dans la tourmente post-conciliaire ont estimé plus sûr de se tenir aux rites liturgiques précédents. Il est cependant intéressant de noter le nombre relativement faible d’études sur le sujet que produiront avant 1988 les milieux dits traditionalistes. Sans chercher à porter de jugement de fond et comparé à l’extraordinaire travail historique et liturgique mené par les « tenants » du mouvement liturgique d’après guerre on peut faire le constat, comme le fait l’abbé Barthe dans son ouvrage sur la crise de l’Eglise, que l’aile conservatrice n’a plus hélas pour faire face aux réformes, ni troupes, ni relais. En face des dizaines de volumes de la collection Lex Orandi des éditions du Cerf qui démarra avec les fameuses Etudes de Pastorale liturgique que trouve-t-on ? Peu de choses et surtout peu de choses écrites par des ecclésiastiques. Certes beaucoup de pamphlets ou plaquettes mais peu d’études de fond. Il faut rendre hommage à la revue Itinéraires et à Jean Madiran d’avoir organisé les réactions avec les plumes de l’abbé Dulac, du Père Calmel, du Père Guérard des Lauriers, et surtout celles d’un certain nombre de laïcs parmi lesquels Louis Salleron qui, avec La nouvelle messe (3), signe un des ouvrages qui, sans être une étude réellement approfondie, restera durant de nombreuses années le « manuel » de base de ceux qui voulaient étudier la réforme aussi bien dans les milieux laïcs qu’ecclésiastiques. Il faut noter également les travaux du Père Joseph de Sainte-Marie, dès le départ plus attaché à une étude de fond sur la réforme et dont les travaux sur la concélébration sont une des rares études fouillées dans le domaine liturgique émanant du milieu 174 LOÏC MÉRIAN conservateur. La mise à l’écart pratique des fidèles et prêtres attachés à la liturgie ancienne a été certainement un facteur important de stérilisation intellectuelle des positions conservatrices dans le domaine liturgique. La « violence » des pressions et sanctions ecclésiales à l’égard de ceux qui mettaient en doute le bien-fondé des réformes, le discrédit idéologique jeté sur eux a certainement conduit bien des ecclésiastiques à préférer être en paix au sein de l’Eglise plutôt qu’à être marginalisés. Entre 1976 et 1988, l’amalgame est quasi total entre l’attachement à la liturgie traditionnelle, une critique violente du missel de Paul VI et une certaine rupture avec la hiérarchie. Tout concourt à ce qu’il n’y ait pas d’alternative possible. Seul l’Indult de 1984 fournira un « ballon d’oxygène » dans cette difficile situation. Mais jusqu’en 1988, la situation pratique et donc intellectuelle de la liturgie traditionnelle restera marginale ou écartée, repoussée en périphérie de la vie de l’Eglise. Il est étonnant de constater que même structurés autour de la Fraternité Saint-Pie X, les milieux traditionalistes n’aient pu fournir le matériau nécessaire à une véritable reconquête intellectuelle des esprits dans ce domaine. Si auprès des fidèles, les choses peuvent être plus du domaine de l’immédiateté visuelle ou du geste, pour les autorités responsables de la question liturgique la question de fond, doctrinale, théologique reste de la première importance. Or en pratiquant l’amalgame idéologique vis-à-vis de la messe traditionnelle, on a suscité à la fois une crainte de soutenir cette mouvance et une amertume de la mouvance elle-même rejetée sans discussion de la réforme. Les milieux universitaires sont donc restés à l’écart de ces études et le milieu traditionaliste n’a pu ou n’a pas voulu reprendre le flambeau. En 1988, le Motu proprio introduit une rupture immense; le Saint-Père, concernant la liturgie tridentine, parle de richesses, d’aspirations légitimes; il invite les pasteurs, les théologiens à retrouver la voie de la Tradition et de la 175 ASSOCIATIONS fidélité doctrinale. Ce faisant le Saint-Père libère deux jougs importants même si la concrétisation pratique est très variable dans les diocèses, collégialité oblige; cependant il est désormais possible aux yeux du plus grand nombre d’être attaché à la liturgie tridentine et d’être pleinement au sein de l’Eglise. C’est un bouleversement sans précédent, même si une fois de plus la « généreuse application » du Motu proprio est laissée à la moins généreuse appréciation de certains épiscopats. D’un point de vue pratique, de très nombreuses autorités vont pouvoir célébrer publiquement selon le missel de 1962, ce qui était quasiment impensable auparavant : les cardinaux Stickler, Ratzinger, Felici, Palazzini, Poggi, Gagnon, Mayer, Piovanelli, de très nombreux évêques en France, en Allemagne, en Italie, aux Etat-Unis, en Australie, des pères abbés et d’innombrables prêtres célèbrent selon ce rite occasionnellement ou régulièrement. Cela ne veut pas dire que tout est désormais facile, loin de là, mais on ne peut plus désormais dire, avec ou sans raisons juridiques, « cette messe est interdite » puisque la plus haute autorité de l’Eglise démontre le contraire. De là va découler un nouveau débat intellectuel, jusque là peu connu, par les travaux publiés en allemand par Mgr Gamber ou les interventions du cardinal Ratzinger dans La célébration de la foi (4) ou Entretien sur la foi (5). On connaît les critiques du Père Bouyer – « Il en résulte que la messe dite “face au peuple” n’est qu’un total contresens ou plutôt un pur non sens » (6) –, du cardinal Decourtray – « Nous sommes tellement tournés vers l’assemblée que nous avons oublié de nous tourner ensemble, peuples et ministres vers Dieu ! Or sans cette orientation essentielle, la célébration n’a plus aucun sens chrétien » (7) – ou du Père Max Thurian dans L’Osservatore Romano du 23 juillet 1996. Auraient-elles été possibles quelques années auparavant ? 176 LOÏC MÉRIAN Le cardinal Ratzinger revient très régulièrement sur cette question : « La réforme liturgique, dans sa réalisation concrète, s’est éloignée toujours davantage de cette origine. Le résultat n’a pas été une réanimation mais une dévastation », écrit-il en 1989 (8). Ou encore plus récemment : « Je suis convaincu que la crise ecclésiale dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui dépend en grande partie de l’effondrement de la liturgie » (9). Le cardinal Stickler, ancien membre du Concilium de liturgie revient depuis plusieurs années sur l’opposition qui existe entre la réforme liturgique et la constitution conciliaire sur la liturgie : « Ce détournement d’objectif a eu en particulier pour effet que, dans l’Eglise, de plus en plus de voix autorisées se font entendre, se plaignant que le rite romain a été non pas révisé comme le demandait le concile mais bel et bien détruit : en particulier la nature spécifique des différentes parties de la sainte messe non seulement n’apparaît plus clairement mais au contraire est falsifiée; en outre, à la place de Dieu et du sacrifice qui lui est offert, on voit s’imposer le concept d’un repas communautaire entre les fidèles » (10). On citera enfin, le Père Folsom, aujourd’hui président de l’Académie pontificale de liturgie Saint-Anselme à Rome : « Il semblerait que la modification et la réduction de ces gestes dans l’Ordo missae de 1970 correspondent à une évolution importante de la pensée contemporaine dans les domaines de l’anthropologie et de la théologie. Anthropologiquement, on voit désormais triompher une conception de l’homme inspirée de l’esprit des Lumières. […] Dans certains pays, une large majorité de fidèles catholiques ne croit plus à la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Sans doute la réduction des gestes de révérence au moment de la consécration n’est pas la seule explication à cette confusion et à cette perte de la foi. Cependant, si nous admettons l’axiome selon lequel la pratique liturgique influence la foi, il semble logique d’en conclure que ces changements apportés à la liturgie ont contribué à un manque de révérence et parallèlement à 177 ASSOCIATIONS une perte du sens de la foi » (11). On pourrait multiplier de telles citations car elles commencent à émaner de milieux très divers. Le débat liturgique est enfin rouvert. Il est enfin permis d’y exprimer un avis, de livrer les résultats d’une étude sans conclusion hâtive mais sans être taxé de dangereux « rétrograde conservateur ». Depuis trois ans les colloques internationaux du CIEL permettent de mesurer le chemin parcouru et de livrer des études de fond, non polémiques, dans un esprit scientifique, dans un contexte d’appréciation positive de la liturgie tridentine. L’accueil réservé par les autorités romaines à ces travaux permet de constater que le Motu proprio a permis de sortir d’une situation bloquée qui voyait le règne d’une uniformité idéologique tolérant difficilement la contradiction. Sans consacrer la victoire d’aucun parti, le Motu proprio permet qu’à nouveau des questions jugées taboues il y a dix ans soient à nouveau étudiées et débattues sans que les arguments avancés soient rejetés a priori. Bien sûr, une telle évolution de la question liturgique n’est pas du goût de tous et de nombreux obstacles pratiques et intellectuels subsistent. Ainsi le Père Matzger, doyen de la faculté de théologie de Strasbourg dénonce-t-il : « Des hauts dignitaires encouragent, par leur participation à des cérémonies traditionalistes, le maintient de formes liturgiques positivement périmées, en prenant prétexte d’abus dans l’application des réformes » (12). Ou encore Mgr Weakland, ancien abbé Primat des bénédictins, archevêque de Millwaukee aux Etats-Unis : « Ce qui a fait complètement dérailler le renouveau liturgique […] c’est la décision du pape Jean-Paul II […] d’accorder en 1984 l’Indult qui a permis au rite tridentin de se répandre à nouveau. […] Le Motu proprio de 1988 établissant la commission “Ecclesia Dei” à la Curie et demandant un usage plus répandu et plus généreux de l’Indult de 1984 par les évêques locaux a renforcé cette impression […]. 178 Abbé François Pozzetto et Pierre Vaquié Le pèlerinage de chrétienté à Chartres et le Motu proprio L’abbé François Pozzetto et Pierre Vaquié sont respectivement aumonier général et président de l’association Notre-Dame de Chrétienté qui organise chaque année le pèlerinage de la Pentecôte de Paris à Chartres. Depuis l’origine, le rite « liturgique traditionnel latin » – dit de saint Pie V – est l’un des trois éléments fédérateurs du pèlerinage de Pentecôte à Chartres, avec la chrétienté et l’esprit missionnaire. Les trois piliers fondateurs du pèlerinage – Tradition-chrétienté-mission – sont profondément liés et notre fidélité au rite conforte les deux autres. Pour celui qui découvre le pèlerinage, ce rite beau et grave, d’une mystérieuse magnificence, donne d’emblée son style si tonique au pèlerinage. Ajoutez-y, bien sûr, la rudesse de ces 105 kilomètres à pied en trois jours, l’omniprésence des familles tous âges confondus, l’affichage structuré d’une totale complémentarité entre prêtres et laïcs, la place prépondérante donnée à Notre- 179 ASSOCIATIONS Dame comme chemin vers Jésus et on aura la palette assez complète des couleurs de ce pèlerinage qui se veut une véritable chrétienté. De tout cela le rite si beau, si mystérieux, si entraînant est le lien et le liant. Avant le Motu proprio du 2 juillet 1988, l’application du rite traditionnel ne fait pas l’objet de débat. Il va de soi. Il est la respiration naturelle et spontanée de tous les pèlerins. En pleine débâcle post-conciliaire, encouragée par les exemples de Mgr Lefebvre et d’autres cardinaux, évêques, prêtres et laïcs éminents, la fidélité au « rite ancien » était le sursaut salutaire qui s’imposait avec évidence sans que personne ne cherchât à la justifier. Poussés par le besoin de faire réparation à NotreSeigneur et de retremper leurs forces par la proclamation d’une adhésion inconditionnelle au rite porteur de toute leur ferveur, les pèlerins des premiers pèlerinages de Chartres vivent leur fidélité au rite comme une bouffée d’oxygène. Le rite « ancien » étant proscrit, au moins dans les faits, les relations avec les autorités religieuses étaient limitées à la seule mise au point des questions administratives. Peu de débat. Peu d’échange. Rappelons toutefois que le clergé de Notre-Dame de Paris – dont le futur évêque de Chartres, Mgr Perrier – a toujours reçu les pèlerins de Chartres avec compréhension, mais aussi que (sauf en 1985) ces derniers ont régulièrement trouvé fermées devant eux les portes de la cathédrale de Chartres. De cette époque nous gardons, dans le style et l’organisation du pèlerinage (quant au rite) : – Une grande attention portée à la perfection liturgique pour le déroulement des trois messes. Pour tous, cette volonté s’est traduite par la constitution d’une équipe liturgique parfaitement organisée, soudée, renouvelée et élargie qui a maintenu au fil des années son rayonnement et son exemple. – Une place privilégiée pour les prêtres : dès l’origine, on a tout organisé pour leur permettre de célébrer leur 180 ABBÉ POZZETTO ET P. VAQUIÉ messe privée dans les meilleures conditions, ces prêtres ayant ensuite devant eux une rude journée de confesseurs et de prédicateurs entre deux chapitres. – Une pédagogie portant sur l’explication répétée sans arrêt du mystère de la messe et de la beauté du rite traditionnel. – Deux attitudes symboliques du respect du rite traditionnel : la communion à genoux – dans la boue s’il le faut – et le grand silence impressionnant au moment de la Consécration. Avec le Motu proprio commence une nouvelle époque qui conforte le choix de l’origine et lui donne une assise et une force nouvelles. Provoqué par une grave décision qui divise la « famille traditionaliste », le Motu proprio est accepté par beaucoup de chefs de chapitre et une grande partie de l’équipe dirigeante du pèlerinage sans arrièrepensée. Ses fondateurs, pour la plupart, acceptent la « main tendue » de Rome et refusent la séparation d’avec le Souverain Pontife et ses conséquences dramatiques. L’existence de relations permanentes avec la hiérarchie ecclésiale fait partie de la visibilité de l’Eglise, malgré le risque de débats biaisés par une dialectique difficile à dépasser ou l’enlisement sans fin dans des procédures administratives tracassières. Le Motu proprio ne change rien au déroulement ni au style du pèlerinage : l’exclusivité de l’application de l’ancien rite reste intacte. Certains voudraient que le biritualisme soit introduit sur la route de Chartres, mais nous nous y refusons. Pourquoi ? Pour maintenir l’unité de cette démarche spirituelle fondée non seulement sur un rite mais aussi sur des « traditions spirituelles et liturgiques » (Motu proprio Ecclesia Dei). La nonacceptation du rite nouveau n’est pas jugement de valeur, mais affirmation de l’excellence du missel de 1962 et volonté de rester unis. Le bi-ritualisme, dans l’état actuel de la liturgie dans l’Eglise, serait contraire à la vocation du pèlerinage. Ce qui a changé avec le Motu proprio concerne 181 ASSOCIATIONS certaines modalités et principalement la pédagogie : – Dans leurs documents officiels, les responsables du pèlerinage, prêtres ou laïcs, au lieu de comparer les deux rites, cherchent, dans un souci missionnaire, à mettre en valeur la richesse et la beauté de l’ancien rite, tout ce qui en fait le sacré et l’excellence. Cette modération s’inscrit dans l’esprit du protocole d’accord signé entre le cardinal Joseph Ratzinger et S. Exc. Mgr Marcel Lefebvre, protocole repris par la Commission « Ecclesia Dei » après les sacres d’Ecône et signé par de nombreux prêtres. Il y est stipulé : « A propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude d’étude et de communication avec le Siège Apostolique, en évitant toute polémique ». – Ce souci de formation se marque vis-à-vis des chefs de chapitre auxquels il est fourni de fréquents argumentaires pour former leurs pèlerins. En effet, depuis 1989 et l’application du Motu proprio, la population des pèlerins change. Beaucoup de nouveaux connaissent peu l’ancien rite ou le pratiquent peu; les lieux de culte reconnus par les Ordinaires sont encore relativement peu nombreux. La pédagogie se développe donc au sein du pèlerinage. On utilise tous les documents diffusés régulièrement sous l’autorité des communautés et associations pratiquant et défendant le rite traditionnel (Le Barroux, Fontgombault, Oremus, etc.). – Les relations avec les prêtres se renforcent sur l’application de l’ancien rite. Des prêtres trouvent (ou retrouvent) le chemin de ces anciens rites. L’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux et d’autres communautés les forment. Plusieurs témoignent de leur joie de découvrir la splendeur de ce rite séculaire. Ce qui a changé, ce sont aussi, bien sûr, les relations avec les autorités de l’Eglise. La reconnaissance totale de toute la hiérarchie et l’obéissance due à nos évêques 182 ABBÉ POZZETTO ET P. VAQUIÉ entraînent des rencontres et des discussions fréquentes. Leur multiplication conduit à une meilleure justification de l’application du rite traditionnel. Cependant, ce Motu proprio met mal à l’aise une partie de l’épiscopat (surtout en France), des prêtres séculiers et des communautés religieuses. Il n’est pas attaqué de face, mais son application retardée et, surtout, interprétée comme transitoire, précaire et révocable, « parenthèse miséricordieuse »... On nous oppose fréquemment, dans nos débats avec nos évêques : – l’unité de l’Eglise (le « rite ancien » serait insupportable à une partie des communautés ecclésiales et serait la cause d’une fracture de l’Eglise, son unité passant par une unité de rite); – la Tradition (le nouveau rite constituerait aujourd’hui le rite traditionnel de l’Eglise. Nos appellations sont donc fallacieuses); – et l’unité de la messe (à trop vouloir défendre l’ancien rite, les dirigeants du pèlerinage porteraient la responsabilité d’affaiblir, chez les fidèles, la perception de la transcendance de la messe au-delà des différences de rite). Tous ces arguments rendent le dialogue difficile et les autorisations problématiques. Une telle lenteur est de nature à faire fuir fidèles et pèlerins qui vont chercher hors des structures reconnues par l’Eglise une réponse à leur besoin d’une liturgie de qualité. Pour conclure, les dirigeants de « Notre-Dame de Chrétienté » expriment, dans une profonde action de grâce, leur joie devant la médiation de la Mère de l’Eglise, Notre-Dame qui, depuis seize ans maintenant, les conduit. Consacrés à Elle devant la cathédrale de Chartres en 1993, mais aussi individuellement pour certains, les pèlerins de Chartres expérimentent quotidiennement et particulièrement à chaque Pentecôte le « monstra te esse matrem » : Notre-Dame est vraiment leur Mère. Depuis dix ans maintenant, les ont accueillis à Chartres 183 ASSOCIATIONS plusieurs cardinaux, évêques et pères abbés. Dès 1989, le T.R.P. Dom Antoine Forgeot, père abbé de l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault venait, avec le T.R.P. abbé Dom Eric de Lesquen (Randol) les encourager. En 1990 et en 1996, le T.R.P. Dom Gérard, de l’abbaye SainteMadeleine du Barroux, est là pour leur prêcher la fidélité et la défense de la chrétienté (comme déjà en 1985 dans un sermon mémorable). Mais Rome se déplace jusqu’à Chartres. Le cardinal Augustin Mayer, à l’époque président de la Commission « Ecclesia Dei », accompagné de Mgr Camille Perl et reçu par le nouvel évêque de Chartres, Mgr Jacques Perrier. Sa visite paternelle le plonge au milieu de mille enfants qui l’ovationnent comme s’il était le Christ lui-même. Nous avons vu ce cardinal revenir à Rome très ému de cette chrétienté en marche. Six ans plus tard, son successeur à Rome, le cardinal Angelo Felici, vient à son tour célébrer « la messe de son ordination » en présence du nonce apostolique en France, Mgr Mario Tagliaferri et, bien sûr de l’évêque de Chartres toujours présent. Dès 1992, ce même évêque de Chartres célèbre lui-même la messe de clôture du pèlerinage de Pentecôte en présence de l’ancien nonce en France, l’actuel cardinal Lorenzo Antonetti. Enfin, ce sont deux évêques émérites, en 1994 et 1995 : S. Exc. Mgr Alvim Perreira, doyen du chapitre de SaintPierre de Rome et feu S. Exc. Mgr Brunon, évêque émérite de Tulle, empêché au dernier moment par de graves ennuis de santé et dont le sermon fut lu dans la cathédrale. L’avenir est entre les mains de la Providence et dans le Cœur de Dieu. Fidèles à l’Eglise, notre Mère, fidèles à la liturgie qu’ont célébrée tant de saints, nous voulons poursuivre notre route et continuerons à réclamer, filialement et sans nous lasser, l’application « large et généreuse » du Motu proprio demandée par l’Eglise. 184 Daniel Tarasconi Le regard du Nouvel Elan Marial sur le Motu proprio Ecclesia Dei Le Nouvel Elan Marial, dont le siège est à Marseille, est un mouvement reconnu canoniquement par l’Eglise. Présidé par Maître Tarasconi, ce mouvement de laïcs a reçu la bénédiction apostolique du pape Jean-Paul II. Le dixième anniversaire de la promulgation du Motu proprio Ecclesia Dei adflicta offre une occasion propice de « faire le point » sur la manière dont ce texte pontifical a été appliqué dans l’Eglise. Tout d’abord, comment ne pas préciser la grande espérance que cet acte de volonté du Saint-Père a suscitée chez ceux qui, tout en voulant demeurer dans la communion de l’Eglise, étaient fortement attachés au rite romain traditionnel ? Il n’est un secret pour personne que le Nouvel Elan Marial, mouvement d’apostolat fondé en mai 1985, est attaché à la liturgie romaine traditionnelle; nous en apprécions la majesté, la sacralité et la beauté. Les livres de Mgr Gamber, publiés avec bonheur par les Editions Sainte-Madeleine du Barroux, les congrès du 185 ASSOCIATIONS CIEL et tant d’autres événements viennent aujourd’hui étayer les raisons de ce choix, opéré dès la fondation du Nouvel Elan Marial, non dans un esprit de rébellion, mais bien par dévotion envers le Sacrifice Eucharistique de Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Les restrictions coupables à l’application de l’Indult du 3 octobre 1984. Avant de parler du Motu proprio proprement dit, qu’il me soit permis d’aborder le problème de l’application de l’Indult du 3 octobre 1984, lequel permettait – sous certaines conditions bien trop restrictives, hélas ! – l’utilisation du missel de 1962 ! Il faut rappeler qu’avec l’association Una Voce, c’est le Nouvel Elan Marial qui, le premier, a obtenu dès 1985, de faire célébrer des messes traditionnelles dans plusieurs sanctuaires de France : – dès 1985 : Lourdes, Notre-Dame du Laus (HautesAlpes), Notre-Dame de La Garde, Toulon (La Castille); – 1986 : Notre-Dame des Victoires (Paris), Principauté de Monaco, Notre-Dame de Fourvières (Lyon), etc. Cela n’a pas toujours été facile d’être des « pionniers » en quelque sorte. Nous nous sommes heurtés à l’esprit méprisant, voire sectaire, d’un certain clergé, mais aussi à l’incompréhension de certains amis qui, pourtant, partageaient ce même amour pour la liturgie traditionnelle. Voilà l’une des raisons essentielles de la rupture consécutive aux sacres d’Ecône le 30 juin 1988 : les difficultés d’application de cet Indult, les restrictions inconcevables qu’il comportait, celles qu’ont ajoutées des évêques, ont suscité amertume et déception chez les catholiques de Tradition, qui ont perdu confiance dans la hiérarchie. Comment les condamner ? Nos pasteurs ontil eu « pitié de cette foule », à l’image du Divin Maître ? Qu’ont-ils fait pour les accueillir, comprendre leurs aspirations qualifiées de « justes et légitimes », en faisant une « application large et généreuse » de l’Indult, pour reprendre les termes mêmes du pape dans son Motu 186 DANIEL TARASCONI proprio du 2 juillet 1988 ? Aussi le Nouvel Elan Marial a-t-il souhaité demeurer un espace de prière et d’accueil fraternel envers tous ceux qui se sentent blessés ou orphelins. C’est le vœu que formulait d’ailleurs, en octobre 1988, pour notre mouvement, le cardinal Mayer, alors qu’il se trouvait à Lourdes en tant que Président de la Commission pontificale « Ecclesia Dei » lors de l’assemblée plénière de l’épiscopat. Le Motu proprio du 2 juillet 1988. Ces quelques précisions permettent de mieux comprendre comment nous avons reçu le Motu proprio du 2 juillet 1988 : avec une grande espérance, une confirmation de tant d’efforts déployés depuis 1983, et en même temps, le sentiment amer d’un immense gâchis, car la division était consommée ! – La date du 2 juillet 1988 : un « clin d’œil » de la Providence ? Nous sommes persuadés que c’est autour de Marie, incarnation de la miséricorde de Dieu, que s’opérera la réconciliation des catholiques. Elle est le signe que Dieu nous donne. L’histoire de l’Eglise nous l’a déjà montré. Prenons la fête de la Visitation de la Vierge : dès l’an 1389, le pape Urbain VI institua la solennité de cette fête afin d’obtenir, par l’intercession de Marie, la fin du schisme qui désolait l’Occident. La promulgation du Motu proprio Ecclesia Dei adflicta un 2 juillet 1988 n’apparaîtelle pas comme un « clin d’œil » de la Providence, 599 ans après l’institution de cette même fête ? Plus concrètement, déjà en 1987 nous avions proposé à l’épiscopat, justement afin d’éviter cette division vécue le 30 juin 1988, une semaine de l’Unité entre catholiques. Par exemple, à l’occasion de la Semaine Sainte, où chaque catholique, quelle que soit sa sensibilité liturgique, communie étroitement à la Passion, à la mort et à la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Dans chaque diocèse, l’évêque pourrait participer à un Office 187 ASSOCIATIONS traditionnel – suivant le missel de 1962 –, montrant ainsi l’unité des catholiques. Il s’agit là d’une simple suggestion, mais je crois que l’idée est à creuser... A quoi servirait d’organiser à grand renfort de publicité une semaine de l’Unité entre les diverses confessions chrétiennes, si les catholiques ne sont pas capables de se réconcilier entre eux ? L’Eglise risque d’y perdre sa crédibilité, car il n’existe pas de charité à géométrie variable. – L’application des dispositions pontificales. Alors que l’Eglise de France prétend être à la pointe du combat contre toutes les formes d’exclusion, elle n’hésite pas à exclure toute une partie des catholiques pratiquants de sa communion, lorsqu’ils sont attachés à la liturgie latine traditionnelle ! Songez que dans près de la moitié des diocèses de France, aujourd’hui, il n’existe même pas un lieu de culte où la messe dite de saint Pie V serait célébrée dans l’esprit du Motu proprio ! Sans parler des endroits où le clergé n’est guère convaincu des bienfaits des directives du Saint-Père, ou peu compétent pour célébrer dignement les Saints Mystères ! Bref, à notre avis, le bilan est encore décevant et nous sommes loin de l’application « large et généreuse » des directives concernant l’utilisation du missel romain de 1962, ainsi que le prescrivait le pape dans son Motu proprio du 2 juillet 1988 ! Faudra-t-il se résoudre à ne retrouver ce rite que dans quelques abbayes ? Je ne le crois pas. Cette liturgie est le « trésor de l’Eglise » selon la parole du cardinal Ratzinger; elle est le lien commun des fidèles. Poursuivons donc – à temps et à contretemps ! – le dialogue avec nos évêques afin qu’ils comprennent les bienfaits, au regard de la communion ecclésiale, d’une « application large et généreuse » des dispositions voulues par le Souverain Pontife. Dans son ouvrage Le sel de la terre, le cardinal Ratzinger observe : « Je suis certes d’avis que l’on devrait accorder beaucoup plus généreusement à tous ceux qui 188 DANIEL TARASCONI le souhaitent le droit de conserver l’ancien rite. On ne voit d’ailleurs pas ce que cela aurait de dangereux ou d’inacceptable. Une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était jusqu’alors pour elle tout ce qu’il y a de plus sacré et de plus haut et à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’elle en a se met ellemême en question. Comment la croirait-on encore ? Ne va-t-elle pas interdire demain ce qu’elle prescrit aujourd’hui ? » Nous devons aussi passer à l’action. Il est temps que le « Peuple de Dieu », pour reprendre une expression chère au concile Vatican II (et au Code de Droit canonique) sorte enfin de sa réserve ! Loin de subir, nous devons agir, avec la grâce de Dieu, à l’image des grands saints évangélisateurs qui ont christianisé la Gaule ! Utiliser toutes les voies de droit, tous les moyens que nous donne le Droit canon, d’abord au sein des diocèses, puis en effectuant des recours à Rome. N’hésitons pas à utiliser aussi les moyens publics de protestation pour attirer l’attention de nos Pasteurs sur la situation injuste qui nous est faite : pas simplement les pétitions, mais aussi la « grève du denier du culte ». Si le versement d’un denier du culte est une obligation morale, nos Pasteurs doivent se souvenir qu’ils ont aussi l’obligation pastorale de donner à nos âmes les nourritures spirituelles nécessaires ! Ayons soin de leur rappeler chaque fois par écrit les raisons de notre protestation. Bref, soyons audacieux ! En ce sens, des mouvements d’apostolat, dont la structure dépasse le cadre paroissial et même diocésain, peuvent jouer un rôle fort utile... Car le piège qui menace plusieurs de nos communautés est de se laisser enfermer dans un légalisme étroit : ne devenons pas des « technocrates de la foi » ! L’autre danger serait de ne s’intéresser qu’à sa propre chapelle, sans se préoccuper de l’ensemble de l’Eglise : gardons une vision catholique (c’est-à-dire universelle) des valeurs pour lesquelles nous combattons ! 189