Je sais, donc je suis

Transcription

Je sais, donc je suis
Entre vous et moi Rémi Tremblay est patron depuis l’âge de 22 ans. Ancien PDG d’Adecco Canada,
il a fondé Esse Leadership, une firme qui accompagne les leaders et leurs équipes.
Son dernier ouvrage, J’ai perdu ma montre au fond du lac (2009), coécrit avec
Diane Bérard, indique aux gestionnaires la voie de la tranquillité.
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Je sais, donc je suis !
Dans nos organisations, on ne cesse de répéter : « L’information, c’est le pouvoir. » Par conséquent, on passe des heures
à éplucher les médias, et on accumule de l’information à n’en
plus savoir que faire. Ironiquement, on a ainsi inventé une
nouvelle peur, celle de passer à côté d’une donnée cruciale.
Et, dans plusieurs grandes entreprises, on refuse de plus en
plus de s’engager dans une nouvelle voie si on
n’a pas de « données probantes ». Ce qui
revient à dire qu’on ne fait que répéter
ce qui a déjà été fait ailleurs. On
n’innove plus. On ne crée plus.
À cette peur paralysante
s’ajoute un piège, celui de
confondre savoir et identité.
Combien de fois nous
sommes-nous valorisés en
lançant « J’étais déjà au
courant ! », « Savais-tu
que… ? », « J’ai lu que… » ou
le triomphal et irréfutable
« Je sais ! ». C’est à croire
qu’étaler nos connaissances
est devenu le passe-temps
préféré de notre ego. Comme si
notre valeur, sur le plan humain, se
mesurait à l’étendue de notre savoir !
Et si nous cessions d’emmagasiner
de l’information et d’encombrer notre cerveau ? Et si nous nous oxygénions les neurones ?
Bref, pour réfléchir autrement, si nous nous informions différemment ?
J’ai eu la chance de tenter de répondre à ces questions au
cours d’une rencontre avec un de mes groupes de leaders,
quand une des participantes nous a raconté une situation
qu’elle avait vécue au travail et qui avait soulevé son indignation. La discussion s’est donc enclenchée sur le sujet. Constat
intéressant : la plupart des membres du groupe avaient déjà
ressenti cette émotion.
Après la rencontre, pour enrichir ma réflexion afin de
relancer le débat à la rencontre suivante, je me branche sur
Internet. Résultat : plus de 13 millions de liens mènent à des
pages Web où je suis censé trouver de l’information pertinente ! Après plusieurs heures de navigation, toutefois, je n’ai
toujours pas trouvé ce que je cherche.
Je décide alors d’opter pour une séance d’introspection.
En plongeant en moi-même, je trouve des voies nouvelles
pour arriver à transformer en contribution utile l’énergie
négative que suscite l’indignation. Des réponses,
enfin ! Guidé par mon intuition, je décide
d’oser : c’est l’approche que j’adopterai
avec les membres du groupe, j’ai
confiance en leur ouverture d’esprit. À la rencontre suivante,
j’amène donc les participants à
descendre en eux-mêmes, pour
retrouver des événements
douloureux qui leur avaient
fait vivre de l’indignation. À
la fin, nous sommes tous
d’accord : cette rencontre, qui
nous a transformés, est l’une
des plus touchantes que nous
ayons eue !
Quelle leçon en tirer ? Nous
avons en nous tout le savoir du
monde. Il suffit de ralentir, de nous
poser et de puiser au fond de nous les
réponses nécessaires. Il nous faut aussi
faire confiance à ceux qui nous entourent, qui
ont le même potentiel de réflexion que nous et que
nous devrions davantage solliciter. Bien sûr, j’admire les
insatiables curieux, les grands érudits, et je continue de
consulter ceux qui sont toujours à la fine pointe de l’actualité. Mais j’estime qu’ils valent bien plus que leur savoir !
Ils portent aussi des expériences de vie gravées dans
leurs cellules.
Bref, je crois autant à l’information qu’on trouve en soi
qu’à celle qu’on cueille à l’extérieur de soi. Chacune à sa raison d’être. C’est une question de discernement. Alors, la prochaine fois que vous aurez une décision importante à prendre,
pourquoi ne pas passer quelques minutes à sonder ce qu’il y
a à l’intérieur avant de vous tourner vers l’extérieur ?
Illustrations : Martin Gagnon (R. Tremblay), Boris Zaytsev