Mixage attitude - Marion Balique Rédactrice

Transcription

Mixage attitude - Marion Balique Rédactrice
PORTRAIT
Trouver des vêtements qui
s’adaptent à la vie parisienne tout en ayant
une touche africaine n’est pas chose facile.
Le styliste Sadio Bee a trouvé la recette idéale :
des formes d’ici conçues avec des associations
d’étoffes modernes et traditionnelles.
par Marion Balique
Photos Youri Zakovitch
Mixage
attitude
as la peine de pousser la porte du magasin de
Sadio Bee à Belleville, car elle est presque toujours ouverte. Une marche à monter et vous
voilà en Afrique. Le propriétaire du lieu vous
accueille avec un franc sourire dans sa boutique peuplée de vêtements colorés. On entend dans l’arrière
boutique le bruit des machines à coudre que font
fonctionner ses deux aides. On se croirait à Dakar
tant l’ambiance de cet endroit rappelle les
échoppes de couturiers que l’on trouve un peu
partout au Sénégal.
C’est justement là qu’a grandi Sadio, 33 ans, d’ori
gine mi Guinéenne, mi Sénégalaise et créateurstyliste-couturier de profession. « Mon enfance,
je l’ai passée dans l’atelier de couture de mon
père. J’ai appris sur le tas, en faisant des modèles
qui me plaisaient. »
Sadio connaît bien son métier et depuis 15 ans qu’il
est en France, il a trouvé son identité de créateur en
mélangeant tissus traditionnels africains et étoffes
occidentales plus classiques. « Quand je suis arrivé
à Paris, je faisais des vêtements sur mesure pour des
copains. Comme ça marchait bien j’ai pris un petit
atelier dans le 18ème arrondissement puis cette boutique il y a 2 ans. C’est un quartier à la fois populaire et hétéroclite, parfaitement dans l’esprit de ce
que je fais. » Car ce qu’il fait, Sadio, ressemble
effectivement au quartier où il travaille : le mélange
des genres. Il ne cherche pas à coller aux tendances
du moment mais seulement à réaliser des modèles
qui plaisent aux gens, dans lesquels ils se sentent à
l’aise et se retrouvent. « Ce qui me plait, explique til, c’est de m’adapter à l’Europe. Quand je suis
arrivé en France, j’ai voulu de la nouveauté dans
mon travail et j’ai recherché une façon de montrer
des tissus africains tout en créant des vêtements que
les européens peuvent porter tous les jours. »
Sans aucun doute, il a trouvé le bon compromis avec
des jupes, robes, petits hauts, pantalons, manteaux
aux formes occidentales façonnés avec un mariage
de tissus africains comme le Bazin, le Bogolan, le
Wax, et de matières que l’on a l’habitude d’utiliser en
France comme la popeline, le coton, la laine, la soie,
le taffetas… « Ainsi, le tissus traditionnel africain
n’est plus utilisé pour avoir un coté exotique, voir fol
klorique à cause du mélange des couleurs, mais simplement comme un tissus que l’on peut porter tous les
jours. » Il n’oublie pas non plus les jeunes femmes
africaines qui cherchent des tissus traditionnels mais
n’ont pas forcement envie de s’habiller en boubou…
P
Il me parle alors un peu de l’Afrique, lui qui se voit
aller « bosser » plus tard dans son beau Sénégal.
« Ma clientèle est composée de gens de toutes
sortes. Des étudiants, des vieux, des pauvres, des
bobos…Cela prouve que les tissus africains plaisent
et malheureusement on ne leur donne pas assez de
valeur, comme à l’Art africain en général. L’Afrique
à besoin de reconnaissance. La qualité est là mais il
y a un manque de moyens et d’organisation.
Beaucoup de gens là bas ont de réelles compétences,
beaucoup de créativité et travaillent d’une façon qui
leur est propre. Malheureusement, comme mon père,
ils n’ont pas la possibilité de montrer ce qu’ils font.
Moi, j’ai cette chance et je travaille beaucoup
afin de contribuer à faire connaître la beauté de
ces tissus. J’essaie de décliner sous plusieurs
formes leur utilisation. »
Faire connaître son travail, c’est aussi s’exporter
ailleurs. Sadio l’a bien compris et part à New York
pour quelques semaines, essayer de conquérir le
marché des noirs américains, toujours en quête de
retrouver leurs racines. « Ce que j’ai appris ici, je
peux le décliner là bas. J’aime manipuler les tissus,
créer des harmonies de couleurs. » Mais ce qui plait
aussi à Sadio c’est de partir à la découverte des gens
à travers les vêtements. Loin ou ici. Dans sa boutique, on trouve du prêt-à-porter, mais aussi du surmesure. Il prendra le temps de discuter avec vous,
essayera de comprendre votre personnalité, vos
envies et vos goûts et vous conseillera vers ce qui
vous convient, trouvera ce que vous êtes. C’est un
artiste qui sait également exécuter une chose précise
si vous savez par avance ce que vous voulez.
Il se nourrit aussi de l’inspiration d’autres artistes qu’il
fréquente à l’Atelier 74, dans le Marais.« Ce lieu permet à quelques jeunes créateurs de montrer leur
travail. Ce n’est pas si facile d’y arriver.
J’aimerais organiser rapidement des expos avec
d’autres artistes. Amener les gens à découvrir ce
qui se fait.»
Cet amoureux des matières, curieux, bosseur et créatif
a envie que les choses bougent. Il œuvre pour que
l’Afrique et la France se mixent dans des vêtements
qui rappèlent que le monde d’aujourd’hui est métissé.
Son pont entre les cultures a pris la forme de ciseaux.