50 QUINE, Willard V. O., From a Logical Point of View. New York

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50 QUINE, Willard V. O., From a Logical Point of View. New York
50
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45
grammairiens de Port Royal sont plutôt concernés par le rapport des
propositions entre elles, car ils partent d’une base logicosémantique.
V.
CONCLUSION
L’émergence de la grammaire générale a marqué un changement
important dans l’histoire des sciences de langage. Chomsky
provoque une rupture radicale avec les courants linguistiques,
psychologiques et philosophiques contemporains. Il remet en cause
le behaviorisme, le structuralisme et l’empirisme : des idéologies
qu’il juge déterministes.
Il se tourne plutôt vers les mouvements rationalistes qui
réhabilitent la liberté de la pensée humaine. C’est dans ses quêtes
qu’il découvre les théories linguistiques et philosophiques du XVIIe,
XVIIIe et XIXe siècles.
Le présent travail s’est efforcé d’examiner les parallélismes
que Chomsky établit entre sa théorie et celles de ses prédécesseurs
prétendus, avec une attention particulière sur la grammaire de Port
Royal. Cet examen a mis en évidence plusieurs points communs en
philosophie : la créativité du langage et l’existence des idées innées.
En même temps, il a été également montré que ces fondements
philosophiques communs aboutissent à des modèles linguistiques
différents. Celui de Port Royal s’intéresse à la forme logicosémantique du langage, tandis que la grammaire générative focalise
sur la structure. Néanmoins, il est à noter que la sensibilité à la
forme et à la structure ne manque pas de la théorie grammaticale de
Port Royal non plus.
En conclusion, la similarité entre la grammaire générative
et la théorie de Port Royal s’avère bien établie sur le plan
philosophique, mais n’engendre pas pour autant des modèles
linguistiques parallèles.
44
Cette différence entre les deux théorie devient encore plus
frappante quand la Logique (Arnauld et Nicole 1662/1965 : 2e
partie, §8) parle des propositions qui sont complexes selon la forme.
Elles sont définies comme « des propositions incidentes qui ne
regardent que la forme de la proposition, c’est-à-dire l’affirmation
ou la negation ». L’exemple que les auteurs en donnent est le
suivant (Arnauld et Nicole 1662/1965 : 128-129).
(7)
Je soûtiens que la terre est ronde.
A la différence de la théorie générative, ce qu’ils analysent
comme proposition incidente dans cette phrase est je soûtiens, et
comme principale que la terre est ronde. La proposition je soûtiens
est l’incidente, car elle ne sert qu’à donner un support au jugement
exprimé par la deuxième proposition. Elle ne participe aucunement
dans la formulation du jugement.31 Dans une description générative,
l’hiérarchie
est
exactement
l’inverse,
la
deuxième
proposition
réalisant l’argument interne du verbe soutenir.
Néanmoins,
Arnauld
et
Nicole
(1662/1965 :
129)
remarquent que ces phrases sont ambiguës et « peuvent être prises
différemment selon le dessein de celui qui les prononce ».
L’hiérarchie peut s’inverser si l’emphase est plutôt sur le fait que je
soutienne quelque chose, et non sur le contenu de l’affirmation.
Cette
divergence
entre
les
théories
classique
et
contemporaine s’explique, encore une fois, par leur motivation
différente. Pour la grammaire générative, il est importante de
distinguer la subordination de la relativisation, car la première
toujours réalise un des arguments sous-catégorisés du verbe, tandis
que la deuxième opération n’est jamais obligatoirement exigée en
syntaxe par un élément lexical (Kenesei 1992). En revanche, les
31
De cette manière, la première proposition est conçu comme une sorte
de modalité, exprimant l’attitude du locuteur. Cette interprétation ressemble à
certaines théories pragmatiques qui supposent que cette sorte de propositions
encodent la force illocutionnelle de la deuxième proposition.
43
Parmi les propositions simples, il y a certaines qui sont
effectivement simples et d’autres qui sont complexes. Une phrase
peut être complexe selon la matière, c’est-à-dire son sujet ou
attribut, ou selon sa forme.
Dans
le
premier
cas,
elle
contient
une
proposition
principale simple, mais dont le sujet et/ou l’attribut comprend une
proposition
incidente.
Cette
dernière
se
définit
comme
une
proposition qui « ne font que partie du sujet et de l’attribut, y étant
jointes par le pronom relatif, qui, lequel, dont le propre est de
joindre
ensemble
plusieurs
propositions » (Arnauld et Nicole
1662/1965 : 119).
Cette définition laisse supposer que ce que les auteurs de
Port Royal appellent « proposition incidente » correspond, dans la
grammaire générative, à la notion de la proposition relative.
Néanmoins, cette correspondance n’est pas parfaite. Lors du
traitement du pronom relatif, les auteurs affirment que le pronom
quod ou que que l’on trouve dans une phrase comme (6) est
également un pronom relatif et la proposition après est une
incidente. Néanmoins, ils notent que ce pronom n’a qu’une fonction,
ce qui est de joindre les deux propositions. La fonction
démonstrative, propre aux autres pronoms relatifs, y manque.
(6)
Dico quod tellus est
rotunda.
je.dis que terre est
ronde
« Je dis que la terre est ronde. »
Or selon la théorie générative, cette construction est une
proposition
subordonnée.
L’identité
de
la
conjonction
de
subordination et du pronom relatif n’est qu’une coincidence.30
propositions conjointes : Les biens viennent du Seigneur, les maux viennent du
Seigneur, la mort vient du Seigneur etc.
30
Par ailleurs, elle ne se présente que dans certaines langues. En latin,
en français ou en anglais, le pronom relatif est identique à la conjonction de
subordination, mais en hongrois, par exemple, il ne l’est pas (aki/ami
« que/lequel », mais hogy « que »).
42
l’analyse de Port Royal est essentiellement sémantique. Néanmoins,
il existe, là aussi, le souci de fournir une description formellement
exacte,
c’est
pourquoi
les
auteurs
introduisent
un
principe
supplémentaire (le désir d’abréger) pour pouvoir rendre compte des
anomalies formelles.
LES PROPOSITIONS RELA TIVES
La discussion des propositions relatives constitue une des parties les
plus détaillées de la théorie de Port Royal (Arnauld et Lacelot
1660/1997 : 2e partie, §9-10 ; Arnauld et Nicole 1662/1965 : 2e
partie, §1-12). Il serait, pour cette raison, impossible d’en donner
une analyse exhaustive. Dans la suite, je me contente d’attirer
l’attention sur quelques points qui sont particulièrement intéressants
du point de vue de la comparaison avec la grammaire générative.
La
Logique
donne
la
systématisation
suivante
des
propositions. Elle distingue entre propositions simples et composées
(Arnauld et Nicole 1662/1965 : 119).
Celles donc qui n’ont qu’un sujet & qu’un attribut
s’appellent simples, et celles qui ont plus d’un sujet ou plus
d’un attribut s’appellent composées.
L’exemple en (5) illustre une phrase composée.
(5)
Les biens & les maux, la vie & la mort, la pauvreté & les richesses
viennent du Seigneur.
Ces propositions ne sont pas, en général, considérées
comme composées dans la théorie générative, je ne les examine
donc pas ici. 28 ,29
28
Il est à noter néanmoins que la catégorie de proposition composée à
attribut double pourrait comprendre, en principe, des constructions qui seraient
analysées comme des propositions composées elliptiques, mais de tels exemples
ne sont pas traités par les auteurs de Port Royal.
29
Il est intéressant à cet égard qu’en sémantique, les phrases comme (5)
sont quelque fois analysées en tant qu’une structure composée, renfermant des
41
Et c’est proprement ce que c’est que le verbe : un mot dont
le principal usage est de signifier l’affirmation.
Dans cette perspective, les verbes à un sémantisme plus
riche que la copule semblent constituer une anomalie, ce que les
auteurs de Port Royal reconnaissent. Leur solution solution de la
Grammaire (Arnauld et Lancelot 1660/1997 : 66) est la suivante :
Selon cela, l’on peut dire que le verbe de lui-même ne
devait point avoir d’autre usage que de marquer la liaison
que nous faisons dans notre esprit des deux termes d’une
proposition ; mais il n’y a que le verbe être [...] qui soit
demeuré dans cette simplicité [...]. Car comme les hommes
se portent naturellement à abréger leurs expressions, ils
ont joint presque toujours à l’affirmation d’autres
signification dans un même mot.
Cela veut dire que les verbes autres que la copule sont des
termes complexes, renfermant soit l’attribut, comme en (3), soit le
sujet, comme en (4).
(3)
Pierre vit = Pierre est vivant
(4)
Sum homo =
Ego
suis homme
je
« Je suis (un) homme. »
sum
suis
homo
homme
Cette analyse, réduisant la phrase à verbe intransitif à une
affirmation propositionelle, est évidemment distincte de la façon
dont la grammaire générative la traite. Pour cette dernière théorie, la
différence entre les deux exemples en (3) ont une importance non
négligable. Néanmoins, il est intéressant de remarquer que l’analyse
de Port Royal ressemble à l’interprétation que la sémantique
formelle attribue à cette sorte de phrases. Dans cette perspective, les
adjectifs dans une structure sujet-est-adjectif, les verbes intransitifs,
les verbes transitifs et les verbes bitransitifs fonctionnent tous en
tant que prédicats, dénotant des ensembles. Le sujet est interprété
comme un des éléments dans l’ensemble. Ainsi, les phrases en (3)
reçoivent, toutes les deux, une interprétation uniforme. Elles sont
vraies si et seulement si Pierre fait partie des entités vivantes. Ce
parallélisme avec la sémantique confirme que l’inspiration de
40
(ii)
(iii)
(iv)
[-N, +V]
[ _ GN GP]
<agent>, <thème>, <récipient>
Lors la production d’une phrase, les cadres thématique et
de sous-catégorisation du verbe déterminent quelles sont les autres
catégories qui la constitueront; règle appelée le Principe de
Projection. Ainsi, dans une phrase comme (2), le verbe donner exige
la présence d’un sujet-agent (Pierre), d’un groupe nominal pour
marquer l’objet direct (un livre), c’est-à-dire le thème de l’action de
donner et d’un group prépositionnel (à Marie), l’objet indirect pour
indiquer le récipient.
(2)
Pierre a donné un livre à Marie.
Il est apparent donc que, de manière générale, le verbe
détermine tant la structure syntaxique de la phrase que sa structure
logique. Il est l’élément-clé de la construction dans la grammaire
générative.
La grammaire de Port Royal (Arnauld et Lancelot
1660/1997 ; Arnauld et Nicole 1662/1965), en revanche, y attribue
un rôle beaucoup moins important (Arnauld et Lancelot 1660/1997 :
65, italiques originales).
[L]e jugement que nous faisons des choses (comme quand
je dis : la terre est ronde) enferme nécessairement deux
termes, l’un appelé sujet, qui est ce dont on affirme,
comme terre ; et l’autre appelé attribut, qui est se qu’on
affirme, comme ronde ; et de plus, la liaison entre ces deux
termes, qui est proprement l’action de notre esprit qui
affirme l’attribut de sujet.
Notons l’inspiration clairement logique de cette définition.
Les termes ‘sujet’ et ‘attribut’, aussi bien que la notion de
l’affirmation sont empruntés à la logique. De cette manière, la
fonction du verbe est réduite à l’office de conjonction. Il s’agit donc
d’un usage copulatif (Arnauld et Lancelot 1660/1997 : 65, italiques
originales).
39
Et, au-contraire, quand ce qui est de soi-même substance
& chose vient à être conçû par rapport à quelque sujet, les
mots qui le signifient en cette maniere, deviennent
adjectifs, comme humain, charnel & et en dépouillant ces
adjectifs formés des Noms de substance de leur rapport,
on en fait de nouveau substantif ; ainsi après avoir formé
du mot substantif homme l’adjectif humain, on forme de
l’adjectif humain le substantif homme.
Cette analyse aboutit à la conclusion que la grammaire
générative utilise des définitions catégorielles purement formelles,
tandis que dans la grammaire de Port Royal, les critères sémantiques
et formels se confondent. Le point de départ est toujours la
signification, mais il y a également un souci formaliste. Notons
cependant que la théorie dérive cette analyse formellement adéquate
à partir de principes exclusivement sémantiques, notamment par
l’introduction d’une deuxième opposition dans les significations.
Bref, la solution autant sémantiquement que syntaxiquement exacte
vient au prix d’une explication moins parsimonieuse.
LES VERBES
La systématisation des parties du discours de Port Royal, évoquée
plus haut, marque une distinction radicale entre les verbes, d’une
part, et les substantifs, les adjectifs, les pronoms etc., d’autre part.
Cette opposition peut paraître surprenante dans la perspective de la
division moderne des catégories lexicales (substantifs, adjectifs,
verbes,
adverbes)
et
fonctionnelles
(pronoms,
prépositions,
auxiliaires etc.). Cette sous-partie analysera le rôle des verbes dans
la théorie générative et celle de Port Royal.
Dans le système génératif (Cowper 1995 ; Chomsky
1995b), l’entrée lexicale d’un verbe (aussi bien que celle de toute
autre catégorie lexicale) comprend (i) la représentation phonétique
du mot, (ii) l’appartenance catégorielle, (iii) le cadre de souscatégorisation et (iv) le cadre thématique (1).
(1) extrait de Cowper (1995 : 3)
dooner:
(i)
[done]
38
systématisation formaliste du langage27 . Deux mots comme terre et
chaleur évidemment signifient des entités de nature disparate : la
terre est un objet matériel, la chaleur est plutôt une qualité. Par
conséquent, dans un système purement sémantique, ils devraient
appartenir à des catégories différentes. Mais d’un point de vue
formel, ils ont les mêmes propriétés (p. ex. : ils peuvent être
précédés d’un article, suivis d’un adjectif etc.). Ce conflit est résolu
par l’introduction d’une deuxième bifurcation dans la classification
catégorielle : les substantifs signifient soit une chose, soit un mode
par rapport à une chose.
Le fait qu’il existe un souci de précision formelle dans la
théorie de Port Royal est reflété par les appellations secondaires
données aux catégories. Les substantifs sont appelés « absolus »,
tandis que les adjectifs sont des « connotatifs ». Ces noms
secondaires impliquent que les substantifs peuvent apparaître seuls
dans le discours, c’est-à-dire sans adjectifs, mais ces derniers sont
connotatifs, ils « nomment avec » d’autres mots. Il s’agit là d’une
distinction distributionnelle, donc purement syntaxique.
Il est intéressant de voir comment cette catégorisation
tripartite permet de capturer la relation morphologique, donc
formelle, dans le paradigme dérivationnel blanc-blancheur. La
Logique (Arnauld et Nicole 1662/1965 : 104) affirme :
27
L’étude de Jean-Claude Chevalier (sans date), portant sur la
définition des parties du discours dans la tradition antique et à Port Royal, donne
un excellent exemple du contraste entre un système purement formelle, celui du
premier courant, et un modèle sémantique, celui du deuxième. Néanmoins, son
traitement de la problématique des noms et des adjectifs est plutôt simplifiant
(Chevalier sans date : 147) :
Ainsi un accident comme coloré peut se marquer dans un nom comme
la couleur et, inversement, une substance comme homme peut se
marquer dans l’adjectif humain ou l’expression adjectivale d’homme. Il
s’agit là d’un effet de déplacement exploitable pour l’interprétation du
monde sur le plan de la dénotation et pour l’interprétation des
rapports interpersonnels sur le plan de la connotation.
37
quoique plus distinctement, sont appelés adjectifs, ou
connotatifs, comme rond, dur, juste, prudent.
La citation indique que le critère de définition pour chaque
catégorie est le sens. La définition n’est pas là non plus formelle ou
syntaxique,
mais
sémantique.
Cette
démarche
constitue
une
première opposition nette avec la grammaire générative, et ses
conséquences en introduisent davantages.26
Dans
la
linguistique
générative,
la
distinction
entre
substantifs et adjectifs est clairement dichotomique. En apparence,
celle du passage cité l’est également : on distingue deux catégories,
les substantifs et les adjectifs. Mais en réalité, la classification est
tripartite. La catégorie des substantifs connaît deux sous-catégories :
les substantifs qui signifient des choses et les substantifs qui
signifient des modes, mais avec un rapport aux choses. La
conclusion logique serait que la définition des substantifs et des
adjectifs utilisée dans la théorie de Port Royal aboutit à une
classification autre que celle du modèle génératif. Mais, en fait, les
résultats
de
la
catégorisation
correspondent
exactement
aux
prédictions de la théorie Chomskyenne : terre, soleil, esprit, Dieu,
dureté, chaleur, justice, prudence sont définis comme des
substantifs, tandis que rond, dur, juste, prudent sont des adjectifs.
D’où ce paradoxe ?
Il est, en fait, révélateur d’un conflit inhérent à la
grammaire de Port Royal, notamment le conflit entre une démarche
sémantique,
26
fondée
sur
« le
rationalisme »
cartésien
et
la
Dans la Logique, la catégorisation est un peu différente. Ce
e
classement (2 partie, § 1, p. 104) ne distingue pas les deux grandes catégories des
« objets de la pensée » et des « conjonctions des idées », mais regroupe les verbes
avec les noms et les pronoms :
Et comme ce qui s’y passe se reduit à concevoirm juger, raisonner &
ordonner, ainsi que nous l’avons déjà dit, les mots servent à marquer
toutes ces operations ; & pour cela on en a inventé principalement de
trois sortes qui y sont essentiels, dont nous nous contenterons de
parler, savoir les Noms, les Pronoms & les Verbes qui tiennent la
place des Noms, mais d’une maniere differente ; [...].
36
blancheur s’associe d’une part avec des expressions comme
étonnante, extrême etc., donc des adjectifs, d’autre part avec des
déterminants comme une, la, cette etc. Deuxièmement, l’adjectif
blanc s’accorde avec le substantif en nombre et en genre, un trait
morphologique qui ne se retrouve pas chez le substantif blancheur.
A la différence de la grammaire générative, la théorie
linguistique de Port Royal repose sur une définition sémantique pour
déterminer les catégories (Arnauld et Lancelot 1660/1997 : 24-25,
italiques originales) :
Il s’ensuit de là que, les hommes ayant eu besoin
de signes pour marquer tout ce qui se passe dans leur
esprit, il faut aussi que la plus générale distinction des mots
soit que les uns signifient les objets de la pensée, et les
autres la forme et la manière de nos pensées, quoique
souvent ils ne la signifient pas seule, mais avec l’objet,
comme nous le ferons voir.
Les mots de la première sorte sont ceux que l’on
a appelés noms, articles, pronoms, participes, prépositions et
adverbes ; ceux de la seconde sont les verbes, les conjonctions, et
les interjections ; [...].
Nous pouvons conclure avec Jean-Claude Chevalier (sans
date : 147) que « l’organisation des parties du discours doit être
rapportée à une théorie de la signification et conduit à une théorie
sémantique dont l’ordonnance n’a de sens que dans le système
propositionnel,
rapportée
à
une
organisation
logique ».
Plus
spécifiquement, La Logique de Port Royal (Arnauld et Lancelot
1660/1966 : 47, mes italiques) fournit les définitions suivantes pour
les catégories « substantif » et « adjectif » :
Les noms qui servent à exprimer les choses
s’appellent substantifs ou absolus, comme terre, soleil, esprit,
Dieu.
Ceux aussi qui signifient permierement et
directement les modes, parcequ’en cela ils ont quelque
rapport avec les substances, sont aussi appelés substantifs &
absolus, comme dureté, chaleur, justice, prudence.
Les noms qui signifient les choses comme
modifiées, marquant premièrement & directement la chose
quoique plus confusément ; et indirectement le mode
35
IV.
ANALYSE SEMANTIQUE OU ANALYSE SYNTAXIQUE : DES ETUDES DE CAS
EN LINGUISTIQUE
Après la comparaison des théories d’un point de vue philosophique,
il est intéressant de les confronter en tant que modèles linguistiques.
Dans la suite, les analyses de la grammaire générative et celles de la
théorie de Port Royal (Arnauld et Lancelot 1660/1997 ; Arnauld et
Nicole 1662/1965) seront opposées à propos de deux phénomènes
linguistiques, la distinction catégorielle entre les noms et les
adjectifs et la dérivation des propositions relatives. L’objectif de
cette investigation est d’observer la manière dont la différence entre
les démarches formaliste et sémantique se manifeste dans l’analyse
linguistique concrète.
SUBSTANTIFS ET ADJECTIFS : OU EST LA DIFFERENCE ?
L’appartenance catégorielle des mots ne tient pas une place centrale
dans la théorie générative. Deux types de catégories sont
généralement distingués, celui des catégories lexicales, comme
substantifs, adjectifs, verbes, adverbes et prépositions, et celui des
catégories fonctionnelles, comme auxiliaires, articles ou pronoms.
Les premières constituent des catégories ouvertes auxquelles de
nouveaux éléments se rajoutent librement, tandis que les deuxièmes
ne peuvent pas être élargies pendant une étape donnée dans
l’évolution d’une langue. La différenciation des catégories n’a pas
de pertinence théorique, car l’appartenance est indiquée pour chaque
mot dans le vocabulaire mental.
Si, toutefois, il devient nécessaire de les distinguer, deux
types de critères sont employés : la distribution structurale et le
comportement morphologique du mot en question (Radford 1988).
Ainsi les mots blanc et blancheur appartiennent à des catégories
distinctes (adjectif et substantif respectivement), parce que leur
distribution dans la phrase est différente : blanc se combine avec des
mots comme chien, sac, livre etc, donc des substantifs, tandis que
34
conséquent, des modèles logico-sémantiques (voir aussi Kelemen
1977).
Pourquoi
linguistique ?
Nous
cette
interprétation
pouvons
nous
biaisée
mettre
de
la
d’accord
tradition
avec
les
conclusions de Miel (1969 : 265-266), Land (1974) ou Meisel
(1974), Kelemen (1977 : 152-153) à cet égard.
His notion that language production is stimulus-free goes
way beyond Cartesianism—his real quarrel is with such
people as Skinner, Quine and Wittgenstein on the
philosophical side, and with the Bloomfieldian linguists,
who accept the notion that language acquisition can be
accounted for by a conditioning process.24
Chomsky nem csupán tudományelméleti indokokból,
nemcsak a generatív grammatika általános elméleti és
filozófiai megalapozásának szükségességébõl, vagy a
nyelvészeti modellek instrumentalista interpretációját
realistára váltó fordulat megokolásából írta meg a Cartesian
Linguistics-t, hanem a nyelvészettõl független mély
ideológiai szükségletek ösztönzése alatt is.25
Dans cette perspective, La linguistique cartésienne apparaît
comme un manifeste contre le déterminisme intellectuel (Barsky
1997). L’analogie la plus profonde entre Chomky et les philosophes
des siècles passés est l’adhérence à l’idée de la liberté intellectuelle
et spirituelle de l’homme ; d’où l’hostilité de Chomsky envers le
behaviorisme ou le structuralisme.
24
Sa conception de la production langagière comme étant indépendante
des stimuli va au-delà du cartésianisme — sa véritable querelle est avec des gens
comme Skinner, Quine et Wittgenstein sur le plan philosophique, et avec les
linguistes bloomfieldiens qui admettent que l’acquisition du langage peut
s’accomplir par un processus de conditionnement.
25
Chomsky n’a pas écrit son Cartesian Linguistics uniquement pour
des raisons épis témologiques, ou seulement de la nécessité d’établir les
fondements théoriques et philosophiques de la grammaire générative, ou encore
uniquement afin de justifier la révolution remplaçant les théories linguistiques
instrumentalistes par des réalistes, mais aussi poussé par des impulsions
idéologiques profondes, indépendantes de la linguistique.
33
(Chomsky 1969 : 54-55) faisant allusion au chapitre sur la syntaxe
dans la Grammaire, il dit :
Il faudrait remarquer, en passant, que la fait de n’avoir pas
formulé de façon précise les règles de construction de la
phrase ne fut pas un simple oubli de la linguistique
cartésienne. Dans une certaine mesure, ce défaut est la
conséquence de l’hypothèse expresse selon laquelle la suite
des mots dans une phrase est l’exacte reproduction du
cours de la pensée, du moins dans un langage « bien
conçu », et n’est donc pas spécifiquement étudiée comme
une partie de la grammaire.
Dans la théorie de Port Royal, donc, il existe une
correspondance univoque entre la structure de la pensée et celle du
langage. Là où ce n’est pas le cas, il s’agit de « mouvements de
l’âme »,
d’opérations
syntaxiques.
Par
sémantiques,
opposition,
la
et non pas formelles ou
grammaire
générative
postule
l’existence d’un module syntaxique entre la sémantique et la
phonologie, le met au centre de sa conception du langage et se
propose d’en fournir le modèle.
LA PLACE DE LA LINGUISTIQUE CARTESIENNE DANS L’OEUVRE DE CHOMSKY
A la lumière des discussions précédentes, il est manifeste que la
relation entre les théories de la « linguistique cartésienne » et la
grammaire générative est loin d’être aussi simple et univoque que
Chomsky ne le laisse supposer. D’un côté, certains aspects
philosophiques
de
la
comparaison
attestent
une
parenté
incontestable au moins avec les grands auteurs rationalistes du
XVIIe. De l’autre côté, une des différences théoriques, notamment la
nature de ce qui est postulé comme inné et universel par les diverses
théories, a des répercussions considérables sur les modèles
linguistiques construits à partir des bases philosophiques similaires.
Présupposant des structures grammaticales innées et universelles, la
grammaire
générative
développe
un
modèle
linguistique
essentiellement formaliste, alors que les théories classiques sont
fondées
sur
des
universaux
conceptuels
et
proposent,
par
32
elliptiques », Chomsky 1969 : 73) ne sont pas des opérations
syntaxiques, mais plutôt des figures de pensées. Cette affirmation
est
explicitement
confirmée
par
la
distinction
faite
dans
la
Grammaire entre la syntaxe/construction proprement dite et les
figures de constructions (Arnauld et Lancelot 1660/1997 : 2e partie,
§24, italiques originales) :
Ce que nous avons dit ci-dessus de la syntaxe
suffit pour en comprendre l’ordre naturel, lorsque toutes
les parties du discours sont simplement exprimées, qu’il
n’y a aucun mot de trop ni de trop peu, et qu’il est
conforme à l’expression naturelle de nos pensées.
Mais parce que les hommes suivent souvent plus
le sens de leurs pensées, que les mots dont ils se servent
pour les exprimer, et que souvent, pour abréger, ils
retranchent quelque chose du discours, ou bien que,
regardant à la grâce, ils y laissent quelque mot qui semble
superflu, ou qu’ils en renversent l’ordre naturel ; de là est
venu qu’ils ont introduit quatre façons de parler, qu’on
nomme figurées, et qui sont comme autant d’irrégularités
dans la grammaire, quoiqu’elles soient quelquefois des
perfections et des beautés dans la langue.
Ce passage montre que les transformations supposées par Chomsky
sont motivées par des raisons sémantiques ou stylistiques dans la
théorie classique, tandis que les transformations de la grammaire
générative sont nécessitées par des causes structurales et se
caractérisent par des propriétés formelles. De plus, les figures sont
conçues par les auteurs de Port Royal comme des « irrégularités »
qui ne se prêtent pas à la systématisation.
En conclusion, l’identification des structures profonde et de
surface de la grammaire générative avec les aspects matériel et
spirituel du langage présupposés par la théorie de Port Royal n’est
pas justifiée. Les deux théories présentent, bien sûr, d’importantes
ressemblances,
mais
l’identification
ignore
la
différence
fondamentale qui existe entre la théorie classique d’inspiration
sémantico-conceptuelle et la grammaire moderne de nature formelle.
D’ailleurs, certaines contradictions dans le texte chomskyen même
révèlent
que
son
auteur
est
plus
ou
moins
conscient
de
l’interprétation exagérée qu’il fournit. Dans une briève remarque
31
Pour user d’une terminologie récente, nous
pouvons distinguer « la structure profonde » d’une phrase
de sa « structure de surface ». […]
Il est évident de ce passage que Chomsky identifie la
signification avec la structure profonde et le côté phonétique avec la
structure de surface. Cette démarche est clairement erronée. Comme
esquissé plus haut, les structures profonde et de surface se trouvent
toutes les deux dans les modèles chomskyens à l’intérieur de la
syntaxe, constituant deux niveaux de représentation différents.
L’interprétation sémantique proprement dite, ainsi que la production
phonologique sont extérieurs au module syntaxique. En revanche,
selon la linguistique cartésienne le langage n’a que deux aspects,
l’un
sémantique,
l’autre
phonologique.23
La syntaxe, appelée
« construction », n’est pas conçue comme un niveau d’analyse à part
entière. Un seul chapitre, le tout dernier (Arnauld et Lancelot
1660/1997 : 2e partie, §24) y est consacré et les phénomènes
linguistiques qui y sont traités, notamment l’accord du sujet avec le
verbe, du nom avec l’adjectif et les cas grammaticaux, relèvent
plutôt de ce nous appelons aujourd’hui la morphologie que de la
syntaxe (générative).
La construction des mots se distingue généralement en
celle de convenance, quand les mots doivent convenir
ensemble, et en celle de régime, quand l’un des deux cause
une variation dans l’autre.
Ce que Chomsky identifie dans la Grammaire avec les
transformations de la linguistique générative (« C’est ainsi qu’on y
analyse les adverbes comme nés (pour la plupart) du « désir que les
hommes ont d’abréger le discours », donc comme des formes
23
Il est intéressant de noter que Chomsky envisage cette possibilité
dans un cadre conceptuel récent (Chomsky 1995b). Il dit que le langage
« parfait » ne consisterait que des représentations phonologique et sémantique. En
d’autres termes, dans le langage parfait, il existerait une correspondance biunivoque entre le sens et le son. Ce n’est pas le cas, constate-t-il : la syntaxe est
indispensable, mais, du moins, elle doit être « minimale », la plus réduite possible.
30
visible
énumération
épellation (spell-out)
furtive
SYNTAXE
LEXIQUE
forme phonologique
forme logique
Ce changement nonobstant, le modèle reste toujours
dérivationnel, supposant une structure syntaxique initiale, au début
de la syntaxe ouverte, et plusieurs représentations finales aux
interfaces.22
Dans La linguistique cartésienne, Chomsky consacre tout
un chapitre à montrer l’existence d’une même distinction dans les
théories grammaticales classiques, en particulier dans celle de Port
Royal (Chomsky 1969 : 61-62) :
Développant la distinction fondamentale entre le
corps et l’esprit, la linguistique cartésienne présume, de
façon caractéristique, que le langage a, de son côté, deux
aspects. Il est possible, en particulier, d’étudier un signe
linguistique du point de vue des sons qui le constituent et
des caractères qui représentent ces signes, ou du point de
vue de leur « signification », à savoir de « la manière dont
les hommes s’en servent pour signifier leurs pensées » […].
En bref, le langage a un aspect interne et un
aspect externe. On peut étudier une phrase à partir de la
façon dont elle exprime une pensée ou à partir de sa forme
physique, en d’autres termes, du point de vue de
l’interprétation sémantique ou du point de vue de
l’interprétation phonétique.
22
Cette approche dérivationnelle a suscité des oppositions au sein de la
grammaire générative même. Pour une des critiques proposant une démarche
représentationnelle, voir Bródy (1995).
29
par des transformations, dérivant la structure de surface de la
structure profonde. Cette architecture, appelée communément le
modèle T, est représentée par (1). Il faut noter qu’il s’agit là d’un
modèle purement syntaxique, car la théorie modulariste de Chomsky
présume une syntaxe autonome (Chomsky 1957 : chapitre 2),
indépendante des niveaux sémantique et phonologique. Le seul lien
du module syntaxique avec d’une part, la phonologie, d’autre part,
la sémantique est assuré par les interfaces, la forme phonologique
(FP) et la forme logique (FL) respectivement.
(1) de E. Kiss et Szabolcsi (1992 : 31, modifié)
SYNTAXE
LEXIQUE
structure profonde
transformations
structure de surface
forme
phonologique
forme logique
Cette conception d’une double structure a été reformulée
plusieurs fois au cours de l’évolution de la théorie générative.
Récemment, dans une révision radicale du modèle, Chomsky
(1995b) a abandonné les structures profonde et de surface, ne
gardant que les deux niveaux d’interface
avec les formes
phonologique et logique respectivement. Ce changement est illustré
en (2).
(2) de Richards (1997 : 1, modifié)
28
juste titre, de cette analyse que « le propre de la grammaire
philosophique [ ... est] de chercher à découvrir les principes de base
[du langage] et à fournir une explication ».
En résumé, l’universalisme et l’aspiration d’expliquer le
langage caractérisent autant les théories classiques que celle de
Chomsky, mais avec une différence marquée. Ce qui est universel
d’après Chomsky est la structure linguistique elle-même. Il est donc
amené à postuler, outre les principes universels, des mécanismes
spécifiques aux langues particulières pour pouvoir accommoder son
modèle à la variabilité apparante des langues humaines. Cette
tension entre la diversité et l’universalisme est absente des théories
du XVIIe et du XVIIIe, car celles-ci envisagent l’universalisme au
niveau sémantico-conceptuel. 21
Structure profonde et structure de surface
Une des doctrines centrales de la grammaire générative, motivée en
partie par la tension entre universalisme et diversité, est la
distinction entre la structure profonde et la structure de surface en
syntaxe. La structure profonde est le niveau d’analyse où
l’universalisme se manifeste, où toutes les langues se ressemblent.
Elle
correspond
à
la
forme
initiale,
propositionnelle
d’une
construction syntaxique. La structure de surface, de l’autre côté, est
la syntaxe visible d’une construction, la forme que l’on rencontre
dans l’usage actuel. La relation entre les deux niveaux est assurée
21
En principe, l’universalisme de la grammaire générative ne se limite
pas à la syntaxe. En effet, dans les années 1970 est né, à l’intérieur de la
grammaire générative, un courant nommé sémantique générative dont l’objectif
principal était d’expliquer la signification des mots et des concepts en les
réduisant à des notions plus primitives. Ainsi le sens de tuer serait de causer à
mourir ou faire mourir. Néanmoins, l’impossibilité de cette démarche est devenue
évidente à travers l’échec flagrant de ce courant (voir Newmeyer 1996 : chapitres
8 à 12 sur l’essort et l’échec du mouvement).
27
l’explication systématique des spécificités des langues particulières
est absente de leurs modèles (Arnauld et Lancelot 1660/1997 ;
Arnauld et Nicole 1662/1965 ; du Marsais 1797/1971).20
Les
théories
classiques
se
veulent
non
seulement
universelles, mais, par une extension logique, aussi « raisonnées »
ou explicatives, ce qui est vu par Chomsky comme un autre point
commun de ces théories avec la grammaire générative. Pour illustrer
cette affirmation, il cite le fameux débat entre les auteurs de Port
Royal et Vaugelas, un linguiste contemporain, précepteur du « bon
usage ».
Le
débat,
fréquemment
évoqué
comme
l’exemple
paradigmatique de l’opposition des grammaires prescriptive ou
descriptive, d’une part, et explicative, d’autre part, tourne autour du
type d’article qui peut apparaître avant un nom suivi d’une
proposition relative. Selon la règle de Vaugelas, fondée sur le bon
usage de la Cour et des auteurs prestigieux (Bakalar 1976), l’article
ne peut être ni absent, ni le simple indéfini de. Arnauld et Lancelot
(1660/1997 : IIe partie, §10) s’y opposent pour deux raisons.
Premièrement, à cause de son inexactitude empirique, montrée par
de nombreux contre-exemples. Deuxièmement, en raison de son
caractère ad hoc, dépourvu d’explication raisonnée. Dans leur
solution, Arnauld et Lancelot reformulent la règle de manière à
inclure les contre-exemples apparants et démontrent la capacité de la
nouvelle version de les expliquer. Chomsky (1969 : 90) conclut, à
20
Lancelot a également rédigé plusieurs grammaires particulières
(Bakalar 1976 ; Padley 1976), mais celles-ci ne s’inscrivent pas dans le courant de
la grammaire universelle. Elles sont, de manière générale, beaucoup moins
marquées par le cartésianisme que la Grammaire générale et raisonnée, et se
situent plutôt dans les traditions classique et humaniste de la description
linguistique. Padley (1976) montre l’impact non négligable de Sanctius, Vossius,
Linacre et d’autres auteurs antérieurs sur la Nouvelles Méthodes de Lancelot. Il
affirme également que l’analyse de certaines structures grammaticales que
Chomsky considère tellement cartésienne dans la Grammaire et la Logique, en
fait, reflète l’influence de la tradition humaniste. La Nouvelle Méthode, contenant
des références explicites à cette tradition, en est la preuve.
26
L’universalisme n’est pas étrange au cartésianisme non
plus. D’après Descartes, les concepts innés et, de manière générale,
la pensée humaine sont également universels (Descartes 1644/1978,
1ère partie, §59). Inspirée de cette doctrine, la théorie linguistique de
Port Royal se veut « générale et raisonnée ». Aussi Arnauld et
Lancelot (1660/1997) évoquent-ils souvent des exemples tirés de
plusieurs langues non-apparentées, par exemple du français, de
l’anglais, de l’allemand, du grec ancien, du latin ou de l’hébreu.
Comme Bakalar (1976) le démontre, l’influence la plus importante
du cartésianisme sur les grammairiens du XVIIIe siècle est
précisément
cet
universalisme.
Malgré
leurs
engagements
philosophiques très hétérogènes, les philosophes et les linguistes de
l’Encyclopédie adoptent tous une approche universaliste au langage.
En effet, c’est au XVIIIe siècle que les recherches sur la grammaire
générale, universelle ou encore philosophique se développent dans
toute leur ampleur.
Naturellement, Chomsky ne manque pas d’exploiter ce
parallélisme dans La linguistique cartésienne. Il cite Beauzée, du
Marsais et d’Alembert, qui soulignent tous le caractère universaliste
de la science grammaticale. Certes, la linguistique générative se
caractérise par l’universalisme tout comme les théories des XVIIe et
XVIIIe. Mais ce que Chomsky ne reconnaît pas est l’importante
différence dans le niveau où les structures universelles se situeraient
selon les différentes théories. La grammaire générative postule des
principes syntaxiques universels, tandis que les théories classiques
supposent
des
universaux
conceptuels.
Cette
disparité,
déjà
mentionnée par rapport à la différence des entités considérées
comme innées, a des effets considérables sur le modèle linguistique
proprement dit. En présupposant des universaux syntaxiques,
Chomsky doit faire face à la variabilité flagrante des langues, et
intégrer dans sa théorie un mécanisme supplémentaire, le système
de paramètres, afin d’y fournir une explication. Par contre, les
auteurs classiques ne rencontrent aucun phénomène empirique allant
manifestement à l’encontre de l’universalisme des idées. Ainsi,
25
pas, ou, au moins, non pas explicitement, dans le système
cartésien. 18
Le mentalisme a pour conséquence, aussi bien dans le
système
cartésien
que
dans
la
grammaire
générative,
l’internalisation du langage. Ce dernier n’est pas un phénomène
social, mais strictement individuel, à tel point que la fonction
communicative perd complètement son importance, cédant la place
au langage en tant que l’expression des pensées. Il est également
possible de constater la conséquence méthodologique, commune
aux
deux
doctrines, de cette position internaliste. Dans la
terminologie
de
fellebbezhetetlen
Pléh
(2000 :75),
intuíció »)
devient
l’intuition
l’autorité
incontestable
ultime
pour
(« a
les
investigations cartésienne et générative.
L’universalisme
Chomsky considère les structures grammaticales postulées par la
grammaire générative comme universelles. Cette hypothèse est
réconciliée avec la variété observable des langues dans le cadre de la
théorie « des principes et des paramètres » (p. ex. Chomsky 2000).
Ce modèle attribue à la faculté de langage innée des principes
universels qui sont en opération dans toutes les langues, et des
paramètres ajustables, encodant les spécificités de chaque langue.
Un tel modèle est donc capable de générer toutes les langues
humaines (logiquement possibles).19
18
La place de l’inconscient chez Descartes est, bien évidemment, une
question plus complexe. Pour une discussion détaillée, voir Lewis (1950).
19
Newmeyer (1996 : chapitre 7) donne une bonne analyse de
l’opposition inhérente à la grammaire générative entre d’une part, l’universalisme
et la puissance explicative, d’autre part, la diversité des langues et l’exactitude
descriptive. Il montre comment cette tension a contribué au développement
dynamique de la théorie générative.
24
immédiatement par nous-mêmes». La même introspection apparaît
dans la pratique méthodologique des linguistes génératives. Selon la
doctrine chomskyenne (Chomsky 1961, 1957), les locuteurs natifs
ont des intuitions concernant la grammaticalité des phrases dans leur
langue maternelle. Voire, la seule autorité quant à l’acceptabilité
d’une phrase est le locuteur natif. Cette intuition native s’explique
précisément par la créativité du langage, c’est-à-dire par le fait que
les règles grammaticales innées permettent à l’individu de produire,
comprendre ou juger un nombre infini de phrases nouvelles en sa
langue maternelle.
Malgré ce parallélisme évident dans la méthodologie, il
importe de faire une distinction ici. Chez Chomsky, les locuteurs ont
des
intuitions
concernant
l’usage,
mais
jamais
directement
concernant les règles grammaticales elles-mêmes : [a]n enormous
amount of data is available to any native speaker; the deeper facts of
linguistic structure, however, remain hidden to him »17 Chomsky
1961 : 219). Ces dernières étant inconscientes, la tâche du linguiste
consiste précisément à les mettre en évidence. En revanche, chez
Descartes ou chez les auteurs de Port Royal, tout le fonctionnement
mental se prête à l’introspection (cf. plus haut Descartes 1644/1978 :
1ère partie, §9). Néanmoins, la manière dont Chomsky traîte cette
différence témoigne de son interprétation sélective et de la
négligeance de certaines distinctions entre les auteurs du XVIIe et du
XVIIIe siècles. Il affirme par exemple que « [l]a linguistique
cartésienne présuppose, de façon générale, que nous connaissions
inconsciemment les principes du langage et de la logique naturelle »
(Chomsky
1969 :
100,
mes
italiques).
Pour
soutenir
cette
affirmation, il fait référence à Beauzée, un des linguistes de
l’Encyclopédie, donc un auteur du XVIIIe. Or, il est évident dans le
passage cité de Descartes que la notion de l’inconscient n’apparaît
17
Une quantité importante de données est accessible à tout locuteur
natif ; néanmoins, les faits plus profonds de la structure linguistique restent cachés
devant lui.
23
est l’individuation du langage, implicite chez Descartes, explicite
chez Chomsky. Selon le premier auteur, l’individu ne peut avoir de
la certitude que concernant sa propre âme. Par conséquent, le
langage, qui en est la manifestation, est uniquement accessible à
l’individu lui-même. Comme Kelemen (1977 : 30-31, italiques dans
l’original) le note :
Descartes olyan jelentõséget tulajdonít ennek [=a lelki
jelenségek
magán
jellegének],
hogy
—
és
lélekkoncepciójának ez az alapvetõ újítása — mindennek,
amit mentálisnak nevezhetünk, az egyéni, a privát jelleg a
meghatározó jellemvonása. [...] Ezek szerint a nyelv is privát
természetû.16
Si Descartes ne tire pas explicitement cette conclusion de son
raisonnement, Chomsky y consacre une longue discussion dans un
ouvrage
récent
(Chomsky
2000).
Dans
« sa
perspective
internaliste », le langage existe dans l’esprit de chaque individu,
indépendamment de la société ou de la communauté qui le parle.
Cette
conception
individualiste
a
des
implications
intéressantes relatives aux fonctions du langage. Pour Descartes
(1637/1990), aussi bien que pour Chomsky (1975), le langage n’a
pas de « fonction » dans le sens téléologique du terme. S’il sert à
quelque chose, c’est l’expression des pensées, plutôt que la
communication, contrairement à ce que les théories collectivistes y
attribuent (p. ex. Searle 1972, Meisel 1974).
L’individuation du langage a également des conséquences
sur le plan méthodologique. Chez Descartes, le seul moyen de la
certitude est l’introspection, ce qui se manifeste le plus clairement
dans le Cogito. Dans les Principes (Descartes 1644/1978 : 1ère
partie, §9), par exemple, il définit la pensée/raison comme «tout ce
qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons
16
Descartes y attribue une telle importance — et cela constitue
l’originalité de sa conception de l’âme — que tout ce que l’on peut appeler mental
se caractérise avant tout par l’aspect privé. Ainsi, le langage est également de
nature privée.
22
Outre
les
motivations
dissemblables,
les
entités
que
Descartes et Chomsky postulent comme innées sont également de
nature fort différente (Cooper 1972 ; Meisel 1974). Descartes
(1644/1978, 1ère partie, §47-51, 4e partie) énumère comme
« premiers concepts », donc innés, telles notions que le nombre,
l’ordre, l’extension, les vérités logiques universelles ou les qualia.
Chomsky, en revanche, présuppose des règles abstraites et
formelles, spécifiques au langage. Cette différence entre les
nativismes conceptuel de Descartes et formaliste de Chomsky aura
des
répercussions
sur
les
théories
linguistiques
construites
respectivement sur les deux modèles.
En résumé, il a été montré que la position nativiste se
retrouve tant chez les cartésiens que chez Chomsky, mais il importe
de différencier les motifs et la portée de leurs vues respectives. Les
auteurs classiques prennent une approche plutôt conceptuelle selon
laquelle le nativisme gagne sa motivation de la poursuite raisonnée
des connaissances certaines. Pour Chomsky, au contraire, ce qui est
inné est avant tout un système formel, nécessité par l’explication de
phénomènes d’ordre linguistique.
L’individuation du langage
En plus des ressemblances exposées par Chomsky dans le Cartesian
Linguistics, d’autres similitudes se produisent comme conséquences
logiques du rationalisme de Chomsky et de Descartes. La première
de langage. Mais cela est déjà assuré par le nativisme, puisque les êtres humains
appartiennent tous à la même espèce, et possèdent, en conséquence, les mêmes
facultés mentales. Par contre, les théoriciens qui considèrent comme innées des
connaissances relatives aux faits du monde extérieur sont obligés de supposer un
mécanisme supplémentaire afin d’assurer que ces connaissances innées, ne
provenant pas de l’expérience, correspondent quand même à la réalité extérieure.
Pour beaucoup de psychologues cognitifs (p. ex. Barkow, Cosmides et Tooby
1992 ; Pinker 1997), ce mécanisme, remplaçant le Dieu du système cartésien, est
l’évolution.
21
la nature infinie, non déterminée du langage, d’autre part, du fait que
l’enfant l’acquiert « parfaitement » à partir d’un input incomplet au
bout d’une période relativement courte (Chomsky 1959, 1995a,
2000 ; Chomsky et Katz 1975).
Par contre, la croyance aux idées innées au XVIIe est le
résultat du doute cartésien. 14 En développant sa méthode dans les
Principes
(1644/1978 :
argumentation
de
la
1ère
manière
partie),
Descartes
suivante.
Pour
formule
arriver
à
son
des
connaissances certaines, il est nécessaire de remettre en question
toutes nos connaissances existantes (§1-6). De cette manière, nous
trouvons une seule chose dont nous ne pouvons plus douter, notre
propre existence (§7), ce qui constitue la certitude du Cogito ergo
sum. Nous nous apercevons donc qu’il existe en nous une substance
raisonnée, l’âme que nous pouvons connaître de manière distincte et
claire. D’autre part, il y a aussi en nous une substance étendue, le
corps qui nous fournit des connaissances obscures et incertaines.
Etant donné que les connaissances provenant du corps et des sens
sont trompeuses, le fait que nous connaissions certains concepts
comme clairs, distincts et vrais indique qu’ils ne sont pas issus de
l’expérience acquise par les sens. Par conséquent, ils doivent être
innés dans l’âme. La vérité des concepts que nous conçevons
comme clairement et distinctement vrais est garantie par Dieu, qui,
étant parfait et bienveillant, ne cherche pas à tromper l’homme.15
Ces arguments sont clairement différents de ceux de Chomsky.
14
Les différents auteurs au XVIIe ont adopté des vues divergentes sur
la question et proposé des arguments variés (Cooper 1972 ; Meisel 1974).
Néanmoins, le raisonnement de Descartes peut être considéré comme un des
mieux développés et représentatif de l’époque.
15
La question de la vérité de nos idées et connaissances innées ré-
émerge aujourd’hui dans une nouvelle optique dans les sciences cognitives.
D’après Fodor (2000), Chomsky, ne postulant comme inné que le langage, n’est
obligé de proposer aucun mécanisme spécial pour assurer « la vérité », l’efficacité
du langage, car celui-ci n’a aucun rapport avec le monde extérieur. Pour que le
langage fonctionne, il suffit que tous les êtres humains possèdent la même faculté
20
sont communs à toutes les langues et reflètent certaines
propriétés fondamentales de l’esprit. [...] Ces conditions
universelles, on ne les apprend pas ; elles fournissent
plutôt les principes d’organisation qui permettent
d’apprendre une langue, et qui doivent exister pour que
l’on passe des données au savoir. Attribuer de tels
principes à l’esprit et en faire une propriété innée permet
de rendre compte d’un fait tout évident : le locuteur d’une
langue sait beaucoup de choses qu’il n’a pas apprises.
Chomsky accorde la première élaboration de cette idée (au XVIIe
siècle) à Herbert de Cherbury, mais note que ce « platonisme sans
préexistence » sous-tend, de manière générale, les conceptions
psychologiques des auteurs du XVIIe et se présente également chez
certains philosophes du XVIIIe.
Or, comme Bakalar (1976 : 699) le montre, « [o]ne of the
problems in Chomsky’s work is the unproven assumption that a
belief in universal grammar is ipso facto a belief in innate ideas »12 .
Bien que l’hypothèse des idées innées soient communément admise
parmi les cartésiens du XVIIe13 , elle est loin de l’être parmi les
philosophes-grammairiens
du
XVIIIe,
même
parmi
ceux
que
Chomsky évoque souvent dans La linguistique cartésienne (Bakalar
1976). Du Marsais (1797/1971), par exemple, était ouvertement
hostile à l’idée du nativisme. Il s’agit là d’un exemple illustratif de
l’interprétation sélective de Chomsky.
Même l’interprétation limitée mise à part, il existe une
différence essentielle entre la motivation du nativisme de Chomsky
et celle des cartésiens (voir aussi Cooper 1972). Comme je l’ai déjà
évoqué, le nativisme chomskyen est la conséquence, d’une part, de
12
Un des problèmes de la recherche de Chomsky sur La linguistique
cartésienne est la supposition non fondée que la croyance à la grammaire
universelle est ipso facto équivalente à la croyance aux idées innées.
13
Si l’existence d’idées innées était répandue chez les philosophes
cartésiens du XVIIe, le nomb re et la nature exacts de ces idées varient d’un auteur
à l’autre. Ainsi, la critique de Cooper (1972) selon laquelle l’interprétation
chomskyenne, étant trop générale, manque de précision historiographique, s’avère
justifiée. De plus, comme Miel (1969) le remarque, Pascal se distingue des autres
penseurs du XVIIe par son anti-cartésianisme.
19
chez Chomsky (1957). La conception cartésienne de la créativité du
langage ressemble donc à la capacité générative infinie de la syntaxe
chez Chomsky.
L’aspect créateur du langage revêtit un autre sens chez les
auteurs du XVIIIe siècle. Herder, Schlegel, Harris, et d’autres
auteurs romantiques, surtout Humboldt, que Chomsky (1969 : 17)
considère le plus proche de sa propre position, développent une
notion de la créativité linguistique qui comprend non seulement une
productivité illimitée, assurée par des règles mentales, mais aussi
une créativité artistique inhérente au langage. Il est hors de la portée
du présent travail de poursuivre cette comparaison (pour une
discussion, voir par ex. Kelemen 1977). Ce qui est important dans
ce contexte est la double nature de la créativité linguistique.
En ce qui concerne l’aspect créateur du langage, la parenté
entre le système cartésien et les idées de Chomsky semble être bien
établie. La négation du déterminisme intellectuel et par conséquent
linguistique joue un rôle clé dans la conception des deux penseurs.
Le nativisme
Pour expliquer la créativité dans le langage, Chomsky postule des
règles mentales. Dans son système, une des conséquences logiques
nécessaires de ce postulat est la nature innée de ces règles (Chomsky
1959, 1995a, 2000). Si l’enfant n’apprend pas la langue de son
environnement par imitation, or d’après Chomsky c’est logiquement
impossible vu la nature fragmentaire de l’input, le langage doit être
innée.
Dans La linguistique cartésienne, Chomsky attribue le
même raisonnement aux auteurs classiques (Chomsky 1969 : 9596) :
Selon la doctrine qui est au centre de la linguistique
cartésienne, les traits généraux de la structure grammaticale
18
langage n’a pas moins de réalité pour lui que pour Descartes. Il le
considère comme un organe biologique.11
Malgré le fait que Land (1974) reconnaisse le parallélisme
entre les points de vue cartésien et chomskyen, il affirme que le teste
linguistique est mal conçu, en particulier chez Chomsky. Selon Land
(1974), les critères pour distinguer l’usage raisonné du langage des
sons émis par les animaux ou par les automates sont contradictoires
et flous. Ils sont à peu près les mêmes chez les deux auteurs (par. ex.
Chomsky 1968, 1980) : (i) la nature infinie du langage, (ii) son
indépendance de tout stimulus extérieur ou intérieur, et (iii) qu’il
soit approprié au contexte de l’énonciation. Land (1974) affirme que
le deuxième critère est en opposition avec le troisième : un énoncé
qui est adéquat dans un contexte dépend nécessairement de ce
dernier.
Cette
remarque
est
vraie,
mais
mal
ciblée.
Elle
conceptualise l’usage du langage dans un contexte communicatif, or
aussi bien chez Chomsky que chez Descartes, le langage n’ a pas de
fonction communicative. Il sert plutôt à l’articulation des pensées
(voir les sous-parties suivantes). Ainsi un énoncé peut être adapté à
la situation sans qu’il soit élicité par un énoncé précédent — par
exemple dans le cas d’un journal intime ou un monologue intérieur.
Comme Chomsky le souligne, le concept d’un langage
créatif présente un autre aspect commun chez les deux auteurs.
Descartes parle du langage dans un sens abstrait, le distinguant de la
simple capacité d’émettre des sons, qui se retrouve également chez
les animaux. Ainsi Descartes différencie la sonorité, donc le côté
matériel du langage, de son principe créateur. Il réfère à ce dernier
comme la capacité «d’arranger ensemble diverses paroles et d’en
composer un discours ». Cette tournure s’interprète facilement
comme faisant allusion à la syntaxe, l’élément principal du langage
11
Les questions du dualisme et la réalité du langage ont provoqué de
vifs débats entre Chomsky et quelques philosophes contemporains, comme
Putnam ou Searle. Pour une exposition récente de ces sujets, voir Chomsky
(2000).
17
qui causeront quelques changements en ses organes ;
comme si on la touche en quelques endroit, qu’elle
demande ce qu’on veut lui dire ; si en un autre, qu’elle crie
que l’on lui fait mal, et choses semblables ; mais non pas
qu’elle les arrange en sa présence, ainsi que les hommes les
plus hébétés peuvent faire.
[...]
Car c’est une chose bien remarquable qu’il n’y a
point d’hommes si hébétés et si stupides, sans excepté les
insensés, qu’ils ne soient capables d’arranger ensemble
diverses paroles, et d’en composer un discours par lequel
ils fassent entendre leurs pensées ; et qu’au contraire il n’y
a point d’autre animal, tant parfait et tant heureusement né
qu’il puisse être, qui fasse le semblable.
A cet égard, l’analogie entre Chomsky et Descartes est
claire (Land 1974). Avoir un langage créatif est le trait distinctif de
l’homme, et cela pour deux raisons. D’une part, il ne peut être réduit
ni
aux
principes
mécanistiques
des
automates,
ni
au
conditionnement behavioriste. L’aspect créateur du langage est,
pour les deux auteurs, un des arguments les plus forts contre la
nature déterminée de la raison humaine. Dans la formulation de
Chomsky (1969 : 20), « [l]e langage n’est pas déterminé par
l’association fixe des paroles à des stimuli externes ou à des états
psychologiques ». D’autre part, le langage est ontologiquement une
entité existante autant pour Chomsky que pour Descartes, même si
dans des cadres métaphysiques différents. D’après Land (1974), les
deux auteurs mettent « le teste linguistique » à un usage différent.
Pour Descartes, le langage créatif est la preuve la plus éclatante de
l’existence d’une substance raisonnée. Il s’agit là donc d’un lien
étroit entre langage et raison dont Descartes ne démontre pas
l’existence. Il le présuppose. Par contre, ce que Chomsky envisage
est exactement la justification de ce postulat. Il montre non
seulement que le langage est l’indice de la raison, mais aussi que ce
lien est nécessaire et motivé par la nature de celui-là. Bien sûr,
Chomsky ne s’inscrit pas dans un cadre dualiste. Néanmoins, le
16
base de données fragmentaires, pendant une très courte période de
temps. Chomsky (1961 : 222) résume la problématique ainsi :
The investigations of generative grammar described in
[Syntactic Structures] were motivated in part by an interest in
the problem of accounting for the ability of a speaker to
produce and understand an infinite number of new
sentences, [...]. A generative grammar can be regarded as
an attempt to characterize certain aspects of this ability
[...]. A theory of generative grammars can be regarded
quite naturally as a proposal concerning certain
fundamental and specific skills that the child brings to
language learning. [...] This requirement is rarely met by
either traditional or modern studies.10
Dans cette perspective, la comparaison avec les idées de
Descartes paraît naturelle. Dans le système dualiste cartésien, le
langage joue un rôle précis (p. ex. Descartes 1637/1990 ; Cordemoy
1666/1968). Il est la preuve par excellence que non seulement l’ego
possède une âme, mais les autres individus aussi. La matière, la res
extensa obéit à des lois déterministiques, donc les automates et les
animaux, dépourvus de l’autre substance, la res cogitans, présentent
uniquement des comportements inflexibles. En revanche, les êtres
humains possèdent un langage créatif et flexible, ils ont donc
forcément une âme (res cogitans). Chomsky (1969 : 19) cite les
passages suivant dans le Discours de la méthode (Descartes
1637/1990 : Ve partie) :
[Car on peut bien] concevoir qu’une machine soit
tellement faite qu’elle profère des paroles, et même qu’elle
en profère quelques-unes à propos des actions corporelles
10
Les investigations de la grammaire générative, décrites dans
Syntactic Structures, ont été motivées en partie par l’intention de rendre compte
de la capacité que présente tout locuteur de produire et de comprendre un nombre
infini de nouvelles phrases. Une grammaire générative peut être perçue comme un
essai à caractériser quelques aspects de cette capacité. Toute théorie de
grammaires génératives peut être considérée comme une proposition concernant
certaines capacités fondamentales et spécifiques que l’enfant met en oeuvre lors
l’apprentissage du langage. Cette exigence est rarement satisfaite par les études
traditionnelles et modernes.
15
nécessairement sélective. Comme Chomsky lui-même note dans son
introduction :
« Ce
sont
des
questions
d’intérêt
actuel
qui
détermineront l’allure générale de cette esquisse : en d’autres
termes, je n’essaierai pas de définir la linguistique cartésienne telle
qu’elle se voyait elle-même, mais je concentrerai plutôt mon
attention sur le développement des idées qui ont refait surface, de
façon tout à fait indépendante, dans les travaux d’aujourd’hui »
(Chomsky 1969 :16). Résultat de cette approche, les œuvres des
auteurs classiques ne sont pas interprétées dans leur intégrité, mais
plutôt dans l’optique des investigations actuelles. Ainsi, chaque idée
est associée à un ou quelques auteur(s) qui l’a (ont) exposée de la
manière la plus marquée.
LA LINGUISTIQUE D’ANTAN ET CELLE D’AUJOURD’HUI
La relecture détaillée de La linguistique cartésienne fournira ici une
occasion pour examiner de plus près les analogies que Chomsky
établit entre sa propre théorie et celles des siècles précédents.
L’analyse focalisera sur l’interprétation chomskyenne des grands
textes du XVIIe siècle afin de fournir un cadre philosophique aux
études de cas exposées dans la troisième partie de ce travail.
La créativité du langage humain et ses conséquences
L’aspect créateur du langage occupe un rôle central dans la
révolution chomskyenne. Au système stimulus-réponse rigide du
behaviorisme, Chomsky oppose la créativité linguistique, c’est-ádire le fait que tout individu est capable de comprendre ou de
produire des énoncés qu’il n’a jamais rencontrés auparavant. Ce fait
pose un problème considérable pour l’apprentissage imitateur par
renforcement, postulé par le behaviorisme, mais constitue un des
arguments les plus forts en faveur du mentalisme chomskyen.
L’existence de règles grammaticales abstraites, innées dans l’esprit
humain, expliquerait comment et pourquoi l’enfant est capable
d’assimiler sa langue maternelle sans apprentissage explicite, à la
14
Jusqu’ici, nous n’avons considéré dans la parole
que ce qu’elle a de matériel, et qui est commun, au moins
pour le son, aux hommes et aux perroquets.
Il nous reste à examiner ce qu’elle a de spirituel,
qui fait l’un des plus grands avantages de l’homme audessus de tous les autres animaux, et qui est une des plus
grandes preuves de la raison : c’est l’usage que nous en
faisons pour signifier nos pensées […].
La Grammaire se divise en deux parties précisément en fonction de
cette
distinction.
Egalement
caractéristique
de
l’approche
cartésienne, la deuxième partie portant sur le côté spirituel du
langage est plus importante que la première aussi bien en longueur
qu’en la finesse de l’analyse. La Logique est également marquée par
la méthode cartésienne. Descartes est cité explicitement par rapport
à des questions méthodologiques (Arnauld et Nicole 1662/1965 :
306) :
Ces 4. [opérations] neanmoins que Monsieur Descartes
propose dans sa Methode, peuvent être utiles pour se garder
de l’erreur en voulant rechercher la verité dans les sciences
humaines, quoiqu’à dire vrai elles soient generales pour
toutes sortes de methodes, & non particulieres pour la
seule analyse.
Un autre trait typiquement cartésien de la Logique est sa nature non
formelle. Comme Passmore (1953), Finocchiaro (1997) et Woods
(2000) le démontre, le fait que l’ouvrage ne s’inscrive pas dans la
logique scolastique formelle s’explique par l’hostilité de Descartes
vis-à-vis de la philosophie scolastique et la formalisation qui
l’accompagne.
Dans l’optique de ces observations, la catégorie de la
« linguistique cartésienne » se montre grossière d’un point de vue
historiographique. Néanmoins, même si les sources de la théorie
grammaticale du XVIIe sont plus variées que Chomsky ne le
suggère, il n’est pas erroné de voir en elle une science
essentiellement cartésienne.
En plus de l’infidélité historiographique, la perspective
métathéorique a une deuxième conséquence: l’interprétation devient
13
2000). Auteur de De la fréquente communion, il a enseigné à la
Sorbonne et a maintenu des débats avec Leibnitz, Malebranche et
Descartes (Kremer 1996). La question la plus importante concernant
son œuvre est de déterminer quel est le rapport entre, d’une part, son
cartésianisme en tant que philosophe, et d’autre part, son jansénisme
et augustinianisme en tant que théologien. La réponse n’est pas
univoque, mais une chose semble bien établie : « Cartesianism was
accepted at Port Royal precisely insofar as it was found to be
compatible with Augustinianism »9 (Miel 1969 : 262; voir aussi
Kremer 2000).
Une deuxième interrogation porte sur le rôle que Pascal
avait joué dans l’élaboration et la rédaction de la Grammaire et de la
Logique de Port Royal. Il est connu que Pascal a passé une période
de sa vie à Port Royal (Dumas 1990) et qu’il a effectivement
contribué à la rédaction des textes (Miel 1969 ; pour les lieux et
l’analyse textuelle exacts, voir Marin 1975). D’après Miel (1969), la
part de Pascal est fortement plus considérable que l’on ne l’estime
en général. En fait, Miel affirme qu’il s’agit, à Port Royal, plutôt
d’une
linguistique
pascalienne
que
cartésienne,
retraçant
les
principes de base de la Grammaire et de la Logique à la théorie
pascalienne de la définition nominale. Cette conclusion semble
exagérée,
mais
l’impact
de
Pascal,
que
Chomsky
ignore
complètement, est indéniable.
Toutefois, ces considérations ne signifient aucunement que
la théorie grammaticale de Port Royal soit exempte de l’influence de
Descartes. Elle reflète l’esprit cartésien surtout dans sa méthode.
Elle applique le dualisme de la matière et de l’esprit au langage.
Ainsi, deux niveaux d’analyse sont distingués (Arnauld et Lancelot
1660/1997 : 2e partie, §1), le côté matériel (les sons et les lettres) et
le côté « spirituel » ou « raisonné » (la signification) :
9
Le cartésianisme a été admis à Port Royal dans la mesure où il s’est
avéré compatible avec l’augustinianisme.
12
définissant la notion la rendent résistante à toute attaque. Cette
remarque s’avère bien fondée, surtout à la lumière des réponses que
Chomsky donne aux critiques historiographiques (p. ex. Chomsky et
Katz
1975).
Néanmoins,
même
si
l’usage
d’une
catégorie
infalsifiable n’est pas justifié, les comparaisons auxquelles elle fait
allusion
méritent
d’être
examinées
indépendamment
de
la
terminologie.
De plus, Meisel suggère que la véritable opposition
philosophique n’est pas entre l’empirisme et le rationalisme, mais
plutôt entre le matérialisme et l’idéalisme, Chomsky s’identifiant
avec ce dernier courant. Néanmoins, l’auteur ne montre pas dans son
raisonnement pourquoi la deuxième opposition serait préférable à la
première.
Au niveau historiographique, le problème le plus général
est que ce terme englobant empêche Chomsky de saisir certaines
distinctions
historiographiques
subtiles,
qui
sont
néanmoins
importantes (Miel 1969; Aarsleff 1970 ; Cooper 1972 ; Harth 1973 ;
Bakalar 1976 ; Kelemen 1977). Chomsky regroupe les cartésiens du
XVIIe, beaucoup d’entre eux rationalistes, avec les encyclopédistes
du XVIIIe, empiristes pour la plupart, Leibnitz et Kant ou encore les
romantiques allemands. Plus particulièrement, la question se pose :
dans quelle mesure les auteurs évoqués par Chomsky peuvent être
considérés comme des partisans de doctrines cartésiennes ?
Même
les
philosophes-grammairiens
de
Port
Royal,
contemporains de Descartes, ne fondaient pas leur démarche
entièrement sur le système cartésien (Miel 1969; Cooper 1972 ;
Marin 1975 ; Bakalar 1976 ). Miel (1969) souligne l’importance du
fait que l’abbaye de Port Royal et les théoriciens qui y vivaient,
« les Solitaires » ou « les Messieurs de Port Royal », sont concernés
avant tout par des questions d’ordre théologique et religieux. Sans
entrer dans les détails de la querelle janséniste et du rôle que
l’abbaye de Port Royal y jouait, il faut néanmoins se rappeler qu’un
des co-auteurs de la Grammaire et de la Logique, Antoine Arnauld
était également théologien et philosophe (Dumas 1990 ; Woods
11
englobant
« linguistique
cartésienne »,
faisant
référence
à
un
philosophe français du XVIIe siècle qui ne laissa qu’un nombre fort
réduit de remarques sur le langage ?
L’explication est fournie par Chomsky lui-même dans
l’introduction de l’ouvrage. L’emploi de ce terme englobant
n’implique pas qu’il s’agisse à l’époque en question d’une seule
tradition linguistique ou philosophique homogène. Plutôt, le mot
« cartésien » est entendu dans ce contexte comme une notion
métathéorique désignant « un développement cohérent et fructueux
de tout un corps d’idées et de conclusions ayant trait à la nature du
langage ; ce développement est associé à une certaine théorie de
l’esprit, et peut être considéré comme un fruit de la révolution
cartésienne » (Chomsky 1969 : 18).
Chomsky et Katz (1975) attribuent une interprétation
similaire aux notions de « rationalisme » et « empirisme » dans leur
réponse à Cooper (1972). Ils attirent l’attention au fait que dans leur
terminologie
métathéorique,
ces
deux
regroupant
notions
les
sont
employées
théories
de
de
l’esprit
manière
et
de
l’apprentissage en deux grandes catégories en fonction de ce
qu’elles
professent
concernant
l’origine
des
connaissances
humaines. Ainsi, les épithètes « cartésien » et « rationaliste » sont
synonymes dans l’usage de Chomsky, et font allusion à des courants
d’idées qui n’ont peut-être en commun qu’un seul point : ils
présument tous que les connaissances humaines, par conséquent le
langage aussi, proviennent non pas de l’environnement extérieur de
l’individu, mais de l’esprit.
Il reste néanmoins vrai que l’emploi de ces termes au sens
large a son prix. Plusieurs adversaires de Chomsky ont mis en cause
cet usage simpliste, le critiquant de points de vue différents.
Sur le plan logique, affirme Meisel (1974), la catégorie de
la « linguistique cartésienne » est irréfutable et donc sans utilité
scientifique. La déclaration ouverte de l’interprétation sélective,
aussi bien que l’absence de tout souci d’exhaustivité ou de
représentativité, bref les précautions que Chomsky prend en
10
C’est donc dans une lutte contre le structuralisme et le
behaviorisme que se déploie la théorie générative précoce. La
découverte de la tradition philosophique dans laquelle ces débats
s’inscrivent attire l’attention de Chomsky vers les textes classiques
des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles.
III.
LA LINGUISTIQUE CARTESIENNE : LA LINGUISTIQUE AUX XVIIE,
XVIIIE ET XIXE SIECLES VUE PAR CHOMSKY
Dans les années 60, Chomsky se tourne vers l’étude de théories
linguistiques et philosophiques des siècles précédents (Barsky
1997).
Ces
investigations
aboutissent
à
la
publication
du
monographe Cartesian Linguistics (Chomsky 1966, traduction
française 19698 ). La thèse principale de l’ouvrage exprime que « de
nombreux résultats des recherches actuelles sont annoncés ou même
formulés explicitement dans certaines études anciennes largement
oubliées aujourd’hui » (Chomsky 1969 :112).
La discussion suivante repassera en revue certaines idées au
carrefour des théories cartésienne et chomskyenne, avec un regard
particulier sur l’interprétation fournie par ce dernier auteur des
textes classiques du XVIIe. Mais avant toute analyse, quelques
remarques sont nécessaires à propos de la méthode d’interprétation
employée par Chomsky dans La linguistique cartésienne.
POURQUOI LE TERME « CARTESIEN » OU L’ERREUR HISTORIOGRAPHIQUE DE
CHOMSKY ?
Dans Cartesian Linguistics, Chomsky repasse en revue la littérature
linguistique du XVIIe au XIXe siècles, écrite par des auteurs
d’orientation et de nationalité diverses. Pourquoi donc le terme
8
C’est la traduction française qui servira de référence dans le présent
travail. Ainsi, les citations et la pagination indiquées ici renvoient à Chomsky
(1969).
9
explicatrice, ne permettrait pas à Skinner de rendre compte du
langage. La raison en est le fait que Skinner perçoit l’acquisition du
langage par l’enfant comme un processus d’apprentissage par
renforcement. Pour une telle conception déterministe, la créativité
du langage, c’est-à-dire la capacité de chaque être humain sain de
produire
et
de
comprendre
des
phrases
jamais
rencontrées
auparavant, pose un problème insurmontable. De plus, un âge
critique semble exister pour l’apprentissage. Tout enfant assimile sa
(ses) langue(s) maternelle avec une facilité étonnante, tandis que les
adultes rencontrent des difficultés énormes face à la même tâche.
Il est important de noter que ce n’est pas spécifiquement
l’ouvrage de Skinner que Chomsky vise par ces critiques, mais
l’approche behavioriste en général. Comme il remarque dans la
préface d’une ré-édition de la revue huit ans plus tard (Chomsky
1967) :
I had intended this review not specifically as a criticism of
Skinner’s speculations regarding language, but rather as a
more general critique of behaviorist (I would now prefer
to say “empiricist”) speculation as to the nature of higher
mental processes.7
Cette citation illustre bien le développement philosophique
de la position de Chomsky. Après avoir avancé une théorie
linguistique
et
exploré
ses
conséquences
psychologiques,
il
reconnaît que les implications sont encore plus profondes. Les
changements
philosophique
entraînés
classique,
par
sa
théorie
notamment
relèvent
celui
des
d’un
conflit
mouvements
empiristes et rationalistes (Chomsky et Katz 1975), d’où l’intention
de substituer le terme « behavioriste » à « empiriste ».
7
« Mon intention avec cette revue n’était pas spécifiquement de
critiquer les spéculations de Skinner sur le langage, mais de fournir une critique
plus générale de la spéculation behavioriste (je dirais aujourd’hui plutôt
« empiriste ») concernant la nature des processus mentaux de haut niveau. »
8
L’ANTI- BEHAVIORISME DE CHOMSKY
Cette ouverture n’est pas sans conséquence pour la théorie
psychologique
sous-tendant
la
linguistique.
Le
structuralisme,
empiriste dans son essence, repose sur le behaviorisme comme
cadre psychologique : « we can persue the study of language
without reference to any one psychological doctrine »5 (Bloomfield
1976 : Préface).
En revanche, la nouvelle théorie présuppose l’existence
d’une faculté linguistique mentale, ce qui est, par définition,
incompatible
avec
l’anti-mentalisme
du
behaviorisme.
Par
conséquent, la grammaire générative met en question non seulement
le paradigme linguistique précédent, mais aussi les fondements
psychologiques de celui-ci.
Chomsky explore ces considérations pour la première fois 6
dans sa revue critique (Chomsky 1959) sur le Verbal Behavior de
Skinner, un behavioriste américain reconnu. Chomsky montre la
grossièreté de la terminologie anti-mentaliste du behaviorisme et
son incapacité d’expliquer la complexité d’une telle fonction
comportementale
complexe
comme
le
langage.
Les
notions
« réponse » et « stimulus » ne permettent pas de prédire ou
d’analyser les énoncés faits par un locuteur dans un contexte donné,
et cela pour deux raisons. D’une part, chaque situation présente un
nombre infini de propriétés, qui peuvent tous servir de stimulus pour
évoquer une réponse. Ainsi aucune prédiction n’est possible.
D’autre part, le langage humain, à la différence de la communication
animale, est indépendant de tout stimulus extérieur.
De plus, Chomsky avance des arguments pour montrer que
même
l’augmentation
5
de
la
puissance
conceptuelle,
donc
[N]ous pouvons poursuivre l’étude du langage sans nous référer à une
doctrine psychologique quelconque.
6
Ce point reste central tout au long de son œuvre ultérieur. Comme il
l’affirme à maintes reprises (p. ex. Chomsky 1968, 2000), il conçoit la
linguistique comme une partie intégrante de la psychologie de la cognition.
7
rearranges are defective. It claims little, and its interest is
correspondingly limited.
In [Syntactic Structures] I was concerned with
grammars that make a much stronger factual claim than
this. A generative grammar, in the sense of [Syntactic Structures],
is not a large collection of neatly organized examples [...].
A generative grammar is a system of explicit rules that
assign to each sequence of phones, whether of the
observed corpus or not, a structural description [...]. 4
Dans son analyse historiographique, Newmeyer (1996 :
chapitres 4 et 6) met en relief deux différences majeures. D’un point
de vue épistémologique, la théorie générative ouvre la possibilité
d’une analyse non-empiriste de la structure langagière. En postulant
l’existence de règles mentales, ce courant ne s’oriente plus vers les
données existantes et réelles, mais plutôt vers celles théoriquement
possibles (pour la discussion de cette problématique, voir Quine
1963 ; Stich 1972 ; Chomsky et Katz 1974). Ainsi sa démarche n’est
pas inductive, mais déductive. Deuxièmement, la théorie générative
se montre suffisamment efficace pour traiter les problèmes de la
syntaxe, un niveau d’analyse jusque là négligé à cause de sa
complexité.
Tout en gardant les principes d’une analyse formelle,
élaborés par le structuralisme, la théorie générative dépasse celui-ci.
Cette révolution permet l’élargissement de la portée de la recherche
linguistique, aussi bien que l’ ouverture de la discipline vers la
psychologie, la philosophie et les autres sciences de la cognition.
4
Une description grammaticale ne fournissant rien d’autre qu’une
représentation concise de l’inventaire des énoncés qui se trouvent dans le corpus
peut être remise en question uniquement dans la mesure où les observations
qu’elle résume et systématise sont déficientes. Elle affirme peu, et par conséquent
son intérêt est également limité.
Dans Syntactic Structures, je me suis intéressé à des grammaires faisant
des affirmations factuelles beaucoup plus fortes. Une grammaire générative dans
le sens de Syntactic Structures n’est pas une vaste collection d’exemples, arrangés
avec précision. Une grammaire générative est un système de règles explicites qui
attribuent à chaque suite sonore, se trouvant dans le corpus observé ou non, une
description structurale.
6
Chomsky, étudiant de Harris (Lepschy 1970 ; Newmeyer
1996), développe l’idée de son directeur, que ce dernier a esquissée
brièvement dans le dernier chapitre de son Methods (Harris 1951).
Selon cette idée, une approche autre que l’analyse procédurale du
structuralisme
est
également
envisageable
pour
l’analyse
linguistique. D’après Harris (1951 : 6), « the whole framework of
basic procedures presented below could be supplanted by some
other schedule of operations without loss of descriptive linguistic
relevance »2 . Chomsky (1949) développe cette idée de base en
fournissant
une
analyse
générative
des
processus
morphophonémiques de l’hébreu moderne. La méthode générative3
évolue au sein du courant structuraliste. La rupture définitive avec
cette doctrine sur le plan théorique survient en 1962, quand
Chomsky fait une conférence, intitulée « The Logical Basis of
Linguistic Theory » (« la base logique de la théorie linguistique »)
au IXe Colloque International de la Linguistique, organisé par MIT
et
Harvard
à
Cambridge,
Massachusetts.
C’est
dans
cette
communication, publiée plus tard comme Chomsky (1964a,b), qu’il
développe les différences philosophiques et épistémologiques entre
la théorie structuraliste et la théorie générative.
Chomsky (1961 : 220, italiques originales) résume cette
opposition théorique de la manière suivante :
A grammatical description that gives nothing
more than a « compact one-one representation of the
stock of utternaces in the corpus » can be challenged only
to the extent that the observations it summarizes and
2
Le cadre de procédures de base pourrait être remplacé par une autre
suite d’opération sans perte de pertinance linguistique descriptive.
3
En fait, il existe, déjà avant le mémoire de Chomsky (1949), deux
articles, un par Bloomfield (1939) et un par Jakobson (1948), qui adoptent une
approche générative. Mais, comme Newmeyer (1996 : chapitre 2) le montre, ils
n’étaient pas considérés comme des contributions importantes par leurs auteurs.
Ils n’étaient certainement pas d’importance théorique. De plus, ils n’avaient
exercé aucun effet sur Chomsky, il ne les connaissait même pas.
5
1996). La question majeure est de savoir si l’apparition du modèle
générative constitue ou non une révolution scientifique selon la
définition de Kuhn (2000). J’adopte ici la position de Newmeyer
(1996) qui donne une réponse positive. Notamment, je montre que
la théorie de Chomsky représente une rupture, d’une part, avec le
structuralisme au sein de la linguistique, d’autre part, avec le
behaviorisme dans le cadre plus général des sciences de la cognition
humaine.
LA GRAMMAIRE GENERATIVE DEPASSE LE STRUCTURALISME
Dans les années 1950, quand Chomsky commence ses études en
linguistique (Barsky 1997), l’approche structuraliste, représentée par
de tels noms que Leonard Bloomfield, Roman Jakobson ou Zellig
Harris, domine la discipline (Robins 1967 ; Lepschy 1970).
Le
démarche
mouvement
structuraliste
épistémologique
méthodologie
consiste
correspondances
à
se
caractérise
essentiellement
révéler
systématiques
dans
des
un
par
inductive.
structures
corpus
de
et
une
Sa
des
données
linguistiques véritablement attestées (actually attested linguistic
data). Les analyses, pour la plupart, se situent aux niveaux
phonologique et morphologique (par ex. Harris 1970 ; Trubetzkoy
1971 ; Jakobson et Waugh 1980 ), les niveaux d’analyse au-delà du
mot reçoivent peu d’attention (Newmeyer 1996 : chapitres 2 et 4).
La détermination de l’appartenance catégorielle par distribution
formelle
et
l’analyse
des
phrases
en
constituants
immédiats
représentent les méthodes les plus fréquemment utilisées en syntaxe
(Harris 1951 : chapitre 2, 1961). Il s’agit de certaines régularités qui
«are in the distributional relations among the features of speech in
question, i.e. the occurrence of these features relatively to each other
within utterances»1 (Harris 1951 : 5).
1
[E]ntrent dans des relations distributionnelles existant parmi les traits
du discours en question, c’est-à-dire la présence de ces traits l’un en relation des
autres à l’intérieur d’un énoncé.
4
placer la théorie chomskyenne dans un cadre intellectuel plus large,
la comparant aux courants linguistiques et philosophiques des XVIIe
aux XIXe siècles suivant le Cartesian Linguistics (Chomsky 1966,
1969). Les similarités philosophiques et épistémologiques entre la
linguistique classique et celle d’aujourd’hui deviendront évidentes.
En
même
temps,
des
contradictions
seront
révélées
dans
l’interprétation que Chomsky donne de la théorie de Port Royal, ce
qui indique l’existence de différences fondamentales sur le plan
linguistique entre le système logico-sémantique de Port-Royal et la
théorie formelle de la grammaire générative. Les deux analyses
historiographiques
seront
suivies
d’une
étude
linguistique
proprement dite. Des études de cas seront présentées afin
d’examiner de plus près le fonctionnement des théories classique et
contemporaine sur le plan linguistique. Ces observations s’accordent
avec les conclusions d’autres analyses (p. ex. : Kelemen 1977) et
servent d’arguments en faveur d’une telle approche double, c’est-àdire philosophique et linguistique. A titre de conclusion, les
implications
épistémologiques
de
la
comparaison
seront
considérées.
II.
LE CONTEXTE DE LA REVOLUTION CHOMSKYENNE
La grammaire générative, lancée par Chomsky (1957), n’est pas
simplement un nouvel outil pour l’analyse linguistique. Il s’agit
plutôt de toute une nouvelle conception de la nature et du rôle du
langage dans la cognition humaine. Chomsky élabore les bases de sa
théorie dans le contexte des sciences humaines des années 50 aux
Etats-Unis, où règnent le behaviorisme, le structuralisme et le
positivisme logique (Newmeyer 1996). La discussion dans cette
partie esquissera le milieu intellectuel dans lequel la grammaire
générative est née.
Le rôle et l’importance du système chomskyen dans
l’histoire de la linguistique a fait l’objet de controverses (Newmeyer
3
I.
INTRODUCTION: LA LINGUISTIQUE GENERATIVE EN RETROSPECTION
En 1957, Noam Chomsky publie son ouvrage entitulé Syntactic
Structures. Alors commence une nouvelle ère dans l’histoire de la
linguistique. Cette « révolution Chomskyenne » (Kasher 1991 ;
Newmeyer 1996) émerge du structuralisme américain, mais se veut
l’héritier de toute une tradition historique, celle de la « linguistique
cartésienne ». Dans son Cartesian Linguistics, Chomsky (1966,
1969)
retrace
les
origines
de
sa
théorie
jusqu’au
modèle
philosophique de Descartes et montre comment elle s’inscrit dans le
lignage des linguistes de Port Royal, de l’Encyclopédie et du
romantisme allemand.
Le présent travail se propose d’étudier cette histoire
rétrospective de la grammaire générative. En particulier, il analysera
la comparaison, établie par Chomsky dans son ouvrage, entre la
linguistique générative d’aujourd’hui et la grammaire de Port Royal
(Arnauld et Lancelot 1660/1997; Arnauld et Nicole 1662/1965), que
Chomsky considère représentatives de la tradition cartésienne.
La
relation
entre
la
linguistique
générative
et
ses
prédécesseurs suscite des questions d’ordre linguistique, mais aussi
philosophique, épistémologique et historique. Le présent travail
prend
une
perspective
essentiellement
linguistique,
comparant
comment les deux théories, celle de Chomsky et celle de Port Royal,
traitent certains phénomènes et problèmes du langage. Conséquence
inévitable de cette approche : les aspects historiques seront abordés
d’un point de vue linguistique, donc nécessairement réducteur.
La première partie de l’analyse explorera le contexte
intellectuel
de
l’émergence
de
la
linguistique
générative,
l’examinant surtout dans l’optique de son opposition aux théories
linguistique
et
psychologique
dominantes
de
l’époque,
le
structuralisme et le behaviorisme. La deuxième partie tâchera de
2
KÖSZÖNETNYILVANITAS
Mindenek
elõtt
köszönettel
tartozom
témavezetõmnek, Gécseg
Zsuzsannának, aki végig bizalommal és számtalan jótanáccsal
segítette a munkámat.
Hálás
vagyok
a
Láthatatlan
Kollégium
vezetõinek,
tanárainak és diákjainak a több évnyi támogatásért és barátságért.
Külön is köszönetemet szeretném kifejezni tutoraimnak, Albert
Sándornak, Pléh Csabának, Kelemen Jánosnak, akik a dolgozatban
elemzett szövegek egy részét elõször elolvastam. Fehér Mártának
azért vagyok hálás, mert õ vezetett be a tudománytörténet
tanulmányozásába.
A
dolgozat
elkészítése
ösztöndíjasaként
az
Utrechti
dolgozhattam.
Köszönöm
alatt
Egyetem
az
a
NUFFIC
Nyelvészeti
Intézet
Huygens
Intézetében
vezetõségének
és
munkatársainak a kedves vendéglátást.
Végül szeretém megköszönni Zemplén Gábornak, hogy
tanácsaival,
kérdéseivel
dolgozatban
kifejtett
és
szemléletmódjával
gondolatok
köszönöm neki a szeretetét és figyelmét.
hozzájárult
megszületéséhez.
a
Emellett
TABLE DE MATIERE
Table de matière ...................................................................................................1
Köszönetnyilvánítás .............................................................................................2
I.
Introduction: la linguistique générative en rétrospection............................3
II. Le contexte de la révolution chomskyenne.................................................4
La grammaire générative dépasse le structuralisme ...................................5
L’anti-behaviorisme de Chomsky...............................................................8
III. La linguistique cartésienne : la linguistique aux XVIIe, XVIIIe et
XIXe siècles vue par Chomsky .................................................................10
Pourquoi le terme « cartésien » où l’erreur historiographique de
Chomsky ? .......................................................................................10
La linguistique d’antan et celle d’aujourd’hui ..........................................15
La créativité du langage humain et ses conséquences .....................15
Le nativisme.....................................................................................19
L’individuation du langage ..............................................................22
L’universalisme ...............................................................................25
Structure profonde et structure de surface .......................................28
La place de La linguistique cartésienne dans l’oeuvre de Chomsky........33
IV. Analyse sémantique ou analyse syntaxique : des etudes de cas en
linguistique................................................................................................35
Substantifs et adjectifs : où est la différence ? ..........................................35
Les verbes .................................................................................................39
Les propositions relatives..........................................................................42
V. Conclusion ................................................................................................45
Références bibliographiques ..............................................................................46

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