Chantons sous la pluie - Lycée E.Galois - Beaumont-sur-Oise

Transcription

Chantons sous la pluie - Lycée E.Galois - Beaumont-sur-Oise
Chantons sous la pluie
Singin’ in the Rain
Gene Kelly & Stanley Donen
3
raisons
de voir le film
1.
Se découvrir
une passion
pour les claquettes.
2.
Voir Cyd Charisse
fumer la seule cigarette
de sa vie.
3.
Assister en
coulisses et au premier
rang à la naissance
du cinéma parlant.
Bande-annonce
Pitch
Contrairement à beaucoup de ses homologues, qui étaient des adaptations à l’écran
de comédies musicales de Broadway, Chantons sous la pluie est un scénario
original. Par définition, la comédie musicale repose sur l’intégration de numéros chantés
et dansés à l’action du film, occasionnant un spectacle total où tout – couleurs,
costumes, décors, lumières, chorégraphie – est là pour le plaisir des yeux et des oreilles.
C’est un « show » qui ne s’embarrasse ni de réalisme ni de naturel.
Et pourtant Chantons sous la pluie traite d’un événement bien réel : l’arrivée du son
au cinéma…
Don Lockwood et Lina Lamont sont deux stars du cinéma muet, confrontés au progrès
technique qu’apporte Le Chanteur de jazz d’Alan Crosland, le premier « film parlant »
de l’histoire du cinéma produit par la Warner Bros. Leur producteur, de la MGM, prévoit
que leur prochain film sera parlant pour ne pas se laisser distancer par la concurrence.
Mais Lina a une voix de crécelle insupportable et ne comprend pas les nouvelles contraintes
liées à l’enregistrement du son : le tournage s’avère catastrophique. Un ami de Don,
Cosmos Brown, trouve une solution au problème : faire doubler Lina par la débutante
Kathy Sheldon qui a une très belle voix. Le subterfuge est gardé secret pour ne pas heurter
l’égo (démesuré) de Lina, qui sera donc doublée à son insu… À mesure que le tournage
progresse, Don Lockwood tombe amoureux de Kathy…
Au passage, il convient de rendre hommage à ces éternels oubliés du 7 e art que sont
les scénaristes. Le film est signé Betty Comden et Adolphe Green, « couple de cinéma »
et paroliers pour Broadway. Ils durent composer sur des chansons pour la plupart
écrites par le producteur Arthur Freed qu’il fallut insérer harmonieusement dans le scénario.
La comédie musicale leur doit beaucoup : Un jour à New York, Tous en scène et Beau fixe
sur New York (tous entre 1950 et 1955).
Zoom
Hollywood : contamination par l’illusion
La scène dans laquelle Don Lockwood raconte au micro son parcours d’artiste devant
une foule de fans en délire au début du film est particulièrement riche. En effet, le film met
en scène une narration double : les informations données par la voix devenue off
de Don Lockwood entrent en contradiction avec les images du flash-back sur son passé.
Au-delà de l’effet comique, cette schizophrénie narrative opère également une mise en abyme
de la réflexion sur l’arrivée du son au cinéma : le son est accusé d’être redondant par rapport
à l’image qui pourrait s’en passer (c’est l’argument essentiel de ses détracteurs, telle Olga Mara,
star du muet, qui s’écrie dans le film « c’est vulgaire » lors de la projection du Chanteur de
Jazz), mais cette scène inverse le postulat. Le son risque-t-il d’aller contre l’image, de semer
la confusion ?
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Chantons sous la pluie
Singin’ in the Rain
Gene Kelly & Stanley Donen
L’idée est sans doute surtout que la voix est susceptible de multiplier les manipulations,
devenant partie intégrante de la mise en scène. C’est sans doute aussi une manière un peu
ironique de dénoncer les manipulations médiatiques que produit l’industrie hollywoodienne :
faire mentir la biographie d’un acteur, réécrire son existence pour la rendre plus « glamour »,
c’est un des ressorts de la légende d’Hollywood, une vision ironique du « rêve américain ».
Et la voix off « menteuse », c’est aussi celle dont le spectateur va devoir apprendre à se méfier,
à l’instar de ces voix off de « news » (les actualités filmées) en vogue à New York dès 1924,
avant l’arrivée du parlant au cinéma. Les dangers de la voix off « délocalisée » qui désinforme
et joue l’omniscience : un débat auquel l’audiovisuel (cinéma et télévision) est encore confronté
aujourd’hui.
Carnet de création
Comment tombe la pluie : anecdotes de tournage
Les anecdotes sur le tournage de Chantons sous la pluie sont légion. Le film lui-même
évoquant les coulisses du cinéma, rien d’étonnant à ce que ses propres secrets de tournage
fascinent. Que les anecdotes circulant sur le film soient vraies ou non a finalement peu
d’importance : constatons qu’elles renforcent la confusion entre réalité et fiction en agissant
comme un making off, ce que le film en lui-même est aussi.
On raconte ainsi que la fameuse pluie de la chanson éponyme était un mélange d’eau et de lait
afin d’être plus visible à l’écran et qu’elle a fait rétrécir le costume en laine de Gene Kelly. On
dit aussi que Debbie Reynolds, imposée par le producteur Louis B. Mayer, ne savait pas danser
et que Gene Kelly, très perfectionniste, la fit travailler jusqu’à l’épuisement pour les scènes
de danse. Fred Astaire l’aurait retrouvée en pleurs sur un studio de tournage à la suite d’une
remarque peu aimable de Kelly. La prenant sous son aile, il lui aurait donné quelques cours de
danse. L’épuisement de Debbie Reynolds est tout à fait plausible, et il est aussi question de
courbatures pour Donald O’Connor qui aurait mis plusieurs jours à se remettre du tournage
de la scène très acrobatique où il chante « Make ‘Em Laugh ». Tous craignaient les exigences
de Gene Kelly, prompt à passer un savon aux acteurs pendant le tournage, en maître d’œuvre
intransigeant.
Enfin, pour tourner la scène du rêve, Cyd Charisse aurait dû apprendre à fumer, ce qu’elle ne
refit plus jamais de sa carrière… À l’époque, c’était « glamour »…
Technique de doublage
Si l’intrigue du film repose sur la question du doublage sonore qui falsifie l’identité des acteurs
jusqu’à la révélation finale, on constate qu’il n’est pas lui-même exempt de falsification.
En effet, Debbie Reynolds, la doublure, est elle-même doublée par Betty Noyes qui interpète
« Would You » et « You Are My Lucky Star » pour la bande-son du film.
Par ailleurs, une des chansons phares du film, « Make ‘Em Laugh », est un plagiat de la
chanson de Cole Porter « Be a Clown » dont les paroles ont à peine été modifiées. Que cela
n’entache pas la réputation du film : le doublage pour les chansons est une pratique très
courante dans la comédie musicale et Cole Porter n’a jamais porté plainte pour plagiat. Bref,
on peut continuer sans remords à chanter sous la pluie !
Parti pris
Gene Kelly sur la comédie musicale
« Ce que l’on fait à la scène […] est beaucoup plus facile qu’une chorégraphie pensée pour
la caméra. Si l’on perd la présence vivante du danseur, on a un autre espace à conquérir, à
exploiter, sans compter les infinies possibilités du décor et de la couleur. Je crois qu’il faudrait
toujours tendre à appliquer cette proposition simple quand il s’agit de danse pour le film : faire
ce qui n’est pas possible au théâtre. »
In Cinéma 60, n° 50, Paris, octobre 1950.
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Singin’ in the Rain
Gene Kelly & Stanley Donen
Matière à débat
Ne pas confondre réalité et fiction
Le film est un exemple accompli d’auto-réflexivité : c’est un film sur le tournage d’un film,
« le duelliste chevaleresque », avec Lockwood et Lamont. Le cinéma fait donc ici référence
à lui-même et à ses propres modalités de fabrication (plateau, décors, techniciens, consignes
données aux acteurs...), présentant comme un jeu de miroir, « un film dans le film »,
une « mise en abyme » comme on dit. Ce dispositif scénaristique interroge les rapports
que le cinéma entretient avec le réel. Si la comédie musicale revendique une certaine artificialité
– il est peu réaliste que, lors d’un dîner entre amis, vous vous mettiez soudain à faire
un numéros de claquette –, il y a dans ce film, aussi, un réalisme certain car cette artificialité
est justement dévoilée : on voit les personnages évoluer sur des plateaux, rater des prises,
faire des cascades…
Le personnage de Lina se lit alors comme une métaphore de la confusion que le cinéma
peut provoquer entre fiction et réalité. Comme son duo avec Don Lockwood fonctionne bien
médiatiquement (on dirait aujourd’hui qu’ils sont « bankable »), les producteurs, pour répondre
aux fantasmes de leur fans, leur demandent de donner l’impression qu’ils sont également un
couple dans la vie. Le sourire forcé de Don, les mimiques grotesques de Lina, autant de mises
en scène ; mais Lina ne parvient plus à maintenir la frontière entre elle et son personnage et
pense que Don est véritablement amoureux d’elle…
Le film interroge donc le « star system » qui consiste à créer de toutes pièces une image
de l’acteur qui n’est qu’une mise en scène de sa vie privée à des fins promotionnelles, et la
construction médiatique d’une identité plus ou moins en rapport avec les rôles qu’il interprète
au cours de sa carrière. Dans cette confusion des rôles généralisée, il arrive que certains
acteurs ou spectateurs se perdent. La comédie musicale contribue sans doute à cette perte
des repères, puisqu’elle repose sur un monde idéalisé, onirique ou fantasmé. Mais la machine
à rêve a parfois son revers, et Cyd Charisse n’est pas toujours au rendez-vous…
« The show must go on » : une perfection en mal de reconnaissance
Envoi
La comédie musicale souffre d’un certain déficit d’image, même si un « revival » récent
confirme qu’elle est un genre « qui marche ». Si personne ne conteste plus que Chantons
sous la pluie est un chef-d’œuvre, le « musical » américain a parfois été vu comme
un divertissement qui ne saurait prétendre à la légitimité du grand Art. Pourtant, saluons
la performance que constitue le film : performance dans le domaine de la danse,
mais aussi du chant, des claquettes, du jeu. La polyvalence des acteurs est remarquable,
le spectateur apprécie. Doit-on, parce qu’il s’agit d’un spectacle accessible à tous dont
l’ambition assumée pourrait se résumer au titre de la chanson « Make ‘Em Laugh », considérer
que l’on s’éloigne de l’Art ? La question de la légitimité artistique se pose, à la jonction entre
esthétique, maîtrise technique, popularité et divertissement.
Passerelles
À voir
Sunset Boulevard
de Billy Wilder :
une évocation tragique
de l’oubli dans lequel
sont tombées certaines
stars du muet à l’arrivée
du parlant.
Barbar a L aborde
•Sur le film « Singin’ in the Rain », par Claude Chabrol in Cahiers du cinéma, n° 28, Paris, novembre 1953
•Sur Stanley Donen
« Talking in the sun », entretien avec Colo et Bertrand Tavernier, in Positif, n° 111, Paris,
décembre 1969
•Sur la comédie musicale
Chion (Michel), La Comédie musicale, Cahiers du cinéma / Scéren-CNDP, 2002
Jullier (Laurent), Le Son au cinéma, Cahiers du cinéma / Scérén-CNDP, 2006
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