"gastronomie" dans la promotion d`une destination touristique
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"gastronomie" dans la promotion d`une destination touristique
Association de Science Régionale De Langue Française LA "GASTRONOMIE" DANS LA PROMOTION D’UNE DESTINATION TOURISTIQUE : DE L’IMAGE AUX LIEUX DE PRATIQUES. (ANALYSE COMPAREE DE LA NORMANDIE ET DE LA BRETAGNE) SCHEFFER Sandrine Université d’Angers, département ESTHUA, UMR ESO 6590 Angers [email protected] PIRIOU Jérôme Université d’Angers, département ESTHUA, UMR ESO 6590 Angers [email protected] Résumé : Le contexte de concurrence entre les territoires pousse les acteurs économiques et institutionnels, notamment dans le secteur touristique, à adopter des comportements stratégiques adaptatifs fondés sur la différenciation. Cherchant à promouvoir leur destination, les professionnels du tourisme tendent à en explorer et en valoriser les spécificités et axent leur stratégie de communication notamment sur les caractéristiques propres de l’identité des lieux. Dans ce contexte, cultures culinaires et alimentaires sont souvent perçues comme des ressources pertinentes de valorisation des destinations en raison de leur charge identitaire. Notre communication propose ainsi d’établir un constat de terrain concernant l’intérêt que porte la ressource « gourmande » en terme de promotion touristique. Il s’agit en outre d’en apprécier la place dans la promotion des destinations, d’en analyser les logiques de structuration et d’articulation notamment avec la construction de l’offre touristique sur les lieux de pratique. Cette première étape nous permettra de faire apparaître toute la complexité et la subtilité des liens entre tourisme gourmand et destination. Mots clés : cultures culinaires et alimentaires, destination, tourisme gourmand, promotion touristique, acteurs, lieux, pratiques. Introduction L’intégration des cultures alimentaires et culinaires dans la promotion des destinations touristiques n’est certes pas chose nouvelle. Il suffit pour cela de s’intéresser quelque peu à l’histoire du tourisme, aux écrits littéraires et premiers guides gastronomiques qui à leur manière liaient l’attractivité d’une destination à la qualité des restaurants et des cuisines régionales, ou plus simplement aux produits emblématiques de nos contrées. Il suffit aussi d’écouter les propos de professionnels du tourisme qui à la question du « depuis quand » répondent simplement « depuis toujours ». Il s’agit certes de dires d’acteurs, d’une relation perçue et pourtant à la fois évidente et floue, tout au moins énigmatique si l’on interroge et considère de plus près la question du tourisme gourmand et de ses articulations avec la notion de destination. De ce point de vue, et paradoxalement peut-être, les recherches en la matière n’ont encore retenu que trop rarement l’attention des chercheurs et restent segmentées tant d’un point de vue disciplinaire que thématique. Néanmoins, l’analyse bibliographique récente sur le sujet atteste d’avancées sur les rapports entre tourisme et découverte gustative tant du point de vue du rayonnement d’une destination que des rapports entre alimentation et pratique touristique. Par ailleurs, les notions de destination et d’attractivité d’une part, de tourisme et de développement territorial d’autre part font l’objet de travaux interdisciplinaires particulièrement intéressants. Ainsi, les rapports entre ressources, patrimoine culturel et développement territorial ont été largement développés par de nombreux chercheurs. Certains travaux menés en économie spatiale et en géographie ont porté sur l’intérêt des « produits de terroir » dans la mise en œuvre de stratégies de développement territorial, abordant la question du tourisme notamment à travers l’image positive véhiculée par ces produits dans la qualification et d’une certaine manière, la « consommation » des lieux. En ce sens, les enjeux économiques, mais aussi patrimoniaux liés à la valorisation des produits de terroir, y compris par le tourisme ont pu être mis en lumière. Ces travaux ont été complétés par des historiens, ethnologues, sociologues, gestionnaires et géographes sur la relation étroite existant entre alimentation, gastronomie et tourisme en particulier dans le rayonnement des lieux touristiques (capitales telles que Montréal ou San Sebastian, régions telles que la Toscane). Ces travaux ont ainsi pu permettre des avancées certaines sur la qualification du tourisme gourmand, mais aussi sur l’alimentation dans la pratique touristique en en signifiant tout autant le caractère indissociable que le rôle moteur dans l’imaginaire des touristes. Le patrimoine alimentaire et culinaire apparaît alors comme l’une des composantes du voyage, du moment projeté, vécu ou retrouvé par les touristes, participant de la qualification même de la destination dans ce rapport affectif et nous dirions presque sensible aux lieux. Pour autant, la question des articulations entre destination et tourisme gourmand n’a finalement pas été abordée frontalement tout au moins selon une approche centrée sur la définition même du tourisme en tant que « système d’acteurs, de lieux et de pratiques ». Peu de travaux ont, à notre connaissance porté, à travers le thème des processus de construction de la destination touristique, sur une analyse compréhensive du jeu des acteurs endogènes et exogènes dans leurs articulations avec le lieu tel que promu touristiquement. Notre objectif de recherche consiste ainsi à confronter les différentes composantes de la valorisation touristique d’une destination « gourmande » allant du discours promotionnel et des intentions stratégiques d’acteurs institutionnels, à la construction de l’offre touristique (prescripteurs, prestataires) et la pratique des touristes. Il s’agit en particulier de proposer une méthode d’analyse systémique permettant d’élaborer un diagnostic reposant sur plusieurs niveaux d’approche complémentaires (analyse des stratégies de promotion touristique, analyse multi acteurs et multi niveaux des modes d’émergence, de gouvernance et de développement des initiatives de valorisation, analyse des pratiques), dans l’optique d’étudier d’une part la pertinence de la valorisation du patrimoine gastronomique dans la promotion d’une destination touristique, d’autre part les freins et facteurs de développement d’une offre sur le segment.1 Notre communication propose d’établir un constat de terrain concernant l’intérêt que porte la ressource « gourmande » en terme de promotion c'est-à-dire une communication destinée à engendrer un comportement d’achat d’une destination touristique. Nous nous sommes donc intéressés dans ce premier temps à l’approche de la destination et les informations véhiculées à ce sujet à travers une analyse fine des supports promotionnels ainsi que des enquêtes approfondies auprès des professionnels du tourisme et de prestataires aux différents échelons géographiques des deux régions étudiées (lieu, intercommunalité, pays touristique, département, région). Il s’agit ainsi d’apprécier la place de la thématique dans la promotion des destinations et d’en analyser les logiques de structuration et d’articulation notamment avec la construction de l’offre touristique sur les lieux de pratique. Cette première étape nous permet en outre de faire apparaître toute la complexité et la subtilité des liens entre tourisme gourmand et destination. I. Stratégies de valorisation et ressources du territoire : quelle place pour les produits alimentaires et la découverte gustative, quels discours, quels lieux ? 1. La valorisation touristique des spécificités locales ou régionales 1-1 Un contexte concurrentiel significatif entre destinations touristiques Le contexte de concurrence entre les territoires pousse les acteurs économiques et institutionnels, notamment dans le secteur touristique, à adopter des comportements stratégiques adaptatifs fondés sur la différenciation. Ces stratégies sont d’autant plus marquées dans le secteur touristique que la demande d’information est importante et que les formes et pratiques de tourisme ont évolué (Charles, Thouément, 2007). S’appuyant sur des outils, des produits, des structures institutionnelles et des formes organisationnelles somme toute relativement similaires, les acteurs du tourisme axent notamment leur stratégie promotionnelle à la croisée des spécificités locales ou régionales et des termes identifiés de la demande dans l’optique de capter les flux sur la destination visée. En ce sens, la destination touristique serait tout autant un espace à promouvoir, que le lieu où veulent se rendre et séjourner les touristes. Elle résulterait de regards croisés des populations résidentes et temporaires, d’une projection anticipative à la fois « concept » marketing et lieux rêvés par les touristes. Les acteurs agissant dans la construction d’offres touristiques doivent donc établir un jeu de séduction pour persuader de la qualité des lieux et de l’intérêt des territoires à intégrer par les touristes dans leurs pratiques. Il s’agit dès lors, pour les acteurs du tourisme, de définir leurs axes de communication et de construire leur offre dans l’optique : i) de générer l’attractivité d’une destination, ii) de répondre à la pluralité des termes de la demande, iii) de s’inscrire dans les problématiques spécifiques du territoire en termes de concurrence et de complémentarité spatiales. Ces approches sont particulièrement nettes à la lecture des schémas directeurs de Bretagne et de Normandie. L’analyse du contexte fait apparaître à la fois l’importance de ce contexte concurrentiel et la nécessité de mettre l’accent sur ce qui différencie les destinations. Il s’agit alors à la fois de travailler sur l’essence même de la destination, on parle alors du contenu de la marque « Normandie » par exemple, et sur ce qui va déterminer la capacité à promouvoir une offre attractive, reposant notamment sur la qualité de service et l’efficacité organisationnelle. Ainsi, en Bretagne, il s’agit de définir l’identité de la destination, celle-ci étant résumée de la façon suivante : « Si la Bretagne n’est comparable à aucune autre destination, c’est parce 1 Cette communication s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche PSDR GO (Liproco) portant sur les démarches de valorisation des produits alimentaires et activités connexes fondées sur les proximités producteurs – consommateurs. Ce programme comprend un axe de recherche centré sur l’analyse des interrelations avec le tourisme, ce qui nous a conduit à engager la réflexion sur le thème de la valorisation du tourisme gourmand. qu’elle recèle des espaces, des paysages, un patrimoine, une culture, une langue, un climat qu’elle a toujours su revendiquer, défendre, préserver et qui participe à la fois de son image…et de sa magie. Mettre en lumière tous les aspects de sa personnalité, éclairer ses particularités, jouer de sa différence et de ses spécificités en fonction des publics auxquels elle s’adresse. » (Document cadre du schéma régional du tourisme – site Internet du CRT2 Bretagne printemps 2009 source). La Normandie quant à elle appuie sa stratégie de communication à partir d’un audit réalisé sur la destination à partir de 2005. Du résultat de cet audit est né un nouveau positionnement en termes de communication et de marchés : « La Normandie à vivre et à revivre » autour de trois axes que sont la liberté, la vie et la sensorialité avec un recentrage sur les notions d’expériences de vie et d’émotions liées à la destination. La thématique gastronomique, comprise comme l’un des axes emblématiques de la destination, s’inscrit pleinement dans cette logique, l’image de la Normandie étant clairement associée au bien recevoir, au bien manger. Les enjeux inhérents à ces stratégies de différenciation spatiale sont d’autant plus prégnants aujourd’hui dans le secteur touristique que les mobilités, la perception de la proximité ont considérablement évolué, révélant de nouvelles attentes vis-à-vis du territoire. La notion du rapport coût-distance-temps n’est plus la même, modifiant quelque peu la donne en matière de projets touristiques et d’attractivité des lieux. Il est en effet aussi facile aujourd’hui pour un britannique d’aller découvrir la gastronomie du sud-ouest de la France via un vol « low-cost » avec pour destination Bergerac ou Carcassonne, que de se rendre en Bretagne par ferry, par train (via Calais et Paris) ou par avion. Ce constat est confirmé par les professionnels du tourisme normands expliquant la nécessité de reconquérir les clientèles traditionnelles qui tendent à s’évader sur des distances plus lointaines : la concurrence entre destinations s’évalue à l’échelle internationale. Ces processus laissent donc à penser que d’un « côté le monde semble global ; de l’autre le multiculturalisme paraît sans limites » (Touraine, 1992 : 231). Il peut ainsi se créer une certaine tension entre le singulier et l’universel, l’objectif et le subjectif (Entrikin, 1991 ; Berdoulay, 1997) permettant cependant une intégration positive du local et du global (Massey, 1997). 1-2 La notion de ressource dans les stratégies de différenciation Dans ce contexte, les producteurs comme les professionnels du tourisme cherchent une meilleure visibilité auprès des touristes. Leur stratégie de promotion tend à s’approcher au plus près d’un équilibre alliant valorisation des spécificités locales ou régionales, qualité des lieux et de l’offre, adéquation à l’air du temps et à la demande des touristes. La notion de ressource est alors souvent mobilisée dans l’élaboration de projets de développement touristique. Celle-ci mérite néanmoins quelques précisions. En effet, si les ressources ou caractéristiques territoriales matérielles et/ou intangibles correspondent à un donné, permettent d’établir un potentiel d’offre et de promotion territoriale, elles n’acquièrent, du point de vue touristique, de matérialité que dans l’intention qui conduit à leur valorisation, aux jeux croisés des regards et pratiques entre local et global. Ces réflexions permettent alors de rejoindre les propos de J. Bonnemaison (1999) estimant que pour les professionnels du tourisme, la destination se construit en termes d’image à partir de la valorisation de ressources territoriales susceptibles d’être attractives pour les touristes, autrement dit à partir de caractéristiques propres de l’identité des lieux. On comprend dès lors que s’il y a « identité » il faut qu’il y ait un regard croisé, des populations résidentes et temporaires (Furt, 2006). Il s’agit donc, pour les professionnels, de considérer le choix de destination des touristes tenant compte pour certains chercheurs de l’affectivité (Valdez Muños, Chébat, 1997) mais aussi de l’intégrité d’une intention dépendante (Lussault, 2003 ; Violier, 2007). En outre, par la médiatisation croissante, les touristes entreprennent leurs mobilités de moins en moins vers l’inconnu intégral. Nous pouvons donc entendre que le touriste, bien qu’étant maître de son projet de recréation, peut faire l’objet de suggestions via les acteurs locaux, mais aussi que toute ressource, au regard des pratiques touristiques n’est pas bonne à 2 Comité Régional du Tourisme prendre. A ce titre, nous devons souligner que la ressource ne constitue en rien une condition de réussite des projets de développement touristique, certains projets réussis ne s’appuyant aucunement sur les ressources du territoire, d’autres au contraire, valorisant à tout prix des ressources locales mais ne trouvant finalement pas écho auprès du public (P.Violier, 2008). La ressource apparaît alors comme une possibilité de valorisation parmi d’autres, un recours, un moyen présent ou à inventer pour répondre à un problème donné. Elle ne doit son existence effective qu’à sa valorisation, sa découverte, redécouverte ou invention (S.Lardon et al, 2007). Elle repose sur l’interaction entre processus naturels et processus sociaux qui lui attribuent un statut de ressource ayant un sens, une valeur d’usage. Elle est en ce sens produit et résultat. 1-3 Produits et cuisines : des ressources valorisables ? Dans la logique de promotion d’une destination touristique, cette notion de ressource prend néanmoins toute sa mesure. Il s’agit de promouvoir les caractéristiques du territoire en ce qu’elles sont touristiquement exploitables, c'est-à-dire correspondent à la fois à une offre réelle sur le terrain et des intentions de pratiques, de mobilités pour les touristes. De ce point de vue, les cultures culinaires et alimentaires sont perçues par les professionnels du tourisme comme autant de ressources « patrimoniales » valorisables en raison de leur charge identitaire, de leur réalité économique, mais aussi d’une demande croissante des consommateurs – touristes. En effet, l’alimentation fait partie intégrante de la pratique touristique, de la découverte de l’autre et de l’ailleurs. Goûter les productions locales répond à la quête de ce qui fait l’originalité des régions traversées. Promouvoir les cultures culinaires et alimentaires, c’est aussi promouvoir et permettre l’accès à l’identité du pays, favoriser la prise de conscience des touristes au regard de leurs propres valeurs culturelles et contribuer à la formation de l’image de la destination. C’est en ce sens que produits et cuisines portent une certaine qualité des lieux. Corrélativement, les paysages et les lieux montrent et témoignent de cette qualité (Etcheverria, 1999). C’est aux lieux et à ce qui les différencie que certaines populations se réfèrent pour dire ce qu’elles sont (Claval, 1996). Il n’est donc pas surprenant que le territoire puisse, dans l’imaginaire des touristes être identifié par le produit ou la cuisine et inversement, renvoyant par là-même aux processus historiques, géographiques et sociaux de construction de notoriétés reposant sur la qualification conjointe des produits, des cuisines et des territoires. Cette notoriété acquise et valorisée constitue alors un élément moteur d’explication de ces liens tant dans la projection effectuée par les touristes que dans la promotion du territoire. A ce titre, l’exemple de Cancale est tout à fait intéressant. Cancale a été reconnue « site remarquable du goût » en 1994 par le Conseil National des Arts Culinaires pour la qualité et la renommée de ses huîtres et de son environnement. L’exploitation de ce coquillage remonte en effet au XVIIe siècle tel qu’en témoigne le directeur de l’office du tourisme, soulignant le lien étroit entre produit et lieu : « du temps de François Ier, Cancale a reçu le statut de ville grâce à ses huîtres. Elles arrivaient deux fois par semaine sur la table du roi ». Aujourd’hui, ce sont quatre-vingts entreprises qui fournissent plus d’un cinquième de la production française. Audelà de cette dimension économique autorisant l’exportation de l’huître en dehors de la zone de production et donc une visibilité du produit, Cancale, située face au Mont St Michel sur la côte d’Emeraude est par ailleurs un lieu très touristique où se concentre une offre thématique particulièrement riche dans un cadre paysager et environnemental attractif. Nous pourrons ainsi souligner dans la lignée de la promotion réalisée par l’office du tourisme l’existence d’une cinquantaine de restaurants (dont la présence médiatique d’Olivier Roellinger) qui proposent leurs spécialités autour des produits de la mer, d’une ferme marine, de visites organisées autour de parcs à huîtres, mais aussi de balades nautiques gourmandes, de sentiers thématiques, d’un marché spécifique ouvert tous les jours sur le port où les producteurs proposent vente et consommation sur place : « C'est toujours intéressant de connaître les détails de leur culture et comprendre l'économie locale », commente Frédéric venu de Saint-Etienne. (Penault, 2008). Dans le même ordre d’idée, et à la question de la qualification de la destination gourmande, les quelques témoignages recueillis sont particulièrement intéressants. Le lien s’établit le plus souvent à partir de certains produits de forte notoriété, d’une concentration géographique significative en termes de productions ou de cultures culinaires emblématiques mais aussi en termes de lieux de pratiques (visites de sites et de lieux de production, marchés, restaurants, événements etc.). Ainsi, citant des destinations gourmandes, le Sud-Ouest, l’Alsace, la Bourgogne, la Champagne Ardennes, la Bretagne ou la Normandie ont été spontanément mentionnées par les professionnels du tourisme. Leur argumentaire repose soit sur la référence à des lieux précis dont l’image est associée à un produit tels que pour la Normandie, Livarot, Vire (l’Andouille), Camembert ou Caen (Les tripes à la mode de…), soit sur des espaces de concentration plus vastes mais caractérisés par une certaine unité en termes de territoire et/ou de couple produit/territoire (Pays d’Auge, Périgord, Calvados – en raison du célèbre breuvage portant le nom du département, Champagne), ou encore sur des produits dont la diffusion géographique est plus importante et donc associés à un espace plus vaste en termes d’image. On parle alors de connotation, de sens attribué à l’image de la destination. C’est par exemple le cas du Sud-ouest qualifié par la production de palmipèdes gras et relié à des sous-ensembles géographiques plus spécifiques tels que le Périgord, le Gers ou les Landes (on se réfère alors aux marchés au gras, au contact avec les producteurs, à l’art de vivre), mais aussi le Bordelais pour les vignobles (visites de caves). C’est aussi le cas de l’Alsace citée pour la choucroute et la route des vins. C’est enfin celui de la Bretagne et de la Normandie où le regard croisé des acteurs endogènes et exogènes se caractérise par un accord sur l’identification du lieu à travers certains produits particulièrement emblématiques. Le territoire peut ainsi véhiculer un certain nombre de symboles dans la mesure où il porte le sens qu’un individu ou un groupe lui prête (Monnet, 1998). La destination normande est d’abord qualifiée à partir des produits de la terre (fromages, produits cidricoles) et tirée par le Pays d’Auge (même si de nombreux touristes viennent consommer des plateaux de fruits de mer sur la côte avec des visites de sites ostréicoles notamment dans la Manche). La Bretagne est quant à elle plutôt qualifiée à partir des produits de la mer (poissons, crustacés), mais aussi à travers les crêpes et galettes suivies des primeurs qui sembleraient constituer les ressources gastronomiques pour les touristes. Il est à ce titre intéressant de relier ce mode de communication à une image plus large de la destination, aux pratiques et aux formes de tourisme qui sont représentées. Ainsi, ce qui identifie plus particulièrement la Bretagne est le milieu littoral, les espaces côtiers concentrant l’essentiel des flux touristiques. L’approche est certainement plus diffuse en Normandie où certes les zones côtières sont particulièrement touristiques mais ne sont pas les seules en raison de l’attractivité et de l’image de terre nourricière véhiculée par certains espaces plus intérieurs. C’est d’ailleurs en ce sens que la promotion de la Normandie destinée aux marchés lointains et notamment états-uniens est celle d’un « concentré » de France avec l’image archétypique de la campagne française telle que portée par le Pays d’Auge. C’est aussi en ce sens que le CRT de Normandie développe pour les mois à venir un projet de site Internet « Normandie nature » dédié à la Normandie de l’intérieur et centré sur les thématiques du développement durable, de l’authenticité (et notamment des produits de terroir, de la rencontre avec les « gens du cru »), du cheval et de la randonnée. Ainsi, dans la construction de l’image d’une destination, la dimension gourmande constitue un élément important d’identification des lieux, de projections symboliques en termes d’expériences à vivre. Les enquêtes menées sur la question, de même que le ressenti des professionnels du tourisme sur le sujet montrent certes que la découverte gustative ne constitue que rarement la dimension première des motivations de séjours, néanmoins et en particulier pour certaines destinations, elle est perçue comme importante ou incontournable. Elle tend même à se développer et à se diversifier dans les pratiques réalisées par les touristes, elle correspond à une demande à laquelle les professionnels du tourisme tendent à répondre par la structuration progressive de l’offre. Les témoignages recueillis sur la question sont à ce titre assez clairs et montrent toute la subtilité de la question. En effet, il apparaît que si les touristes ne viennent pas (pour la majorité d’entre eux) explicitement en Normandie pour en découvrir la « gastronomie », ils viennent avec cette image du bien vivre et du bien manger (ce qui est particulièrement le cas des touristes français et belges). Il est donc essentiel, à dire d’acteurs, qu’ils puissent avoir accès aux produits, rencontrer les producteurs, vivre les émotions gourmandes préalablement imaginées. Cette dimension de l’offre touristique est d’autant plus importante aujourd’hui en termes de promotion, voire de différenciation spatiale qu’elle semble traduire une évolution profonde des pratiques touristiques et plus largement des séjours sur le territoire normand si l’on inclue (fait important dans la région), les résidences secondaires occupées régulièrement du fait de la proximité avec la région parisienne. Selon les témoignages recueillis, les touristes sont en quête d’authenticité, de vrai, d’expériences vécues et partagées, d’immersion au cœur de la destination. Il s’agit d’un public sensibilisé qui ne se contente plus de la promenade mais cherche à découvrir, à saisir l’esprit des lieux. Sur le plan des produits alimentaires, ils vont alors chercher du lien, de la qualité, de la fraîcheur, mais aussi une certaine forme de réassurance de retour aux sources, de quête d’origine dans un contexte de remise en question des modèles standard et d’évolution profonde des pratiques de consommation. Il n’est donc pas rare, pour les destinations rapidement accessibles que l’on vienne dans l’Orne ou en Pays d’Auge faire ses courses au marché pour la semaine (Mortagne au Perche attire ainsi beaucoup de producteurs du fait du succès auprès des résidents du week-end). En ce sens, la mise en scène de la qualité influe sur l’image valorisante et attractive de campagne du bien-vivre et du bien manger (la qualité « terroir »). 2. Quelle place pour le tourisme gourmand dans la promotion de la destination ? 2-1 La promotion du tourisme gourmand : des approches différenciées Si le patrimoine alimentaire et culinaire constitue effectivement une ressource valorisable sur un plan touristique, il est intéressant désormais de s’intéresser plus avant à la place de cette thématique dans la promotion des destinations touristiques, à ce qui en est dit et aux modes de structuration de l’offre sur laquelle les professionnels du tourisme s’appuient. En Bretagne comme en Normandie, produits et cuisines constituent une thématique transversale de communication significative voire importante, tout au moins à l’échelon régional. L’analyse approfondie des sites Internet, complétée par nos entretiens auprès des responsables de la promotion touristique nous a permis de saisir non seulement les logiques à l’œuvre, mais aussi d’en comprendre les orientations en termes de discours et d’offre sur le territoire. En outre, nous avons pu identifier des différences très claires entre les deux régions concernant l’approche même de la promotion touristique. En Bretagne, le Comité Régional du Tourisme définissait jusqu’à présent tous les deux ans un thème central sur lequel il axait à la fois la promotion de la destination et tout un travail de valorisation touristique à diffuser sur l’ensemble du territoire. Ce thème phare, apparaissait sous une forme événementielle destinée à capter l’attention de la presse et des touristes. Il permettait alors de concentrer de façon significative les moyens financiers et humains destinés à traiter cette dimension de la valorisation touristique durant la période donnée, sans pour autant occulter les autres axes d’identification de la destination. Selon cette logique, il apparaît qu’un événement culturel, de quelque manière qu’il soit présenté, favorise l’émergence d’un lieu s’il bénéficie d’une notoriété conséquente. De cette manière, l’identité permet l’accession à un espace public, voire à un espace pour les différents publics et de passer d’une relation exclusive à universelle dans un processus transitionnel qu’opèrent les touristes, en tant qu’acteurs exogènes en se rapprochant des acteurs endogènes (Di Méo, 1991) : « ainsi transcendé l’espace qui décrit la fête […] stigmatise et consolide l’identité collective… » (Di Méo, 2001 : 24). Le Comité Régional du Tourisme de Bretagne a donc utilisé le thème de la gastronomie comme symbole de l’identité bretonne, construisant leur stratégie de valorisation et de communication pour les années 2006 et 2007. Cette dernière a été choisie dans le prolongement de l’attribution d’une nouvelle étoile au chef Olivier Roellinger à Cancale comme le précise Jean Paul-Abadie, chef cuisinier à Lorient et président de l’association « Tables et Saveurs de Bretagne » : « La consécration d'Olivier a provoqué une explosion de joie générale. Pour la Bretagne, c'est une image fabuleuse. Et même pour le Grand Ouest, qui n'avait jamais été distingué de la sorte en un siècle. » (Guellec, 2006). Cette campagne a été relayée par les départements afin d’assurer une diffusion spatiale et une continuité thématique de la démarche notamment à travers le logo « La Bretagne à croquer » (décliné par département) identifiant un espace dédié à la thématique au sein des sites internet. Audelà de la promotion touristique, cette campagne a été l’occasion de développer un certain nombre d’actions en faveur de la lisibilité de l’offre thématique sur la région. Aujourd’hui, la « gastronomie » constitue l’un des onglets thématiques du CRT, figurant en bonne place dans la déclinaison des « envies » proposées pour la destination. On pourra néanmoins noter que la transversalité affichée par le thème reste relativement cloisonnée dans la communication dans la mesure où elle apparaît uniquement au niveau de l’onglet dédié au thème. En 2009, la gastronomie constitue désormais une thématique parmi d’autres dans la promotion touristique de la destination bretonne. En réalité, la mise en avant de la « gastronomie » semble traduire un souci récent d’investir plus fortement la thématique dans la région. L’objectif est d’en renouveler l’image et de compléter quelque peu l’offre traditionnelle répondant aux pratiques dominantes des touristes davantage centrées sur la balade et les loisirs de plein air des espaces littoraux. De fait, s’appuyant sur certains points forts en termes d’image liée à la destination (restaurateurs de renom, produits de la mer, crêpes et galettes, primeurs), le Comité Régional du Tourisme valorise les caractéristiques de son territoire tant en terme de spécificités locales que d’offre touristique. En Normandie, la thématique n’est pas abordée frontalement sous l’angle de l’événementiel tout au moins au niveau du site Internet. La découverte gustative en Normandie constitue depuis de très nombreuses années un axe de communication important, récurrent, forgeant aux côtés d’autres thèmes structurants, l’image de la destination. Conçu et perçu comme un produit d’appel, le patrimoine alimentaire et culinaire est omniprésent et identifié en tant que tel au sein de différentes rubriques du site Internet, y compris dans la rubrique dédiée à l’événementiel. Dès la page d’accueil, le message est clair sur le plan identitaire : « La Normandie est comme ses pommiers : les racines bien en terre, le front tourné vers la mer. » (Guy de Maupassant). Cette approche récurrente et forte de la thématique, présente au niveau des différents supports promotionnels, n’exclue en revanche pas la création d’événements dans la communication touristique autour du thème de la découverte gustative. En effet, la promotion, ce sont aussi pour le CRT en particulier, toutes les actions de communication réalisées à destination des différents marchés internationaux. A ce niveau, outre les actions suscitant des articles de presse, on se déplace, on se donne à voir, on mobilise fortement la profession : restaurateurs, producteurs, entreprises de transformation viennent à l’occasion de dîners de gala ou de salons professionnels, montrer leurs produits et leur savoir faire. Ils viennent, dans ce moment d’échange et de plaisir, apporter la preuve de leur originalité et de leur compétence : le goût se fait spectacle, convivialité, partage. Pour certains marchés tels que la Grande Bretagne, la Belgique ou la France, la découverte gustative, le patrimoine alimentaire et culinaire constituent des vecteurs centraux de la promotion touristique de la destination. 2-2 Quel discours pour quelle promotion ? Au-delà de ces primes différences liées aux stratégies mises en œuvre et à la construction progressive de l’image des destinations, l’analyse du discours, de ce qui est dit du tourisme gourmand est particulièrement révélateur du positionnement effectif des régions sur la thématique. Ainsi, de façon transversale et commune, les deux régions abordent le sujet principalement à partir des produits, voire de recettes emblématiques ou de créativité culinaire. On revendique clairement une identité, un enracinement culturel, une unicité de la destination : la thématique participe de la description des caractéristiques spatiales, des fondements mêmes de la destination. Nous pourrions donc penser que produits et cuisines constituent un agrégat de l’offre culturelle voire même artistique de l’espace à promouvoir. Selon Armand Frémont, il n’est d’ailleurs étranger à personne que persiste un certain désir d’enracinement alors qu’en même temps les hommes sont attirés par le mouvement (Frémont, 1988). On peut ainsi comprendre que le développement culturel peut être à la fois vecteur d’enracinement et de dynamisme : la culture permet la promotion du patrimoine et la valorisation des lieux, tout en étant un outil de modernité et d’ouverture. C’est dans ce sens qu’un groupement de grands chefs associé au Comité Régional du Tourisme de Bretagne ont attribué un prix « Arts et Saveurs de Bretagne » à un plasticien Debesh Goswami qui a voulu « faire naître une image évoquant la mer. Un paysage éphémère. La nourriture en tant que matériau est le témoin du cycle vital » (Guellec, 2006). Cet enracinement culturel, présenté comme l’essence de la destination, est qualifié dans une relation étroite qui lie les hommes, les produits et les territoires. En Normandie, l’onglet dédié à la « gastronomie » est clairement positionné : « goûtez la Normandie ». A partir d’une entrée centrée sur une liste de produits phares montrant la diversité et la richesse des productions normandes, le discours porte sur le plaisir gustatif, sur le foisonnement, la terre nourricière avec un effet de masse recherché, permettant le passage immédiat du produit brut à sa transformation culinaire et aux plaisirs que l’on suscite. Il s’agit là de partager littéralement la table des normands, de s’immiscer au cœur de la culture normande sous forme d’invitation: « Pour un normand, le bien manger est plus qu’une tradition… c’est un devoir ! Sa cuisine est simple mais, du lait et de la pomme il tire une profusion de produits qui habillent les plats d’une saveur naturelle. La Normandie est présente sur tous les fronts et c’est l’une des rares régions à offrir des repas entiers et variés de l’entrée au dessert, sans oublier les boissons. » (Site Internet du CRT – printemps 2009). Ce discours très évocateur (et porteur du point de vue de l’évolution des pratiques précédemment décrite) s’inscrit pleinement dans la relation aux lieux. Celle-ci s’opère essentiellement à travers une iconographie, des paysages, mais aussi un discours décrivant la campagne normande en tant que terre productive, la douceur de vivre, le bien-être ou l’authenticité. En Bretagne, le discours est relativement proche. Il s’agit de qualifier une « Bretagne à croquer » déclinée en familles de produits et de spécialités fortement ancrées aux lieux telles qu’en témoignent à titre d’exemple les trois extraits suivants (site Internet, printemps 2009): « Paysan courbé sur la terre sableuse à oignons d’Erdeven, femme binant les rangées de pommes de terre aux fleurs blanches sur les sillons de Belle-Ile, coupeur de choux-fleurs au milieu d’une végétation aux nuances mer d’écume, ce kaléidoscope de couleurs, d’attitudes, de gestes montre combien la Bretagne est légumière. » ou à propos des crêpes et galettes « Pourquoi leur image reste-t-elle si étroitement liée à la Bretagne, à un point tel que l’on finisse par croire qu’elles y ont été inventées ? La plupart des Bretons prétendront qu’elles procèdent de leur identité culturelle, qu’elles appartiennent à leur mémoire collective et qu’elles relèvent avant tout d’un art de vivre. ». Cette identité est complétée par une position forte sur l’excellence des chefs et donc de l’offre culinaire : « Une brise gourmande souffle sur la Bretagne. Régulièrement distingués par les guides gastronomiques, les chefs bretons ont le vent en poupe. Salées, sucrées ou iodées, les saveurs de Bretagne sont multiples. Lorsqu’un artiste comme Roellinger se pique de les marier avec des épices colorées et parfumées venues d’ailleurs, l’accord inattendu se révèle plus que parfait. » Une certaine proximité dans la logique d’approche de la thématique est donc manifeste entre les deux régions. Cette logique est pilotée par la volonté explicite de valoriser cet ancrage territorial des spécificités décrites, en ce qu’elles ont de non reproductible en un autre lieu, d’unique. Cette unicité est vécue comme un axe fort de la différenciation entre les destinations, des fondements de leur attractivité. C’est en ce sens que les témoignages recueillis ont exprimé les axes de cette différenciation sur la thématique. Ils ont ainsi souligné le fait que de nombreuses régions se caractérisent par une certaine richesse en termes de productions agricoles et alimentaires, de spécialités locales. A titre d’exemple, le cidre est présent aussi bien en Bretagne qu’en Normandie, le breuvage en tant que tel, ne constituant alors pas un vecteur de différenciation entre les deux destinations. En revanche, lorsque ce cidre est identifié par une AOC, bénéficie d’une forte notoriété liée à un lieu, lorsqu’il est fabriqué à partir de variétés endogènes de pommes selon des savoir-faire et des techniques particulières et spécifiques du lieu, cela en modifie quelque peu l’approche. Lorsque parallèlement, il existe des traditions d’utilisation de ces produits bruts, soit sous forme de fromages de forte notoriété pour le lait, soit sous forme d’une transformation culinaire traditionnelle ou créative ; lorsque enfin, ces richesses peuvent être clairement localisées en termes d’offre et d’identité liée à un lieu particulier (Le Pays d’Auge, Cancale), produits et cuisines sont alors perçus comme porteurs de l’image du territoire dans cette relation entre identité locale et projections du global. Pour autant, si l’on approfondit quelque peu l’analyse du discours, certaines nuances permettent de distinguer les deux régions et laissent pointer des formes organisationnelles et un aboutissement distinct dans la mise en œuvre effective de la thématique gourmande. De ce fait, il apparaît clairement que si la présence de « produits phares » et emblématiques de la destination constitue un appui précieux en termes de valorisation, elle ne suffit aucunement à instituer le caractère gourmand d’une destination touristique. 2-3 La relation aux lieux Dans les deux cas, les caractéristiques spatiales sont principalement abordées à travers les produits, établissant le lien aux lieux à travers les activités productives, les systèmes d’acteurs localisés, une certaine notoriété liée au lieu, peu à travers la description des lieux en tant que tels. Néanmoins, cette relation est traitée différemment dans les deux régions. En Bretagne, la description des grandes familles de produits et des spécialités culinaires est abordée dans une relation explicite aux lieux, témoignant de la volonté d’aborder la richesse à travers les mosaïques paysagères, voire culturelles, induites par les orientations spécifiques en termes de production. La thématique est traitée à la manière des guides touristiques, ce qui se traduit d’une part au niveau du discours tenu, d’autre part dans l’articulation avec l’offre proposée. Dans le discours, elle s’opère à partir des savoir-faire, et dans une certaine mesure des modes de production, de la relation aux producteurs, mais selon une approche centrée sur la notion d’antériorité, sur le mode traditionnel et historique, sur celui du conte relaté, invitant à l’imaginaire. Ce discours est pondéré par celui de la performance, de la qualité, de l’innovation, (en particulier pour les productions légumières) mais sans détails techniques. Le public est d’une certaine façon, ainsi orienté en fonction de lieux précis sélectionnés en vue du séjour projeté. En effet, les spécialités alimentaires et culinaires sont présentées à l’échelle régionale comme des marqueurs de l’identité Bretonne, mais elles sont ensuite déclinées, rattachées à des lieux précis, des sous-ensembles géographiques dont on raconte l’histoire. C’est le cas des conserveries de poisson par exemple, c’est aussi le cas de la production légumière qui certes identifie toute la Bretagne en termes d’image, mais renvoie pourtant explicitement vers des bassins de production plus particuliers : « Le Haut-Léon, terre pionnière, a été rejoint par les maraîchers du pays nantais, très ancien bassin légumier, par ceux du Goëlo, du Clos-Poulet, de la Cornouaille maritime, des communes champêtres des terroirs lorientais, vannetais, guérandais. Le vieux massif armoricain est devenu un immense jardin posé sur l’océan, où la légèreté de la terre, favorisée par un climat adouci, permet de produire des quantités de légumes frais dont l’éventail impressionne les visiteurs de ses marchés » (site Internet du CRT de Bretagne, printemps 2009).Le lien avec les pratiques s’opère à travers les mentions dédiées à la mise en tourisme de ces spécificités locales. C’est le cas par exemple de la route touristique « Prince de Bretagne ». Les producteurs agricoles, regroupés depuis 1965 en Société d’Initiative et de Coopérations Agricoles (SICA) du Nord Finistère, porteurs de la marque « Prince de Bretagne » ont souhaité valoriser leurs produits à travers la création de cette route trans-départementale en 2000. Il s’agit d’un circuit de "sites de découvertes gastronomiques" (restaurants, distributeurs, producteurs) situé sur la bande côtière qui va de la pointe de Brest à St-Malo. Sur cette zone côtière, des panneaux signalétiques "Découvrez la route touristique et ses villes étapes" sont installés au printemps permettant d’attirer l’attention des touristes sur les paysages productifs, mais aussi d’identifier les partenaires. En Normandie, l’approche est relativement différente dans la mesure où finalement, ce n’est pas tant le lieu qui prédomine et qui est décrit à travers les produits, mais plutôt les pratiques possibles en relation avec la thématique. De ce fait, si l’on considère uniquement les produits, l’effet de masse recherché et décrit vise à qualifier la Normandie dans son unité, créant de prime abord un effet de continuité spatiale autour d’une identité commune. A l’instar de la Bretagne, la promotion thématique n’est pas organisée autour d’une segmentation claire entre description des spécificités locales et offre touristique. Une première approche permet d’identifier et de qualifier les productions, mais au-delà, les onglets proposés renvoient vers des liens invitant tantôt le public à approfondir ses connaissances sur le thème (filières de production, recettes de cuisine), tantôt à se concentrer sur les pratiques possibles en relation directe avec le thème (visites de sites, marchés, route touristique, séjours allotis, Bienvenue à la Ferme, achat direct de produits en ligne, événementiel etc.). Cette forme organisationnelle, finalement éclectique dans l’interface proposée, oriente assez clairement, bien que indirectement le visiteur dans la relation établie aux lieux. Les discontinuités spatiales transparaissent alors à travers les pratiques proposées aux touristes. Il s’agit en effet, au-delà de la description des caractéristiques spatiales, de guider le public vers les lieux, voire les sites d’accessibilité à ces produits. Or, dans cette relation particulière, le Pays d’Auge canalise une part importante de l’attention à travers la route du cidre qui est mentionnée (avec un lien), mais aussi l’iconographie, les recettes etc. De cette manière, le Pays d’Auge représente presque à lui seul l’identité gourmande de la Normandie, identité clairement assise sur une concentration importante en termes d’offre (nombreux sites à visiter, marchés de producteurs, vente directe à la ferme, restaurateurs, séjours etc.). Cette orientation n’est certes pas exclusive mais relativement significative de la façon dont il est possible de construire l’image d’une destination et ce d’autant plus que cette image ne constitue qu’un reflet fort partiel de l’offre et des pratiques effectives sur le territoire tel que nous le verrons un peu plus loin. 2-4 Au-delà de la promotion touristique, des modes organisationnels différents Ces approches distinctes dans la relation aux lieux et dans le caractère plus ou moins détaillé du discours tenu, constituent en réalité le reflet de modes organisationnels différents. En effet, en Bretagne, le site est structuré autour d’une approche strictement touristique. Le discours et les références données traduisent la volonté d’une « touristification » de l’offre sur le terrain dans une relation directe avec les acteurs partenaires ou prestataires. L’intérêt commun de la promotion s’opère au niveau des lieux de pratiques, peut-être davantage qu’à l’échelon d’un territoire institutionnel. Il ne s’opère pas nécessairement dans une optique de développement territorial transversal, même si les enjeux sont compris en ce sens. Par exemple, à Guérande, le tourisme, première activité économique constitue un moyen de communication important pour les paludiers et commerçants du sel. Aussi face à une difficulté de vente sur les marchés étrangers, la venue de part et d’autre des marais salants de touristes de tout horizon permet une certaine médiatisation et commercialisation du produit. Cependant à Guérande il s’agit d’un cadre de coopérative de producteurs, constituant un interlocuteur unique en terme de valorisation dans la promotion touristique. De fait, Il s’agit avant tout de promouvoir une offre touristique dans l’optique de valoriser, de diversifier, tout au moins de renouveler l’image de la destination. Cette logique explique la structuration de la communication sur le thème autour d’une double entrée par les caractéristiques territoriales, puis par les pratiques, dans une logique d’offre touristique, principalement portée par les acteurs du tourisme, en relais des prestataires locaux qui souhaitent promouvoir leur activité. En d’autres termes, l’intersectorialité inhérente à ces formes de valorisation s’opère essentiellement au niveau de la relation explicite entre prestataires et partenaires institutionnels du tourisme. Il n’existe à ce titre pas d’Institut de la qualité en Bretagne et les liens entre CRT et chambre d’agriculture sont faiblement formalisés, tout au moins à l’échelon régional. De ce fait, L’intersectorialité est peu mise en œuvre sur le plan institutionnel tels qu’en témoigne à titre d’exemple les renvois exclusifs vers les partenaires directs que sont notamment les associations de restaurateurs ou les marques portées par la Fédération des Pays d’Accueil Touristiques. En Normandie, l’approche est très différente et ce probablement en raison des modes organisationnels anciens liés à la valorisation touristique des productions régionales, mais aussi à l’image acquise de la destination sur ce thème et aux pratiques effectives et anciennes des touristes. En effet, cette valorisation est d’abord et traditionnellement portée ou accompagnée par les professionnels de l’agroalimentaire, soutenue en partie par les institutions régionales et départementales (il convient de noter que de très nombreuses initiatives d’ouverture au public s’opèrent en dehors des cadres institutionnels et ne sont pas nécessairement relayées par cette communication). En outre, les filières de production spécifiques constituent un axe de développement territorial relativement fort en Normandie, ce qui explique la création d’un Institut de la Qualité (IRQUA Normandie 3 ) chargé du développement et de la promotion de ces filières, mais aussi l’implication significative des chambres d’agriculture. Ce contexte explique en partie les orientations de communication du CRT normand, mais aussi les articulations particulières repérables au niveau des sites départementaux et des formes plus locales d’animation au niveau des pays. A l’échelon régional, les renvois vers les sites partenaires tels que la chambre d’agriculture pour le réseau Bienvenue à la Ferme, mais aussi aux échelons départementaux (les marques institutionnelles « Terroir »), et l’IRQUA à travers la marque « Bienvenue en Gourmandie » constituent les repères les plus visibles offerts au public en termes d’information sur les produits. Le discours est alors beaucoup plus étayé, technique, abouti. L’accent est plus particulièrement mis sur les caractéristiques techniques, la traçabilité des productions, leur rapport au terroir en même temps qu’ils invitent à la découverte gustative et au plaisir. Il ne s’agit en effet plus de dire sur un mode presque poétique qu’il existe une culture locale, il s’agit d’apporter la preuve de sa crédibilité, tout au moins une certaine assise dans une logique perçue des attentes d’un public sensibilisé, qui souhaite aller au delà. Ces liens ne sont à ce titre pas uniquement formels, ils traduisent sur le plan organisationnel la volonté de répartir, partager les compétences dans cette dimension intersectorielle, d’échanger les informations de manière à tenir un discours cohérent et à s’appuyer sur une offre garantie en termes de qualité (qualité des produits, qualité de l’accueil, lisibilité effective de l’offre pour les touristes). Cette démarche traduit, selon les témoignages recueillis, la volonté de répondre aux attentes d’information et de garanties du public, à sa curiosité manifestée lors de questions, dans leurs pratiques sur le terrain. Ce mode promotionnel pose néanmoins la question de la logique des touristes dans leurs démarches de sélection de l’information, de choix d’une destination. Certains interviewés ont certes exprimé le fait que cette information s’adresse à un public déjà sensibilisé sur la destination, sur les produits, un public qui cherche à en savoir davantage. Il serait donc dicté par une forme de réponse anticipée à la demande. Pour autant, la relation entre territoire vécu/décrit par la population locale et territoire imaginé/projeté par les touristes mérite approfondissement sur la qualification même de la destination et de ses caractéristiques. Finalement, l’analyse comparée des deux régions atteste de stratégies de valorisation distinctes liées à des modes organisationnels différents. Ces différences s’expliquent en partie par le contexte, les dynamiques à l’œuvre, l’image plus ou moins ancienne et construite de la destination sur le thème, par la structuration de l’offre sur le terrain, mais aussi par les pratiques touristiques. Celles-ci existent depuis longtemps en Normandie et correspondent à une certaine tradition de la relation directe à la production, à la terre nourricière, elles sont beaucoup plus récentes, voire suscitées en Bretagne à travers une logique d’offre. Au-delà de ce constat, il est particulièrement intéressant de souligner la distinction en termes de modes opérationnels, distinction visible dans la mise en œuvre de l’intersectorialité, fortement portée sur le plan institutionnel en Normandie traduisant une répartition effective des tâches, posant question en termes de lisibilité de l’offre et d’articulation ou de logiques de propagation verticales et horizontales, portée plutôt au niveau du lieu et de l’acteur en Bretagne dans le cadre d’une structuration progressive et plutôt portée par le tourisme de l’offre. Ce constat amène clairement à s’interroger sur les effets de ces modes opérationnels sur la construction de l’offre elle-même et donc sur l’articulation entre promotion et lieux touristiques. III. De la promotion à la pratique touristique : des articulations compliquées 3 Institut Régional de la Qualité L’analyse de l’offre touristique telle que promue à l’échelle des sites Internet permet de situer quelque peu les contours du « tourisme gourmand » dans les deux régions étudiées. Nous pourrons ainsi souligner à la fois l’existence de formes de valorisation transversales, finalement identifiables et caractéristiques de toutes les destinations, mais aussi l’évolution de cette offre vers davantage de formalisation affichée avec notamment l’émergence et/ou le développement de réseaux, de produits packagés. Pour autant, l’analyse des deux régions, de même que la comparaison entre offre promue et réalités spatiales témoignent, outre de différences sensibles, de toute la difficulté, mais aussi peut-être de la marginalité relative de la thématique dans la valorisation touristique des destinations. 1- La segmentation et la formalisation de l’offre touristique Le « tourisme gourmand » s’appuie, au regard de la promotion réalisée pour les deux destinations, sur une offre en termes de pratiques relativement variée, mais finalement tournant essentiellement autour de deux pôles principaux que sont la rencontre avec les producteurs/transformateurs d’une part, la restauration et la découverte gustative de l’autre. Autour de ces deux pôles certaines formes de valorisation sont plus ou moins anciennes telles que la vente directe ou l’accueil à la ferme, les routes touristiques, les marchés hebdomadaires, les lieux de restauration, certaines fêtes et manifestations qui sont autant de lieux de rencontres entre les touristes et les gens du cru. D’autres formes connaissent un développement plus récent, tout au moins dans les dynamiques à l’œuvre depuis une dizaine d’années. C’est le cas notamment des visites d’entreprises agroalimentaires (avec certains facteurs limitant liés aux produits transformés), la création et la croissance des boutiques du terroir, le développement et/ou la valorisation de certains réseaux associés ou non à des marques collectives, certaines formes d’animations à la ferme telles que des soirées ou des marchés thématiques (à la ferme, sur les lieux touristiques), l’émergence et la structuration de séjours allotis ou d’escapades notamment associés à des visites de site, des rencontres, ou des cours de cuisine proposés par des chefs. Une certaine segmentation de l’offre est donc identifiable sur le moyen terme et tend à se développer en même temps qu’elle se structure. Cette segmentation reflète aussi bien la volonté des prestataires de faire évoluer leur activité au contact direct avec les consommateurs, notamment en raison de l’image positive qu’ils peuvent en retirer pour leur activité, mais aussi pour le territoire, que celle des professionnels du tourisme d’asseoir la valorisation de la thématique à travers la prise en compte de demandes diversifiées et évolutives, dans une logique qui semble désormais pilotée par l’aval en termes de communication. Aux côtés d’autres formes émergentes et particulièrement dynamiques, il semble intéressant de s’attarder quelque peu aux signes d’une formalisation de l’offre touristique sur la thématique. Ainsi, depuis quelques années et ce en réponse au développement des démarches de réservation par Internet, CRT et CDT 4 proposent en interne une offre spécifique pouvant être directement réservée au niveau de l’organisme par le biais d’une plateforme de réservation. Cette offre spécifique prend la forme de « produits packagés » correspondant à des séjours/week-ends pour individuels et groupes. Elle correspond à une perception, par les professionnels du tourisme d’une demande de séjours « clef en main », à leur rôle de prescripteur et de facilitateurs en la matière. Ces séjours, principalement orientés vers les cours de cuisine, la découverte gustative, les visites de sites, correspondent à des formes émergentes de pratiques touristiques permettant de combiner sur du court séjour plusieurs activités telles que les randonnées gourmandes. Ils constituent certes avant tout des exemples de pratiques, une vitrine pour la destination mais ils signifient aussi une approche particulière en termes de structuration de l’offre. En effet, il s’agit de proposer des produits maîtrisés, de faciliter d’une certaine manière l’accessibilité de la destination, en d’autres termes de s’engager implicitement vers une démarche de qualité de service dans l’optique de se différencier d’autres destinations. Cette approche est particulièrement 4 Comité départemental du Tourisme significative en Normandie à travers une orientation forte en termes de communication sur « Les escapades à vivre et à revivre ». Celles-ci sont présentées autour d’onglets thématiques (dont la « gastronomie »), et visent à susciter envies et émotions dans le cadre d’interfaces qualitatives permettant de résumer toute une palette de possibilités de pratiques et de prix offerte aux visiteurs. L’idée n’est pas en priorité de vendre ces séjours (même si cette dimension n’est pas négligeable), mais de promouvoir une destination à travers les différentes facettes proposées. Ces produits touristiques ne constituent pas la manifestation unique de la formalisation évoquée. D’autres initiatives sont particulièrement représentatives d’une volonté d’affichage, de lisibilité et de crédibilité auprès des publics visés et ont des incidences en termes de captation de la clientèle, d’organisation spatiale et de développement. Parmi les démarches observées, nous retiendrons une orientation particulièrement significative tant en termes de gouvernance que de stratégie marketing. Il s’agit en effet, et ce de façon croissante depuis une dizaine d’années, de développer une volonté de gouvernance en réseaux fondée notamment (mais pas uniquement) sur des partenariats entre acteurs publics et privés. L’objectif consiste à faciliter la coordination et la mise en cohérence des acteurs afin de favoriser le développement touristique. Ces stratégies de mise en réseau associées ou non à une marque collective reposent sur des initiatives institutionnelles portées tantôt par les chambres d’agriculture (« Bienvenue à la ferme », marque « Terroir » déclinée par départements), par l’IRQUA Normandie (« Bienvenue en Gourmandie »), par les Fédérations Régionales des Pays d’Accueil Touristiques (« restaurants de terroir », « crêperies gourmandes » en Bretagne, Assiettes de Pays, « Cafés de Pays » dans les deux régions, marques aujourd’hui regroupées sous une bannière commune « Bienvenue au pays » portée par la Fédération Interrégionale des Pays d’accueil Touristiques). Ces initiatives peuvent aussi être privées et relayées par les chambres consulaires. Elles sont alors portées par des restaurateurs (Tables et saveurs de Bretagne) ou par des producteurs (« Goûtez le Pays d’Auge »). Le principe de ces démarches repose, tout au moins pour les initiatives institutionnelles, sur l’existence de chartes collectives et de contrôles externes auxquels les acteurs doivent se soumettre. Elles apportent, selon leur positionnement, certaines garanties en termes de qualité de produits, d’origine, d’ancrage territorial, d’accueil, en somme de professionnalisme. Ces garanties sont importantes aux yeux des professionnels du tourisme qui s’appuient fortement sur l’existence de ces réseaux dans la promotion de la thématique. En ce sens, ces modes de gouvernance constituent des outils de régulation puissants permettant de contrôler, d’évaluer l’offre sur le territoire autant que dans une certaine mesure (du fait de l’accompagnement institutionnel) les pratiques effectives des touristes. Outre cette caution apportée tant aux professionnels du tourisme qu’aux touristes eux-mêmes, ces réseaux ont l’avantage de faciliter la promotion de l’offre (édition de guides), de générer d’un même coup crédibilité, effet de masse et lisibilité sur le territoire. Les touristes peuvent ainsi être orientés « en toute quiétude » vers les pratiques de leur choix : l’offre est identifiée, « sécurisée ». 2- De la promotion aux lieux et aux pratiques touristiques : des articulations complexes Pour autant, la formalisation, l’affichage d’une certaine maîtrise de l’offre tout autant que les facilités qu’elles induisent en termes de communication ne constituent pas une condition suffisante et représentative de la réalité d’un tourisme gourmand, à fortiori d’une destination gourmande. En effet, nos premières investigations attestent de toute la complexité de la question. Si les réseaux ou la création d’une offre formalisée (mais non exhaustive) facilitent a priori la lisibilité de l’offre et son accessibilité, il apparaît nettement que ceux-ci sont plus ou moins visibles tant pour les professionnels que pour les touristes posant à la fois le problème de la notoriété des réseaux, de l’implication des acteurs et de leur empreinte sur le territoire. En effet, et à titre d’exemple, nous avons pu identifier en Bretagne comme en Normandie plusieurs marques institutionnelles dont les portées sont nationales, transrégionales ou régionales. Parmi ces marques, certaines bénéficient d’une notoriété ancienne telle « Bienvenue à la ferme », notoriété liée en partie à une identification claire du réseau, à la mobilisation d’animateurs dans les chambres d’agriculture, à sa fonctionnalité en termes de pratiques mais aussi à sa portée nationale et au nombre significatif de producteurs impliqués dans la démarche. Les marques de pays ont une vocation interrégionale et bénéficient depuis peu d’une structure permettant d’en assurer la cohérence et la promotion à un échelon plus important. Néanmoins, certaines déclinaisons de ce réseau strictement régionales telles les « restaurants de terroir » ou les « crêperies gourmandes » présentes en Bretagne ont un impact en termes de visibilité en cours d’acquisition. Les limites, dont une analyse plus fine permettra d’en définir la teneur, sont liées à leur caractère strictement régional, mais aussi au nombre limité d’acteurs impliqués dans les démarches, soulevant là d’autres difficultés liées à la fois à la volonté des acteurs eux-mêmes, à leurs contraintes (y compris en termes d’approvisionnement) et leur implication réelle dans les réseaux mentionnés. Ainsi, concernant les marques institutionnelles (« Terroir Normandie » déclinée par département – Manche terroir, terroir 14, Orne terroir ; marques de pays), en dehors du réseau « Bienvenue à la ferme » dont la notoriété est désormais assise ou de la marque « Bienvenue en Gourmandie » qui bénéficie de forts budgets de communication, la lisibilité en termes de positionnement n’est pas évidente. De ce fait les touristes, mais aussi les producteurs, restaurateurs ou transformateurs le cas échéant ne se retrouvent pas toujours aisément dans la diversité des solutions offertes, même si, sur le papier, la segmentation est claire. A cela s’ajoute l’hétérogénéité même de la notion de réseau allant de la marque collective avec contrôle externe aux routes touristiques, clubs et autres associations, l’ensemble de ces réseaux étant souvent promus sur un même pied d’égalité pour des raisons liées aux contraintes de communication. Les visiteurs sont ainsi invités à se connecter ou prendre directement contact avec les organismes afin d’en savoir davantage sur la nature de l’offre proposée. Or, dans la démarche des touristes, il n’est pas certain que cet approfondissement soit systématiquement réalisé et que la segmentation proposée corresponde à une véritable recherche. Ce questionnement semble d’autant plus prégnant que la logique des pratiques dépasse le simple cadre des guides « officiels » pour s’orienter vers les lieux eux-mêmes , vers le contact direct, vers l’expérience de la destination en tant que telle. Les enquêtes menées sur le terrain auprès des touristes permettront de valider ou non les propos tenus par les professionnels du tourisme, mais il apparaît que nombre de touristes sont aussi, et peut-être surtout dans ce domaine, en quête d’émotion à travers la recherche de la bonne adresse, dans ce rapport aux lieux et aux hommes qui font que leur expérience touristique sort du commun, de sentiers pré-battus par les guides et référencements de réseaux. Ces pratiques sont connues des professionnels du tourisme qui ne négligent pas, voire encouragent ce système du « bouche à oreille » où l’on va s’enquérir auprès des hôteliers, des commerçants, des cafetiers du coin pour trouver le bon produit, le petit marché « sympa » qui deviendra la bonne adresse à transmettre lors des comptes rendus de voyage. Ces pratiques « hors cadres » favorisent la création d’autres réseaux plus informels cette fois, surtout présents dans les zones de plus forte fréquentation touristique et qui viennent en concurrence peut-être, en complémentarité certainement, de réseaux plus formalisés. Nos enquêtes ont à ce titre montré qu’une part significative de l’offre « touristique » sur la thématique s’opère en dehors de cadres associatifs ou de réseaux formalisés. A titre d’exemple, dans le Calvados, on dénombre environ 400 producteurs réalisant de la vente directe, dont environ 200 de façon significative et une centaine en association (Bienvenue à la ferme, Terroir 14, « Goûtez le pays d’Auge »). Ces observations sont par ailleurs corroborées par le constat de différences caractéristiques entre l’offre communiquée et l’offre réelle sur le terrain et ce à plusieurs niveaux. Nous avons pu souligner précédemment lors de l’analyse du site Internet du CRT de Normandie à la fois l’existence d’un effet de masse autour de l’identité Normande et une forme d’orientation indirecte vers le Pays d’Auge, particulièrement dynamique autour de la thématique. Pour autant, à l’échelon départemental, l’analyse est tout autre, tant en termes de communication que de valorisation touristique. Ainsi, l’analyse des départements du Calvados, de la Manche et de l’Orne montre des positionnements différenciés, reflets des spécificités locales peutêtre, des priorités en termes de communication certainement. Le CDT du Calvados présente en page d’accueil une pomme rouge sur laquelle est dessinée la carte du département, identifiant clairement l’identité gourmande du département. L’onglet gastronomie est particulièrement riche tant en termes de communication que de structuration de l’offre, relayant ainsi fortement la communication réalisée au niveau du CRT. L’Orne est en termes de fréquentations (marchandes tout au moins) beaucoup moins fréquenté que le pays d’Auge. Le département ne bénéficie pas d’une image très marquée, très située, d’où d’ailleurs une communication sur l’Orne en Normandie. Néanmoins, l’offre sur le territoire est réelle et relativement concentrée, en particulier dans les zones de bocage et de production de cidre/poiré et s’attache parfois à des lieux très particuliers tel que le Manoir du Lys (restaurant étoilé) ou des sites de visite autour du Camembert. De fait, à l’échelon départemental, la thématique est identifiée, structurée en particulier dans la documentation proposée aux touristes. Pour autant, cette offre n’est pas relayée à l’échelon régional. Dans la Manche, nos travaux de cartographie ont pu montrer certaines concentrations en termes d’offre, certes moins marquées que dans le Pays d’Auge, mais tout à fait significatives. Néanmoins, le relais au niveau du CDT est peu structuré en termes de communication, la thématique n’ayant pas encore été réellement investie par les professionnels du tourisme ne permettant d’identifier à titre d’exemple, aucun des réseaux précités en termes de marque institutionnelle ou d’associations de restaurateurs pourtant présente dans le département, seules des listes de produits, producteurs, entreprises et restaurants ou auberges étant identifiables au sein de l’onglet dédié à la « gastronomie ». Inversement, l’offre promue ne se traduit pas forcément par une réelle visibilité au niveau des lieux touristiques en tant que tels. A titre d’exemple le cas de Saint-Pol-de-Léon, mérite un approfondissement. En effet, cette petite ville située sur la ceinture dorée légumière de la côte Finistère est nationalement connue et au delà pour sa production, commercialisation et exportation d’artichauts, choux fleurs. Bien que cette particularité soit relayée en terme de communication au niveau du CRT, et malgré l’existence de la route « Prince de Bretagne », nos premières enquêtes montrent que les touristes ne prennent connaissance de la réalité légumière qu’une fois sur place. Ils cherchent alors à connaître les adresses d’achat au producteur ainsi que les modes de consommation. Cependant, nous avons constaté un manque de lisibilité et d’information immédiate sur les lieux d’interaction entre production et interprétation pour les touristes individuels attestant d’un décalage évident entre la valorisation proposée en termes d’outils, de modes de communication et la réalité spatiale. Dans le même ordre d’idée, la route des traditions, portée par des producteurs des pays du bocage normand est fortement valorisée et promue tant à l’échelle des CDT que des pays touristiques ou offices du tourisme. Les producteurs, particulièrement dynamiques proposent d’accueillir consommateurs locaux et touristes sur leur site d’activité afin de faire visiter leurs installations, de transmettre leurs savoir-faire et méthodes de fabrication, de ventre leurs produits. L’itinéraire permet aux visiteurs d’allier ces rencontres à la visite de villages et d’un patrimoine bâti ancien, ainsi que d’activités plus ludiques (plan d’eau, zoo, parcs d’activités). Située à proximité d’un axe routier permettant de relier Caen au Mont St Michel, mais dans une zone de faible fréquentation touristique relative, cette route permet néanmoins de capter, durant la période estivale un tourisme de passage. Les producteurs souffrent pourtant d’un manque de visibilité sur le terrain. En effet, le balisage de la route, relativement ancien, est en inadéquation avec l’activité réelle d’accueil, certains producteurs, pourtant signalés n’étant plus en activité et inversement. Ce décalage en termes de balisage est évidemment préjudiciable en termes de pratiques touristiques, ce qui pousse les producteurs à développer des initiatives de promotion qui leur sont propres, mais pour lesquelles les moyens développés restent faibles. Enfin, certaines spécialités telles que la biscuiterie ou les conserveries de poisson en Bretagne, ont fortement diffusé à l’échelle régionale à travers la démultiplication des points de vente, bien au-delà des zones identifiées, voire des lieux de production. Cette diffusion permet de relayer une identité Bretonne sur l’ensemble de son territoire, et au-delà. De fait, si ces dynamiques correspondent à un essaimage intéressant en termes de visibilité de l’activité et témoignent de l’intérêt économique d’un tel positionnement, autorisant une accessibilité significative, elle dilue par là-même la relation aux lieux et l’identification claire par les touristes de lieux de tradition. Elle ouvre de la même manière la porte à toute récupération de l’image, soit par les territoires limitrophes, soit au niveau des acteurs économiques eux-mêmes tel qu’en témoigne la multiplication des lieux de vente de biscuits bretons et de produits à forte image bretonne, certains fabriqués (tout au moins pour la biscuiterie) en dehors de la Bretagne. Conclusion L’analyse de la promotion du tourisme gourmand à travers les exemples de la Bretagne et de la Normandie nous a permis d’éclairer de nombreux points relatifs aux logiques de communication, mais aussi à la place relative occupée par la thématique dans les logiques de différenciation entre les destinations touristiques. L’intérêt particulier de cette première étape menée dans le cadre de nos recherches sur la qualification des destinations gourmandes, tient cependant, au-delà du discours, à la mise en lumière de la complexité des modes organisationnels multi niveaux et multi acteurs soulevant de nombreuses questions relatives au jeu des acteurs, mais aussi concernant les articulations entre lieux de pratiques et communication touristique. Nous devons ainsi différencier les acteurs d’une destination selon leur projet et leur intention pour comprendre leur rapport à l’espace. Pour les touristes, il s’agit avant tout d’agréer à des lieux une valeur culturelle dont ils en connaissent un certain nombre de clichés et stéréotypes (selon nos enquêtes de terrain, les crêpes et fruits de mer en Bretagne ou encore les fromages et cidres de Normandie). Les producteurs, lorsqu’ils sont aiguillés par les professionnels du tourisme se doivent d’entrer dans une codification de l’espace « décryptable » pour les touristes. Dans ce cadre, les acteurs locaux cherchent à établir une convergence territoriale afin que tous les acteurs (endogènes et exogènes) perçoivent une destination cohérente tant sur le plan de la thématique gourmande que par les lieux mobilisés. De ce fait, et au regard des contraintes et opportunités liées à l’offre, y compris dans son rapport à l’espace, les articulations mentionnées sont à la fois complexes, fragiles et peu aisées. La multi-sectorialité et la multiplicité des acteurs, des niveaux d’analyse sur le plan de la destination elle-même et dans sa relation avec le global (incluant plusieurs échelles, plusieurs marchés) nécessite une approche particulièrement fine des jeux relationnels et des logiques d’action différenciées selon les acteurs dont les modes de coordination sont inégaux selon les espaces étudiés. Outre sur la diversité des pratiques elles-mêmes, nous devons nous interroger sur les échelles pertinentes de valorisation en termes de tourisme gourmand, sur la réalité spatiale de la destination gourmande pour les acteurs promoteurs de la thématique : s’agit-il d’un lieu, d’une région, d’un pays, d’une imbrication ou d’une collection d’espaces dont les spécificités sont explicitement reliées à la découverte gustative ? Mais la connivence entre caractéristiques des lieux et offre spécifique suffit-elle à caractériser la destination gourmande ? Rien n’est moins sûr si l’on considère la logique des pratiques : le touriste crée ses propres lieux, en référence à l’image plus globale d’une destination, mais aussi au caractère multi vectoriel de ses critères de choix, de la pluralité de ses projets récréatifs. Bibliographie : AMIROU R., 2000, Imaginaire du tourisme culturel, Paris, Presses universitaires de France, 155 p. 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