L`INFARCTUS EMBOLIQUE DU REIN (A PROPOS D`UN CAS)

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L`INFARCTUS EMBOLIQUE DU REIN (A PROPOS D`UN CAS)
J Maroc Urol 2008 ; 10 : 30-32
FAIT
CLINIQUE
L’INFARCTUS EMBOLIQUE DU REIN
(A PROPOS D’UN CAS)
Y. ZAKARIA, H. EL FELLAH, H. EL SAYEGH, A. IKEN, Y. NOUINI, A. LACHKAR, L. BENSLIMANE,
Z. BELAHNECH, M. FAIK
Service d’Urologie A, CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc
RESUME
ABSTRACT
Introduction : l’infarctus rénal aigu par embolie est une entité
rare, généralement méconnue et de diagnostic tardif. En
effet, la symptomatologie clinique atypique et non spécifique
oriente souvent à d’autres pathologies, ce qui est à l’origine
d’un retard thérapeutique et donc d’une diminution des
possibilités de sauvetage rénal.
Observation : nous rapportons le cas d’une patiente de 35
ans, ayant des antécédents de diabète, de coagulopathie,
d’HTA, de néphropathie et qui a présenté un infarctus rénal
partiel aigu au 6ème jour après une embolectomie bilatérale
pour ischémie des deux membres inférieurs compliquant
une arythmie complète par fibrillation auriculaire avec
thrombus de l’oreillette gauche, secondaire à un rétrécissement
mitral rhumatismal. Elle a présenté un tableau abdominal
aigu fait de douleurs violentes du flanc gauche accompagnées
de nausées et vomissements, sans fièvre, sans trouble de
transit et sans hématurie. Une échographie abdominopelvienne montrait une plage hypo-échogène périphérique
antérieure rénale gauche. L’angioscanner objectivait une
lésion systématisée du pôle supérieur du rein gauche,
spontanément hypodense, non rehaussée par le produit de
contraste et compatible avec un infarctus rénal partiel. Le
diagnostic d’embolie rénale est retenu. Le traitement a consisté
en l’adjonction d’un traitement antalgique au traitement
anticoagulant qui était en cours.
Discussion : l’embolie de l’artère rénale est un problème
critique qui nécessite un diagnostic et un traitement rapide
pour sauver le pronostic vital et fonctionnel du rein.
THE EMBOLIC INFARCTION OF THE KIDNEY (ONE CASE
REPORT)
Mots clés : angioscanner ; diagnostic ; infarctus ; rein
Key words : angioscan ; diagnosis ; infarction ; kidney
Introduction : the acute renal infarction by embolism is a
rare, generally underestimated entity and of late diagnosis.
Indeed, the atypical and aspecific clinical symptomatology
often direct in other pathologies, what is the origin of a
therapeutic delay and thus a decrease of the possibilities of
renal rescue.
Observation : we report the case of a 35 years old woman,
having antecedents of diabetes, coagulopathy, hypertension,
nephropathy and which presented an acute partial renal
infarction in the 6th day after a bilateral embolectomy for
ischemia of both lower limbs complicating a continuous
arrhythmia with thrombus of the left atrium secondary to a
rheumatic Duroziez’s disease. She presented an acute
abdominal pains of the left flank, sickness and vomiting,
without fever, troublefree of transit and without hematuria.
An abdominal ultrasound showed a left renal hypoechogenic
peripheral anterior zone. The angioscan showed a damage
of the upper pole of the left kidney, spontaneously hypodense,
not heightened by the product of contrast and compatible
with a partial renal infarction. The renal diagnosis of embolism
is held. The treatment consisted of the addition of an antalgic
drug to the anticoagulant treatment.
Discussion : the embolism of the renal artery is a critical
problem which requires a diagnosis and a fast treatment to
save the vital and functional prognosis of the kidney.
Correspondance : Dr. H. EL FELLAH , Service d’Urologie A,
CHU Ibn Sina, Rabat, Maroc. E-mail : [email protected]
INTRODUCTION
ans, l’embolie est survenue six jours après une
embolectomie bilatérale des deux membres inférieurs.
L’embolie de l’artère rénale est une affection rare mais
présente un problème clinique sérieux. Le diagnostic
est souvent tardif, il se fait au stade de lésions
irréversibles du parenchyme rénal. Les symptômes
cliniques sont divers et non spécifiques. Le tableau
clinique dépend de la survenue de l’embolie artérielle
sur rein unique, sur un seul rein avec un rein
controlatéral normal ou sur les deux reins.
CAS CLINIQUE
Il s’agit d’une patiente de 35 ans, ayant des antécédents
de diabète, de coagulopathie, d’HTA et de néphropathie,
admise dans le Service de Réanimation Chirurgicale
pour prise en charge d’une ischémie aiguë des deux
membres inférieurs. Elle a bénéficié d’une embolectomie
bilatérale par sonde de Fogarty. L’exploration étiologique
Nous rapportons dans cet article, le cas d’une embolie
de l’artère rénale gauche chez une femme âgée de 35
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Y. ZAKARIA et coll.
L’infarctus embolique du rein
L’adjonction au traitement anticoagulant d’un antalgique
avait permis une amélioration rapide de la
symptomatologie clinique et la patiente a quitté le
service de réanimation après quinze jours
d’hospitalisation.
retrouvait à l’électrocardiogramme une arythmie
complète par fibrillation auriculaire. L’échocardiographie
montrait une valve mitrale calcifiée et très remaniée
avec une surface de 1,1 cm2. L’oreillette gauche, siège
d’un thrombus, avait un diamètre de 60 mm, le
ventricule gauche était de taille et de contractilité
normales. Le traitement médical a associé une
héparinothérapie à la seringue auto-pulsée (32000 UI/g
pendant 6 jours) relayée après trois jours par
l’acénocoumarol (3 mg/ jour avec un INR à 3) et un
traitement digitalodiurétique. Au 6ème jour après
l’embolectomie, alors que la patiente récupérait
totalement la fonction des deux membres inférieurs,
survenait un tableau abdominal fait de douleurs violentes
du flanc gauche, accompagnées de nausées et
vomissements, sans fièvre, sans troubles du transit et
sans hématurie. Une échographie abdominale montrait
la présence d’une plage hypo-échogène périphérique
antérieure rénale gauche au niveau de la jonction du
pôle supérieur et de la région médiorénale, avec un
sommet hilaire et un méplat du bord rénal en regard
dépourvu de flux au doppler, y compris en mode
énergie et en baissant au maximum les vitesses
d’examen, évoquant ainsi une lésion ischémique.
DISCUSSION
L’embolie de l’artère rénale est un problème critique
qui nécessite un diagnostic et un traitement rapides.
Dans 94% des cas, la cause de l’embolie systémique
est d’origine cardiaque. La fibrillation auriculaire,
l’infarctus du myocarde, le rétrécissement rhumatismal
de la valve mitrale sont les affections cardiaques
fréquemment retrouvées [1]. Chez notre patiente, on
a trouvé une valvulopathie rhumatismale avec une
embolectomie bilatérale 6 jours avant l’accident
embolique. On reconnaît aussi l’embolie
cholestérolémique qui survient chez le sujet âgé souffrant
d’athérosclérose et qui a subit une chirurgie vasculaire
type : angiographie, cathétérisation des cavités
cardiaques gauches, angioplastie coronarienne,
traitement par anticoagulant [2]. Ce type d’embolie est
responsable d’une défaillance multiviscérale avec une
mortalité qui dépasse 80% [3]. Le diagnostic de
l’embolie de l’artère rénale est difficile au stade des
symptômes. Le diagnostic précoce se fait chez moins
de 30% des patients [4]. Les diagnostics évoqués à ce
stade sont : la lithiase urinaire, la pyélonéphrite aiguë,
l’infarctus du myocarde et l’insuffisance cardiaque
congestive.
L’angioscanner objectivait une lésion systématisée du
pôle supérieur du rein gauche, spontanément
hypodense, non rehaussée par le produit de contraste
et compatible avec un infarctus rénal partiel (fig. 1).
Plusieurs patients ont subit une cholécystectomie abusive
[4] ou ont été pris en charge à tort pour colique
néphrétique secondaire à une lithiase urinaire [5], ou
pour une ischémie intestinale [6]. Chez notre patiente,
le contexte clinique nous a orienté vers le diagnostic
qui a été confirmé par l’angioscanner. Dans l’embolie
de l’artère rénale, l’insuffisance rénale (IR) est attribuée
à la nécrose tubulaire aiguë due à l’hypo-perfusion
rénale.
La néphropathie secondaire à l’injection du produit de
contraste au cours de la réalisation de l’angioscanner
peut à elle seule favoriser l’IRA [6]. Le vasospasme du
rein controlatéral est une autre cause de l’IR [7]. Levin
et al. ont décrit les mêmes mécanismes d’IR au cours
de l’embolie sur rein unique [7]. Notre patiente a gardé
une fonction rénale normale. Le bilan biologique peut
renforcer le diagnostic. On trouve une hyperleucocytose
à PNN, une hématurie microscopique avec une
protéinurie, une élévation des PA, des GOT et de LDH
[6]. Le traitement de l’occlusion de l’artère rénale ou
de ses branches doit être précoce pour sauver le
pronostic vital et fonctionnel du rein [8]. Les options
thérapeutiques possibles sont : l’anticoagulation
systémique avec dialyse si nécessaire, la thrombolyse
intra-artérielle et l’embolectomie chirurgicale. Dans
une revue de la littérature entre 1970 et 1982, on n’a
Fig. 1. Angioscanner abdominal montrant l’infarcissement
antérieur du rein gauche
Quant au bilan biologique, la fonction rénale était
normale et l’examen cytobactériologique des urines
montrait 50.000 globules rouges/ml, une leucocyturie,
un examen direct et une culture négatifs. Dans ce
contexte clinique, le diagnostic d’un accident embolique
était très probable, d’autant plus qu’aucun des
diagnostics différentiels habituellement évoqués n’a
été retrouvé.
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J Maroc Urol 2008 ; 10 : 30-32
REFERENCES
pas trouvé de différence significative concernant le
sauvetage de la fonction rénale par chirurgie ou par
traitement anticoagulant avec des chiffres de 82% et
75% respectivement, mais aux dépens d’une mortalité
de 11% pour la chirurgie [9], donc aucun avantage de
la chirurgie sur le traitement anticoagulant systémique
qui semble plus approprié pour ces patients porteurs
de morbidités [10]. En cas d’embolie bilatérale ou sur
rein unique, l’embolectomie chirurgicale est efficace
pour la survie des patients et pour le sauvetage de la
fonction rénale puisque Nicolas et DeMuth ont trouvé
un sauvetage du rein dans 90% des cas [10], alors que
Moyer [8] et Lacombe [11] ont rapporté seulement
14% de survie avec le traitement médical. Les années
quatre vingt ont connu des publications concernant le
traitement par thrombolyse sélective de l’artère rénale
occluse par embolie, les auteurs ont rapporté le succès
de la thrombolyse sur des petites séries de malade [12,
13]. Récemment, Dennis et al. ont rapporté une
revascularisation rénale par une héparinothérapie
systémique [14]. Cheng et al. ont obtenu une
récupération de la fonction rénale quelques jours après
thrombolyse et anticoagulation systémique [6]. Lang
et al. [15] ont obtenu une revascularisation du rein
après thrombolyse sélective par cathétérisation de
l’artère rénale en utilisant l’urokinase relayée 10 heures
après par l’héparine systémique. Ces résultats montrent
l’efficacité de la thrombolyse dans le traitement de
l’embolie de l’artère rénale mais il faut commencer le
traitement dans les 90 minutes qui suivent les premiers
symptômes. Pour notre patiente, elle était déjà sous
héparinothérapie systémique pour l’embolie des deux
membres inférieurs et on a juste associé un traitement
antalgique. Ce traitement était bien efficace puisque
la patiente s’est améliorée sur le plan clinique et elle
a regagné son domicile une semaine après cet accident
embolique.
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CONCLUSION
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L’embolie de l’artère rénale est un problème critique
qui nécessite un diagnostic et un traitement rapides
pour sauver le pronostic vital et fonctionnel du rein.
La fibrillation auriculaire, l’infarctus du myocarde et
le rétrécissement rhumatismal de la valve mitrale sont
les affections cardiaques les plus fréquemment
retrouvées. Il faut noter l’efficacité de la thrombolyse
dans le traitement de l’embolie de l’artère rénale à
condition qu’elle soit précoce dans les 90 minutes qui
suivent les premiers symptômes.
13. Fischer P, Connak JW, Cho KJ, Eckhauser FE, Stanley
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