L`explosion des programmes courts comiques (shortcoms) en

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L`explosion des programmes courts comiques (shortcoms) en
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L’explosion des programmes courts comiques (shortcoms)
en France – Ingrid BIHEL
Les formats courts comiques font l’objet d’un intérêt grandissant dans la presse française ou
sur internet. De nombreux articles font état de ces tout nouveaux programmes courts
audiovisuels; depuis quelques mois, on les retrouve sur de nombreuses chaînes, hertziennes
ou câblées (France 2, M6, Canal +, W9…) avec de plus en plus d’adeptes.
Les formats courts comiques font l’objet d’un
intérêt grandissant dans la presse française ou
sur internet. De nombreux articles font état de
ces tout nouveaux programmes courts
audiovisuels; depuis quelques mois, on les
retrouve sur de nombreuses chaînes, hertziennes
ou câblées (France 2, M6, Canal +, W9…) avec de
plus en plus d’adeptes.
« Shortcom » (abréviation de short comedy) est
l’expression la plus précise pour désigner les œuvres
audiovisuelles que nous analyserons ; elle synthétise l’aspect court du f ormat et son genre comique
particulier. Il désigne en ef f et « plus un programme de sketchs qu’une véritable comédie. Il s’agit alors
d’une situation posée de façon rigoureuse, et une fois pour toutes, qui sert de base à des gags et des
répliques drôles »[1]. Le programme court est avant tout une œuvre dont le f ormat s’étend de 1 à 26
minutes environ (bien que la sitcom se caractérise par le f ormat de 26 minutes, une distinction s’établit
entre les deux genres). Le thème récurrent est celui du quotidien, traité sans réf érence à l’actualité
politique et aux sujets de société. La narration n’obéit à aucune constante, mais on remarque que la
structure doit être simple et f acilement identif iable, en raison justement de sa courte durée. Les
personnages sont très f ortement caractérisés, déterminés par leurs répliques récurrentes notamment,
sous f orme de clin d’œil au téléspectateur.
Les conditions et les modalités de production sont le f ruit d’arrangements et de négociations entre les
auteurs, producteurs et dif f useurs : chaque shortcom possède ses rythmes de tournages, ses équipes,
il n’y a aucune règle qui f ait of f ice de modèle. On remarque toutef ois que les médias tendent à assimiler
cette f orme à une autre : la série. D’une part, cette assimilation est le f ruit d’un intérêt récent des
Français pour les séries, surtout celles produites aux États-Unis, prises dans une dynamique de
reconnaissance comme œuvres artistiques, et non plus comme vulgaires produits. D’autre part, les
producteurs des shortcoms s’accordent à mettre l’accent sur leur savoir-f aire, puisque ce f ormat
n’existe nulle part ailleurs. C’est pourquoi au-delà d’une œuvre audiovisuelle nouvelle, les médias voient
en ces nouveaux programmes un espoir de ref onte du paysage audiovisuel f rançais, dont les f ormules
s’essouf f lent en raison de l’arrivée des technologies numériques et des platef ormes de partage.
Tous les éléments abordés précédemment seront détaillés dans l’étude de deux cas particuliers de
f ormat et de contenu très dif f érents :
–
Scènes de ménages, adaptée de la série espagnole Escenas de Matrimonio. Produite par Noon &
M6 Studios/Kabo Production. Dif f usée depuis 2009 sur M6 de 20h05 à 20h30 environ quotidiennement,
et depuis quelque temps, redif f usée de 13h05 à 13h30.
–
Bref, créée et réalisée par Kyan Khojandi et Bruno
Muschio, est une shortcom produite par My Box Production
(Harry Tordjman). Dif f usée sur Canal Plus depuis septembre
2011, 3 f ois par semaine, à 20h20 environ dans Le Grand
Journal, présenté par Michel Denisot.
Les premiers f ormats courts en France sont à chercher du côté de la publicité. Le programme Du côté de
chez vous est le premier à émerger sur T F1, sponsorisée par Leroy Merlin. Le contenu, d’environ deux
minutes, consiste à f aire la promotion d’une marque sous couvert d’un témoignage d’une personne
expliquant en quelques minutes comment jardiner, avec des astuces et conseils avisés, etc. Le concept
sous-jacent est de créer une émission pour un annonceur, en lui proposant une vitrine en access prime
time : sa dif f usion intervient juste avant le journal de 20h. Le f ormat se décline avec des programmes
courts consacrés aux initiatives écologistes comme C’est ma Terre, sponsorisée par les véhicules
électriques Renault, ou par exemple Mon pharmacien est formidable qui nous inf orme sur la santé en
général, mais qui est associé au laboratoire pharmaceutique Biogaran, etc. Les thèmes sont très variés
et apparaissent pour le téléspectateur comme une pastille à la f ois ludique et inf ormationnelle.
Les premières shortcoms envahissent l’écran télévisuel un peu par hasard. Trois d’entre elles se
revendiquent comme pionniers « cultes » du f ormat : Un gars, Une fille, à l’antenne de France 2 de 1999 à
2003 et dif f usé avant le journal de 20 heures, soit 486 épisodes de 7 minutes ; Caméra café, une
shortcom dif f usée de 2001 à 2003 sur M6, avec 700 épisodes d’environ 3 minutes (7 minutes pour la
cinquième et dernière saison) ; Kaamelott, inspiré de la légende arthurienne (458 épisodes de 4 minutes
dif f usés sur M6 de 2005 à 2009), se distingue nettement des autres shortcoms par son ampleur.
Le discours publicitaire est aussi source d’inspiration pour l’écriture. Stéphane Benassi repère que, dans
la publicité, « la télévision a créé du feuilletonesque là où il n’a pas lieu d’en avoir, en fractionnant le récit en
plusieurs parties »[2]. En ef f et la publicité est elle-même mise en série avec des personnages récurrents
f ace à des situations. On pense par exemple aux spots « Orangina », parodies de f ilms d’horreur des
années 1970, où un homme poursuit un groupe de jeunes, armé d’une tronçonneuse. L’écriture est
tendue pour répondre à un problème de temps de parole très court et payant.
Les scénaristes : entre américanisation et déprof essionnalisation
Les sociétés de production de Scènes de ménages se sont rendu compte que la tradition f rançaise
d’écriture en « solo » était désuète, car devenue inadaptée aux impératif s de production et de création
actuels. C’est pourquoi ils ont changé les conditions d’écriture du scénario, en s’inspirant du modèle
américain. Pour la shortcom de la chaîne M6, l’écriture est partagée entre un pool d’auteurs segmenté en
trois parties (en tout, ils sont une trentaine) : les premiers sont des auteurs conf irmés, les seconds sont
des débutants, et les troisièmes des auteurs externes pouvant apporter originalité au programme court.
Les travaux de chacun sont examinés, ceux-ci sont parf ois directement sélectionnés et envoyés au
metteur en scène pour une répétition avec les acteurs ; certains sont sélectionnés, mais renvoyés pour
réécriture, car certains éléments ne conviennent pas (par exemple, tel ou tel personnage aurait plutôt
réagi comme ceci au lieu de comme cela) et d’autres sont tout simplement ref usés, car totalement
inadaptés au genre du programme.
« Une quarantaine d’auteurs, répartis en trois catégories, se partagent l’écriture des six séquences du
programme quotidien de vingt-huit minutes. La sélection est impitoyable. La ligue 1, celles des auteurs
confirmés, la ligue 2, celle des espoirs, la ligue 3, celle des contributeurs à l’essai, ont à ce jour créé 6000
situations piochées çà et là dans leur propre quotidien. Jusqu’à aujourd’hui, 4844 ont été jugées « aptes »
par le réalisateur originel de la série, Francis Duquet. »[3] Cet extrait d’article de Paris Match conf irme bien
l’organisation « à l’américaine » de l’écriture des scénarios. Cependant, l’interview de l’un des scénaristes
par le magazine Capital, nous éclaire sur la tension engendrée par ce type de division du travail très
poussée : « Tous écrivent des sketchs impitoyablement sélectionnés par le directeur d’écriture, Alain
Kappauf, et par M6. Je leur envoie cinq ou six par semaine avec la boule au ventre […] ils passent chaque
jeu de mots au crible et me le renvoient sur-le-champ en précisant ce qui ne fonctionne pas, c’est rude !
Peut-être, mais pour la production, c’est la garantie d’une source jamais tarie de nouvelles idées : elle a en
réserve plus de 1500 sketchs, prêts à filmer ! Et pour que les répliques sonnent toujours juste, les dialogues
sont retouchés jusqu’à la dernière minute – parfois même pendant les scènes. La méthode présente aussi
l’avantage de réduire considérablement les délais entre l’écriture et le tournage. »[4]
La production de Scènes de ménages est très américanisée dans le système d’élaboration des sketchs.
Cependant, Laurie Picard (attachée de presse à Kabo Production) af f irme que les scénaristes sont des
« auteurs indépendants et ne sont pas salariés de l’entreprise » (entretien personnel) : c’est la chaîne qui
constitue leur principale source de revenus. On peut se demander si les auteurs travaillent vraiment
ensemble. En ef f et, pour conserver l’originalité de chaque sketch, et maintenir un renouvellement
permanent, les pools d’auteurs sont le ref let d’une organisation calquée sur le modèle américain de la
division du travail. Les scénaristes seraient donc des f ournisseurs éloignés, sans véritable inf ormation
sur la gestion de leur travail par le duo, et aussi par rapport aux autres. Ils n’auraient pas accès aux
commentaires sur l’ensemble de la production de scénarios et ne seraient pas f orcément rétribués pour
leurs idées que les chaînes conservent « au cas où ». Dans Bref, par contre, seuls deux auteurs
s’attèlent à la rédaction du scénario, en sachant qu’ils sont aussi réalisateurs et que l’un d’entre eux joue
le personnage principal. Les limites hiérarchiques dans le système de production sont ici totalement
f loues, les rôles sont mélangés. On pourrait parler ici de « déprof essionnalisation »[5] : amateurs au
départ, les deux créateurs de la shortcom se sont improvisés dans un secteur prof essionnel pour lequel
ils n’ont pas été f ormés (ce qui ne signif ie pas non plus que le rendu soit moins qualitatif ).
La liberté dans l’écriture semble être une question de principe pour les deux auteurs de Bref. Cependant,
aucune inf ormation ne f iltre sur les contraintes éventuelles imposées par la chaîne. Kyan Khojandi
af f irme que Canal Plus reste très ouvert et n’intervient pas dans le travail d’écriture. Pourtant, il est sûr
que les maquettes envoyées f ont l’objet d’un visionnage avant dif f usion. La plus grande dif f érence entre
Bref et Scènes de ménages réside dans l’organisation du travail : le témoignage du trio de Bref sousentend une démarche tout à f ait artisanale et isolée. « Les trois copains décident de raconter ce qu’ils
connaissent le mieux : famille, meufs, boulot, fric, potes, déprime. Pour raconter cette France, ils font
comme aux États-Unis, ils s’enferment et écrivent […] Un jour, je regardais un DVD de Friends. Dans les
bonus, tu vois les auteurs qui arrivent sur le plateau dès que ça rigole pas, et qui changent la vanne. Il y a
une réflexion globale entre les acteurs et les auteurs et ça, ça nous plaît.» [6]
Le phénomène du sketch est très ancré dans la culture f rançaise et correspond à un style d’écriture dans
lequel les plumes des scénaristes se délient le mieux. « C’est notamment dans les comics et les sketches
que les Français ont trouvé un rythme et un moyen d’être efficaces alors que l’on a encore du mal dans les
séries comiques sur des formats plus longs. Finalement, le petit format correspond à l’écriture des
scénaristes français »[7]. Cependant des divergences s’observent dans les modèles d’écriture. Pour
Scènes de ménages, la technique américaine est reprise, mais sans les ateliers d’écriture ; les
scénaristes restent dépendants f ace au producteur et au dif f useur f ortement interventionnistes. En
conclusion, « Le déséquilibre des relations scénaristes / producteur/ diffuseur et la multiplication des étapes
transforment la notion d’acceptation en source de conflit »[8].
Rythmes de tournage et castings
Dans Bref, l’auteur Kyan Khojandi est aussi réalisateur. Ce dernier est secondé par Bruno Muschio, qui a
la même double casquette. Le producteur Harry Tordjman prétend que « nous tournons l’intégralité des
scènes des quarante émissions à venir d’un seul coup au même endroit, que ce soit la chambre du héros,
le supermarché, le salon des parents… »[9] Af in de limiter l’étalement sur un temps trop long et de
retourner des scènes dans des endroits déjà abordés, les séquences sont regroupées par localisation
spatiale. Concernant les décors, les personnages secondaires et les accessoires, Harry Tordjman
poursuit : « Nous avons choisi de ne rien refuser à nos auteurs, pourvu qu’ils soient créatifs [...] Avec
30 jours de tournage, plus de 100 comédiens, 200 figurants, plus de 40 lieux de tournage, des effets
spéciaux et même des animaux, Bref a tout du long-métrage. Pour tenir, nous faisons du cousu main en
production. My Box n’a aucuns frais fixes et ne gère qu’un seul programme à la fois.»[10]
On apprend donc que le trio de Bref, et plus particulièrement les intervenants dans la production, sont
multitâches et s’occupent de tout eux-mêmes. Peu d’industrialisation donc, dans l’organisation de ce qui
apparaît comme pharaonique : le nombre de comédiens, de f igurants et de techniciens reste
impressionnant. Cela témoigne également d’un manque de moyens, car la société de production ne
dispose pas de studio ; les décors sont réels et les comédiens sont souvent des débutants, voire des
amis des deux auteurs. Par exemple, le f rère du personnage principal (« Je ») dans la shortcom est le vrai
f rère de Kyan Khojandi.
Au niveau des rythmes de tournage, l’équipe de Bref doit produire 80 épisodes en un an, pour une
dif f usion trois f ois par semaine sur Canal +, qui n’inclut pas les périodes de vacances scolaires. La durée
du tournage de chaque épisode n’est pas planif iée : il s’agit plus d’un assemblage de séquences mises
bout à bout par les monteurs. Un article dans La Lettre Audiovisuelle conf irme cette tendance : « Enfin les
formats courts (moins de 26 minutes) voient leur volume horaire plus que doubler dans la continuité d’une
augmentation régulière depuis 2008. Des projets mis en production lors de la seconde partie de l’année
2011 [ce qui inclut le programme court Bref ] témoignent d’un certain engouement pour ce format… »[11] De
la même manière, un article dans Média+ f ait le constat inverse pour les shortcoms plus longues. Il est
intéressant de voir que le f ormat de 26 minutes (qui inclut donc le programme court Scènes de ménages)
« connaît une baisse de 25 % de son volume horaire entre 2010 et 2011, entraînant une diminution des
semaines de tournages de 35%. » [12]
En ef f et, dans Scènes de ménages, le rythme est dif f érent : « Chaque jour, un seul tandem figure au
planning.[...] On tient compte des obligations des comédiens , ils ont tous plus au moins d’autres
engagements. […] Une semaine au moins avant les tournages, les comédiens prennent connaissance des
textes. Il y a une séance de relecture où chacun peut exprimer son avis. »[13] Les dif f érents couples ne se
rencontrent donc jamais au travail : le planning est calculé à la minute près et doit prendre en compte les
obligations personnelles des comédiens, qui ont d’autres tournages ou des tournées liées à un
spectacle ou pièce de théâtre en cours. Une importante organisation en amont et une gestion optimale
du temps s’établissent af in de limiter les dépassements de budgets.
Il y a donc une contrainte de budget et une contrainte d’emploi du temps. Un article dans Paris Match f ait
état d’une équipe impressionnante d’auteurs « qui se justifie par le volume de production à fournir.
L’équivalent de 35h de fictions l’an dernier. Soit 17 longs-métrages. […] Une cadence soutenue. On produit
douze minutes par jour, mais on va réduire la voilure pour passer à dix. C’est presque la cadence des
téléfilms, où on est de sept à neuf minutes utiles. On prend beaucoup de temps pour soigner les lumières. Il
y a un côté esthétique qui peut s’approcher de la publicité […] Le Pat (prêt à tourner) quotidien, de 9h à
19h, permet d’emmagasiner près d’une dizaine de scènes diffusées pour la saison prochaine. »[14]
En ef f et, la production de Scènes de ménages travaille à un rythme ef f réné : environ une centaine de
sketchs doivent être mis en boîte en une semaine, prêts à être dif f usés prochainement, selon les désirs
de la chaîne M6. Il n’y a aucun travail de montage une f ois la séquence tournée, qui doit être accolée telle
quelle à une autre saynète. Les plans où l’on voit une f enêtre en f ond par exemple, derrière les
personnages, doivent f aire illusion que la luminosité provenant de l’extérieur est naturelle. Tous les
sketchs sont tournés dans les studios de la plaine Saint-Denis. Ici l’accent est mis sur les accessoires :
tout est f ait maison et de récupération pour limiter les coûts de production.
Audiences, publics et publicité ou le marché audiovisuel
En 2010, Scènes de Ménages a gagné 2,5 millions de téléspectateurs en un an pour atteindre une
moyenne de 4,4 millions de f idèles. Aujourd’hui (2012), Scènes de ménages réalise une audience
moyenne de 17% de part d’audience, soit bien au-dessus de la moyenne de la chaîne (11%). À l’heure du
dîner, le pays se coupe en deux : les inconditionnels de l’inf o et ceux qui cherchent à se divertir. D’un
côté, 11,5 à 12,5 millions suivent les JT, tandis que, de l’autre, une petite dizaine de millions se partage
entre Plus belle la vie (France 3) et Scènes de ménages.
Selon Nicolas de Tavernost, président du groupe M6 : « Scènes de ménages est un programme
fédérateur qui essaie d’approcher la réalité au plus près. Sans évidemment avoir la prétention d’être le
miroir de la société française. Il est clair que le succès de la série est dû, en grande partie, à la forte
identification des téléspectateurs aux quatre couples. Toutes les générations sont concernées. D’une
certaine manière, elles dialoguent entre elles par écran interposé. Cet aspect intergénérationnel est
fondamental : tout le monde s’y retrouve, dans l’humour et la bonne humeur. »[15]
Cette audience intergénérationnelle est un atout pour les annonceurs. Le découpage en saynètes est
une autre aubaine : comme elles s’enchaînent sans rapport les unes avec les autres, les téléspectateurs
peuvent à tout moment prendre le programme en route sans être perdus. Les annonceurs en prof itent :
« en plus des fidèles, ces séries attirent beaucoup de spectateurs occasionnels, ceux que les pubs ont le
plus de mal à atteindre », commente François Liénart, de l’institut de sondage Yacast.
Promotion, buzz et glissement vers d’autres supports
Le catch-up (mettre à disposition du spectateur des épisodes gratuitement, avec une préphase de
publicité avant visionnage) prof ite aux auteurs en leur donnant une visibilité accrue, à la chaîne car elle
augmente le traf ic sur le site, et enf in aux annonceurs car elle leur of f re la possibilité d’investir à moindre
coût. La fan page Facebook de Bref (3 millions de f ans) est également l’endroit idéal pour f aire la
promotion. L’échange avec les f ans et les blogueurs est primordial pour maintenir leur intérêt. Il y a là une
envie de « donner collectivement du sens à l’expérience télévisuelle ».[16] Les deux auteurs postent des
quiz (de quel groupe provient la musique de cet épisode ?), et les cent premiers internautes à répondre
correctement sont récompensés par l’apparition de leurs noms au générique f inal. Les auteurs donnent
également des rendez-vous aux f ans pour des « tchats vidéo ». Certains amateurs ont participé au buzz
général en postant des épisodes « piratés ». Quelques épisodes de Bref ont en ef f et été copiés lors
d’une dif f usion en crypté et mis en ligne. Un blog très élaboré, Bref 3000 est né du succès de la
shortcom. Son auteur y décrypte chaque image pour repérer les clins d’œil très rapides au spectateur ou
les objets récurrents qui apparaissent. De nombreuses parodies ont également circulé sur internet (par
exemple, une version antillaise, Bwef).
M6 a opté pour la création de produits dérivés tels que la bande dessinée, adaptée des aventures des 3
premiers couples de Scènes de ménages. Écrit par Hipo et dessiné par Éric Muller, le premier tome de la
BD est sorti en septembre 2011, avec des histoires inédites. Avec 80 000 exemplaires tirés par les
éditions Jungle, la BD de Scènes de ménages se classe dans le top 10 des meilleures ventes f in 2011. De
plus, des DVDs compilant l’intégralité d’une saison (jusqu’à la saison 4) sont en vente libre, édités par la
f iliale vidéo de la chaîne (M6 vidéo). Pour Bref, les ventes du DVD de la première saison of f re des
résultats très satisf aisants, avec plus de 26 000 DVD vendus les 10 premiers jours.
La télévision ne sera donc plus f orcément le
médium principal. On peut déjà regarder ses
programmes courts préf érés sur une tablette,
un smartphone ; et grâce à dif f érents services :
vidéo à la demande, catch-up… Clément
Combes af f irme que ces diverses possibilités
« concrétisent pour la plupart le déplacement
rhétorique appliqué opéré par les industries
culturelles, substituant au terme de programme,
celui de contenu ». C’est donc potentiellement
un autre modèle éditorial pour les chaînes, qui
produiraient de la f iction comique à destination
de plusieurs supports.
Conclusion
Scènes de ménages et Bref sont des shortcoms novatrices qui puisent leur inspiration dans le patrimoine
audiovisuel f rançais et américain. La shortcom n’est donc pas encore un objet culturel de masse, mais
elle aspire à le devenir. Sa place dans l’industrie du divertissement f rançais est révélatrice puisqu’elle
engage une remise en question de toute une institution qui souhaite se moderniser.
La mise en modules de Scènes de ménages amène à une disparition de l’intrigue. À l’inverse la
superposition de la voix-of f et du sketch dans Bref donne une f orme de narration porteuse du comique.
Mais ces techniques ne sont-elles pas des moyens de pallier à un manque de vraies histoires ? Scènes
de ménages opte pour un f ormat qui se rapproche de plus en plus de la comédie, tandis que les auteurs
de Bref n’ont pas exclu le passage à un long-métrage. Ces programmes courts comiques sont-ils un
phénomène de mode, une f orme transitionnelle qui permettrait de relancer la production de f ormats plus
longs ? Les shortcoms sont-elles vouées à devenir des comédies à part entière ? Les supports de
dif f usion comme les produits culturels sont des éléments instables. C’est une « recherche constante
d’accompagnement des nouvelles tendances et préoccupations telles qu’elles peuvent être perçues,
théorisées et négociées par l’ensemble des acteurs de la chaîne de production de télévision, des
gestionnaires de l’entreprise aux réalisateurs en passant par les programmateurs, les scénaristes . »[17]
Extraits d’un mémoire soutenu en juin 2012 dans le cadre du M2 recherche en information-communication
à l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense. Texte adapté pour publication par David Buxton.
[1] Alain Carrazé, Les séries télé : l’histoire, les succès, les coulisses, Hachette, 2007, coll. « Toutes les
clés ».
[2] Cité in ibid. [Voir le livre classique de Stéphane Benassi, Séries et feuilletons TV. Pour une typologie
des fictions télévisuelles, CEFAL, 2000, réf érence ajoutée par DB]
[3] Marie-Adam Af f ortit : « Scènes de ménage, un succès vertigineux », Paris Match, 16 f évrier 2012.
[4] Marie Charrel, « Nos sitcoms produites à la chaîne f ont un carton », Capital, n°248, mai 2012.
[5] Jean-Louis Missika, La fin de la télévision, Le Seuil, coll. « La République des Idées », 2006.
[6] Diane Lisarelli, Johanna Seban et Pierre Siankowski, « 30 ans en Bref », Les Inrockuptibles, 19 octobre
2011.
[7] Clémentine Athanasiadis , « Après Bref et Scènes de Ménage, les comédies courtes s’invitent sur Arte
et T F1 », sur le site du Huffington Post, le 2 juin 2012. [Cf . le commentaire de Jacques Lourcelles sur le
cinéma f rançais des années 1930 : " Sur le plan formel, [Le monde tremblera, 1939] est absolument
typique de l’époque: mélange permanent d’ironie et de drame, structure latent de films à sketchs… Chaque
sketch ou pseudo-sketch livre, ainsi, de l’homme, une facette. Au moment du bilan, l’homme n’est que
facettes, sans unité, ni ligne conductrice; une marionnette en quelque sorte. », Dictionnaire du cinéma. Les
films, Laf f ont (« Bouquins »), 1992, 2001, p. 968, note ajoutée par DB.]
[8] Rapport de Pierre Chevalier (directeur des projets d’Arte France) de mars 2011 sur la f iction f rançaise
commandé par Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture.
[9] Delphine Le Gof f , « T élévision : upper cut », Stratégies Magazine, n° 1659, 15 déc. 2011
[10] Paule Gonzales, « La T NT révolutionne la production», Le Figaro économie, le 8 mai 2012.
[11] « Les tournages de f iction T V ont progressé en 2011 », La Lettre de l’audiovisuel, le 18 janvier 2012.
[12] « La f iction f rançaise, de plus en plus de f idèles », Média +, 3 f évrier 2012.
[13] Frédéric Jarreau , « La f ace cachée de Scènes de ménage », Télé Magazine, 28 janvier 2012.
[14] Marie-Adam Af f ortit, « Scènes de ménage, un succès vertigineux », Paris Match, 16 f évrier 2012.
[15] Enguérand Renault, « Scènes de ménage dépasse le 20h de France 2 », Le Figaro économie, 29
décembre 2011.
[16] Clément Combes , « La consommation de séries à l’épreuve d’internet : entre pratique individuelle et
activité collective », Réseaux n°165, « Les séries télévisées », janvier 2011.
[17] Eric Macé, « Qu’est-ce qu’une sociologie de la télévision ? Esquisse d’une théorie des rapports
sociaux médiatisés, les trois moments de la conf iguration médiatique de la réalité : production, usages et
représentation », Réseaux, n° 105 (« La presse magazine »), janvier 2001.
BIHEL Ingrid, « L’explosion des programmes courts comiques (shotcoms) en
France », Articles [En ligne], Web-revue des industries culturelles et
numériques, 2012, mis en ligne le 1 octobre 2012. URL : http://industrieculturelle.com/industrie-culturelle/lexplosion-des-programmes-courtscomiques-shortcoms-en-f rance-ingrid-bihel/
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