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« Patrimoine, identités, transmission en Asie du Sud-Est »
Synthèse de l’atelier 31
par Antonio Guerreiro
Contexte
Cet atelier, conçu et coordonné par Antonio Guerreiro et Dominique Rolland, se proposait
d’aborder plus particulièrement les aspects identitaires, politiques et culturels dans le cadre
d’une thématique plus large dédiée au patrimoine en Asie. Outre les acteurs premiers, musées,
personnalités influentes et institutions culturelles, l’atelier mettait l’accent sur le rôle clé des
objets de prestige et des collections, nationales et privées, au sein des sociétés pluriethniques
d’Asie du Sud-Est. Plus généralement, il abordait la coopération muséale comme les échanges
culturels qui sont associés à la gestion du patrimoine entre la France et des pays d’Asie du
Sud-Est ainsi qu’en Asie orientale, particulièrement au Japon et à Taiwan. Ces dernières
années, un nombre important de travaux ont été consacrés à la question de la conservation du
patrimoine ainsi qu’aux mécanismes institutionnels (définitions, traités, échanges, statut des
oeuvres…) mis en place par l’Icom et l’Unesco, notamment à propos du patrimoine bâti et du
patrimoine immatériel. Nous avons plutôt choisi de préciser les dimensions identitaires de la
transmission des patrimoines culturels dans ces pays, en rapport aux spécificités liés à
l’histoire
des sociétés locales. Au cours de ce tour d’horizon, nous avons évoqué le
développement récent des parcs à thème architecturaux qui reflètent d’autres choix culturels
et idéologiques que les musées, notamment au Japon et en Fédération de Malaysia. Depuis
longtemps, le Japon a mis en place des institutions qui assurent la conservation des traditions
culturelles et des arts traditionnels. La gestion du patrimoine dépend notamment de l’Agence
nationale des affaires culturelles, c’est elle qui définit la politique de conservation, la
classification des biens culturels importants (jûyô-bunkazai) et les « trésors nationaux »
(kokuhô) ; appartiennent à cette dernière catégorie les artistes et artisans qui sont les vecteurs
du patrimoine immatériel, arts de la scène, artisanat. Pour l’instant il faut constater que cette
politique volontariste de soutien et de transmission du patrimoine n’a pas d’équivalent en Asie
du Sud-Est.
La notion d’un « patrimoine commun de l’humanité » ainsi que la dimension du passé, liée
aux collections, est un trait propre aux musées de sociétés et d’archéologie. Dans la
perspective ethnologique élaborée en France dans les années trente, la muséographie s’était
construite autour des notions « d’objet-témoin » et de monographie, chères à Georges-Henri
Rivière et Paul Rivet, à côté d’une réflexion sur l’art et l’esthétique culturelle, formant deux
approches complémentaires. Actuellement, les musées nationaux en Asie du Sud-Est
dépassent cet horizon muséographique en intégrant la représentation, à partir d’une
scénographie qui privilégie les collections contemporaines et les reconstitutions, des luttes
pour l’indépendance nationale ainsi que celle de la diversité ethnique et culturelle. Les régions
et les Etats mettent en avant leurs caractéristiques ethniques et leur histoire dans ces
représentations muséographiques qui font souvent appel à l’image (photographie, film), au
son comme à l’objet.
La notion du métissage, issue en partie de celle de l’empire, devient aussi un enjeu du musée
postcolonial mais elle est plus difficile à mettre en scène dans l’exposition. L’hybridité
pourrait être alors une composante de l’exposition, notamment dans le récit qui la constitue ;
c’est le cas du musée Peranakan de Singapour, ouvert en 2008. Parfois le discours privilégie
les images, la perception, plutôt que l’explication, sous forme de reconstitution à partir
d’objets historiques. Par exemple aux Pays-Bas, le Tropen Museum, à Amsterdam (2003),
l’ancien musée du Koloniaal Instituut, donne une représentation de la colonisation de
l’Indonésie – les anciennes Indes Néerlandaises – incluant des figures paradigmatiques, « le
missionnaire, le militaire et l’administrateur », ainsi que celle du savant naturaliste, à l’aide de
mannequins et d’objets contextuels d’époque ; la scénographie étant soutenue par des
photographies et des films d’archives. En Asie du Sud-Est, nombre de musées prennent en
compte la dimension de la mémoire coloniale ; avec les conflits et les guerres de libération
nationale, elle forme une catégorie centrale dans la construction des identités nationales.
Depuis les années 1960, a eu lieu successivement la décolonisation puis la modernisation des
pays en voie de développement d’Afrique, d’Asie, des Amériques et d’Océanie ; dans les pays
d’Asie du Sud-Est elle s’accompagne de la création de musées nationaux, régionaux de
dimensions variées. Plus tard, le « moment de la mondialisation » met à plat les différences
culturelles ; parallèlement, les discours revendicatifs de l’identité culturelle et religieuse
apparaissent renforcés. En Occident, des musées dits des « cultures du monde » ou « des arts
et civilisations », procèdent à la mise en scène d’anciennes collections coloniales, recyclées
dans une nouvelle muséographie. La muséographie dite « immersive », sous différentes
variantes, est aussi favorisée. Ces évolutions ont des répercussions sur les musées dans le
Sud-Est asiatique, mais ces derniers possèdent aussi des spécificités, exprimées par des choix
scénographiques et des partis pris dans la muséographie (thèmes, chronologie, reconstitutions,
maquettes…). Les musées de la région mettent plutôt en avant les contenus didactiques dans
leurs expositions permanentes. Tandis que les collections privées d’objets ethnographiques et
de textiles traditionnels se multiplient dans la région, des pays d’Asie du Sud-Est continentale
à ceux d’Insulinde (Malaysia, Indonésie, Philippines, Singapour).
Contenu et acquis
L’atelier présentait six communications qui ont été données dans l’ordre indiqué ci-dessous.
Chacune des communications examinait un aspect particulier de la transmission du patrimoine
au sens large – matériel et immatériel – et des identités, ethnique, locale ou nationale, qui s’y
rattachent. Les communications contextualisaient notamment le rôle de l’Histoire dans la
prise en compte des patrimoines issus de la colonisation en Europe, en France et en Asie du
Sud-Est contemporaines.
Dominique Rolland a examiné les « Enjeux de la mémoire coloniale au camp de rapatriés
d’Indochine de Sainte Livrade sur Lot », le camp militaire où furent hébergés en 1956 1200
rapatriés citoyens français (principalement des femmes, concubines de militaires français et
les enfants métis – 700 sur les 1200 –qu’elles avaient eus de ces unions). Récemment, le camp
est entré dans sa phase active de disparition pour cause de rénovation. Le projet conduit par
la Mairie comprend la création d’un « lieu de mémoire » destiné à préserver le souvenir du
demi siècle de présence vietnamienne en ces lieux, mais dont le contenu reste encore à définir.
L’histoire de ce camp est particulièrement riche, mais aussi particulièrement complexe, parce
qu’elle est traversée par la question du métissage qui place les individus dans une double
appartenance, à la fois colonisateurs et colonisés. La communication fait le point sur les
enjeux et les débats qui ont lieu actuellement ; elle présente en contrepoint quelques lieux de
mémoire déjà actifs et consacrés à l’Indochine (pagodon de Dinan, divers monuments aux
morts de l’Indochine, statues).
En abordant la « Coopération muséale au Vietnam », et plus particulièrement l’exemple du
« Musée de la femme » à Hanoi, Christine Hemmet a précisé les conditions dans lesquelles
elle se déroule. La coopération française en matière de muséographie est exemplaire par son
ancienneté – plus de 15 années – et par sa diversité. Le Musée des Femmes du Vietnam, fruit
de cette collaboration, vient d'ouvrir ses portes à Hanoi le 18 octobre 2010. Il a été conçu, en
collaboration avec des experts français et vietnamiens, comme un lieu de mise en valeur de la
femme vietnamienne dans sa vie quotidienne, mais aussi dans l'histoire. Il renferme un
patrimoine exceptionnel d'objets dont la caractéristique essentielle est de témoigner à travers
une muséographie innovante. Chacun de ces objets, qui a appartenu à une femme, raconte une
histoire ou témoigne d'un épisode historique, ce qui donne à ce musée une grande puissance
émotionnelle.
Jérôme Ghesquières considérait « Le fonds photographique du Musée Guimet, sa valorisation
et diffusion ». Créé en 1920 à l’initiative de Victor Goloubew, le fonds photographique a, par
la suite, été enrichi et structuré par Philippe Stern, devenu responsable du service. Ce dernier
a mis en place une véritable documentation pour servir l’étude et la diffusion des arts
asiatiques. Mais le fonds se compose aussi de photographies des collections nationales
(peinture, sculptures, objets,…) et surtout d’ensembles rares de la deuxième moitié du XIXème
et du début du XXème siècle, constitués à l’occasion de missions archéologiques ou militaires,
de voyages diplomatiques ou plus simplement dans le cadre d’une activité commerciale de
studios photographiques professionnels. La communication a évoqué différents aspects de la
politique de conservation, de valorisation et de diffusion de ce fonds d’une très grande qualité.
La communication d’Antonio Guerreiro, « Diversité culturelle, identités et collections
muséographiques en Indonésie et en Fédération de Malaysia », faisait le point sur les enjeux
liés au patrimoine dans ces deux pays. Depuis les années 1970, la notion de « diversité
culturelle » est présentée sous différentes formes dans le cadre de musées nationaux et
régionaux, ainsi que dans des « parcs culturels » (Taman Mini Indonesia à Jakarta, Taman
Budaya Asean à Malacca, Sarawak Cultural Village à Kuching...). L’idée de « représentation
muséale » est alors définie par rapport à des stratégies identitaires et aux politiques culturelles
des Etats. Parallèlement, la conservation et la valorisation d’un patrimoine culturel matériel et
immatériel, sa transmission, s’exercent au sein de nombre d’institutions privées ou semiprivées (palais, musées, fondations, associations…), à côté de collectionneurs qui privilégient
certaines catégories d’objets. La comparaison de ces pratiques de conservation et d’exposition
met en évidence les notions autochtones de « biens d’héritage et de prestige » (pusaka), liées à
la transmission, et de « coutume» (adat) qui possèdent de multiples significations identitaires
aux yeux des populations.
De son côté, Nicolas Césard a centré son exposé sur un objet plus restreint dans ces mêmes
pays, les « Pratiques liées à l’usage et la transmission des jarres de prestige à Bornéo ».
D’origine chinoise pour les plus anciennes, copies de jarres originales pour les plus récentes,
les jarres de grès sont présentes depuis le XVIème siècle à Bornéo. D’abord échangées dans
l’intérieur contre des produits forestiers par les commerçants, elles sont devenues avec le
temps des objets de prestige pour les populations locales. En comparant les différents usages
des jarres (jarre pusaka, jarre amende, jarre ossuaire, jarre à bière), il a insisté en particulier
sur la manière dont elles sont transmises, comme biens hérités, mais aussi comme prestations
dans les mariages. En bref, Cesard décrit comment les jarres circulent, s’usent et disparaissent
à Bornéo.
Annabelle Vallard présentait le cas singulier des « Textiles en collection au Laos et en
Thaïlande : d'un patrimoine personnel à un patrimoine national ». Dans ces deux pays existent
de multiples collections textiles. Il y a celles de l’État et des officines gouvernementales,
celles des fondations et des sociétés savantes et aussi celles des entrepreneurs privés qui sont
impliqués dans la production et la création contemporaine d’étoffes destinées aux marchés
internationaux haut de gamme. À Vientiane, Luang Prabang, Bangkok ou Chiang Mai, la
plupart d’entre eux disposent en effet de collections de textiles qualifiés d’« antiques », –
même s’ils datent rarement de plus d’une centaine d’années –, qui composent autant de
musées privés en gestation. L’auteur s’intéresse à la manière dont les collections des
entrepreneurs articulent localement la question des patrimoines « privés » et « publics »,
« familiaux » et « nationaux ». Plus généralement, elle propose de voir comment ces
collections et leurs collectionneurs agissent dans le monde élargi des politiques culturelles.
Enfin, nous regrettons que Hélène Suppya Nut, se trouvant au Cambodge, n’ait pu participer à
l’atelier ; sa communication intitulée « De l’art de servir à l’art d’être servi : les artistes du
théâtre royal du Cambodge », s’intégrait dans la problématique que nous avions définie, elle
interrogeait l’histoire du pays, et particulièrement le rôle des institutions royales, en rapport
avec les arts de la scène.
Perspectives
Dans le cadre de l’atelier nous avons posé les prémices d’une réflexion sur les phénomènes
qui articulent la question du patrimoine, à la transmission et aux identités. Les participants,
dont certains ne se connaissaient pas, ont pris contact à cette occasion. Bien que nous ne
pensions pas publier les contributions sous la forme d’un ouvrage collectif, il serait
souhaitable d’élargir notre cercle à d’autres chercheurs et universitaires en Europe et en Asie
qui travaillent sur des problématiques similaires. Un colloque ou une journée d’études
consacré à ce thème mériterait d’être organisé dans un avenir proche (en France ou en Asie du
Sud-Est). Un effort a été consenti pour mettre en valeur les continuités et les ruptures liées
aux politiques culturelles des Etats, depuis la décolonisation et les guerres des années 19401970. L’interdisciplinarité établie entre les participants, anthropologues, ethnologues,
muséographes et spécialistes des arts et des cultures, a été fructueuse. Il ressort que les
différents aspects liés à l’histoire, aux identités culturelles, à la transmission des collections,
ainsi que le rôle de la mémoire coloniale dans la région, en rapport avec le métissage et avec
l’hybridité, mériteraient d’être approfondies. En outre, en raison d’une limitation de temps, les
expressions de l’art contemporain dans le Sud-Est asiatique, n’ont pas fait l’objet d’une
communication particulière. Leur statut patrimonial serait à comparer à celui des collections
publiques et privées d’art ancien/moderne ou d’ethnographie. Il faut souligner qu’elles
occupent une place à part, entre des institutions muséales ou publiques peu actives dans ce
domaine, et un marché mondial de l’art fonctionnant déjà à travers des foires et un réseau de
galeries dans la région. Il intègre maintenant, dans le contexte de la mondialisation,
l’ensemble de l’Asie du Sud-Est, avec la Chine, Taiwan, le Japon et la Corée. La
recomposition du paysage muséal entre tradition et culture dite « populaire » qui se dessine
dans la région, notamment à Singapour et en Indonésie, Malaysia, et en Thaïlande, laisse
préfigurer de nouveaux développements liés à l’usage du numérique, avec l’internet
(Facebook), la téléphonie mobile (smart phones) et bientôt des tablettes. Le rôle de l’Etat et
celui des acteurs privés évolue plus rapidement. En conséquence, il se pourrait que la
perception de la transmission, comme de la conservation des biens culturels et des arts de la
scène, pour les élites locales et le public cultivé en général en sortent revitalisées.
Références
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