Frère Luc de Tibhirine Moine et médecin
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Frère Luc de Tibhirine Moine et médecin
Frère Luc de Tibhirine Moine et médecin I – Sa vie : Paul Dochier est né le 31 Janvier 1914 à Bourg de Péage dans la Drôme. Il a un frère André et une sœur Marthe. Enfance heureuse et sans histoire marquée par deux évènements : la première guerre mondiale, et la mort de son frère André atteint d’une tuberculose à l’âge de 17ans. Est-ce la source de sa vocation de médecin ? Il commence son externat de médecine en 1934 et son internat en 1938 à la faculté de médecine de Lyon. Grâce à un ami également étudiant en médecine, il découvre l’abbaye d’Aiguebelle. En 1937 au cours d’un séjour à l’abbaye il vit un profond bouleversement spirituel qui le pousse à envisager la vocation monastique. Le père Abbé lui demande cependant de terminer ses études de médecine. C’est en 1940 qu’il terminera sa thèse car entre-temps, il doit faire son service militaire. A cette occasion il est envoyé à Casablanca puis à un important centre caravanier du Sud Marocain où il découvrira des populations pauvres et musulmanes auxquelles il va s’attacher. Du coup naît en lui ce désir de revenir vers elles quand il sera moine : or le monastère de Tibhirine dépend de celui d’Aiguebelle : il espère donc !!! Le 7 Décembre 1941, il entre officiellement chez les moins trappistes d’Aiguebelle. Un an plus tard il reçoit par choix l’habit de frère convers et le prénom de Luc, saint patron des médecins ! Les frères convers étaient dispensés de certains offices pour mieux se consacrer au travail, pour Luc la buanderie, la cuisine, l’exploitation agricole du monastère. Prière et travail, travail et prière : « Ora et labora » ! Mais voilà que Luc apprend qu’un de ses anciens collègues médecins, père de quatre enfants, est détenu comme prisonnier de guerre. Frère Luc se porte volontaire en Avril 1943 pour le remplacer dans le camp qui se trouve en Allemagne, en Rhénanie du Nord… comme le fera Maximilien Kolbe. Dans ce camp, il se met au service de tous les prisonniers notamment les plus abandonnés, les prisonniers russes. Il ne reviendra qu’en 1945 et il fera sa profession simple en 1946, et partira alors à Tibhirine. Là existe un dispensaire depuis la fondation du prieuré Notre Dame de Meskins, c’est-à-dire Notre Dame des pauvres : c’est vraiment ce qu’il lui fallait ! Il devient l’homme providentiel pour toute cette région pauvre et reculée… et par lui la communauté donnera un véritable témoignage évangélique. Là en 1949, le 15 Août, il fera ses vœux perpétuels. Au moment de l’indépendance de l’Algérie, l’avenir de la communauté semble compromis deux moines, dont le frère Luc, sont pris en otage en Juillet 1959, en guide de représailles par le F.L.N. après l’arrestation d’un iman par l’armée française. Les deux religieux seront libérés dix jours après mais Luc Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 1 en sera marqué à vie puisque cette prise d’otage lui a provoqué de graves crises d’asthme et lui laissera une tendance à des dépressions passagères. Autre problème : le vieillissement de la communauté fait envisager à un moment donné la fermeture du monastère. Mais finalement Mgr Duval plaide en sa faveur auprès de l’Abbé Général des Trappistes. Tout repart… sauf que les responsables du monastère commencent à trouver que l’influence croissante de l’activité de Luc au dispensaire les dérange et leur fait de l’ombre : on lui demande donc d’aller se reposer à l’Abbaye de Notre Dame des Neiges, ce que Luc accepte à contre cœur sans être dupe ! Son passage à l’Abbaye est pour lui une véritable traversée du désert au point qu’il écrit lui-même à l’Abbé Général pour le supplier de retourner à Tibhirine où il peut, dit-il vivre vraiment la tradition monastique évangélique de présence aux pauvres et aux souffrants. Il est finalement entendu un an après sa demande et exercera alors encore plus de trente ans son ministère de moine-médecin dans la région. Là il soignait tout le monde aussi bien les pauvres des villages environnants que les « frères de la montagne » comme les moines appelaient les maquisards islamistes. Entre eux il y avait un respect qui rend difficilement plausible la thèse de l’assassinat des moines par ces maquisards. Frère Luc était dans la communauté une personnalité marquante avec un fort tempérament et une grande indépendance. C’était aussi un homme cultivé, d’une grande finesse, lisant les grands classiques, et un mélomane aimant choisir de belles musiques pour ses frères au réfectoire. Avant tout c’était « un homme » comme le disait Christian de Chergé le supérieur et bien sûr c’était un « priant parmi les priants » comme les moines aiment se définir en terre musulmane ! Exercice pratique : Savoir unifier notre vie en saisissant toutes les chances que la vie nous offre pour les mettre au service de ce qu’on estime être notre vocation personnalisée (comme Luc a su devenir et rester moine-médecin) au service des plus pauvres. II – S’abandonner à Dieu : « Mon Sauveur, j’en ai assez de raisonner et de discuter à ton sujet. J’ai assez lu, assez écouté, assez parlé : je voudrais m’approcher de toi simplement. Laisse-moi fermer les lèvres. Qu’entre nous plus rien ne s’interpose. Laisse-moi venir à toi. Laisse-moi m’absorber, m’abîmer en ta présence. Que ton cœur parle à mon cœur… » Frère Luc en avait parfois assez des raisonnements, discussions, parlotes, débats sur Dieu, il voulait laisser Dieu venir à lui et s’abandonner à lui… Il en avait aussi certains jours assez de soigner plus de cent malades à la journée, il était fatigué et épuisé… au point d’aspirer au seul vrai repos : l’abandon entre les mains de Dieu… Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 2 Il en avait aussi assez des considérations morales, moralisantes, moralisatrices sur Dieu et des combats ascétiques pour aller vers Lui, il voulait se laisser habiter par Dieu, prendre conscience de son amour, se mettre à l’écoute de son amour, se laisser aimer : « une certaine conscience éveillée, une écoute désireuse, voilà une voie plus féconde et plus sûre que celle d’analyses génératrices de considérations morales et de combats ascétiques. L’essentiel est de savoir quel esprit va nous habiter… » Exercice pratique : S’abandonner à Dieu, se laisser aimer par Dieu, se reposer entre ses mains… en mettant à distance les raisonnements, les discussions, les analyses moralisantes, les efforts volontaristes même tout ce qui vient de nous… Chaque chose en son temps, donc se ménager le temps de Dieu pour Dieu en nous ! III- Concentrer son esprit et son cœur sur Dieu : « C’est une chose de penser Dieu, de le nommer, voire de le louer, et une tout autre de se concentrer sur sa présence. Dieu est une source de réflexion pour le théologien, de vision pour le poète, sans que ni l’un ni l’autre ne l’aiment à proprement parler. On peut avoir l’esprit tout occupé de Dieu sans avoir envers lui un sentiment quelconque. » Exercice pratique : Savoir de temps à autre se concentrer sur la Présence de Dieu ici avec nous et stimuler notre cœur pour éveiller des sentiments d’amour envers lui et des sensations de bien-être en sa Présence ! IV – Être mendiant de Dieu, en perpétuelle quête de Dieu : 1« Vis-à-vis de Dieu, nous restons dans la position de mendiant. Ses dons sont parfaitement gratuits. Aucun effort, aucun travail n’exigent en justice une rétribution de sa part. Dieu ne nous doit rien. Le mendiant de Dieu s’abandonne à cet arbitraire divin dont il dépend tout entier. Le chrétien prendra la posture de l’homme qui, « ayant conscience de son impuissance à satisfaire ses aspirations vers le règne de Dieu », demeure dans toutes les rencontres en quête de Dieu. La vie chrétienne n’est pas l’enjeu d’une performance bien menée. Elle dépend de l’initiative divine. » 1 Être mendiant de Dieu, c’est attendre qu’il se donne à nous « gratuitement ». Quand il voudra… et chaque jour il se donne à un moment ou à un autre : sommes-nous attentifs, éveillés, disponibles ? Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 3 2 « Le mendiant de Dieu n’aura jamais le sentiment d’être arrivé. Inlassablement, il avance en quête de Dieu. Aussi acceptera-t-il sans révolte ses échecs spirituels ou autres. Sans amertume ni classement de ses échecs, le découragement mordra difficilement sur lui. Il comprend que la vie spirituelle n’est pas de s’approprier des vertus, mais de s’ouvrir à l’enrichissement divin. Aucune méthode, aucune technique, aucun art ne nous apportent Dieu, si nous n’acceptons pas d’aller à lui, en le mendiant, et de mériter la béatitude de « ceux qui ont une âme de pauvre » » 2 Être mendiant de Dieu c’est ne jamais se croire « arrivé » mais vouloir aller toujours plus loin, être toujours en quête (même si c’est fatigant de ne jamais s’arrêter de chercher Dieu.) 3 « Ce n’est pas sa propre misère, mais la vue de Dieu qui donne à l’homme le sens vrai de sa condition de pécheur, de même ce n’est pas surtout sa détresse matérielle, mais son regard vers Dieu qui lui fait prendre conscience de sa pauvreté. Ce n’est qu’après avoir pris conscience de Dieu, la souveraine richesse, qu’on peut acquérir une âme de pauvre et, talonné par cette pauvreté, partir en quête de Lui, à travers la création et chaque évènement de l’existence. » 3 Être mendiant de Dieu c’est tellement goûter à la richesse de Dieu qu’on la désire toujours plus, qu’on est en manque, qu’on la mendie ! 4 « Dieu aime ceux à qui il peut le plus donner, ceux qui attendent le plus de lui, ceux qui lui sont le plus ouverts, le plus « à charge ». Qu’ils soient purs comme Jésus, ou souillés comme Marie-Madeleine et Zachée, peu lui importe. Dieu seul nous connaît au-delà de nos apparences. Dieu seul nous supportera toujours. Une seule chose crée un obstacle comme invincible à Dieu lui-même. C’est la suffisance, la sensation de plénitude. L’attitude de celui qui veut s’accomplir lui-même, réaliser sa perfection, accumuler ses mérites, achever ses vertus. Nulle place en son cœur pour le désir. Nul vide ne crée un appel. Nul manque, nulle fissure par où pourrait passer la grâce : nul moyen de combler une âme fermée sur une possession jalouse de ses biens spirituels. C’est le pire des dangers, le danger des justes, car cette mystérieuse justice du Royaume est donnée dans la mesure où l’âme a conscience qu’elle ne possède pas la justice. Dieu ne peut faire autrement que de s’incarner dans le vide qui vient de s’ouvrir ou de s’offrir devant lui. L’homme entre alors dans le maintenant et l’ineffable, il est totalement présent, totalement libre. Ce n’est plus lui qui vit, c’est le Fils qui vit en lui. » 4 Être mendiant de Dieu, c’est avoir faim, soif de Lui comme les saints ou les publicains et les pécheurs, alors que les satisfaits, les justes n’ont aucun vide en eux, ils sont pleins d’eux et Dieu ne peut entrer en eux. Être mendiant de Dieu c’est faire le vide en soi et creuser notre désir ! Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 4 Exercice pratique : Être attentif et réceptif aux passages de Dieu qui se donne à nous gratuitement chaque jour par un signe, une rencontre, un moment de grâce, un déclic spirituel… Faire le vide en nous de ce qui nous « gave » et empêche de désirer Dieu et de le goûter. Prendre conscience de nos manques, de nos fissures, de nos failles, de nos blessures… et les transformer en ouverture à Dieu qui se donnera d’autant plus que le passage sera grand ! V – Croire à notre utilité : « Il est normal que nous nous demandions souvent à quoi notre vie peut être vraiment utile. La foi, c’est de croire que Dieu, lui, la trouve utile, nécessaire à son plan, indispensable à sa joie. « La Foi en l’Amour de Dieu, c’est croire qu’il s’intéresse passionnément à chacun de nous personnellement et continuellement. » Exercice pratique : Chaque jour chercher comment on peut être utile aux autres, à Dieu… Se lever le matin en disant : « à qui vais-je être utile aujourd’hui ? » VI - Laisser le Christ nous libérer et libérer l’homme ! « Le Christ n’est pas un modèle à imiter de l’extérieur. Il est un principe de vie et d’amour en nous. Il est notre liberté. Le laisser être, laisser aimer, fait de l’homme la fontaine d’une source intarissable. » Imiter le Christ ce n’est pas copier un modèle extérieur mais le laisser nous guider de l’intérieur par la puissance de son amour, libérateur du meilleur de nous-mêmes. Le Christ est notre liberté libérée ! Il libère aussi les autres hommes de tout ce qui les empêche d’être eux-mêmes, d’être debout et libres ! « S’il y a Christ, c’est qu’il n’y a pas à chercher Dieu hors de l’homme, hors des autres hommes. Et cette recherche n’a pas de fin… Le Christ accomplit son voyage vers l’homme debout : il guérit, nourrit, remet en route les personnes bloquées, réinsère les exclus de la communauté : expulsion des démons, adversaires de l’homme. Le voyage jusqu’au bout, il visite l’horrible et l’infâme, il descend aux enfers de l’homme. » Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 5 A nous d’incarner l’action libératrice du Christ dans les autres, de libérer les autres de leurs blocages et autres maux. Exercice pratique : Essayer de libérer de ses maux, de son mal-être, de ses gros problèmes la personne proche qui en a le plus besoin. VII – Être relié, en relation … « Sauver sa vie, c’est l’insérer à sa juste place ; notre problème est d’être justement situés, c’est-à-dire reliés. Ce qui nous fait vivre, c’est notre relation. Nous ne pouvons trouver en nous-mêmes ce qu’il nous faut pour vivre, la mort est la cessation de relations… Le soleil de notre vie se définit comme sortie de soi, car rester en soi équivaut à demeurer dans l’orbite du mortel… » Avec qui sommes-nous vraiment en relation ? « Le salut nous vient des autres qui sont pour nous la présence de Dieu appelant à la vie. Si la foi sauve, c’est parce qu’elle détourne notre regard vers un autre, donc crée une relation qui nous arrache à notre solitude mortelle. » « Chaque fois que nous quittons le souci de nous-mêmes pour le souci d’un autre, nous vivons cette foi, qui est, peut-être à notre insu, foi en Dieu : « perdre sa vie pour le Christ ! » » De qui avonsnous vraiment le souci ? « Recevant la vie des autres, nous retrouvons notre vérité originelle… Si l’on veut être heureux, on va droit à la déception, au malheur : « si tu veux être heureux, rends quelqu’un heureux… » Qui cherche-t-on à rendre heureux ? « Il ne s’agit pas de croire que l’autre va nous rendre, que nous aurons une récompense, ce serait vouloir sauver sa vie. Si l’autre ne répond pas, aucune importance, c’est dans l’acte même de donner que nous trouvons la vie… » La vraie relation est gratuite, désintéressées et non « donnant donnant » « Le Christianisme fait habiter en nous Dieu et le monde. Nous pleurons avec ceux qui pleurent et nous nous réjouissons avec ceux qui sont dans la joie. » Sommes-nous habités autant par le monde que par Dieu et réciproquement ? « Je n’ai pas eu grand-chose dans la vie, mais je me trouve comblé. J’ai eu la révélation de la miséricorde de Dieu et de l’amitié des hommes. » Être en relation, c’est être en amitié. Exercice pratique : Soigner nos relations pour qu’elles deviennent de vraies relations d’amitié. Chaque jour chercher à rendre au moins une personne un peu plus heureuse (encouragement, visite, aide, service…) Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 6 VIII – Aimer, c’est faire exister l’autre : « Aimer, c’est faire exister l’autre, c’est peut-être l’écouter au lieu de parler, recevoir de lui au lieu de vouloir donner. Peut-être attend-il que j’aie besoin de lui… » Aimer, c’est faire exister l’autre en ayant besoin de lui et en reconnaissant en lui le Christ Ressuscité. « C’est en nous penchant vers la détresse des pauvres, des malades, des pécheurs, de tous les hommes que nous pouvons poser notre doigt sur la marque des clous, plonger nos mains dans le côté percé, acquérir la conviction personnelle de la résurrection et de la présence réelle de Jésus-Christ dans son corps mystique et dire avec Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » » Les autres sont le visage actuel du Christ Ressuscité. Les aimer, c’est aller jusqu’à cette reconnaissance ! Exercice pratique : Apprendre à voir tout ce qu’on reçoit des autres. Par exemple, le soir, dans notre bilan de vie, nous demander : de qui ai-je le plus reçu aujourd’hui et quoi ? Apprendre à dire : j’ai besoin de toi… Reconnaître et remercier tous ceux dont nous avons régulièrement besoin. IX – Avoir un cœur brûlant : « Quand j’entends l’Écriture ou que je m’occupe à la lecture privée, il y aura toujours une phrase, un mot qui s’applique à mon état présent. En 1976, Seigneur, tu ne nous parles plus en paraboles, ni par des textes fixés comme ton Évangile, mais par des évènements, des signes. Chaque jour est un livre de signes : rencontres, contrariétés, difficultés, conversation… Mes yeux ne sont pas assez ouverts pour voir le signe que tu m’adresses. Toute situation humaine, est au moment donné, l’endroit où se trouve Jésus. Les signes de ma vie, je ne suis pas capable de les interpréter moi-même. Maître, explique-moi la parabole. Notre cœur devient brûlant quand on se laisse toucher par la Parole de Dieu transformant les évènements de nos vies en signes de Dieu, quand on fait un va et vient entre Parole de Dieu et vie concrète pour ressentir le passage brûlant de Dieu en nous. « Chaque mot de l’Évangile peut-il transformer et emplir une journée ? Peut-il de chaque jour faire une nouvelle journée ? Oui, si cette parole est reçue comme la nouvelle que Jésus m’adresse. » « Si notre perception spirituelle n’était pas obscurcie, si notre chair ne pesait pas un tel poids sur notre âme, la méditation de l’Évangile nous mettrait dans un état d’incandescence permanente. » « Les paroles de l’Évangile ne sont pas des vérités ou des exhortations générales, elles sont dites à moi. Celles qui dont dites aux autres ne me sont pas dites. Car il n’est pas d’homme à qui le Seigneur n’ait adressé une parole brûlante. Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 7 Exercice pratique : Méditer la Parole de Dieu et se laisser toucher par elle. Pratiquer la relecture de vie, vivre des partages de la parole et des partages de vie. X – Accepter d’être vulnérable et de devenir pauvre : « Qu’il n’y a rien de plus puissant que le désespoir » S. Isaac le Syrien ! « Il faut passer par un vrai désespoir pour arriver à la relation avec Dieu. » « Il faut désespérer de tout, de notre qualité morale, de nos vertus, de notre organisation ecclésiale, de notre doctrine, il faut passer vraiment par la mort et dans cette situation de mort, de désespoir absolu, il ne nous y reste qu’une personne : le Christ, et si l’on se tourne vers lui, c’est alors lui ouvrir ! Et à partir de ce moment-là, commence un autre mode d’existence : on peut marcher sur les vagues. » « Accepter de n’être que poussière, de n’être pas nécessaire, d’être vulnérable et d’avoir besoin d’un Dieu qui nous permette de supporter de n’être qu’un homme. C’est ce que le Christ nous dit pour trouver la route du paradis : cherchez la découverte de l’amour. La puissance de l’amour doit l’emporter sur les peurs, les angoisses, les désespérances… » Être pauvre, c’est être vulnérable : il faut accepter de toucher le fond pour découvrir que seul le Christ peut nous sauver et alors nous accrocher à Lui. Toucher le fond c’est reconnaître qu’on est vraiment blessé, touché physiquement, moralement, spirituellement et qu’on ne peut plus rien humainement parlant ! Accepter d’être vulnérable ouvre en nous une faille par laquelle Dieu peut passer. « Qui a une âme de pauvre ? Quand le Seigneur nous désinstalle d’une de nos positions matérielles ou spirituelles ! La pauvreté, c’est la condition première pour être perméable à Dieu. « Notre pauvreté sera faite de nos quotidiennes désinstallations dans la joie. Incertitude du lendemain, qui réclame une très grande confiance en Dieu. Dieu veut que vous ne vous cramponniez à rien. Le vrai Pauvre, c’est le Christ, il ne s’est cramponné à rien, « il n’a pas retenu avidement son égalité à Dieu. Il s’est anéanti lui-même » (Phil. 2, 6-8) » Ceux qui ont rencontré le Christ se sont laissé faire, « sans savoir où ils allaient, sans savoir où ça les mènerait. » « Chacun a son idée sur Dieu. A cela aussi il faut renoncer. » Être pauvre, c’est être désinstallé matériellement, spirituellement… et détaché de tout (ne se cramponner à rien)… mentalement (l’incertitude), C’est se laisser faire par Dieu, par les autres, par la vie… « La pauvreté matérielle est une situation économique et non une vertu. La pauvreté ne mène pas nécessairement à l’amour. Mais l’amour vrai mène toujours à la pauvreté. Une pauvreté subie recouvre généralement une avidité violente. Une certaine pauvreté peut nous détourner de Dieu. Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 8 « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre. Heureux ceux qui acceptent de se laisser critiquer par la parole de Dieu. Heureux ceux qui acceptent de remettre leurs idées en question. Heureux ceux qui acceptent de croire qu’ils n’ont encore rien compris. Heureux ceux qui savent accepter de penser que Dieu peut tout demander. » C’est se laisser critiquer, remettre en cause, accepter de ne rien comprendre, etc… « Le premier appauvrissement que Dieu nous demande, c’est de renoncer à l’idée que nous nous étions faite de la pauvreté. L’humiliation d’être riche est un début de pauvreté. L’orgueil d’être pauvre est la plus dangereuse des richesses. » « Une seule chose crée un obstacle comme invincible à Dieu lui-même. C’est la suffisance, la sensation de plénitude. L’attitude de celui qui veut s’accomplir lui-même, réaliser sa perfection, accumuler ses mérites, achever ses vertus. Nulle place en son cœur pour le désir. Nul vide ne crée un appel. Nul manque, nulle fissure par où pourrait passer la grâce : nul moyen de combler une âme fermée sur une possession jalouse de ses biens spirituels. C’est le pire des dangers, le danger des justes, car cette mystérieuse justice du Royaume est donnée dans la mesure où l’âme a conscience qu’elle ne possède pas la justice. » Accepter d’être dépendant et non suffisant, être vide de soi… Exercice pratique : Cultiver la pauvreté de cœur en profitant de tous nos moments de vulnérabilité, de désinstallation, d’incertitude, de critiques, d’incompréhension, de dépendance, etc…, d’échecs, de souffrances, de limites, …etc… pour nous vider de nous-mêmes et nous ouvrir à Dieu… XI – Rester humble et simple : « Le jour où j’accepterai avec joie que l’on dise de moi : « il n’a rien de remarquable », ce jour où je serai vraiment humble, ce jour-là, je rendrai grâce à Dieu de ce que son levain et son pouvoir… semblent avoir mis à ma portée le pain de vie. Et ce jour-là je pourrai, même dans la solitude devenir « l’homme pour les autres » Plus on accepte d’être comme tout le monde, plus on devient l’homme pour les autres… Exercice pratique : Chercher à être comme tout le monde, pour tout le monde au lieu de vouloir être au-dessus de tout le monde. Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 9 XII – Être Saint : « La sainteté est pour tous, comme le pain est pour tous. La sainteté pour le chrétien, c’est tout simplement de laisser vivre Jésus-Christ en nous-mêmes, « Pour moi, vivre c’est le Christ ». « Si vous ne faites aucune peine à ceux qui vous entourent, si votre présence est un sourire dans l’existence de tous vos voisins, vous êtes au cœur même de l’Évangile. » Être saint, c’est laisser le Christ vivre en nous… Être agréable avec ceux qui nous entourent, être un « sourire » pour eux… « Nous n’avons pas à prêcher le Christ car moins on en parle, mieux c’est ; nous sommes appelés à prêter à Dieu notre bonté, notre amitié, toutes ces choses qui atteignent le cœur de l’homme. C’est par là que nous serons à la suite des saints. » « Prêter à Dieu notre bonté et notre amitié » pour les autres ! Exercice pratique : Chercher à cultiver en nous une sainteté « humaine » en prêtant à Dieu notre bonté et notre amitié, notre qualité relationnelle envers les autres Régulièrement nous demander : « Pour qui ai-je été ou vais-je être aujourd’hui bon ? » XIII – Cultiver la paix profonde du cœur : « Qu’est-ce que l’hésychia ? C’est le silence dans notre cœur, notre esprit, notre corps. L’apatheia, c’est le but : l’homme est devenu amour, sans émotion, sans désir : il est. Sa prière est efficace. S’il y a une grande paix en toi et un amour pour tous les hommes, le Saint-Esprit habite en toi. » « Tout ce qui peut troubler la paix et la pureté de notre âme doit être évité, si utile et nécessaire qu’il puisse paraître. » « Aucun objet ne vaut qu’on le désire. Quand le moine a entendu cela, il regarde chaque objet, il voit dans tout ce qu’il ressent l’instabilité, la caducité, l’effondrement, la disparition. Et voyant partout l’instabilité, la caducité, l’effondrement, la disparition, il ne se cramponne plus à quoi que ce soit dans le monde. A celui qui ne se cramponne pas, nulle chute n’arrive. Considère que plaisir ou souffrance, richesse ou misère, victoire ou défaite se valent. L’homme qui chassant tous désirs, vit sans passions, sans poursuites personnelles, sans égoïsme, celui-là entre dans le repos. » La grande paix du cœur, c’est la sérénité profonde, c’est notre capacité intérieure à ne pas nous laisser déstabiliser, troubler ou agiter par rien que ce soit positif ou négatif, c’est être « au-dessus de tout ! » Êtes-vous d’accord ? Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 10 Exercice pratique : Être au-dessus de tout ce qui nous touche et nous affecte pour garder une grande sérénité intérieure, pour être habités pour une paix profonde. Pas d’enthousiasme excessif, pas de désespérance excessive ! XIV – Être témoin : « Le moine n’est pas un convertisseur : il est un témoin, témoin devant Dieu au nom du monde dont il est comme la dîme offerte en holocauste au Dieu souverain, témoin devant les hommes de la primauté des devoirs envers Dieu, de la recherche de Dieu et de la vie en lui au-dedans de soi. Son témoignage est efficace, mais cette efficacité, il ne s’en préoccupe pas, il ne la recherche pas ; Il ne témoigne pas, il est témoin en cela même qu’il est ce qu’il est. Le monde est ce que le font les grandes âmes, celles qui, au fond de moi, ont rejoint Dieu. C’est en réalisant la paix en soi qu’on réalise la paix dans le monde. C’est au-dedans de soi que l’on vainc les puissances de ténèbres qui sillonnent et dominent le monde. Exercice pratique : Être témoin non en cherchant à témoigner par des actions exceptionnelles mais en vivant pleinement ce que nous avons à vivre au point d’être en paix avec nous-mêmes. Pour qui suis-je un témoin ? Conclusion : Être un homme réel, pas un faux « saint », pas un faux spirituel. « L’essentiel n’est pas de réussir selon les mesures de la terre mais de devenir un homme réel, un homme douloureux mais plein de joie, créateur de joie. » Mini retraite été 2014 : spiritualité de frère Luc de Tibhirine, moine et médecin Page 11