l`exclu » ou de l`exportation des politiques d`insertion à La Réunion

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l`exclu » ou de l`exportation des politiques d`insertion à La Réunion
LLaa ffaabbrriiqquuee ddee ppooppuullaattiioonnss pprroobblléém
maattiiqquueess ppaarr lleess ppoolliittiiqquueess ppuubblliiqquueess
Colloque international
Nantes — 13, 14 et 15 juin 2007
A
Atteelliieerr 33 –– TTeerrrriittooiirreess,, eessppaaccee ppuubblliicc
La naissance de « l’exclu » ou de l’exportation des politiques
d’insertion à La Réunion
Nicolas ROINSARD
GRASS-CNRS
[email protected]
Résumé
Les politiques d’insertion ont été développées en France dans les années 1980 et 90 pour faire
face à la croissance du chômage et en particulier le chômage de longue durée décrit à l’époque
sous le vocable de « l’exclusion » et de « la nouvelle pauvreté ». Appliquées de droit aux
Départements d’Outre-Mer, les politiques d’insertion ont rencontré dans ces sociétés créoles un
nouveau terrain d’application et, surtout, de nouvelles logiques d’intégration sociale. À La
Réunion par exemple, ancienne société de plantation dans laquelle les conditions d’échange du
travail ont rarement permis l’intégration et la protection durable des individus, aucun indicateur
ne semble indiquer aujourd’hui que le chômage de masse ait pour corollaire un phénomène de
marginalisation et d’exclusion sociale comme cela a été observé en métropole.
Ainsi, la figure de « l’exclu » qu’il faut impérativement « insérer » n’est autre, dans cette
société créole, qu’un pur produit de la mise en œuvre d’une politique sociale métropolitaine. En
développant cet exemple de « fabrique de populations problématiques par les politiques
publiques », cette communication abordera en filigrane la question de la culture – et plus
précisément des modèles culturels d’intégration – qui s’impose ici pour penser la relation entre
politiques sociales et société créole.
Introduction
La politique Outre-Mer est-elle une politique « parisienne » ? Dans quelle mesure, pour le
dire autrement et de manière tout à fait schématique, la politique Outre-Mer est-elle une
politique résolument pensée pour les Départements d’Outre-Mer (DOM) ou, à l’inverse, une
action nationale transposée à ces territoires ? À la lumière des cinquante dernières années, il est
prudent dans un premier temps d’opter pour une réponse intermédiaire. Si cette politique
s’inspire en grande partie des cadres d’action développés en métropole (éducation, formation,
politiques sanitaires et sociales, politiques de l’emploi, politiques de la ville et de l’aménagement
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« La fabrique de populations problématiques par les politiques publiques »
du territoire, etc.), elle fait aussi l’objet, la plupart du temps, de divers aménagements justifiés
par une nécessaire prise en compte des « spécificités » locales. L’histoire politique et législative
française nous enseigne en effet comment l’État, selon le principe idéologique de l’assimilation, a
toujours oscillé entre une logique d’égalité sociale fondée sur un principe d’égalité de traitement
entre les DOM et la métropole, et une logique de spécificité fondée, à l’inverse, sur un principe
de parité sociale. Concrètement, sous couvert d’une prise en compte des besoins singuliers des
citoyens domiens, la reconnaissance des « spécificités » des DOM a plus souvent pris la forme
d’une minoration des droits sociaux locaux que d’une mise en valeur et d’une considération
politique des structures sociales, économiques et culturelles de la société créole (Oraison, 1985).
Or, la cohérence des politiques sociales appliquées dans les DOM dépend en grande partie de
leur ajustement à ces structures.
Dispositif de lutte contre la pauvreté et pour l’insertion, le Revenu Minimum d’Insertion
(RMI) est l’exemple type d’une politique sociale pensée par et pour la métropole, appliquée de
droit à une société créole qui, en l’occurrence, a sa propre histoire du travail et de la pauvreté, et
qui a développé d’autres modes d’intégration que l’intégration par l’emploi. Après avoir présenté
brièvement la genèse et l’esprit des politiques d’insertion en France, nous décrirons leur mise en
œuvre ainsi que leurs effets pour le moins singuliers à La Réunion du fait, principalement, d’une
non-catégorisation des notions métropolitaines d’insertion et d’exclusion dans la société créole.
1. De l’ « exclusion sociale » aux politiques d’insertion en France
1.1. La naissance de l’exclu ou de l’émergence d’une nouvelle catégorie de pensée de la pauvreté en France
Si les notions de pauvreté et d’exclusion sont de nos jours couramment utilisées de façon
indifférenciée, elles n’ont pas toujours eu le même sens. C’est à partir des années 1960 que la
pauvreté en France commence à être appréhendée en terme d’exclusion : « Les pauvres vivent à
part ; ils sont de notre monde sans en être […]. C’est donc par l’exclusion que je tenterai de
définir la pauvreté » (Secrétan, 1959, p. 117-118). Être pauvre dans une « société d’abondance »
revient à en être exclu. Les « Trente Glorieuses » font de l’accroissement du pouvoir d’achat une
norme et de la pauvreté une forme d’exclusion sociale :
« Être pauvre, cela veut dire se situer en dehors du monde institutionnalisé […], être exclu des facilités offertes
à ceux qui occupent une place reconnue dans la société, être exclu du climat de confiance, d’optimisme qui, dans
l’ensemble, prévaut au sein des sociétés occidentales, être exclu des chances d’ascension sociale » (Kanfler, 1967,
p. 135).
Apparue en période de forte croissance économique, la terminologie de l’exclusion renvoie
donc à l’époque aux inégalités de ressources et d’accès à la société de consommation. On parlera
aussi des « laissés pour compte de la croissance », des « retardataires ». Avec la croissance du
chômage et en particulier du chômage de longue durée – cette « machine à exclure » pour
reprendre l’expression utilisée par Xavier Gaullier (1992) –, l’exclusion désigne à partir des
années 1980 un processus collectif de déqualification des personnes écartées durablement et
contre leur gré du marché du travail. En parlant « d’exclusion » ou de « nouvelle pauvreté » :
« l’accent fut mis non plus essentiellement sur les groupes marginaux jugés inadaptés au progrès comme cela
était le cas dans les décennies précédentes, mais sur des couches de la population considérées comme parfaitement
adaptées à la société moderne et victimes malgré elles de la conjoncture économique et de la crise de l’emploi »
(Paugam, 1996, p. 12-13).
Pour reprendre une formule qui nous paraît suffisamment explicite, on peut dire encore que
le « nouveau pauvre » est alors « ce travailleur, non plus qui a fait défaut à l’emploi, mais à qui
l’emploi fait défaut » (Buhrig, 1996, p. 38). Bref, le « grand intégrateur » (Barel, 1990) qu’est
l’emploi est devenu pour toute une partie de la population le « grand absent » de leur
intégration, laissant ainsi à l’État providence la responsabilité de pallier les conséquences
sociales de ce déficit d’intégration et de protection.
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1.2. La genèse des politiques d’insertion
La notion d’insertion telle que nous la connaissons aujourd’hui dans les politiques publiques
résulte d’un long processus d’institutionnalisation qui démarre timidement dans les années 1960
(il s’agit alors d’insérer un public physiquement, mentalement ou « socialement » handicapé)
pour se développer vers le milieu des années 1970 avec l’insertion des jeunes sans emploi. La
création en 1975 du programme des Travaux d’Utilité Collective (TUC), l’inauguration à la fin
des années 1970 d’une politique de préformation et de recherche d’emploi au sein des foyers de
jeunes travailleurs puis, enfin, la création en 1981 d’une Délégation à l’Insertion des Jeunes en
difficulté (dirigée alors par Bertrand Schwartz) sont autant d’initiatives qui placent la politique
d’insertion comme une politique de l’emploi s’adressant essentiellement aux primo-demandeurs
d’emploi. À cette même époque, on opère d’ailleurs une distinction très claire entre l’insertion
des jeunes et la réinsertion des plus âgés, en l’occurrence les anciens salariés de plus de 45 ans
qui éprouvent alors de plus en plus de difficultés à retrouver un emploi.
Dans les années 1980, le public bénéficiaire de mesures d’insertion s’élargit à toutes les
personnes qui se retrouvent en situation de précarité vis-à-vis de l’emploi, et notamment les
chômeurs de longue durée. Impulsé d’abord par des travailleurs sociaux qui ont proposé et
expérimenté différents modèles d’insertion sur leur territoire d’exercice, puis par des
fonctionnaires et des élus qui ont fait de ces expérimentations un volet des politiques sociales
locales, le secteur de l’insertion par l’économique tente à l’époque de prendre une forme et une
existence nationales. La structuration de l’insertion s’effectue en même temps que la France
adopte, sous l’effet de la décentralisation, de nouvelles orientations politiques. En matière
d’action sociale notamment, l’État ne joue plus uniquement le rôle de redistributeur mais il se
positionne de plus en plus comme animateur (Donzelot et Estèbe, 1994). En attestent la création
et la promotion, de la fin des années 1970 au début des années 1990, des entreprises
intermédiaires (appelées à partir de 1988 entreprises d’insertion), des associations
intermédiaires, des entreprises d’intérim d’insertion ou encore des régies de quartier qui
joueront toutes un rôle essentiel dans les politiques sociales locales. Avec la loi du Revenu
Minimum d’Insertion votée le 1er décembre 1988, l’insertion devient un droit commun, un droit
au travail qui rappelle et réaffirme la place centrale que celui-ci doit occuper dans le processus
d’intégration sociale.
1.3. L’intégration par le travail salarié ou l’idéologie du RMI et de son volet « insertion »
Situé à la croisée des politiques assistancielles, assurancielles et de l’emploi, le RMI bouscule
les principes fondateurs de la protection sociale en prenant en charge – sur le mode de
l’assistance – des personnes valides mais exclues de l’emploi salarié et des garanties qui lui sont
attachées. Ainsi, comme le stipule le premier article de la loi : « Toute personne qui, en raison
de son âge, de sa situation physique ou mentale, de la situation de l’économie et de l’emploi, se
trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens
convenables d’existence ». Mais la relation entre travail et revenus ne disparaît pas pour autant,
bien au contraire. Pour l’allocataire, le droit à un revenu minimum d’existence a en effet pour
contre-partie le devoir de s’engager – dans la mesure du possible – dans un processus d’insertion
professionnelle, le travail demeurant pour le législateur la première forme d’insertion dans la
société française :
« La démarche d’insertion devra se fixer comme objectif, à plus ou moins long terme, l’insertion professionnelle,
c’est-à-dire l’accès à l’emploi. En effet, c’est ainsi que sont le mieux garanties une autonomie et une insertion
durables. » (circulaire du 9 mars 1989 relative au volet « insertion » du RMI).
Ce devoir est alors partagé par l’allocataire et la société dans son ensemble. L’insertion par
l’économique des « exclus » de l’emploi est présentée en effet comme un « impératif national »
(article 1er de la loi) autour duquel toute la collectivité devra se mobiliser. La loi du 3 janvier
1991 qui institue le Conseil national de l’insertion par l’activité économique, la création en 1995
des Plans Locaux d’Insertion par l’Économique (PLIE) ou encore le vote de la loi du 29 juillet
1998 contre les exclusions qui confère au secteur de l’insertion par l’économique un véritable
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statut inscrit dans le Code du travail (art. L. 332-4-16) sont autant de mesures inspirées et
commandées par cet impératif politique.
Sans insister sur ce point car ce n’est pas là notre propos, rappelons cependant que le passage
du discours idéologique – « du travail pour tous » – à la mise en œuvre pratique des politiques
d’insertion a révélé les contradictions et les ambiguïtés de ces politiques. Les conclusions des
différentes enquêtes menées tout au long de la décennie 1990 se rejoignent en effet pour
rappeler que, faute d’alternatives réelles au travail productif marchand, l’insertion par l’emploi
des « exclus » de l’emploi ne va pas de soi (voir notamment MiRe, 1991 ; Castel et Laé, 1992 ;
Paugam, 1993 ; Astier, 1996 ; Whul, 1996). Par ailleurs, si ces politiques ont eu assez peu
d’impact sur le chômage, il faut également noter certains de leurs effets pervers. Fondées sur un
recours massif aux emplois aidés, au travail à temps partiel et aux emplois à bas salaires, ces
politiques ont fragilisé à leur tour la condition salariale en contribuant à la dualisation du
salariat et au développement de formes particulières d’emploi (Roinsard, 2007a).
2. L’impact du RMI à La Réunion
2.1. Le RMI à La Réunion, le RMI et La Réunion : une problématique pour deux objets de recherche
Parmi les études qui se sont attachées à mesurer l’impact du RMI à La Réunion, nombreuses
sont celles qui ont été construites sur le mode de l’évaluation métropolitaine, reprenant alors les
notions peu appropriées d’exclusion ou de désaffiliation nées des travaux sociologiques menés
dans l’Hexagone (Paugam, 1996 ; Castel, 1991 et 1995), et présentant la nouvelle prestation
comme une trappe de pauvreté, mais sans en rechercher les causes profondes. En consacrant ma
recherche doctorale à l’analyse des effets sociaux du RMI à La Réunion (Roinsard, 2005), je me
suis efforcé pour ma part de rompre avec les catégories d’analyse de la pauvreté et de
l’intégration sociale qui prévalent en métropole pour partir au contraire des propriétés
structurantes de la société créole. Les premières questions qui ont guidé ma démarche ont été les
suivantes. À quelles cultures du travail, de l’insertion et de la pauvreté avons-nous affaire suivant
que l’on se place à La Réunion ou bien en France métropolitaine ? Dans quelle mesure, par
conséquent, un dispositif législatif national tel que le RMI produit-il des effets différents suivant
le terrain de son application (DOM ou métropole) ?
On ne peut comprendre en effet la nature et la mécanique des effets sociaux du RMI à La
Réunion sans prendre en compte la spécificité de ce Département d’Outre-Mer et en particulier
l’héritage de la société de plantation qui détermine encore largement aujourd’hui le rapport que
les populations défavorisées entretiennent vis-à-vis du travail, des inégalités sociales et des
relations de dépendance. Les anthropologues qui ont étudié ces sociétés profondément duales
insistent en effet sur l’intériorisation durable, chez les travailleurs soumis à ces effets de
domination, d’une position sociale inférieure. Ceci s’observe à La Réunion tout au long de la 2de
moitié du vingtième siècle alors même que la départementalisation votée en 1946 ouvre de
nouvelles perspectives en matière d’emploi et de promotion sociale (voir notamment les travaux
de Pelletier, 1983 ; Benoist, 1983 et 1984 ; Wolff, 1989). La société réunionnaise connaît
simultanément le développement d’un salariat fortement lié à la fonction publique, le déclin de
sa société rurale et l’avènement d’un chômage de masse qui affectera en premier lieu les paysans,
journaliers et autres travailleurs agricoles. En se déplaçant du cadre organisationnel de la
Plantation à celui de la société issue de la départementalisation, les inégalités sociales ne font
ainsi que se reproduire, dans un nouveau cadre sociologique certes, mais selon un ordre social
amplement intériorisé.
Présentée ainsi, la construction de notre objet de recherche aura reposé sur la confrontation
de deux objets bien distincts : le RMI, pensé par et pour la France métropolitaine dans le but de
pallier la fragilisation de l’intégration salariale, puis La Réunion, société historiquement
inégalitaire et intégrée dans laquelle les modes d’échange du travail n’ont pas permis à toute une
partie de la population de conquérir statut et droits sociaux. Analyser les effets sociaux du RMI à
La Réunion revient à analyser un dispositif de lutte contre une pauvreté certes croissante mais
mineure et stigmatisée dans une société où le travail – sous la forme de l’emploi salarié – est
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reconnu pour sa fonction d’intégration et de protection des individus, appliqué à une société
dans laquelle la pauvreté est Histoire et intégrée, le chômage massif et structurel, et le travail
associé pour beaucoup à la survie économique des individus et de leur groupe d’appartenance.
2.2. Du succès du revenu minimum…
À la Réunion, du fait d’un chômage alors trois fois plus élevé qu’en métropole, le RMI connaît
un succès immédiat. À la fin de l’année 1990, soit un an après la mise en place du RMI, le
nombre d’allocataire est d’un peu plus de 49 000. Cela représente près du cinquième de la
population réunionnaise si l’on considère l’ensemble des personnes concernées (allocataires,
conjoints et personnes à charge) et à peu près 10% du budget national du RMI. Ce dispositif a
donc pris une importance considérable dans le département. Depuis, l’ampleur du RMI dans l’île
n’a pas été démentie puisque ce département détient encore aujourd’hui le record du plus grand
nombre de bénéficiaires en proportion de sa population totale : 24,5% de la population
réunionnaise est couverte par cette prestation en décembre 2005 contre un peu plus de 3% pour
la population métropolitaine (INSEE, 2006, p. 141).
Dès son instauration, le RMI a donc été le révélateur d’une pauvreté très répandue dans l’île.
Si cette situation n’était pas totalement méconnue, elle était en revanche largement sous-estimée.
On sait par exemple que 2% seulement des allocataires étaient connus des services sociaux avant
1989. À titre de comparaison, ils étaient 50% à être dans ce cas en France métropolitaine. Cette
relative méconnaissance du niveau de pauvreté réunionnais a aussitôt été expliquée par la
vivacité des solidarités familiales et communautaires qui agissaient alors tel un filet de sécurité
au profit des plus démunis (ODR, décembre 1989). Mais si le dispositif a rapidement connu un
franc succès pour son volet « revenu minimum », le volet « insertion » s’est quant à lui imposé
plus lentement – le temps d’une certaine structuration des actions à mettre en place – et surtout
plus modestement : l’objectif initial de l’insertion professionnelle du plus grand nombre s’est
inévitablement heurté au déséquilibre flagrant entre l’offre et la demande d’emploi.
2.3. … à l’échec des politiques d’insertion
À La Réunion, face à l’afflux des demandes, l’année 1989 a essentiellement servi à
l’instruction administrative des dossiers de RMI. La durée moyenne d’attente entre la
reconnaissance du droit au RMI et la signature d’un contrat d’insertion est à l’époque de 16
mois, contre 3 initialement prévus dans la loi. Sur le terrain, les acteurs chargés à la fois de
penser et de conduire les actions d’insertion ont été quelque peu dépassés par les événements.
La faiblesse du tissu associatif local a été un des premiers obstacles à une mobilisation collective
autour de l’enjeu de l’insertion. De même, et ceci a également été observé en métropole, le
milieu entrepreneurial restera le grand absent de ces premières années de politique d’insertion.
Il faudra attendre la mise en place des contrats emploi solidarité (CES) en 1990 pour permettre
à 65% des contractants de bénéficier de contrats de travail ponctuels, contrats qui ne
modifieront que marginalement la situation de sous-qualification des bénéficiaires.
Plus largement, il faut bien avoir à l’esprit que les dispositifs d’insertion par l’économique
s’inscrivent à La Réunion dans un contexte marqué par un marché de l’emploi saturé. Par
conséquent, le nombre de candidats pour un poste à pourvoir est beaucoup plus important
qu’en métropole, et en particulier pour les emplois peu qualifiés ou intermédiaires. Face à ce
chômage de masse, la réponse adoptée est la rotation dans l’emploi, « l’agitation des stocks »
dira un cadre de l’Agence Départementale d’Insertion (ADI). Compte tenu de ce principe de
rotation, les bénéficiaires de contrats aidés sont amenés à reproduire une logique traditionnelle
de consommation immédiate de travail et de revenus, directs et indirects. La création massive
d’emplois aidés a en effet eu pour conséquence l’envolée des indemnités de chômage dans l’île :
d’après les données de l’INSEE, la proportion de chômeurs indemnisés à été multipliée par près
de trois de 1990 à 2003.
Dans la pratique, le RMI relève donc beaucoup plus d’une politique qui agit sur les revenus
(gestion quotidienne de la pauvreté) que d’une politique favorisant l’insertion individualisée et
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durable des allocataires et de leurs ayants droit. Le faible recours à la formation professionnelle
et le caractère occupationnel de nombreux emplois aidés confèrent un certain flou au dispositif
qui oscille entre sa fonction idéologique de support emploi et sa fonction pratique de support
allocation. Mais pour être plus précis, nous devons également souligner que le dispositif, aussi
bien dans son texte législatif que dans sa mise en œuvre, n’aura pas suffisamment pris en compte
les propriétés sociales, économiques et culturelles de la société réunionnaise. Il est utile, en
particulier, de s’interroger sur le couple travail/intégration qui ne revêt pas le même sens à La
Réunion qu’en métropole.
3. L’idéologie de l’insertion par l’emploi à l’épreuve du contexte réunionnais
En écho à la notion d’insertion telle qu’elle a été véhiculée dans les politiques sociales
métropolitaines, penchons-nous à présent sur les conditions sociologiques – d’hier et
d’aujourd’hui – de l’insertion dans la société réunionnaise. Tout d’abord, si l’on se réfère
uniquement à la pratique et à la place du travail dans les modes d’intégration de la population
créole, on s’aperçoit que le modèle d’activité dominant pour les populations défavorisées a
davantage été celui de la pluriactivité et du sous-emploi que celui de l’emploi salarié et des
garanties qui lui sont liées. Cette pluriactivité, cette économie plurielle nécessaire à la survie des
individus et de leur famille nécessitait aussi, sur le plan humain, de multiplier les liens et les
relations d’interdépendance au sein du monde économique rural. Ainsi, à La Réunion, le
processus traditionnel d’intégration sociale repose moins sur le travail que sur le cadre social
dans lequel celui-ci s’exerce : la Plantation, la famille ou encore la communauté villageoise qui
constituent autant d’espaces producteurs d’identités et de liens sociaux. Ces liens sont encore
extrêmement importants aujourd’hui. Ils conditionnent en effet pour une bonne part les
conditions « d’insertion professionnelle et sociale » des populations visées et prises en charge
par les dispositifs publics d’insertion.
3.1. Des chômeurs socialement insérés, en quête d’activité…
À La Réunion, la socialisation ne s’organise pas autour de l’emploi dans les mêmes rapports
qu’en métropole, d’abord parce que celui-ci est carentiel mais aussi parce que le chômage, le
sous-emploi et la pauvreté sont, de longue date, intégrés dans le mode de vie des populations
défavorisées de la société traditionnelle et rurale. Dans les sociétés caractérisées par une
pauvreté intégrée, les pauvres ont un niveau de vie bas, « mais ils restent fortement insérés dans
des réseaux sociaux organisés autour de la famille et du quartier ou du village. Par ailleurs,
même s’ils peuvent être touchés par le chômage, celui-ci ne saurait, en lui-même, leur conférer
un statut dévalorisé. Il est, en effet, le plus souvent compensé par les ressources tirées de
l’économie parallèle. Ces activités jouent aussi un rôle intégrateur pour tous ceux qui s’y
adonnent. » (Paugam, 1996, p. 394).
La pauvreté intégrée suppose donc que l’intégration des individus ne passe pas
essentiellement par une intégration économique. Partant, on peut dire de manière schématique
et quelque peu provocatrice que ce n’est pas tant l’emploi – et nous pensons en particulier à
l’emploi aidé qui représente aujourd’hui à La Réunion un emploi sur quatre et un emploi salarié
sur trois – qui insère socialement les individus appartenant aux classes sociales inférieures, mais
que c’est plutôt parce que ces mêmes individus sont déjà socialement insérés qu’ils accèdent à
l’emploi, déclaré ou non déclaré. Si l’ANPE et l’agence d’insertion sont les lieux officiels de
consultation d’offres d’emploi et de contrats d’insertion, la recherche d’une activité se déroule
bien souvent en effet selon d’autres codes culturels. Tout d’abord, héritage d’un système
paternaliste au sein duquel travailleurs et possédants (les propriétaires terriens d’abord, et les
notables locaux ensuite, en charge de mandats électoraux et, à ce titre, gestionnaires d’un
nombre croissant de dispositifs d’aides publiques) ont toujours été dans un jeu d’obligations
réciproques, le maire est très souvent sollicité pour l’obtention d’un emploi communal, d’un
CES ou d’un contrat emploi consolidé (CEC). Une étude estime à ce sujet que plus d’un tiers des
allocataires se rend régulièrement à la mairie en vue d’obtenir un contrat aidé (Torit S., 1999). Il
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faut savoir, sur ce point, que la moitié des emplois aidés à l’échelle de l’île sont gérés par les
mairies.
En second lieu, le chômeur cherchera toujours à activer son réseau d’interconnaissance pour
obtenir un travail ici ou là, déclaré ou non, de quelques heures ou de quelques jours. Comme le
soulignent H. Domenach et M. Picouet :
« Des sociétés non-industrialisées telles que les DOM connaissent un marché du travail très peu organisé, où les
modes de recherche d’emploi non institutionnels sont importants. Ainsi, les aides de la part de la famille ou des
amis occupent une place importante dans les stratégies des chômeurs ou des inactifs dans les DOM, effets qui
conduisent à fragiliser les concepts de recherche effective d’emploi utilisés dans l’élaboration des indicateurs de
chômage BIT. » (1981, p. 3).
Vingt-cinq ans plus tard, ces propos semblent encore d’actualité, confirmés tant par les
monographies que nous avons réalisées que par cette remarque du directeur de l’ANPE de La
Réunion : « l’ANPE dit-il, c’est le piston des demandeurs d’emploi qui n’ont pas de piston ».
Selon l’enquête Emploi produite en 1997 par l’INSEE de la Réunion, 61,2% des démarches de
recherche d’emploi effectuées par les allocataires du RMI relèvent en effet d’un appel à des
relations personnelles. Parmi ces relations, on retrouve depuis une dizaine d’années un nouvel
acteur qui a pris une importance croissante : il s’agit des associations de quartier. De 1997 à
2000, le nombre d’associations à La Réunion a augmenté de 69% sous l’effet, en particulier, du
développement des politiques d’insertion et plus précisément des contrats aidés (CES, CEC,
contrats d’insertion par l’activité, Emplois-jeunes, etc.). Dans une étude que nous avons menée
sur l’économie sociale et solidaire à La Réunion (Brionne, Brunaud, Rochoux, Roinsard,
Souffrin, 2003), nous nous sommes aperçus que la création d’un grand nombre de ces
associations était issue soit d’un regroupement de personnes qui, elles-mêmes et/ou leur
entourage, étaient touchées par le chômage, soit la résultante d’une simple commande politique.
Cette création est aussi un moyen de reproduire dans un cadre institutionnalisé et contemporain
le collectif de travail qui structurait hier ces communautés résidentielles. Associée à l’espace
vécu, l’association de quartier est devenue un mode d’appartenance important pour les résidents
et son rôle s’est considérablement renforcé par l’attribution des emplois (Brunaud, Roinsard,
Souffrin, 2004).
Si la qualité et l’étendue des relations personnelles déterminent pour une bonne part l’accès à
l’emploi, cela est encore plus vrai quand il s’agit de recourir aux activités non déclarées. Vestige
d’une économie traditionnelle et rurale fondée sur des rapports de proximité (famille, amis,
voisinage…), le recours aux activités non déclarées est encore relativement important à La
Réunion et notamment chez les populations défavorisées, peu qualifiées, qui trouvent dans cette
économie une alternative au modèle économique légal – fondé quant à lui sur le couple
emploi/qualifications – duquel ils sont plus ou moins exclus. Et c’est bien parce que ce recours
répond avant tout à une logique de survie économique qu’il est largement toléré, sinon
encouragé, par les travailleurs sociaux et autres acteurs du social en charge de
l’accompagnement de ces populations. Si les intervenants sociaux sont tenus officiellement de
faire respecter le droit du travail et donc de lutter à leur échelle contre le travail au noir,
beaucoup d’entre eux trouvent davantage de points positifs que de points négatifs dans ce
recours. Celui-ci permet en premier lieu de maintenir une certaine cohésion sociale :
« « Honnêtement, si on n’attendait pas ça et si on pouvait pas se baser là-dessus, vous croyez
que La Réunion elle aurait pas explosé avec le taux de chômage qu’il y a ? » s’interroge un
éducateur. Ensuite, les deux parties de l’échange de travail (travailleur et bénéficiaire des
travaux) sont gagnantes du point de vue financier, ce qui n’est pas anodin du point de vue du
travail social dans la mesure où toutes deux appartiennent très souvent aux classes sociales
inférieures. Un dernier argument – et non des moindres car il fait appel à la valeur travail qui est
justement aux fondements des politiques d’insertion – tenus par les travailleurs sociaux peut se
résumer en l’assertion suivante : l’illégalité du travail au noir est préférable à la légalité du
chômage et de l’assistanat :
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« Béké la klé [travailler au noir] c’est bon car au moins le RMIste ne sort pas du travail. On ne peut rien faire
contre ça ».
« Le travail au noir c’est déjà mieux que si tu es assis sur le coin de la rue là pour avoir ton zamal [cannabis] ou
pour boire ton rhum ou pour euh… Bon, à la limite, enfin je pense qu’il vaut mieux travailler au noir hein,
socialement tu es gagnant, familialement tu es gagnant, financièrement tu es gagnant, tu es gagnant sur tous les
plans hein… »
Ainsi, certains travailleurs sociaux préfèrent conforter l’économie informelle et « le sens de la
débrouille du Réunionnais » – pour reprendre une expression employée par l’un d’entre eux –
plutôt que de les combattre. Paradoxalement, du moins au premier abord, se contenter des
dispositifs publics d’insertion revient selon eux à freiner « l’insertion par l’économique » des
bénéficiaires. Au regard des monographies que nous avons réalisées, nous ne les contredirons
pas sur ce point.
3.2. Le jeu des solidarités publiques et privées ou les termes d’une société intégrée
L’observation à la Réunion d’indicateurs aussi alarmants que ceux du chômage et du RMI et,
en même temps, d’une relative cohésion sociale invite à considérer le rôle et le poids des
solidarités de proximité. Ces dernières sont principalement configurées dans l’espace de la
famille et du quartier qui, en réalité, se confondent eux-mêmes très souvent. La famille est
traditionnellement le lieu de mise en œuvre de stratégies solidaires grâce, en premier lieu, à une
forte cohabitation, celle-ci se déclinant alors souvent sous la forme d’une mise en commun des
revenus de chacun ou, pour le moins, d’une redistribution des revenus en fonction des besoins
de chacun. À La Réunion, un actif occupé a ainsi la charge de 2,5 personnes en moyenne tandis
que ce ratio n’est que de 1,6 en métropole (INSEE, 1996).
La famille est ainsi réputée pour être une unité sociale suffisamment cohérente pour ne pas
ou peu laisser place à l’exclusion. Les chômeurs, les personnes âgées ou les personnes
handicapées sont très souvent pris en charge par leurs proches. Une enquête statistique effectuée
en 1992 montrait à ce sujet que la moitié des allocataires du RMI était aidée par leur famille
(dons et prêts monétaires, hébergement, produits alimentaires, transport, garde d’enfants…), et
inversement, la moitié d’entre eux était amenée à aider les leurs (Loewenhaupt, 1994). Nos
travaux ethnographiques menés auprès d’une cinquantaine de familles bénéficiaires du RMI ont
également mis en lumière la forte interaction entre transferts publics et transferts privés,
l’importance des revenus de redistribution ayant incontestablement favorisé l’exercice des
obligations familiales (Roinsard, 2004 et 2005). C’est aussi en ce sens que nous disons de La
Réunion qu’elle demeure une société intégrée malgré une situation de chômage de masse
(Roinsard, 2007).
3.3. L’insertion : « un mot de Paris ! »
Considéré par le législateur comme un droit et un devoir et comme la contrepartie légale du
revenu minimum, le volet « insertion » comme nous l’avons indiqué plus haut n’a pas produit
les effets escomptés. Mais pour être plus précis, on peut dire qu’avant même d’être un échec
dans les faits, l’insertion était un échec « dans les têtes ». Près de 80% des allocataires
déclaraient à l’époque de son instauration que le RMI était avant tout un revenu d’inactivité sous
la forme d’une aide (Hoareau et Loewenhaupt, 1990). Cette non-représentation de l’objectif
d’insertion s’explique d’abord par le retard pris dans la mise en œuvre du dispositif puisqu’au
début des années 1990, seul un quart des allocataires bénéficient d’un contrat d’insertion. Mais
si la notion d’insertion est faiblement intégrée par les bénéficiaires, c’est aussi et surtout parce
qu’ils ne se considèrent et ne se représentent pas comme des individus socialement « exclus » et
marginalisés. Bref, comme le résument si bien ces travailleurs sociaux en charge de mettre en
œuvre une politique dont ils perçoivent bien le caractère inadapté à la société créole,
« l’insertion, c’est un mot de Paris ! ». Un mot qui a d’autant moins de sens dans la société
réunionnaise que celle-ci est plutôt solidaire, de même que les modes d’intégration ne sont pas
centrés sur l’emploi occupé… Contrairement à ce que l’on pourrait attendre parfois de lui,
l’allocataire n’a pas la culture du projet professionnel, du parcours formatif, de la qualification
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Colloque international – Nantes, 13 14 et 15 juin 2007
« La fabrique de populations problématiques par les politiques publiques »
ou encore de l’« employabilité », pour reprendre le jargon des professionnels de l’emploi et de
l’insertion. Ici s’affrontent deux temporalités sociales opposées : celle des professionnels de
l’insertion qui attendent de leur public une capacité à se projeter dans le temps, et celle des
populations défavorisées pour qui le temps structurant est encore aujourd’hui le temps présent,
héritage du mode de vie dominant dans la société créole traditionnelle et rurale dans laquelle le
travail – sous la forme de la pluriactivité et de la polyvalence – était pratiqué « au jour le jour »
dans une logique économique de simple subsistance.
Toujours en lien avec l’héritage de la société de plantation, on peut également penser, comme
le note cette éducatrice, qu’il est vain d’attendre des allocataires appartenant aux générations
intermédiaires et supérieures qu’ils construisent un projet d’insertion professionnelle quand leur
socialisation s’est construite sur la base de relations paternalistes et de dépendance qui les a
privés de tout esprit d’initiative et par là même de toute ambition personnelle :
« On peut avoir une logique de projet si déjà, on a une idée claire d’où on vient, et où on veut aller. Et cette
issue, il faut se dire qu’on a les possibilités, les capacités d’atteindre notre issue là. Et le problème c’est que l’analyse
qu’on leur renvoie, qu’ils peuvent faire dans leur situation et leur environnement, c’est que le travail y en a plus,
même pour les diplômés ! La situation est bouchée. Consomme, consomme, consomme tant que tu peux, il va
rester quelque chose ! De toute façon tu es trop bête ! L’école t’a dit que tu es trop bête ! Toute la bande t’a dit que
tu es trop bête, et en plus tu le vois que tu n’es pas bon ! Et après on leur dit tout d’un coup, baguette magique, et
un projet… C’est la notion même… un projet qu’est-ce que ça veut dire projet ? […] Si tu n’as pas de lecture du
monde et de la place que tu peux avoir dans ce monde-là, si on t’a cantonné dans une place d’assisté, on te dit que
tu es pas capable, que tu seras un public à aider toi, et puis tout d’un coup on te dit : "Allez, il faut pondre un
projet !" Nous même quand on veut faire un projet pour notre vie… Allons…».
Par ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler que les individus dits « inemployables » et donc
« ininsérables » si l’on poursuit ce type de raisonnement, sont le plus souvent déjà insérés.
Traditionnellement, le processus créole de réalisation de soi n’est pas axé sur la réalisation
professionnelle mais plutôt sur la transmission d’un bien à sa descendance, un « térin zéritié »,
pour reprendre l’expression créole. Comme nous le rappelle cette même éducatrice :
« Ils ne sont pas dans une culture du projet, ils sont dans des valeurs. Par exemple, quand vous parlez qu’est-ce
qu’ils veulent pour leurs enfants, comment ça se passe sur des domaines autres que l’économique, ils ont des
projets. Si par exemple, au niveau du foncier, le partage, comment je pense ma vie… j’élève un p’tit cabri parce que
quand y aura la communion d’un tel, je vais vendre mon cabri. Ils ont des projets. Mais ça n’a rien à voir avec la
norme… économique… habituelle. »
C’est aussi pourquoi la volonté d’obtenir un emploi aidé aura parfois pour fondement un
besoin ponctuel d’argent lié à un projet familial comme des fiançailles ou une communion qu’il
s’agira de financer, et ne correspondra nullement au désir d’accroître son pouvoir d’achat ou
encore de trouver la voie de l’intégration par le travail salarié. Dans ce cas de figure, le recours à
l’emploi s’inscrit effectivement dans un processus d’insertion, mais une insertion précisément
définie dans le cadre de la société créole réunionnaise.
Conclusion
Avec un marché du travail caractérisé de longue date par un chômage de masse et une
situation chronique de sous-emploi, La Réunion n’est pas et n’a jamais été une société salariale
au sens métropolitain du terme, c’est-à-dire une société dans laquelle le travail salarié aurait
permis l’autonomisation et la protection sociale et économique des individus. Partant, on ne
peut interpréter les situations de chômage en métropole et à La Réunion avec les mêmes
catégories d’analyse, en l’occurrence celles consacrées de l’exclusion (Paugam, 1996), de la
désaffiliation (Castel, 1991) ou encore de la désocialisation (Dubar, 1996) lesquelles analysent
les effets sociaux du chômage sous l’angle d’une dissociation du lien social. À La Réunion, on
n’observe pas ou très peu de corrélation entre des situations de chômage et des processus de
marginalisation sociale. Bien au contraire, on observe une certaine vivacité des solidarités
sociales au sein de la société créole. Qu’elles soient utilisées pour obtenir une activité légale ou
non déclarée ou, à l’inverse, pour compenser justement, par le jeu des transferts publics et
privés, un déficit d’intégration professionnelle et donc de revenus du travail, ces solidarités sont
déterminantes pour la cohésion de la société créole, une cohésion qui se manifeste en particulier
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« La fabrique de populations problématiques par les politiques publiques »
par la faible prégnance des problèmes de marginalisation et de sécurité, qu’elle soit sociale ou
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